Chronique de la quinzaine - 28 février 1871

Chronique n° 933
28 février 1871


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




28 février 1871.

Le jour se fait par degrés sur nos tristes affaires, les voiles tombent peu à peu ; de cette obscurité où nous sommes restés plongés pendant cinq mois, se dégagent dans un éclair sinistre nos malheurs, nos méprises, les erreurs peut-être inévitables, les fautes qu’on aurait pu éviter, tout ce qui nous a conduits à ce sombre et douloureux dénoûment sur lequel il n’y a plus à se méprendre, que les plénipotentiaires de la France ont dû aller disputer avec plus de courage que d’espoir au camp du vainqueur. C’était la première, la grande et inexorable nécessité en présence de laquelle se trouvait l’assemblée de Bordeaux aussitôt après s’être constituée elle-même, après avoir créé un gouvernement. L’assemblée, elle s’est constituée en se donnant pour président M. Jules Grévy. Le gouvernement, il existe aujourd’hui ; l’acclamation qui a fait sortir vingt-huit fois de l’urne électorale le nom de M. Thiers désignait assez d’avance celui qui dans toutes les pensées était le mieux fait pour conduire les affaires de la France, et M. Thiers à son tour s’est hâté de former un ministère qui est l’image fidèle des nuances diverses de l’assemblée, où des hommes comme M. Dufaure, M. de Larcy, mettent leurs efforts en commun avec M. Jules Favre, M. Ernest Picard et M. Jules Simon. Est-ce un pouvoir définitif ou provisoire ? est-ce un ministère de transaction ou de transition ? Qu’importe ? C’est la France debout et vivante dans son assemblée, dans son gouvernement, c’est la France sortant enfin du domaine des irrégularités violentes et des fictions trompeuses, ayant seule le droit de disposer d’elle-même dans cette effroyable crise où l’imprévoyance l’a plongée, où une fatalité implacable ne lui laisse maintenant que le choix des périls et des sacrifices. Or dans cette situation nouvelle, pour tous ceux qui aiment leur pays, c’est le moment de prendre un parti, de regarder en face toutes ces sombres réalités qui nous pressent ; c’est le moment de savoir ce que la France peut sauver d’elle-même, comment et à quel prix elle peut se retenir dans cet abîme de ruines, comment elle peut tout à la fois défendre sa place dans le monde et raffermir son existence intérieure ; il s’agit en d’autres termes d’opter entre la guerre et la paix, entre un ordre régulier d’institutions libres et les révolutions indéfinies qui préparent ou suivent éternellement les dictatures.

Cette question de la paix ou de la guerre, hélas ! elle n’est plus entière ; à dire vrai, elle était fatalement tranchée dès le jour où les armes tombaient de nos mains, où Paris succombait, non-seulement parce qu’il était arrivé à son dernier morceau de pain, mais parce que la défaite de toutes nos armées de province brisait notre dernière espérance. Ce jour-là, il n’y a point à se faire illusion, tout était déjà fini : l’ennemi était dans la place, il tenait sous son joug nos villes, nos campagnes jusqu’à la Loire, sur cette longue ligne qui va des frontières de l’est aux portes de la Bretagne, et on ne pouvait plus que se préparer à négocier une paix qu’on disputerait courageusement, selon le mot de M. Thiers, en se réservant de ne point l’accepter, si elle devait joindre le déshonneur à l’amertume de la défaite. Oui, sans doute, dans de telles conditions, cette paix devait être dure, on le savait bien d’avance. Les Prussiens n’ont pas besoin de nous le dire, ils ne font pas la guerre pour rien ; nous avions à payer la rançon de nos malheurs, et le chancelier du nouvel empire d’Allemagne n’était pas homme à se refuser l’orgueilleuse satisfaction de pousser jusqu’au bout sa victoire. Tout ce qui pouvait nous être demandé, on l’entrevoyait avec anxiété, et tout ce qu’on pouvait pressentir de plus pénible se réalise tristement. Parmi les conditions qui nous sont faites, il en est dont le seul énoncé doit brûler des lèvres françaises. Il nous faudra livrer les membres palpitons de nos plus chères provinces, trouver dans un pays ravagé de quoi suffire à de colossales indemnités, voir partir l’ennemi chargé de nos dépouilles.

Rien n’est plus cruel, nous le savons bien tous ; le premier mouvement est une révolte d’indignation patriotique, et ceux qui ont eu la terrible mission de négocier la paix ne sont pas les derniers à ressentir la douleur qui va émouvoir toutes les âmes françaises. Ils ont fait évidemment ce qu’ils ont pu pour alléger le fardeau, et, ne pouvant plus rien, ils ont signé avec un courageux désespoir. Ils sont partis pour Bordeaux, allant soumettre à l’assemblée cette œuvre d’une résignation nécessaire. Assurément c’est le plus dur des sacrifices pour notre malheureux pays. Et comment faire cependant ? Il fallait avant tout arrêter cette meurtrière invasion, délivrer la France, lui rendre son indépendance et sa liberté d’action ; il fallait laisser respirer ces populations qui depuis cinq mois voient leurs champs dévastés, leurs foyers outragés, leurs dernières ressources détruites, et qui se lassent à la fin de cette lutte sans espoir, au bout de laquelle elles n’entrevoient que des ruines nouvelles. Ce n’est plus le moment de se payer de déclamations retentissantes et d’illusions vaines ; il ne suffit plus de parler sans cesse à ce pays, si souvent déçu, de combats à outrance et sans merci, de la guerre jusqu’à « complet épuisement, » et de rechercher dans des agitations belliqueuses une popularité facile en rejetant sur d’autres le fardeau de résolutions pénibles dont on décline la responsabilité après les avoir rendues inévitables. En réalité, on était serré dans ce terrible dilemme : ou bien il fallait faire ce qu’on a fait, céder à la pression de la nécessité, se préparer à négocier une paix dont les conditions ne pouvaient être que rigoureuses, ou bien il n’y avait qu’à laisser expirer l’armistice en livrant cette fois la France entière aux déchaînemens furieux de la guerre, aux caprices violens de l’envahisseur. Il fallait en un mot rentrer plus que jamais dans la lutte ; mais pour recommencer une telle guerre les décrets et les proclamations ne suffisent pas ; on ne contient pas ou on ne repousse pas un ennemi habile avec des paroles. Il aurait fallu tout au moins être prêt à ce nouveau combat ou n’être pas sans espoir d’être secondé à un jour donné par une intervention européenne. Sur quoi pouvait-on compter ? Avait-on des forces organisées et suffisantes ? pouvait-on se promettre un appui de l’Europe ?

