Chronique de la quinzaine - 30 juillet 1896

Chronique n° 1543
30 juillet 1896


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



30 juillet.


Les vacances opèrent comme un calmant. À peine les Chambres sont-elles séparées qu’un grand repos semble se répandre sur tout le pays. Cela ne veut pas dire que les Chambres ne soient pas utiles ; mais, après en avoir joui longtemps, on s’en passe fort bien pendant quelques mois. Il en est du gouvernement parlementaire comme de l’éloquence sur laquelle il repose : or, a dit Pascal, l’éloquence continue ennuie. Quand on pense à l’inefficacité de tant de discours qui, tous les jours, pendant huit ou neuf mois, sont déversés du haut de la tribune du Palais-Bourbon sans produire aucun résultat sensible, on comprend que le pays, après les avoir plus ou moins entendus ou écoutés, éprouve le besoin de quelque répit. Pour parler sérieusement, trop est trop, et il est certain que nos sessions parlementaires sont longues à l’excès, prolixes, envahissantes, et qu’elles empiètent sans profit sur la vie normale de chacun d’entre nous, député ou simple électeur. Si encore elles produisaient un effet qu’il fût possible d’apprécier et de peser ! Mais comment nier, depuis quelques années surtout, la stérilité de l’effort parlementaire ? Et Dieu sait pourtant à quel point il est formidable et bruyant !

D’où cela vient-il ? Nous le rechercherons peut-être un jour. Il est certain que, sur bien des points, notre vieil organisme politique et gouvernemental a vieilli. La machine de Marly elle-même ne fait pas une plus grande dépense de forces pour aboutir à un plus mince produit. Aussi les partisans de la révision deviennent-ils de plus en plus nombreux, même dans les régions parlementaires où on s’attendrait le moins à les trouver. Beaucoup d’hommes jeunes, ardens, déjà arrivés, doués de ce talent de la parole qui mène à tout dans les assemblées, se sont aperçus assez vite qu’il ne les conduisait pourtant à rien, même quand il les avait conduits au ministère. La conscience de ne pas aboutir, alors même qu’ils semblaient avoir personnellement réussi, s’est emparée de toutes leurs facultés, et c’est chez eux surtout qu’on rencontre les partisans les plus résolus de la révision. Que veulent-ils ? Peut-être ne le savent-ils pas très bien. Ils veulent autre chose que ce qui est. Le malheur est qu’ils sont beaucoup plus d’accord entre eux sur le mal présent que sur le remède à y appliquer. Chacun entend la révision à sa manière. Chacun est convaincu que, si on le chargeait de l’opérer, il s’en tirerait parfaitement bien à lui tout seul, et qu’il montrerait des qualités de Solon ou de Lycurgue très supérieures à celles dont a fait preuve autrefois le respectable M. Wallon. La constitution de M. Wallon est, en effet, s’il faut les en croire, pleine de défauts qui sautent aux yeux, et d’autant plus naturels qu’elle a été le résultat d’une transaction. Elle a pourtant un mérite, d’ailleurs très rare chez nous, c’est d’avoir déjà duré vingt et un ans, et on peut remarquer, non seulement en France mais ailleurs, que, de toutes les constitutions, celles-là seules ont duré qui ont été le résultat d’un compromis entre les idées et les partis contraires. Celles qui sont sorties d’un seul jet du cerveau d’un théoricien ont pu être merveilleusement faites, habilement agencées, composées de parties concordantes, fortement conçues et logiquement déduites ; elles n’ont eu d’autre tort que de n’être pas nées viables. Elles sont restées en route, alors que l’évolution historique continuait son cours en se jouant des systèmes et de ceux qui les avaient imaginés et combinés si bien. C’est là une grande leçon. Elle nous fait craindre que si le meilleur des députés, — nous entendons par-là le plus intelligent, le plus désintéressé, le plus expérimenté, — était chargé de refaire la constitution, il ne fit pas une œuvre assurée de vivre aussi longtemps que sa devancière a vécu déjà. Et le principal mérite d’une constitution n’est-il pas de durer ? On accuse avec raison l’instabilité ministérielle et gouvernementale. C’est une plainte qui sort, en quelque sorte chaque jour, de la pratique même des affaires. Ces interruptions et ces renouvellemens continuels ont les conséquences les plus fâcheuses, et, comme ces conséquences se présentent pour nous tous les six mois, nous ne pouvons pas en ignorer les inconvéniens. Mais, si nous jetons un regard rétrospectif sur notre histoire, est-ce que la mobilité de nos institutions fondamentales, ou, pour les appeler par leur nom, de nos constitutions, n’a eu des suites non moins fâcheuses, sinon plus, et aussi souvent dénoncées ? Il n’y a pas au monde un autre peuple qui soit aussi souvent que nous en mal de constitution. Tous les autres réforment leur constitution existante sans le dire, sans que personne s’en aperçoive, sans appeler sur cette transformation les regards de l’univers, au fur et à mesure qu’ils en ont besoin. Les plus heureux n’ont même pas de constitution écrite ; ils vivent sur des traditions toujours transformables et perfectibles. Pourquoi ne ferions-nous pas de même ? La preuve que la constitution actuelle n’est pas un corset de fer qui emprisonne nos membres et les empêche de se développer à l’aise, c’est qu’on a déjà pris beaucoup de libertés avec elle, et le fait est, — comme on l’a démontré plus d’une fois, — qu’elle ne ressemble pas du tout dans la pratique à ce qu’elle est en théorie. On peut l’interpréter de manières très différentes. Qui nous oblige à nous tenir indéfiniment à la première interprétation qui lui a été donnée ? Qui nous défend de tirer de la souplesse qu’elle présente toutes les applications qu’elle comporte ? Il n’y en a pas d’autre raison que l’insuffisance de notre personnel politique actuel. S’il était de taille à tirer de la constitution, comme d’une panoplie très abondante et très bien fournie, les armes qu’elle tient en réserve, à se les adapter, à en user ou même à les brandir avec force, qui donc l’empêcherait de le faire ? On dit que le besoin crée l’organe. Ici, l’organe existe, et si le besoin est réel également, il faut convenir que l’intermédiaire est bien faible de ne pas tirer de l’organe tout ce que le besoin exige. Et c’est ce qui nous fait craindre qu’il n’y ait encore une chimère, une illusion d’optique, une erreur d’imagination dans le but que poursuivent les partisans de la révision. Ils aiment mieux mettre sur le compte de la constitution des torts qui tiennent à leur propre impuissance. La constitution une fois révisée, rien ne prouve qu’ils sauraient en tirer un parti sensiblement supérieur : peut-être seulement auraient-ils donné un instrument plus commode aux aventuriers de l’avenir. Le jour où ils auront épuisé toutes les ressources que la constitution présente, et où ces ressources se seront trouvées insuffisantes, nous les écouterons plus volontiers. Nous n’en sommes pas encore là ; nous en sommes même très loin. La constitution actuelle est pleine de tiroirs qui n’ont même pas été ouverts. On nous parle de la réviser : ne vaudrait-il pas mieux commencer par l’appliquer ?

