Chronique de la quinzaine - 31 janvier 1896
31 janvier 1896
Le Parlement est rentré en session à la date constitutionnelle du second mardi de janvier, c’est-à-dire le 14 de ce mois ; mais il n’a pas encore fait grand-chose ; il attend les projets de loi que le gouvernement a annoncés, et qui ne peuvent manquer d’être incessamment déposés. En attendant, les deux Chambres ont renouvelé leurs bureaux. Cette opération n’a pas toujours une égale importance ; elle est quelquefois une simple formalité. Au début de cette année, la retraite volontaire de M. Challemel-Lacour au Sénat, et les candidatures multiples qui étaient posées à la Chambre, non pas pour le fauteuil de président que personne ne disputait à M. Brisson, mais pour les quatre sièges de vice-présidens, annonçaient une lutte dont le résultat ne devait pas manquer d’intérêt. Au Luxembourg, on a regrette la détermination de M. Challemel-Lacour, que des motifs de santé ont amené à décliner les hautes fonctions qu’il remplissait depuis plusieurs années déjà ; mais il a bien fallu s’y soumettre. Un grand nombre de candidats étaient en présence, et l’un d’eux, d’ailleurs très digne d’occuper la présidence, avait notoirement les préférences du Ministère. Nous ne sommes pas bien sûrs que cette faveur un peu trop marquée lui ait été utile. Quoi qu’il en soit, il n’a pas été élu, et le choix du Sénat s’est arrêté sur M. Loubet, candidat tout à fait indépendant et républicain modéré. Il serait peu convenable d’établir des comparaisons entre M. Loubet, M. Magnin, M. Constans, M. Bérenger : nous nous bornons à indiquer le sens politique qu’a eu l’élection du premier. En le choisissant, le Sénat n’a entendu déclarer la guerre a personne, mais marquer seulement que, lui aussi, était indépendant. Au Palais-Bourbon, nous avons dit que M. Henri Brisson n’avait pas de concurrent. Beati possidentes ! M. Brisson était déjà en possession du fauteuil, ce qui était pour lui une force, et ce qui mettait ses adversaires politiques dans une situation d’autant plus désavantageuse pour le lui disputer qu’ils n’avaient d’ailleurs aucun candidat en mesure d’affronter la lutte. Il n’en était pas de même des quatre sièges de vice-présidens : ils étaient tous occupés par des républicains modérés, et ceux-ci voulaient bien en abandonner un aux groupes plus avancés, mais ils avaient la prétention de conserver les trois autres. Le scrutin les en a justifiés. La triple élection de M. Poincaré, de M. Clausel de Coussergues et de M. Paul Deschanel a été une manifestation des plus significatives. On se compte quelquefois plus librement sur des noms propres que sur des projets de loi qui mettent en jeu les intérêts les plus divers. Incontestablement l’élection du bureau dans les deux Chambres est d’un bon augure pour les modérés.
Il serait néanmoins trop tôt, au seuil même de la session qui s’ouvre, de vouloir pronostiquer ce qu’elle sera. Nul ne sait encore dans quelles dispositions d’esprit nos députés sont revenus de leurs arrondissemens respectifs : peut-être ne s’en rendent-ils pas très bien compte eux-mêmes. Il y a un peu d’hésitation dans tous les groupes et de flottement sur leurs frontières. On attend les premiers actes du cabinet, ces actes si souvent annoncés, mais qui ne sont pas encore venus. Pendant les vacances parlementaires, nos ministres ont beaucoup parlé en province, sans que, de tant de harangues, il soit sorti de grandes lumières. Il faut, toutefois, distinguer parmi tous ces discours ceux de M. le Ministre des finances et M. le Président du Conseil, très intéressans l’un et l’autre, mais qui le seraient encore davantage s’ils étaient d’accord sur tous les points. M. Doumer et M. Bourgeois ont annoncé le prochain budget, et exposé les principes sur lesquels il reposerait. Tous deux se sont déclarés partisans de l’impôt sur le revenu, mais avec la différence que, d’après M. Doumer, cet impôt devra être progressif, et que M. Bourgeois est resté muet à ce sujet. La réserve évidemment calculée de M. le Président du Conseil permet de croire que les idées du gouvernement n’étaient pas encore complètement fixées à la veille même de la rentrée des Chambres. M. Doumer aime le progressif, il veut en mettre partout. Il a déclaré à la Commission du Sénat, chargée d’étudier la loi sur les successions, que tout l’intérêt de ce projet était que le principe de la progression y faisait sa première, mais non pas sa dernière apparition dans nos lois fiscales. Il n’a pas caché que, d’après lui, le système progressif devait être appliqué à l’ensemble de nos impôts. Nous voilà bien loin de M. Poincaré, l’auteur de la loi successorale, qui s’imaginait, en y introduisant timidement la progression, faire une concession définitive, après laquelle il serait plus fort pour repousser toutes les autres ! Il a simplement ouvert la porte à M. Doumer. Mais celui-ci est un doctrinaire ; M. Bourgeois, qui est un politique, n’a pas osé, dans son discours de Lyon, prononcer le mot d’impôt progressif. Il s’est contenté, ce qui était déjà bien assez, de parler d’un impôt sur le revenu, général et personnel. Ce sera, a-t-il dit, un impôt de remplacement ; il prendra la place de la contribution personnelle-mobilière et de l’impôt des portes et fenêtres, qui sont, eux aussi, ou qui ont la prétention d’être des impôts généraux sur le revenu. Généraux, oui ; mais personnels, non, et c’est là une grande différence. M. Bourgeois annonce, à la vérité, que le nouvel impôt sera « personnel sans inquisition. » S’il en est ainsi, nous commencerons à croire que la quadrature du cercle n’est peut-être pas un problème aussi insoluble qu’on l’avait cru jusqu’à ce jour.
