Chronique de la quinzaine - 30 juin 1867

Chronique n° 845
30 juin 1867


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 juin 1867.

Tsar, électeur de Brandebourg, ne sont plus pour nous que de vieilles lunes, retournées à leurs septentrionales régions. Les spectateurs parisiens appartiennent maintenant aux souverains du midi, et c’est le successeur même de Mahomet qui ouvre la marche ; puis viendront dans le pèlerinage de l’exposition universelle l’empereur d’Autriche, le roi d’Italie, peut-être la reine d’Espagne. Y a-t-il un intérêt politique dans ce défilé unique de têtes couronnées ? Quelques-uns le voudraient faire croire. Le prince Gortchakof affectait, par exemple, de n’être pas venu ici en simple curieux, attiré uniquement par l’attrait que pouvait offrir à son empereur l’épice des plaisirs parisiens. Le voyage russe était, suivant lui le commencement, la préparation de grandes choses ; il se fût donné volontiers les airs d’un médiateur débonnaire entre la Prusse et la France ; il nous glissait de patientes insinuations sur les affaires d’Orient dans le sens de cette politique russe qui tend à dissoudre peu à peu l’empire ottoman par des démembremens successifs. Il a obtenu ainsi peut-être quelques complaisances polies de notre diplomatie au sujet des affaires de Crète. Tout cela est bien superficiel, bien frivole, et s’évapore devant le voyage du sultan. Parmi les distractions que l’exposition nous apporte, la plus amusante sera certainement l’apparition parmi nous du commandeur des croyans. Dans l’accueil que recevra chez nous l’empereur de Turquie, aucun souvenir pénible, aucune préoccupation douloureuse ne troubleront l’esprit hospitalier de la France. Notre pays est le premier qui reçoive la visite d’un sultan, et ce sultan est le représentant d’une puissance qui n’a cessé, depuis le XVIe siècle, d’être l’alliée de la France. Des Français ne peuvent avoir que de bons sentimens pour ce monarque oriental, menacé aujourd’hui par une propagande hypocrite et qui ne saurait être utile qu’à nos ennemis. L’avance singulière que le sultan fait à la France en rompant avec la tradition qui immobilisait à Constantinople les souverains de la Turquie est la solide promesse des concessions qu’Abdul-Aziz et ses ministres accorderont avec indépendance à l’influence désintéressée et conciliante de la civilisation occidentale. Officiellement, le sultan recevra parmi nous les mêmes honneurs que le tsar ; mais le sentiment public ne sera embarrassé d’aucune gêne douloureuse, et conservera sa jovialité naturelle devant cet honnête calife qui nous arrive du monde des Mille et une Nuits.

Il en faut convenir, notre exposition avec ses merveilles industrielles, ses concours de populations de toutes les races, ses manifestations de la prospérité et en somme de la prééminence du travail et de l’art français, avec ses récompenses éclatantes et ses grandes fêtes, est une diversion consolante aux chagrins que de toutes parts la politique vient susciter au patriotisme français. L’exposition est le témoignage d’une démocratie laborieuse et puissante qui semble se jouer au milieu des fautes de son gouvernement. Cependant cette représentation heureuse des forces industrielles et des mœurs faciles de la France n’est point capable de distraire l’attention publique des circonstances gravés qui ont amené à un point extrêmement critique nos affaires intérieures et extérieures.

On doit espérer que la discussion du budget, qui vient enfin de s’ouvrir, sera digne de la situation où la France est placée, et sera pour le gouvernement, et le pays l’occasion d’un solennel examen de conscience. Les difficultés du dedans et du dehors se réunissent pour donner cette année une efficacité singulière à la discussion du budget : les événemens ont parlé avec tant de continuité et de force qu’ils donnent des enseignemens sur lesquels ne peuvent plus se méprendre ceux qui ont conservé quelque probité d’esprit et quelque prudence. De nouvelles et puissantes précautions doivent être prises dans la conduite du gouvernement ; on ne peut guère espérer que ces précautions puissent en ce moment être imposées au pouvoir par les votes du corps législatif ; mais il est au moins nécessaire qu’elles soient énergiquement signalées et définies par la discussion du budget.

Les inquiétudes politiques ont eu pour principal objet dans ces derniers temps les affaires extérieures : c’est à notre avis bien plus sur l’intérieur qu’eût dû se porter la sollicitude patriotique. Nous sommes convaincus que la France ne court de périls au dehors que par les défauts de sa politique intérieure. Les événemens extérieurs qui ont si profondément affecté nos intérêts ont démontré d’une façon péremptoire que la fortune de notre politique extérieure dépend entièrement des règles qui régissent chez nous l’initiative et le contrôle du pouvoir. Or la question de l’initiative du pouvoir et de ses limites est la suprême question politique intérieure. Quels que soient les dissentimens qui nous ont divisés depuis seize ans, on est d’accord que l’empereur a montré plus d’une fois de la sagacité dans l’appréciation des situations décisives. C’est un témoignage de cette sagacité qu’il a donné au commencement de cette année quand, par le droit de réunion et la rentrée de la presse dans le régime légal, il a voulu accroître les prérogatives de l’opinion publique. On était arrivé à une situation dont l’empereur avait paru discerner les nécessités solidaires. D’une part, de grandes expériences de politique étrangère étaient accomplies ; elles avaient eu les résultats les plus malheureux ; l’affaire du Mexique était un complet échec, et toutes les combinaisons suivies depuis la guerre de l’Allemagne contre le Danemark avaient abouti à un déplacement de forces sur le continent dont la France se sentait instinctivement blessée. Toute controverse, toute apologie devenait stérile ; les faits étaient là, et, quel que fût son langage, le gouvernement en reconnaissait bien lui-même par ses actes la signification incontestable, puisqu’il donnait une impulsion vigoureuse à notre préparation militaire, et proclamait la nécessité d’une réorganisation de l’armée qui portait à huit cent mille le nombre de nos soldats. Échecs multipliés et consécutifs de notre politique étrangère, nécessité de demander d’urgence au pays des sacrifices nouveaux et considérables en hommes et en argent, telle était la situation. Le chef de l’état dut bien comprendre que pour y faire face l’intérêt et la justice voulaient que le concours du pays fût sollicité sous une autre forme que la résignation aux échecs subis et le morne assentiment à l’accroissement des charges militaires ; l’empereur dut sentir qu’il fallait donner à la France, pour obtenir sa confiance, le témoignage d’une foi égale dans le patriotisme des inspirations et des résolutions nationales. De là la pensée très sage et très opportune de relâcher les ressorts de la constitution, de rendre à la presse une liberté honorable et d’accorder le droit de réunion, qui pouvait devenir l’instrument d’élections libres et sincères. C’était la loi de la situation : puisqu’il fallait faire beaucoup pour conjurer au dehors un danger qu’on avait laissé se former par une politique discrétionnaire, c’était bien le moins de faire aussi quelque chose pour élargir les libertés de la France, pour restituer à la nation la faculté d’exercer une action plus étendue, plus continue, plus vigilante, plus décisive, sur la direction de sa politique générale.

Telle devait être l’idée première, tel devait être l’objet final de la politique manifestée par le programme du 19 janvier. Quelle a été l’histoire de cette tentative ? Voilà la question qui se pose à la fin de la session. Au bout de six mois, on est forcé de reconnaître que la pensée qui a trouvé son expression dans la lettre du 19 janvier n’est demeurée jusqu’à l’heure actuelle qu’une velléité qui n’est point encore arrivée jusqu’à l’exécution. On n’a mis aucun zèle à réaliser la nouvelle politique. Les projets de loi sur le droit de réunion et la presse, comme le projet de loi sur l’armée, après avoir été abandonnés pendant quatre mois aux manipulations des commissions, ont été commentés de rapports qui ont apparu au moment où la chambre, attardée par une indéfinissable nonchalance, n’avait plus le temps d’en aborder la discussion. En présence de questions qui touchent le plus vivement à la constitution française, desquelles dépendent et l’action de l’opinion sur le pouvoir et la marche du pouvoir lui-même, la chambre a été prise d’un engourdissement singulier. Il fallait se mettre de bon cœur à cette besogne, la pousser, avec ardeur, se hâter de donner de nouvelles garanties à la vie constitutionnelle du pays ; on s’est montré au contraire mou, sceptique, indolent. On a fini par ajourner à une session d’automne les lois qui devaient être cette année le grand ouvrage de la France, le droit de réunion, la presse, l’armée. On reste ainsi de gaîté de cœur dans l’indécision et la confusion à l’égard de principes et d’intérêts politiques du premier, ordre et de la plus pressante urgence. Il s’agissait de régénérer le pouvoir en animant les courans de l’opinion nationale, et on le laisse se débiliter dans la lenteur et l’incertitude.

Ces ajournemens, motivés par des hésitations injustifiables, ont sans doute de graves inconvéniens au point de vue élevé de l’intérêt gouvernemental. Ils sont regrettables aussi au point de vue de l’expédition des affaires pratiques. Dès que le projet de loi sur l’armée eut été renvoyé à la session d’automne, le gouvernement se hâta de présenter la demande de crédits supplémentaires, motivés sur les dépenses extraordinaires affectées cette année aux arméniens militaires et maritimes. M. le ministre des finances propose de couvrir ces crédits, qui dépassent 158 millions, au moyen d’une émission provisoire de bons du trésor. Le provisoire ne vaut que mieux en finances qu’ailleurs. Le provisoire d’une émission extraordinaire de 150 millions de bons du trésor a le défaut de laisser supposer qu’un emprunt prochain en rentes est possible, et cette perspective est pour les affaires financières une cause d’incertitude et de stagnation. Si la loi sur l’armée, eût été votée, M. Rouher eût réglé probablement d’une façon définitive les voies et moyens, qui doivent couvrir ses crédits supplémentaires, et n’eût point eu recours à une émission de bons du trésors. Le projet de réorganisation de l’armée, tel qu’il sort des travaux de la commission, abolit avec l’assentiment du pouvoir l’exonération opérée par l’état et en conséquence la caisse de la dotation. La fin de cette caisse doit placer entre les mains de l’état des sommes disponibles considérables et des titres de rente. Il est vraisemblable qu’avec ces ressources on eût pu couvrir en partie au moins les crédits supplémentaires de 1867. L’exposé des motifs du projet de loi fait sans doute allusion à une opération de trésorerie de ce genre, quand il donne à entendre qu’il sera possible de subvenir aux crédits par quelque mesure législative qui dispenserait le gouvernement de recourir à l’emprunt. La loi sur l’armée étant renvoyée à la session d’automne et les crédits devant être votés en même temps que le budget, l’opération financière naturelle est retardée, et on est obligé de demander une émission de bons du trésor qui n’était peut-être point dans la nécessité des choses.

