Chronique de la quinzaine - 30 juin 1842

Chronique no 245
30 juin 1842
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


Séparateur



30 juin 1842.


Le jour décisif approche, et la tranquillité générale n’est pas altérée. On n’aperçoit pas la moindre agitation politique dans le pays. Il s’élève par-ci par-là des débats personnels, des luttes d’individus ; il n’y a pas de combat sérieux, spontané, populaire, entre deux principes et deux politiques. Toute la question se réduit à savoir quel sera le chiffre exact de la majorité et de la minorité, car en réalité nul ne doute plus du résultat général. Le ministère aura la majorité. Il se donne même, disons-le, trop de peine pour l’augmenter, s’il est vrai qu’il encourage des palinodies, qu’il provoque des conversions qui, fussent-elles sérieuses, ne vaudraient pas la peine qu’elles auront donnée et les récompenses qu’elles attendent. Les chefs de division, administrateurs, directeurs, tous les fonctionnaires amovibles qui ne sont pas couverts de l’égide de député, agiront en bons pères de famille en se faisant assurer, si toutefois ils trouvent des compagnies qui osent se charger de pareils risques.

Cette considération est plus sérieuse qu’elle ne paraît l’être au premier abord. Plus on avance, et plus les fonctionnaires publics se persuadent, plus ils ont raison de se persuader qu’il n’y a pour eux de salut que dans la députation ; qu’hors de là il n’y a ni garantie de durée ni espoir fondé d’avancement régulier. Aussi voyons-nous les diverses administrations fournir à chaque crise électorale un nombre plus considérable de candidats à la députation. Des employés même secondaires se présentent en opposition aux hommes du gouvernement ; des fonctionnaires dont la présence est nécessaire dans les départemens, s’agitent pour avoir le droit de passer à Paris la plus grande partie de l’année. Toute idée de hiérarchie s’affaiblit de plus en plus ; pour parcourir avec succès une carrière honorable, on ne compte plus sur le travail et le dévouement, mais sur l’action des partis et les vicissitudes de la politique ; de même qu’on a tout à craindre, on ose tout espérer ; on ne songe plus aux affaires de l’état, mais à sa propre affaire ; c’est dans cette vue toute personnelle qu’on exerce tout ce qu’on possède d’influence et de pouvoir.

Certes nous ne sommes pas de ceux qui appellent de tous leurs vœux un vaste système d’incompatibilités. Il n’est pas moins vrai que rien ne serait plus propre à rendre ce système nécessaire et à lui concilier l’opinion générale que des choix qui désorganisent le service public et portent le trouble dans l’administration. Comment admettre qu’un ministre trouve au palais Bourbon des égaux et presque des supérieurs dans ses subordonnés, dans ces mêmes hommes qu’il doit pouvoir diriger, avertir, destituer ? Comment supposer, par exemple, qu’un proviseur viendrait passer à Paris, pendant plusieurs années de suite, tout juste les mois qui composent l’année scolaire ?

Quoi qu’il en soit, nous attendons avec une sorte d’impatience le terme de la lutte électorale. Lorsqu’une grande question politique n’agite pas le pays, que la victoire de l’administration paraît assurée et facile, le débat se trouve rapetissé ; les partis, voulant cependant faire quelque chose, s’abaissent jusqu’aux commérages, et nous fatiguent d’une petite guerre de personnes qui manque à la fois de vérité et de dignité. Les uns scrutent la vie privée des candidats, les autres rajeunissent de vieilles anecdotes, vraies ou fausses, dont le public est depuis long-temps rassasié. L’opposition reproche à un conservateur sa mauvaise orthographe ; les conservateurs cherchent dans la grammaire des armes pour frapper un libéral. On connaît l’insuffisance de ces moyens ; on sait très bien que messieurs les électeurs ne tiennent pas beaucoup aux délicatesses du langage et aux élégances du style épistolaire, qu’ils ne se laissent guère troubler par quelques consonnes de plus ou de moins et par quelques accens mal placés. Qu’importe ? Ce qu’on veut avant tout, c’est de faire un peu de peine à ses adversaires, c’est de leur rendre bien amer le calice de l’élection. Ce but est atteint. Le malheureux candidat en butte à ces attaques est dévoré pendant trois semaines de la fièvre électorale. Je ne sais si les médecins l’ont classée. Elle est intermittente, quotidienne ; les accès se renouvellent tous les matins vers sept heures, à la distribution journaux, et se terminent, le jour de l’élection, par une crise salutaire chez les élus, en une longue et pénible convalescence pour les candidats éconduits. Sans doute il y a là une source abondante de comique de bon aloi. Aussi, au milieu de beaucoup d’injures grossières et de diatribes dégoûtantes, serait-il facile de signaler dans la presse quotidienne des critiques, des portraits, des réfutations, des peintures que ne dédaigneraient pas Molière et Pascal. On se prend seulement à regretter que tant d’esprit et de talent s’appliquent à des hommes et à des choses que rien ne peut sauver de l’oubli ; c’est une véritable dissipation des trésors de l’intelligence.