La vérité, la triste vérité, c’est qu’on ne pouvait compter sur rien ; c’est que dans ces cinq mois, remplis de tant de tragiques péripéties, la France n’a prodigué son sang, ses ressources, sa bonne volonté, sa soumission, que pour arriver à de nouveaux revers qui ont fini par déconcerter sa résolution en opprimant son patriotisme. Nous ne voulons accuser personne, les récriminations ne serviraient à rien pour le moment ; mais enfin, à l’heure où il aurait fallu recommencer la guerre, où en étaient nos armées, et que pouvaient-elles ? Ce qui est trop clair, c’est qu’après cette longue campagne entrecoupée de combats vaillamment soutenus, ces armées ont souffert cruellement d’une inexpérience inévitable, d’une organisation qui ressemblait de fort près à la désorganisation, d’une confusion perpétuelle de plans et de direction, et ce qui est plus navrant encore, c’est que, combattant dans leur propre pays, elles se sont trouvées souvent sans vivres, sans vêtemens, obligées de faire les marches les plus pénibles, de soutenir le choc de l’ennemi sans avoir mangé, les pieds presque nus dans la boue et la neige. Les vices d’une administration paresseuse ou imprévoyante leur ont été aussi funestes que les rigueurs d’un hiver exceptionnel, et c’est ainsi que ces armées novices, composées en grande partie de gardes mobiles, de gardes nationaux mobilisés, se sont fondues rapidement par la misère, par l’incohérence, parce qu’elles n’avaient ni l’instruction militaire, ni les fortes habitudes de la discipline.

On n’a point eu des armées, on a eu de vastes agglomérations, des masses nombreuses difficiles à manier, peu accoutumées au rude métier de la guerre, accessibles aux défiances et aux découragemens, et ces soldats, éprouvés par tant de revers, ont fini par ne plus croire ni à leurs chefs, ni à eux-mêmes, ni à l’efficacité de la lutte. Somme toute, où en sommes-nous ? Paris ne compte plus pour le moment, puisque l’occupation des forts le met à la discrétion de l’ennemi, puisque son armée serait prisonnière, si la guerre devait continuer. L’armée de Bourbaki est en Suisse, et tout l’est de la France est livré à l’invasion étrangère. Au nord, le général Faidherbe n’avait pas plus de 25,000 hommes à la bataille de Saint-Quentin, et les troupes de quelque valeur qu’il a eues sous ses ordres n’ont jamais beaucoup dépassé ce chiffre. L’armée du général Chanzy, repliée vers l’ouest ou ramenée vers Poitiers, comme on le dit, se ressent nécessairement des épreuves qu’elle a subies. Qu’il y ait d’autres forces dans le midi, c’est vraisemblable, c’est certain ; mais ces forces ne doivent guère être organisées, puisqu’on voit des généraux obligés de publier des ordres du jour pour menacer de la rigueur des lois militaires les mobiles et les mobilisés qui désertent leurs camps avec armes et bagages. Est-ce avec tout cela qu’on pourrait recommencer la guerre contre un ennemi habile, maître déjà de près d’une moitié de notre territoire ? Ah ! sans doute plus d’un esprit enflammé par le désespoir a pu se dire qu’il valait mieux tout braver que de se soumettre à l’inexorable loi du vainqueur. Qui n’a pas nourri un instant cette arrière-pensée de voir la France poussée à bout renouveler l’insurrection nationale de l’Espagne de 1808 ? C’est là l’idéal de la guerre à outrance ; malheureusement ce ne serait qu’une dernière illusion du patriotisme indigné : 1871 n’est pas 1808. La France ne trouve pas dans la configuration de son territoire, dans ses mœurs, dans ses idées d’aujourd’hui, les ressources défensives qu’avait l’Espagne. Les chemins de fer, pour des chefs militaires qui savent s’en servir, sont devenus des instrumens redoutables d’invasion et de conquête que Napoléon n’avait pas en 1808. Et puis, dans la lutte qu’elle soutenait, l’Espagne avait au moins pour elle une sorte de coalition latente des sympathies européennes. Elle avait les diversions de la campagne d’Autriche en 1809, de la campagne de Russie en 1812 ; elle était soutenue dès le premier jour par la présence d’une armée anglaise. En un mot, l’Espagne n’était seule qu’en apparence, elle pouvait croire que l’Europe ne l’abandonnerait pas. Quel droit la France aurait-elle aujourd’hui de compter sur le moindre concours de l’Europe ? On lui a prouvé assez clairement depuis six mois qu’après avoir commencé seule la guerre elle resterait seule jusqu’au bout.

C’est peut-être là une dernière illusion dont nous nous sommes bercés. Nous nous sommes dit que, dans l’état actuel du monde et de la civilisation occidentale, il était impossible que des puissances, des peuples liés à la France par de si intimes solidarités d’intérêts, de relations morales et matérielles, n’eussent point un jour ou l’autre la pensée d’interposer leur médiation, d’arrêter le cours de ces dévastations sanglantes. C’était une confiance étrange et presque naïve. Le blue-bock qui vient d’être publié à Londres, les dernières discussions parlementaires engagées en Angleterre, en Autriche, sont à coup sûr ce qu’il y a de plus instructif, M. de Bismarck, dit-on, se permettait, il y a quelque temps, ce sarcasme injurieux et superbe : « il n’y a plus d’Europe. » Le fait est que, s’il y a une Europe, depuis six mois elle met tout son zèle à s’effacer et à se faire petite. Si ce n’était si triste, le livre des documens anglais serait une histoire presque plaisante de l’impuissance méticuleuse ou égoïste de toute une collection de gouvernemens qui passent pour avoir de l’influence dans le monde. Cette ligue des neutres qu’on avait inventée comme une heureuse combinaison, destinée à devenir le point de départ des médiations ou des interventions européennes, cette ligue apparaît tout simplement comme une assurance mutuelle contre toute tentation ou toute velléité d’action. Angleterre, Russie, Autriche, Italie, s’entendent merveilleusement pour se barricader dans leur rôle de spectatrices, sinon absolument indifférentes, du moins bien étrangement passives. La neutralité, c’est un beau mot pour couvrir quelquefois toutes les défaillances. On veut bien sans doute avoir l’air de ressentir quelque intérêt pour cette nation accablée qu’on commence à ne plus craindre, et nous ne voulons pas oublier les généreuses marques de sympathie récemment prodiguées par les Anglais à la population de Paris. Malheureusement, au-delà de ces manifestations spontanées des sympathies individuelles, la politique de l’Angleterre et des autres puissances semble consister depuis six mois à ne rien faire et même à éviter les occasions de faire quelque chose.