Le point de vue auquel nous nous plaçons quand nous considérons la gravité des questions et des événemens de la politique étrangère comme la cause pratique des changemens qui doivent être portés dans la direction de notre politique intérieure ne saurait être contesté. La discussion générale et spéciale du budget doit fournir mainte occasion à l’opposition de fixer cette vérité dans la conscience du pays. Le Mexique par exemple reparaît encore une fois cette année dans les crédits supplémentaires ; il faudra bien en finir aussi avec cette entreprise si douloureuse, mais en même temps si instructive. Il y a là l’expérience complète et terminée d’un système aux erreurs et aux entraînemens duquel une nation comme la nôtre, pour sa sécurité comme pour sa dignité, ne peut continuer à être exposée. La chambre doit au pays, ne fût-ce qu’en réparation de ses complaisances pour la fatale expédition mexicaine, de laisser l’opposition clore le jugement définitif de cette affaire par un résumé franc et austère. Aussi bien le seul profit qu’on puisse retirer des fautes commises, c’est d’envisager avec probité et courage les sévères enseignemens qu’elles donnent. D’ailleurs l’affaire mexicaine trouve encore quelque atténuation dans son excentricité : elle a dévoré beaucoup d’argent et beaucoup trop de sang français, elle nous a donné bien des déboires, elle a un moment compromis gratuitement nos rapports avec les États-Unis ; mais les vicissitudes n’en ont pu porter atteinte à la sécurité de la France. Les erreurs dans la politique européenne auraient des conséquences bien plus désastreuses. Le pays peut en juger par les effets qu’il en ressent déjà : pour avoir en 1864 négligé la question des duchés danois, pour avoir en 1866 aidé la Prusse par une neutralité partiale qui ne s’opposait point à l’alliance du cabinet de Florence au cabinet de Berlin, nous nous voyons aujourd’hui obligés de nous imposer les charges militaires les plus lourdes et de ruineuses augmentations de dépenses. Cette année même, la frivole revanche qu’on a cherchée dans l’acquisition du Luxembourg, sans aucune invitation, et on pourrait dire à l’insu de l’opinion publique, a failli mettre brusquement la France aux prises avec l’Allemagne. Les explications données par lord Stanley à la chambre des communes sur la négociation qui a détourné la guerre, la double publication anglaise et française des documens diplomatiques relatifs à cette transaction, fournissent les avertissemens les plus lumineux sur la futilité des causes du conflit, sur la légèreté des hommes politiques qui l’avaient fait naître, sur les minuties qui auraient pu le faire éclater. Le péril de la guerre a été conjuré par une sorte de bon vouloir sympathique qui s’est emparé tout à coup des puissances neutres et par la modération dont se sont laissé pénétrer les puissances en litige ; mais les documens officiels et les explications de lord Stanley et de lord Derby montrent que tout a tenu à un fil. La Prusse exigeait la neutralité du Luxembourg avec la garantie collective des puissances. Cette garantie a effarouché un instant lord Stanley, qui, en véritable Anglais de ce temps, répugne à compromettre son pays dans les démêlés continentaux. Il est heureux que dans son esprit et dans celui de son père, lord Derby, les responsabilités de la garantie collective se soient tout à coup réduites aux proportions les plus exiguës. Les deux ministres, sur les interpellations de gens qui redoutent tout engagement extérieur pour leur pays, ont expliqué que, par l’attribut de collectivité, la garantie ne pouvait devenir obligatoire, pour l’Angleterre que si les autres puissances voulaient, le cas échéant, en faire l’application : qu’une seule s’y refuse et adieu la garantie ! La collectivité cesse, et l’Angleterre n’est plus obligée. On frémit quand on voit la paix du monde attachée au caprice de quelques hommes qui n’ont pour frein que de telles subtilités. Le bon sens ne crie-t-il pas à tous les honnêtes gens que les peuples n’auront de paix et de sécurité que lorsqu’ils seront maîtres d’eux-mêmes ?

Quoi, qu’il en soit, les apparences ne donnent point à croire que M. de Bismark ait laissé modifier dans son voyage à Paris les rudes formes de sa politique. S’il est vrai, comme on l’assure, que le prince Gortchakof ait affecté d’exercer une influence conciliante sur le ministre prussien, son succès a été médiocre. La Prusse pouvait renouveler ses arrangement du Zollverein avec les états du midi de l’Allemagne sans leur donner un caractère politique. Le fier comte n’est point homme à user de ces ménagemens. Il a voulu faire entrer les délégués du sud au parlement de la confédération du nord pour la discussion et le vote des mesures qui intéresseront les douanes et par conséquent tous les intérêts économiques de l’Allemagne. Avec cette présence au parlement fédéral des représentans commerciaux et fiscaux, des états du sud, M. de Bismark peut se rendre le témoignage que l’union des deux Allemagnes est faite aux trois quarts. Un homme, qui mène si prestement et si heureusement à bout de grandes choses devrait se délasser en montrant parfois quelque aménité et quelque débonnaireté dans la conduite des petites. Les grands hommes d’état n’ont pas sans cesse des motifs d’être gais, mais il n’en est point qui aient toujours été hargneux. La mauvaise humeur de la politique prussienne contre le Danemark continue. Elle a beau être redevable au Danemark de l’occasion de ses prodigieux succès, elle n’en garde au petit royaume de la Baltique aucune reconnaissance. Il s’agit maintenant, on le sait, de l’exécution de l’article du traité de Prague qui promettait au Danemark la restitution de la portion septentrionale du Slesvig. M. de Bismark n’a point l’air de vouloir faire cette restitution simplement et galamment. D’abord il n’admet point qu’aucune puissance étrangère ait le droit de le presser. Il n’accepte comme interlocuteur que l’état avec lequel il a signé le traité de Prague, l’Autriche, et la belle chance que l’Autriche aille chercher un sujet de contestation avec la Prusse dans ces duchés qui sont la cause de ses malheurs ! Nous nous étions figuré que la France, ayant été médiatrice à Nikolsbourg, avait quelque titre à s’intéresser au Danemark et à dire un mot sur la restitution de la partie danoise du Slesvig. Suivant la presse de Berlin, le Danemark ne peut avoir d’autre avocat que l’Autriche. Or le cabinet prussien vient d’ouvrir une négociation apparente avec le cabinet de Copenhague au sujet du fameux article 5 du traité de Prague. Avant de rien accorder au Danemark, il lui demande des garanties en faveur des Allemands qui demeureraient dans la portion du duché rétrocédée. C’est donc en cette occurrence le propriétaire qui sera tenu de donner des garanties de l’usage qu’il fera de son domaine lorsqu’il l’aura recouvré sur le détenteur illégitime. La prétention n’est pas seulement injuste et absurde ; si elle s’établissait, si le Danemark s’engageait à créer une situation particulière à la petite population allemande qui resterait dans le Slesvig, on verrait recommencer de la part de la Prusse ces ingérences dont les duchés ont été si longtemps le prétexte, et qui ont produit les conséquences que le monde a vues. La Prusse aurait ainsi bientôt grignoté le Danemark ; elle aurait absorbé promptement les positions maritimes et la brave escadre de ce fier petit pays. Les injustices prussiennes ne se bornent point à cette exigence diplomatique. Au fond, et tandis qu’on fait mine de négocier avec une hauteur de mauvais goût, on inflige aux Danois du Slesvig, à ceux qu’on serait tenu de rendre à leur patrie, les traitemens les plus iniques et les plus barbares. On procède contre eux par l’expulsion. L’article 19 du traité de Vienne de 1864 accordait aux sujets domiciliés sur les territoires cédés la faculté pendant six ans d’emporter leurs biens meubles en franchise de droits et de se retirer avec leurs familles dans les états de sa majesté danoise. Le même article leur assurait la liberté de conserver leurs immeubles sur les territoires cédés, et déclarait que les sujets danois qui profiteraient de ces dispositions ne seraient inquiétés ni dans leurs personnes ni dans leurs propriétés. Cette stipulation est interprétée par la Prusse d’une façon odieusement arbitraire. Comme les Slesvigois ont par le traité de Vienne la faculté de se retirer « avec leurs familles, » on expulse les familles de ceux qui sortent. Une ordonnance prussienne du 29 mai défend aux Slesvigois qui se sont retirés en Danemark de rentrer dans le duché, bien que le traité leur laissât six ans pour l’option de nationalité. Ce terme d’option devait affranchir les jeunes Slesvigois des obligations du service militaire prussien. L’autorité prussienne ne leur reconnaît point ce droit, et les oblige à fuir comme des réfractaires. Des milliers de familles sont, dit-on, victimes de la cruauté de ce système d’expulsion, qui paraît plus déraisonnable encore quand on songe que, si la Prusse finit par exécuter ses engagemens de Prague, elle sera obligée de rendre au Danemark la province dont elle opprime aujourd’hui la population danoise. « Le cri de détresse que pousse la population danoise du Slesvig, dit un écrivain de Copenhague, fait frémir la nation de colère au sentiment de son impuissance. N’est-il donc aucun droit des gens, aucune police en Europe ? » Voilà les protestations douloureuses qui retentissent dans le monde quand les forts ont abandonné le patronage des faibles, et ne songent plus qu’à la puissance toujours et simultanément menaçante et menacée des grandes agglomérations.

Nos finances étant grevées cette année d’une insuffisance qui se traduit par d’énormes crédits supplémentaires, il est évident que le budget ne pourra donner lieu dans les débats du corps législatif à aucune considération systématique sur le jeu des revenus publics et sur l’économie des dépenses. Quand l’équilibre est rompu dans un budget, les discussions les plus utiles et les plus opportunes auxquelles les questions de trésorerie puissent donner lieu sont celles qui portent sur les causes mêmes du déficit ; or ces causes sont toujours politiques. Dans les pays où le gouvernement représentatif est sérieusement pratiqué, on ne pardonne pas longtemps à un ministère l’hésitation ou le laisser-aller en matière de finances : lorsque dans ces pays le trouble financier a des causes politiques, on s’attaque résolument aux causes, on en combat l’influence avec énergie et promptitude. On peut mettre à profit les avertissemens apportés par la situation. On mesure à ces conséquences la politique d’où les embarras sont nés. On y persévère, mais pour la conduire le plus tôt possible à ses résultats décisifs, si elle parait conforme aux intérêts supérieurs du pays ; ou la répudie courageusement, si elle ne paraît inspirée d’aucune pensée avouable et réalisable. Comme dans ces gouvernemens les personnes sont unies aux choses par les liens exacts d’une responsabilité stricte, le sort des ministères est attaché aux votes des représentations nationales. On varie suivant la vicissitude des événemens et les nécessités des situations le personnel de la haute direction de l’état. On change les impulsions qui donnent le branle à l’activité des esprits ; on excite de fécondes compétitions entre les intelligences vouées aux affaires publiques. On ouvre des perspectives nouvelles à la nation, qui elle-même se renouvelle sans cesse. On est dans les conditions de la vie. La discussion du budget va nous apprendre ce que nous possédons de vie politique et ce que nous en pouvons espérer pour un prochain avenir.

Si les malheurs d’autrui pouvaient être une consolation pour un peuple puissant que des mésaventures politiques rendraient indolent et boudeur, la France aurait sujet de s’estimer heureuse en regardant les misères auxquelles sont en proie deux nations voisines, l’Espagne et l’Italie. Ces misères après tout doivent exciter nos sympathies, car les destinées de l’Italie et de l’Espagne ne peuvent point laisser la France indifférente. Les plus pénibles embarras dû moment pour ces deux sœurs de race latine sont les difficultés d’argent. Nous avons cru depuis quelque temps devoir encourager les tendances qui s’étaient manifestées à Madrid pour terminer les vieilles querelles de l’Espagne avec des créanciers gênans qui avaient eu l’art de lui fermer toutes les bourses européennes. Ce serait un grand point pour l’Espagne, si elle vivait en paix avec le crédit moderne. Un peu d’activité et de prospérité reparaîtrait dans le pays ; les relations des étrangers avec l’Espagne se ranimeraient ; moins troublé de soucis d’argent, le gouvernement serait peut-être moins rude envers les libertés publiques. Les négociations financières qui sont depuis le commencement la grande affaire du cabinet de Madrid semblent être au moment de produire des résultats. L’Espagne ferait des arrangemens équitables à propos de celles de ses dettes qui étaient en souffrance ? elle donnerait des secours et des espérances à ses compagnies de chemins de Fer, et en récompense elle obtiendrait le placement d’un emprunt. Il paraît que des circonstances locales ont jusqu’au dernier moment suscité les difficultés les plus obstinées à ces transactions financières. Le ministère s’était divisé ; le cabinet espagnol, si nous ne nous trompons, ne compte pas plus de huit membres ; pour faire prévaloir les projets de M. Barzanallana, le maréchal Narvaez a été obligé de se séparer de trois de ses collègues. La crise ministérielle étant terminée, le nouveau plan financier ne saurait tarder d’être exécuté. Dieu fasse que ce plan rende quelque aisance et quelque activité à la vie politique de l’Espagne !