On dira peut-être que nous allons un peu vite, et que cette question de la révision n’est pas posée. Sans doute, elle ne l’est pas pour le pays, mais elle l’est déjà pour les esprits parlementaires, qui sont quelquefois en avance, quelquefois en retard sur l’esprit du pays, et plus souvent encore en dehors de lui. Si la campagne révisionniste n’est pas commencée, elle se prépare, et nous ne sommes pas sans inquiétude sur les conséquences qu’elle produira. A supposer qu’un homme très distingué, livré à lui-même, après avoir tout vu, tout expérimenté, tout comparé, tout compris, soit à même de faire la meilleure constitution possible, ou simplement une constitution meilleure que la nôtre, on comprend que quelques-uns de nos députés se laissent aller à ce rêve séduisant. Leur modestie seule pourrait s’en alarmer ; elle ne le fait pas. Le malheur est que les choses ne se passeront pas ainsi. La révision est l’œuvre d’un Congrès, c’est-à-dire d’une assemblée nationale semi-constituante, qui réunirait la Chambre et le Sénat, et quand on connaît les élémens dont ce Congrès serait composé, les tendances divergentes qui ne manqueraient pas de s’y produire, les appétits impétueux qui s’y donneraient carrière, les systèmes contradictoires qui s’y trouveraient en présence, les partis actuellement constitués, sans parler de ceux qui ne le sont plus ou ne le sont pas encore, et qui viendraient à s’y heurter, le caractère particulier et le genre de talent des hommes qui représentent ces partis, on est effrayé de ce qui pourrait sortir d’une pareille épreuve. La révision de l’avenir ne ressemblerait certainement pas à celles du passé ; elle serait autrement profonde et révolutionnaire ; elle ouvrirait une porte qui ne se fermerait plus. La constitution en sortirait plus ébranlée que révisée. Elle serait la proie d’une aventure à laquelle il serait presque impossible d’assigner un terme. Nous avons assisté à une révision de la Constitution ; c’était sous le ministère de M. Jules Ferry ; tout avait été fixé, arrêté par avance ; la réforme ne portait que sur un point ou deux du texte primitif. Il était convenu que le Congrès ne serait qu’une Chambre d’enregistrement, et qu’il se contenterait de sanctionner ce qui avait été convenu d’avance. Le gouvernement, s’il est permis de le dire, avait alors une autre force et une autre autorité qu’aujourd’hui. Eh bien ! nous avons été pendant plusieurs jours à la merci du hasard qui pouvait nous jeter dans l’abîme. Il n’est pas un de ceux qui ont pris part au Congrès de cette époque qui n’ait gardé le souvenir des inquiétudes sous le poids desquelles il a délibéré. L’agitation des esprits était extrême. Il a fallu toute l’énergie du gouvernement, toute la fermeté du président de l’Assemblée nationale, pour empêcher celle-ci de tomber dans les embûches et dans les pièges qui lui étaient tendus de toutes parts. Nous exposerons-nous de nouveau à de pareils dangers ? On nous le proposera certainement, et il n’est pas impossible que la proposition vienne des membres les plus modérés de la Chambre : les autres seront heureux de les laisser faire, attendant leur moment. A tous les périls que nous avons indiqués s’ajouteront ceux qui résultent du caractère tout spécial du Congrès révisionniste, tel que la Constitution l’a prévu. Les anciennes assemblées constituantes étaient en même temps des assemblées législatives, quelquefois même des assemblées souveraines, ce qui n’était pas non plus sans inconvéniens, mais du moins elles trouvaient une sorte de frein dans le souci qui s’imposait à elles des affaires normales du pays. Elles devaient y pourvoir et l’obligation de ce travail quotidien les contenait, atténuait leurs ardeurs premières, les amenait peu à peu à cet esprit de conciliation qui s’établit entre des personnes aux prises en commun avec les grandes affaires. Croit-on que l’Assemblée nationale de 1875 aurait voté la constitution actuelle quelques années, ou même quelques semaines plus tôt qu’elle ne l’a fait ? On sait bien que non. Il a fallu pour cela qu’elle s’assagît, ou, si on veut, qu’elle s’usât par la stérilité de ses efforts antérieurs, essayés dans les sens les plus opposés. Le temps et les affaires ont toujours été, dans le passé, les modérateurs des assemblées constituantes. Nous ne parlons pas de la Convention ; elle a vécu dans des circonstances trop exceptionnelles pour servir d’exemple, et aussi bien peut-on regarder son œuvre constitutionnelle comme négligeable, n’ayant d’ailleurs jamais été appliquée ; à coup sûr, les affaires qu’elle a rencontrées sur son chemin ne l’ont ni modérée, ni calmée. Mais notre observation s’applique à toutes les autres. La différence entre les assemblées constituantes et les assemblées révisionnistes est que ces dernières visent un seul objet, exclusif, obsédant : pendant qu’elles le poursuivent, la vie législative du pays est suspendue et sa vie politique absorbée. Il en résulte un état de fièvre, d’incertitude et d’impatience dont l’intensité prend un accroissement de plus en plus redoutable, parce que rien n’y fait diversion. Les socialistes et les radicaux, sans parler des droitiers intransigeans, ne manqueraient pas de tirer parti de cette situation psychologique, qui s’aggraverait chaque jour, et Dieu seul sait où tout cela nous mènerait. Notre crainte est que, le lendemain, la constitution ne fût plus faible et que le gouvernement ne fût pas plus fort.

