Chronique de la quinzaine - 28 février 1855

Chronique n° 549
28 février 1855


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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28 février 1855.

Il y a dans les affaires actuelles de l’Europe un nœud, si l’on nous permet ce terme, que des négociations prochaines viendront dénouer, si elles peuvent, ou que l’épée tranchera sans nul doute, mais qui, dans tous les cas, avant l’heure des solutions décisives, reste en ce moment l’objet de toutes les préoccupations, en enlaçant peu à peu toutes les situations et tous les intérêts. Pour peu qu’on observe les faits qui se succèdent et se mêlent, on ne se méprendra point sur le caractère véritable de cette stagnation apparente sous laquelle fermentent tous les élémens d’une grande crise. S’il était vrai, comme on l’a dit quelquefois, qu’on ne fût jamais plus près d’une pacification qu’à l’instant où la tension des choses devient extrême et universelle, il est clair que l’Occident pourrait se croire à la veille de voir la paix sourire de nouveau à sa fortune. Malheureusement, quand des questions d’un certain ordre sont engagées, quand les forces en sont à se compter de toutes parts, quand l’épée, déjà tirée par les uns, est tenue à demi hors du fourreau par les autres, il y a moins loin encore pour aller d’une guerre restreinte à une guerre plus générale que pour revenir à la paix. Ce n’est pas sur un point seulement aujourd’hui, c’est partout à la fois que la lutte actuelle apparaît dans sa gravité, en prenant toutes les formes, en devenant l’épreuve de toutes les politiques, en faisant naître cette succession d’incldens et de complications où se mesure la situation réelle de l’Europe. Qu’on réunisse les élémens épars et divers de cette situation à l’heure où nous sommes. En Crimée d’abord, c’est la guerre qui, après être restée quelque temps en suspens, semble près de recommencer avec une intensité nouvelle. À Vienne, c’est une négociation sans cesse ajournée, difficile à coup sûr, et qui ne peut plus tarder maintenant à livrer son secret en présence de l’arrivée de lord John Russell au siège des conférences européennes. En Angleterre, de la dernière crise ministérielle, provoquée elle-même par la guerre, est née une nouvelle crise qui arrive à peine à son terme. Au-delà du Rhin, la Prusse en est encore à savoir quelles seront ses relations, soit avec l’Autriche, soit avec les puissances occidentales. L’attitude décidée de la Sardaigne laissait suffisamment pressentir une rupture avec la Russie, que le cabinet de Pétersbourg vient de proclamer, et les récriminations de M. de Nesselrode contre ce qu’il appelle l’ingratitude du Piémont ne nous semblent prouver qu’une chose : c’est que, quand elle soutient les droits et les intérêts d’un pays, la Russie imagine acquérir un titre perpétuel à sa soumission et à sa complicité. Il n’est point jusqu’à la Belgique où la crise de l’Europe n’ait eu son retentissement, et n’ait soulevé des discussions parlementaires dont l’opportunité est assez douteuse, mais qui rentrent dans l’ordre général des événemens actuels, justement parce qu’elles se rattachent à cette grande question des neutralités. C’est aujourd’hui enfin divulguer le secret de tout le monde que de mettre au nombre des éventualités de la situation présente le départ possible de l’empereur pour la Crimée. À vrai dire, de tous les faits propres à caractériser le moment où nous sommes, celui-ci ne serait point à coup sûr le moins grave, et il dominerait naturellement tous les autres, s’il s’accomplissait.