L’Angleterre ne demanderait pas mieux que de prêter ses bons offices, elle le déclare sans cesse ; puis le moment venu, quand on fait appel à sa bonne volonté, elle répond qu’une intervention « ferait plus de mal que de bien, » qu’il faut attendre, qu’elle ne peut agir que s’il y a une base de paix acceptée d’abord par les belligérans. Le cabinet de Londres est plein d’amitié, il voudrait qu’on n’offrît à la France que d’équitables conditions de paix, qu’on respectât surtout son intégrité territoriale, il déplore le bombardement de Paris. Que faire cependant ? Il ne le sait pas. En vain le gouvernement français entoure l’Angleterre de démarches et de sollicitations avec une persévérance que rien ne décourage, en vain ce malheureux gouvernement presse le cabinet britannique de prendre directement l’initiative d’ouvertures pacifiques auprès de la Prusse, ou de mettre en mouvement cette fameuse ligue des neutres qui ne sert qu’à lui enlever, à lui, la possibilité de chercher des alliés ; l’Angleterre a toute sorte de raisons pour ne point sortir de son immobilité, et la plus triste de toutes les raisons pour une grande nation comme la nation anglaise, c’est assurément d’être obligée d’avouer qu’elle s’arrête devant la mauvaise humeur de M. de Bismarck, qui ne veut point de l’intervention des neutres. Que disons-nous ? M. de Bismarck ne veut pas même des bons offices des puissances neutres, et lord Granville, avec toute la meilleure volonté, est réduit à se replier dans son inaction en lançant ce trait inoffensif : l’Allemagne s’en repentira, l’Allemagne regrettera d’avoir repoussé nos bons offices ! Après cela, on peut bien parler dans le parlement de Londres de nos déplorables affaires en jugeant du ton le plus sévère « une paix extorquée avec des conditions qui seraient intolérables pour une nation ayant besoin de recouvrer ses forces ; » on peut se donner le luxe de maudire « une pareille paix après tant de sang versé et une si grande misère. » En réalité, l’Angleterre n’a rien fait pour empêcher un tel résultat. Quand on lui a demandé son concours, elle l’a refusé. Quand nous en sommes venus à cette extrémité où nous n’avons plus que le choix entre une guerre sans espoir et cette « paix extorquée » dont on parle, M. Gladstone se dégage le plus aisément du monde en déclarant à la chambre des communes qu’il n’y a plus rien à faire, puisque aucun des belligérans n’a témoigné le désir de voir surgir une intervention. Nous avons seulement la satisfaction d’apprendre qu’au dernier moment la reine Victoria aurait écrit au roi de Prusse pour lui demander de mettre de la modération dans les conditions qu’il imposait à la France. Le vœu de la reine Victoria est exaucé, on le sait trop bien maintenant, et le cabinet de Londres ne peut que se féliciter de ses succès ! C’est là qu’en est venue la politique de l’Angleterre ; c’est tout le concours qu’elle a pu nous donner.

La Russie de son côté n’est pas moins prodigue d’intentions tout aussi parfaites et tout aussi efficaces. Au premier instant, le cabinet de Saint-Pétersbourg, en se joignant à la ligue des neutres, a l’air de vouloir se remuer. Il témoigne à M. Thiers les plus libérales sympathies. Le tsar admet à peine qu’on puisse toucher à l’intégrité de la France ; il déclare qu’il ne pourrait approuver qu’une paix faite à des conditions équitables. C’était probablement une sorte de satisfaction donnée à une certaine partie de la société russe visiblement favorable à la France, et aussi une manière de laisser percer l’inquiétude que cause en Russie la résurrection d’un empire germanique. Puis tout d’un coup le cabinet de Saint-Pétersbourg s’arrête. À un moment donné, l’Angleterre « se hasarde » à insinuer qu’une démarche serait peut-être possible, qu’il y aurait peut-être lieu à combiner les efforts des neutres, et le prince Gortchakof se hâte de répondre qu’un tel accord serait « impraticable. » Que s’est-il passé ? Un fait bien simple. La Russie songeait dès lors à tirer parti des circonstances pour lancer dans le désarroi de l’Europe cette dénonciation du traité de 1856, qui n’a pas laissé d’effaroucher la diplomatie anglaise. Si la Russie n’est pas entrée dans la ligue des neutres pour la faire avorter et pour laisser ainsi toute liberté à la Prusse, il faut convenir du moins que ses sympathies pour la France ont été très platoniques. Elles se sont manifestées tout juste dans la mesure où elles pouvaient ressembler à une générosité peu compromettante. Dès le premier jour, la Russie ne voulait sans doute rien faire, et elle n’a rien fait. L’Autriche à son tour n’a pas un rôle plus actif dans cette comédie diplomatique qui se déroule à côté du drame le plus sanglant. M. de Beust a eu, lui aussi, ses velléités, qui n’ont pas duré longtemps. Il est désolé de la « torpeur » de l’Europe, et, ne pouvant pour des raisons spéciales, assure-t-il, prendre l’initiative au nom de l’Autriche, il renvoie à l’Angleterre et à la Russie le soin d’agir. Le dernier mot de cette politique, c’est une déclaration d’abstention absolue faite récemment par le comte Andrassy dans le parlement hongrois. Chose curieuse, au moment même où se négociait notre triste paix, l’Angleterre et l’Autriche semblaient être d’intelligence pour déclarer qu’aucune intervention n’était possible encore. Elles attendaient sans doute que la paix fût signée pour avoir une opinion, — et M. de Bismarck ne leur en voudra certainement pas.

Quant à l’Italie, de qui nous avions peut-être un peu mieux à espérer, elle a fait ses affaires ; elle peut être tranquille, elle ne s’est pas compromise auprès de M. de Bismarck par la prodigalité de ses sympathies pour la France. Qu’aurait dit le terrible chancelier allemand, si l’Italie avait paru se souvenir qu’elle n’existerait pas sans la France ? Aussi les Italiens ont-ils pris leurs sûretés, ils se sont mis les premiers à l’abri de la ligue des neutres. Pendant ce temps, ils sont allés à Rome, ils ont donné un roi à l’Espagne, et des députés de la gauche dans le parlement, des journalistes patriotes, ne parlent de rien moins que de nous redemander Nice et la Savoie, sans doute en paiement des sacrifices de toute sorte qu’ils viennent de faire pour nous ! Nous souhaitons à notre bonne amie l’Italie d’avoir la mémoire un peu moins courte ; elle fera tout aussi bien ses affaires, et elle gardera peut-être un meilleur renom dans le monde. Voilà donc ce que l’Europe a fait pour nous, ce qu’elle nous promettait, et ce n’est pas tout, nous ne sommes pas au bout de nos mécomptes. Une dernière déception était réservée à notre démocratie française. Sous la forme d’un message adressé au sénat pour expliquer l’augmentation du traitement de la légation américaine à Berlin, le président des États-Unis lui-même, le général Grant, vient de nous décocher l’apologie la plus imprévue du nouvel empire germanique, dans lequel il voit, chose bizarre, « une tentative d’imitation de quelques-uns des meilleurs traits de la constitution américaine. » C’est ce qui s’appelle de la perspicacité ; le général Grant a montré heureusement plus de coup d’œil à la guerre, et dans tous les cas, si ce n’est point de sa part un simple calcul électoral pour flatter les populations allemandes de l’Amérique, il choisit, avouez-le, un singulier moment pour exalter cet empire qui se fonde dans le sang d’une nation à qui les États-Unis doivent leur naissance. C’est une leçon pour nous, et elle ne nous corrigera pas.

Au fond, nous avons été abandonnés de tout le monde au jour des sanglantes épreuves, c’est la triste vérité. Les États-Unis se tournent avec une désinvolture audacieuse vers le soleil levant en Allemagne. L’Europe, quant à elle, peut à peine dissimuler son embarras ; elle sent bien qu’en abandonnant la France elle s’est abandonnée elle-même, qu’elle a peut-être trop justifié le mot ironique de M. de Bismarck. Que signifie en effet cette neutralité érigée en système au moment le plus décisif de l’histoire contemporaine ? Elle est le plus singulier aveu d’impuissance, une sorte de déclaration d’incompétence dans l’ordre diplomatique, dans les affaires de la civilisation. — Ainsi les événemens les plus graves peuvent s’accomplir, toutes les conditions de l’équilibre public peuvent être bouleversées, les traités qui sont restés jusqu’ici le fondement de l’ordre continental, qui étaient l’œuvre collective de toutes les puissances, peuvent être abrogés ; l’Europe ne trouve rien à dire, elle ne se croit point le droit d’intervenir, pas même d’offrir une médiation. Ce n’est pas son affaire ! Elle n’a d’autre rôle que de voir passer les catastrophes des peuples.