Or, c’est surtout la force du gouvernement que l’on voudrait augmenter, et sans doute on a raison. De tous les symptômes dont il y a lieu aujourd’hui de s’alarmer, le plus alarmant est l’amoindrissement de l’action gouvernementale. Nous ne sommes plus au temps où on demandait le minimum de gouvernement possible : à quoi bon le demander puisqu’on l’a ? Il faut rendre au ministère actuel la justice qu’il fait des efforts méritoires pour réagir contre les habitudes prises, et pour ne pas rouler plus bas sur la pente dont on a déjà descendu tant de degrés ; mais les habitudes sont très fortes et la pente reste très glissante. Il y a quelques jours, à Lisieux, M. Léon Bourgeois prononçait un discours : avons-nous besoin de dire que c’était un discours d’opposition ? M. Bourgeois y divisait le pays, non seulement en deux grands partis politiques, mais en deux classes sociales. Tout en repoussant le collectivisme, un peu pour la forme à vrai dire, il déclarait qu’avec les radicaux sont tous les esprits élevés, généreux, toutes les âmes sensibles, tous ceux enfin qui, dans la poursuite d’un noble idéal, cherchent à rendre plus doux le sort du plus grand nombre et qui tendent une main fraternelle aux déshérités de la fortune. Dans l’autre camp sont, d’après lui, tous les esprits fermés aux grandes réformes, les âmes égoïstes incapables des belles envolées, tous ceux qui, ayant amassé, ne songent qu’à conserver, c’est-à-dire refuser aux autres, aux malheureux, une parcelle des bénéfices dont ils les ont frustrés. Rien de plus simple que cette conception de l’humanité, mais combien glorieuse pour le parti radical qui devient l’asile de toutes les vertus ! Ce n’est pas le moment de la discuter : tout ce que nous voulons dire, c’est que M. Bourgeois s’est montré prodigieusement surpris parce que le gouvernement avait interdit aux fonctionnaires de se rendre à sa conférence. Il a assuré qu’une pareille intolérance était chose toute nouvelle, et qu’autrefois le gouvernement respectait mieux, dans les fonctionnaires, l’indépendance du citoyen. Il suffisait qu’un orateur fût républicain pour que tout le monde, même un préfet, eût le droit d’aller l’entendre et l’applaudir. Cela est matériellement exact, et M. Bourgeoisie sait mieux que personne. Il lui est arrivé déjà, après avoir été ministre, de se retrouver simple député ; il allait alors prononcer des discours en province, et toute l’administration d’un chef-lieu de département, préfet en tête, se pressait autour de lui. Dans le ministre de la veille, on voyait volontiers le ministre du lendemain, et on le traitait en conséquence. A notre avis, ce spectacle était tout simplement scandaleux. Il l’était alors, il le serait aujourd’hui davantage. De pareilles mœurs ne pouvaient s’excuser ou s’expliquer que sous le régime de la concentration républicaine, qui les avait fait naître ; et qui donc a dénoncé la concentration républicaine, si ce n’est M. Bourgeois lui-même ? Comment a-t-il pu croire que les habitudes d’autrefois pourraient se perpétuer au cours de l’ère nouvelle qu’il a ouverte ? M. Bourgeois, dans son discours de Lisieux, a prédit, avec une assurance qui aurait été mieux à sa place au sud de la Garonne, qu’il reviendrait très prochainement au pouvoir : pense-t-il qu’une telle affirmation aurait pu être applaudie, voire écoutée par le préfet de l’Eure, ou même par un fonctionnaire quelconque, sans qu’aucune convenance eût été blessée ? Que deviendrait la discipline administrative si on la soumettait à beaucoup d’épreuves de ce genre ? L’étonnement manifesté par M. Bourgeois nous étonne, surtout de la part d’un ancien président du Conseil qui était en même temps ministre de l’Intérieur. Il est un des plus curieux symptômes de ces confusions d’idées, de ces contradictions de conduite, en un mot de cet éclectisme un peu mais que nous avons vu fleurir pendant ces dernières années et qui a été si fatal à l’esprit de gouvernement. Le ministère actuel proteste contre ce laisser aller ; il a le courage de se défendre ; il défend du même coup les principes fondamentaux sur lesquels repose toute société politique. Point n’est besoin pour cela que la Constitution soit révisée : quand même elle l’aurait été, il n’aurait été, lui, ni plus fort, ni mieux inspiré. On a presque honte de le louer d’avoir fait une chose aussi naturelle ; mais il le faut bien puisqu’on l’en a blâmé, quand M. Bourgeois redeviendra ministre, ce qui, à l’entendre, ne saurait tarder plus de quelques semaines, nous doutons qu’il permette désormais à ses fonctionnaires d’assister aux discours que M. Barthou, ou M. Poincaré, ou M. Deschanel iront prononcer en province ; et il aura raison. Mais peut-être les autorisera-t-il à aller applaudir ceux de M. Jaurès ; et il aura tort.