Il ne peut être donné à personne, on le comprend, de dire que ce départ se réalisera ou qu’il ne se réalisera point, d’autant plus que les circonstances sont vraisemblablement de nature à exercer ici quelque influence. Que la pensée soit venue au chef de l’état d’aller fortifier de sa présence cette intrépide armée, aussi ferme contre le choc de l’ennemi que contre les privations et les rigueurs du climat, rien n’est plus naturel évidemment, comme aussi il est tout simple que ce projet ait dû être pesé au double point de vue de l’état de la guerre en Crimée et des conjonctures générales où se trouve l’Europe. Or quel est l’état de la guerre devant Sébastopol ? S’il a pu y avoir quelque lenteur facile à expliquer dans cette campagne si glorieusement commencée, si laborieusement continuée, tout indique aujourd’hui que l’heure de l’action approche, et que nos soldats touchent au moment de tenter un dernier, un héroïque effort. Abondamment approvisionnée, accrue de tous les renforts qui ont été envoyés en Orient, notre armée, en attendant de reprendre les hostilités, a pu poursuivre ses travaux. Le voyage récent du général Niel en Crimée n’a pu que donner une plus vive impulsion aux opérations du siège. Des batteries nouvelles ont été élevées, les points vulnérables de l’ennemi ont été reconnus. La place va être enlacée de nos travaux, comme on l’a dit, et nos soldats, conflans dans leurs chefs et dans leur propre héroïsme, sont prêts à briser les derniers obstacles. Les Russes chercheront-ils à détourner cette attaque en livrant une nouvelle bataille ? Ils le pourront évidemment, et cela est assez probable même, car ils ont à leur tête un chef vigoureux, qui n’est ni un général ni un amira], mais qui est un homme d’action. L’empereur Nicolas avait bien choisi le prince Menchikof pour engager cette lutte par sa hauteur à Constantinople, et pour la soutenir par son énergie ; mais le prince Menchikof n’a pu faire que son armée n’ait été deux fois battue, qu’elle n’ait souffert beaucoup plus encore que les armées alliées. Quand on énumère les forces immenses que le tsar aurait envoyées en Crimée, il ne resterait qu’une difficulté, si ces forces étaient réellement là où on les place : ce serait de les faire vivre. La vérité est qu’il n’y a probablement nulle disproportion entre les armées aujourd’hui en présence sur le sol de la Crimée, et l’échec nouveau que les Russes viennent, dit-on, d’essuyer dans un engagement contre les Turcs, devant Eupatoria, n’est certainement pour eux que le présage de défaites plus décisives le jour où ils rouvriraient une lutte sérieuse avec les armées alliées qui campent auprès de Sébastopol. C’est donc dans ces conditions, en présence d’opérations qui se poursuivent régulièrement et sont près de toucher au but, que pourrait s’accomplir le départ de l’empereur. La présence du chef de l’état serait sans contredit de nature à précipiter l’action, en inspirant une confiance nouvelle à nos soldats. Mais ce n’est point uniquement en Crimée, ni même par la seule force des armes, que la question s’agite aujourd’hui. Elle a un autre théâtre : c’est l’Europe, où toutes les négociations sont nouées, où les relations de l’Allemagne avec les puissances occidentales restent à fixer, où se concentre enfin l’action de la diplomatie. C’est ainsi que les considérations politiques viennent se placer à côté des considérations de la guerre, et en marchant au même but, elles n’ont pas moins d’importance à coup sûr. En ce moment, en effet, nous touchons sans doute à la réunion de la conférence qui doit délibérer sur les garanties de paix stipulées par l’Angleterre, la France et l’Autriche, et acceptées en principe par la Russie. Lord John Russell, chargé de représenter la Grande-Bretagne, a traversé Paris et s’est dirigé sur Berlin, en se rendant à Vienne. Le malheur de ces négociations, c’est de s’ouvrir sans exciter une grande confiance jusqu’ici, et le dernier manifeste de l’empereur Nicolas n’est pas de nature à révéler ses véritables dispositions, la pensée à laquelle il a obéi en acceptant les quatre points de garantie. Le tsar, il est vrai, se montre prêt à traiter avec l’Europe, il parle un langage pacifique, mais en même temps il fait un appel à son peuple et met la Russie tout entière sous les armes, se proposant les exemples de 1812. Où faut-il voir la vraie pensée de l’empereur Nicolas ? Est-ce dans ses paroles, est-ce dans son appel aux armes ? La plus grande difficulté, du reste, on le sait, est dans la manière d’interpréter la condition qui impose à la Russie la cessation de sa prépondérance dans la Mer-Noire, et c’est sur ce point sans doute que s’agitera le véritable débat, pierre de touche de la sincérité et des disposition réelles la Russie.

À cette ouverture des négociations de Vienne se rattache d’ailleurs une autre question qui n’est pas moins sérieuse, celle de savoir quel sera le rôle de la Prusse dans la conférence nouvelle, et le rôle de la Prusse implique ici la conduite de la confédération germanique, toujours partagée entre deux influences, entre deux directions. Malheureusement rien n’indique jusqu’ici que la Prusse ait réussi à formuler, ou qu’elle se soit décidée à accepter les propositions qui ont pu lui être faites. Dès lors sa participation à l’œuvre diplomatique qui va être entreprise à Vienne ne reste-t-elle pas un doute ? Ce n’est pas qu’on n’ait mis un zèle extrême à aplanir tous les obstacles, à désarmer les susceptibilités de la Prusse. Les puissances occidentales, on ne l’ignore pas, se sont montrées disposées à conclure un traité séparé avec le cabinet de Berlin. Cependant la grande difficulté est toujours de savoir la vraie mesure des engagemens que le gouvernement du roi Frédéric-Guillaume est prêt à contracter. Dans le fond, il voudrait ne s’engager à rien, et il voudrait qu’on s’engageât envers lui. Son but serait d’écarter tout d’abord des questions fort graves en effet, et qui touchent à certaines nationalités ; il ne tiendrait pas moins à obtenir qu’aucune armée occidentale ne put, en aucun cas, passer en Allemagne. En d’autres termes, il voudrait qu’on s’engageât sur des points qui ne sont point en question, ou sur ce qui serait une garantie en faveur de la Russie. Une des prétentions les plus singulières de la Prusse, c’est de parler sans cesse d’impartialité, de modération, de respect de tous les droits, comme si c’était ici un débat ordinaire, comme s’il y avait des ambitions contraires à concilier, comme s’il ne s’agissait pas tout simplement de sauvegarder le droit et la sécurité de l’Europe. C’est toujours sur ce terrain qu’il faut ramener la question. Les puissances belligérantes individuellement ne demandent rien, elles n’ont laissé éclater aucune ambition ; elles n’ont pris les armes que pour un intérêt général, et dès qu’il s’agit d’un intérêt de cette nature, c’est plus qu’un droit, c’est un devoir de revendiquer toutes les garanties d’une paix solide.