En Italie, on semble revenir aux procédés logiques. On ne cherche plus parmi les banquiers et les capitalistes grands et petits de l’Europe des agens d’exécution contre les corporations ecclésiastiques dépossédées. L’état paraît consentir à se charger ouvertement et franchement lui-même de l’appropriation des biens du clergé régulier et des ordres religieux. C’est la chambre des députés qui a mis fin à l’équivoque. La commission nommée pour examiner les projets de M. Ferrara n’a pas consacré à cette étude le temps que met notre commission à étudier des budgets que jamais elle ne modifie : au contraire quelques jours ont suffi à la commission italienne, et en revanche elle a modifié profondément le projet ministériel. L’état prendra à son compte les biens d’église, il prélèvera 30 pour 100 de leur valeur qu’il tâchera d’escompter en négociant des obligations représentant les sommes de 300 millions pour la souscription italienne et 300 millions pour la souscription étrangère. La question est de savoir si cette masse de valeurs garanties par l’état et hypothéquées sur les biens d’église seront facilement prises par le public. Encore avec ces sommes on ne comblerait pas tout à fait le déficit tel qu’il existera à la fin de 1868. Si d’ici là on ne s’est pas assuré plus de 200 millions de ressources annuelles soit par des réductions de dépenses, soit par des produits tirés de taxes nouvelles, le déficit recommencera sur nouveaux frais. Ces nécessités sont comprises dans le parlement italien. On a commencé les économies en abolissant les grands commandemens militaires ; on veut augmenter les revenus en imposant des taxes nouvelles qui doivent rapporter 80 millions par an. On est loin encore des 200 millions qu’il faut faire par l’économie et par l’impôt. Tandis que l’état italien, tout occupé d’intérêts terrestres, se met à la torture pour trouver le moyen de payer ses dettes et ses dépenses, Rome, la grande capitale religieuse, se donne tout entière aux émotions idéales des cérémonies mystiques. Elle canonise des saints ; elle attire à elle une population de cent mille étrangers ; à ces spectateurs ameutés par la curiosité ou touchés par la croyance, elle montre son vieux pape infatigable, entouré de plusieurs centaines d’évêques et de plusieurs milliers de prêtres, toujours prêt à répéter les mêmes gémissemens et les mêmes exhortations, et promettant la réalisation d’un vrai miracle en ce siècle, la réunion d’un concile œcuménique. Pendant ce temps, l’illuminé de la démocratie militante semble préparer une démonstration antipapiste et hésiter cependant devant les solennités dont la Rome chrétienne est le théâtre. Peut-être l’apparition d’une bande sur la frontière romaine n’était-elle qu’une manœuvre pour entraîner Garibaldi à une aventure inconsidérée. En attendant le vieux général condottiere se contente de grommeler en réponse à ceux qui l’interrogent quelques imprécations contre le clergé et contre les politiques fiscaux qui préparent au pauvre peuple un surcroît d’impôts. Notre époque a des facultés singulières ; elle emporte dans le même tourbillon tous les scepticismes, tous les enthousiasmes. Elle sait vivre avec le pape et avec Garibaldi, et l’on ne peut dire que son impartialité soit sans puissance et sans vertu, car c’est l’ascendant de cette impartialité qui empêche aujourd’hui en Italie le conflit des fanatismes, qu’elle y contient.

On suit en ce moment le travail intérieur de l’Autriche avec une sympathie qui n’est point sans être mêlée d’espérance. La cérémonie du couronnement de l’empereur comme roi de Hongrie a été un véritable succès ; grâce à cette réconciliation émouvante des Magyars et de celui dans lequel ils ne reconnaissent que leur roi, on dirait qu’un esprit nouveau est communiqué à l’Autriche, et qu’un peuple demeuré trop longtemps en séquestre est rendu à la vie européenne. Les choses paraissent sous un aspect moins brillant quand on les considère du point de vue de Vienne. La vieille capitale autrichienne n’est point la patrie de l’enthousiasme ; elle est rieuse, moqueuse, peu crédule. M. de Beust, qui donne a son souverain de si bons conseils, est peut-être un moins grand homme à Vienne qu’à Pesth. Il ne trouve point l’élément allemand complaisant, et doit beaucoup compter avec lui. Cependant les satisfactions données à la Hongrie devraient être approuvées par toutes les grandes races qui forment l’empire. Si l’expérience qui se tente en Hongrie réussit, comme nous en avons l’espoir, cet exemple heureux sera utile non-seulement à l’ensemble de la monarchie, mais à chacune des grandes races qui la composent. Toutes les grandes divisions régionales de l’Autriche pourront être préparées à exercer leurs autonomies particulières dans l’unité d’une monarchie fédérative. — Les diverses nationalités autrichiennes peuvent trouver un grand ressort dans cette honnête et libérale forme fédérale bien préférable aux hypocrisies énervantes du patronage russe et à la rudesse de l’ascendant prussien. Une chose, quoi qu’il arrive, mérite et assure à l’empereur François-Joseph et à son laborieux ministre, les sympathies du libéralisme européen : c’est la largeur et la franchise des amnisties qu’il a prononcées et la cordialité avec laquelle elles ont été accueillies par tant d’hommes généreux et encore pleins d’ardeur que les anciennes dissensions avaient bannis de leur pays.

L’immense bill de la représentation du peuple continue à occuper la vie parlementaire anglaise. C’est une tâche encombrée de détails que M. Disraeli parvient à force d’esprit, de patience et d’humeur conciliante à conduire à une fin harmonieuse à travers les contradictions des partis. C’est un tour de force d’accomplir en Angleterre une loi de réforme électorale et parlementaire, et le prodige est à peu près achevé. Quelques clauses importantes relatives à la distribution nouvelle des districts électoraux avaient été ajournées ; elles vont être débattues et probablement votées sans altération grave. Ainsi un ministère qui ne dispose point d’une majorité parlementaire qui lui soit propre, qui est en minorité dans la chambre, a eu assez d’énergie, d’application, d’initiative et d’esprit de transaction pour rendre et au gouvernement parlementaire et au pays le service de terminer une controverse politique par laquelle une agitation bruyante et perturbatrice était entretenue autour de la constitution. Si M. Disraeli avait eu à sa disposition comme un gouvernement de notre connaissance la quasi-unanimité d’une chambre populaire, et s’il avait eu à faire voter par cette chambre des lois sur l’armée, sur la presse et sur le droit de réunion, il est évident que ce n’est point lui qui eût laissé finir le mois de juin sans avoir tenu les promesses du mois de janvier, et qui consentirait à donner des vacances à son parlement sans que les discussions qui devaient être pour lui l’œuvre de l’année eussent été seulement abordées. e. forcade.



REVUE MUSICALE.

Au Théâtre-Lyrique, les spectacles-concerts avec la Carlotta Patti et M. Vieuxtemps, son violoniste ordinaire, ayant fourni leur carrière plus ou moins brillante, on a fait débuter Mlle  Jeanne Devriès dans la Somnambule. Les momens sont précieux pour les théâtres, il s’agit donc de les bien employer, et jamais plus belle occasion ne s’offrit pour cette fameuse citation de time is money, qu’une plume formée aux agrémens du style doit savoir placer à tout propos. Élève distinguée de l’école de M. Duprèz, fille d’une mère artiste dont la Hollande et la Belgique ont apprécié les talens, Mlle Devriès se présentait environnée de sympathies, peut-être même qu’il y en avait trop. Ses amis, très nombreux, parlaient d’elle comme d’une Patti. C’était un tort ; mais, s’ils n’ont pas réalisé toutes les prévisions, ces débuts sont dignes d’intérêt. Une grande jeunesse, beaucoup d’âme et d’intelligence, voilà pour les avantages. Naturellement ces qualités ont leurs défauts, ce tempérament dramatique obéit à son émotion et ne la règle pas. Cette voix chaude, brillante, n’est point toujours juste, la flexibilité manque, il y a de la verdeur, de l’âpreté, elle casse et ne plie pas : la bouche, par excès de zèle, s’ouvre trop ; mais à travers cette inexpérience, ce désarroi, on sent le diable au corps de la véritable artiste. Le style viendra plus tard ; en attendant, l’aplomb y supplée, cet aplomb imperturbable que M. Duprez s’entend comme personne à communiquer à ses élèves. Je n’ai pas à me prononcer sur le mérite et les dangers de l’enseignement de ce maître, toutes les voix qu’il a brisées ne sont point là pour protester ; ce qu’il y a de certain, c’est que celles qui résistent conservent un aplomb qui ne se dément plus : exemple, Mlle Battu, Mme Vandenheuvel, Mme Miolan-Carvalho. Cette qualité caractéristique de l’école de Duprez s’affirme déjà d’une façon très remarquable chez sa jeune élève. En outre Mlle Devriès dit bien le récitatif. Elle a fort réussi dans la cavatine du premier acte, celle de la fin du second lui convient moins. La comparaison est aussi par trop écrasante pour une jeune fille. Cette cabalette de bravoure, avec ses reprises surchargées de variations, de broderies, a servi de cheval de bataille à toutes les Bradamantes de l’art vocal : la Malibran, la Sontag, la Persiani, l’Alboni, l’ont eue pour compagne de leurs exploits. Allez donc à dix-huit ans, toute neuve au théâtre, enfourcher cette monture pour courir la bague avec de telles écuyères. Dans le grand sextuor du second acte, Mlle Devriès est mieux à l’aise, sa voix s’y donne libre essor et prend avec franchise sa part d’expression en cet admirable morceau, dont le pathétique couvre tout. Parler de certaines défaillances instrumentales sous l’émotion d’un si beau chant, est-ce justice ? Et cependant telle est l’habitude, tel est le goût que nous avons aujourd’hui des choses de l’orchestre, que, même en présence d’une pareille inspiration, notre sens critique ne désarme pas. « Écoutez cette harmonie, quelle pauvreté ! » s’écriait un homme d’esprit assis près de nous. Je conviens que cet orchestre prête à dire, mais, au lieu d’en compter les faiblesses, chose vraiment par trop facile, vous le supprimeriez tout à fait, qu’il resterait encore de la musique, un chant large, ému, abondant. Or je voudrais maintenant qu’on fît subir l’épreuve à telle partition fort à la mode, et je me demande, l’orchestre ôté, ce qu’il en resterait.