Ce n’est pas assez, cette inaction apathique ou craintive de l’Europe a eu un résultat bien autrement grave ; elle a laissé rentrer dans les affaires de l’Occident un esprit, des procédés de politique qu’on croyait en quelque sorte abrogés ou du moins atténués par les progrès de la civilisation. La guerre est toujours sans doute une calamité ; mais on pouvait supposer qu’elle serait désormais tempérée par un certain respect du droit des peuples, par une inspiration plus humaine et plus équitable. Lorsque la guerre de Crimée a eu lieu, on n’a point cherché assurément à humilier la Russie. On ne lui a demandé ni cession de territoire bien sérieuse, ni même indemnité de guerre. La paix s’est faite à des conditions qui pouvaient peser à l’orgueil de la Russie et arrêter un moment son ambition, mais qui ne l’atteignaient pas dans sa puissance. Lorsque la France allait en Italie, c’était bien moins pour dépouiller l’Autriche ou pour préparer des annexions que pour rendre l’indépendance à un peuple, et la France n’a pas demandé à l’Autriche vaincue le prix de sa campagne ; si elle a obtenu de l’Italie la Savoie et Nice, elle tient ces provinces du vote des populations autant que d’une cession diplomatique. En un mot, la guerre tendait à changer de caractère. Aujourd’hui c’est la restauration avouée du droit de la conquête et de la force. On enlève par les armes des provinces qui, dans les plus cruelles épreuves, protestent de leur fidélité à la France ; on fait de la guerre une déprédation, ou, si l’on veut, une affaire profitable, une industrie qui rapporte, et c’est pour la première fois depuis longtemps qu’un vainqueur aura exigé une indemnité dépassant les frais d’une campagne.

L’imprévoyance européenne a laissé tout faire, soit par un reste d’envieuse malveillance pour le vaincu, soit par crainte du vainqueur. Ce serait assurément de la part de la France une singulière faiblesse de se répandre en plaintes stériles, et de reprocher ses défaites à ceux dont elle a été quelquefois l’utile et heureuse alliée. Elle ne pouvait du moins se méprendre sur les sentimens qu’on lui portait, sur le degré de concours que lui promettait la politique suivie par les principales puissances de l’Europe. Elle savait, elle devait savoir qu’elle ne pouvait compter sur personne, et dès lors que restait-il à faire ? Si la France, éprouvée par une série d’incroyables désastres, épuisée par des efforts toujours nouveaux et toujours stériles, n’avait plus l’espoir de vaincre par elle-même, de se délivrer d’une invasion mortelle, si elle n’était plus en état de continuer une guerre qui lui a coûté jusqu’ici trois armées entières, si d’un autre côté elle n’avait à espérer aucun secours, la conséquence était cruellement évidente ; la douloureuse et irrésistible nécessité de la paix s’imposait à nos négociateurs, qui n’allaient point certainement à Versailles sans s’être rendu compte de la situation de la France, de ses ressources, de ses dispositions, de ce qui pouvait lui rester d’espérance. S’ils ont fini par se résigner à subir la loi du vainqueur, c’est qu’ils ne pouvaient pas faire autrement.

Ah ! certes elle est sans pitié, cette loi du vainqueur ; elle est terrible cette paix, qui restera comme le souvenir d’une des heures les plus néfastes de notre histoire. L’Alsace et une partie de la Lorraine abandonnées à l’ennemi, cinq milliards d’indemnité, l’occupation d’un des quartiers de Paris jusqu’à la ratification des préliminaires de paix par l’assemblée, c’est la dure rançon qu’on nous impose, et encore ceux qui ont négocié ces conditions ont-ils été obligés de disputer le terrain pied à pied. On voulait nous infliger encore, à ce qu’il paraît, la limitation de nos forces militaires, sans doute par représailles de ce qui avait été imposé à la Prusse après Iéna. Oui, nos négociateurs ont eu le chagrin d’avoir à discuter de telles conditions, auxquelles ils ont refusé absolument de souscrire, et ils n’ont réussi à sauver Belfort, ils n’ont pu obtenir une prolongation d’armistice qu’en consentant à cette occupation momentanée des Champs-Elysées, qui est un deuil de plus ajouté à tant d’autres deuils. Au premier instant, la population parisienne a été saisie d’une indicible émotion. Assurément, après un siège comme celui qu’il a soutenu, Paris avait le droit de s’attendre à être traité comme une ville qui n’a point été prise par les armes, qui s’est fait respecter jusqu’au bout, et qui n’a cédé qu’à la famine. Le vainqueur lui devait ce prix de sa patriotique constance, il se serait honoré lui-même en honorant des vaincus. Puisqu’il n’a pu en être ainsi, puisque l’ennemi a tenu absolument à faire camper trente mille des siens en face de l’Arc-de-l’Étoile, la population parisienne sentira, nous n’en doutons pas, qu’elle ne doit répondre à cette victoire de l’orgueil militaire que par un deuil muet et une impassible dignité. Elle se dira que le sacrifice imposé à sa fierté est encore une manière de servir la France, puisqu’il aura racheté Belfort et sauvé de la domination étrangère quelques milliers d’âmes françaises. Qu’on fasse le silence et le vide autour de ce camp ennemi, qu’on ne se laisse point aller à des excitations et à des démonstrations qui ne seraient plus qu’une vaine bravade, ou qui ne pourraient conduire qu’à des conflits sans espoir, — que ceux qui aiment leur pays lui épargnent au moins cette dernière douleur ! À quoi serviraient des agitations et des tentatives irréfléchies ? Elles ne seraient qu’un prétexte offert à l’ennemi pour rompre l’armistice, elles lui livreraient la cité tout entière avec ses propriétés, ses chefs-d’œuvre, ses monumens, qui resteraient à sa discrétion. Paris se doit à lui-même de contenir ses plus légitimes émotions, de supporter cette dernière épreuve avec courage, de se rappeler enfin, comme le lui dit une proclamation du gouvernement, qu’il a pour quelques heures entre les mains sa propre destinée et la destinée de la France, qu’il peut tout sauver ou tout perdre.