Chose étrange ! après avoir commencé par condamner avec toutes les autres puissances européennes la politique du tsar, le gouvernement prussien en est venu aujourd’hui à défendre la Russie. N’est-ce point l’indice du singulier travail qui s’est opéré à Berlin ? Et à quoi la Prusse aboutit-elle ? À voir tout à coup ses alliances rompues. L’isolement est le dernier mot de sa politique. Aussi n’est-il point surprenant que l’opinion se soit émue en Prusse et qu’elle ait eu un écho dans le parlement. Le cabinet de Berlin avait proposé en effet une loi de crédits militaires. La commission de la seconde chambre, dans ses délibérations intérieures, s’est trouvée saisie d’une proposition qui consistait à soumettre à la chambre une adresse au roi dans un sens favorable à la politique occidentale. Cette motion a été adoptée par la commission prussienne ; mais qu’a-t-on vu alors ? Quand s’est présentée la question même des crédits, la majorité s’est prononcée contre l’autorisation que réclamait le gouvernement d’affecter à l’état militaire du pays une portion de l’emprunt contracté l’an dernier, — de sorte que la commission paraissait tout à la fois conseiller au roi une politique plus décidée et lui refuser les moyens de soutenir cette politique. Cette contradiction plus apparente que réelle a été le résultat d’une alliance fort imprévue, formée au dernier instant entre l’extrême gauche, qui a voté contre le gouvernement, parce qu’elle ne le voyait pas sans doute assez résolu à suivre une marche virile, et l’ex tréme droite, qui a refusé les crédits, parce qu’elle n’était pas probablement assez sûre que le gouvernement en ferait un usage favorable à la Russie. Il reste maintenant à savoir comment cette confusion se dissipera dans la discussion publique, et si le cabinet de Berlin parviendra, ainsi qu’il y a réussi l’an dernier, à obtenir ses crédits en éludant tout engagement. Le fait principal ne demeure pas moins comme l’indice des tendances de l’esprit public, et c’est appuyé sur cet esprit que le gouvernement de la Prusse pourra regagner le terrain qu’il a perdu, en faisant cesser un isolement aussi fatal pour lui-même que pour l’Allemagne et pour l’Europe.

L’opinion, on le voit, tend à se faire jour à Berlin, même quand on décline sa compétence dans les affaires extérieures. En Angleterre, l’opinion est la souveraine et la maîtresse de toutes les combinaisons politiques. C’est elle, à vrai dire, qui domine le gouvernement, qui lui communique son impulsion et le force de compter avec elle, au risque de le jeter dans toute sorte de crises, qui, en se prolongeant, ne pourraient que tourner contre le but commun. Le malheur est venu de ce qu’il n’y a point eu dès l’origine une intime et vigoureuse intelligence entre l’opinion publique anglaise et le gouvernement sur les affaires de la guerre. Il n’y avait d’accord ni sur le but ni sur ks moyens. L’opinion suspectait la tiédeur d’un ministère dont elle connaissait les divisions ; le cabinet à son tour se sentait dépassé par le sentiment populaire, dont il redoutait les illusions et les emportemens. Les désastres de l’armée anglaise sont venus, et le gouvernement a eu à soutenir un choc universel auquel il n’a point résisté. Le cabinet de lord Aberdeen a eu à répondre non-seulement de ses fautes, mais de ce qu’il n’a point fait, du vice des institutions militaires, des lacunes de l’administration, des déception » patriotiques de l’opinion. Ce n’est pas tout cependant. Le nouveau ministère lui-même, recomposé par lord Palmerston, vient de se dissoudre encore une fois. Les peelites qui étaient restés au pouvoir, sir James Graham, M. Gladstone, M. Sidney Herbert, n’ont pas tardé à aller rejoindre lord Aberdeen dans sa retraite, et le ministère sort à peu près entièrement refondu de cette épreuve nouvelle. Lord Palmerston a essayé de reconstituer son administration avec ses amis du parti whig et quelques hommes nouveaux. Lord Clarendon reste l’invariable ministre des affaires étrangères. Sir Cornwall Lewis entre comme chancelier de l’échiquier, sir Charles Wood comme premier lord de l’amirauté, sir George Grey comme ministre de l’intérieur. Enfin lord John Russell, qui avait déjà reçu de lord Palmerston la mission de plénipotentiaire à la conférence de Vienne, rentre au gouvernement comme secrétaire d’état pour les colonies. Le mot de la dernière crise ministérielle est dans la motion d’enquête faite, comme on sait, par M. Roebuck. Que cette enquête fût une mesure extrême, destinée, selon toute apparence, à ne remédier à rien et à soulever des embarras de plus d’un genre, cela n’est guère douteux ; mais il s’agissait de contraindre le parlement à se déjuger et l’opinion à abandonner ce qu’elle considère à tort ou à raison comme une garantie, c’est-à-dire qu’il y avait à engager une lutte qui ne pouvait finir que par la retraite du ministère tout entier ou par la dissolution du parlement et par un appel au pays. Lord Palmerston a cru devoir éluder cette alternative. Il a tout simplement accepté une transaction qui consiste à composer la commission d’enquête de membres désignés mi-partie par la chambre des communes, mi-partie par le gouvernement.

