Chronique de la quinzaine - 31 mars 1895

Chronique n° 1511
31 mars 1895


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



31 mars.


Le Chambre a enfin voté le budget ; elle s’en est dessaisie ; elle l’a renvoyé au Sénat, et celui-ci en commencera la discussion le 1er avril. Mais certainement le budget reviendra du Luxembourg au Palais-Bourbon, car le Sénat ne peut pas l’accepter tel quel. En effet, en sortant des délibérations de la Chambre, il n’était pas en équilibre : il y avait, entre les dépenses et les recettes, un écart de plusieurs centaines de mille francs. Jalouse de ses droits financiers comme elle l’est, la Chambre a fait une imprudence en renvoyant au Sénat un budget aussi mal conformé. Les journaux radicaux le reconnaissent aujourd’hui et en gémissent : c’est « une forte gaffe, » disent-ils dans le style qui leur est propre. Toutefois, si la « gaffe » a été commise, ce n’est pas la faute du rapporteur général du budget. Dans tout le cours de la discussion, M. Cochery n’a pas cessé d’avertir ses collègues, qu’en augmentant étourdiment les dépenses sans augmenter les recettes d’une quantité égale, ils s’exposaient à compromettre l’équilibre déjà très instable et un peu artificiel qui avait été établi entre les unes et les autres. On ne l’a pas écouté, on en voit aujourd’hui les conséquences. Quelles que soient les prétentions de la Chambre, qui veut toujours avoir le dernier mot en matière de finances comme elle a le premier, il est difficile de refuser au Sénat le droit de remettre le budget en équilibre, lorsqu’il ne l’est pas. Le Sénat se sent donc sur un bon terrain, et il en profite. Il a diminué un certain nombre de crédits : sur ce point, on n’ose pas trop lui chercher chicane ; mais il en a augmenté quelques autres, notamment celui qui se rapporte à l’entretien du pavage de la ville de Paris, et c’est là-dessus que la résistance se prépare. Peut-être serait-elle plus énergique s’il s’agissait d’un autre objet. Les radicaux, ici, se sentent embarrassés. Les députés de Paris, qui ne sont point parmi eux une quantité négligeable, ne peuvent pas repousser l’argent qu’on leur offre. Ils sont pris entre leurs scrupules de conscience et l’intérêt de leurs électeurs, sans que l’on sache encore lequel de ces deux sentimens finira par l’emporter : ce sera sans doute le dernier. On cherche une formule qui contienne en même temps l’affirmation la plus énergique du principe et l’exception qui y serait faite pour une fois, une seule, sans qu’elle puisse constituer un précédent : mais la formule, une fois trouvée, servira certainement de passe-partout pour l’avenir. Peu importe au Sénat qu’on accepte ses propositions avec des restrictions mentales, pourvu qu’on les accepte. Il faut reconnaître que la haute assemblée a très bien manœuvré et qu’elle s’est établie sur de fortes positions.

Les subtilités de cette nature, si elles intéressent et passionnent même les assemblées, laissent le public tout à fait indifférent. Le seul point qui, dans le budget, ait vivement attiré et retienne l’attention est le droit d’accroissement. On connaît la question : elle a fait couler des flots d’encre, et aussi des flots d’éloquence, depuis quelques années. Les congrégations religieuses ont des biens. Comme ceux-ci ne se transmettent pas de personne à personne, au fur et à mesure des décès, puisqu’on a affaire à une collectivité permanente, il a bien fallu trouver une combinaison fiscale qui permît au trésor de prélever l’équivalent de ce qu’il toucherait si ces biens n’étaient pas immobilisés entre les mains d’une personne morale, laquelle n’existe d’ailleurs que par une fiction de la loi. À cette fiction on en a opposé une autre, celle de l’accroissement de propriété dont chaque membre de la congrégation bénéficie lorsque l’un d’eux vient à mourir : il y a là, qu’on nous passe le mot, un héritage figuré sur lequel le fisc perçoit un impôt de mutation. Rien ne serait, en somme, plus légitime s’il n’existait pas déjà un droit de mainmorte, qui a tout juste le même objet : comment nier que le droit d’accroissement, accolé au droit de mainmorte, ne constitue un pléonasme fiscal ? Mais le fait existe. On a trouvé en 1880 que le droit de mainmorte, auquel, — et ce point mérite d’être noté, — échappent toutes les congrégations non autorisées, était insuffisant, et on l’a doublé par le droit d’accroissement. Puis, la loi nouvelle a été jugée encore insuffisante : on l’a perfectionnée en 1884, et on a décidé que, toutes les fois qu’une congrégation perdrait un de ses membres, la déclaration de décès devrait être faite dans toutes les communes où la congrégation est représentée, et que chaque déclaration donnerait naissance à une taxe. Enfin, la part d’accroissement sur laquelle le droit était établi devait être au moins de 20 francs. Le fonctionnement de cette double obligation, celle de la déclaration multiple et celle de l’établissement du droit sur un minimum de 20 francs, alors que la réalité correspond souvent à quelques centimes, a produit des résultats monstrueux. Lorsque, pour la première fois, en 1890, M. Clausel de Coussergues les a fait connaître à la tribune, il y a eu un soulèvement de la conscience publique. Le gouvernement a reconnu tout de suite qu’on était en présence d’une véritable iniquité et qu’il fallait y remédier au plus vite. Comment ? Cela était facile. On pouvait soit renoncer à la déclaration multiple, comme le demandait M. Clausel de Coussergues, soit abaisser le minimum de 20 francs arbitrairement fixé par la loi, ou plutôt faire les deux choses en même temps. Mais cette solution a paru beaucoup trop simple, et par conséquent peu digne de l’administration, et on a passé plusieurs années à en chercher une autre. Pendant ce temps, les droits couraient ; les congrégations ne les payaient pas ; on se préparait pour l’avenir des difficultés inextricables. Plusieurs procès étaient entamés et avaient des chances diverses. La Cour de cassation rendait, en faveur de la déclaration unique, c’est-à-dire au profit des congrégations, un arrêt qu’on n’a pas voulu regarder comme définitif. Enfin, après beaucoup de temps perdu, on est arrivé à proposer une solution nouvelle, qu’un amendement de M. Clausel de Coussergues a beaucoup, ou plutôt aurait beaucoup perfectionnée, s’il avait été adopté tout entier.

