Chronique de la quinzaine - 28 février 1896

Chronique n° 1533
28 février 1896


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



28 février.


Nous annoncions il y a quinze jours que, dans son premier heurt contre le Sénat, le ministère de M. Bourgeois avait reçu des blessures incurables : les événemens ont justifié ces prévisions. Le ministère, à la vérité, n’est pas encore mort, mais il n’en vaut guère mieux, et, dès maintenant, il est réduit à la plus complète incapacité législative. On peut hardiment le mettre au défi de réaliser les réformes, grandes ou petites, qu’il a si bruyamment annoncées au pays. Il n’aura duré quelques jours de plus que pour mieux accentuer la déception qu’il laissera à ses amis. M. Bourgeois n’oserait plus aujourd’hui rééditer son manifeste ministériel, ni même son discours de Lyon. On ne le prendrait plus au sérieux s’il répétait avec l’accent d’autrefois qu’il est au pouvoir pour agir et non pas pour vivre. Agir ? Comment pourrait-il le faire ? Il a si malencontreusement soulevé un conflit avec le Sénat, et, après l’avoir soulevé, il l’a aggravé à ce point que le mal est sans remède. Pas une seule des lois importantes que le ministère a mises dans son programme n’a désormais la moindre chance d’être votée au Luxembourg. C’en était assez déjà pour frapper de stérilité le cabinet radical ; mais il pouvait garder l’espoir de prolonger son existence devant la Chambre, et de trouver au Palais-Bourbon les forces nécessaires pour entretenir le conflit. S’il a eu cette illusion, il s’est trompé. Sa majorité, depuis quinze jours, a été sans cesse en décroissant, et elle a subitement disparu dans les bureaux lorsqu’il s’est agi d’élire la Commission du budget. Jamais budget n’avait encore reçu un pareil accueil : la Commission y est défavorable à la presque unanimité. Trois ou quatre membres sur trente-trois acceptent le principe de l’impôt sur le revenu, mais il n’en est pas un seul qui soit intégralement favorable à l’application particulière que M. Doumer en a faite. La journée du 25 février, celle où la Commission du budget a été nommée, a consacré l’écrasement du projet ministériel. Les radicaux et les socialistes essaient de reprendre courage en assurant que les votes rendus en séance publique seront tout différens de ceux qui se sont produits dans le mystère des bureaux. Là, en effet, les députés votent suivant leur conscience : en séance publique, lorsqu’ils mettent dans l’urne du scrutin des bulletins blancs ou bleus qui portent ostensiblement leurs noms, il leur arrive assez souvent d’obéir à d’autres suggestions. Ils aperçoivent, on prend soin de leur montrer le spectre menaçant des comités électoraux. Jusqu’à quel point les radicaux et les socialistes peuvent-ils compter sur les sentimens de défaillance qui se développent avec une regrettable facilité dans l’air parlementaire, on le verra bientôt ; mais, dès maintenant, il est permis de croire, en ce qui concerne l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire la principale réforme annoncée à son de trompe par le ministère, que la majorité est définitivement fixée et qu’elle est hostile. Cela tient à tout un ensemble de causes qu’il nous reste à énumérer, en revenant à quelques jours en arrière.

Lorsque le cabinet radical, blessé à fond par le vote du Sénat, est venu soumettre sa cause à la Chambre des députés, qu’il a paru considérer comme un tribunal d’appel, il y a trouvé tout d’abord une majorité considérable, puisqu’elle s’est élevée à 93voix. Ce serait pourtant une erreur d’imaginer que la Chambre se soit prêtée de gaîté de cœur au rôle qu’on lui faisait jouer, et qu’elle ait été flattée d’être prise comme arbitre suprême entre le gouvernement et le Sénat. Tout le monde, au Palais-Bourbon, avait le sentiment que la situation était mauvaise, et qu’il suffisait de la moindre imprudence pour la rendre périlleuse. On a discuté beaucoup dans les journaux sur les droits respectifs de la Chambre et du Sénat, et sur le sens exact qu’il faut attribuer à l’article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875. Cet article établit la responsabilité ministérielle à l’égard des deux assemblées et ne fait, à ce point de vue, aucune différence entre elles. En règle stricte, un ministère qui est mis en minorité par le Sénat doit se retirer tout aussi bien que lorsqu’il y est mis par la Chambre. S’il n’en a pas toujours été ainsi, cela est pourtant arrivé quelquefois, ce qui suffit pour établir le droit en principe et en fait. On cite des exemples de cabinets qui, frappés par un vote du Sénat, n’en ont pas moins continué de vivre ; il serait tout aussi facile de citer des exemples d’autres cabinets qui, mis en minorité à la Chambre sur un point spécial, et quelquefois même sur un point important, n’ont cependant pas donné leur démission, sans que personne y ait trouvé rien à reprendre. Il est même arrivé plus d’une fois que l’opinion ait reproché à un ministère d’avoir montré un amour-propre susceptible à l’excès, et de s’être retiré trop vite devant un vote désobligeant. La vérité est qu’il n’y a pas, et qu’il ne peut pas y avoir ici de règle