Que produira cette enquête ? Ceci est l’affaire de l’avenir ; mais lord Palmerston s’est mis en règle avec l’opinion publique et le parlement, en se résignant à une mesure qu’il ne pouvait pas empêcher. Seulement c’est ici qu’a éclaté le dissentiment entre le chef du cabinet et ses collègues, sir Jamet Graham, M. Gladstone et M. Sidney Herbert, très décidément opposés à la motion de M. Roebuck, aujourd’hui comme aux derniers momens du ministère Aberdeen. À vrai dire, c’était plus particulièrement pour eux une affaire personnelle ; c’était une sorte de sentence rendue contre eux, et qui suivait son cours tandis qu’ils étaient au pouvoir. Le résultat est donc un remaniement presque complet du cabinet. Tout dépend aujourd’hui de l’esprit que le ministère renouvelé de lord Palmerston portera au pouvoir et de l’impulsion qu’il saura donner aux affaires publiques. On ne saurait du reste méconnaître ce qu’il y a de critique dans sa situation en face de la phalange compacte des tories et de la fraction peu nombreuse, mais intelligente et nécessairement mécontente, des peelites. Une dissolution du parlement peut devenir aisément le dernier mot de cette confusion des partis, et encore est-il bien sûr qu’une dissolution eût pour effet de ramener au parlement une opinion homogène et puissante, capable d’exercer le gouvernement avec une autorité rajeunie par le suffrage populaire ? Il faudrait cependant y songer. Il s’agit pour les hommes publics de l’Angleterre de quelque chose de plus qu’une émulation vulgaire de pouvoir. Si les ministères se succèdent également impuissans, si les combinaisons qui s’essaient n’aboutissent qu’à des avortemens périodiques, alors l’opinion publique pourra s’irriter de ce spectacle ; elle s’en prendra aux grands noms de la politique et à ceux qui ont reçu la tradition d’une prépondérance héréditaire, comme elle s’en est prise déjà des malheurs de l’armée au caractère aristocratique des institutions militaires, et sous une double forme c’est la constitution même de la Grande-Bretagne qui est en question.

Ce serait assurément un des plus étranges résultats des complications qui sont survenues en Europe. Telle est d’ailleurs la nature de cette crise, qu’elle a son écho dans tous les pays, en vertu de cette loi qui rend solidaires tous les droits, tous les intérêts, toutes les sécurités. Si, pour les grandes puissances particulièrement, elle crée l’obligation d’une initiative plus nette et plus vigoureuse, — pour tous les états, quel que soit leur rang, quelle que soit leur importance, elle pose une question de conduite que le Piémont, pour sa part, a résolue avec une intelligente fermeté, en adhérant à la politique occidentale. Cette question, c’est celle qui s’agite un peu sur tous les points où l’opinion des peuples puise dans quelque analogie de situation le conseil d’une politique semblable. Qui pourrait dire en effet que, le jour où la lutte prendrait de plus grandes proportions, la Suède, le Danemark au nord, d’autres états encore, ne suivront pas l’exemple du Piémont ?

