Chronique de la quinzaine - 20 juillet 1833

Chronique no 31
20 juillet 1833


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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20 juillet 1833


Notre coup-d’œil sera bref sur cette quinzaine, pendant laquelle aucun fait de quelque importance ne s’est présenté à l’intérieur.

L’émigration pour la campagne, commencée depuis le mois précédent, a poursuivi son cours. Deux de nos grands hommes, arrivés à la fin de leur carrière militante par la clôture de la session, y ont pris part ; M. le maréchal Soult est allé, aux eaux du Mont-d’Or, achever ses méditations sur les fortifications de Paris ; M. Thiers, le plus courtisan de nos ministres, a fait sa petite tournée en compagnie de la royauté qui, elle-même, a éprouvé le besoin de prendre l’air.

Tout s’est passé dans ce voyage suivant l’usage immémorial en pareil cas. Seulement, il était bon que M. Thiers accompagnât l’auguste voyageuse, pour couvrir, de sa personne ministérielle et censée responsable, le langage anormal qu’elle tenait sur sa route, parlant à tous venans de son système, de sa pensée et autres expressions mal sonnantes et entachées d’hérésie dans l’espèce de gouvernement dont nous avons le bonheur de jouir. Sous peu, M. Thiers partira pour l’Angleterre afin de voir de ses propres yeux des chemins de fer, et achever son éducation de ministre des travaux publics. Pour qu’elle ne laissât rien à désirer, nous aimerions qu’en même temps il s’enquit de la manière de dresser les devis pour les constructions publiques.

La grande affaire du moment est le prochain anniversaire de juillet. Comme nous avons été sages pendant les douze derniers mois, et que nous avons laissé faire tout ce qu’on a voulu, nous serons traités en vrais enfans gâtés ; nous paierons seulement la dépense de la fête, cela va sans dire. Panem et circenses est, dit-on, notre cri, comme il était jadis celui des Romains ; si cela est, nous aurons lieu, cette fois, d’être satisfaits. Les jeux du cirque se préparent pour nous avec une magnificence inaccoutumée. Lisez seulement le programme ; ce seront de belles fêtes ! l’Empire n’eût pas fait mieux. Rien n’y manquera, si ce n’est les quelques mille braves qui se sont fait tuer pour abattre ce que nous voyons chaque jour renaître peu à peu.

La guerre étrange qui a lieu en Portugal, depuis bientôt un an, vient enfin d’offrir un épisode qu’on peut appeler un fait d’armes, bien que la chose se soit passée sans un homme tué de part et d’autre. L’expédition partie de Porto n’a eu qu’à se montrer sur les côtes des Algarves, pour en prendre possession sans coup férir. Ne chantons cependant pas encore victoire pour don Pedro. Il pourrait fort bien arriver qu’on eût simplement deux Porto au lieu d’un. L’intérêt que nous prenions dans l’origine au succès de l’ex-empereur du Brésil, s’est bien affaibli, grâce à la nullité complète dont il a fait preuve depuis son débarquement sur la terre qu’il venait réclamer pour sa fille. Ce n’est pas ainsi que nous sommes accoutumés à voir jouer des couronnes dans ce siècle ; nous croyons presque assister à l’une de ces petites guerres interminables du temps passé, en lisant les exploits des deux frères : rien n’y manque, pas même l’image de ces fameux condottieri qui, vivant du produit de leur épée, venaient l’offrir à la partie belligérante assez riche pour payer leurs services. Nous attendons très patiemment la fin de toute cette affaire.