Nous nous appliquons à dégager les grandes lignes d’une question où il y en a beaucoup de petites, et où il est dès lors difficile d’échapper à quelque confusion. Le gouvernement et M. Clausel de Coussergues étaient d’accord sur le principe de l’abonnement : les congrégations s’acquitteraient du droit en payant un tant pour cent sur la valeur brute de leurs biens. Mais il y a eu divergence sur un point : le gouvernement a proposé que le taux de l’abonnement fût de 30 centimes pour cent francs pour toutes les congrégations, autorisées ou non, tandis que M. Clausel de Coussergues a demandé qu’il fût de 20 centimes pour les congrégations autorisées et de 30 pour les autres. Cette différence ne s’explique pas seulement par l’intérêt plus ou moins grand que méritent les diverses congrégations, mais encore et surtout par ce fait, sur lequel nous avons attiré déjà l’attention, que les congrégations autorisées paient le droit de mainmorte et que les congrégations non autorisées ne le paient pas. L’inégalité proposée par M. Clausel de Coussergues n’était donc qu’apparente ; le but véritable était de rétablir l’égalité. Cela est tellement clair, tellement évident, et M. Clausel de Coussergues l’a exposé en termes si lumineux, que la Chambre l’aurait certainement voté si le gouvernement ne s’y était pas opposé. Et pourquoi s’y est-il opposé ? Ce ne peut être au nom, ni du bon sens, ni de la logique, ni de la justice, car il est contraire à la justice, à la logique et au bon sens de traiter plus défavorablement les congrégations autorisées que les autres, en ayant l’air de les soumettre toutes au même régime. On voudrait décourager les congrégations de se faire autoriser et les pousser à échapper, par toutes sortes de faux-fuyans, au contrôle de l’État et aux prises du fisc, qu’on ne s’y prendrait pas d’une autre manière, lin homme d’esprit disait autrefois de la philosophie : « Quand je commence à n’y rien comprendre, c’est de la métaphysique. » Quand on commence à ne rien comprendre à l’attitude d’un gouvernement, d’ailleurs intelligent et bien intentionné, c’est de la métaphysique parlementaire. Il s’agit de ménager tel groupe qui pourrait être fâché qu’on accordât trop à tel autre, et finalement de conserver entre tous cet équilibre formé de demi-satisfactions et de demi-mécontentemens sur lequel s’appuient tous nos ministères, jusqu’à ce qu’ils chavirent d’un côté ou de l’autre. Mais le public n’entend rien à ces rébus, et, comme il a le tort de ne regarder que les choses, prises en elles-mêmes, il ne peut pas s’empêcher de crier à l’absurdité. Il est vrai que le public, c’est-à-dire la France entière, compte pour bien peu à côté des groupes parlementaires.