Mais la partie la plus inquiétante du discours de Lyon, et en même temps la plus vague, est celle que M. le Président du Conseil a consacrée à ses vues sur le meilleur système fiscal. Le socialisme le plus pur l’a évidemment inspirée, et on ne comprend pas très bien, après l’avoir lue, pourquoi M. Léon Bourgeois voulait, il n’y a pas longtemps encore, exclure les socialistes de sa majorité. Aujourd’hui, il n’exclut personne. Il déclare qu’il accepte indifféremment tous les concours, que les hommes à ses yeux ne sont rien, que les idées sont tout, et qu’il éprouvera la même satisfaction d’être approuvé un jour par M. Jaurès et le lendemain par M. Deschanel. On a vu de très grands hommes procéder ainsi, M. de Bismarck par exemple, mais ils n’étaient pas précisément des parlementaires, et ils avaient pour principal souci bien moins de se créer un parti solide et consistant, que d’échapper à tous les partis et de se tenir au-dessus d’eux. Ils ont regretté peut-être au moment de leur chute d’avoir été trop heureux dans la réalisation de ce plan politique. La formule de M. Bourgeois n’est même pas celle de la concentration, c’est celle de la désagrégation parlementaire. On peut en vivre pendant quelque temps, à la condition de ne laisser après soi que la confusion et le chaos. Elle est moins dangereuse dans les pays comme l’Allemagne où, en dehors de l’opinion et des partis qui la représentent, il y a une autorité préexistante, puissante et autonome : en France, elle ne peut avoir pour effet que d’empêcher la constitution des deux partis que M. Bourgeois regarde comme nécessaires au bon fonctionnement de nos institutions, mais qu’il qualifie d’ailleurs fort mal lorsqu’il assure que l’un regarde nécessairement l’avenir et l’autre le passé, et que celui-ci est l’ennemi du progrès dont celui-là est le défenseur attitré. Quoi qu’il en soit, nous rendons à M. le Président du Conseil la justice que s’il témoigne d’un parfait dédain sur la composition de sa majorité, il ne fait rien pour y faire entrer les modérés. C’est bien du côté de M. Jaurès et de ses amis qu’il se tourne, lorsqu’il présente l’impôt, entre les mains de l’État qui le prélève, non pas comme la contre-partie des charges du gouvernement, mais comme un instrument propre à atténuer, sinon même supprimer les inégalités sociales. L’impôt. tel que le comprend M. Bourgeois, a pour objet principal de réformer la société. Il y a des gens trop riches, relativement à d’autres qui sont trop pauvres. S’il s’agissait seulement de venir au secours de ces derniers, de les relever, de les aider, d’adoucir pour eux dans la mesure du possible les aspérités de la vie, de leur assurer la liberté de leur travail et le plus utile emploi du produit qu’ils en ont retiré, certes nous serions avec M. le Président du Conseil. Mais le but est tout autre. La vie étant considérée comme un combat, — le mot revient à tout propos dans le discours de Lyon, — il s’agit de corriger la nature qui a le tort de faire les uns forts et les autres faibles. On prélèvera quelque chose sur les premiers, on en fera profiter les seconds. L’humanité sera traitée comme les chevaux de course et leurs jockeys auxquels, dans l’enceinte du pesage, on ajoute ou on enlève ce qui leur manque de poids ou ce qu’ils en ont de trop. Le gouvernement, au moyen de l’impôt, véritable baguette de fée, sera chargé d’opérer cette œuvre de péréquation. Tel est l’idéal que se fait le ministère radical socialiste du rôle qui lui incombe. Attendons le prochain budget ; attendons les lois sociales qu’on nous annonce. N’est-ce pas à ses actes que le gouvernement nous a demandé de le juger ?
Il n’en a jusqu’ici accompli qu’un seul qui tient à la fois à la politique intérieure et à la politique extérieure, et qui n’est pas plus heureux à l’un qu’à l’autre de ces points de vue : nous voulons parler de la mise en congé de M. Lefebvre de Béhaine, notre ambassadeur au Vatican. Voilà plus de treize années aujourd’hui que M. Lefebvre de Béhaine occupe le même poste ; on trouve sans doute que c’est beaucoup ; mais n’est-il pas, à première vue, vraisemblable que si le même homme, à travers tant de ministères différens, a pu conserver les mêmes fonctions, c’est qu’il les remplissait bien ? M. Lefebvre de Béhaine est un diplomate de carrière. Tout le monde se rappelle, car ces faits se rattachent à une des périodes les plus pénibles de notre histoire, le rôle qu’il a joué au lendemain de Sadowa, les négociations dont il a été chargé auprès de M. de Bismarck, et l’importante situation qu’il s’est créée à Berlin jusqu’au moment de la guerre. Au reste, M. de Bismarck lui-même a rendu justice à M. Lefebvre de Béhaine dans une de ses dépêches au comte d’Arnim, publiée a l’occasion du procès fait au malheureux ambassadeur. C’était au mois de décembre 1873. M. d’Arnim avait avisé le prince de Bismarck de l’intention du gouvernement de la République d’élever les représentans de la France à Munich et à Dresde au rang d’envoyés extraordinaires. « Je n’ai encore rien appris d’autre part à ce sujet, écrivait le chancelier de l’empire. Ce qui m’a surtout frappé dans votre rapport, c’est la supposition qu’un diplomate ambitieux et capable comme M. Lefebvre ait pu refuser l’importante légation de Washington pour rester à Munich ; ce serait une preuve évidente de l’importance que la diplomatie française attache encore aujourd’hui à ce poste. Je ne chercherai pas à résoudre la question de savoir si M. Lefebvre a réfléchi à la compensation qui résulterait pour lui d’un degré plus élevé dans la hiérarchie diplomatique. Peut-être a-t-il assez de dévouement pour son pays pour avoir plutôt pensé à la chose qu’à la forme ou à sa propre personne. » Tel est le sentiment que M. de Bismarck exprimait sur un homme qu’il avait été à même de bien connaître et d’apprécier. Il avait gardé de M. Lefebvre de Behaine l’impression d’un diplomate prêt à tous les sacrifices personnels par dévouement à son pays, d’ailleurs capable et, croyait-il, ambitieux. Il ne se trompait que sur ce dernier point. Si M. Lefebvre de Béhaine l’avait désiré, il lui aurait été plus d’une fois facile de quitter notre ambassade auprès du Vatican pour obtenir un poste, sinon plus élevé dans l’échelle morale, au moins plus important dans ce que M. de Bismarck appelait la hiérarchie diplomatique ; mais de même qu’en 1873 il s’était jugé en situation de rendre plus de services à Munich que partout ailleurs, de même il a cru qu’à Rome, sous le pontificat de Léon XIII, il était devenu plus qu’un autre le serait peut-être ce que les Anglais appellent the right man in the right place, c’est-à-dire l’homme même de la fonction. En conséquence, il a borné l’ambition qu’on lui supposait à être le représentant de la République auprès de Léon XIII. Ce n’est un secret pour personne que le pape à pour M. Lefebvre de Behaine de l’estime et de la sympathie ; il a de plus l’habitude de traiter avec lui les affaires, et il est arrivé à un âge où on n’aime plus à voir les figures changer autour de soi. Il semble donc, ou du moins il semblait jusqu’à ce jour à peu près certain que M. Lefebvre de Behaine resterait à Rome aussi longtemps que vivrait Léon XIII, et nul aussi ne paraissait mieux préparé que lui à veiller aux intérêts de la France au moment où s’ouvrira le futur conclave. Nous souhaitons que l’événement soit encore éloigné, et rien heureusement ne fait craindre qu’il soit prochain ; mais enfin nous devons nous tenir toujours prêts, et le moment serait bien mal choisi pour introduire dans notre représentation au Vatican la même mobilité que dans nos ministères.
