Chronique de la quinzaine - 14 juin 1842

Chronique no 244
14 juin 1842
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 juin 1842.


La session est close, la chambre est dissoute, les colléges électoraux sont convoqués pour le 9 juillet prochain, et les chambres se réuniront le 3 août. C’est une période politique qui vient d’accomplir sa révolution ; une période nouvelle va s’ouvrir. Les deux périodes auront-elles les mêmes caractères, les mêmes tendances, les mêmes résultats ?

Les origines des deux chambres électives, de la chambre qui vient d’expirer et de celle qui doit bientôt lui succéder, ne seront certes pas les mêmes. Issue de la coalition, enfant chétif et revêche d’une mère malheureuse, la chambre de 1839 n’a su ni la renier ni l’aimer. Elle a accepté tous les ministères qu’on lui a présentés ; à tous elle a donné des hommes, de l’argent, des votes de confiance ; elle n’a trouvé des sévérités dédaigneuses que pour cet honnête cabinet du 12 mai, qui certes ne les méritait pas. C’est pourtant ce cabinet qu’elle fit étrangler entre deux portes par des muets ; l’expression est reçue. Chambre éminemment monarchique, c’est pour le punir d’une proposition monarchique qu’elle décréta de mort ce ministère. Chambre fort timorée, elle suivait sans regimber les allures vives et hardies du cabinet du1er mars. Chambre très pacifique et tout éprise de nos intérêts matériels, elle a cependant voté les fortifications commencées par M. Thiers, empêché la ratification d’un traité, et forcé le ministère du 29 octobre à recevoir des fonds pour des armemens dont il ne se souciait pas le moins du monde. Ainsi il n’y a pas d’opinion, pas de parti qui ne puisse dire quelque bien de cette chambre ou en faire la critique : car, mélange de bien et de mal, de force et de faiblesse, de nobles sentimens et de timides prévisions, elle ne s’est pas élevée au-dessus de la condition commune ; elle a été une représentation fidèle de notre pauvre humanité.

Par son origine, la chambre se trouva dès son début sans direction et sans chefs. Le jour où il fut prouvé que la coalition ne pouvait pas enfanter un ministère, il fut clair pour tout le monde que tous les efforts des coalisés n’avaient abouti qu’à un grand avortement politique. En se séparant, deux hommes d’état, M. Thiers et M. Guizot, brisaient leur œuvre ; ils s’affaiblissaient et se rapetissaient à plaisir, et, pour ne pas se fermer toute carrière politique, ils se trouvaient dans la nécessité d’aller offrir leur talent, l’un à l’armée de la gauche, l’autre à l’armée de la droite, et de prendre le commandement de troupes qui ne leur étaient dévouées que sous réserve, et dont ils ne partageaient pas les opinions dans tout ce qu’elles peuvent avoir d’extrême et d’absolu. M. Thiers est avant tout homme de gouvernement, et les factieux n’ont jamais rencontré d’adversaire plus résolu et plus redoutable. M. Guizot est un ami de la liberté, il l’a défendue toute sa vie, et il la défendrait demain si elle était sérieusement menacée. Les hommes de parti ont beau répéter tous les jours que M. Thiers est un révolutionnaire et M. Guizot un contre-révolutionnaire, il n’y a pas d’homme impartial et sérieux qui ajoute foi à ces diatribes.

Ce qui est vrai, c’est que ces deux hommes éminens ont commis une faute grave en 1839 ; qu’il fallait ne pas s’engager dans la coalition ou en poursuivre ensemble les résultats ; qu’en se séparant, ils ont anéanti leur œuvre sans profit, et décapité, si on peut le dire, la chambre qui en était le produit. C’est de ce jour que la chambre n’a pu avoir d’ensemble, d’unité, disjecta membra. La majorité ne se ralliait pas à la voix de ses chefs, autour d’un drapeau ; elle se ralliait dans les cas de nécessité à la voix du gouvernement, parce qu’il était gouvernement, — pour les besoins du gouvernement, quel que fût d’ailleurs le ministère. Hors de là, lorsque d’impérieuses nécesités ne pesaient pas sur elle, lorsqu’elle ne craignait pas de compromettre la chose publique, tout lui paraissait permis, le doute, l’incertitude, la mauvaise humeur, les rapides changemens d’opinion, l’omnipotence parlementaire. Cette tendance naturelle des assemblées délibérantes dans les pays démocratiques à se fractionner de plus en plus, à repousser toute discipline et à ne jamais sacrifier la pensée individuelle à une pensée commune, tendance que l’intime union des chefs pouvait seule corriger et contenir, cette tendance, dis-je, ne pouvait que se développer par leur désunion. La chambre a été ce qu’elle devait être d’après les faits qui en ont marqué la naissance et les débuts. Il serait injuste de lui reprocher une faiblesse qu’elle ne pouvait pas ne pas avoir dès le moment qu’en lui enlevant M. Molé, on ne lui donnait pas les chefs coalisés. En déchirant le drapeau commun, la gauche, le centre gauche et le centre droit coalisés reprenaient chacun leur bannière ; il n’y avait plus ni unité, ni force, et la faute n’en était pas à la chambre. On doit au contraire s’étonner de tout ce qu’elle a fait d’utile et de sensé, et reconnaître comme une marque honorable des progrès de notre temps cet accord de tant d’intelligences et de volontés isolées pour toutes les mesures que réclamaient la stabilité de nos institutions et la marche régulière de notre administration.