La commission du budget a eu une idée que les radicaux ont trouvée facétieuse, mais où il serait plus exact de voir une simple gaminerie. Elle a donné raison à M. Clausel de Coussergues contre le gouvernement : « Oui, a-t-elle dit, il faut établir une différence entre les congrégations autorisées et les autres : en conséquence, les premières paieront 30 centimes et les secondes 50. » Le chiffre de 30 centimes reposait sur un calcul de vraisemblances, sur l’étude des tables de mortalité, en un mot sur des élémens contestables, mais sérieux : celui de 50 centimes ne repose sur rien. C’est un chiffre en l’air. On aurait pu dire 40, on aurait pu dire 60, indifféremment. La commission du budget s’est peu honorée en proposant cette solution, et la Chambre moins encore en la votant. La commission des finances du Sénat, d’accord avec le gouvernement, demande qu’on applique le taux de 30 centimes à toutes les congrégations. Nous n’avons rien à retirer de ce que nous venons d’écrire au sujet de ce chiffre uniforme : si le Sénat le vote, tout ce qu’on pourra dire de lui, c’est qu’il aura fait un peu moins mal que la Chambre. Il serait encore mieux de revenir à l’amendement de M. Clausel de Coussergues, et de s’occuper aussi de la liquidation du passé. Les congrégations, en effet, doivent au fisc un arriéré considérable, provenant d’une législation dont l’iniquité a été reconnue et proclamée. On leur donne bien la liberté de choisir, pour l’acquittement des droits échus, entre l’ancienne législation et la nouvelle ; mais, dans le cas où elles préféreraient l’ancienne, on a omis de dire si celle-ci serait appliquée avec la déclaration simple ou la déclaration multiple, et, dans le cas où elles préféreraient la nouvelle, ce serait à la condition de perdre le bénéfice de l’article 4, qui exempte de la taxe les biens affectés à l’entretien des œuvres de charité et de nos missions à l’étranger.

Cette exemption répond, ainsi que l’a constaté M. Ribot, à un sentiment général, et elle suffit à donner à la loi, malgré les critiques que celle-ci soulève d’autre part, un caractère bienfaisant. Il est très injuste de dire, comme on le fait dans certains milieux, que la loi nouvelle est un avortement et que la question à résoudre n’a pas fait un pas. Elle en a fait un, et des plus considérables. Plus on démontre que le droit d’accroissement est excessif et onéreux, plus on donne de prix à l’immunité qui vient d’être accordée aux biens affectés à la charité et à nos missions au dehors. Les sentimens les plus respectables et les plus profonds se trouvaient ici en cause, la pitié humaine, le patriotisme. Les biens que les congrégations emploient, non pas à un but où l’on pourrait démêler un intérêt personnel, même très noble et très généreux, mais à des œuvres charitables ou au développement de notre influence au dehors, échapperont désormais à la taxe. C’est un grand point : il suffirait à sauver la loi du discrédit qu’on cherche à jeter sur elle. Il y a longtemps que cette réforme était demandée, sans avoir pu jusqu’ici être obtenue. Elle l’est enfin, grâce à l’initiative parlementaire. Le gouvernement a laissé à M. Clausel de Coussergues l’honneur de la proposer : il s’est contenté pour son compte de dire qu’il ne s’y opposait pas, et qu’il reconnaissait qu’un grand mouvement d’opinion s’était dessiné dans ce sens. Cette indication suffisait : la Chambre n’a pas hésité à voter l’exemption. Ceux-là seuls ont pu la repousser qui croient que la charité n’est pas bonne en elle-même, mais seulement d’après celui qui l’administre, et qui aiment mieux laisser un malheureux mourir de faim, de froid ou de maladie, que de le laisser secouru : par une main qui ne serait pas purement laïque. On voit tous les jours que ceux qui souffrent ne sont pas de cet avis. L’État, quelle que soit sa bonne volonté, ne peut pas subvenir à toutes les misères. Il ne peut pas non plus, dans les étroites conditions du budget, suffire à l’entretien et au développement de toutes nos missions au dehors. Prélever, puiser un lourd impôt d’accroissement à la source où s’alimentent ces œuvres fécondes, au risque de la tarir, est un véritable non-sens : assez d’autres taxes contribuent déjà à en diminuer l’expansion. Sans doute des fraudes peuvent être commises, car le désintéressement personnel et le dévouement à une œuvre de sacrifice poussé jusqu’à la mort s’allient quelquefois avec de certaines tricheries à l’égard du fisc ; mais des précautions seront prises contre ce danger, et nous ne nous plaindrons pas, sur ce point, des exigences de l’administration. Ce qui provoquerait une critique beaucoup plus juste, c’est l’attribution que le gouvernement s’est adjugée à lui-même et à lui seul, du droit de régler les contestations qui s’élèveraient entre les congrégations et l’enregistrement. On aurait pu admettre que ces contestations fussent déférées aux tribunaux administratifs, mais n’est-il pas excessif d’en laisser le règlement au bon plaisir ministériel, même sous le contrôle des Chambres ? Les majorités parlementaires sont mobiles, les ministères le sont encore davantage, ce qui a l’air d’un paradoxe, mais n’en est pas moins certain. N’est-il pas à craindre qu’il ne s’établisse sur la matière la jurisprudence la plus contradictoire, la plus confuse, la plus capricieuse, la plus fantaisiste, la plus fantastique même qu’on ait jamais vue ? La loi qui va sortir de la délibération des Chambres ne sera donc pas parfaite ; non certes, et nous n’en aurons pas fini avec la question ; mais il y aura une amélioration notable sur le passé. Ce n’est pas, par le temps qui court, un mince éloge à faire d’une loi.