C’est une crise pénible et heureusement courte à passer. Pendant ce temps, la France, dans sa souveraineté, aura pu décider de son sort. Nos négociateurs se sont acheminés vers Bordeaux avec ce triste message, et si Paris a le devoir de laisser à la France le temps de se prononcer, les députés réunis à Bordeaux ne sauraient oublier de leur côté qu’ils doivent bien aussi à Paris de ne point prolonger ses angoisses. Ce n’est plus le moment des discussions ; il ne s’agit pas de se perdre dans les détails, il s’agit de la paix ou de la guerre : tout est là. Et si la nécessité impitoyable s’impose à toutes les consciences, le mieux serait encore de voter en silence, quoique avec désespoir, ce qu’on ne peut plus éviter. Les conditions qu’on a été obligé d’accepter provoqueront, nous n’en doutons pas, à Bordeaux et dans la France entière les révoltes patriotiques qu’elles ont soulevées ici. Les mots de guerre à outrance retentiront dans l’assemblée. Que ces fidèles et chères provinces qui vont être séparées du grand faisceau national, que les premières victimes de ce déchirement fatal, que ceux qui les représentent parlent de combattre et aspirent la lutte, nous le comprenons trop ? seuls, ils ont le droit de n’écouter que leur patriotique douleur, et leurs protestations sont encore une manière de prouver au dominateur étranger ce qu’il y a de sentimens français dans leur âme. Quant aux autres représentans de la France, qu’ils y songent bien, ils ne sont pas libres de secouer le fardeau de la totalité qui pèse sur nous tous, et ce serait à coup sûr un calcul cruellement frivole, une dangereuse politique, de chercher une popularité trop facile par des protestations sans effet, en rejetant la responsabilité d’un dénoûment inévitable sur ceux qui, au prix de tous les déchiremens de leur âme, ont eu le courage de signer la paix.

Les orateurs ou les politiques qui ne voient partout que trahison, qui ne parlent que de guerre à outrance, et qui se préparent à se faire une arme de cette paix nécessaire, croient-ils donc qu’on a pu se décider aisément à céder cette patriotique Alsace et les fragmens de notre vieille Lorraine ? S’il ne s’agissait que de savoir ce qu’on aurait voulu, ce ne serait pas bien difficile. Personne ne reculerait devant les sacrifices, si la lutte offrait encore quelque chance. Cette lutte est-elle possible ? Voilà toute la question. Les défenseurs de la guerre à outrance croient peut-être se montrer bien habiles pour leur parti, pour la république, dont ils se disent les représentans privilégiés, en déclinant d’avance toute participation à une paix qui deviendra probablement impopulaire quand nous aurons retrouvé quelques forces ; savent-ils ce qu’ils font avec cette habileté vulgaire ? Ils préparent tout simplement le thème que l’impérialisme exploitera d’ici à peu, qu’il exploite déjà peut-être. Vous verrez ces grands patriotes qui nous ont conduits à Sedan se glisser furtivement par l’issue qu’on leur aura ouverte, ils chercheront à faire oublier les premiers auteurs de nos désastres en ne parlant à la France que de l’humiliation qu’on lui a infligée ; ils accuseront de cette humiliation les anciens partis ; ils auront peut-être l’audace de dire que leur empereur a eu des malheurs, mais que l’empire n’eût jamais consenti à un démembrement de la patrie. Ils se serviront de tout ce qu’on va dire contre la paix que nous subissons ; ils réchaufferont toutes les déclamations de 1815, et recommenceront le travail interrompu de la légende napoléonienne. C’est là ce qu’on aura préparé sans le savoir, sans le vouloir, nous en sommes convaincus, en donnant des armes contre une paix qu’on croit soi-même inévitable, mais dont on aura cru habile de décliner la responsabilité.

Puisque rien ne peut détourner le malheur qui nous accable, puisque cette paix si cruelle est nécessaire aux yeux mêmes de ceux qui la combattent, il y aurait assurément plus de patriotisme à se mettre résolument, virilement en face de la situation douloureuse qui nous est faite, à ne point se diviser devant le malheur. L’essentiel aujourd’hui pour la France est de sortir de l’abîme où on l’a plongée, de se dégager de l’étreinte qui la meurtrit et l’épuise. La seconde nécessité pour elle, ce sera de rechercher en elle-même tous les élémens de force et de vie qui lui restent. Certes les blessures qu’elle vient de recevoir sont profondes et resteront longtemps saignantes ; mais ce serait une véritable défection de patriotisme de croire que la France ne garde pas tout ce qu’il faut pour se relever, si elle le veut, si on la laisse respirer, si les partis se décident enfin à mettre l’intérêt national au-dessus de leurs mesquines passions, si on ne recommence pas, aussitôt qu’on va retrouver un peu de liberté, les mêmes disputes violentes ou frivoles qui nous ont déjà si souvent perdus. Ce qui est bien certain, c’est que notre destinée est désormais entre nos mains, elle est dans les mains de cette assemblée qui est à Bordeaux, et qui reviendra bientôt à Paris, à moins que Paris ne donne des prétextes à ceux qui veulent qu’elle reste dans une ville de province, Versailles ou Fontainebleau. Cette assemblée, de quelque façon qu’on la juge, est évidemment une représentation assez exacte de la France actuelle, d’autant plus exacte que le pays a voté par une sorte de mouvement spontané, que les pressions abusives n’ont pas eu le temps de s’exercer. Qu’il y ait dans cette réunion de sept cent cinquante représentans des partis extrêmes dans tous les sens, des passions, des préjugés, des velléités de réaction et des fureurs agitatrices, c’est possible ; la masse est certainement aussi patriotique que modérée ; elle se disciplinera, elle marchera sous l’influence prévoyante et libérale de M. Thiers ; elle se dira qu’avant d’ouvrir la porte à toutes les divisions, à tous les antagonismes, elle a pour premier mandat de commencer cette œuvre de réparation qui s’impose à tous. C’est là ce qu’il y a de plus pressant, liquider le passé, savoir où nous en sommes, inventorier nos forces et nos ressources, refaire la France, rétablir l’autorité de toutes ces notions essentielles sans lesquelles il n’y a ni société ni gouvernement, pas plus avec la république qu’avec la monarchie, et ce n’est pas, nous l’avouons, l’œuvre la plus facile.

Il faut dans tous les cas entrer dans cette ère nouvelle avec un esprit éclairé par de si effroyables malheurs, en sachant bien que nous sommes tenus d’oublier beaucoup et de beaucoup apprendre. Il faut nous accoutumer au travail, aux sévérités de la vie, au respect de la vérité, à un sentiment plus sérieux des choses. Depuis longtemps, il faut bien l’avouer, nous avions oublié tout cela, nous avons vécu d’infatuations et de frivolités, abandonnant les affaires de la France à qui voulait les prendre, et ce n’est pas sans raison qu’on pouvait écrire récemment : . « Ce qui nous a perdus, ce n’est pas la Prusse, c’est la bohème. » La France est faite pour avoir d’autres gouvernans. Il y a surtout deux choses inséparables qu’il faut faire respecter dans la politique, la souveraineté nationale et la liberté. Qui donc les menace ? direz-vous. Tout le monde en parle, on ne jure que par elles. — Qui les menace ? Ce sont précisément ceux qui en parlent le plus, et qui, sous prétexte de république, ne respectent pas plus la souveraineté nationale que la liberté. Ce sont ceux qui se figurent que la république, c’est l’agitation en permanence, la confusion, la tyrannie des coups de main, la prédominance des passions subalternes et des cupidités ambitieuses. Ils ont beau être désavoués dans les élections, ils outragent l’assemblée nationale nommée par le pays, ils l’appellent une « majorité rurale, » car ils sont occupés pour le moment à destituer les campagnes. Vous avez vu, il n’y a pas bien longtemps, une réunion lyonnaise proposer gravement une convention nationale qui ne serait élue que par les villes. À Grenoble, un parfait démocrate s’écriait : « Les paysans ne sont bons qu’à planter des pommes de terre et à engraisser des pourceaux. » A Paris même, dans l’assemblée où on a proclamé le résultat du scrutin, n’avez-vous pas vu une troupe d’agitateurs bafouer les noms des élus populaires et réserver leurs acclamations pour ceux de leurs chefs qui ne venaient qu’à la fin de la liste ? Voilà le respect qu’on professe pour le suffrage universel et la souveraineté nationale. Ce n’est pas la république par la liberté qu’on veut, c’est la dictature des minorités violentes. La France vit depuis longtemps par malheur dans cette atmosphère d’ excitations ou de légèreté ; c’est ce qui l’a perdue, c’est ce qui peut mettre encore en péril sa régénération. Qu’on y songe bien : pour tous ceux qui ont le culte de leur pays, pour tous ceux qui gardent leur fidélité aux idées, aux principes de la société moderne, la révolution française, qui a créé cette société, passe aujourd’hui par une crise redoutable. Il s’agit en un mot de savoir si un jour, en racontant l’histoire navrante de notre temps, on pourra écrire : L’ancienne monarchie avait fait la France, la révolution l’a laissée périr. Voilà ce que les esprits sérieux doivent désormais avoir toujours présent à la pensée.