La chambre nouvelle n’aura pas les mêmes origines ; il n’est plus aujourd’hui de coalition proprement dite. Chacun garde son rang, chacun garde son drapeau. La question est nettement posée entre la gauche et les conservateurs, entre l’opposition et le gouvernement. Sans doute la gauche cherchera des auxiliaires et en trouvera peut-être dans les rangs qui l’avoisinent ; mais la direction suprême de l’armée anti-ministérielle lui appartient : c’est en son nom, c’est au nom de ses doctrines, que le combat va être livré. La gauche ne jouant pas cette fois le rôle quelque peu secondaire qu’elle joua du temps de la coalition, c’est à M. Odilon Barrot que revient l’honneur du commandement en chef.

Cette situation franche et nette ne laisse pas, il est vrai, que d’avoir ses inconvéniens et de présenter de graves difficultés. En suivant le drapeau de la gauche, les hommes intermédiaires s’engagent peut-être au-delà de leurs pensées, de leurs vœux, de leurs projets ; ils prennent une position trop avancée dans ce moment, embarrassante pour l’avenir. La gauche aime les positions nettes et franchement dessinées ; à ne songer qu’à ses intérêts et à sa dignité, elle a toute raison. D’un autre côté, le parti gouvernemental crie à tue-tête que quiconque n’est pas avec lui est contre lui, que l’opposition du centre gauche ne se distingue guère de l’extrême gauche, qu’elle aussi veut perpétuer la révolution, gouverner au bruit de la Marseillaise, déchirer les traités de 1815, défier l’Europe entière et recommencer la grande guerre. Bref, les conservateurs aussi aspirent à se fortifier en se purifiant. Entre ces deux opinions tranchées qui tiendront aux électeurs un langage net et clair, ce gros langage qui seul est promptement saisi et parfaitement compris des masses, que feront les opinions intermédiaires avec leurs nuances, leurs réticences, leurs distinctions, leurs réserves ?

Nous n’avons pas de conseils à donner, mais nous avons le droit d’exprimer un vœu, et ce vœu, nous l’exprimons plus encore dans l’intérêt du pays que dans l’intérêt des personnes. Nous désirons vivement que chacun reste scrupuleusement dans le vrai, qu’il ne modifie ni par la parole ni par un silence éloquent sa position, ses principes, sa pensée, uniquement en vue de quelques succès électoraux. Toute considération morale à part, c’est là se préparer de graves difficultés pour peu de chose. Il y a au fond plus de sérieux dans le cœur humain et dans les sentimens du public qu’on ne le pense, et se montrer ce qu’on est réellement n’est pas seulement chose honnête, c’est de l’habileté.