Les événemens, ou, si l’on préfère, les incidens qui se passent en Allemagne jettent un jour tout à fait imprévu sur l’état moral de ce pays, ou peut-être seulement de ceux qui président à ses destinées. On connaît les faits. Le prince de Bismarck aura quatre-vingts ans le 1er avril. Le président du Reichstag, M. de Levetzow, a proposé à l’assemblée d’envoyer à l’ancien chancelier ses félicitations et ses vœux. Sa voix tremblait un peu, dit-on, lorsqu’il a présenté cette motion : c’est qu’il prévoyait qu’elle allait rencontrer beaucoup de résistance, et, en effet, à la fin d’une des séances les plus agitées que l’on ait encore vues en Allemagne, la motion a été repoussée. Aussitôt, M. de Levetzow a donné sa démission. L’émotion a été immense à Berlin et dans le pays tout entier. L’empereur en a pris sa large part : il a envoyé à Friedrichsruh un télégramme où il exprimait, au nom de tous les princes et de tous les peuples allemands, sa profonde indignation. La réponse de M. de Bismarck est des plus remarquables. Il remercie son souverain d’avoir changé pour lui en une vive satisfaction ce qui aurait pu être une « contrariété » causée par ses anciens adversaires politiques. Le mot de contrariété appliqué à la circonstance est, dans son genre, admirable : on y retrouve tout le dédain de M. de Bismarck pour les assemblées en général, et pour ses adversaires politiques en particulier. Il était impossible de réduire l’affaire à des proportions plus insignifiantes. Mais l’empereur ne l’entendait pas ainsi. Il voulait donner le plus grand éclat à sa protestation contre le vote du Reichstag, et il s’est rendu lui-même à Friedrichsruh, où il a échangé avec le prince de Bismarck des discours qui ont retenti dans toute l’Allemagne. La veille, le vieux chancelier avait reçu déjà une députation de la minorité du Reichstag et de la majorité du Landtag de Prusse et de la Chambre des seigneurs. Sa retraite où il est resté si isolé, si abandonné pendant quelques années, s’est trouvée subitement envahie par des visiteurs empressés. Les députations parlementaires avaient de la peine à contenir leur enthousiasme : étrange contraste avec le silence absolu des Chambres, il y a cinq ans, lorsque l’illustre chancelier est tombé subitement dans la disgrâce ! Quant à l’empereur, il est descendu de wagon à la gare prochaine afin d’arriver à Friedrichsruh à la tête d’un imposant cortège militaire qui représentait, a-t-il dit, l’armée tout entière. Les trompettes sonnaient aux champs, la poudre même a parlé, il y a eu de bruyantes salves d’artillerie. Mais de tous ces bruits nul autre n’a porté aussi loin que celui des harangues impériales et des réponses de M. de Bismarck. Jamais l’empereur, qui est un grand romantique, et dont l’esprit, comme celui de tous les souverains de sa race, est hanté par une sorte de mysticisme militaire et féodal, n’avait fait résonner dans un discours autant de fanfares guerrières. C’est un véritable fourmillement de métaphores à panache, un cliquetis de mots où l’on croit entendre mille chocs d’acier. « L’épée, a dit l’Empereur, a été de tous temps l’arme préférée par le Germain. » Aussi en a-t-il donné une à M. de Bismarck, après y avoir fait graver les armes de l’Alsace-Lorraine, attention tout à fait délicate, mais qui aurait gagné à être plus discrète. Enfin, il lui a déclaré à brûle-pourpoint que ce qu’il admirait et voulait célébrer avant tout en lui, ce n’était pas du tout le grand homme d’État, mais bien l’officier, le camarade, le vieux compagnon d’armes, le colonel d’un régiment prussien. M. de Bismarck en a été, sur le premier moment, si étonné qu’il s’est contenté de remercier l’empereur, en ajoutant que sa situation militaire, relativement à la sienne, ne lui permettait pas d’en dire davantage. C’est en effet la seule altitude qui convienne à l’officier devant son supérieur.