ch. de mazade.


LES CELTES DU PAYS DE GALLES
et leur littérature.

La principauté de Galles avec ses douze comtés forme une partie importante du royaume-uni de Grande-Bretagne et d’Irlande ; cependant la langue, les mœurs, la littérature de ce coin de terre, sont choses presque ignorées, ou peu s’en faut, du public européen, et le peuple anglais lui-même n’a du peuple gallois que des idées vagues et souvent chimériques. Plus d’un Anglais a parcouru le pays de Galles en touriste ou en industriel : selon la tournure de son esprit, il a gravi la montagne du Snowdon et goûté les beautés que le sol romantique et pittoresque de la principauté présente au voyageur, ou bien, en homme porté vers le côté pratique des choses, il a visité les forges de Merthyr Tydfil et les établissemens miniers du Taff Vale ; mais il ne s’est généralement pas inquiété de la population qu’il avait devant lui. Les Anglais regardent volontiers leurs voisins de Galles comme des demi-barbares dépourvus de langue littéraire et presque sans civilisation. Une population comprise dans l’empire britannique qui se tient à l’écart de « l’église établie, » et surtout qui ne parle pas anglais, peut-elle être aux yeux du cockney de Londres, une population civilisée ? Des écrivains courageux essaient de détruire ce préjugé, fortement enraciné dans l’esprit anglais ; ainsi le faisait récemment M. Matthew Arnold dans son livre de l’Étude de la littérature celtique ; néanmoins, malgré les efforts de quelques lettrés, le temps n’est pas encore venu où pleine justice sera rendue dans le royaume-uni à la race et à la langue du pays de Galles.

Les Gallois sont les descendans directs et les héritiers légitimes de la population indigène que les Romains trouvèrent en Grande-Bretagne. Cette population était sur la voie de l’assimilation au monde latin, lorsque les incursions dévastatrices des flibustiers du nord et finalement l’invasion des Angles, des Saxons, des Frisons et des Jutes renversèrent la domination romaine, arrêtèrent le cours de la civilisation latine, et firent les nouveau-venus maîtres du pays. Les habitans qui n’abandonnèrent pas le sol où ils étaient nés furent réduits en esclavage et disparurent dès lors de l’histoire ; un grand nombre s’enfuit en Gaule, dans cette Armorique qui reçut désormais le nom de « Petite-Bretagne, Britannia minor[1], » par opposition à l’île de Bretagne, la mère-patrie. D’autres Bretons se réfugièrent dans l’ouest de leur île, dans la province que les Romains appelaient du nom de Britannia Secunda, et dont la population, défendue par le rempart naturel de ses montagnes, put soutenir heureusement la lutte et sauver sa nationalité. Ces Bretons de l’ouest, les nouveaux maîtres de l’île les appelèrent Walah (d’où le moderne anglais Welsh et notre propre mot Gallois) ; c’est le nom que les Germains donnaient aux populations de l’empire romain avec lesquelles ils se trouvaient en contact, c’est le nom qu’ont également gardé jusqu’à nos jours les « Wallons » de la Gaule belgique et les « Valaques » de la Dacie, bien que ces derniers s’appellent eux-mêmes « Roumains. » Les Gallois n’ont pas accepté davantage le nom sous lequel les Anglais les connaissent, et ils se nomment dans leur langue Cymry, nom qui signifie littéralement « ceux qui ont une même patrie, » et qui a pris son origine dans la lutte soutenue en commun contre l’envahisseur par ce qui survécut de la population indigène. Ce n’est qu’au xive siècle que les rois anglais soumirent définitivement le pays de Galles ; mais les conquérans, rendant hommage à la force de résistance du pays vaincu, le constituèrent en une « principauté » qui conserva longtemps une existence distincte de celle du royaume d’Angleterre, et qui, pour avoir été politiquement assimilée à l’Angleterre par un statut de 1746, n’en a pas moins maintenu presque intacte sa nationalité celtique.

On sait comment la race celtique, après avoir étonné le monde ancien par ses courses aventureuses, après avoir longtemps dominé dans le centre et dans l’ouest de l’Europe, s’est, dès l’aube des temps historiques, effacée devant les races latine et germanique. Les Romains, grâce à leur savante discipline, et plus tard les Teutons par leur fougue barbare, eurent facilement raison des Celtes, Gaulois du continent et Bretons des îles, que laissaient presque sans défense la mollesse d’une vie déjà civilisée et par-dessus tout l’incapacité de former un état, même fédératif. Ce manque d’esprit politique est malheureusement un des traits distinctifs du caractère celtique, et la nation française, dans la formation de laquelle l’élément gaulois entre pour une forte part, en a plus d’une fois, hélas ! fourni la triste preuve. Vaincue ou absorbée par des races, non plus intelligentes, mais plus fortes, la race celtique n’a survécu, avec sa langue et le sentiment de sa nationalité, que sur quelques points du vaste domaine où elle régnait autrefois. Du continent européen, elle n’a plus que la péninsule armoricaine ; outre-Manche, elle s’est maintenue en Galles, dans les hautes terres et dans l’ouest de l’Ecosse, dans l’île de Man, dans le sud et l’ouest de l’Irlande. La séparation séculaire des différens rameaux de la race celtique a eu pour effet d’augmenter et d’accentuer la divergence des dialectes de la langue qu’elle parlait, et c’est au point que ces dialectes forment aujourd’hui deux branches presque distinctes, d’une part l’irlandais, le gaélique d’Ecosse et le gaélique de Man, — d’autre part le breton armoricain et le gallois. Malgré la distance et la diversité des destins qui ont rattaché les uns à la France, les autres à l’Angleterre, les Bretons d’Armorique et les Bretons de Galles n’ont pas perdu le souvenir de leur commune origine, et pendant nos guerres avec l’Angleterre on a vu dans plus d’une bataille Gallois et Bretons se reconnaître à leur langage et se refuser à une lutte fratricide.