absolue. Les votes parlementaires ont toujours une importance égale à l’intention qui les a dictés. Le même vote peut tuer un jour un ministère, et un autre jour l’effleurer à peine. Il est vrai aussi que, la plupart du temps, le Sénat ne se montre nullement désireux de renverser les cabinets, et qu’il accepte volontiers, pour exercer plus librement son droit de contrôle et de veto, que les conséquences ministérielles de ses votes soient atténuées. Simple question de mesure, et aussi d’opportunité. Mais ce qu’on doit dire, c’est qu’une assemblée qui n’aurait pas, lorsqu’elle le voudrait, la possibilité de renverser un cabinet dépourvu de sa confiance, ne serait plus qu’une académie politique. Point de pouvoir réel sans une sanction effective. Il est bon que le Sénat renverse le moins de ministères possible, et qu’il laisse à la Chambre le soin de s’acquitter d’une fonction où elle montre d’ordinaire une si grande supériorité ; il faut toutefois qu’il puisse le faire, sinon il serait réduit à néant, et son autorité deviendrait bientôt purement nominale. Lorsque le Sénat émet la prétention de provoquer un changement de cabinet, la Chambre est tout d’abord tentée de croire qu’il empiète sur une de ses attributions propres, et une de celles qui lui sont le plus chères : à la réflexion, elle sent bien que le Sénat est dans son droit, et qu’il serait d’autant plus puéril de lui en contester l’exercice qu’il reste, en somme, toujours libre de refuser ses votes ultérieurs au ministère, et de le mettre par-là dans l’impossibilité, sinon de vivre, au moins de légiférer et de gouverner. Aussi les Chambres, même les plus ombrageuses et les plus jalouses, ne savent-elles aucun gré au gouvernement de soulever entre elles des conflits inextricables si on s’y obstine de part et d’autre, et dont la conséquence extrême serait la paralysie du corps politique. La Chambre à laquelle le gouvernement attribue tous les pouvoirs sait parfaitement bien qu’elle ne les a pas, qu’elle ne peut pas les accaparer et en user jusqu’au bout, et qu’on la conduit, de fausses victoires en fausses victoires, à un désastre final. Les contestations de ce genre n’ont d’issue que dans la révision, qui est presque toujours et qui serait aujourd’hui plus que jamais une aventure, ou dans la dissolution, qui est un remède très amer pour la Chambre, d’ailleurs incertain dans ses résultats, enfin le moins propre de tous à maintenir en faveur le médecin qui en rédige l’ordonnance, ou qui en rend l’emploi inévitable.

Il faudrait du moins, pour s’exposera de pareils inconvéniens, que les circonstances fussent tout à fait impératives. Si, par impossible, le Sénat avait adressé une provocation soit au gouvernement, soit à la Chambre, celle-ci aurait trouvé très juste qu’on la relevât : elle s’y serait même prêtée avec ardeur. Le Sénat n’a pas le droit de se mettre dans son tort. Issu indirectement du suffrage universel et représentant dans le jeu de nos institutions l’élément modérateur, il est en quelque sorte condamné à la sagesse et à la prudence. Le jour où ces qualités viendraient à lui manquer, nos institutions courraient le plus grand péril. Mais lui ont-elles fait défaut dans ces derniers temps ? S’est-il jeté étourdiment au milieu de la mêlée ? A-t-il soulevé des questions intempestives et déplacées ? Non, certes. Un grand scandale s’était produit dans le monde judiciaire. L’instruction d’une affaire délicate et grave entre toutes, après avoir été confiée à un magistrat, lui avait été retirée par un motu proprio de M. le ministre de la justice, pour être confiée à un autre. Ce dernier, dont nous ne contestons pas le mérite car nous ne le connaissons pas, hier encore membre du parquet, avait été nommé en quelques semaines juge au tribunal de la Seine, puis juge d’instruction. Il devait sa fortune rapide à la confiance personnelle de M. le garde des sceaux, qui l’avait choisi et poussé en vue de lui confier, dans des conditions d’ailleurs irrégulières, le dossier des Chemins de fer du sud de la France. Ces procédés, si heureusement en dehors de nos mœurs judiciaires, avaient légitimement ému l’opinion. On se demandait avec inquiétude ce que deviendraient dans un moment d’affolement et de trouble, les garanties que nos lois donnent aux accusés, aux inculpés, aux suspects, aux citoyens qui déplaisent ou qui gênent. Tout le monde exigeait que la lumière fût faite sur cet incident. Le Sénat a-t-il mis une hâte déplacée à l’évoquer à sa barre ? Loin de là ; il a attendu pendant de longs jours pour permettre à la Chambre des députés de prendre une initiative qui, à certains égards, lui convenait peut-être mieux qu’à lui. Mais la Chambre n’a rien fait. Elle était encore dans la période d’atonie qui a succédé pour elle à l’installation d’un ministère radical. Un jour, on annonçait que tel député allait interpeller ; le lendemain, il s’en défendait, et la question nécessaire n’était pas posée. Sans le Sénat, peut-être ne l’aurait-elle jamais été. Ne fallait-il pas qu’il assumât une responsabilité que la Chambre déclinait ? M. Monis a rendu un grand service en le faisant, et le Sénat un plus grand encore en prenant