Je ne prétends pas que Bellini doive passer pour un grand modèle ; mais dans son genre c’est un maître, et le genre a du bon. Là du moins, tout le monde est d’accord sur un point : plaire au public, le charmer, l’entraîner. Le poète sait ce qu’il, faut au musicien, le musicien ce qu’il faut à ses chanteurs. Rien de trop compliqué, l’art des simples et souvent aussi, des délicats. L’action repose invariablement sur trois ou quatre personnages voués à des situations presque toujours les mêmes, mais qu’à défaut de vraisemblance, de couleur, vous offrent l’intérêt du sentiment, de la passion. Pour rendre ces situations en quelque sorte traditionnelles, diverses formes sont là de tout temps : l’air, le duo, le trio, le morceau d’ensemble, le finale, tout cela entremêlé de figures accessoires et de chœurs ayant pour mission d’occuper la scène pendant que le chanteur reprend haleine. Il ne s’agit point d’inventer du nouveau, il s’agit d’employer avantageusement les anciennes formes, de plaire au public, de réussir avec ce qu’on a sous la main. Tous les opéras de Bellini procèdent de ce système : une mélodie symétrique sur une strophe symétrique. Comme Métastase écrivait ses vers, Romani distribue les siens ; ainsi du compositeur, lequel ne reconnaît qu’un principe, le chant, et s’en remet à ce suprême et unique agent du soin d’exprimer tout, les sentimens et les situations. Je ne parle pas des caractères, on comprend qu’une telle poétique ignore absolument cet art d’individualiser les personnages dont les Mozart, les Weber, savent si bien tirer profit. D’ailleurs Bellini écrit pour des Italiens, et cet art, son public ne le lui demande pas. L’orchestre de Bellini n’a qu’une affaire, accompagner le chanteur, le soutenir dans l’énoncé de sa période. Des accords de violon avec un trait de basse legato ou pizzicato sur l’accord principal, il ne sort pas de là, néglige les instrumens à vent, si utiles pour combler les vides, des cors ou des bassons, si propres aux demi-teintes, il ne veut rien savoir. Sa manière d’employer les altos a néanmoins parfois un grand attrait ; mais, comme il en abuse, l’effet tourne à la monotonie et devient parfois assommant. Et pourtant dans la Somnambule, Norma, les Puritains, certains ensembles, certains finales sont très habilement conduits. Il s’entend aux contrastes, pousse ou ralentit son orchestre, qui jamais ne cesse d’exprimer la passion du chanteur, mais en s’y subordonnant, toujours contenu, modéré jusque dans ses colères. Les tempêtes ici grondent sourdement et piano, se gardant bien d’étouffer la voix qui plane et règne au-dessus, quelles que soient les tourmentes instrumentales. Si le flot monte, envahit, couvre tout, c’est seulement sur les dernières mesures d’une phrase plusieurs fois répétée, et que vous continuez en quelque sorte d’entendre même alors qu’elle a disparu. On a beaucoup parlé de l’ignorance de Bellini ; plusieurs s’écrient : Il ne sait pas, ne procède que d’instinct. Erreur, le chantre de la Somnambule avait au contraire longtemps fréquenté l’école, et possédait en matière de fugue et de contre-point des connaissances très pratiques. D’autre part, il faisait très difficilement ses mélodies, en apparence si faciles. Il retouchait sa phrase avant de la transcrire en partition, polissait et repolissait ; la mélodie trouvée, le reste lui venait par surcroît : les chœurs, les accompagnemens naissaient d’eux-mêmes et selon la formule. Bellini n’avait d’application que de ce côté ; mais on s’est trop hâté d’attribuer au manque d’études les indolences de son style. Rossini parle de lui comme d’un homme au fond très informé, et qui mettait à cacher sa science autant de soin que d’autres peuvent mettre à produire la leur. On doit avouer que par instans le jeu lui réussissait plus qu’il n’eût fallu.

Bien loin d’être un ignorant, Bellini connaissait les maîtres, et mainte réminiscence voulue témoignerait de l’habitude qu’il avait de fréquenter Beethoven. « Nous autres compositeurs italiens, disait-il, nous savons que nos œuvres n’ont rien à démêler avec la postérité : c’est assez pour nous de plaire à nos contemporains, destinés que nous sommes, dans le cas contraire, à mourir de faim. Que m’importe que mes ouvrages fissent fortune près des générations à venir ? Être martyr de son génie me semble une existence sans attrait, » et il ajoutait avec quelque ironie : « Est-on bien sûr d’ailleurs que ces grands maîtres, toujours mis en avant, n’aient travaillé qu’en vue de la gloire future ? Ce Mozart que j’admire et que j’aime avec passion, l’immortel Mozart lui-même, a-t-il donc toujours si peu tenu compte de ses chanteurs et de son public ? » Les écoles française et allemande, Bellini les connaissait ; tout en gardant sa nationalité, il a fort bien su rendre dans le troisième acte de son Roméo les sinistres pressentimens du sépulcre, dans Norma la terreur sacrée des antiques forêts. Si ce n’est point la vérité dramatique tout entière c’en est toujours une partie intéressante ; Bellini, quoi qu’il fasse, reste Italien, et n’accuse dans sa peinture que des traits généraux de sa nation. S’il peint un amant jaloux et furieux, c’est la jalousie et la fureur d’un Italien, ses jeunes filles sont des amoureuses italiennes ; mais dans l’expression des sentimens il va plus loin que la plupart de ses compatriotes. Ce mélange de cantabile et de bravowre, ces temps larges, ces intervalles que remplissent les chœurs, tout cela est combiné pour le chanteur, dont la virtuosité partout et toujours doit prévaloir. Prenons pour exemple dans la cavatine d’Amina de la Somnambule l’accompagnement de la première période. Qu’est-ce que cela dit, qu’est-ce que cela veut peindre ? Est-il possible de rien entendre de plus insignifiant, de plus plat ? Non certes, mais de ce fonds banal le musicien va faire sortir sa phrase mélodique :

Come per me sereno,


point lumineux sur lequel toute l’attention du public doit se concentrer. Cette phrase ne produira tout son effet qu’à la condition d’être annoncée, préparée par un moment d’attente que le compositeur prolonge à son gré, tirant son moyen de contraste de la platitude même de l’accompagnement. Je n’excuse point cet art, je le raconte. Élever le public jusqu’à soi, ne point faire de concession, noble tâche, mais combien pénible et dangereuse ! Bellini suit un chemin plus modeste, tout le monde lui fait la loi, le public d’abord, ses chanteurs ensuite. Cependant son style, quand on y regarde de près, n’est point si niais qu’il en a l’air ; cela vit par la passion, et puis c’est clair, saisissable à première vue, car de Bellini tout peut se dire, excepté cette fameuse phrase : « avant de juger cette musique, nous demandons à l’entendre une seconde fois. »

On comprend aisément combien de pareils ouvrages doivent perdre à la traduction. Nous avons entendu en Italie la Sonnambula exécutée par des troupes de sixième ordre. C’était mauvais sans doute, mais l’accent subsistait, et dans l’accent se retrouve une partie du charme, tandis que ce qu’on représente au Théâtre-Lyrique n’a point de nom. Passe encore pour Amina ; mais cet Elvino, justes dieux ! et ce seigneur comte, et ces chœurs qui battent la mesure en scène et n’en chantent que plus faux, et cet orchestre ondoyant et divers, toujours à la remorque des chanteurs, pressant, ralentissant les mouvemens, et par ses continuelles inadvertances appelant l’œil du spectateur sur l’instrumentation de Bellini, cette nudité qu’une main discrète devrait au contraire couvrir d’un voile ! On dirait une parodie ; la versification de ce poème a surtout des joyeusetés qui égaieraient la porte d’une prison. Quand donc est-ce que le Théâtre-Lyrique comprendra que, s’il convient d’avoir dans son répertoire certains ouvrages étrangers, encore faudrait-il que la traduction de ces ouvrages ne fût pas un défi grotesque porté à la prosodie, au goût, au sens commun ? Le public, sans se montrer bien difficile, aurait le droit d’exiger mieux. Dans un temps comme le nôtre, où, si les poètes sont rares, les versificateurs habiles courent les rues, il est indigne d’une scène que l’état subventionne d’offrir des rapsodies de cette espèce. Avec Violetta et Rigoletto, il semblait qu’on eût touché la dernière borne du possible. Cette traduction de la Sonnambula passe tout. Vous croiriez à une gageure. En tout cas, c’est une barbarie. Quelle musique résisterait à ce traitement, à ce massacre ? Nous avons vu périr ainsi les Joyeuses Commères de Windsor, œuvre charmante de Nicolaï, consacrée en Allemagne par le succès, et qu’en France la traduction a tuée. Bien en a pris à Bellini de s’être dès longtemps pourvu près du public des Italiens, d’avoir grandi et multiplié sous le patronage des Malibran, des Rubini, des Tamburini, car, s’il fallait juger de la Sonnambula par l’exemplaire de la place du Châtelet, le procès serait vite fait. Quelle idée de Bellini doivent emporter de ces soirées les générations nouvelles ? Les œuvres du génie mériteraient, ce semble, plus d’égards. On aimerait à se figurer un poète appliquant son art à cette besogne et la mise en scène répondant au caractère simple à la fois et distingué de la traduction ; une distribution de choix, la fleur du panier : Mme Carvalho pour Amina, M. Faure pour le seigneur comte, pour Elvino M. Capoul. A défaut de l’original, on aurait du moins une copie honnête d’où la niaiserie et les contre-sens seraient exclus, un poème dans le goût de la musique, le style en français de l’Aminta du ’Tasse par exemple.

L’Opéra-Comique vient de reprendre l’Étoile du Nord. Meyerbeer avait écrit Vielka pour Jenny Lind et surtout pour le roi de Prusse ; il composa pour la France l’Étoile du Nord. S’il me fallait une preuve de plus de la faculté shakspearienne que possédait ce grand esprit de faire vivre un personnage, d’individualiser, le rôle de Peters me la fournirait. J’étudiais l’autre soir à ce point de vue le caractère musical. Quelle intelligence et quelle vigueur de touche dans les deux premiers actes ! Au troisième, le personnage faiblit, l’affreux Sarmate s’humanise, tourne au sentimental ; on surprend le maître en défaut d’inconséquence, il veut utiliser divers morceaux, d’ailleurs très réussis, de sa conception originelle, et, sans qu’il s’en aperçoive, la virtuosité musicale, si rare d’ailleurs dans la seconde manière de Meyerbeer, le détourne du vrai sens dramatique ; le personnage se fausse, de barbare il devient tendre, presque pleurard, et finit par s’évanouir en airs de flûte. Der alte Fritz ist floeten gegangen, disait-on à Berlin en plaisantant au sujet de cette dernière scène. Encore avec Frédéric la flûte avait sa raison d’être ; l’ami de Voltaire, on le sait, fut aussi l’élève de Quantz, et le plus fervent, le plus convaincu des élèves. « Quantz mène le roi, Mme Quantz mène son mari, le chien de Mme Quantz mène Mme Quantz, donc c’est le carlin de Mme Quantz qui gouverne la Prusse. » Le grand Frédéric ne désarmait pas ; jusque sur les champs de bataille, sa flûte l’accompagnait. Qu’au théâtre on utilise un pareille, c’est de droit, que dans un dénoûment où le vieux Fritz prend part sans se montrer, le petit air ou le grand air de flûte joue son rôle, à la bonne heure ; mais quels rapports peuvent exister entre un Pierre Ier de Russie et le bucolique instrument du virtuose de Sans-Souci ? En matière de dilettantisme, Pierre le Grand, comme on l’appelle, ne connut guère que l’ivrognerie ; faites-le converser avec la bouteille, et vous serez dans la vérité du héros, et cette vérité vous donnera la scène du second acte.

Entre l’admiration et le dégoût, si l’histoire hésite, Meyerbeer, lui, n’hésite pas ; il prend le barbare sur le fait et nous le montre là tel que l’Europe le connut dans ses voyages. Les souvenirs de son séjour à Berlin sont trop vivans pour n’avoir pas impressionné un peintre d’histoire comme l’auteur des Huguenots. Du soir au matin et de l’aube au coucher du soleil, le tsar Pierre était ivre ; il bâtonnait son confesseur, jetait ses gens par la fenêtre. Une princesse X.., devenue folle sous le fouet, donnait par sa présence un attrait de plus à l’orgie ; il la faisait s’asseoir à table, s’en amusait, jouait avec le pauvre être privé de raison, et trouvait du meilleur comique, de lui jeter au visage les morceaux restés sur son assiette. Caligula faisait, de son cheval un consul de Rome ; le tsar Pierre nommait pape son bouffon Suttof, et pour compléter, solenniser la dérision, on instituait cardinaux les plus francs buveurs d’eau-de-vie, à la personne desquels on attachait des conclavistes choisis parmi la fleur de l’ivrognerie moscovite et dûment travestis en dominicains, capucins, et bénédictins. Il y avait le palais du sacré-collège, où chaque membre avait sa cellule particulière ; on mangeait, buvait isolément, puis les portes s’entre-bâillaient, d’une loge à l’autre les communications s’établissaient, on s’apostrophait, se défiait bouteille en main ; aux pseudo-sacristains se mêlaient, courant, chantant, vagabondant, les prêtresses peu vêtues, et le tsar, déguisé en matelot, prêchait d’exemple.