Mais ce qu’on doit le plus déplorer de ces débats tout personnels, de cette polémique toute de récriminations et de chicanes, c’est la nécessité où se trouvent les combattans de s’adresser à tout ce qu’il y a de moins pur, de moins digne, de moins généreux dans cet alliage qu’on appelle la nature humaine. Ce ne sont pas les grandes et nobles passions de l’homme qu’on cherche à éveiller, mais nos instincts malveillans, nos penchans haineux, l’envie, la jalousie, la cupidité, la vengeance. Tout paraît licite en matière d’élections ; on ne s’efforce pas d’élever ses lecteurs, ses auditeurs ; c’est là une tentative difficile, douteuse ; il y a un moyen bien plus simple de réussir, c’est de descendre jusqu’à eux ; on aime mieux se rabaisser qu’échouer.

Écoutez M. Jacqueminot au milieu de ses électeurs. Certes M. Jacqueminot est un homme de sens et un homme de cœur. Il a fait ses preuves et sur les champs de bataille et dans la vie civile. La monarchie de juillet n’a pas de serviteur plus ferme et plus dévoué, et les électeurs du 1er  arrondissement trouvent en lui un mandataire énergique, un représentant fidèle de leurs opinions et de leurs sentimens. Rien n’annonce que la réélection de M. Jacqueminot puisse être le moins du monde douteuse. Dès-lors le candidat n’avait qu’à dire : Vous et moi, nous sommes toujours les mêmes ; vous trouverez en moi le même dévouement ; je vous demande la même confiance. C’est là tout ce que M. Jacqueminot aurait dit, si les circonstances eussent été graves, difficiles, si une pensée sérieuse eût plané sur l’assemblée électorale. L’orateur aurait alors, nous le pensons, cousu ensemble le premier et le dernier paragraphe de sa harangue, et ces deux phrases réunies auraient composé un digne et noble discours. Mais le ciel est serein ; nul n’aperçoit de nuages à l’horizon ; éligibles et électeurs, ils sont tous également sans crainte et sans soucis. Dès-lors ces phrases brèves et solennelles ne paraissent pas de saison ; on a du temps à perdre, des fantaisies à satisfaire ; les électeurs demandent un peu d’esprit, et les candidats font de leur mieux pour les contenter. Par malheur on oublie que parler un peu longuement avec esprit et à propos est chose difficile, surtout lorsqu’on n’est pas sous l’empire d’une forte pensée, lorsqu’on ne se sent pas inspiré par de graves circonstances. M. Jacqueminot n’a pas été heureux. Que nous importe de savoir si M. Jacqueminot prend ou non les ministres par le pan de leur habit ? Et pourquoi le beau-père de M. le ministre de l’intérieur s’empresse-t-il de dire aux électeurs qu’après tout M. Guizot n’est pas une maîtresse ? Toute question de goût à part, l’expression manquait de netteté, et pouvait être interprétée dans un sens peu conforme, nous le croyons, à la pensée de l’orateur. Et pourquoi dire aux électeurs qu’on a eu peur en 1840 ? Avec 900,000 baïonnettes françaises ! Mauvaise plaisanterie ! M. Jacqueminot n’a pas eu peur. Il le répéterait vingt fois, que nul ne le croirait. Aussi n’a-t-il pas gardé son sérieux en le disant, et les électeurs ont ri comme lui de ces étranges paroles. Ils auraient pu demander : De qui se moque-t-on ici ? Enfin, en parlant de la dotation, le candidat s’est encore fourvoyé. Tout ce qu’il a su trouver pour la justifier, c’est d’affirmer que la dotation aurait été dépensée à Paris. Pauvre raison ! M. Jacqueminot le sait bien, et en tout cas son gendre, M. Duchâtel, qui est du petit nombre d’hommes auxquels on peut sans rire décerner le titre d’économistes, lui aurait dit qu’une folle dépense ne serait pas moins folle pour être faite dans Paris. Quand on ne sait pas ou qu’on ne juge pas à propos d’énoncer les grosses et bonnes raisons, mieux vaut ne pas toucher aux questions monarchiques.