avec courage la défense des principes du Code d’instruction criminelle si ouvertement méconnus par M. Ricard. Une majorité écrasante a condamné le ministre. Que devait faire le cabinet ? Il pouvait se séparer de M. le garde des sceaux ; il pouvait aussi se déclarer solidaire de ses actes et se retirer avec lui. On se serait facilement contenté de la première solution ; elle aurait satisfait le Sénat, elle aurait apaisé l’opinion. La faute commise était si évidente et si lourde qu’il fallait bien que quelqu’un l’expiât ; mais, en somme, elle avait été commise par une seule personne, et on ne demandait pas que la peine en fût étendue au cabinet tout entier. Pourquoi celui-ci a-t-il pris fait et cause pour M. Ricard ? Pourquoi, a-t-il déclaré qu’il ne l’abandonnerait pas ? Pourquoi, à propos d’une affaire incontestablement fâcheuse, compromettante et coupable, et d’un ministre qui était loin d’être une force pour lui, s’est-il obstiné dans une attitude intransigeante ? Pourquoi enfin a-t-il jeté un défi au Sénat ?

Il est difficile de le comprendre. M. Bourgeois a donné jusqu’ici assez de preuves d’habileté et de souplesse pour qu’on soit étonné de la raideur qu’il a mise dans la manière de traiter un médiocre incident, dont il a fait un très gros événement. Valait-il la peine, pour sauver M. Ricard, de provoquer la guerre entre les deux Chambres et d’exalter jusqu’au paroxysme les passions radicales et socialistes ? Tout a été sacrifié à ce très minime intérêt. Après avoir fait naître un conflit qu’il était si facile de dénouer, on s’est appliqué à le porter à l’état suraigu. On y a réussi à merveille, et le moment est venu où tout le pays s’est demandé avec une anxiété croissante si nous n’étions pas à la veille des plus graves complications. L’atmosphère était chargée d’orages. Le mécontentement était partout. Les radicaux et les socialistes déchaînaient grossièrement leur colère contre le Sénat ; les modérés manifestaient leur irritation, en d’autres termes sans doute, mais avec non moins de vivacité, contre le ministère, et même contre M. le Président de la République qui restait inactif et en apparence indifférent dans une crise dont on n’apercevait pas le dénouement. Lorsqu’on songea l’origine de ce déplorable conflit et à l’espèce d’inconscience avec laquelle on l’a prolongé et compliqué, il faut bien reconnaître que le gouvernement a obéi aux pires conseils, et qu’après les radicaux, les socialistes eux-mêmes sont parvenus à mettre la main sur lui et à le diriger à leur gré.

Nous ne raconterons pas en détail les séances parlementaires. On sait que, pendant quelques jours, celles de la Chambre et du Sénat ont alterné, et que les deux assemblées se sont envoyé mutuellement la réplique. Toutefois, si le Sénat a maintenu ses premiers votes avec une inébranlable énergie, la Chambre a peu à peu entouré les siens d’une majorité décroissante, qui, de 93 voix, est tombée à 45 : encore faut-il, dans ce dernier chiffre, compter celles des ministres qui ont jugé à propos, au dernier moment, de voter pour eux-mêmes. La majorité vraie étant inférieure à 40 voix, il suffit désormais d’en déplacer moins de vingt pour qu’elle disparaisse. Ce résultat est encore dû à M. Ricard. C’est un étrange garde des sceaux que M. Ricard ! Sans doute, il s’occupe beaucoup trop de ce qui se passe dans le cabinet du juge d’instruction ; mais s’il se mêle de ce qui ne le regarde pas, en revanche il ignore les choses qu’il devrait le mieux savoir. La discussion, avec lui, et surtout pour lui, marche de surprises en surprises. Un jour, au Sénat, il ne trouve rien à répondre à M. Monis qui affirme l’existence d’une lettre de M. Rempler à M. le procureur de la République. M. Rempler est le juge d’instruction qui a été d’abord chargé, puis déchargé du dossier des Chemins de fer du sud de la France. Ayant reçu l’ordre de diriger ses investigations sur les syndicats de garantie, qui n’avaient pas été compris dans la poursuite initiale, il avait demandé par écrit à M. le procureur de la République un nouveau réquisitoire introductif d’instance, et cette pièce lui avait été refusée. C’est du moins ce que M. Monis avait dit au Sénat. Le lendemain, au Palais-Bourbon, M. Ricard a déclaré que la lettre en question n’existait pas, et il a produit par ce moyen un effet d’audience si entraînant qu’il lui a dû, sans aucun doute, la grosse majorité obtenue ce jour-là par le gouvernement. Le surlendemain, au Luxembourg, nouvelle interpellation de M. Monis, plus pressante, plus précise encore que la précédente : cette fois, M. Ricard avoue que la lettre de M. Rempler existe ; seulement, la veille encore, il ne la connaissait pas. Il ne la connaissait pas, soit ! c’est tout ce qu’il aurait dû dire à la Chambre : pourquoi la nier, avant d’avoir pris à son sujet des renseignemens sûrs ? On pense bien que ces alternatives d’ignorance mêlée d’affirmations tranchantes, puis d’aveux qu’il fallait bien se résigner à faire assez humblement, ne pouvaient produire qu’une pitoyable impression. Il y a eu une seconde lettre que M. Ricard n’a pas connue, mais dont il n’a plus osé contester l’existence en termes