Cette remarque s’applique à tout le monde. Ajoutons cependant qu’au point de vue de la politique, nous n’attachons aucun prix à tout ce qu’on a dit des transformations, vraies ou supposées, sincères ou simulées, d’une partie de l’extrême droite. Que ces faits existent ou n’existent pas, peu nous importent ces discussions et ces querelles. Qui ne sait que c’est là un parti qui finira par se rallier au gouvernement, et grossir les rangs des conservateurs ? Qu’importe au pays qu’il y entre un an plus tôt ou un an plus tard ? qu’il y entre la tête haute et par gros détachemens, ou qu’il s’y glisse adroitement et homme à homme ? Évidemment, nul ne peut condamner les légitimistes à devenir de gaieté de cœur les parias de notre société politique. Leurs rêves se dissipent tous les jours. Ils savent bien qu’ils n’ont pas de force propre, et que l’Europe ne pense pas plus à eux qu’elle ne pense à quelques jacobites qu’on trouverait peut-être encore dans quelque coin de l’Angleterre. Ils comptaient avant tout, il faut le dire, sur les folies de la révolution de juillet ; loin d’invoquer l’étranger, ils espéraient voir le monstre se dévorer lui-même, et la France les appeler au secours. On ne peut compter sur rien aujourd’hui, pas même sur les folies des révolutionnaires. La révolution de 1830 a été d’une sagesse désespérante ; la France est tranquille ; la France est prospère, et, loin de rappeler la vieille dynastie, à peine se souvient-t-elle de l’avoir expulsée. En attendant, quelque respectables que soient les scrupules des vieux serviteurs de la branche aînée, une nouvelle génération s’avance, jeune, riche, formée d’hommes doués tous de quelque instruction et plusieurs d’une instruction approfondie. Que peut-elle devenir ? Doit-elle borner son activité à la chasse et aux courses de chevaux ? Doit-elle accoutumer le pays à un complet oubli de ses noms historiques dans la haute administration et dans l’armée ? Non ; ce serait là un suicide à la fois si coupable et si ridicule, qu’on ne peut pas craindre sérieusement de le voir s’accomplir. Mais encore une fois, que leur adhésion au vœu national soit ou non prochaine, qu’elle soit directe ou indirecte, peu importe au pays : la révolution de juillet les accueillera sans doute dans ses rangs ; mais ils sont seuls intéressés à un prompt retour. S’ils simulaient dans les colléges électoraux des sentimens qu’ils n’auraient pas, s’ils demandaient appui au gouvernement sans en reconnaître la légitimité, on aurait certes le droit de déverser sur eux le blâme le plus sévère. Si, au contraire, ils se rallient sincèrement à la cause du pays, à la révolution de juillet, s’ils en acceptent de cœur et d’ame la dynastie, les institutions, les lois, nul n’a le droit de les blâmer. Des Français qui rentrent au bercail, qui mettent fin à une opposition illégitime, qui ne déchirent plus le sein de la patrie par de tristes divisions, ne mentent point à leur conscience, ils ne violent pas leur serment ; ils remplissent un devoir sacré, comme les Français qui abandonnaient la ligue et sa fausse légitimité pour se rallier au trône d’Henri IV.

Ceux qui se prépareraient des embarras ne seraient pas les légitimistes qui, en se ralliant, feraient ce que la religion, la morale et les lois leur commandent de faire, mais ceux qui, dans la lutte électorale, contracteraient des alliances monstrueuses avec des opinions qu’ils abhorrent, ceux qui s’efforceraient d’appeler au sein de la chambre les mêmes hommes auxquels, s’ils étaient les maîtres, ils croiraient devoir arracher jusqu’à la moindre parcelle de pouvoir.

Quoi qu’il en soit, l’arène est ouverte, et chaque parti se prépare au combat. Disons-le toutefois, on s’y prépare sans empressement, sans ardeur. Il n’y a point dans le pays de véritable agitation électorale. Ôtez les journaux, les candidats et quelques faiseurs officiels ou non officiels ; tout est calme, froid, indifférent. Il n’y a pas une question, pas un intérêt qui remue profondément le pays. C’est un débat qui va se vider dans l’étroite enceinte de la politique proprement dite. À peine si, hors des colléges électoraux, il y aura quelque curiosité.

Il n’est pas moins vrai que les candidats, leurs amis et leurs adversaires, leurs prôneurs et leurs détracteurs, s’efforcent d’animer la lutte et de la rendre quelque peu dramatique. La presse nous informe tous les jours des moindres incidens ; ces informations deviendront de plus en plus vives et nombreuses. Lisez seulement, et rien ne vous échappera de tout ce qui se passe de comique et de sérieux dans cette vaste arène.

Et d’abord voici un prodige des plus divertissans. Avec quelques hommes considérables et sérieux, une bande de pygmées se présente à l’entrée ; mais, comme on n’est admis qu’avec une certaine taille, la presse de tous les partis, armée d’un énorme soufflet, sue sang et eau pour grossir et grandir ces candidats. Ses efforts ne sont pas vains ; la transformation est complète. De grands orateurs, de grands publicistes, de grands administrateurs, économistes, jurisconsultes, savans, bref de grands citoyens, de grands réformateurs en tout genre, sont fabriqués en un clin d’œil pour le service électoral. Ajoutez que, parmi ces grands hommes, il y en aura d’une telle modestie, qu’ils n’ouvriront pas la bouche pendant toute la législature. Ceux-là seront à la fois de grands et vertueux citoyens.

La contre-partie est moins gaie. Elle se compose d’invectives, de dénigremens, d’insinuations malveillantes qui pleuvent de toutes parts contre de malheureux candidats ; la candidature devient pour eux une sorte de carcan, libre toutefois à chacun d’eux d’entretenir cette lutte ignoble en ramassant toutes ces ordures pour les rejeter à la face de l’adversaire.