La Belgique, à ce qu’il paraît, s’est émue de ce mouvement qui tend à détacher certains pays de la neutralité, et un député du parlement de Bruxelles, M. Orts, est venu poser au gouvernement toute sorte de questions. La Belgique a-t-elle été invitée à se rattacher, comme l’a fait le Piémont, à la politique des puissances occidentales ? N’a-t-elle point reçu de la Russie des propositions d’un autre genre, qui tendraient à l’affermir dans sa position neutre ? Au cas où des invitations dans l’un ou l’autre de ces sens se seraient produites, qu’aurait répondu le gouvernement ? Ce n’est pas sans un peu de passion assez inopportune que cette courte discussion sur la situation de la Belgique est venue interrompre tout à coup les travaux du parlement de Bruxelles, comme aussi il y a une certaine inconvenance à parler des écrivains français dans les termes dont s’est servi l’interpellateur. Pour tout dire, plus d’une parole a été prononcée, qui n’était guère de nature à servir l’intérêt qu’on défendait, et ce qu’il y a de plus grave, de plus singulier, dirons-nous, c’est que sous ces interpellations se déguisait à peine la pensée de mettre la Belgique en état de défense, afin de constituer sans doute une neutralité armée. Ce serait peut-être aller au-devant du danger contre lequel on veut se prémunir. Sur quoi cependant se fondait cette émotion du parlement belge ? Le ministre des affaires étrangères, M. Henri de Brouckère, est venu dire fort simplement qu’aucune demande n’avait été adressée au gouvernement du roi Léopold, et qu’il n’avait eu aucune réponse à faire ; il a rappelé d’ailleurs que la neutralité n’était point un choix pour la Belgique, mais la loi même de son existence, d’après les traités qui l’ont constituée. C’est là en effet, c’est dans son droit que la Belgique peut trouver son vrai bouclier, et non dans un appareil militaire qui lui coûterait à coup sûr beaucoup d’argent, sans la garantir peut-être avec une parfaite efficacité. Que la Belgique tienne à la neutralité comme à une loi naturelle et fondamentale de son existence, cela est très simple ; mais il y a un point où il n’est ni sage ni habile de faire trop de bruit en faveur de cette neutralité, au-dessus de laquelle après tout est l’intérêt général de l’Europe. Ainsi, on le voit, la question qui s’agite aujourd’hui se manifeste sous bien des formes, et par des incidens bien divers. Hostilités qui se poursuivent, négociations qui se préparent au milieu des armemens agrandis, crises ministérielles, débats sur les neutralités, tout marche, tout se mêle, tout découle d’une mène source et se rapporte à une pensée unique, celle de la lutte dans laquelle l’Europe est absorbée, prête à accepter également une paix juste ou la continuation d’une guerre qui n’est qu’un acte défensif pour sa sécurité et sa civilisation.

La France a naturellement dans une telle lutte la situation et l’influence que lui donnent son rang dans le monde, ses forces et ses ressources. Les conditions intérieures de notre pays changent peu d’ailleurs. Elles n’ont, pour suppléer à l’activité organisée de la vie publique, que ce travail permanent des esprits, partagés entre les intérêts positifs et les complications de la crise actuelle. Quelle que soit l’issue de ces complications, le plus clair pour la France, c’est que son armée porte héroïquement le noble poids de ses vieilles traditions, et au moment où peut s’aggraver encore la situation militaire et politique de l’Europe, il n’est point indifférent de se rendre compte de l’état réel de nos ressources financières. C’est là ce qu’on peut voir dans le rapport récent du ministre des finances à l’empereur et dans le projet de budget qui vient d’être présenté au corps législatif.

Le rapport ministériel n’offre naturellement que des résultats généraux. Il rappelle les découverts qui depuis longtemps pèsent sur le trésor, et qui s’élèvent à la somme 700 millions. Il montre l’élévation progressive des revenus publics, la facilité du recouvrement des impôts. Une première question se présentait cependant : c’était celle de savoir comment l’état pourrait faire face à toutes ses dépenses, en dehors même des ressources, en rétablissant les 17 centimes dont la contribution foncière avait été dégrevée il y a trois ou quatre ans. Il a préféré arriver, par des négociations avec les compagnies de chemins de fer, à diminuer ses charges présentes, sauf à laisser à l’avenir sa part de responsabilité. Il a proposé en même temps le rétablissement de certains droits d’enregistrement. À l’aide de ces mesures, l’intérêt des deux emprunts a pu être inscrit dans les dépenses ordinaires et permanentes sans troubler trop sensiblement l’équilibre des finances. Il y aurait même un excédant de recettes de quatre ou cinq millions, si les prévisions du budget de 1856, qui vient d’être présenté au corps législatif, se réalisaient. Les recettes en effet sont évaluées à 1,602 millions, et les dépenses à 1,597 millions ; mais on ne saurait oublier, pour apprécier exactement la situation générale de nos finances, que c’est là une prévision, que dans ces chiffres ne sont point comprises les dépenses extraordinaires de la guerre, et en outre que l’état a dû mettre l’avenir de moitié avec le présent dans certaines dépenses de travaux publics. Il reste aujourd’hui au corps législatif la mission d’examiner le budget de 1856. Dans tous les cas, si des charges et des difficultés de plus d’un genre pèsent sur nos finances, il est un fait qui ressort de partout : c’est la promptitude avec laquelle la France retrouve toute la puissance de ses moyens matériels, de même qu’elle est toujours accessible aux grands instincts politiques, et qu’elle se reprend à goûter toutes les distinctions sociales et intellectuelles.