aussi péremptoires, lettre par laquelle M. Remplir se plaignait avec une telle vivacité de n’avoir pu obtenir le réquisitoire jugé par lui indispensable, que le procureur de la République l’a prié de la retirer et de lui en écrire une autre plus douce. Que résulte-t-il de la révélation de ces faits, que tout le monde, paraît-il, connaissait au Palais de justice et que M. Ricard était seul à ignorer ? Que M. Rempler avait rempli son devoir, et que rien ne justifiait à son égard la défiance de M. le garde des sceaux et du gouvernement. Le dossier des Chemins de fer du Sud lui a été enlevé sans cause légitime, par un caprice personnel du ministre, qui avait improvisé à la hâte un autre juge d’instruction. Voilà la vérité : elle ne fait honneur ni à M. Ricard, ni au ministère.

La Chambre, qui avait montré d’abord quelque hésitation à s’emparer de cette affaire, a fini par en comprendre toute la gravité et, à son tour, elle s’en est montrée extrêmement émue. La séance du 20 février comptera parmi les plus importantes et les plus curieuses de cette législature. Le sort du cabinet Bourgeois s’y est décidé. Le cabinet n’a pas été bal tu puisque, en y comprenant les siennes, il a encore obtenu 45 voix de majorité, mais il a reçu des coups dont il ne se relèvera pas. Ce qui a été d’ailleurs particulièrement significatif, c’est l’attitude même de l’assemblée. Pour la première fois depuis longtemps, le centre avait repris tout son courage ; son ardeur presque éteinte s’était remise à flamber, et il soutenait ses orateurs avec une fermeté, parfois même avec une véhémence dont les socialistes ont paru tout étonnés. Ils avaient pris l’habitude de dominer la Chambre, de conduire les discussions, surtout de les étouffer quand bon leur semblait. Ils sont une cinquantaine à peine ; mais lorsqu’ils se mettent à donner de la voix et à frapper des mains, personne ne peut plus parler au milieu du tumulte. Le président, quelle que soit sa bonne volonté qu’il est juste de reconnaître, et malgré tous ses efforts pour maintenir la liberté de la parole, n’y parvient quelquefois que d’une manière incomplète. Il a fallu, le 20 février, que l’Assemblée fit sa police elle-même et que le centre assurât à ses orateurs les moyens de se faire entendre. A un moment, M. Poincaré avait été obligé d’abandonner la tribune sans avoir complètement terminé ce qu’il avait à dire. M. Ricard l’y a remplacé. Il a été bien reçu, M. le garde des sceaux ! Pendant dix minutes, il a essayé de parler sans y parvenir. Il y avait longtemps qu’on n’avait pas fait au Palais-Bourbon un pareil tapage. Certes, nous ne donnons pas ces procédés comme des modèles à imiter trop souvent, et il vaudrait mieux n’être jamais forcé d’y avoir recours ; mais, dans une assemblée, un groupe qui ne se fait pas respecter est perdu. M. Ricard, de guerre lasse, a dû descendre à son tour de la tribune et rendre la place à M. Poincaré, qui, alors, a pu finir son discours. Le centre était bien loin de l’attitude résignée et abattue qu’il avait conservée pendant près de quatre mois. On distinguait nettement chez lui la volonté d’en finir. Le temps n’est plus où les orateurs qui se permettaient d’attaquer le ministère étaient accueillis avec une froideur décourageante, et voyaient leurs amis eux-mêmes se tourner contre eux en les accusant d’imprudence. M. Barthou, M. Ribot, M. Poincaré. ont parlé au milieu d’une assemblée houleuse et passionnée, mais où ils se sentaient soutenus par un parti énergique et nombreux. Ils ont déployé, pour se faire écouter, le talent le plus remarquable : ils y sont parvenus. Le discours à faire, le discours où la question devait être complètement exposée et présentée sous toutes ses faces, a été l’œuvre de M. Barthou, un des plus jeunes orateurs du Palais-Bourbon et des plus distingués. M. Ribot, dont le ministère avait été mis en cause par M. Ricard, n’a pas eu de peine à répondre à des accusations inexactes ; puis, il a élevé, généralisé la question, et a montré le gouvernement de plus en plus aux ordres des socialistes, dont le concours lui est indispensable pour vivre et qui se le font chèrement payer. Enfin M. Poincaré a porté, avec une habileté et une fermeté rares, les coups de la fin, ceux qui, une fois les grands discours terminés, précisent les situations prises et déterminent les dernières manœuvres à opérer. Ils ont été battus ; mais le fait même que trois anciens ministres et non des moindres, après plusieurs mois d’abstention et de mutisme, sont rentrés dans la lutte avec cette décision vigoureuse et presque impétueuse est le symptôme d’un temps nouveau. Le crédit ouvert au ministère radical est épuisé. Les modérés lui ont enfin déclaré la guerre, et ils se montrent résolus à la soutenir jusqu’au bout. Il n’est que temps pour eux de réparer le temps perdu ! Si M. Paul Deschanel a cru habile autrefois de donner au cabinet le temps de faire ses preuves, il a eu large satisfaction. Le cabinet a montré de quoi il était capable.. Il a abouti en quatre mois à un conflit avec le Sénat, et il s’est engagé de plus en plus avant dans les voies du socialisme. Ses dernières déclarations en font foi.