Une autre tâche que le ministère actuel paraît s’être donnée, au moins partiellement, est de faire respecter les lois sur toute la surface du territoire. Quand la Révolution a proclamé la république une et indivisible, elle a entendu dire qu’il n’y avait qu’une loi pour tout le monde. L’unité nationale n’a pas de signe plus éclatant que l’unité de législation universellement acceptée ou imposée, et peut-être n’est-ce pas assez de voir là un simple signe, car il s’agit de la chose elle-même et de ce qui en constitue la substance et le fond. Or, il s’en faut de beaucoup que la loi soit respectée également sur tous les points du territoire et par tous les citoyens. Il y a des régions où on l’observe mal. Il y a des citoyens qui ne l’observent pas du tout. Ces citoyens sont les maires : non pas tous assurément ; l’immense majorité d’entre eux donne l’exemple de la plus parfaite soumission aux lois ; les exceptions sont même très rares : il suffit qu’elles existent et qu’elles ne soient pas toujours immédiatement réprimées pour faire naître une grande perturbation morale. Nous ne voulons rien exagérer ; mais enfin l’habitude qu’on a prise dans plusieurs villes du Midi de faire des courses de taureaux, avec mise à mort de l’animal, est une violation manifeste de la loi. On proteste, mais pour la forme ; quelquefois même on oublie de le faire ; quelquefois les préfets ou les sous-préfets assistent à la fête, sauf à se retirer in extremis, à la minute même où se produit un dénouement qui paraît les surprendre et que tout le monde connaissait d’avance. Cela est regrettable, et ce n’est pas forcer la note que de le dire simplement. Sans doute, il y a des choses plus graves. Un maire, qui est en même temps député, et qui, faisant les lois, donne l’exemple de les violer, est encore plus répréhensible. Démolir de sa seule autorité un monument historique et classé comme tel, est un acte assez voisin du vandalisme. Un simple citoyen se garderait bien de l’accomplir. Mais un maire ne se gêne pas pour si peu ; il passe outre à la loi dont il est chargé d’assurer l’exécution, et la nuit, à la lueur des torches, il jette à bas une porte d’Avignon. Si le gouvernement se contente d’opposer des protestations platoniques aux courses de taureaux, ou d’exercer contre ceux qui en prennent la responsabilité des poursuites dérisoires, nous ne sachons pas qu’il ait encore rien fait contre M. Pourquery de Boisserin. Cependant, il importerait d’établir une fois pour toutes quelles sont, en pareille matière, les droits des municipalités. A supposer que M. Pourquery de Boisserin ait eu celui de faire ce qu’il a fait, nous tremblons pour les monumens historiques de la France. Il ne viendra peut-être pas à l’esprit de tous les maires de les démolir ; mais qui sait s’il n’y viendra pas, un jour ou l’autre, de les restaurer et de les enjoliver ? Chaque violation de la loi, prise en elle-même, n’est peut-être pas très importante ; elle l’est beaucoup si on en dégage la signification morale, politique, nationale. De plus en plus, chacun se croit maître de faire ce qu’il veut et de céder aux fantaisies qui traversent son imagination, sans se mettre en peine de savoir s’il n’y a pas un intérêt plus général, reconnu et fixé par la loi, qu’il devrait avant tout respecter.