Une foule choisie se pressait, il y a peu de jours, aux portes de l’Institut, pour assister à la séance publique de l’académie royale de médecine. Les solennités de ce corps savant d’une nature toute spéciale n’attirent guère d’ordinaire que ceux qui tiennent de loin ou de près à la faculté ; mais, cette fois, on savait que M. Pariset devait prononcer l’éloge de Cuvier, et l’orateur aussi bien que le sujet avaient réuni une assemblée nombreuse. Ce n’était pas complètement toutefois le public brillant et inoccupé qui vient chercher une heure de distraction aux séances de l’académie française, et contempler malignement nos immortels dans tout l’éclat de leur gloire. Celui-ci avait quelque chose de plus grave et de plus recueilli, comme il convient en présence d’un dieu tel qu’Esculape : çà et là quelques femmes dispersées dans les rangs pressés de l’auditoire, puis la plupart de nos célébrités médicales et scientifiques, et surtout cette jeunesse studieuse qu’on retrouve partout où il y a de nobles plaisirs à goûter, de sérieuses idées à recueillir. Elle venait, par sa présence, rendre un dernier hommage au grand homme dont elle écoutait jadis les leçons avec avidité, et qu’un an auparavant elle avait accompagné au champ du repos. Son émotion était visible, et nous avons surpris plus d’un œil humide, lorsque M. Pariset, en terminant son discours d’une facture tout antique, souvent de la plus haute éloquence, et toujours admirable de logique et de clarté, a rappelé en quelques mots simples et touchans les derniers momens de Cuvier et le retentissement douloureux que causa dans le monde entier cette mort imprévue. Nous étions aussi sous le charme ; et, en même temps, une réflexion nous revint à l’esprit que nous avions déjà faite, quelques mois auparavant, lorsque à la chambre des pairs nous assistions à un autre tribut funèbre payé à l’Aristote de nos jours par une voix moins éloquente. L’orateur d’alors parla long-temps, et cependant il ne louait dans Cuvier que l’administrateur, l’homme dont les opinions faisaient loi dans les conseils ; du savant, à peine en fut-il touché quelques mots. Cette fois, c’était le naturaliste, le génie initié aux lois les plus mystérieuses de la création, qui prédominait : le reste avait, en quelque sorte, disparu. Un troisième peut venir, qui, envisageant Cuvier sous le rapport littéraire, peindra cette parole lucide, dédaignant le faste des mots, portant la lumière dans les intelligences de tous les degrés, et trouvera matière à exciter notre admiration comme ses prédécesseurs. Songeant à cela, nous avons senti toute la misère de notre intelligence comparée à cette intelligence encyclopédique, que, pour étudier et connaître, on est, pour ainsi dire, obligé de morceler, en s’attachant de préférence à telle ou telle de ses parties. L’académie de médecine, dont M. Pariset était l’interprète, devait naturellement porter son attention sur l’homme scientifique ; la tâche a été noblement remplie ; l’éloge de Cuvier n’est plus à faire.

Si vous êtes curieux de voir un tour de force littéraire, allez aux Français voir jouer la mort de Figaro, de M. Rosiers. Le barbier a conservé le langage que vous lui connaissez, et c’est là qu’est le tour de force ; seulement son caractère jovial a subi des changemens étranges. Le voilà devenu conspirateur, et comme tant d’autres il meurt à la peine. Maintenant qu’il est bien et dûment enterré, espérons que personne ne viendra troubler son repos. Quant à son entourage ordinaire, le comte Almaviva, Rosine, Suzanne, etc., vous ne les reconnaîtriez pas, si l’auteur n’avait pris soin de conserver leurs noms. La pièce a réussi.

À défaut d’évènemens, nous avons à examiner bon nombre d’ouvrages que les bornes étroites dans lesquelles nous sommes habituellement renfermés nous ont obligés de laisser en arrière.

Que dirons-nous d’abord de Entre onze heures et minuit[1], par M. Alphonse Brot, et des Légendes rouges[2], de M. Famin, si ce n’est que ce sont des contes comme il en pleut par milliers, de ces contes qu’on dirait sortis d’un moule unique que quelque mauvais génie prête à certains auteurs, et que ces messieurs se passent de main en main après s’en être servi ? Toujours la même physionomie, toujours cet éternel mensonge de la nature humaine frénétique dans ses joies, frénétique dans ses douleurs, et n’agissant jamais dans les limites que Dieu lui a imposées. Quels organes de chair pourraient résister au genre de vie que mènent la plupart des héros de ces malencontreux récits ? Demandez-le un peu aux physiologistes. Ce n’est pourtant pas à dire que les deux productions ci-dessus soient dépourvues de tout mérite, surtout celle de M. Brot : Thérèse Duplay et Une vision d’Hoffman, sont les deux morceaux auxquels nous donnerions la préférence, si nous étions obligés de faire un choix. Des autres, nous n’en parlerons pas, non plus que du livre de M. Famin, qui a eu grand tort d’abandonner ses études archéologiques, où il pouvait prétendre à quelque succès.