Cela trouble aussi nos idées. Nous connaissions peu le colonel de Bismarck : que n’est-il resté dans son régiment toute sa vie ! On raconte que lorsque le chancelier de fer a été disgracié par son maître, et nommé par lui duc de Lauenbourg, ce qui était, paraît-il, une très grande faveur, il a dit à ses familiers, dans une de ces boutades irrévérencieuses qui lui sont habituelles, que ce titre lui serait effectivement très utile pour voyager incognito. Son grade de colonel pourrait lui rendre à peu près le même service. Comme officier, il a des émules dont quelques-uns ne lui sont pas inférieurs. Pourtant, si le Reichstag avait compris qu’il s’agissait de célébrer seulement le colonel d’un régiment, peut-être, pour faire plaisir à l’empereur, se serait-il prêté plus facilement à une manifestation un peu disproportionnée sans doute avec le mérite militaire du héros de la fête, mais en somme inoffensive. Le Reichstag a vu en M. de Bismarck ce que nous y voyons nous-mêmes et ce qu’y verra l’histoire : l’homme qui, en posant dès les premiers jours de sa carrière politique un certain nombre de questions, a déclaré qu’elles ne pouvaient être résolues que « par le fer et le feu. » Et c’est, en effet, par le fer et le feu qu’il les a tranchées. Aucun respect du sentiment national, aucun ménagement pour les instincts profondément humains qui cherchent depuis cent ans leur expression dans un droit nouveau, aucune générosité pour le plus noble vaincu ne l’ont arrêté ou fait hésiter un moment dans son œuvre implacable. Qu’il ait été très grand par la force de l’intelligence et de la volonté, oui, assurément. Son nom, après celui de Napoléon, sera le plus éclatant du siècle. Néanmoins, son œuvre, qui à bien des égards a ralenti la marche de la civilisation universelle, restera contestée. Elle l’est déjà en Allemagne même, et par l’assemblée qui représente les peuples divers que sa rude et puissante main a unifiés. Et c’est là ce qui était imprévu. Que cette œuvre colossale soulève partout ailleurs d’autant plus de critiques qu’elle y a causé plus d’angoisses et qu’elle a laissé les cœurs plus ulcérés, rien de plus naturel ; mais qu’en Allemagne, dans une assemblée issue du suffrage universel, elle soit, tout compte fait, déclarée mauvaise, il est permis d’en être étonné. On comprend que l’empereur en ait été ému jusqu’à l’exaspération, et qu’à son tour, cherchant à éteindre la voix du Reichstag sous le retentissement de la sienne, il ait parlé avec fracas au nom des peuples et des princes allemands. Il les représente à sa manière, soit ; mais le Reichstag les représente à la sienne, et, quoiqu’on fasse, son vote conservera une importance morale que nous ne voulons pas exagérer, mais qu’on s’efforce en vain de diminuer. On l’exagérerait, on l’interpréterait mal si on croyait que l’unité allemande est une œuvre incertaine de l’avenir et qui déjà menace ruine. L’Allemagne aspirait depuis longtemps à l’unité, et, après l’avoir conquise, elle n’y renoncera plus. Mais ce que la majorité du Reichstag a désavoué, ce sont les procédés violens et brutaux dont M. de Bismarck a usé pour l’accomplir. Les peuples qu’il a vaincus et broyés ont des députés dans le Parlement impérial : aucun ne lui a pardonné. Quelques-uns protestent toujours contre leur incorporation à l’empire ; d’autres n’oublient pas la manière violente dont ils y ont été rattachés ; et de tout cela résulte un sentiment commun qui vient de se traduire par le vote inopiné du Reichstag. Pour réagir contre ces tendances qu’il juge dangereuses, l’empereur a pensé que le meilleur moyen était de parler de la France et de se livrer à notre sujet à des manifestations assez peu conformes à l’ensemble de sa politique. L’appréhension de la France n’est-elle pas le meilleur ciment de l’unité allemande ? Voilà pourquoi l’empereur a parlé du « sang de Mars-la-Tour », et a fait graver sur l’épée qu’il a donnée à M. de Bismarck les armes d’Alsace-Lorraine, c’est-à-dire le signe même de l’irréparable dans les sentimens des deux nations ; voilà pourquoi il a imprimé à ses discours une allure ultra-belliqueuse. Est-ce là une menace à notre adresse ? Non : en tout cas la menace ne s’adresserait à nous qu’à demi, car, en parlant de l’épée, toujours l’épée, « le moyen qui, d’après lui, ne trahit jamais », l’empereur a ajouté que cet instrument primordial de la puissance prussienne « pourrait encore, entre les mains des princes et des rois, conserver à l’intérieur l’unité de la patrie qu’il a unifiée autrefois à l’extérieur. » La menace, s’il y a menace, s’applique donc au dedans encore plus qu’au dehors.