Le devoir du gouvernement est d’intervenir, toutes les fois qu’un acte d’arbitraire municipal vient à se produire. Le fait-il ? Quelquefois, mais pas toujours. Il l’a fait à Carmaux, et nous l’en félicitons. A la vérité, le maire de Carmaux avait dépassé toute mesure. Il fallait être M. Calvignac pour interdire à des républicains de célébrer chez eux, par un feu d’artifice, la fête nationale du 14 juillet. Ces républicains formaient un cercle que M. Calvignac a qualifié de « rétrograde » ; dès lors tout ménagement lui a paru superflu. Le commissaire de police ayant pris parti pour le cercle a subi les injures du maire ; il n’a fait ni une ni deux, il l’a arrêté. M. Calvignac s’était mis si évidemment dans son tort que ses amis mêmes, ou du moins la plupart d’entre eux, l’ont désavoué et abandonné à son malheureux sort. Il a été relâché, mais il sera poursuivi. Pour un peu, il nous intéresserait. Son acte, son attitude, son langage, révèlent une telle profondeur d’inconscience qu’on en est presque désarmé. M. Calvignac est un naïf ; il a glorieusement foi dans son écharpe ; il a vu qu’il suffisait à d’autres d’en être ceints pour tout se permettre ; il n’a pas l’habitude des nuances, il n’a pas saisi les différences entre son cas et celui de tant d’autres, et s’y est maladroitement engagé ; il ne s’est pas rendu compte que Carmaux avait lassé la patience universelle et qu’il était prudent de la laisser en repos, au moins pendant quelques mois. Il a mal calculé et a été victime de son erreur. La prétention d’un maire d’empêcher des citoyens de fêter le 14 juillet a paru exorbitante. M. Calvignac n’aime pas le 14 juillet ; c’est son droit ; il partage d’ailleurs ce sentiment avec tous les réactionnaires ; en tant que particulier, il est libre de ne pas célébrer une date qui lui déplait, on ne sait trop pourquoi, sans doute parce qu’il juge qu’elle fait tort à d’autres qui lui plaisent encore davantage ; mais, en tant que maire, il ne peut pas oublier que le 14 juillet a été déclaré fête nationale par la loi. On le fête sur tout le territoire, on doit le fêter à Carmaux comme ailleurs, et surtout le laisser fêter. L’opposition de M. Calvignac est plutôt de nature à amuser qu’à indigner ; mais, encore une fois, que deviendrions-nous si chaque maire se croyait maître absolu dans sa commune ? L’œuvre de toute notre histoire serait compromise, et il ne resterait bientôt plus rien de l’unité nationale. Ici encore, pour conjurer le mal, il n’est pas nécessaire de réviser la constitution, il suffit d’appliquer la loi. La constitution serait autre, que nous n’en serions pas plus avancés. C’est en lui-même et en lui seul, dans sa présence d’esprit et dans sa fermeté, que le gouvernement doit trouver la force dont il a besoin : elle ne saurait lui venir du dehors. Là est pour lui la première tâche à entreprendre, et si le gouvernement, après l’avoir entamée résolument, la menait à bon terme, peut-être s’apercevrait-on assez vite qu’il y aurait beaucoup moins d’urgence à réviser la constitution.