Pourquoi donc M. Lefebvre de Béhaine a-t-il été mis en congé sans l’avoir demandé, et appelé brusquement, peut-être rappelé à Paris ? Aurait-il cessé de mériter la confiance de son gouvernement ? On pourrait le croire si nous avions un sujet quelconque de nous plaindre de la politique de Léon XIII à l’égard de la France et de la République ; mais en est-il ainsi ? Depuis le jour où, avec me intrépidité d’esprit et une force de volonté singulières Léon XIII a publié les célèbres encycliques dans lesquelles il proclamait la légitimité du gouvernement républicain en France et invitait les catholiques à s’y soumettre, a-t-il hésité, a-t-il reculé, dans la voie où il s’était engagé ? En est-il jamais sorti ? On se rappelle la surprise et le désarroi que l’acte décisif du Saint-Père a provoqués en France dans les anciens partis. La république, plus heureuse peut-être qu’elle n’avait toujours été sage, recueillait une adhésion morale qui devait consolider sa situation politique, non seulement à l’intérieur, mais au dehors. Nous ne voulons rien dire de trop. Les groupemens qui se sont formés depuis cette époque en Europe tiennent à des causes très diverses, voire très anciennes, mais précisément parce que ces causes étaient anciennes et qu’elles n’ont produit tout leur effet qu’à une date récente, il y a lieu de se demander si l’attitude du Saint-Père n’a pas contribué à en déterminer certaines autres. En se rapprochant de nous, n’a-t-il pas indiqué la voie à ceux qui y sont entrés après lui ? Ce sont là des questions que nous nous contentons de poser : on pourra les trouver importunes, mais elles ne sont pas oiseuses. Si on juge du mérite d’un ambassadeur par les bons rapports qu’il a su établir entre son gouvernement et celui auprès duquel il est accrédité, M. Lefebvre de Béhaine a été un bon agent. Quelque spontanées qu’aient pu être, à beaucoup d’égards, les résolutions du Saint-Père, notre ambassadeur n’y a pas nui. Il a rempli sa tâche avec succès, et on comprend qu’après l’avoir menée presque à son terme, il ait paru particulièrement à même de bien finir ce qu’il avait bien commencé. Le ministère radical est-il d’un autre avis ? Faut-il regarder le rappel de M. Lefebvre de Béhaine comme un fait définitivement accompli ? Alors, qu’on nous en dise la cause. Quand même il y aurait eu dans ces derniers temps, entre le Vatican et le quai d’Orsay, de ces petites difficultés qui sont, en quelque sorte, le pain quotidien de la diplomatie, et pour la solution desquelles elle est spécialement faite, serait-ce une raison pour oublier tout le passé, et ne plus tenir aucun compte des services rendus par M. Lefebvre de Béhaine et de la politique de sympathie suivie à notre égard par le pape ? Un nuage passager, s’il y en a eu, et nous l’ignorons, doit-il obscurcir tout un vaste horizon ? On a dit que, dans une conversation récente, le pape aurait chargé notre ambassadeur d’attirer l’attention du gouvernement sur certains points du projet de loi relatif aux associations. Les journaux radicaux, mis complaisamment au fait des inquiétudes du Saint-Père, ont aussitôt jeté feux et flammes. De quel droit, disent-ils, le pape se mêle-t-il de nos affaires intérieures ? Un projet sur les associations ne le regarde pas, et notre ambassadeur aurait dû le lui déclarer sur le ton le plus propre a le lui faire sentir, probablement sur celui qu’ils emploient eux-mêmes. On avouera pourtant que lorsque le ministère, dans la fameuse Déclaration qu’il a lue aux Chambres en arrivant aux affaires, a annoncé le dépôt d’un projet de loi sur les associations, en ajoutant qu’il servirait à régler plus tard les rapports des Églises et de l’État, il est naturel que l’Église catholique se préoccupe de ce que sera ce projet. Quel devoir de discrétion ou de convenance empêcherait-il le pape de s’en expliquer avec notre ambassadeur ? Sans doute, le gouvernement français reste libre de ses déterminations ultérieures ; il tiendra le compte qu’il voudra des observations qui lui auront été faites ; mais encore est-il bon qu’il les entende, et qu’elles lui soient présentées en temps utile. A quoi servirait un ambassadeur, si ce n’était pas à recueillir les confidences de ce genre ? Si le pape ne pouvait pas l’entretenir de la loi sur les associations, et s’il devait se refuser lui-même à écouter son interlocuteur et à transmettre à Paris les détails de sa conversation, il faudrait être conséquent, et supprimer notre ambassade comme un rouage inutile. Les radicaux sont logiques lorsqu’ils demandent cette suppression ; le gouvernement ne l’est pas lorsqu’il maintient l’ambassade à la condition qu’elle ne serve à rien.
Et cela est d’une telle évidence que nous ne croyons pas le moins du monde aux motifs qu’on a donnés pour expliquer la mise en congé, peut-être la prochaine mise à la retraite de M. Lefebvre de Béhaine. Ces motifs sont trop puérils pour être pris au sérieux. La vérité est que, pour la première et non pas probablement pour la dernière fois, la politique intérieure du gouvernement pèse sur sa politique extérieure et la fait dévier. Là est le côté vraiment grave de la situation. Le gouvernement veut donner des gages aux radicaux ; or ceux-ci n’ont pas d’antipathie plus vive que celle qu’ils éprouvent contre la politique qui a amené à la république un si grand nombre de ralliés. Rien ne les choque, ne les révolte, et même ne les effraie plus que ce mouvement de concentration et d’union nationale, auquel, il faut bien le dire, le pape a imprimé une allure particulièrement nette et résolue. C’est ce jour-là surtout qu’ils l’ont accusé de se mêler de nos affaires, alors qu’il ne faisait, en somme, que protester contre la déplorable confusion que les partis inconstitutionnels s’obstinaient à faire des siennes propres et des leurs. Cette politique toute à l’honneur du pape Léon XIII, et la seule capable désormais de servir de sauvegarde aux intérêts religieux en France, cette politique à laquelle M. Lefebvre de Béhaine a collaboré de toute soin influence, elle est en horreur aux radicaux. Les ministères d’autrefois, même les plus médiocrement composés, même les plus déplorablement mélangés, n’ont pas cessé de la favoriser, et M. Lefebvre de Béhaine a été leur fidèle intermédiaire a Rome. Le cabinet actuel la désavoue. Les ralliés l’épouvantent ; il craint de voir corrompre par leur immixtion dans la République la pureté du « vieil esprit républicain », et pour un peu il leur dirait, comme au pape, de se mêler de leurs affaires. Celles du pays ne les regardent pas. Son plus ardent désir est de maintenir la division des Français en partis irréductibles, parce que les ralliés, s’ils acquéraient droit de cité dans la République, risqueraient d’apporter leur concours aux modérés et que les radicaux s’en trouveraient proportionnellement affaiblis. Voilà où nous en sommes. Voilà à quelles suggestions le gouvernement obéit. Mais ici encore il n’a pas pris ses adversaires en traître. Il a parlé avant d’agir. Il a mis sa conduite d’accord avec son langage. Il s’était ouvertement proposé de reconstituer le parti républicain sur ses bases anciennes et étroites, et d’en refaire ce qu’il a été longtemps par nécessité d’existence, un parti de combat. Tout cela n’était d’abord que discours : attendez les actes, nous disait-on. En voici un et des mieux caractérisés. Le rappel de M. Lefebvre de Béhaine est une rupture avec la politique de pacification, au moins relative, qui a rempli ces dernières années. Et, pour rompre avec cette politique, on n’hésite pas à compromettre nos rapports avec un pontife qui avait mérité mieux, sans mesurer les répercussions qui peuvent en rejaillir sur notre politique extérieure. La lecture de la presse officieuse de M. Crispi aurait pourtant dû éclairer notre presse radicale sur les conséquences de la mesure annoncée. Des deux côtés des Alpes, journaux crispiniens et journaux radicaux ont tenu le même langage et poussé le même cri de joie.