Les journaux ministériels affectent de dire que le conflit avec le Sénat est achevé, que la haute assemblée a cédé, capitulé, battu en retraite. On peut discuter son attitude, l’approuver ou la critiquer, mais il est injuste de dire qu’elle équivaut à une abdication, et que, dès lors, le conflit est terminé. Nous croyons, au contraire, qu’il est plus vif que jamais, et qu’il durera autant que le ministère lui-même. Que pouvait faire le Sénat ? Son droit constitutionnel était incontestable, mais comment en assurer le respect ? Le ministère a déclaré qu’il n’en tiendrait pas compte et que, aussi longtemps qu’il aurait la majorité à la Chambre, il resterait en fonctions. C’est là une situation toute nouvelle. Il est déjà arrivé, nous l’avons dit, à des ministères d’être battus au Sénat sans s’être crus obligés de donner leur démission ; mais c’est parce que le Sénat le voulait bien ainsi, et qu’il n’attachait pas à ses votes une signification de défiance complète, radicale, définitive. Il n’en est pas ainsi de ceux qu’il vient d’émettre contre le cabinet Bourgeois. On ne peut pas se méprendre sur leur intention : le Sénat a certainement voulu condamner le ministère, et il était en droit de lui refuser désormais tout concours. Peut-être aurait-il dû le faire ; la situation y aurait gagné en clarté. Tout le monde l’aurait approuvé si, sans se mettre en grève, ce qui aurait été de sa part une attitude quasi révolutionnaire, il avait suspendu ses séances en chargeant son bureau de le réunir lorsqu’il y aurait lieu de le faire. L’occasion se serait d’ailleurs présentée très vile. La Chambre vient de voter un crédit d’un million affecté aux dépenses de notre ambassadeur au couronnement du tsar Nicolas II. L’opinion n’aurait pas admis que le Sénat, sous prétexte de conflit, ne votât pas cette somme. Son président l’aurait donc convoqué pour le faire, et le Sénat, aussitôt après l’avoir fait, aurait levé sa séance. On aurait parfaitement saisi son intention de ne rien arrêter de ce qui est nécessaire à la vie nationale, mais de ne plus se prêter avec le ministère actuel à des rapports dont la forme peut tromper, puisqu’elle est de nature à faire croire à une collaboration devenue impossible. Au lieu de cela, qu’a-t-on fait ? M. Demôle avait d’abord annoncé l’intention d’interpeller le gouvernement sur l’observation de la loi constitutionnelle. Il y a renoncé et il n’a pas eu tort. Une telle interpellation aurait eu l’inconvénient de donner au débat un caractère tout théorique ; la haute assemblée aurait eu l’air de discuter une question d’école, sans avoir le moyen de consacrer son vote final par une sanction positive. Elle aurait eu beau décider que le ministère devait se retirer, le ministère aurait persisté à n’en rien faire et à demander à la Chambre un appui que celle-ci, piquée au jeu, aurait peut-être continué de lui prêter. Il est dangereux de tendre outre mesure les ressorts d’une constitution, surtout lorsqu’ils ne sont peut-être pas très solides. Le Sénat a préféré voter une déclaration dont M. Demôle a donné lecture, tant en son nom qu’au nom des présidens des groupes républicains modérés. Cette déclaration est d’ailleurs bien faite. Elle est sévère et même rude pour le gouvernement. « La réponse parlementaire aux paroles et aux actes du cabinet pouvait, dit-elle, être de notre part un refus absolu de concours. Mais le Sénat ne veut pas suspendre la vie législative du pays, et malgré l’attitude du ministère, le Sénat n’entend pas renoncer à faire son devoir. Il entend maintenir l’intégralité de ses droits. Il statuera dans son indépendance et sans autre préoccupation que l’intérêt du pays, sur les propositions du ministère et lui demandera compte de ses actes. Le pays prononcera entre des ministres qui n’ont pas craint de provoquer la crise la plus grave et une assemblée qui, pour ne pas compromettre la paix publique, ne veut pas aggraver le conflit constitutionnel, bien qu’elle ait pour elle le droit et la loi. » Cette déclaration a été votée par une majorité de 124 voix. Le gouvernement joue, pour se sauver, de l’opposition artificielle qu’il a su créer entre les deux Chambres : si elles étaient réunies, n’ayant que 45 voix de majorité dans l’une et se trouvant en minorité de 124 voix dans l’autre, il serait battu dans toutes deux. La majorité de la représentation nationale est contre lui.