En Italie s’est produite une crise ministérielle que rien n’avait annoncée au dehors, et qui est due à de simples motifs de politique intérieure. Les journaux italiens nous ont donné l’assurance que rien n’était changé à la politique générale de leur pays : il n’y a aucune raison d’en douter. M. Visconti-Venosta a remplacé M. le duc de Sermoneta au ministère des Affaires étrangères. Nous ne pouvons que saluer avec sympathie ce vétéran historique de la grande période d’ouest sortie l’Italie actuelle. Il a été ministre de Cavour. Il était encore ministre pendant la guerre franco-allemande de 1870-1871, et il n’a eu alors d’autre préoccupation que de tirer, au profit de l’Italie, le meilleur parti des circonstances, c’est-à-dire de prendre Rome, alors que rien ne pouvait plus y faire obstacle. On a raconté qu’il avait détourné Victor-Emmanuel de venir au secours de la France ; quand bien même cela serait vrai, nous ne lui en voudrions pas, car les événemens s’étaient précipités avec une telle promptitude et ils étaient devenus si vite irrémédiables qu’il était bien difficile de faire militairement pour nous quelque chose d’utile. Mais est-il vrai que le roi ait eu besoin d’être détourné d’une velléité de ce genre, du moins d’une velléité sérieuse ? M. Visconti-Venosta est resté ministre pendant cinq ou six ans encore ; nous n’avons pas eu à nous plaindre de lui ; il s’est conduit à notre égard correctement, honnêtement. Sans doute il n’a songé qu’à son pays, ce qui était son droit, et même son devoir ; mais il ne nous a jamais cherché de vaines querelles, il ne nous a jamais suscité d’embarras artificiels. C’est tout ce que nous pouvons demander à un ministre étranger, en Italie ou ailleurs. Nous avions déjà cette garantie avec le duc de Sermoneta ; nous la conservons telle quelle avec M. Visconti-Venosta. Le duc de Sermoneta laisse le souvenir d’un galant homme ; il a accepté le ministère par dévouement, il en est sorti aussitôt qu’il a pu le faire sans rien compromettre, donnant à la fois un exemple de désintéressement et de modestie. Son successeur, tout comme lui, est partisan sincère et convaincu de la triple alliance. S’il ne l’avait pas été, M. di Rudini n’aurait pas fait appel à son concours et, dans tous les cas, le roi ne l’aurait pas accepté. La conviction de M. Visconti-Venosta est d’ailleurs ancienne ; il n’a pas eu de profession de foi à faire sur ce point pour entrer au ministère. Au reste, il n’a pas recherché le pouvoir. On a cru avoir besoin de lui ; il ne s’est pas dérobé à la responsabilité. Après une retraite ministérielle de vingt années, il s’est chargé de nouveau du poids des affaires, poids qui ne s’est pas allégé dans ce long intervalle de temps. Pourquoi M. Visconti-Venosta est-il demeuré en dehors du gouvernement pendant de si longues années, et pourquoi y rentre-t-il aujourd’hui ? C’est ce que nous ignorons ; mais à coup sûr ce changement dans sa situation personnelle n’en indique aucun dans la politique extérieure de son pays. Elle sera demain ce qu’elle était hier. M. Visconti-Venosta ne peut avoir, et il n’a certainement que de bons sentimens envers nous ; il nous les manifestera dans la mesure exacte où les intérêts de l’Italie et de ses alliances lui permettront de le faire. Encore une fois, nous ne pouvons lui demander davantage. Il convient de lui savoir gré de l’opposition que les journaux dévoués à M. Crispi lui font déjà. Dès le premier jour, ces journaux l’ont accusé avec acrimonie d’avoir accepté la prorogation pour six mois du traité de commerce entre l’Italie et la Tunisie. Il a bien fait de le faire et, au point où en sont les choses, on ne voit pas trop comment il aurait pu faire autrement.