Il y a là, pour ceux qui ne se placent qu’au point de vue patriotique, quelque chose de profondément attristant. Les radicaux d’aujourd’hui n’ont pas assez médité le mot, d’ailleurs empirique, de Gambetta que l’anti-cléricalisme n’est pas matière à exportation. Ils en font volontiers le principe de notre politique au dehors comme au dedans. Hier encore, ils ont éprouvé une vive indignation et crié au scandale parce que M. Laroche, notre nouveau résident général à Tananarive, a écrit aux trappistes de Staouëli pour leur demander d’envoyer des Pères de leur ordre à Madagascar. M. Laroche promettait de leur donner les meilleures terres et de les traiter avec toute la bienveillance possible. Les termes de sa lettre étaient sympathiques et même affectueux. C’est que M. Laroche a été officier de marine, que son éducation politique ne s’est pas faite exclusivement sur les boulevards de Paris, dans les salles de rédaction des journaux ou dans les couloirs du Palais-Bourbon. Il a respiré l’air du dehors. Il a vu nos missionnaires à l’œuvre. Il a admiré combien, à l’étranger, loin des passions qui nous animent trop souvent chez nous les uns contre les autres, ils s’inspirent exclusivement de l’intérêt français. Il a été préfet en Algérie, et il a pu constater de ses yeux l’immense travail de défrichement qui a été fait par les trappistes. Aussi leur a-t-il écrit, avant de partir pour Madagascar, sans se douter que sa lettre serait un jour livrée à la publicité et provoquerait tant de colères. El. pourtant M. Laroche n’est pas suspect de cléricalisme, puisque, étant catholique, il s’est fait protestant. Il ne l’est pas plus que ne l’était Paul Bert, libre penseur fort peu tolérant en France, mais qui, à peine en route pour le Tonkin, a fait des découvertes dont il a tout de suite profité. Paul Bert était un homme de parti, très ardent, très passionné, mais de parfaite bonne foi et, par-dessus tout, excellent Français. Arrivé à Port-Saïd, il fut frappé de la manière dont étaient tenus nos établissemens congréganistes et de l’esprit tout patriotique qui présidait à leur direction. Ses lettres, pleines d’éloges et de demandes de secours, en font foi. Ce fut mieux encore lorsque, au Tonkin, il entra en rapports avec Mgr Puginier. Mais à quoi bon insister sur ces détails, aujourd’hui connus de tout le monde ? A quelque parti que nous appartenions en France, ceux d’entre nous qui sont allés à l’étranger en ont rapporté la même impression au sujet de nos congrégations religieuses et du concours qu’elles donnent à nos gouvernemens successifs, quels qu’en soient d’ailleurs le nom et la forme. M. Laroche a donc bien fait d’appeler à lui les trappistes de Staouëli, et pourtant nous ne sommes pas sûrs qu’il n’en sera pas blâmé. Il le sera certainement si le même esprit qui a provoqué le rappel de M. Lefebvre de Béhaine continue d’inspirer le ministère, et si le principe de notre politique au dedans, hier bon, mauvais aujourd’hui, infiniment variable et mobile, devient la règle instable de notre politique extérieure. Il y a dans ce rappel, que nous voulons encore ne pas croire définitif, de notre ambassadeur au Vatican toute une orientation nouvelle. Les circonstances lui donnent une signification sur laquelle il est impossible de se tromper. Et ce n’est pas seulement M. Lefebvre de Béhaine que nous défendons, c’est encore et surtout la politique dont il a été le représentant. Cette politique se définit en deux mots : bons rapports avec le saint-siège, union de tous les Français autour d’un même drapeau. Il parait qu’on n’en veutplus.
Nous aimons mieux nous tourner d’un autre côté, et parler de l’arrangement qui vient d’être conclu entre l’Angleterre et la France à propos du Siam. Cet arrangement est bon, et on a peine à comprendre qu’il ait été attaqué par quelques-uns de nos journaux. Serait-ce parce que, toutes les fois que nous tombons d’accord avec Angleterre sur un point du globe, il est convenu d’avance que nous ne pouvons qu’avoir été dupes ? Alors, il ne faudrait jamais s’entendre avec l’Angleterre. Nous pensons, au contraire, qu’il est sage de ne pas perdre une seule occasion d’effacer entre elle et nous une cause de mésintelligence ou de division. Si toutes pouvaient disparaître, rien ne serait plus heureux. Ce n’est jamais pour obéir à une hostilité préconçue que nous avons attaqué la politique anglaise, mais seulement lorsque nous l’avons trouvée en opposition avec nos intérêts et nos droits ; et la plupart du temps, sinon toujours, nous avons cru qu’avec une bonne volonté et une bonne foi réciproques il ne serait pas impossible de trouver une solution propre à concilier toutes les prétentions légitimes. C’est ce qui vient d’avoir lieu en Indo-Chine.
Depuis de longues années déjà, l’Angleterre et nous avons entamé par des côtés différens l’immense péninsule, et nous nous sommes trouvés finalement assez rapprochés les uns des autres pour qu’un règlement de nos situations respectives devint désirable et même urgent. Nous parlions ici même, il y a peu de temps, des difficultés qui s’étaient produites sur le haut Mékong. Là, le contact s’était établi entre les représentans des deux pays, et, en pareil cas, qui dit contact dit conflit. Les Anglais, après avoir passé le Mékong, avaient installé un poste militaire sur la rive gauche, à Muong-Sing. Or Muong-Sing, relevant du Siam et non pas de la Birmanie, devait nous appartenir : nous l’avons démontré à cette époque, et il est aujourd’hui d’autant plus inutile de revenir sur notre démonstration que l’Angleterre évacue le point occupé et nous l’abandonne. Nos droits sur Muong-Sing auraient été moins bien établis que, tôt ou tard, l’Angleterre aurait dû renoncer à une enclave où elle se trouvait perdue au milieu des possessions françaises. Quand un gouvernement, à tort ou à raison, a mis la main sur des points isolés comme celui-là, le meilleur parti qu’il puisse en tirer est d’en faire de la monnaie d’échange pour obtenir autre chose ailleurs. Il était bien clair qu’un jour ou l’autre toute la rive gauche du Mékong devait nous appartenir, et que, dès lors, Muong-Sing ne pouvait pas faire seul exception. Les Anglais l’ont reconnu, et s’il est vrai, ce que l’arrangement ne dit pas, que nous ayons procédé envers eux de la même manière sur le Niger, nous nous sommes fait réciproquement des concessions de même valeur.
Mais si notre arrangement s’était borné là, il aurait été très insuffisant. La question de Muong-Sing n’avait, en somme, qu’une importance secondaire. L’Angleterre et nous avons une politique traditionnelle en Indo-Chine, et le moment était venu d’en consacrer à très grands traits les résultats acquis. Le thalweg du Mékong ne peut servir de limite à nos possessions qu’au nord du grand fleuve, puisque l’embouchure nous en appartient tout entière, et que, sur la rive droite, nous avons étendu, avec des formes diverses, notre influence sur le Cambodge et sur un certain nombre de provinces laotiennes. Cette politique nous a mis plus d’une fois en opposition avec le gouvernement siamois, et on n’a pas oublié les incidens qui nous ont amenés, en 1893, à forcer la passe du Menam et à faire remonter nos vaisseaux jusqu’à Bangkok. Pour dire la vérité, nos navires nous ont échappé à ce moment ; ils ont agi sans ordre, sous le coup de nécessités que nous n’avons plus à apprécier, et nous nous sommes trouvés placés dans une situation assez différente de celle que nous nous étions proposée. M. Le Myre de Vilers, envoyé à Bangkok, s’est tiré ou nous a tirés de la difficulté du mieux qu’il a pu, et il a signé avec le Siam un traité qui ne pouvait être que provisoire. Ce traité nous cédait tous les territoires siamois sur la rive gauche du Mékong, nous reconnaissait certains droits sur une bande de 25 kilomètres d’épaisseur le long de la rive droite, nous promettait des indemnités, etc., et enfin nous autorisait à occuper Chantaboum jusqu’à ce qu’il fût pleinement exécuté. Notre établissement à Chantaboum était donc essentiellement précaire. Quant aux provinces d’Angkor et de Battambang, il n’en était pas et il ne pouvait pas en être question. Tout le monde savait pourtant que ces deux provinces, qui ont fait autrefois partie du Cambodge, étaient restées l’objet de ses ardentes revendications, et qu’un des objectifs de notre politique était de les ramener un jour sous son hégémonie. Le traité de Bangkok laissait pendantes la plupart des questions que la brusquerie de notre action militaire n’avait même pas permis de poser.