Ces tristes moyens ne nous sont pas particuliers. L’Angleterre nous en a donné l’exemple et nous dépasse. Elle y ajoute une corruption pécuniaire qui a pénétré dans les mœurs, et que l’on ne peut réprimer.

En présence de tous ces faits, on est tenté de se demander : qu’est donc ce gouvernement qui paraît, par ses formes, autoriser ou du moins excuser l’intrigue, la médisance, le mensonge, peut-être même la corruption et la calomnie ? Ne serait-ce pas en effet un rêve d’utopiste que de se représenter un grand pays où les élections à la législature se passeraient avec une parfaite sincérité une parfaite loyauté, une parfaite bonhomie ?

Sans doute ce serait là un rêve ; mais ce qui ne l’est pas, c’est que, malgré ces inconvéniens et, disons-le, ce désordre moral, peut-être inévitable, le gouvernement représentatif n’est pas moins le meilleur des gouvernemens connus, non-seulement aux yeux de la politique, mais aux yeux de la morale. Les maladies de la peau blessent la vue ; mais, lorsque le même venin, au lieu d’être apparent, se trouve caché dans les replis les plus intimes du corps humain, la maladie n’en est que plus terrible et plus incurable. Sous les gouvernemens absolus, il n’y a pas moins de corruption, de mensonges, de médisances, de calomnies. Il y en a davantage, car l’opinion publique ne peut rien prévenir, rien repousser. Tout porte coup, parce que tout est caché, mystérieux. Le coup ne se révèle que par des effets souvent irréparables. Le médisant, le calomniateur, sous un gouvernement sans publicité, est un empoisonneur, et la conscience humaine ne comparera jamais à ce vil scélérat le téméraire qui nous provoque à main armée sur la place publique.

Mais laissons les moyens et les réflexions qu’ils suggèrent, et demandons nous plutôt ce que les hommes politiques augurent des élections prochaines.

Nous aimons peu les pronostics. Les observateurs les plus attentifs reconnaissent qu’il y a toujours de l’inconnu au fond de l’urne électorale, et souvent les prévisions qui paraissaient les mieux fondées ont été cruellement démenties par le fait. La phalange de M. de Villèle fut brisée lorsque le pays ne paraissait pas donner signe de vie politique, lorsque le triomphe du parti alors dominant semblait assuré. Nous sommes cependant disposés à croire que les chances de l’épreuve qu’on va faire sont en faveur du cabinet. La tranquillité du pays nous paraît réelle, et son indifférence en matière de politique plus réelle encore. Certes il n’est pas insensible à certaines questions ; loin de là. On n’aurait pas grand’peine à trouver les limites de sa résignation. Mais chacun est bien résolu à ne s’occuper que de ses affaires jusqu’à ce qu’un événement majeur vienne l’en arracher et le ramener au forum. Jusque-là peu lui importent les noms et les précédens des ministres. On dirait que le gros du public est convaincu qu’après tout, dans l’état actuel des choses, les luttes ministérielles ne touchent guère aux intérêts de la France.

Dès-lors une vive réaction électorale contre le cabinet paraît en effet peu à craindre : il est à croire que le pays, tout occupé de ses intérêts matériels, ne repoussera pas les candidats d’une administration qui lui garantit la paix.

Ce que le cabinet a le plus à redouter, ce n’est pas la défaite, mais le triomphe : si le succès dépassait certaines limites, si le centre grossissait outre mesure aux dépens de la gauche, et surtout du centre gauche, le prestige du nombre troublerait l’imagination assez inflammable de tous ces hommes d’une orgueilleuse médiocrité qui abondent dans toute assemblée politique. Lorsque l’ennemi est dispersé, il n’est pas de conscrit qui ne s’estime apte à diriger la marche de l’armée victorieuse. Ce ne serait plus la démocratie, mais la vanité qui coulerait alors à pleins bords. Le cabinet ne tarderait pas à s’apercevoir qu’on peut tout oublier, les services rendus à la majorité comme la puissance du talent.

Mais ce danger ne serait que personnel, et les questions de personnes nous touchent peu. Des élections exagérées au profit des centres seraient en même temps un danger public. La force, lorsqu’elle est excessive, est rarement prudente et contenue : bientôt ce qui paraîtrait avoir élargi la base du pouvoir dans le parlement n’aurait fait que la rétrécir dans le pays. La base n’est large dans le pays que lorsqu’elle est formée par le rapprochement de nuances diverses. Rien de moins solide et de moins vrai comme représentation nationale qu’une chambre qui ne renfermerait que des hommes dont les opinions seraient absolument identiques. Ce sont là des vérités, des lieux communs, si l’on veut, sur lesquels le cabinet ne saurait assez méditer et dans l’intérêt général et dans son intérêt personnel.