M. de Bismarck s’est prêté à cette mise en scène avec cette bonhomie apparente qui a des retours si redoutables. Il a abondé dans le sens de l’empereur, au risque de dépasser un peu la mesure. Que pensait-il dans son for intérieur ? On ne le saura peut-être jamais. Il a assuré, sans se départir de son sérieux, qu’il avait toujours été officier avant tout, et que là serait son signe distinctif devant la postérité. « Si je n’avais pas été officier, a-t-il dit, je ne sais si j’aurais suivi les mêmes voies justes. C’est l’officier du 9e régiment de territoriale qui m’a servi de guide et qui, dès l’année 1848, m’a mis dans le bon chemin, à savoir dans la voie de l’attachement à la maison régnante. » En France, tout le monde aujourd’hui est plus ou moins officier dans la territoriale : sous ce rapport, nous n’avons rien à envier à l’Allemagne, et nous possédons sans doute en germe toute une moisson de Bismarck ; mais le vieux chancelier nous regarde en pitié parce que nous n’avons plus de maison régnante. « D’où voulez-vous, a-t-il dit, que vienne le signe autour duquel on sonne le ralliement ? Cela reste toujours sujet à des contestations. » On pense bien que nous ne discuterons pas en ce moment la thèse de M. de Bismarck : il y a lieu seulement de remarquer l’intention peu obligeante qui la lui a inspirée. A-t-il voulu, toujours comme officier subordonné, se mettre à l’unisson de la pensée impériale et ramener les yeux de l’Allemagne du côté de la France ? Du moins, si sa parole a été dénigrante, elle n’a pas été provocante ; et il n’en a pas été toujours ainsi. L’empereur a rappelé le cri : « Quand même ! » que le brave comte Mansfeld poussait en se jetant sur un ennemi qu’il voyait supérieur en nombre. « Votre Altesse Sérénissime, a-t-il dit, s’est inspirée souvent de ce cri, (notamment à l’époque où feu mon grand-père a dû prendre de graves décisions et où Votre Altesse Sérénissime, en lui montrant fièrement ses officiers, lui a rappelé sa propre épée. » Nous ignorons si l’empereur Guillaume Ier a jamais oublié sa propre épée au point qu’il fût nécessaire de la lui rappeler. Ce que nous savons par ses aveux mêmes, c’est la manière dont M. de Bismarck a dénaturé volontairement, froidement, consciemment, la fameuse dépêche d’Ems, qui a été la cause principale de la guerre de 1870. Il a raconté la scène avec une abondance et une précision de détails qui ne laissent rien à désirer. Il venait de déjeuner avec M. de Moltke et M. de Roon lorsqu’une dépêche d’Ems est arrivée. Elle était conçue en termes modérés et courtois, ce qui désola M. de Moltke. Que fit alors M. de Bismarck ? Imita-t-il le brave comte Mansfeld ? Déclara-t-il qu’il se jetterait « quand même » sur un ennemi supérieur en nombre ? Non : il demanda pour la dernière fois à ses collègues militaires s’ils étaient bien sûrs que la supériorité appartenait incontestablement à l’Allemagne, et, sur leur réponse affirmative, il prit un crayon, biffa, coupa, tronqua dans la dépêche d’Ems de manière à en faire une insupportable provocation à l’adresse de la France. En sortant du cabinet du roi de Prusse, la dépêche respirait la paix ; en sortant mutilée des mains de M. de Bismarck, elle avait l’insolence d’une déclaration de guerre. M. de Moltke s’en montra tout à fait satisfait et courut préparer ses ordres de mobilisation. Est-ce dans ce sens que M. de Bismarck a rappelé fièrement au vieil empereur Guillaume sa propre épée ?

On conviendra que le geste n’a eu rien d’héroïque et qu’il n’offre aucun rapport avec celui du comte Mansfeld. Il en est sorti, à la vérité, l’hégémonie de la Prusse sur l’Allemagne et le démembrement de la France ; mais l’histoire sera sévère pour de pareils procédés, et la génération actuelle, en Allemagne même, commence à en apprécier la valeur morale. Malgré tout, l’Allemagne peut pardonner à M. de Bismarck, car il a fait sa grandeur ; mais que doit penser l’Europe de son œuvre, si elle la juge par ses résultats ? Jamais la folie des armemens militaires n’a été poussée aussi loin qu’aujourd’hui, et cette folie n’est que prudence, obligation, nécessité. La paix du monde ne repose pas sur la satisfaction des grandes et légitimes aspirations nationales, mais sur la crainte de la guerre et l’incertitude de son dénouement. Pour augmenter cette crainte et cette incertitude, seules garanties de la paix, on arme, on arme encore, jusqu’au moment de plier sous le poids d’une armure décidément trop lourde. Jamais les frontières entre les nations n’ont été formées d’une haie plus profonde de canons de fusils et de baïonnettes. La diplomatie s’applique, et que peut-elle faire de mieux ? à organiser des coalitions de forces qui se fassent équilibre et se tiennent mutuellement en respect. A la première distraction, à la première défaillance de l’un de ces grands amis de la paix, les autres se jetteront sur lui et l’Europe sera en feu. Et à qui revient la responsabilité principale de cet état de choses ? A M. de Bismarck, incontestablement. Il s’est appliqué, dans son discours aux délégations parlementaires, à faire la part de chacun dans l’œuvre commune, et il y a mis même une coquetterie qui n’était peut-être pas exempte de quelque ironie : aux yeux du monde, il a été de beaucoup le principal acteur du grand drame dont les conséquences pèsent sur la fin du siècle. Peut-être le vote du Reichstag est-il un acte d’ingratitude envers un grand Prussien et même un grand Allemand ; mais il y a dans la conscience de l’humanité un tribunal secret où comparaissent toutes les gloires, même les plus hautes, et devant ce tribunal le vote du Reichstag ne sera pas infirmé.