L’arrangement conclu le 15 janvier avec l’Angleterre en prépare, au contraire, la solution et la rend aisée. Le gouvernement anglais a compris, comme nous-mêmes, qu’il était temps de fixer les limites des sphères d’influence dans lesquelles l’action de chacun des deux pays pourrait s’exercer sans rencontrer la concurrence ou l’opposition de l’autre. Il a fallu pour cela déterminer d’abord les limites véritables du Siam, ce qui était une tâche très difficile politiquement, très facile géographiquement : aussi a-t-on pris le second système. Le Siam s’est artificiellement étendu à l’Est, quelquefois jusqu’au Mékong, et même au delà avant le traité de 1893. Il fallait le ramener à ses frontières naturelles, qui sont les vallées du Ménam et des autres rivières dont l’embouchure est voisine de celle du Ménam. C’est ce qui a été fait. La France et l’Angleterre se sont mutuellement engagées à ne faire pénétrer, dans aucun cas et sous aucun prétexte, sans le consentement l’une de l’autre, leurs forces armées dans la région ainsi définie, et de n’y acquérir aucun privilège ou avantage politique dont le bénéfice ne leur serait pas commun. En d’autres termes, c’est la neutralisation militaire, politique et économique du Siam. On a dit que le Siam devenait un État-tampon entre l’Angleterre et nous, et nous n’y contredisons pas ; mais il y a une grande différence entre l’État-tampon qu’on nous proposait de créer de toutes pièces sur le haut Mékong, et le Siam, qui est un État préexistant, avec un gouvernement établi, œuvre déjà ancienne de la politique et de la nature, et qu’il est d’ailleurs, au moins pour le moment, plus facile de respecter que de détruire. Nous aurons assez à faire pour nous assimiler les immenses régions qui nous sont concédées, à l’est d’une ligne tracée depuis le golfe de Bangkok jusqu’au Mékong à la hauteur de Xieng-Kong. Ces territoires comprennent Chantaboum, Angkor et Battambang : un des objets principaux que se proposait notre diplomatie depuis tant d’années est donc atteint, ou le sera bientôt, l’Angleterre n’y mettant plus d’obstacle. Nous lui reconnaissons, nous, en échange la presqu’île de Malacca. C’est là sans doute un territoire très important, soit par lui-même, soit par sa situation maritime ; mais l’Angleterre, depuis un siècle, s’en est peu à peu emparée, et nous ne faisons au total que lui abandonner ce qu’elle occupe déjà. Peut-être ne pourrait-on pas en dire autant de tout ce qui nous est adjugé. Reste à savoir dans quelles conditions s’exercera l’influence de l’Angleterre et de la France dans les régions où elles l’ont établie, et dans quelle mesure, sous quelle forme, pendant combien d’années la souveraineté nominale du Siam y sera respectée. Ce sont là les questions de demain : on peut être sûr qu’elles seront tranchées par les deux nations contractantes de manière à ce que leur influence ne soit pas un vain mot. Elles ont obtenu ce qui devait être le résultat final du long effort auquel elles se sont livrées, sans que l’une puisse jamais regretter ce qu’elle abandonne à l’autre, et c’est le signe caractéristique des bons arrangemens.
Celui du 15 janvier ne s’est même pas arrêté là. On a pensé à Londres et à Paris que, puisqu’on était sur le point de résoudre une question depuis longtemps en souffrance, on ferait encore mieux d’en régler du même coup quelques autres. Pourquoi s’est-on arrêté en si bon chemin ? Les deux gouvernemens ont décidé qu’ils nommeraient des commissaires pour fixer de commun accord, après examen des titres invoqués de part et d’autre, la délimitation la plus équitable entre les possessions anglaises et françaises à l’ouest du bas Niger. Quel rapport y avait-il entre le Mékong et le Niger ? Évidemment aucun : le lien qui a été établi entre eux n’existait que dans le désir de conciliation des deux cabinets. Il y avait, s’il est possible, moins de rapports encore entre le Siam et la Tunisie : pourtant la Tunisie profitera à son tour des bonnes dispositions qui se sont manifestées à la fois des deux côtés de la Manche. L’Angleterre consent à négocier avec nous un nouveau traité de commerce pour la Régence de Tunis, afin, dit-elle en reproduisant les termes par lesquels l’ancien traité prévoyait sa propre révision, que les deux parties contractantes puissent avoir occasion d’améliorer leurs relations mutuelles et de développer les intérêts de leurs nations respectives. Nous avions toujours été convaincus que l’Angleterre ne ferait aucune difficulté pour remanier un traité qui, surtout depuis la dénonciation faite par nous de celui qui liait l’Italie à la Régence, ne concordait plus avec la situation créée par notre protectorat. Il est à désirer que l’Italie profite de l’exemple qui lui est donné, et qu’elle montre les mêmes dispositions que l’Angleterre à conclure un nouvel arrangement commercial à la place de celui qui prendra fin dans quelques mois.
Voir l’intérieur du corps humain. n’être plus réduit à attendre la mort du malade pour pratiquer une autopsie qui ne nous révèle que l’altération finale des tissus sans nous faire connaître l’évolution de la maladie, quel rêve pour le médecin ! Et ce rêve est devenu presque une réalité. Un professeur de l’Université de Würtzbourg, M. Röntgen[1], vient de découvrir des radiations qui traversent les chairs comme la lumière du soleil traverse le cristal, et qui permettent de photographier l’ossature à l’intérieur d’un membre entier, d’un membre vivant. Il a obtenu en particulier la photographie d’une main dont le squelette se dessine très nettement en noir, tandis que les chairs se révèlent par une teinte plus pâle. Cette merveilleuse expérience a déjà été répétée de toutes parts avec succès, et plusieurs médecins l’ont expliquée à l’étude de cas pathologiques. Le docteur Lannelongue a présenté lundi dernier, à l’Académie des sciences, tant en son nom qu’en celui de M. Oudin et Barthélemy, des photographies de membres malades. Le premier de ces clichés représente un fémur atteint d’ostéomyélite ; la maladie se révèle par quelques taches blanches sur le fond noir de l’os, indiquant l’existence de cavités internes : ainsi se trouve confirmé ce que M. Lannelongue avait déjà démontré autrefois, à savoir que, dans cette maladie, la destruction de l’os commence à l’intérieur et s’étend vers la périphérie, au lieu de progresser du périoste vers le centre, comme on l’avait cru autrefois. Un autre cliché représente le doigt d’un enfant, où le diagnostic clinique avait reconnu une affection tuberculeuse ; on distingue nettement l’épaississement du périoste, une attaque de l’articulation et un commencement d’ostéite dans la deuxième phalange, plus transparente que les autres. Il est désormais hors de doute que le nouveau procédé pourra rendre les plus grands services à la médecine et à la chirurgie ; ce serait peine perdue, d’ailleurs, que de chercher à déterminer ce que nous devons prévoir et ce que nous pouvons espérer ; l’événement vient de nous prouver, une fois de plus, que la science sait réaliser des merveilles qui laissent bien loin derrière elles les rêves de la plus brillante imagination.