Mais baissons les premiers le rideau sur le drame électoral ; il ressemble trop à ces pièces dont on peut, dès le premier acte, prévoir le dénouement. Les conservateurs arriveront en majorité à la chambre ; les opinions extrêmes, hostiles à l’établissement de juillet, se trouveront probablement affaiblies, mais l’opposition constitutionnelle pourra, et par le nombre et par le talent de ses membres, exercer un contrôle actif et sévère sur la marche de l’administration. C’est un état de choses régulier. Nous le répétons : un affaiblissement excessif de l’opposition constitutionnelle serait un malheur.

La tâche du ministère paraît facile ou difficile, selon le point de vue où l’on se place pour l’envisager.

D’un côté, il n’y a plus de lutte sérieuse contre la monarchie de juillet et les institutions qui l’entourent et la consolident. Les conservateurs sont au pouvoir, et rien n’annonce qu’ils puissent de long-temps en être dépossédés. Le cabinet, tout composé de conservateurs, est en réalité l’expression de la situation, et dût-il s’élever quelques questions à son endroit, elles seraient des questions de personnes, nullement de système. Si les élections répondent à l’attente du gouvernement, rien de plus simple que notre situation politique ; la majorité et le cabinet n’auront qu’un seul et même drapeau, ils seront les représentans de la même pensée.

D’un autre côté, cette situation sera toute nouvelle. Pour la première fois, depuis 1830, un ministère verra se réunir une chambre nouvelle sans être obligé de se demander avec inquiétude quel est le système politique qu’il sera possible d’en faire sortir. Pour la première fois il se trouve en présence du parlement avec toutes les bases de nos institutions raffermies, avec une opinion publique calme, sérieuse et patiente, sans avoir à craindre l’anarchie dans les rues, la démagogie dans la chambre. Il est heureux de pouvoir gouverner le vaisseau de l’état et déployer les voiles, lorsque les tempêtes se sont apaisées et que la mer est rentrée dans ses limites naturelles.

C’est là à coup sûr une bonne fortune ; mais à l’instant même le pays et les chambres lui demanderont : Quels sont vos projets ? où nous proposez-vous d’aller ? dans quel but ? avec quelles espérances ?

Les cabinets qui gouvernaient pendant la tempête pouvaient louvoyer. Le pays leur savait quelque gré de leur prudence courageuse et de leur hardiesse contenue. Éviter un naufrage, c’était alors le but principal. On songeait à la défense plus qu’à l’action ; gouverner, c’était ne pas périr. Le gouvernement était d’autant plus difficile que les hommes se trouvaient eux-mêmes enveloppés, pour ainsi dire, dans les questions du jour, et qu’ils travaillaient incessamment à défendre avec la chose publique leurs personnes et leur situation politique. Aujourd’hui, par cela même que l’orage a cessé de gronder, que les fondemens de notre système sont consolidés, qu’il n’y a plus de raison de craindre des débats révolutionnaires au sein du parlement et des batailles dans les rues, la situation des gouvernans s’est améliorée et simplifiée comme celles affaires publiques. Le jeu des ressorts politiques est régulier ; le cabinet est moins exposé que tous ceux qui l’ont précédé à de brusques changemens de scène, à des péripéties inattendues, à des évènemens imprévus. La majorité, surtout si elle n’est pas trop nombreuse, trop forte, trop sûre d’elle-même, acceptera sans répugnance la direction de ses chefs éprouvés : elle se pliera à la discipline parlementaire autant que nos mœurs, notre caractère et nos habitudes le permettront ; mais sa docilité ne sera cependant que conditionnelle. Elle ne voudra pas rester dans l’inaction et piétiner sur place, sans autre résultat que l’existence politique des ministres et la gloriole d’un parti. La majorité demandera un gouvernement sérieux, une administration efficace, une vie régulière sans doute, mais réelle, active, animée. Tout ministère qui ne remplirait pas ces vœux ne tarderait pas à être frappé au cœur. Il aurait méconnu les conditions de notre temps.