Ce n’est donc pas à la politique étrangère qu’il faut demander l’explication de la crise ministérielle que vient de traverser l’Italie. Depuis quelque temps déjà des dissentimens existaient entre M. di Rudini et quelques-uns de ses collègues, notamment le ministre de la guerre, qui, au moment de la formation du Cabinet, avait joué un rôle exceptionnellement important. Le roi, on s’en souvient, semblait inféodé à la politique de M. Crispi, et il avait contracté contre ceux qui avaient attaqué cette politique avec le plus de fermeté et de courage, non pas de la malveillance, car ce sentiment ne lui est pas naturel, mais de la mauvaise humeur. M. di Rudini était tout indiqué, il était même seul indiqué pour succéder à M. Crispi ; néanmoins, le roi ne voulait pas le faire appeler directement, entrer en rapports personnels avec lui et le charger officiellement de former un ministère. Il s’est adressé pour cela au général Ricotti. C’est donc le général Ricotti qui a fait le ministère, après quoi il en a passé la présidence à M. di Rudini. On a insinué que, peut-être, ni le général Ricotti, ni M. di Rudini n’avaient suffisamment oublié ces détails, et qu’il en était résulté entre eux une situation d’abord délicate, puis de plus en plus tendue. Nous ne savons pas ce que vaut cette hypothèse. Ce qui est sûr, c’est qu’une divergence de vues n’a pas tardé à se produire entre les deux ministres, dans les conditions qu’il était le plus difficile de prévoir. Le ministre de la guerre s’est montré partisan des économies à un degré qui a paru excessif et dangereux au président du Conseil. Il proposait de réduire le nombre des corps d’armée, et de retrancher de son budget une somme qui s’élevait à une douzaine de millions. Jamais jusqu’ici, dans aucun pays, à notre connaissance, un désaccord ministériel n’avait eu pareille cause ; et le général Ricotti est le premier ministre de la guerre qui ait donné sa démission parce qu’on voulait l’empêcher de diminuer son budget. A première vue, ce motif paraissait peu vraisemblable ; il faut bien aujourd’hui l’accepter comme vrai. Le général Ricotti qui, au moment de la formation du ministère, était l’homme de confiance du roi, a cessé de l’être, et M. di Rudini a profité très habilement de l’occasion pour donner à la Couronne les gages les plus propres à dissiper complètement les préventions d’autrefois. Le roi, dont on connaît les goûts militaires, ne pouvait pas, en effet, approuver les réductions projetées par le général Ricotti, et la lecture des journaux allemands, qui attaquaient ces réductions avec une extrême véhémence, permet de croire que son sentiment était partagé par ses alliés, à moins même qu’il n’ait été inspiré par eux. C’est donc sur ce point que la rupture s’est faite, mais elle était préparée d’avance. L’à-propos avec lequel elle s’est produite le lendemain même du jour où le gouvernement venait d’obtenir, à la suite de plusieurs succès parlementaires, un succès plus éclatant encore que les précédens, montre que M. di Rudini a su attendre et choisir son heure, et aussi que son parti était pris depuis quelque temps déjà.

La nécessité de faire des élections dans un délai plus ou moins prochain, mais qui ne saurait être très éloigné, s’impose au ministère italien. Il a vécu jusqu’ici tant bien que mal avec une Chambre qui doit son existence à M. Crispi : c’est un inconvénient pour le présent, c’est un danger pour l’avenir, car M. Crispi est de la race de ceux qui ne se découragent et n’abdiquent jamais. M. di Rudini devait donc prévoir les élections, c’est-à-dire les préparer, et, pour cela, il devait donner quelque indication au pays. Mais laquelle ? Les nécessités de la lutte politique qu’il avait soutenue contre M. Crispi l’avaient en apparence rapproché de la gauche avancée, radicale même ; il avait fait alliance avec M. Cavallotti ; il avait trouvé auprès de lui un concours très efficace dans la bataille, et ce concours était resté très empressé après la victoire. M. Cavallotti avait tout intérêt à rester l’allié, et à paraître, dans une certaine mesure, le protecteur du gouvernement. Il y a quelques jours encore, les amis de M. Crispi ayant soulevé, à propos du budget des Affaires étrangères, un débat auquel tout le système d’alliances de l’Italie s’est trouvé mêlé, M. di Rudini avait naturellement défendu ces alliances, et M. Cavallotti avait voté quand même pour le ministère, non sans provoquer quelque surprise, ni sans soulever quelques protestations de la part des siens. Il a été mal récompensé de sa fidélité. Tout porte à croire que cette intimité avec les radicaux, survivant par la volonté de ces derniers aux circonstances qui l’avaient fait naître, avait fini par être une gêne et un embarras pour M. di Rudini. Peut-être serait-il exagéré de dire qu’il a de parti pris cherché une rupture ; mais, certainement, il a voulu marquer aux yeux du pays une tendance plus accentuée dans le sens de la droite. Il lui semblait dangereux de laisser un doute se produire, ou se maintenir plus longtemps à ce sujet. L’orientation politique qui devait présider aux élections futures, voire prochaines, risquait de s’en ressentir. Le départ du général Ricotti devait entraîner celui de quelques-uns de ses collègues. Au : surplus, afin de s’assurer une liberté plus grande, M. di Rudini avait amené le cabinet tout entier à donner sa démission. Sur onze ministres, cinq ont été remplacés, et l’ont été par des membres de la droite. Ce sont le général Pelloux nommé à la Guerre, M. Prinetti aux Travaux publics, M. Sineo aux Postes, M. Visconti-Venosta aux Affaires étrangères, et M. Luzzatti au Trésor. Ces deux derniers sont les plus connus au dehors, et particulièrement en France, où M. Luzzatti, économiste distingué, a beaucoup de relations et de sympathies.