L’auteur américain du Coin du feu d’un Hollandais[3], Paulding, nous a envoyé récemment, à travers l’Atlantique, un nouveau roman qui vient d’être traduit en français. À l’Ouest ! tel est le titre de cet ouvrage qui n’est qu’une faible réminiscence des créations vivantes de Cooper, le seul homme qui ait su transporter dans le roman tout ce que les solitudes de l’Amérique ont de grandeur et de mystères. Nous disons le seul, car Atala et les Natchez appartiennent à une autre série d’idées où la poésie vient davantage au secours de la réalité. Le roman de M. Paulding s’ouvre par une peinture fort bien faite et fort intéressante des mœurs insouciantes, larges et hospitalières des créoles de la Virginie, mœurs qui n’ont jamais existé que dans les colonies, et dont celles de l’Europe ne peuvent donner aucune idée. Le colonel Dangerfield, qui toute sa vie a vécu en vrai Virginien, se trouve un beau jour ruiné et obligé de vendre tous ses biens. Ne voulant plus vivre dans les lieux témoins de sa prospérité passée, il achète un terrein dans le Kentucky, alors presque désert, et part pour s’y rendre avec toute sa famille. Neuf ans s’écoulent sur lesquels l’auteur saute à pieds joints ; la petite colonie a prospéré ; le colonel est devenu un homme grave, rangé, complètement revenu des folies de sa jeunesse. Sa fille Virginie et son fils Léonard sont maintenant deux jeunes gens, la première parée de tous les charmes, le second de tous les talens, qui ne coûtent à messieurs les romanciers que la peine de les décrire. Un personnage se présente à Dangerfieldville pour s’établir ; ce nouveau venu inspire une vive passion à la jeune Virginie : mais Rainsford, c’est le nom de l’inconnu, est en proie à une sombre mélancolie. Sa conduite est étrange, mystérieuse, et ce n’est qu’après de longs délais qu’il avoue à Virginie la cause secrète de ses noirs chagrins. Il appartient à une famille dont tous les membres, de père en fils, deviennent fous à un certain âge, et l’époque approche où son tour va venir. Il a fui sa patrie pour se dérober à la fatalité qui pèse sur sa race. Or, après maints symptômes, l’inexorable folie s’empare de sa victime. Rainsford s’enfuit dans les bois où on finit par le retrouver, au bout de quelques mois, hâve, décharné et barbu à faire peur. Il guérit cependant, et épouse sa maîtresse ; sur quoi le roman finit.

À côté de ces personnages qui appartiennent en propre à l’auteur, et dont aucun ne sort des banalités qui traînent dans tous les romans, se trouvent groupés plusieurs autres, dont le type, pour la plupart, existe déjà dans Cooper. Tels sont un certain Bushfield qui n’est autre chose que Bas-de-Cuir réduit à de maigres proportions, et un Indien dit le Guerrier-Noir, copie encore plus terne du Chingachgook du Dernier des Mohicans. C’est une grande outrecuidance à M. Paulding de s’être ainsi attaqué à deux figures que tout le monde a présentes à la pensée, et dont la première est une des plus admirables conceptions qui soit jamais sortie du cerveau d’un romancier. Ajoutez à cela quelques peintures assez faibles des mœurs des bateliers de l’Ohio, et de celles des Français du village de Saint-Louis, sur les bords du Missouri, et vous aurez une idée complète de l’ouvrage qui donne bien quelques espérances pour l’avenir, mais rien de plus.