N’oublions pas d’ailleurs que la session prochaine verra surgir de graves débats, que les chambres auront plus d’une question très difficile à résoudre. Cette espèce d’ajournement qui a été le mot d’ordre de la dernière session ne peut se continuer à la session prochaine. Le cabinet ne pourrait plus vivre de négations et de plaidoyers : il lui faudra agir, administrer, gouverner. Pour rappeler ici une seule question, comment ajourner encore celle de la liberté de l’enseignement, question cependant si délicate, si pleine de difficultés et de périls ? On l’a vu à la discussion du budget dans l’une et l’autre chambre : il y a parti pris ; on veut une solution, et, pour forcer en quelque sorte la main au gouvernement, on fait de la demande de la liberté de l’enseignement un moyen d’attaque contre l’Université. Certes l’Université a trouvé dans M. Villemain un habile et puissant défenseur. Nous avons déjà fait mention de ses discours à la chambre des députés. À la chambre des pairs, il a été plus brillant encore et plus éloquent. Sa vive parole jaillissait vigoureuse sous la violence des coups qu’on portait au grand établissement national qu’il dirige. En repoussant ces attaques, il a placé comme des jalons lumineux pour la future discussion. Cette discussion nous paraît désormais inévitable. Ajourner davantage la question, c’est l’envenimer. Les esprits finiraient par s’aigrir, et l’irritation serait un détestable conseiller dans l’un et l’autre sens.

Le projet des chemins de fer a obtenu l’approbation des deux chambres. Le succès a couronné les efforts de M. Teste. Une nouvelle tâche et non moins difficile commence maintenant pour lui. L’exécution de la loi demande à la fois une main ferme et un esprit conciliant. M. le ministre des travaux publics, placé entre les exigences et les jalousies des entrepreneurs officiels et les offres et les sollicitations des compagnies privées, saura, nous aimons à le croire, concilier ces deux forces, les contenir également dans de justes limites, et tirer de ce double concours tous les avantages que le pays a le droit d’en attendre.

L’Espagne se trouve dans une péripétie politique dont il est difficile de prévoir l’issue. Une coalition a renversé le cabinet, et cette coalition est impuissante pour reconstituer un ministère. Dans son principe, la lutte se rattachait à une diversité d’intérêts. C’était d’un côté l’Andalousie professant la liberté de commerce ; c’était de l’autre la Catalogne exigeant au contraire protection pour l’industrie indigène. Mais, à l’heure qu’il est, les questions de choses se trouvent dans l’ombre, et les questions de personnes occupent seules le devant de la scène. Le régent est plein d’humeur contre la majorité, et la majorité victorieuse murmure contre ce qu’elle appelle la camarilla, contre les amis particuliers du régent. Espartero a appelé le général Rodil. C’est d’un homme d’état plus que d’une épée que l’Espagne a besoin, et les hommes d’état y sont très rares. Fait très remarquable que la pauvreté, en fait d’hommes politiques, de toutes les révolutions qui, au lieu d’être spontanées, n’ont été que des imitations ! Le talent n’éclot ni ne mûrit artificiellement.

On assure que les affaires de l’Angleterre avec les États-Unis sont en voie d’accommodement. La nouvelle est probable, et la raison en est simple : c’est que l’un et l’autre pays se trouvent dans de tels embarras, qu’ils ne peuvent, sans folie, songer à vider leurs querelles par la guerre. Évidemment, s’il n’y a pas arrangement, les négociations traîneront en longueur, et tout sera ajourné.

La misère paraît faire d’horribles ravages dans les districts manufacturiers de l’Angleterre. La paix publique a été profondément troublée dans quelques localités. Nous le répéterons mille fois : les faux systèmes portent tôt ou tard toutes leurs conséquences. L’Angleterre, qui a été la première et le plus avant dans la fausse voie, sera forcée de reculer la première et de subir pour cela de longues et cruelles perturbations. Hélas ! son triste exemple ne profitera à personne. On ne continuera pas moins à s’enfoncer dans les erreurs du système prohibitif, à mettre les populations en serre chaude, à substituer des systèmes artificiels aux industries naturelles. L’Europe aura un jour de terribles problèmes à résoudre, des problèmes que personne ne résoudra, car ils dépasseront les forces de l’homme. Ils se résoudront d’eux-mêmes, et Dieu seul sait comment.