C’est à l’attrait intellectuel en effet que les divers incidens de notre vie sociale doivent encore leur relief le plus vif. Contrastes du passé et du présent, sympathies mondaines, intérêt de l’intelligence honorée et saluée sous une de ses formes les plus saisissantes, tout cela ne se réunissait-il pas, il y a peu de jours, pour revêtir d’un caractère particulier la réception de M. Berryer à l’Académie française ? Il y a plus de deux ans que M. Berryer avait été élu ; aujourd’hui seulement il vient de recevoir la solennelle investiture académique, et désormais c’est un immortel de plus. La politique n’était point certainement absente dans cette séance si longtemps attendue, trop attendue peut-être ; eût-elle été bannie avec soin, on l’aurait cherchée encore, et on l’aurait trouvée partout ; on l’aurait vue dans cette affluence singulière d’une société choisie et sympathique, dans cette attente secrète de ce qui allait arriver, dans tous ces signes qui ne trompent pas, même au sein de la réunion la plus paisible. La politique au reste s’est peu cachée, on dit même qu’elle était intervenue dans le choix des personnes qui devaient se tenir auprès du récipiendaire. Une circonstance fortuite n’a pu qu’achever le tableau et lui donner un plus piquant intérêt, en mettant M. Berryer, l’adversaire de la monarchie de 1830, en présence d’un des ministres de cette même monarchie, M. de Salvandy, chargé de recevoir le nouvel élu.

Chose étrange ! bien des hommes à qui l’Institut eût été en quelque sorte interdit il y a dix ans s’y trouvent ramenés aujourd’hui. La politique les eût éloignés autrefois, elle leur ouvre maintenant la route ; elle est le bien des hommes, le ressort secret des combinaisons académiques, l’âme de ces solennités nouvelles où les noms de Richelieu et de Louis XIV retentissent plus souvent que les noms de Corneille et de Racine. Il ne faudrait point cependant dépasser certaines limites, parce que la politique à l’Institut risque toujours, en définitive, d’être de la politique d’académie. Il ne faudrait pas davantage réduire les affaires académiques aux proportions de combinaisons entièrement personnelles, dictées par l’intérêt du moment. M. Berryer a heureusement d’autres titres académiques que des titres de circonstance. De tous les contemporains qui ont figuré avec éclat dans ces grandes discussions parlementaires, décoration splendide d’édifices aujourd’hui écroulés, M. Berryer est un de ceux qui ont le mieux mérité le nom de guerrier civil, de politique armé, dont parlait l’autre jour M. de Salvandy, — politique armé de toute la puissance de la parole. Ce n’est ni un écrivain » ni un philosophe, ni un orateur savamment nourri : c’est la personnification la plus saisissante de l’éloquence humaine agitant et remuant une assemblée délibérante. Tout a servi M. Berryer dans son rôle durant vingt ans, et la fierté de son geste, et son accent pénétrant, et son entraînement communicatif, et même cette situation particulière qui lui laissait toutes les libertés, toutes les franchises de l’opposition, sans le soumettre à aucune de ces considérations que le pouvoir impose. Sachant s’affranchir au besoin des périlleuses solidarités de parti, nul n’a mieux su faire vibrer ces cordes qui frémissent dans toutes les âmes. Ce sont tous ces dons éclatans de la parole, toutes ces qualités de l’orateur qui marquaient naturellement la place de M. Berryer à l’Académie. C’est là sa grandeur, et c’est là aussi sa faiblesse. M. Berryer parlait l’autre jour de lui-même avec une modestie simple et digne, en homme qui sentait cette faiblesse. Pour expliquer son long silence, il aurait dit, assure-t-on, avec une spirituelle bonne grâce, qu’il savait bien parler, mais qu’il ne savait ni lire ni écrire. Cette différence entre l’écrivain et l’orateur, M. Berryer la marquait avec une sorte de noble regret dans son discours, en montrant le premier se survivant par ses œuvres, le second disparaissant avec le théâtre de ses triomphes, ou à mesure que les forces de la vie le délaissent. C’est qu’en effet, quelque puissance intellectuelle qu’il y ait dans la parole humaine, bien que Démosthène soit inséparable de Platon, de Sophocle, de Phidias, ainsi que l’a rappelé M. de Salvandy, il n’est pas moins vrai qu’il y a pour l’orateur des conditions spéciales : il lui faut son théâtre préféré, l’exaltation du moment, la résistance ou la sympathie d’un auditoire dompté, toutes les excitations de la lutte. Sans cela, sa parole risque souvent d’être non pas embarrassée, mais dépaysée peut-être dans des considérations développées avec art au milieu d’un auditoire paisible et élégant.