Des écrivains qu’un enthousiasme trop prompt, un patriotisme trop rétrospectif, ont poussés à voir dans l’obscure religion des Gaulois une véritable doctrine philosophique, et qui ont voulu opposer une révélation de la Gaule à la révélation de la Judée, ont cru trouver la confirmation de cette thèse séduisante dans la littérature et dans les traditions du pays de Galles. Depuis quelque trente ans, on a fait grand bruit parmi nous des poésies des « bardes » gallois, des documens secrets où une sorte de franc-maçonnerie occulte aurait transmis jusqu’à nos purs la sagesse des anciens druides. Tout cela, il faut le dire, ressemble fort à des chimères. Ces poésies existent ; mais les unes sont d’invention moderne, et les autres, celles dont l’authenticité peut être présumée, n’ont ni l’antiquité qu’on leur attribue, ni le sens mystique qu’on leur prête. Quant aux prétendus documens sur la transmigration des âmes et autres choses « druidiques, » ce sont les élucubrations modernes de quelques rêveurs gallois qu’excitait, comme une atmosphère pleine de haschisch, un milieu de religion mystique et fiévreuse. Il est vraiment malheureux pour la littérature galloise d’avoir servi de théâtre et, pour ainsi parler, de lieu d’exhibition à d’aussi vaines théories. De cette manière, l’attention s’est détournée de ce qui est vraiment remarquable et original dans l’histoire de la littérature galloise, je veux dire cet ensemble de traditions, de poèmes, de chroniques, qui a donné au moyen âge le cycle de la Table-Ronde. Arthur, Merlin, Tristan, Iseult, tous ces personnages légendaires qui ont si fort occupé l’imagination de l’Europe il y a des siècles, auxquels même aujourd’hui notre sympathie s’attache quand un Quinet et un Tennyson évoquent leur souvenir, ce sont des trouvères gallois qui ont répandu par le monde leur touchante et romanesque histoire en la redisant aux trouvères étrangers. Dans cette littérature presque oubliée, il y a, non-seulement pour la sèche nomenclature de l’histoire littéraire, mais aussi pour l’histoire de la poésie intime du cœur humain, une mine des plus riches dont M. Renan a signalé ici même la valeur il y a bientôt vingt ans, et qui n’a guère jusqu’ici été explorée qu’à la surface. Les textes gallois de ces poétiques légendes, les plus originaux peut-être et les plus précieux, sont inédits encore et dispersés dans les bibliothèques des noblemen gallois. Il est à désirer qu’une main pieuse recueille jusqu’au dernier ces fragmens épars de l’ancienne poésie des Cymry, dont l’écho retentissait encore en Europe quand elle était déjà muette au pays qui la vit naître.

La conquête anglaise en effet arrêta le développement de la littérature nationale du pays de Galles sans rien mettre à la place. Le peuple gallois était tombé dans une véritable léthargie intellectuelle et morale, lorsque le grand mouvement de la réforme vint donner un aliment nouveau à la sensibilité de son âme et à l’activité de son génie. Il se jeta dans les doctrines nouvelles avec cette ardeur et cet amour de l’idéal qui caractérisent le génie celtique. Le nombre et la variété des sectes qui se développèrent chez les protestans de Galles montrent quelle intensité y atteignit le zèle religieux. Il est facile de suivre dès cette époque le mouvement littéraire et intellectuel de la principauté, grâce, à un important ouvrage écrit en gallois et récemment publié sous le titre de Bibliographie galloise[2]. Le principal auteur en est M. William Rowlands, qui consacra quarante années à en réunir les matériaux, et que la mort surprit dans ce travail opiniâtre. L’œuvre qu’il laissait inachevée fut alors confiée à un des savans les plus distingués de la principauté, M. D. Silvan Evans, qui l’a complétée par ses propres recherches et vient enfin de la publier. Ce livre donne le titre et la description bibliographique de toutes les publications en langue galloise ou concernant le pays de Galles, de 1546 à 1800, et ces indications sont accompagnées de notices détaillées sur l’auteur de chaque ouvrage. On ne saurait trop recommander cet ouvrage aux rares amis que les lettres celtiques ont sur le continent. C’est, sous une forme fragmentaire et un peu sèche, mais précise, l’histoire de la littérature galloise pendant les trois derniers siècles. On y voit quelle part importante la théologie s’est faite dans la littérature des Cymry. Les œuvres d’histoire et d’imagination ne manquent pas absolument, la poésie n’est pas tout à fait absente ; mais ce qui domine, ce sont les œuvres de théologie et de piété, cantiques, manuels d’édification, ouvrages de controverse. Certes nous préférons à tout cela les poèmes du moyen âge gallois et les romans de la Table-Ronde ; sachons cependant reconnaître que cette active propagande des sectes dissidentes qui se disputent avec acharnement les âmes a seule empêché l’idiome national de tomber à l’état de patois. C’est elle qui lui a gardé sa force, son intégrité et sa richesse, et lorsque le peuple gallois sentit renaître en lui le génie littéraire, s’éveiller la vie politique, il n’eut pas de peine à traduire ses idées, à exprimer ses sentimens dans sa langue, dont la littérature religieuse lui avait précieusement gardé le patrimoine. Quand on compare la langue galloise aux autres langues celtiques, chez lesquelles l’absence de culture durant les derniers siècles a engendré une pauvreté déplorable d’expressions, et où les termes manquent aux idées abstraites de la pensée moderne[3], on est reconnaissant aux dissenters d’avoir sauvé de la ruine une des plus harmonieuses des langues celtiques.

M. Silvan Evans s’arrête presque au moment où la littérature galloise commence à reprendre un sérieux développement. Les années déjà écoulées de ce siècle rempliraient plusieurs volumes aussi étendus que l’unique volume consacré aux trois derniers siècles. Ce n’est pas cependant que la théologie perde la place d’honneur dans la littérature des Cymry. Le sentiment religieux est chez le Gallois passé à l’état de nature, et la religion, — qu’il soit calviniste, méthodiste, baptiste, quaker, — est pour lui affaire de tous les jours, presque de tous les instans. Il est vraiment curieux de remarquer comme le peuple gallois, si séparé qu’il vive du peuple anglais, a exercé une action importante sur la vie religieuse de ce dernier. La Société biblique, dont on connaît la prodigieuse extension, qui a fait traduire l’Écriture sainte dans toutes les langues connues, et qui jette sur le monde entier de véritables cargaisons de bibles, a été fondée par des Gallois, et devait à l’origine restreindre son action au pays de Galles. Les « écoles du dimanche » (sunday schools), consacrées à la lecture et à l’explication de la Bible, dont l’usage est devenu général par toute l’Angleterre, ont été empruntées à la pratique de la piété galloise. S’il fallait un autre exemple du zèle religieux qui anime la principauté, on le trouverait dans les missions que certaines sectes du protestantisme gallois entretiennent à l’étranger. C’est ainsi que les calvinistes de Galles ont des missionnaires même en Bretagne, à Quimper et à Morlaix, et ils ont un mérite d’autant plus grand à supporter les frais de ces missions qu’elles n’ont pas gagné beaucoup de prosélytes bretons.