Comme on le voit, on aurait tort de chercher dans la crise italienne et dans le dénouement qu’elle a eu des indications intéressantes au point de vue international. La politique intérieure y a seule été en jeu et M. di Rudini ne s’est pas proposé d’autre objet que de rectifier ses positions premières, soit à l’égard de la cour, soit à l’égard des divers partis. La déconvenue a été grande pour la gauche avancée, et elle le manifeste avec quelque amertume. Naturellement, les partisans de M. Crispi jettent feu et flammes, ce qui ne les change guère ; mais après tout ce qui s’est passé, la réconciliation entre M. Cavallotti et eux est, pour le moment, impossible. Il est d’ailleurs trop tôt pour apprécier exactement les conséquences de l’initiative, au total assez hardie, que vient de prendre M. di Rudini ; la seule qui paraisse probable, encore n’est-elle pas certaine, est que les élections générales en seront rapprochées. Il y a dans les esprits de la confusion, de l’hésitation. M. Giolitti et le groupe piémontais ne sont pas contens ; toutefois ils n’ont pas encore déclaré la guerre. M. Zanardelli se réserve, observe et se tait. Des groupemens nouveaux se préparent ; ils sont encore à l’état de nébuleuse. Tout porte à croire que M. di Rudini a, pour le moment, consolidé sa situation ; mais une grande incertitude pèse sur l’avenir.


Nous ne dirons qu’un mot des élections belges, qui ont fait couler presque autant d’encre en France qu’en Belgique. Les élections partielles, — il s’agissait de renouveler la moitié de la Chambre, — ont augmenté la majorité catholique déjà si considérable, et achevé la défaite, l’anéantissement des libéraux, déjà si maltraités aux élections dernières. Les libéraux n’étaient que dix à la Chambre, ils ne sont plus que quatre, mais ils peuvent dire : Tout est perdu, fors l’honneur ! La tentation a été grande pour eux, au scrutin de ballottage, d’apporter leur concours aux radicaux socialistes. M. Buis, bourgmestre de Bruxelles, leur en donnait le conseil. Le conseil de M. Buis n’a pas été suivi. Ce qui le rendait en quelque mesure excusable, c’est le vice d’une loi électorale qui établit le scrutin de liste dans des conditions telles que les catholiques obtiennent un représentant par 8 ou 9 000 suffrages émis, et les socialistes par 10 ou 12 000, tandis que les libéraux n’en ont un que par 50 000 suffrages. Il y a là une injustice criante, une véritable iniquité politique, et un pays soucieux du bon, nous dirons même de l’honnête fonctionnement de ses lois fondamentales, doit s’appliquer à la corriger. C’est pour protester contre cet état de choses que M. Buis conseillait aux libéraux de Bruxelles de s’allier avec les radicaux socialistes d’Anvers, et cette coalition, si la loi en était observée par tout le monde, était de nature à déplacer la majorité dans la Chambre. Mais comment croire que tous les libéraux accepteraient une coalition aussi immorale et que, depuis le premier jusqu’au dernier, ils en subiraient les obligations ? Il devait inévitablement y avoir des résistances, des défections particulières, et dès lors le parti libéral s’exposait à perdre sans profit son honneur politique. Si, au contraire, on suppose réalisé le succès d’une pareille coalition, quel en aurait été le lendemain ? quel gouvernement les libéraux, qui seraient d’ailleurs restés en minorité dans la majorité, auraient-ils pu constituer avec les socialistes ? Ils auraient été condamnés à être les complices des pires ennemis de l’ordre social : c’est une attitude qui, en Belgique comme en France, peut convenir aux radicaux, mais non pas aux libéraux. Un parti vaincu ne mérite de se relever un jour que s’il reste fidèle à lui-même, s’il respecte ses traditions, s’il conserve sa raison d’être. Les libéraux belges l’ont compris. Les uns se sont abstenus, les autres ont même voté pour les catholiques. Après avoir montré la force électorale qui leur permettait, après le premier tour de scrutin, de faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre, ils ont eu assez de courage sur eux-mêmes pour ne pas en abuser. Grâce à eux, les catholiques sont restés maîtres du terrain, mais ils ont pu reconnaître combien, sur plus d’un point, leur situation était ébranlée. S’ils sont sages à leur tour, soucieux de l’avenir, désireux de former un parti solide, largement ouvert à toutes les bonnes volontés, et propre à combattre les progrès menaçans du socialisme allié au radicalisme, ils comprendront qu’ils doivent quelque chose aux libéraux. Ils leur doivent d’abord la justice dans la loi électorale. L’épreuve qui vient d’avoir lieu est de celles qu’il serait dangereux de renouveler trop souvent. Les libéraux viennent d’assurer, sans faire de conditions, le succès des catholiques ; mais il est probable qu’ils en feront une autre fois.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-gérant,

F. BRUNETIERE.