Comment M. Berryer allait-Il parler et subir cette épreuve nouvelle du discours académique ? Comment M. de Salvandy lui répondrait-il ? Là était l’intérêt de la dernière séance. L’éloge d’un homme regretté, de M. de Saint-Priest, était un terrain commun où pouvaient se retrouver les deux orateurs. M. de Saint-Priest était un homme d’une grande naissance et d’un grand esprit. Par ses traditions, il tenait à l’ancienne société, et par son intelligence il appartenait au monde nouveau. Attaché à la monarchie de 4830, il n’avait point à l’heure suprême varié à tous les souffles de la fortune. M. de Saint-Priest avait écrit des œuvres remarquables telles que l’Histoire de la Conquête de Naples. Traditions anciennes, distinctions sociales, qualités rares de l’esprit, convictions politiques fidèles, n’étaient-ce point là pour M. Berryer et M. de Salvandy autant de points de contact, sans oublier ceux que les deux orateurs ont su y joindre ? Il est difficile en effet de parcourir un plus vaste cadre, depuis l’empire romain Jusqu’à la compagnie de Jésus, depuis saint Louis jusqu’à Louis XV et au xviiie siècle. Il est resté, il nous semble, une impression générale de cette séance : c’est qu’elle avait été trop attendue pour qu’on ne fût pas tenté de lui demander plus qu’elle ne pouvait donner ; c’est que, contrairement à la spirituelle calomnie qu’il a dirigée contre lui-même, M. Berryer sait à coup sûr lire et écrire, mais qu’il est encore plus un orateur puissant quand il n’est point à l’Institut ; c’est qu’enfin l’Académie ne saurait oublier que la politique est une exception pour elle, et que le vrai, le meilleur titre dans une société littéraire est encore le génie du poète, la grâce de l’inspiration, la fermeté savante de l’historien, en un mot la supériorité de l’esprit se manifestant sous les formes naturelles de la littérature et de l’art.

De toutes ces formes de la pensée, l’histoire est sans nul doute celle qui attire toujours les intelligences sérieuses. Outre cet intérêt saisissant qu’offre le spectacle des générations qui se sont succédé, des différentes phases de la civilisation humaine, des peuples qui ont grandi et disparu, des luttes et des conquêtes incessantes qui ont marqué chaque siècle, il y a parfois cet attrait singulier d’une époque où l’on voit comme le germe de questions qui iront en se transformant et qui sont encore l’obsession du monde. Les analogies et les contrastes du temps, des choses, des hommes, éclatent à la fois. En écrivant son livre sur Scanderbeg ou Turcs et Chrétiens au quinzième siècle, M. Camille Paganel a cédé peut-être à un attrait de ce genre, et il le fait partager. Le choc du monde chrétien et du monde musulman, l’indifférence de l’Occident, tandis que le dernier empereur grec s’ensevelit à Constantinople dans son héroïsme et son impuissance, le fanatisme violent de Mahomet II méditant partout ses conquêtes, l’invincible et redoutable courage d’un homme, de Scanderbeg, qui pendant plus de vingt ans, dans les montagnes de l’Albanie, résiste à l’invasion turque et fait reculer les armées des sultans, les mœurs féodales et rudes de ces terribles ancêtres de la nationalité grecque, ce sont là les traits qui revivent dans le livre de M. Paganel. En définitive, au moment où Scanderbeg, le terrible chef épirote, se retire dans l’Albanie et entreprend une lutte héroïque contre la domination turque, qui gagne peu à peu toutes ces contrées, de quoi s’agit-il ? Il s’agit de savoir à qui sera Constantinople, qui sera le maître de cette situation merveilleuse où se réunissent tous les souvenirs de l’antiquité et tous les élémens de puissance politique. C’est la même question qui se débat après quatre siècles encore. Seulement tout est changé, ce n’est plus Mahomet II qui menace Constantinople, ce n’est plus le fanatisme turc qui lève son drapeau contre l’Occident ; c’est la Russie qui depuis un siècle a marché chaque jour vers ce point où l’attirent tous ses instincts de conquête, c’est la Russie qui s’efforce pas à pas d’enlacer ces contrées de l’Orient. Et, par une analogie de plus, elle a trouvé, elle aussi, son Scanderbeg dans le Caucase. À vrai dire, ces résistances d’une nationalité, d’un homme luttant pour son indépendance, pour sa foi, sont un des spectacles les plus émouvans de l’histoire. Elles sont une protestation contre la force, et quand l’homme est un Scanderbeg, il devient un de ces rares héros d’une originalité étrange et simple à la fois qui résument les plus viriles grandeurs de l’âme humaine. Nous ne faisons que dégager ici ridée principale de ce tableau, que M. Paganel a tracé d’une main ferme et habile, en mêlant la peinture des mœurs au récit des événemens, en faisant revivre sous des couleurs nouvelles un épisode du xve siècle, en rattachant cette lutte obscure d’une peuplade grecque à l’histoire générale. C’est ainsi que le livre de M. Paganel a tout ensemble l’intérêt d’une étude savante et exacte et un attrait presque actuel. De l’histoire même jaillit la lumière pour la politique, et cette politique, différente de celle qui laissa tomber Constantinople il y a quatre siècles, est aujourd’hui l’affaire de l’Europe tout entière.