En Espagne, le ministère libéral, que présidait M. Sagasta, est tombé : il a été remplacé par un ministère conservateur que préside M. Canovas del Castillo. Le fait en lui-même n’aurait rien d’anormal ni d’alarmant sans les circonstances qui l’ont accompagné. Depuis quelques années, on n’entendait plus parler de l’armée espagnole, si ce n’est lorsqu’elle se battait bravement, comme elle l’a fait il y a quelques mois sur les côtes du Maroc, et elle commençait à ressembler, soit dit sans l’offenser, à toute autre armée européenne. L’ère des pronunciamientos et des révoltes militaires paraissait terminée : toutefois, elle n’était pas encore assez loin dans le passé pour que toute manifestation de l’ancien mal, même relativement anodine, ne fût pas de nature à inspirer quelque inquiétude. Qu’un ministère tombe, en Espagne pu ailleurs, le fait est trop fréquent pour qu’on s’en émeuve ; mais, qu’il tombe devant les exigences de l’armée, après des scènes de désordre et de violence dont les acteurs ont été des officiers, cela serait grave partout, et l’est peut-être encore plus à Madrid qu’ailleurs, parce qu’on pourrait y croire à une rechute, à un retour offensif d’une maladie invétérée. Nous sommes trop sincèrement amis de l’Espagne pour ne pas lui dire la vérité ; et d’ailleurs le sentiment que nous exprimons a été partagé par l’Europe entière. Il faudrait aller jusque dans l’Amérique du Sud pour trouver un pays où on donnerait peut-être raison aux officiers espagnols et où on excuserait leur échauffourée.

Voici brièvement les faits : Une révolte a éclaté dans l’île de Cuba, et a pris rapidement un caractère assez grave. Nous n’en connaissons pas encore très bien les causes. On a dit, mais à tort, paraît-il, que l’île de Cuba était maltraitée par la mère patrie. La vérité est que, depuis quelques années, Cuba bénéficie intégralement de la législation espagnole. Elle a été assimilé à la métropole, et si quelques différences subsistent, c’est sous la forme de privilèges au profit de la vieille colonie. Cuba n’est même plus une colonie dans le sens propre du mot : on pourrait comparer sa situation à regard de l’Espagne à celle de l’Algérie à l’égard de la France. On comprend donc assez mal les motifs de l’insurrection. Il y a des partis nombreux à Cuba : il y a des libéraux, il y a des conservateurs, il y a des autonomistes, il y a des séparatistes. Ces derniers seuls paraissent dangereux, mais ils sont en petit nombre, et ne pourraient même pas songer à la révolte armée si la nature du pays ne leur permettait pas de soutenir longtemps dans la campagne une lutte de guérillas. On dit aussi qu’ils trouvent, ou croient trouver quelques encouragemens au dehors. Quoi qu’il en soit, une insurrection a éclaté, et le gouvernement espagnol s’est vu dans l’obligation d’envoyer d’urgence des renforts à Cuba. Il a fait appel aux officiers et aux sous-officiers qui voudraient faire campagne : cet appel a trouvé de l’écho parmi les sous-officiers, mais infiniment peu parmi les officiers, et il a fallu procéder à un tirage au sort pour combler les vides qui restaient dans les cadres supérieurs. Personne ne soupçonnera les officiers espagnols de manquer de courage, seulement la loi est mal faite, et les officiers qui font campagne en volontaires ne participent pas aux mêmes avantages que les autres, à savoir ceux qui sont désignés par le sort. C’est une anomalie qu’on devrait s’empresser de faire disparaître. Est-ce à ce motif qu’il faut attribuer le peu d’empressement des officiers à s’enrôler dans le corps expéditionnaire ? On l’assure, et cela est très probable ; mais des journaux, dont quelques-uns n’ont pas grande importance à Madrid et sont inconnus partout ailleurs, ont constaté le fait avec malveillance, ce qui a provoqué dans le corps des officiers une irritation dont on a bientôt vu les effets. Plusieurs officiers, les uns en civils, les autres en uniforme, se sont transportés dans les bureaux de rédaction des journaux ; là, ils se sont livrés à des voies de fait sur les rédacteurs, ont brisé les chaises, renversé les tables, et commis enfin, pendant deux jours de suite, des actes tout à fait indignes d’hommes qui sont chargés de maintenir l’ordre et de faire respecter les lois. Ces faits se sont passés à quelques pas des casernes : le gouverneur de Madrid n’a rien fait soit pour les prévenir, soit pour en empêcher le retour.