Ce qu’il importe surtout de se demander, c’est ce qu’il y a de véritablement
nouveau dans la découverte d’hier, ce qu’elle apprend et
surtout les questions nouvelles qu’elle suscite. Disons d’abord que
l’existence de rayons qui traversent les corps opaques n’est pas la
chose la plus étonnante, la plus surprenante qu’on ait vue depuis
longtemps. La transparence est une propriété toute relative ; nous
en avons la preuve en nous-mêmes : pourquoi l’œil humain ne
distingue-t-il qu’une partie des rayons solaires, ceux qui sont compris
entre le rouge et le violet ? Une des raisons est que les milieux
de l’œil, transparens pour ces radiations qui constituent ce que nous
appelons du nom purement subjectif de lumière, absorbent les radiations
avoisinantes et les arrêtent avant qu’elles aient atteint la rétine.
La lentille des objectifs de nos photographes est plus transparente, et
ce sont des rayons invisibles surtout qui contribuent à impressionner
la plaque sensible. Le verre lui-même devient bientôt très fortement
absorbant quand on s’éloigne trop des limites du spectre visible, et,
pour pousser plus loin l’étude des radiations, les physiciens doivent
employer des lentilles et des prismes, soit de quartz, pour la région
ultra-violette, soit de sel gemme pour la région infra-rouge. Inversement,
des corps absolument opaques à la lumière peuvent laisser
passer les rayons invisibles ; une expérience classique consiste à constituer
une lentille par un ballon contenant une dissolution d’iode dans le
sulfure de carbone : la liqueur est absolument noire, et cependant la
chaleur la traverse et vient se concentrer en un foyer dont la température
s’élève rapidement. Une couche d’argent, suffisamment épaisse
pour arrêter toute lumière, n’oppose pas un obstacle absolu au passage
de rayons photographiques.
On pourrait multiplier les exemples à l’infini, et, depuis longtemps, pour les physiciens, la question ne se pose plus de savoir si un corps est transparent ou opaque, mais pour quels rayons il est transparent. Au surplus, nous connaissons, depuis quelques années, des radiations autres que celles que nous envoie le soleil ; un physicien allemand qui, mort tout jeune encore, a laissé un des noms les plus illustres de la physique moderne, Heinrich Hertz, dont les expériences constituent le fondement désormais inébranlable de la théorie qui regarde la lumière comme un phénomène électro-magnétique, a réussi à produire, à l’aide de la seule électricité, des vibrations qui traversent avec la même facilité tous les corps non métalliques : le bois, le goudron, l’ébonite, les laissent passer comme l’air lui-même ; seuls les métaux les arrêtent quand on les prend sous une épaisseur suffisante.
Enfin, dans des expériences qui ne datent pas de plus de deux ans, on avait réussi à produire des radiations qui ne se rapprochent pas beaucoup de la lumière et vis-à-vis desquelles les différens corps jouaient, au point de vue de la transparence, un rôle assez singulier ; examinons leurs principales propriétés.
La décharge électrique présente des caractères tout différens suivant qu’on la produit dans l’atmosphère ou dans un gaz raréfié. Dans l’air ordinaire, elle consiste en une étincelle qui produit sur l’œil l’impression d’un trait de feu sinueux très brillant et très délié ; elle est accompagnée d’un crépitement caractéristique. Mais qu’on scelle les extrémités des fils entre lesquels se produit la décharge dans un tube qui contienne un gaz très raréfié, et l’on verra apparaître, dans toute la largeur du tube, des lueurs phosphorescentes, dont la teinte et l’aspect. varieront beaucoup suivant les circonstances. La lumière pourra être continue, ou bien on pourra voir des alternatives d’éclat et d’obscurité constituant ce que l’on appelle la décharge striée ; dans certains cas, enfin, on observera, non seulement dans l’intérieur du tube, mais sur le verre lui-même, une lueur d’un vert jaunâtre qui se distingue complètement, par ses caractères, des autres apparences lumineuses. C’est à deux physiciens allemands, Híttorf et M. Goldstein, qu’on doit les premières études sur cette lumière et son origine. Le phénomène ne se produit que dans des tubes où la raréfaction a été poussée extrêmement loin ; il faut que l’appareil ne contienne plus que la millionième partie environ de l’air qu’il renfermerait s’il était en communication avec l’atmosphère ; si l’on s’éloigne de cette proportion, soit en plus, soit en moins (et la technique opératoire nous permet d’obtenir des vides encore beaucoup plus parfaits), le phénomène disparaît : il exige donc, pour se produire. la présence d’une quantité de matière extrêmement faible, mais néanmoins parfaitement appréciable.
Cette lueur spéciale ne fait pas partie de la décharge proprement dite, qui va d’un pôle à l’autre. Elle émane du pôle négatif, ou, comme l’on dit plus ordinairement, de la cathode[2] ; chaque point de cette cathode émet un rayon, perpendiculairement à la surface ; ces rayons de cathode, ou, suivant la terminologie courante, ces rayons cathodiques se propagent rectilignement, décelés par une lueur très faible, et donnent naissance, en rencontrant la paroi du verre, à une phosphorescence très brillante, accompagnée d’un échauffement notable. Les physiciens se sont efforcés de découvrir l’origine et la nature de ces rayons ; la plus remarquable des hypothèses qui aient été émises est celle de M. Crookes : la célébrité qui s’y est attachée a fait trop souvent croire que son auteur avait découvert les rayons cathodiques, et les tubes destinés à produire ces rayons s’appellent, même en Allemagne, tubes de Crookes.
Le physicien anglais a admis que, dans l’état de raréfaction extrême où ils se trouvent dans ces tubes, les gaz ont acquis des propriétés spéciales, que leurs molécules, en particulier, peuvent cheminer rectilignement d’un bout à l’autre sans se rencontrer et que leurs trajectoires constituent précisément les rayons cathodiques. Cette explication ne semble plus admissible depuis le jour où Heinrich Hertz a démontré que les rayons de cathode traversent non seulement le verre sous une épaisseur suffisamment faible, mais encore les métaux. Les rayons cathodiques ne peuvent être que des modifications de cet éther luminifère qui sert de véhicule à la lumière dans les espaces interplanétaires et interstellaires, et qui, d’après les théories de l’optique moderne, remplit l’univers entier, y compris l’espace occupé par les corps matériels. Pour couronner la découverte de Hertz, il fallait démontrer que ces rayons peuvent se propager dans le vide le plus parfait que nous sachions produire. C’est à M. Lenard, un des élèves de Hertz, qui a continué ses travaux, qu’était réservé ce mérite. Il a réussi à faire sortir les rayons cathodiques du seul milieu où jusqu’ici nous sachions les faire naître, en fermant un tube de Crookes par une paroi d’aluminium ayant de 1 à 2 millimètres de largeur et de 2 à 3 millièmes de millimètre d’épaisseur. Les rayons cathodiques traversent le métal, et on peut les voir se propager dans le vide absolu. Ce résultat est capital ; pour classer un phénomène, il faut, avant tout, savoir s’il consiste en un mouvement ou me modification de la matière sensible, ou s’il constitue un changement dans la manière d’être de l’éther.