Maintenant ces vœux sont-ils faciles à remplir ? Ce serait une étrange illusion que de le croire. On ne sort pas de l’état révolutionnaire prédisposés à l’ordre, à la règle, au respect de la loi, des formes, de la hiérarchie, aux entreprises modestes, aux travaux de longue haleine. Nous avons tous de l’impatience, du décousu, du scepticisme et de la témérité dans l’esprit ; l’obéissance nous déplaît, le commandement nous effraie, les voies régulières nous fatiguent, le travail nous dégoûte, nous sommes tour à tour hardis et pusillanimes, imprudens et méticuleux. Que de légèreté dans les actes les plus graves de la part d’hommes sérieux ! Il nous serait trop facile d’en citer maints exemples. Hélas ! ce serait à coup sûr sans esprit de satire, car qui serait assez effronté pour jeter la première pierre ? La vieillesse s’effraie de toutes choses sous l’influence tyrannique de ses terribles souvenirs. La jeunesse est plus que jamais confiante en elle-même et orgueilleuse jusqu’au ridicule. Le lien qui doit unir les deux générations dans l’intérêt de l’une et de l’autre, ce lien qui communique à l’un de la vigueur, à l’autre de l’expérience, s’il n’est pas brisé, est très relâché. Cet état des esprits (et la peinture que nous venons d’ébaucher est loin d’être complète) ne laisse pas que d’être pour le gouvernement un obstacle et un péril. Il serait injuste d’exiger qu’il surmonte toutes ces difficultés du premier coup ; mais on a le droit de lui demander de mettre la main à l’œuvre sans plus de retard. C’est par une action constante, et qui peu à peu deviendra régulière, que l’état des esprits s’amendera, que les uns retrouveront plus de courage et les autres plus de modération. Mais lorsque nous parlons d’action, nous ne songeons pas seulement aux intérêts matériels de la société, nous songeons avant tout à ses intérêts moraux. Nous ne sommes pas de ceux qui voudraient traiter les hommes comme des pièces de calicot et des barres de fer. Tout en reconnaissant que la prospérité matérielle seconde indirectement le développement des intérêts moraux, nous n’en sommes pas moins convaincus que ces intérêts doivent avoir leur part d’influence directe, et que tout gouvernement qui paraîtrait les oublier dans ses projets finirait par blesser profondément le sentiment national.

Les nouvelles de l’Algérie deviennent de plus en plus rassurantes pour le succès de nos armes et la consolidation de notre conquête. Un grand nombre de tribus acceptent la souveraineté de la France ; c’est encore un résultat que nous devons à l’infatigable activité et à la brillante bravoure de nos soldats. Le combat livré par le commandant Bisson mérite d’être ajouté aux plus belles pages de notre histoire militaire. Il n’est pas moins vrai que nous nous trouvons lancés dans un système qui nous imposera pendant long-temps encore de grands sacrifices, et qui, malgré toutes les protestations et tous les sermens des Arabes, s’écroulerait demain, si nous ralentissions nos efforts, si nous manquions un instant de suite, de persévérance, d’énergie. Nous concevons que des hommes politiques de toutes les opinions, prévoyant les conséquences que la conquête devait avoir et pour nos finances et pour la distribution de nos forces militaires, aient pu s’en effrayer et regretter cet emploi, si long-temps stérile, de la puissance française ; mais, au point où nous en sommes, ces craintes et ces regrets ne sont plus de saison. L’Algérie est une conquête que nous ne pouvons pas abandonner. Dès-lors toute demi-mesure serait une faute. Pourquoi flotter entre deux systèmes, dont l’un est impossible, tandis que l’autre est désormais nécessaire ? L’Afrique est notre principal lot en fait de colonies. Le sort aurait pu nous traiter beaucoup mieux. Tel qu’il est, ce lot, nous devons franchement l’accepter, et ne rien négliger pour en tirer un bon parti. La puissance d’Abd-el-Kader paraît à son déclin ; Maroc redoute notre puissance ; les indigènes se soumettent, nos auxiliaires se multiplient ; bientôt il sera possible d’établir quelques relations commerciales entre l’Afrique française et la France. Ce sont là des faits heureux, des faits qu’une colonisation régulière et intelligente pourrait étendre et affermir. Mais ce point capital, la colonisation, n’est jusqu’ici qu’un projet, un travail de commission. De médiocres colonies sur le terrain vaudraient mieux que de savans projets sur le papier. Nous ne voudrions pas qu’on fût trop préoccupé, en Afrique, d’expéditions et de combats, en France de savantes combinaisons et de projets compliqués.