L’ivresse faisait de lui un furieux, il écumait, trépignait. Dans une de ces bacchanales, on le vit tomber en convulsions (janvier 1725), et moins d’un mois après (6 février de la même année) il mourait dans le délire. Son médecin disait qu’il y avait en lui toute une légion de méchans diables, démons de cruauté, de goinfrerie, de luxure et le reste. L’incontinence en tout était son faible ; barbare, ivrogne, débauché, dès qu’il flairait le vin, le sang, il ne s’arrêtait plus. Lors du massacre des strelitz, il mit la main à l’œuvre, coupa des têtes. La nature, le sexe, peu lui importe ! Il condamne à mort l’aîné de ses fils, et c’est à peine s’il épargne ses filles au premier doute qui lui vient sur la fidélité de son ancienne maîtresse, plus tard sa femme, cette Catherine, la poétique héroïne de l’Opéra, l’Étoile du Nord ! « C’est un bon tyran, » disait M. Cousin d’un personnage de l’histoire ; Pierre le Grand fut un tyran de la pire espèce. A la férocité du Sarmate, il mariait les raffinemens diplomatiques, les astuces de ces monstres du bas-empire ; il avait la cruauté voluptueuse, et grattant le Cosaque, on trouvait le Commode et l’Héliogabale, fourbe jusque dans sa passion et sachant au besoin faire servir son ivrognerie à sa politique. Même avec la bouteille, il avait ses accommodemens, s’entendait à simuler l’ivresse pour surprendre la confiance d’un convive. On le croyait dans les vignes du Seigneur ; il y était, oui, mais comme le tigre dans sa jungle pour mieux guetter sa proie et l’égorger. — En 1717, deux ans après la mort de Louis XIV, il arrivait en France. Pour si glorieuse que fût la visite, le royaume et le régent s’en seraient bien passés. On touchait presque à la banqueroute ; l’heure n’avait rien de trop favorable aux prodigalités que ces déplacemens princiers occasionnent. Cependant une tête couronnée a droit à des égards traditionnels, même alors qu’on ne l’aurait pas invitée. Philippe d’Orléans savait trop son métier de prince pour ne pas faire honnêtement les choses. Il y eut réception à la frontière, bals, spectacle-gala, tout le train ordinaire. On festina surtout et de belle façon. Saint-Simon, qui pourtant avait pu voir fonctionner les grands virtuoses du genre, ne tarit pas sur cette goinfrerie du tsar ; laissons-le parler et peindre. « Ce qu’il buvait et mangeait en deux repas réglés est inconcevable, sans compter ce qu’il avalait de bière, de limonade et d’autres sortes de boissons entre ses repas, toute sa suite encore davantage ; une bouteille ou deux de bière, autant et quelquefois davantage de vin, des vins de liqueur après, à la fin du repas des eaux-de-vie préparées, chopine et quelquefois pinte ! » Quel dommage qu’à ces détails ne s’en mêlent pas d’autres qui seraient aujourd’hui d’un si curieux intérêt !

Comment, par exemple, Pierre le Grand passa-t-il sa première soirée à Paris ? Saint-Simon ne nous le dit point, et pourtant on aimerait à le savoir. Les têtes couronnées n’exercent pas seulement leur prestige sur le moment, la postérité se tourne aussi vers elles pour leur demander des sujets d’édification en morale, de grands exemples en matière de goût. Que fit l’autocrate moscovite ? A quel théâtre tout d’abord courut-il ? Sur ce point, les renseignemens nous manquent ; du moins l’avenir, sera plus heureux : le temps où nous vivons tient note de tout, et si les Saint-Simon sont plus rares, nul trait de mœurs ne passe inaperçu. À cette époque si décriée de la régence, le Théâtre-Français occupait dans la hiérarchie littéraire de notre pays une place à peu près égale à celle que nous attribuons aujourd’hui à si juste titre au théâtre des Variétés. On se plaît donc à se figurer, dans le silence de l’histoire, le tsar Pierre assis au Théâtre-Français et se faisant jouer Cinna ou le Misanthrope. Il est possible, tranchons le mot, que ce spectacle l’ennuie un peu, que sa rude oreille, faite au bruit des chantiers de Saardam, n’ait qu’un sens médiocre pour les sublimités et les élégances de ce beau langage ; mais le tsar connaît son métier de souverain, il sait que les rois et les empereurs ne sont point là pour s’amuser toujours, et cet instinct de l’étiquette, qu’on retrouve chez les princes même les plus barbares, lui dit que dans la France de Louis XIV Corneille, Racine et Molière doivent avoir le pas sur Tabarin.

Durant les trois mois que se prolongea le séjour à Paris du tsar Pierre, il y eut naturellement à l’Opéra gala-theater. Les souverains de tous les siècles ont fort goûté ces soirées d’apparat, qui leur procurent le double plaisir devoir et d’être vus, de jouir en même temps du spectacle à l’état objectif et subjectif. Je demande pardon de l’expression, quoique nous ayons encore assez de Prussiens à Paris pour qu’on puisse se le permettre. Cette fois néanmoins l’illustre visiteur ne se montra guère à son avantage. Pendant qu’il buvait dans sa loge, le Moscovite n’eut pas l’air de s’apercevoir que le régent, debout à son côté, tenait un plateau portant un verre de bière et une serviette. Une pareille inconvenance devant un parterre français, c’était raide, comme on dirait au Gymnase ; le public en prit de la mauvaise humeur. Quant à Saint-Simon, nous ne voyons pas que la chose l’ait autrement offusqué. Ce grand seigneur, si prompt à s’enflammer sur la moindre question de préséance lorsqu’il s’agit d’un fait personnel, ne trouve pas un mouvement, d’indignation à propos de cette impertinence calculée vis-à-vis d’un premier prince du sang, du régent de France. A la vérité, la façon dont il traite et pourtraict le tsar est en général médiocrement sympathique. « Les lèvres assez grosses, le teint rougeâtre et brun, le regard majestueux et gracieux quand il y prenait garde, sinon sévère et farouche, avec un tic qui ne revenait pas souvent, mais qui lui démontait les yeux et toute la physionomie, et qui donnait de la frayeur ; cela durait un moment avec un regard égaré et terrible. » C’est par ce côté farouche que Meyerbeer a pris le héros. L’affreux tic qui lui démontait le visage — dès l’introduction fait des siennes. La colère sombre et livide, çà et là des éclairs magnanimes noyés dans le vin et l’eau-de-vie : chopine et pinte, et tout à coup de cette ignoble orgie le héros s’éveillent au milieu des hourras et de la canonnade, des drapeaux qui se déploient et des tambours qui battent aux champs, Voilà pour les deux premiers actes. Le grand finale surtout est un chef-d’œuvre. Jamais l’art de gouverner des masses ne fut porté plus loin : « les tons, les modes différens s’accumulent, se superposent dans le travail de l’orchestre, des chœurs, des saxophones, des fifres, les uns en si bémol majeur, les autres en mi bémol, ceux-là en ré mineur, et tous marchant dans l’harmonie d’un magnifique ensemble. Les gens naïfs s’écrient : Produire de tels effets avec de si vastes moyens, quoi de plus facile ? Comment alors se fait-il que les autres musiciens n’y réussissent pas ? Verdi emploie les mêmes ressources dans don Carlos ; un seul orchestre ne lui suffisant point, il en met deux, et après ? Sans être un bien grand sorcier, M. Gounod sait son affaire ; que voyons-nous, qu’entendons-nous qu’il ait produit dans les fanfares nuptiales de son Roméo et Juliette ? Mener un grand vacarme avec des Saxophones, chacun le peut ; mais se mouvoir pendant la moitié d’un acte à travers les plus inextricables difficultés de la science, dans ce conflit extraordinaire de voix et d’instrumens ne pas perdre de vue une seconde le mouvement dramatique, le caractère des personnages, intéresser, entraîner le public par cette chose prestigieuse qu’on appelle l’effet et satisfaire du même coup le connaisseur, — ramener sous une même harmonie formidable, écrasante, la marche sacrée et le chœur du serment, la fanfare des cuivres et la marche des fifres, relever l’addition d’une main imperturbable, grouper, dynamiser tous ces chiffres dans un immense total organique, écrire en un mot le finale du second acte de l’Étoile du Nord, ce finale-maître, — là est la question, et pour la résoudre il faut se nommer Meyerbeer.

Au troisième acte, le tsar Pierre tourne au sentimental, roucoule des romances et s’évanouit en airs de flûte : dormitat Homerus. Soit que le temps lui ait manqué pour compléter son type, soit que l’influence énervante de Scribe le rappelle au genre, à l’opéra comique français, pour lequel en dernière analyse, ce vigoureux génie n’était point fait, Meyerbeer quitte la partie ; adieu l’histoire ! nous n’avons plus devant nous qu’un baryton. Autrefois, au temps de M. Faure, le public prenait le mal en patience. La virtuosité du chanteur, vous faisait oublier la défaillance du maître. On a compris que cette défaillance ne se trahit du reste que d’une façon toute relative et dans l’étude du caractère ; comme valeur musicale, rien n’est à dédaigner, pas même cette romance si parfaitement en désaccord avec le tempérament du personnage, mais dont la voix de M. Faure, déjà formée au style à cette époque, excellait à rendre, à phraser le motif. Je ne sais où j’ai lu dernièrement que ce morceau devait dans le principe figurer à l’entrée du quatrième acte des Huguenots, et fut supprimé aux répétitions. Si la chose est vraie, il n’y aurait plus à s’étonner du contresens. Valentine et Pierre Ier ne sauraient guère chanter sur le même air. Du reste Meyerbeer ne s’interdit jamais ces sortes de remaniemens. Pour peu que l’occasion s’en présentât, il reprenait son bien, utilisait ; — ses opéras-comiques abondent en exemples de ce genre. On sait l’anecdote que raconte le prince Poniatowski. Le prince chantonnait au piano des motifs dEmma di Resburgo. « Ah ! dit Meyerbeer légèrement interloqué, vous connaissez donc ces péchés de jeunesse ? Eh bien ! alors, cher confrère, puisque vous me jouez le mauvais tour de savoir par cœur mes opéras italiens, j’espère que vous ne vous scandaliserez pas trop haut en reconnaissant au passage les morceaux que j’ai fait resservir dans le Pardon ! »

Ce qui me gâte le troisième acte de l’Étoile du Nord, c’est justement ce trop industrieux rhabillage. Nous rentrons au camp de Silésie pour n’en plus sortir, et tout cela finit par un air de flûte. Qu’est devenu le barbare du nord, où le chercher ? Il a disparu dans la tempête du grand finale. Ainsi passent les majestés : des fanfares, des hourras, des canonnades, des illuminations et des feux d’artifice, puis rien, plus personne, un bruit de flûte dans le vide, un trille, une note perdue : e finita la musica, la farce est jouée. N’importe, c’est encore un fier ouvrage que celui-là. Si la cohésion manque, pièces et morceaux en sont bons.