Ce n’est point par malheur que tous les pays soient également en situation d’entrer dans cette lutte engagée pour l’intérêt commun. S’il est des gouvernemens que retiennent les irrésolutions d’une politique sans fixité, il en est aussi qui seraient impuissans, parce qu’ils sont à se débattre dans toutes les complications de leur vie intérieure. Le plus terrible résultat des révolutions, c’est d’enchaîner l’action extérieure d’un pays et de tout ramener aux considérations d’une existence précaire. Il en est ainsi de l’Espagne. La Péninsule subit la triste loi qu’on lui a faite : elle se trouve aux prises avec toutes les difficultés, et sa tranquillité matérielle même est loin d’être assurée au milieu de toutes les menaces de conspirations carlistes. L’assemblée constituante de Madrid poursuit cependant ses travaux, et pour peu qu’elle continue, l’Espagne n’aura point de si tôt une constitution. C’est à peine si jusqu’ici quelques articles ont été discutés. Il y a néanmoins une chose à remarquer, c’est que tout ce bruit révolutionnaire qui s’est fait durant ces quelques mois à Madrid, et qui se fait encore par momens, a peut-être au fond moins d’importance qu’on ne le suppose, et il y a pour cela une raison fort sérieuse : c’est qu’une révolution véritable qui chercherait à porter atteinte à quelques-unes des conditioûs fondamentales de la société espagnole risquerait de soulever immédiatement le pays contre elle. Rien de plus instructif à ce sujet que la discussion récente qui a eu lieu dans les cortès sur la question religieuse. Une révolution s’accomplit : c’était certes l’occasion de chercher à faire prévaloir la liberté des cultes. On l’a bien essayé en effet ; on a multiplié les amendemens. Qu’est-il arrivé néanmoins ? La commission de constitution a repoussé tous les amendemens, en maintenant sa rédaction, qui implique sans doute la liberté de conscience, mais ea interdisant tout exercice public des cultes autres que le culte catholique, ce qpii n’est en résumé que la continuation de ce qui existait. La comuussioa a toujours répondu, ou à peu près, qu’elle ne demanderait pas mieux, sans contredit, que de proclamer la liberté des cultes, mais qu’elle ne pouvait pas se dissimuler qu’elle se mettrait en contradiction flagrante avec le sentiment du pays. Le gouvernement lui-même n’a point hésité à se prononcer dans ce sens, et le ministre des affaires étrangères, M. Luzurriaga, s’est exprimé avec autant de netteté que de chaleur. La décision déflnilive des certes n’est point intervenue encore. Il est peu probable cependant que le dernier scrutin n’ait pas le même résultat que dix votes qui ont eu lieu déjà sur la même question.

Une autre affaire s’est présentée et démontre bien ce qu’il y a de factice dans toutes les passions révolutionnaires, un moment surexcitées. On peut se souvenir de toutes les accusations dirigées, il y a quelques mois, contre la reine Christine. Une commission des cortès a été saisie de tout ce qui concernait l’ancienne régente. En définitive, que reste-t-il aujourd’hui de tout cela ? Il n’en reste plus rien. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que le comité désigné par les cortès, prenant sa mission au sérieux, a demandé au gouvernement tous les documens relatifs à la reine Christine. Le gouvernement a répondu qu’il n’en avait d’aucune espèce. La commission législative a parlé plus haut, et alors le gouvernement a fait proposer par un de ses amis aux cortès une motion tendant à lui donner un bill d’indemnité pour tout ce qu’il a décidé dans l’affaire de l’éloignement de la reine Christine, ce qui a eu lieu en effet. La vérité est qu’il n’y avait absolument aucune raison sérieuse, autre que l’excitation populaire, pour motiver l’éloignement de la mère de la reine. La mesure du 28 août, qui prescrivait son éloignement, ne pouvait avoir d’autre but que d’enlever un aliment périlleux aux passions publiques. C’était une mesure toute politique. On voit à quoi se réduisent le plus souvent ces tempêtes révolutionnaires. Malheureusement un pays souffre longtemps de toutes ces violences et de toutes ces contradictions au sem desquelles il vit. L’Espagne n’a eu qu’une bonne fortune depuis quelque temps. Elle a vu partir M. Soulé, qui a été remplacé à Madrid comme ministre des États-Unis. Hélas ! voilà donc à quoi se réduit, elle aussi, la grande mission de M. Soulé ! Il venait en Europe pour délivrer les peuples opprimés en général et l’Ile de Cuba en particulier. Il a bien fait ce qu’il a pu, et plus d’une fois on a remarqué sa trace dans les événemens révolutionnaires de Madrid. Il n’a pourtant pas été plus heureux avec le nouveau gouvernement qu’avec l’ancien, et sa destinée diplomatique finit, s’il faut le dire, assez peu glorieusement. Le cabinet de Washington a senti lui-même que les services de son ministre en Espagne ne pouvaient qu’être compromettans. Les conférences qui eurent lieu il y a quelques mois à Ostende entre les divers représentans de l’Union américaine en Europe n’ont pas peu servi sans doute à ouvrir les yeux du général Pierce. Par le fait, la présence de M. Soulé à Madrid n’aurait eu désormais d’autre résultat que d’aigrir les rapports des deux pays et de retarder l’aplanissement des différends qui se sont élevés l’an dernier. Cela est si vrai qu’on parle déjà d’une solution amiable de ces difficultés, depuis que M. Soulé a quitté l’Espagne. L’ancien ministre américain aura la consolation de recommencer ses discours sur la délivrance des peuples. ch. de mazade.

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V. de Mars.