Cette activité persévérante, les Gallois l’apportent dans la vie littéraire. S’ils n’ont pas eu dans ce siècle une de ces grandes œuvres qui mettent une littérature hors de page, et qui, comme le Kalevala par exemple, attirent sur un petit peuple l’attention du monde entier, ils ont du moins cette abondance de publications de toute sorte qui montre chez une nation un véritable goût des choses de l’esprit. Ce goût, répandu jusque dans les plus humbles classes de la société, est entretenu par les nombreux journaux publiés dans la langue nationale, et surtout par les eisteddfodau, qui se célèbrent presque chaque année. On appelle de ce nom des fêtes littéraires qui, successivement tenues dans les différens comtés de la principauté, sont aux Gallois de nos jours à peu près ce que les jeux olympiques ou pythiques étaient aux anciens Grecs. Ces fêtes, auxquelles artisans, bourgeois et noblemen prennent une égale part et un égal intérêt, alimentent dans les âmes le culte des traditions, de la langue et de la musique nationales. Les Gallois, sans en excepter les hommes des plus basses classes, le paysan et l’ouvrier, trouvent à des concours de poésie ou de musique le même plaisir que leurs voisins d’Angleterre aux courses, aux combats de rats ou aux duels de boxeurs[4].

Il n’y a pas de peuple libre et vraiment instruit sans une littérature politique. Le premier journal en langue galloise parut en 1843. Aujourd’hui les Gallois possèdent dans leur langue une dizaine de journaux politiques, hebdomadaires ou bi-hebdomadaires, et une quinzaine de publications trimestrielles ou mensuelles, parmi lesquelles d’importantes revues. Ce nombre de publications est vraiment considérable relativement au chiffre peu élevé de la population galloise. La principauté compte environ 1,200,000 habitans ; mais il faut considérer qu’un tiers se compose d’Anglais fixés dans le pays ou de Gallois anglicisés qui ne parlent qu’anglais, un tiers peut être regardé comme bilingue, le dernier tiers ne parle et ne comprend que le gallois. C’est donc à une population d’environ 800,000 âmes que s’adressent en réalité ces publications ; à cette littérature périodique, il faut ajouter les œuvres d’histoire et d’imagination, soit originales, soit traduites de l’anglais, dont le nombre toujours croissant atteste l’amour de la lecture et le désir d’instruction qui règnent chez le peuple gallois. Instruit par ses journaux et tenu par eux au courant des événemens du jour, le paysan gallois n’est pas étranger à la politique de l’état auquel il appartient ; les questions qui s’agitent au parlement trouvent dans son esprit un terrain tout préparé, et il vote en connaissance de cause. J’ai eu occasion en 1868, lors des élections qui devaient renverser le ministère Disraeli, d’assister dans le pays de Galles à plusieurs meetings populaires, et j’ai pu y constater personnellement l’éducation politique que le peuple gallois doit à sa littérature et à sa presse nationales.

Le fidèle attachement que cette petite nation porte à sa langue témoigne d’un grand patriotisme, et il est beau de le retrouver partout où les nécessités de la vie matérielle poussent des émigrans gallois, non-seulement dans les grandes villes anglaises où les attire l’abondance du travail (la presse de Liverpool compte un journal gallois), mais au-delà de l’Atlantique même. Les nombreux émigrans gallois qui se sont établis en Amérique y conservent avec ténacité leur langue et leur nationalité ; il existe aux États-Unis et en Australie plusieurs journaux et recueils en langue galloise, il s’en trouve même sur les bords du fameux Lac-Salé, où les Gallois de la communauté mormonne publient une feuille sous le titre apocalyptique de Trompette de Sion (Udgorn Sion). Il est difficile de nier pourtant que le pays de Galles est dès maintenant menacé de perdre un jour son caractère national. Il ne vit plus isolé du reste de la Grande-Bretagne ; les railways le traversent de part en part, et son union avec l’Angleterre devient tous les jours trop intime pour qu’il ne se fonde pas finalement dans celle-ci. Ce que la conquête n’a pu faire, la communauté d’intérêts le réalisera. Les relations de peuple à peuple, de province à province, ont pris une telle extension que les grandes nations menacent d’absorber les petites par l’unique pression de leur influence. Aussi l’élément gallois pourrait bien d’ici à quelques siècles disparaître dans le milieu anglo-saxon qui l’enserre de plus en plus en Grande-Bretagne et en Amérique.

C’est ce qui a inspiré à quelques patriotes gallois la courageuse pensée de diriger à l’avenir autant que possible l’émigration galloise vers une contrée encore vierge d’habitans, au moins d’habitans civilisés, pour y fonder avec l’aide du temps un état exclusivement celtique. Leur choix se porta sur la Patagonie. « L’agitation » qu’ils organisèrent à cet effet n’eut pas dès l’abord très grand succès, car un émigrant préfère généralement chercher fortune dans une société déjà formée plutôt que d’accepter le rude labeur de fonder une société nouvelle. Peu d’émigrans répondirent au premier appel du comité de « l’émigration galloise » (Gwladfa Gymreig), et la première troupe qui partit de Liverpool à la fin de mai 1865 ne comptait pas même deux cents personnes. Deux mois après, ils arrivaient sur les bords du fleuve Chupat et s’y établissaient. Ils ne manquèrent pas de donner des noms celtiques à leur nouveau pays, qu’ils appelèrent Bro Wen (beau pays) ; le Rio-Chupat reçut d’eux le nom d’Afon Lwyd (fleuve gris). Ils eurent au début de pénibles épreuves à traverser ; mais leur ténacité en vint à bout, et leur petite communauté est aujourd’hui en pleine prospérité sous le patronage de la république argentine, dont elle est connue sous le nom de Colonia de Gualenses. Leur nombre s’est accru par l’arrivée de nouveaux émigrans, et, qui sait ? un jour viendra peut-être où, disparue d’Europe et absorbée dans les deux mondes par la race anglo-saxonne, la race celtique ne survivra plus que sur les bords du Chupat !

h. gaidoz.

C. Buloz.
  1. La Bretagne armoricaine se divise à son tour en Haute-Bretagne et en Basse-Bretagne ; mais, comme cette dernière est seule restée fidèle à la nationalité celtique, on applique souvent en France, quoique à tort, le terme de « Basse-Bretagne » à la Bretagne tout entière. Cette appellation doit être réservée à la Bretagne bretonnante.
  2. Llyfryddiaeth y Cymry, gan y diweddar Parch. William Rowlands, gyda chwanegion a chyweiriadau gan y Parch. D. Silvan Evans. 1869. Llanidloes, Pryse.
  3. Sur cette altération graduelle et cet appauvrissement progressif de la plupart des langues celtiques, voyez un instructif et intéressant opuscule : les Celtes au dix-neuvième siècle, par Charles de Gaulle ; Paris 1865.
  4. Le lecteur connaît les beaux vers écrits par M. de Lamartine à propos de l’eisteddfod d’Abergavenny en 1838, auquel assistaient quelques Bretons de France. Ces vers ont été reproduits dans les Recueillemens poétiques.