Il aurait dû se retirer. Tel était, paraît-il, l’avis de quelques-uns de ses membres, qui jugeaient la situation avec justesse : il se serait épargné par-là les désagrémens qui l’attendaient encore. Qu’importent, ou plutôt que devraient importer quelques jours de plus ou de moins à un ministère qui s’était annoncé comme un gouvernement d’action, qui avait promis de faire de grandes choses, qui avait excité tous les appétits, et qui se trouve irrévocablement réduit à l’impuissance ! De ses réformes, il n’en fera pas la moindre. Bien que la déclaration de M. Demôle affirme l’intention de statuer, sans autre préoccupation que l’intérêt du pays, sur les projets ministériels, il est hors de doute que le Sénat les repoussera tous. Aucune illusion n’est possible à ce sujet. Si le Sénat bat en retraite, comme le disent les journaux radicaux, ce n’est pas sans combattre encore, et, à en juger par le poids des projectiles qu’il lance sur l’ennemi, il faut croire qu’il n’est pas sur le point de désarmer. Le lendemain de la déclaration de M. Demôle M. Franck-Chauveau, en prenant possession de la présidence du centre gauche, prononçait un discours qui est bien le plus sanglant réquisitoire contre la politique jacobine et socialiste du gouvernement. Le morceau est long et développé, mais il n’en est pas moins vigoureux. Si les autres groupes sont animés du même esprit, et tout le fait supposer, le gouvernement aurait tort de croire à un modus vivendi possible entre lui et la haute assemblée. Le Sénat est un barrage qui arrêtera résolument tous ses projets de loi.

Mais aura-t-il à en arrêter beaucoup ? Est-ce désormais au Luxembourg que l’impuissance irrémédiable du gouvernement est destinée à se manifester ? N’est-ce pas plutôt à la Chambre même ? Cette Chambre qui a donné avec récidive au cabinet des majorités apparentes ne se méprend pas autant qu’on pourrait le croire sur les dangers de la politique de conflit où elle a paru vouloir s’engager avec lui. Elle se sent au seuil d’une impasse. La prodigieuse maladresse qu’il y a eu à provoquer ce conflit, qu’on nous passe le mot, pour les beaux yeux de M. Ricard, n’a pas tardé à la frapper. Un travail silencieux, mais rapide et profond, s’est fait dans ses esprits et dans ses sentimens. Et puis, les allures de plus en plus aventureuses du cabinet l’inquiètent chaque jour davantage. La Chambre n’est pas socialiste, le gouvernement vient de déclarer qu’il l’était. Il n’y a donc plus, même pour les pires aveugles, ceux qui ne veulent pas voir, à se tromper sur le but qu’il poursuit. M. Bourgeois protestait, il n’y a pas longtemps encore, contre le socialisme, et M. Ribot lui rappelait le 20 février une séance du mois de novembre 1894 où, dans l’esquisse qu’il traçait d’une majorité suivant son cœur, il excluait avec une égale rigueur les socialistes et les ralliés. Les temps sont changés. M. Bourgeois est bien forcé aujourd’hui de s’appuyer sur ses adversaires d’hier. Il leur appartient, il est leur prisonnier. Les socialistes forment l’appoint de la majorité d’une quarantaine de voix dont il dispose encore, ou plutôt dont il disposait il y a huit jours, il ne pourrait pas durer vingt-quatre heures sans eux. C’est pourquoi, au cours d’un voyage récent qu’il a fait à Châlons-sur-Marne avec M. le ministre du commerce, il a autorisé celui-ci, parlant au nom du gouvernement, à se déclarer en propres termes progressiste et socialiste. M. Mesureur ne demandait pas mieux. « Le cabinet, a-t-il dit, dont j’ai l’honneur de faire partie, a déjà quatre mois d’existence. Je viens de vous exposer ce que nous avons pu faire durant ce court espace de temps, mais nous avons fait mieux que de vivre ; nous avons fourni la preuve qu’un cabinet radical était possible dans la République française. Nous pouvons disparaître bientôt dans un accident de la vie parlementaire ; nous n’en aurons pas moins démontré que les républicains progressistes et socialistes ont droit au pouvoir, car ils sont capables de gouverner. Le pays peut les appeler ; ils ne sacrifieront rien de ce qui fait ses intérêts et sa gloire. » Ce langage ne manque pas de fierté ; mais M. Mesureur n’exagère-t-il pas lorsqu’il assure que les radicaux socialistes ont fait leurs preuves et qu’elles ont été satisfaisantes ? Nous avons déjà dit à quels résultats ils sont arrivés au bout de quatre mois : ils se sont mis eux-mêmes dans l’impossibilité d’accomplir leurs réformes. Le discours de M. Mesureur à Châlons y