Le ministère s’est réuni. La surprise de M. Sagasta et de ses collègues libéraux a été grande, lorsque le général Lopez Dominguez, ministre de la guerre, s’est fait l’organe des plaintes et des exigences des officiers, et a demandé que les délits de presse commis par les journaux fussent désormais soumis aux conseils de guerre. Il invoquait un vieil article du code militaire qui se trouve en contradiction avec la législation ordinaire, contradiction regrettable sans doute et qui ne peut s’expliquer que par le passé anarchique et révolutionnaire de l’Espagne, mais à laquelle la jurisprudence a pourvu : un arrêt de la Cour suprême a décidé, en effet, que les délits commis par la presse contre l’armée seraient, comme les autres, passibles des tribunaux de droit commun. Il en est ainsi dans tous les pays civilisés, même dans ceux où l’armée pousse jusqu’à l’orgueil le sentiment de sa dignité. On comprend que, dans une crise grave, lorsque l’état de siège est établi, la règle fléchisse provisoirement ; mais le général Lopez Dominguez a demandé la permanence de la juridiction militaire, et c’est à quoi M. Sagasta ne pouvait pas consentir sans renier tous les principes de son parti. Il a préféré donner sa démission.

L’Espagne a traversé alors un moment très critique. Le maréchal Martinez Campos, le plus glorieux soldat de son pays, le restaurateur de la monarchie et son soutien le plus solide, a été nommé gouverneur de Madrid et chargé, en fait, d’une espèce de dictature. Il n’en a pas abusé. Grâce au prestige dont il jouit, l’ordre s’est trouvé rétabli aussitôt. Le maréchal a été le premier à réclamer la réorganisation du ministère : il a insisté pour que M. Sagasta et ses collègues reprissent leurs portefeuilles, mais il y amis une condition inacceptable, en demandant à son tour, comme le général Lopez Dominguez, que les délits de presse commis contre l’armée fussent déférés aux tribunaux militaires. Peut-être a-t-il pensé qu’il fallait faire la part du feu, et qu’on risquerait de tout perdre si on voulait tout sauver en même temps. Déjà les prétentions des officiers prenaient des proportions exorbitantes : le programme en a été publié par les journaux, et il aurait été permis d’en rire si la situation n’avait pas été aussi sérieuse. Il s’agissait naturellement d’augmenter le budget de la guerre, d’attribuer aux anciens soldats des places et des fonctions administratives, mais aussi de réserver aux militaires un certain nombre de sièges à la Chambre et au Sénat, et enfin — ce dernier trait atteint une certaine force comique, — d’assurer à tous les officiers à l’âge de quarante ans leur promotion au grade de colonel. Le maréchal Martinez Campos a cru sans doute qu’il fallait céder sur un point pour mieux résister sur les autres ; mais s’il y avait là une nécessité du moment, ce n’est pas M. Sagasta qui pouvait s’y résigner. La reine-régente a fait appeler le chef du parti conservateur. M. Canovas del Castillo, lui aussi, a insisté pour que M. Sagasta revînt aux affaires. Était-il tout à fait sincère ? Voulait-il échapper à la responsabilité de dénouer la crise présente et de diriger l’expédition de Cuba ? Assurément, le pouvoir ne se présentait pas à lui dans des conditions engageantes. Toutefois M. Canovas ne pouvait pas se faire d’illusions sur la réponse de M. Sagasta. Un gouvernement qui a démissionné devant une émeute militaire n’a plus la force indispensable à l’exercice du pouvoir, et il l’aurait eue moins encore après une capitulation de principes. M. Sagasta s’est donc retiré, et il a bien fait. M. Canovas l’a remplacé, et il a bien fait aussi. La constitution d’un ministère conservateur était la seule solution que la crise comportait.

M. Canovas del Castillo est un des hommes les plus distingués et les plus spirituels de l’Espagne : il aura besoin de toute son intelligence et de toute son habileté pour réussir dans la tâche qu’il a courageusement acceptée. L’état moral de l’armée a repris un caractère inquiétant. Déjà, il y a quelques mois, un général a donné un soufflet à l’ambassadeur du Maroc au moment même où celui-ci se rendait officiellement à l’audience de la reine. Et, soit dit en passant, le métier d’ambassadeur extraordinaire devient bien dangereux avec les mœurs nouvelles. A l’autre bout du monde, au Japon, Li-Hung-Chang, à peine débarqué, a reçu en pleine figure une balle de pistolet qui met ses jours en péril. On aime à croire que ce sont là des actes isolés, dûs à un fanatisme individuel, peut-être à la folie ; mais, en Espagne, d’autres faits se sont produits qui jettent un jour inquiétant sur la surexcitation, ou plutôt sur la perversion de l’esprit militaire parmi les officiers. C’est là un mal auquel il faut appliquer des remèdes énergiques et rapides. Le premier acte du nouveau ministère devrait être, semble-t-il, de réviser la loi sur les engagemens volontaires et de favoriser par tous les moyens possibles ceux des officiers dans le corps expéditionnaire de Cuba. L’expédition qui se prépare agirait alors comme une soupape de sûreté qui laisserait s’écouler au dehors le trop-plein d’activité dont les rues de Madrid viennent d’être agitées. Et tout le monde y gagnerait.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.