L’Étoile du Nord fut représentée pour la première fois en février 1854, Des treize années qui viennent de passer sur elle, la musique de Meyerbeer semble n’avoir reçu aucune atteinte. Si cette vigoureuse partition reste debout avec ses grandeurs et ses défauts, son manque de proportion, d’où par instans beaucoup d’ennui résulte, et ses épisodes typiques, où le maître égale en pittoresque musical le tableau poétique du camp de Wallenstein dans Schiller, — on n’en peut dire autant de l’exécution, qui certes a rudement souffert. On n’a point oublié quelle fut cette distribution des premiers jours, où figurèrent tour à tour M. Charles Battaille et M. Faure dans le rôle du tsar, qui trouva ainsi dès le début, pour se produire sous son double aspect dramatique et vocal, un comédien intelligent et le jeune chanteur qui s’en est allé depuis à l’Académie impériale tenir si brillamment les promesses faites à l’Opéra-Comique. La voix de M. Faure a laissé là des souvenirs très vifs. On le regrette d’autant plus que cette fois le baryton eût rencontré un ténor digne de lui dans M. Capoul chantant Danilowitz. Que de belles choses jadis en relief et maintenant perdues ! Cette grande scène d’orgie sous la tente reste aujourd’hui sans effet ; je me demande ce que sont devenues ces phrases d’un tour si varié, si profond, où le maître, tantôt enjoué, tantôt pathétique, ramène l’idée de Catherine au plein de ce chaos bachique. M. Eugène Battaille, à qui les circonstances ont imposé ce rôle, n’en a ni la voix ni le mouvement ; il y manque absolument d’autorité. On pourrait aussi bien dire qu’il y manque de tout. Du côté des femmes, plus d’un vide s’est fait également qu’on n’a pas comblé. Dans ce joli rôle de Prascovia par exemple, comment ne pas songer à Mlle Lefebvre, comédienne d’un talent si délicat, si fin, qui savait donner son expression exquise à ce lied charmant du troisième acte, un bijou qu’à présent on remarque à peine ? L’étoile de cette reprise est encore Mme Cabel. Caroroline Duprez fut la première Catherine, puis vint Mme Cabel, puis Mme Ugalde. Des trois, Caroline Duprez fut celle qui rendit le mieux cette musique, posant et nuançant la phrase, cherchant le style qui s’y trouve. Sa voix alors déjà n’était qu’un souffle ; n’importe, ce souffle musical suffisait, et jamais l’admirable phrase de l’adieu à la fin du premier acte ne plana d’un vol plus libre au-dessus des harpes. Mme Cabel prend le rôle par ses petits côtés, on dirait une Déjazet ; mais l’agilité de sa voix reste ce qu’elle était, un phénomène. Au dénoûment, dans le combat qu’elle soutient avec la flûte, on peut s’attendre à des prodiges d’autant plus singuliers que l’art n’y contribue en rien. C’est une des curiosités de notre temps que cette voix, et en ce sens je la recommande aux amateurs de tous les pays attirés par l’exposition sur les terres de l’Opéra-Comique. Pour peu qu’on ait quelque habitude de l’art du chant, on aura remarqué que les voix les plus agiles sont presque toujours aussi les plus dépourvues de timbre et d’éclat, les longues études ayant pour inconvénient d’ôter sa fleur de sonorité à l’organe qu’elles assouplissent, C’étaient des voix très flexibles que celles de Mme Damoreau et de la Persiani, c’est une voix très flexible que celle de Mme Carvalho ; mais il faut convenir en même temps que ce n’est ni par la vibration ni par la franchise qu’elles ont jamais brillé. Chez Mme Cabel au contraire se trouvent réunies des qualités qui d’ordinaire semblent s’exclure, une souplesse, une agilité des plus rares, jointe à la plus agréable fraîcheur de timbre. Le temps ici, chose particulière, sans trop avoir épargné la femme, semblerait vouloir respecter la voix. — Somme toute, cette reprise de l’Étoile du Nord, telle qu’elle vient de se produire, offre encore mainte partie intéressante. Ainsi le côté musical du rôle de Danilowitz n’avait jamais été mis en lumière comme il l’est par M. Capoul, qui chante avec le goût et le style d’un Italien l’air ajouté à Londres pour Gardoni.

On a quelque peine à se figurer, en présence du mouvement extraordinaire auquel nous assistons chez nous en ce moment, qu’il puisse y avoir un public pour les théâtres des autres pays. À Londres cependant, la saison va son train de manière à faire croire que l’Angleterre n’est pas tout entière sur le continent. On joue Don Carlos à Covent-Garden : c’est un succès. La Lucca chante le rôle de la reine Elisabeth, M. Graziani celui du marquis de Posa, et M. Naudin, que l’Académie impériale a peut-être eu tort de laisser partir, prête au personnage du jeune prince sa voix et son talent, dont le chant italien double le charme. Quant à l’orchestre de M. Costa, c’est le premier orchestre du monde. Nous avons ici même, lors des premières représentations de l’Africaine à Londres, exposé les raisons de cette supériorité, qui paraîtrait grandir encore dans l’exécution du nouvel ouvrage de M. Verdi. Pour ne pas être en reste, Her Majesty’s fait débuter Mlle Nilsson dans la Traviata. Après le brindisi du premier acte, ce n’était plus un succès, c’était un triomphe. A Covent-Garden, Don Carlos sera immédiatement suivi de Roméo et Juliette, dont sans doute la Patti fera la fortune. Si d’autres en écrivant eurent les yeux fixés sur la postérité, M. Gounod compose beaucoup en vue de l’étranger, où se trouve ainsi sa base d’opération. Il se peut que les Marguerite et les Juliette soient rares à Paris, que les Faust et les Roméo n’abondent guère sur la place ; mais l’habile musicien sait bien que, tant qu’il y aura au monde une Allemagne, une Italie, ces types charmans et divins revivront. Derrière Mme Miolan, on pressent la Lucca, la Patti ; au-delà de M. Michot, on voit Naudin. Les Roméo étant de saison à Londres, Her Majesty’s voulait avoir le sien. Rien de plus facile. On avait sous la main les Amans de Vérone du marquis d’Ivry. Malheureusement la partition n’est pas tout entière instrumentée, et la concurrence ne sait pas attendre. Voilà une belle chance perdue pour un ouvrage à coup sûr digne d’intérêt. Je doute que l’occasion se représente ; dans tous les cas, on peut compter que ce ne sera point à Paris. Essayer les jeunes compositeurs, pourquoi faire ? Ne vaut-il pas mieux crier partout qu’il ne s’en forme plus ?

Renommée, ton nom est désuétude ! Un talent s’impose au public par l’ennui. On bâille, mais on écoute. Voyez le succès de Mignon. Avoir trente années durant lassé son monde à l’Opéra-Comique est le meilleur titre pour que l’Opéra vous recherche. Quand on manque de pain, il faut bien se nourrir de brioches. Est-ce donc vrai qu’il y ait disette à ce point ? Il semble que maint exemple prouverait le contraire. L’état met au concours la cantate de l’exposition, et tout aussitôt il pleut des cantates, Jusque-là rien que de très naturel ; ce qui l’est moins, c’est que dans le nombre les choses remarquables abondent. Sur près de deux cents pièces, le triage en a facilement dégagé une douzaine parmi lesquelles il n’y avait que l’embarras du choix. Restait à décerner le prix. Quatre de ces cantates sont mises par le jury hors de page ; quatre œuvres également supérieures à divers titres. L’une plus mélodique, l’autre plus savamment instrumentée, celle-ci écrite dans le goût de Haendel, celle-là d’un style tout moderne et qui, mieux appropriée à la voix, l’emporterait. On examine, on tient conseil, enfin la cantate à la manière de Haendel arrive première. Quel en sera l’auteur ? Ici l’émotion gagne les membres du jury ; c’est plus que de la curiosité, c’est du patriotisme. Sous tant de science, M. Auber flaire un Allemand, et son orgueil national s’en incommode. On brise le cachet, ô surprise ! l’œuvre est signée Camille Saint-Saens et tout le monde s’en réjouit, s’en étonne. Un coup du destin était nécessaire pour apprendre à ce public des théâtres et des concerts le nom d’un homme de talent qui depuis dix ans travaillait à se rendre célèbre sans y réussir. Avez-vous lu Baruch ? Il y en avait là qui versaient des larmes d’admiration sur une découverte qu’il n’eût tend qu’à eux de faire plus tôt. Voilà donc M. Saint-Saens tiré de son obscurité, il entre à dater d’aujourd’hui dans la catégorie des jeunes compositeurs qui donnent des espérances. Ce n’est pas encore tout à fait le paradis, mais ce sont les limbes. M. Auber comptait au moins quarante-cinq printemps lorsqu’on s’avisa de dire aussi qu’il donnait des espérances ! Si maintenant M. Saint-Saens parvient à faire quelque figure dans le monde, c’est un peu à son mérite et beaucoup à ce hasard qu’il le devra. Il passera dans la postérité, s’il y arrive, pour un des bons produits musicaux de l’exposition universelle de 1867.

Les concerts de Strauss resteront aussi dans ce souvenir. Entendre Beethoven et Mozart, Bach, Weber et Mendelssohn au milieu des féeries du Champ de Mars est un plaisir qu’on peut se dispenser de rêver, le songe des Mille et me Nuits se réalise. Vous êtes au fond de l’aquarium, parmi les poissons et les roseaux, causant avec la source d’Ingres au murmure de la cascade ; trois heures sonnent, quittez le monde souterrain, l’ouverture d'Egmont là-haut vous rappelle. Deux fois par jour ces concerts ont lieu ; Johann Strauss, avec sa furie viennoise, enlève la valse ; un Prussien, M. Bilse, conduit les morceaux de haute école, et l’orchestre sous ses deux chefs gagne la bataille. Ils sont là soixante musiciens, tous jeunes, vaillans, prompts à l’attaque, imperturbables dans l’action. Dire que des Allemands qu’un Strauss gouverne jouent à ravir des valses et des polkas, vanter leur aptitude merveilleuse à cet exercice, leur diabolique entrain, autant vaudrait s’extasier sur la vitesse d’un cheval de course. J’aime mieux observer cet orchestre exécutant de la grande musique. Dans le prélude de Bach, dans les variations de Beethoven pour les instrumens à cordes, c’est admirable. Une délicatesse, une précision, un art de nuancer exquis ! Et quelle intelligence, quel foyer ! On sent que ces gens-là jouent pour l’amour de Dieu et de la musique, comme travaillait le vieux Bach, qui, se mettant à la besogne, commençait par tracer ces trois lettres en tête de son papier réglé : S. D. G. (soli Deo gloria !). Ils ne connaissent point la fatigue, toujours à leur affaire qui les passionne, les inspire, toujours prêts à recommencer à vous servir au-delà de vos souhaits. En causant avec M. Bilse pendant un entr’acte, nous prononçons le nom de Mendelssohn. Il réfléchit un moment et nous répond : « Je regrette qu’il n’y ait rien de ce maître sur le programme d’aujourd’hui ; mais c’est égal, je vais vous jouer l’ouverture de Ruy-Blas. » Et aussi simplement que c’était dit, ce fut fait. Quand cet orchestre pèche, c’est par excès de zèle, sa furie l’emporte. Dans la Bénédiction des poignards, les mouvemens sont pris trop vite ; à la vérité, nous ne sommes pas au théâtre, et la tempête du crescendo menée ainsi vous électrise. Précieuse rencontre pour la diffusion des idées musicales qu’une pareille compagnie d’exécutans dont le répertoire embrasse tout : les ouvertures d’Auber et d’Hérold, que le Conservatoire, un peu pédant, ne daigne admettre, y tiennent galamment leur place à côté d’un fragment de symphonie, de l’Invitation à la valse, des ouvertures d’Egmont et de Coriolan, ces merveilles du génie humain ! Et dans les intervalles les valses, les polkas se croisent à l’aventure, enroulant de leurs vignes folles et de leurs festons l’harmonique architecture des maîtres.

L’Oie du Caire ! Pourquoi pas l’autruche ? Ce serait là un titre plus pittoresque et mieux dans les convenances du sujet auquel Mozart prêta sa musique de si bonne grâce. Cette oie en effet joue dans la pièce le rôle d’un cheval de Troie d’où s’élancent au dénoûment la femme et les enfans du seigneur don Beltram, une manière de vieux Cassandre en train d’épouser son Isabella. Tous ceux qui auront lu l’excellent ouvrage de docteur Otto Jahn sur Mozart connaissent l’histoire de cette ébauche de partition, et il ne nous coûterait guère de dépenser à ce propos une somme fort respectable d’érudition. Ouvrons le quatrième volume, nous y verrons que c’est vers la fin de 1783 que Mozart se mit à cette œuvre, c’est-à-dire au lendemain de l’Enlèvement au sérail et à la veille des Noces de Figaro, si bien à la veille qu’il ne tarda point à laisser là cette oie pour courir après l’oiseau bleu des jardins du château d’Aguas-Frescas, où Suzanne et Chérubin, sous les marronniers, l’attiraient, le charmaient. Au chanoine Varesco, librettiste de complaisance, déjà succédait da Ponte, un autre abbé, mais possédé celui-là du démon du théâtre, un dramaturge dans le bénitier. Après les Noces de Figaro Don Juan, après Don Juan la Flûte enchantée et le reste ; de l’aile et du pied, la pauvre oie eut beau s’escrimer, jamais plus elle ne rattrapa son maître. Mozart cependant avait un moment eu la chose à cœur. « Encore trois airs à composer, écrivait-il à son père (10 décembre 1783), et j’aurai terminé mon premier acte. Je suis très content de mon travail, jamais je n’ai rien fait de mieux. Je serais au désespoir, si une pareille musique devait rester sans emploi. » Des fragmens, des papiers, voilà donc tout ce qu’on possédait de cette partition, qui devait avoir trois actes. Rien d’achevé, une musique à l’état de projet, l’instrumentation à peine tracée. On conçoit quelle tâche ingrate c’était entreprendre que de vouloir porter l’ordre et la cohésion dans ces débris, grouper en un corps d’ouvrage ces monades dispersées à tous les vents des enchères publiques. Le poème d’abord à rétablir. Sur ce point, le public n’a plus de préjugés. Il en passe de telles, aux librettistes des théâtres de premier, second et troisième. ordre, que c’eût été aussi par trop singulier de ne pas le voir se montrer bon prince, aux Fantaisies-Parisiennes.