a contribué pour sa quote-part. Venant à la veille de l’élection de la Commission du budget dans les bureaux, il n’a pas été sans influence sur les choix qui ont été faits. Peut-être M. Bourgeois, se sentant perdu, a-t-il voulu brûler héroïquement ses vaisseaux ; peut-être aussi n’a-t-il été qu’à moitié satisfait des paroles prononcées par M. le ministre du commerce ? Il a avoué qu’elles avaient pu paraître hardies à quelques-uns, « mais seulement, a-t-il ajouté, à ceux qui derrière les mots n’ont pas cherché les idées, et qui ne se sont pas rendu compte que les mots sont les abris passagers des idées, et que derrière les mots, qui ne sont que des formules transitoires, marche l’esprit humain, et que peu à peu l’esprit apparaît. » Nous avouons qu’il ne nous apparaît pas, cette fois, à travers les mots dont s’est servi M. le président du conseil, et qui, nous l’espérons bien pour lui, ne sont que les abris passagers et provisoires de ses idées : ils les abritent au point qu’on ne les voit plus. Il y a évidemment de l’embarras dans le langage de M. Bourgeois : les beaux jours de son ministère, les jours heureux et faciles, où tout sourit, où tout parait réussir, sont passés sans retour.

Il suffit pour achever de s’en convaincre de rappeler ce qu’a été la nomination de la Commission du budget : nous l’avons déjà dit au commencement de cette chronique. De toutes les réformes annoncées par le cabinet radical, la première de toutes, celle à laquelle il a attaché sa fortune politique, est l’établissement de l’impôt progressif sur l’ensemble du revenu. Le budget de M. Doumer n’a pas trompé à cet égard les espérances qu’il avait fait naître ; les vrais radicaux et les socialistes ont dû en être contens. Les citoyens dont le revenu est inférieur à 2 500 francs ne paient pas l’impôt : au-dessus de ce chiffre, ils paient une taxe progressive qui va de 1 à 5 pour 100 suivant qu’ils ont 10, 20, 30, 40 ou 50 000 francs de revenus. Ce n’est pas ici le lieu d’étudier en détail ce projet vexatoire dont l’application, du moins pour les revenus supérieurs à 10 000 francs, repose sur une déclaration du contribuable, laquelle sera contrôlée par des commissions locales. On connaît les objections classiques contre l’impôt sur le revenu ; M. Doumer n’a cherché à échapper à aucune d’elles. Son projet, s’il venait jamais à être appliqué, introduirait l’inquisition dans les familles, dans les usines, dans les maisons de commerce, enfin partout. Le revenu des particuliers ne serait plus leur secret propre, mais celui d’une commission où l’adjonction de représentans des corps électifs de la commune introduirait leurs amis ou leurs ennemis politiques. M. Doumer a bravement accumulé les pires conséquences de son système : aussi les radicaux eux-mêmes en ont-ils été un peu troublés, et les socialistes seuls l’ont-ils approuvé… comme un commencement à développer plus tard. C’est l’impôt personnel nettement substitué à l’impôt réel. C’est l’œuvre financière delà Révolution française remise en cause. Le pays tout entier protesterait contre un tel projet, si le gouvernement n’avait pas pris soin, en exemptant de l’impôt les revenus inférieurs à 2 500 francs, d’en exempter en réalité la grande majorité des contribuables ruraux. Qu’on exempte les plus malheureux, soit ! seulement, ce n’est pas ce que fait le projet de budget. Dans nos campagnes, le contribuable qui a un revenu de 2 500 francs n’est pas un pauvre, et il y a un très grand nombre de communes où pas un seul habitant n’en possède un qui soit supérieur ou même égal à celui-là. Le nouvel impôt serait en réalité payé par les demi-riches : la bourgeoisie en supporterait presque toute la charge. Les petits revenus, c’est-à-dire les plus nombreux, échapperaient à l’impôt : n’est-il pas juste, dit-on, que les riches paient pour les pauvres ? Après avoir montré que les exemptés n’étaient pas seulement les pauvres, nous ajouterons que les contribuables effectifs ne seraient pas seulement les vrais riches. La grande fortune est beaucoup trop rare en France pour qu’on puisse établir sur elle un impôt rémunérateur. Ce n’est pas elle qu’on vise, ce n’est pas elle qu’on atteint, mais bien la fortune moyenne, la richesse en voie de formation, celle qui est le fruit du labeur quotidien. On frappe, dans leur aisance à peine établie et toujours menacée, les classes de la société qui ont le plus fait pour l’établissement de la République. On s’expose à produire chez elles un