Nous ne serons pas étonnés maintenant de constater, avec M. Lenard, que les rayons cathodiques se propagent dans l’air et dans les divers gaz ; la seule question que nous puissions nous poser est de savoir quel degré de transparence présentent les différens milieux. Mais disons d’abord comment on les observe : dans l’air, ils ne se manifestent que par me légère fluorescence bleuâtre qui disparaît rapidement quand on diminue la pression : mais M. Lenard a découvert qu’ils rendent lumineuses certaines substances phosphorescentes et surtout qu’ils impressionnent les plaques photographiques. Dès lors il était facile de les suivre ; on a constaté qu’un rayon cathodique dans un gaz va se diffusant peu à peu en tous sens, comme ferait un rayon lumineux dans un milieu trouble ou dans un air très chargé de poussières. Cette diffusion est très rapide et, sous la pression atmosphérique, le rayon devient insensible au bout d’un trajet de quelques centimètres. En comparant les actions de divers gaz è différentes pressions, on trouve que ces actions ne dépendent pas de la nature du gaz, mais seulement de sa densité. Enfin on constate qu’aucun milieu, qu’il soit ou non absorbant pour la lumière, qu’il soit conducteur ou isolant, n’exerce d’absorption d’un genre particulier ; une lame de verre, dont la densité est voisine de celle de l’aluminium, absorbe à peu près autant sous la même épaisseur ; et si l’on s’est adressé au métal pour construire la fenêtre qui doit laisser passer les rayons, c’est simplement parce qu’il est, dans ces conditions, beaucoup plus maniable et plus résistant que le verre.
Si nous ajoutons que les rayons cathodiques sont déviés par un aimant, nous aurons exposé les caractères essentiels du phénomène ; voyons maintenant en quoi consiste la nouvelle découverte. M. Röntgen a observé qu’au voisinage d’un tube de Crookes ordinaire, sans fenêtre d’aluminium, se propagent des rayons invisibles, dont les actions étaient restées jusqu’ici inaperçues et qui ne sont pas identiques aux rayons cathodiques que M. Lenard a obtenus dans l’atmosphère. En attendant qu’on ait pu préciser un peu la nature des rayons qu’il a découverts, M. Röntgen les a appelés « rayons X » (X-Strahlen) ; il paraîtra sans doute moins bizarre de les désigner sous le nom de rayons de Röntgen. Le mémoire présente à la Société physico-médicale de Wurtzbourg décrit ainsi l’expérience fondamentale : On fait passer la décharge d’une grosse bobine d’induction dans Un tube de Hittorf, ou dans un tube de Crookes ou de Lenard, dans lequel on a fait le vide avec soin. Le tube est entouré d’un écran de papier noir qui le recouvre exactement. On met alors, dans une chambre où règne une obscurité complète, un papier recouvert, sur une de ses faces, d’une matière fluorescente, qui s’illumine brillamment quand on l’amène au voisinage du tube. » Il est indifférent de présenter au tube la face sensibilisés ou la face nue du papier : l’agent nouveau qui a traversé le papier noir, — qui ne laisse sortir du tube aucune lumière sensible, — traverse aussi bien l’autre. A deux mètres de distance, l’effet est encore appréciable. Un carton épais qui est absolument opaque pour la lumière de l’arc électrique ou la lumière du soleil et qui ne laisse pas non plus passer les rayons ultra-violets, reconnaissables à leur action photographique, est transparent pour les nouveaux rayons. Cette constatation amène immédiatement à rechercher si d’autres corps ne les laisseront pas également passer. On observe que le papier, sous toutes ses formes, est très transparent : un livre de mille pages, deux jeux de cartes superposés, ne suffisent pas à absorber toute la radiation ; ils l’affaiblissent sans la détruire entièrement. Des blocs de bois épais sont encore transparens. Des planches de pin de 2 ou 3 centimètres d’épaisseur n’exercent qu’une absorption très faible.
Si les corps ordinairement opaques laissent passer les rayons de Röntgen, les corps transparens ne les arrêtent pas. L’eau et plusieurs autres liquides présentent une grande transparence. L’air n’absorbe pas notablement plus que l’hydrogène sous la même pression. Nous constatons ici une différence bien nette avec les résultats obtenus par M. Lenard : comme on l’a vu plus haut, l’action des différens gaz sur les rayons cathodiques est la même quand ils ont même densité ; l’hydrogène étant quatorze fois et demie moins lourd que l’air, il fallait, pour obtenir des effets égaux à ceux de l’air, le prendre sous une pression quatorze fois et demie plus grande. Les actions sont sensibles, dans l’air atmosphérique, à une distance de deux mètres, beaucoup plus grande que dans les expériences de M. Lenard.
Les métaux donnent des résultats analogues : une feuille d’étain atténue à peine la fluorescence, comme pourrait agir une gaze légère sur un rayon lumineux ; il faut superposer plusieurs feuilles pour obtenir une diminution notable. La transparence d’un métal augmente avec sa légèreté ; une feuille de platine de 0,018 millimètres d’épaisseur exerce la même action qu’une plaque d’aluminium de 3 millimètres et demi.
D’une façon générale, pour les corps solides, c’est la densité seule qui détermine le pouvoir absorbant. Le vermillon, qui doit sa couleur a un sulfure de mercure très pesant, arrête complètement les rayons sous l’épaisseur d’une couche de peinture. C’est ainsi que M. Röntgen, en interposant entre le tube et le papier sensible une boussole enfermée dans une hotte métallique et dont les divisions étaient marquées en rouge ainsi que les lettres N E O S, a vu se dessiner en traits sombres lettres et divisions ; l’aiguille apparaissait également en noir parce qu’elle constituait une épaisseur notable d’acier qui absorbait les rayons, de sorte que l’image obtenue reproduisait fidèlement l’aspect de la boussole. Enfin, il constata qu’en plaçant sa main au-dessus du papier il obtenait une ombre portée de ses os avec une ombre légère indiquant le contour des chairs. La première idée qui devait venir à un physicien était de chercher à se prémunir contre les illusions et à conserver un témoin de sa découverte en essayant de fixer sur une plaque photographique ces images si curieuses ; l’expérience réussit et fournit ces clichés qui ont excité l’admiration du monde entier.
Ainsi qu’on vient de le voir, le mode opératoire est des plus simples : pas d’appareil compliqué, pas de disposition particulière, pas de tour de main. Tout le matériel se compose d’une bobine d’induction, de quelques élémens de pile qui servent à l’actionner et d’un de ces tubes de Crookes qu’on trouve chez les souffleurs de verre. Qu’un enfant tourne le commutateur de la bobine, et l’expérience est prête ; il suffit d’approcher du tube une plaque photographique, et de placer entre les deux l’objet à étudier. Il n’y a pas de mise au point ; l’épreuve ne constitue pas à proprement parler une image, au sens que les physiciens donnent à ce mot, c’est simplement une ombre portée, une silhouette ; les chairs, qui sont beaucoup moins denses que les os, laissent seules passer les rayons. Enfin, pour surcroît de simplicité, il est inutile d’opérer dans l’obscurité ; on laisse la plaque dans le châssis, sous son volet ; la lumière du jour ne l’atteint pas, et les rayons de Röntgen vont à travers le bois tracer l’image désirée.