Dans l’adaptation de la musique se trouvait donc la difficulté. Instrumenter du Mozart, y songeait-on ? D’ailleurs ces morceaux mêmes ne pouvaient suffire. Le nombre en était trop restreint. On a dû recourir à d’autres ouvrages, butiner, pasticher, emprunter la première scène au Sposo deluso, le finale du premier acte à tel autre morceau écrit par Mozart vers cette même époque et intercalé par Bianchi, selon les usages du temps, dans la Villanella rapita. De là bien du décousu, de l’artifice ; de pareils travaux, si habile que soit la main qui les dirige, ont toujours leur inconvénient. On y sent le placage, la marque de fabrication à tout instant se laisse voir. Scénique au plus haut degré, la musique de Mozart se prête médiocrement à ces combinaisons tout italiennes. Ces ensembles dialogues, ces finales nés de la situation, de l’analyse des personnages, ne sauraient vivre en dehors du cadre naturel. L’exception tout au plus serait-elle admise pour quelques airs, quelques duos exquis, trésors de style, et qui alors réclameraient des exécutans de premier ordre. Quoi qu’il en soit, le spectacle a son intérêt, l’esprit de Mozart emplit la salle ; il semble qu’on débouche un flacon d’où s’exhalent les mélodiques essences qui tout à l’heure parfumeront les Noces de Figaro, Don Juan. C’est du Mozart et du meilleur. Vous souriez à batti batti, vous saluez au passage une phrase du futur sextuor de Don Juan. On se sent tout porté de sympathie pour un théâtre qui recherche de telles aventures. Avec des ressources fort modestes, mais intelligemment employées, les Fantaisies-Parisiennes ne se lassent pas de donner le bon exemple. Puisse le divin Mozart leur être favorable en ces jours d’abaissement où les tréteaux de Turlupin nous encombrent ! « Il est l’ami de Pascal, écrivait Mme de Sévigné, et il ne vient rien de là que de parfait. »


F. DE LAGENEVAIS.



ESSAIS ET NOTICES.

LES APPAREILS MÉTÉOROGRAPHIQUES.


Le dernier rapport de l’astronome royal d’Angleterre sur les travaux de l’observatoire de Greenwich se termine par une réflexion mélancolique. M, Airy déclare qu’il ne sait pas du tout s’il convient de continuer comme par le passé le système actuel des observations météorologiques. Cette question l’embarrasse, l’inquiète en présence des observatoires nouveaux que l’on voit surgir en Angleterre et en Amérique, qui tous emboîtent le pas derrière Greenwich, et qui commencent à publier des in-folio consciencieux remplis de chiffres qui ne prouvent rien et de résultats dont on n’aperçoit pas la portée. A quoi tout cela servira-t-il ? « Ce mouvement aura-t-il pour conséquence d’ajouter des millions d’observations inutiles aux millions qui existent déjà, ou peut-on s’attendre à la découverte de faits d’où se dégagera la théorie des phénomènes atmosphériques ? C’est ce qu’il est impossible de prévoir… « Rien ne semble encore indiquer la voie où se rencontrera la solution des grands problèmes de la météorologie. Les aborder du côté de la théorie pure serait chose prématurée (c’est toujours M. Airy qui parle) ; ce qu’il y a à faire pour le moment, c’est de coordonner les phénomènes, d’en chercher le lien intime par voie d’induction : cela exigera de nombreux essais, des tâtonnemens dans des directions très diverses, sans que rien promette une réussite prochaine. C’est comme la découverte d’un continent inconnu vers lequel nous guident la foi d’un Colomb et un vent propice.

Il y a parmi les hommes de science bon nombre de travailleurs dont le bonheur consiste à entasser chiffres sur chiffes sans qu’ils songent un seul instant à se demander ce qu’on pourra en faire. C’est là, il est vrai, une occupation aussi innocente que celle de cultiver des fleurs ou de collectionner des monnaies, mais il ne faut pas y chercher l’avenir de la science. Continuer d’enregistrer jour par jour la marche des phénomènes aériens suivant la vieille routine, c’est certainement perdre beaucoup de temps. Cela rappelle cette sentinelle qui pendant vingt ans monta la garde devant une porte murée, dans une rue déserte. C’est ainsi que, par habitude et pour se conformer à l’usage, on multiplie incessamment les observations de phénomènes qui n’ont au fond aucune signification précise, et dont la connaissance restera toujours stérile parce qu’on manque des données nécessaires pour les interpréter et les comprendre. Quelle conclusion, par exemple, tirer d’observations de la température faites à peu de distance du sol, une ou deux fois par jour, dans un endroit où le thermomètre est exposé à mille influences perturbatrices ? On aura beau observer pendant dix ans et prendre des moyennes, beaucoup de résultats inexacts ne donnent pas une moyenne exacte. La difficulté de déterminer à un moment donné la véritable température de l’air est même si grande, que, malgré les innombrables observations qui ont été publiées depuis tant d’années, on peut douter que le climat thermométrique soit connu d’une manière certaine pour un seul point du globe.

Les météorologistes se trouvent aujourd’hui débordés par les matériaux d’observations qui attendent une discussion approfondie pour devenir autre chose que des montagnes de chiffres ; l’étendue des calculs que nécessitent les recherches de ce genre et le peu de succès des tentatives qui ont été faites dans ce sens ont découragé les travailleurs, qui préfèrent une besogne plus restreinte et moins ingrate. La physique du globe les met aux prises avec un chaos de phénomènes d’une complication inextricable, tandis que la petite physique ou physique de chambre, s’il est permis de l’appeler ainsi, leur offre toute facilité d’étudier chaque phénomène sous ses différens aspects, dans les conditions simples d’une expérience de cabinet. Aussi savons-nous prévoir et expliquer les jeux de lumière les plus mirifiques dans un cristal, tandis que la couleur bleue du ciel est encore un sujet de controverses, et les effets d’une machine pneumatique n’embarrassent pas même un écolier, tandis que personne ne sait ce que c’est qu’un coup de vent. Cette ignorance où nous sommes toujours des lois fondamentales qui régissent les météores aériens fait que les observateurs ne savent pas trop de quel côté diriger leurs efforts. On note depuis longtemps la température, de l’air, la pression barométrique, l’humidité, la force et la direction des vents, l’aspect des nuages, etc., mais l’on commence à douter que ces élémens soient suffisans pour la recherche des grandes lois météorologiques. Faudra-t-il maintenant songer à se procurer d’autres données complémentaires ? Sera-t-il nécessaire d’observer régulièrement la radiation solaire, l’ozone, l’électricité atmosphérique, les étoiles filantes, ou de monter en ballon pour surveiller de près ce qui se passe au-dessus des nuages ? Ayant d’en venir là, il sera peut-être plus simple de tenter un dernier effort et de voir si l’insuccès du système généralement adopté ne tient pas surtout à la manière dont les observations sont faites. Presque partout on se contente de noter l’état des différens instrumens météorologiques à certaines heures de la journée, afin d’en déduire par le calcul l’état moyen des mêmes instrumens pour chaque jour, pour chaque mois et pour l’année entière, On arrive ainsi à se faire une idée superficielle du climat général de quelques points du globe, mais les petites oscillations qui agitent l’atmosphère dans le courant d’une journée et qui déterminent le temps proprement dit passent à peu près inaperçues. Pour les reconnaître, il faudrait surveiller les instrumens presque sans interruption, et cela ne peut se faire qu’en confiant le travail des observateurs à des machinas. Là est peut-être l’avenir de la météorologie.

Les machines, qui peu à peu, dans toutes les industries, se substituent à l’ouvrier et se chargent de tout ce qui est besogne mécanique, viendront aussi en aide à la science pour débarrasser l’observateur de la partie la plus fastidieuse de son travail. Nous les chargerons de voir et d’écrire pour nous, et elles feront leur devoir sans distraction et sans défaillance, comme ces farfadets qui autrefois achevaient en silence l’ouvrage des personnes qui savaient mériter leurs bonnes grâces. La photographie et l’électricité travailleront sous les ordres d’une horloge qui leur taillera la besogne et en surveillera l’exécution ; un peu d’huile à la lampe qui éclaire l’appareil optique, une provision d’acide dans la pile qui alimente le jeu des électro-aimans, voilà tout ce qu’il faut pour entretenir l’activité, de ces fidèles servans que l’homme s’est créés à son image. Qui ne voit, que l’emploi de ces observateurs automates doit nous mettre en possession de documens infiniment plus complets et plus importans que tout ce qu’on a pu obtenir jusqu’ici par des observations isolées, fragmentaires, et par-dessus tout fatigantes et insipides ? Les appareils enregistreurs sont en cela supérieurs à l’homme, que rien ne peut lasser leur zèle, que rien ne les rebute, que la monotonie est leur élément, et la régularité leur condition d’existence. Voilà un observateur qu’il suffit de monter en tournant une clé : il reste désormais à son poste, l’œil clair, la main ferme, jour et nuit, sans dormir, sans se plaindre de la chaleur ou du froid, sans s’abandonner à des rêveries, et ce qui est encore plus important, sans qu’il songe jamais à fabriquer des observations imaginaires qui le dispenseront de veiller. Parmi les documens météorologiques qui figurent sur les rayons des bibliothèques sous la forme de majestueux in-quarto, il y en a dont l’origine n’est pas exempte de toute suspicion : ainsi les invalides que l’on charge de noter l’état du temps dans les forts russes ne passent, pas en général pour des observateurs bien scrupuleux. Or on comprend combien l’existence de ces documens apocryphes doit embrouiller et entraver les recherches déjà si pénibles auxquelles sont condamnés les météorologistes.

Ce ne sont pas là les seules raisons qui doivent faire désirer l’emploi général des appareils enregistreurs : il est une dernière considération d’une importance vraiment très grande qui porte à en recommander l’introduction dans les observatoires. Une quantité énorme de documens déjà publiés est perdue pour le progrès de la science uniquement à cause de la confusion des mesures. Dans les tableaux météorologiques, le centimètre se heurte contre le pouce anglais, et l’ancien pied du roi contre la toise ; les degrés Fahrenheit alternent avec les degrés Réaumur, que les Allemands ont adoptés quand on retournait en France aux degrés centigrades ; la chaleur, l’humidité, le poids de l’atmosphère, la quantité de pluie tombée, tout cela se mesure de tant de manières différentes qu’il faut un certain courage pour dépouiller et confronter les documens publiés en différentes langues. Or l’introduction du nouveau système d’observations fournirait l’occasion propice de faire disparaître ce grand obstacle du progrès en établissant des échelles uniformes pour tous les instrumens dont les indications seraient désormais enregistrées d’une manière mécanique. Les phénomènes divers qui intéressent les météorologistes se trouveraient alors représentés par des courbes dont la signification serait immédiatement claire pour tous les yeux : un simple coup d’œil ferait reconnaître les variations de la température et de la pression barométrique, la rotation des vents, l’humidité changeante de l’air, les pluies qui ont arrosé le sol, l’évaporation qui les a ramenées aux nuages, et tous ces petits événemens dont l’ensemble produit le temps, sans calcul d’aucune sorte et sans conversion préalable d’un tableau numérique en mesures familières à celui qui le consulte. N’est-ce pas une admirable chose que de penser qu’on pourrait jour et nuit surveiller les météores aériens en des stations disséminées sur toute la surface du globe par le moyen de ces serviteurs fidèles et dociles qui s’appellent des machines ; qu’il suffirait d’en parcourir les rapports quotidiens, d’en confronter les écritures minutieuses et délicates, pour saisir le lien intime et l’influence réciproque des variations que le temps subit en chaque lieu ? Si l’on veut résoudre les grands problèmes, il faut recourir aux grands moyens. On se flatte aujourd’hui qu’on arrivera à prédire le temps ? mais l’insuccès des essais prématurés qui ont été tentés montre bien qu’il faudra d’abord réformer le système d’observation avant qu’on puisse songer à en tirer de si grands résultats.