mécontentement profond. Mais qu’importe aux radicaux, aux socialistes et au gouvernement qui les représente ? Ils cherchent avant tout à se créer une clientèle pour les élections futures. Si la réforme de l’impôt n’est pas faite à ce moment, ils veulent pouvoir dire aux électeurs ruraux : — Nous avons voulu vous dégrever de tout impôt sur le revenu ; les modérés s’y sont opposés. Choisissez entre eux et nous. Si vous nommez en quantité suffisante des radicaux et des socialistes, vous n’aurez plus rien à payer. N’êtes-vous pas le nombre, c’est-à-dire la force et le droit ? — Tel est le langage qu’on se propose de tenir et par lequel on essayera d’introduire dans nos campagnes, jusqu’ici réfractaires, le germe de ce socialisme agraire destiné peut-être à faire un jour tant de mal. C’est moins une œuvre fiscale qu’une œuvre politique que le gouvernement a voulu faire. Il savait bien d’avance que son projet ne serait pas voté par le parlement, et que, s’il l’était par hasard au Palais-Bourbon, il ne le serait pas au Luxembourg ; mais il y voyait, pour lui et pour ses amis, une excellente plate-forme électorale. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est dans quelle proportion le principe même de son budget serait écrasé par les votes des bureaux.

La condamnation a été formelle, absolue, irrémissible. Dès aujourd’hui le projet d’impôt progressif sur le revenu est mort. Alors, on se demande pourquoi le gouvernement vit encore. Qu’espère-t-il désormais ? Que veut-il ? Qu’attend-il ? L’élection de la Commission a mis le sceau à son impuissance. Ce n’est plus seulement le Sénat qui est contre lui, c’est la Chambre. L’impôt sur le revenu était la pierre de touche de sa politique : il n’en reste plus rien. La politique radicale et socialiste a fini par un effondrement complet. Dans leur désarroi, ses partisans parlent de proroger la Chambre pendant un mois, pendant deux mois, de manière à atteindre les élections municipales et à y présider. Ces procédés, imités de M. Crispi, auraient chez nous un air de violence qui en rend l’emploi peu vraisemblable. M. le Président de la République ne s’y prêterait certainement pas. On a pu y recourir sous le 16 mai, parce qu’on était décidé à mettre au bout la dissolution de la Chambre et l’appel au pays : la tentative a d’ailleurs trop mal réussi pour être encourageante. Au surplus, nous parlons des bruits qui courent comme d’un symptôme de l’état des esprits dans les milieux socialistes, mais sans les prendre au sérieux. M. Bourgeois n’est pas homme à s’engager dans une entreprise aussi inconsidérée. Il a déjà par son attitude à l’égard du Sénat assez gravement faussé le jeu normal de nos institutions. Il a assez alarmé les intérêts. Il a jeté, assez d’élémens de discorde dans le pays. Le mieux pour lui est de chercher une occasion décente de tomber, et pour la Chambre de la lui fournir. Dès maintenant, le ministère est perdu. Il peut encore opérer des mouvemens de préfets et de sous-préfets ; il peut distribuer aux uns les faveurs administratives et les refuser aux autres ; il peut faire du mal ; mais du bien, même comme il l’a compris lorsqu’il a rédigé son programme, il ne peut plus en faire. À la merci du moindre incident parlementaire, il ne saurait prolonger longtemps son inutile existence. Il aura vécu un peu plus de quatre mois, ce qui est beaucoup, comme M. Mesureur avait droit de le constater à Châlons-sur-Marne ; mais il faut remarquer que les premières attaques sérieuses ont été dirigées contre lui il y a quinze jours à peine, et qu’il a déposé son budget en voilà huit seulement. Depuis lors, le temps n’a pas été perdu. Que restera-t-il de cette aventure ? Une démonstration utile, à savoir que la politique radicale ne peut désormais subsister en France qu’avec l’appui des socialistes, et qu’elle ne tarde d’ailleurs pas à en mourir. Ce n’est pas cette politique que M. Bourgeois voulait faire, ce n’est pas cette conséquence qu’il voulait prouver, et c’est pourtant ce qu’il a fait et ce qu’il a prouvé. Nous le plaignons sincèrement. Il a déployé de très heureuses qualités personnelles, et il vaut mieux que son œuvre. La logique des alliances et la fatalité de sa situation l’ont entraîné. Si l’expérience qu’il a tentée avait pu réussir, elle aurait réussi avec lui : à ce point de vue, elle a été complète et décisive, et nous aimons à croire que nul ne sera tenté de la recommencer de sitôt.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.