On le voit, si l’on compare seulement les actions photographiques, il n’y a qu’une différence de degré entre les résultats de M. Röntgen et ceux de M. Lenard. L’un et l’autre ont obtenu des rayons qui se propagent dans l’air, traversent tous les corps d’autant plus facilement qu’ils sont plus légers, impressionnant les plaques photographiques. Mais les rayons cathodiques de M. Lenard s’éteignaient trop vite dans l’air et ne traversaient que des épaisseurs de métal beaucoup trop faibles pour qu’on put songer à aucune application du genre de celles qu’a réalisées M. Röntgen. Pourtant il n’est pas interdit de penser qu’on aurait pu développer leurs qualités utiles ; les rayons cathodiques présentent des propriétés assez variables suivant la pression du tube où ils ont été produits ; qu’y a-t-il d’impossible à ce que des essais systématiques ne nous fournissent enfin des rayons utilisables ? L’espoir est d’autant plus permis que les expériences de M. Röntgen ont pu être tout récemment répétées en public avec des rayons sortant directement d’un tube de Lenard par la fenêtre d’aluminium.
Je ne prétends pas, cela est clair, que M. Lenard doive être considéré comme le précurseur de M. Röntgen ; j’ai voulu seulement indiquer que, chez les physiciens qui s’étaient tenus au courant des dernières recherches relatives aux rayons cathodiques, la découverte d’hier ne pouvait pas susciter l’étonnement sans bornes qu’elle a causé dans le grand public, qui ignorait les travaux antérieurs.
Ce qui intéresse véritablement les savans, c’est de savoir quelle est la nature des rayons de Röntgen. Constituent-ils un terme encore inconnu de cette série de radiations qui ont, sauf la qualité d’influencer la rétine, toutes les propriétés des rayons lumineux ? Sont-ils des rayons cathodiques ? Enfin, est-il impossible de les ranger dans aucune des catégories connues et devons-nous, comme celui qui les a découverts, ne leur donner d’autre dénomination qu’un X mystérieux ? Il serait certainement prématuré d’essayer de répondre dès aujourd’hui à cette question ; toutefois M. Röntgen a conclu très nettement à la découverte d’un phénomène entièrement nouveau, et nous allons exposer ses argumens.
Les nouveaux rayons ne sont pas déviés par l’aimant ; les forces magnétiques les plus intenses ne modifient pas leur direction ; les rayons cathodiques au contraire, tant dans l’air que dans le vide, se courbent fortement dans un champ magnétique. Ce caractère semble suffisamment tranché. Mais s’il établit que les deux espèces de radiations sont distinctes, il ne supprime pas la relation intime qui existe entre elles ; les rayons de Röntgen prennent naissance aux points où les rayons cathodiques qui cheminent à l’intérieur du tube viennent rencontrer les parois ; les uns procèdent directement des autres, et nous ne pouvons les regarder comme indépendans, tant que nous ne saurons pas produire par une autre méthode les rayons nouveaux.
Existe-t-il quelque analogie entre les rayons de Röntgen et ces mouvemens de l’éther dont une partie produit la sensation de lumière ? On ne constate guère que des différences. La propriété la plus saillante de la lumière est de se réfléchir à la surface des corps et, quand elle passe d’un milieu dans un autre, de changer de direction, de se réfracter. Les rayons de Röntgen ne se réfléchissent ni ne se réfractent. L’auteur l’a démontré par une expérience ingénieuse : on sait que les corps les plus transparens deviennent opaques quand on les pulvérise ; pour prendre un exemple familier, le sel fin qui se trouve sur nos tables, quoique identique par sa composition chimique au sel gemme le plus pur, est bien loin néanmoins de laisser passer la lumière avec la même facilité ; il suffit d’une couche très mince pour cacher le fond de la salière. Les rayons lumineux, rencontrant les faces des grains, se réfléchissent et se réfractent en tous sens et, finalement, une grande partie d’entre eux est renvoyée vers l’extérieur ; un petit nombre seulement pénètre dans la masse, qui se trouve ainsi jouer le rôle d’un corps qui renvoie presque toute la lumière qu’il reçoit, c’est-à-dire d’un corps blanc et opaque. C’est pour une raison analogue que l’écume de l’eau la plus fangeuse présente, quand elle est assez fine, une couleur blanchâtre. On aura donc un moyen très sensible de reconnaître si un rayon peut se réfléchir ou se réfracter, c’est de le faire tomber sur une poudre fine ; s’il la traverse, comme il traversait le corps solide cohérent, c’est qu’il passe tout entier dans chaque milieu qu’il rencontre sans changer de direction. M. Röntgen a constaté que tel était le cas pour les rayons qu’il découverts, et cette seule circonstance laisse peu d’espoir qu’on puisse arriver jamais à établir un rapprochement entre la lumière et les nouvelles radiations.
Cette absence de la réflexion ou de la réfraction a d’ailleurs été vérifiée par d’autres méthodes. Pour la réfraction, la plus directe est évidemment l’emploi du prisme : de l’eau et du sulfure de carbone, renfermés entre des lames de mica qui forment un angle de 30 degrés, n’ont pas donné trace de déviation, pas plus sur la plaque photographique que sur l’écran phosphorescent. Cette expérience a été répétée depuis par M. Perrin, qui en a communiqué les résultats à l’Académie des sciences dans la séance de lundi dernier. La lumière qui traverse un cristal se divise en général en deux faisceaux ; elle présente des propriétés particulières ; on exprime ce fait en disant que le passage à travers un cristal la polarise. M. Röntgen n’a rien constaté de semblable ; on pouvait s’y attendre : la polarisation est la conséquence du fait que le cristal ne peut laisser se propager, dans une direction déterminée, que des rayons dont la vibration à une orientation déterminée ; si des rayons ne se réfractent pas, toute direction leur est indifférente ; il ne se produit pas de séparation et par suite pas de polarisation.
Les caractères essentiels que je viens de résumer ont conduit M. Röntgen à conclure d’une façon tranchée que les rayons qu’il a découverts, et qui procèdent des rayons cathodiques, n’ont de commun tant avec ceux-ci qu’avec les rayons lumineux que le milieu dans lequel ils se propagent. Cette conclusion n’a pas été admise sans réserves dans le monde des physiciens. M. A. Schuster, en Angleterre. M. Poincaré, en France, pour ne citer que ces deux noms illustres, ont été d’avis qu’il est impossible de formuler avec certitude une pareille opinion ; ils déclarent que de nouvelles expériences sont nécessaires. Attendons les résultats des recherches entreprises ; espérons surtout qu’elles parviendront à perfectionner le procédé actuel, et à doter la médecine du plus puissant moyen d’investigation interne qu’elle ait jamais pu souhaiter.
C. RAVEAU.
Le Directeur-gérant,
F. BRUNETIERE.
- ↑ M. Routgen était déjà connu des physiciens par des recherches sur la conductibilité de la chaleur, la chaleur spécifique des gaz et, plus récemment, par une expérience très curieuse, inspirée par les idées de Maxwell.
- ↑ On appelle anode, d’un mot formé sur le grec ὁδός, le pôle positif, qui amène le courant, et cathode le pôle négatif, vers lequel le courant se dirige.