L’ordonnance sur les lins a paru : le droit à l’importation est plus que doublé. C’est dire qu’un nouveau pas, un pas énorme, a été fait dans le système prohibitif, dans ce système artificiel qui prépare tant d’embarras et de si funestes crises à l’Europe. Tout a été dit sur la mesure considérée en elle-même, au point de vue économique. C’est un impôt levé au profit d’une poignée de producteurs sur tous les consommateurs et sur ceux qui produisent les denrées qui servaient à l’échange des fils de lin. C’est là une vérité élémentaire que ne peuvent obscurcir les sophismes et les déclamations de l’esprit de parti et de l’intérêt personnel. Maintenant ferons-nous au cabinet un reproche de l’ordonnance qu’il a rendue ? Nullement. Il n’y a pas de ministère qui, les circonstances étant données, eût pu résister à cette demande. La résistance aurait été une faute grave. L’opinion publique sur cette question aurait été pervertie avec une facilité déplorable, mais irrésistible. Mieux vaut faire gagner quelque argent à quelques producteurs malhabiles que de jeter dans le pays des causes de perturbation et fournir des alimens à l’esprit de parti.

Il faut espérer en même temps, et nous savons gré au gouvernement de ses démarches à ce sujet, il faut espérer que l’ordonnance sur les lins donnera une solution prompte et satisfaisante au problème de nos relations commerciales avec la Belgique. Nous avons intérêt à voir notre marché s’agrandir, et la Belgique a besoin de ne pas étouffer. Le moment est arrivé pour elle de faire un premier pas dans la seule voie qui puisse lui ouvrir un brillant avenir. Nous nous consolerons quelque peu de notre pas rétrograde, s’il devient l’occasion d’un rapprochement commercial avec l’un de nos voisins.

Le nouveau cabinet espagnol paraît décidé à défendre l’ordre, la monarchie et la constitution. On dirait que Rodil aspire à devenir le Casimir Périer de l’Espagne. Il nous est plus facile de l’accompagner de nos vœux que de nos espérances. Toute comparaison de personnes à part, Rodil ne trouve pas en Espagne les souvenirs, les précédens, l’organisation morale et politique que Périer trouvait en France. En France, une révolution proprement dite est impossible par la meilleure des raisons, c’est que la révolution est faite, consommée, parachevée ; c’est que cinq millions de familles plus ou moins intéressées à la propriété foncière opposeront toujours aux agitateurs une barrière infranchissable. Les hommes peuvent sans doute quelque chose, par le caractère plus encore que par l’esprit et par l’intelligence ; mais leur puissance est toujours limitée : ils peuvent employer plus ou moins utilement les moyens qui sont à leur portée, ils ne peuvent en créer. Quoi qu’il en soit, une politique ferme et modérée est en effet la seule qui convienne à l’Espagne. Les projets de ses révolutionnaires ne sont que de serviles imitations, des utopies en parfait désaccord avec les précédens du pays.

La diète suisse va bientôt reprendre le cours de ses séances. La question des couvens de l’Argovie y reparaîtra plus ardente encore et plus compliquée. Nous espérons peu de voir la diète trancher enfin les différends qui divisent les cantons. La Suisse est atteinte, dans sa vie politique, d’une maladie dont rien n’annonce le terme. Dieu veuille qu’elle ne soit pas frappée au cœur ! Il est une pensée qui devrait toujours dominer dans les délibérations de la Suisse : c’est que rien n’est plus humiliant et plus funeste pour un état que l’intervention de l’étranger, et que dans ce temps-ci les états secondaires n’ont qu’un moyen d’échapper à la dictature des grandes puissances ; c’est de faire eux-mêmes leurs affaires promptement, sans trop de bruit. L’union est le seul moyen de salut pour la Suisse.