L’idée de faire enregistrer les phénomènes naturels par des appareils automatiques préoccupe depuis longtemps un grand nombre de chercheurs, et beaucoup de moyens ont été non-seulement proposés, mais aussi appliqués, avec plus ou moins de bonheur. La photographie se prête avec une merveilleuse facilité à la réalisation d’appareils enregistreurs. À l’observatoire central de Kew, on obtient par ce moyen l’image fidèle des variations magnétiques. L’état du baromètre ou du thermomètre peut s’enregistrer de la même manière : une feuille de papier photographique défile lentement derrière l’instrument, qui est éclairé par la lumière d’une lampe ou d’un bec de gaz, et la hauteur variable de la colonne de mercure se peint exactement sur le papier à mesure qu’il se déroule ; l’appareil fait donc en quelque sorte le portrait du temps. Le baromètre et le thermomètre ainsi transformés s’appellent barographe et thermographe. On pourrait de la même façon enregistrer la quantité d’eau recueillie à la suite d’une pluie par le réservoir d’un ombromètre, ou l’abaissement du niveau dans un atmomètre, qui sert à observer l’évaporation. Des dispositions mécaniques faciles à imaginer permettraient d’appliquer ce système à la représentation graphique de la plupart des autres phénomènes : vent, humidité, radiation solaire, etc. Il est déjà en usage dans quelques observatoires anglais ainsi qu’à Lisbonne, où les indications des différens instrumens sont obtenues en regard sur la même feuille, et l’on peut s’étonner qu’il ne se soit pas généralisé davantage.

Bien avant l’invention de la photographie, on connaissait une foule de moyens propres à obtenir des instrumens météorologiques à indications continues, et il n’est en réalité rien de plus simple en principe, tant qu’on fait abstraction des difficultés pratiques qui séparent toujours un projet d’expérience de sa mise en œuvre. Ainsi, pour obtenir un thermographe, on n’aurait, ce semble, qu’à prendre un thermomètre de gros calibre, ouvert par le haut, et à poser sur le mercure un flotteur muni d’une tige verticale et d’un crayon qui, tout en suivant les fluctuations du mercure, laisserait une trace noire sur une feuille de carton qu’une horloge entraînerait dans une direction horizontale. Une disposition analogue s’appliquerait au baromètre ordinaire ; mais dans l’exécution on se heurte à des difficultés inattendues. Il vaut mieux alors recourir au thermomètre métallique et au baromètre à balance. Pour écrire la direction du vent, on attache un crayon à une girouette ; pour en mesurer la force ou la vitesse, on fait agir sur le crayon un ressort que le vent comprime, ou un moulinet qu’il fait tourner. On arrive au même résultat par mille combinaisons mécaniques différentes que l’emploi de l’électricité permet de simplifier d’une manière extraordinaire. L’électricité offre en outre le moyen de transmettre les indications d’un instrument à de grandes distances ; on peut ainsi, par exemple, enregistrer à terre l’état d’un thermomètre suspendu à un ballon captif.

Le météorographe électrique qui a été installé en 1860 par M. Salleron au dépôt de la marine à Paris, où il fonctionne depuis sept ans, inscrit sur un même tableau l’état du baromètre, du thermomètre, la pluie, la vitesse et la direction des vents. Le météorographe que le père Secchi a fait construire pour le collège romain des jésuites est un peu plus complet, mais aussi moins simple et bien plus coûteux ; on en voit à l’exposition universelle une copie exacte. Cet appareil, qui représente à lui seul un observatoire météorologique fonctionnant presque sans interruption et sans qu’on ait besoin de s’en occuper, inscrit automatiquement sur un tableau mobile la pression de l’air, la température, l’humidité atmosphérique, la vitesse et la direction des vents, l’heure de la pluie et la quantité d’eau tombée pendant la journée. On y voit une multitude de petits bras d’acier, munis de crayons, aller et venir sur une tablette qu’un mécanisme invisible fait descendre avec une vitesse uniforme. On dirait des gnomes faisant leur besogne avec un muet empressement. L’un est chargé de surveiller la chaleur qu’il fait au dehors : sans cesse il crayonne des signes bizarres à la place qui lui a été concédée ; quand la température est stationnaire, il remue à peine ; quand le soleil se couche et que l’air se refroidit, le petit dessinateur se retire du côté où se marque le froid ; quand le soleil revient et réchauffe la terre, le thermographe court du côté opposé pour y consigner scrupuleusement les flots de chaleur dont l’air est inondé. Les zigzags de ces dessins en apparence capricieux parlent un langage plus clair que celui des chiffres ; ils conservent à jamais l’image fidèle des circonstances atmosphériques qui ont caractérisé le temps dans le courant du jour, ils permettent de confronter un jour avec l’autre et de reconnaître ce qui est constant et invariable dans ce tourbillon général.

Le baromètre à balance que le père Secchi a choisi pour son météorographe est une invention de sir Samuel Morland que ce dernier présenta au roi Charles II vers la fin du XVIIe siècle. C’est un tube de fer qui est suspendu au fléau d’une balance et qui plonge dans une cuvette remplie de mercure. les oscillations du balancier indiquent les variations de la pression atmosphérique. Le thermographe du père Secchi est celui qui a été imaginé par Kreil, et dont on se servait autrefois à Vienne et à Kremsmunster. C’est un long et gros fil de cuivre tendu dans l’air libre et attaché par un bout à un levier coudé qui transmet chaque contraction et chaque dilatation de ce fil jusqu’à l’appareil enregistreur. L’anémographe, qui écrit la force du vent, est un moulinet de Robinson. Il est formé d’une croix horizontale dont les quatre bras portent quatre calottes creuses dans lesquelles le vent souffle comme dans les voiles d’un navire. Cet appareil est installé dans un lieu élevé et bien découvert ; son mouvement est transmis par un fil électrique à un rouage qui fait marcher le crayon affecté à l’enregistrement de la vitesse du vent. Pendant une heure, le crayon avance toujours d’un pas à chaque tour du moulinet ; la longueur de la ligne qu’il trace pendant ce temps représente à une échelle réduite le chemin parcouru par le vent. Au moment où l’heure sonne à l’horloge, le crayon se dégage et revient brusquement à sa place première pour recommencer sa course. Il trace ainsi vingt-quatre traits par jour ; le total fait rarement plus de trois cents milles marins (550 kilomètres) pour les vingt-quatre heures, ce qui représente une vitesse moyenne de 6 à 7 mètres par seconde. Un vent frais parcourt 10 mètres en une seconde, un ouragan 50 mètres et plus.

Pour enregistrer la direction du vent, on fait usage d’une simple girouette qui est en rapport alternatif avec un système de quatre électro-aimans correspondant aux quatre points cardinaux. Chacun de ces aimans commande un crayon spécial ; lorsque la girouette vise au nord, elle communique avec le premier crayon, quand elle tourne à l’est, avec le deuxième, et ainsi de suite ; le crayon trace alors une série de traits noirs sur le papier aussi longtemps que le vent souffle dans la même direction. C’est l’anémomètre enregistreur de M. Du Moncel.

Voici comment se mesure la pluie. L’eau qui tombe est recueillie par un entonnoir d’où elle coule dans une petite citerne. Quand le niveau monte dans ce réservoir, il soulève un flotteur qui agit sur un crayon. Un autre crayon marque sur la grande tablette du météorographe l’heure à laquelle la pluie est tombée ; il est mis en mouvement par un fil qui dépend d’une petite roue hydraulique placée sous une gouttière. Un dernier crayon est chargé de noter l’état d’humidité ou de sécheresse de l’air. Il est porté sur un chariot qui va et vient devant une tablette spéciale sur laquelle il trace une série de lignes noires parallèles dont l’explication nous entraînerait trop loin.

L’idée capitale qui a guidé le P. Secchi et qui nous paraît vraiment féconde, c’est de combiner les différens enregistreurs de manière que tous les crayons marchent de front sur la même tablette. les courbes qu’ils tracent se trouvent ainsi constamment rapprochées et un simple coup d’œil peut faire découvrir l’accord où le désaccord qui existe entre les variations simultanées des divers élémens météorologiques. La comparaison de ces courbes fera voir, par exemple, quelle influence les différens vents exercent sur la pression barométrique, de quelle façon l’état du baromètre annonce la pluie, comment la température varie avant, pendant et après une ondée, et mille autre rapprochemens de ce genre pourront être faits sans le moindre calcul et à vue d’œil. Ce sera véritablement voir à l’œuvre les forces naturelles et surprendre leurs plus secrètes combinaisons en les obligeant à tenir elles-mêmes leur journal. Sur la tablette du météorographe, un compte spécial est ouvert à la chaleur, un autre à l’humidité, un autre à chacun des quatre vents principaux ; ils viennent dicter leur doit et avoir chacun à son teneur de livres, qui s’empresse de tout marquer sur les registres. Au bout de quelques jours, on ouvre le météorographe, on enlève la tablette qui a été remplie et on la remplace par une tablette neuve sur laquelle seront consignées les circonstances atmosphériques des jours suivans. On forme ainsi sans peine et sans fatigue les archives du temps, et si on suivait le même procédé dans un grand nombre d’observatoires distribués sur la surface du globe, nous aurions bientôt l’histoire pittoresque de l’atmosphère en de gros volumes que l’on pourrait déposer dans quelque établissement central.

Le météorographe du Collège romain a déjà révélé plusieurs faits curieux parmi lesquels nous nous contenterons de citer le suivant. Pendant les pluies et les orages, le baromètre subit fréquemment des oscillations de très courte durée ; il tombe tout à coup de 5 ou 6 millimètres, puis remonte au bout de quelques minutes. On pourrait croire que ces dépressions momentanées ne sont qu’une illusion produite par une fluctuation accidentelle du baromètre à balance, mais le barographe d’Oxford, qui enregistre la pression atmosphérique par le moyen de la photographie, les montre aussi, il est donc hors de doute qu’elles ont une existence réelle.

Il y a sept ans que le père Secchi a établi son appareil enregistreur à l’observatoire du collège des jésuites à Rome. Depuis ce temps, il en a modifié la construction en y introduisant divers perfectionnemens dont l’expérience avait démontré l’opportunité. Il nous semble cependant qu’il reste encore beaucoup à faire. Ce qu’il faudrait trouver aujourd’hui, ce serait un système de météorographie assez simple pour qu’il pût être adopté par tous les observatoires. Ce serait peut-être en même temps le meilleur moyen d’introduire enfin dans la météorologie, — par la grande porte, — l’uniformité tant souhaitée des poids et mesures. Avec les nouveaux instrumens, le système métrique ferait son entrée en Allemagne, en Russie, en Angleterre, et les observations, plus complètes désormais et plus étendues, deviendraient en même temps plus comparables : ce serait une immense économie de travail.


R. RADAU.


L. BULOZ.