M. Pons, dans son Mauvais Ménage[4], nous a cruellement sacrifiés, nous autres hommes, en mettant tous les torts du côté du mari, dans l’union conjugale qu’il a choisie pour exemple. Rien ne manque à son livre pour en faire un bon mélodrame de la vieille roche, qu’un arrangeur qui veuille bien prendre la peine de mettre l’action en dialogue, et diviser le tout en trois ou cinq actes ad libitum. Son Derval, le mari en question, est bien le tyran domestique le plus débauché, le plus joueur, le plus foncièrement brutal qui ait jamais fait le malheur d’une pauvre créature ; et Florvilie ressemble de tous points à la femme malheureuse, innocente et persécutée qui a tant coûté de larmes aux boulevards. Pour que rien ne manque à la vérité mélodramatique que M. Pons a choisie pour modèle, Derval ruiné, perdu de dettes, et ne sachant à qui s’en prendre, si ce n’est à lui-même, se brûle la cervelle, et la vertu trouve sa récompense dans la personne de Florvilie, qui finit par épouser l’homme qu’elle aimait lorsque son oncle et tuteur, fort brave homme, qui n’a d’autre défaut que de ne voir le bonheur que dans l’argent, la força d’épouser ce misérable Derval. Il ne faut qu’une dose très ordinaire de sagacité pour voir, dès les premiers chapitres, l’inévitable conclusion du drame, et l’on ferme le livre avec la douce satisfaction d’avoir tout deviné à l’avance, et d’être par conséquent un lecteur très entendu. Il y a cependant du naturel dans cet ouvrage, quelques scènes habilement tracées, et un style en général exempt d’efforts pénibles ; mais rien d’original, d’imprévu, de ce qui, en un mot, vous sollicite à une seconde lecture ; on a vu cela partout et l’on passe sans s’arrêter.

Nous voudrions avoir à émettre une opinion plus favorable sur le dernier ouvrage de M. Berthoud, jeune écrivain qui s’est placé rapidement au rang de nos romanciers les plus féconds, mais qui abuse trop évidemment de sa malheureuse facilité, pour qu’il lui soit possible d’enfanter quelque chose de fini et de durable. Le Cheveu du Diable[5] en est un nouvel exemple. M. Berthoud a eu une idée fort bonne et fort juste ; il a voulu nous montrer cet enchaînement logique qui lie une première faute, souvent involontaire, au dernier degré du crime, par une suite de chutes dont chacune est la conséquence de celle qui l’a précédée. C’est ce que Lessing a énergiquement exprimé par cette pensée qui sert d’épigraphe au livre de M. Berthoud : « Si le diable te saisit seulement par un cheveu, tu lui appartiens pour l’éternité. » La même idée se trouve si fréquemment chez les moralistes et les poètes, qu’il est inutile d’insister davantage sur sa profonde vérité. C’est de cette manière qu’il faut entendre cette fatalité qui fait de l’échafaud la péripétie nécessaire de la carrière de certains hommes. S’il n’y a rien de neuf dans la conception première de M. Berthoud, il faut lui rendre cette justice, qu’il a très bien précisé le point de départ de son héros, en lui donnant pour père un marchand à la tête étroite, inflexible, qui, par mille petites vexations de chaque instant, lui rend la maison paternelle un séjour insupportable. De là des scènes horribles, où, dans un moment d’égarement, Eustache Raparlier lève la main sur le vieillard, qui le chasse de chez lui en lui donnant sa malédiction. Là cesse l’intérêt qui s’attache à ce jeune homme placé dans de si déplorables circonstances : les aventures d’Eustache, lancé seul dans le monde, sont si vulgaires et si dénuées de piquant, que nous nous dispenserons de le suivre jusqu’au moment où il devient, moitié par faiblesse, moitié par une espèce de rage sourde contre la société en général, juré d’un tribunal révolutionnaire, et condamne son père à mort. Ici M. Berthoud a essayé de peindre la terreur telle qu’elle était en province, aussi atroce qu’à Paris, mais en même temps dépourvue de cette sombre grandeur que lui imprimaient sur ce vaste théâtre les chefs qui l’avaient décrétée. Cette tâche s’est trouvée au-dessus de ses forces ; il fallait creuser plus avant qu’il ne l’a fait, ou s’abstenir de porter la main sur une pareille époque. En somme, le heurté des évènemens, plutôt juxta-posés qu’unis entre eux, le style diffus et parfois incorrect, accusent le peu de réflexion qui a procédé à l’exécution de ce livre.

Les productions de M. E. Corbière sont trop évidemment destinées à un public spécial, pour qu’il soit loyal de le traiter en auteur ordinaire. M. Corbière ne vise nullement à conquérir les suffrages de quiconque est étranger à la marine royale ou marchande. Le théâtre de sa gloire est un poste d’aspirans ; ses lauriers sentent le goudron, et je ne serais pas étonné d’apprendre que le gaillard d’avant le tient pour un homme de génie. M. Corbière ira loin, et c’est sans doute parce qu’il est sûr de son affaire qu’il tient si peu de compte des avis que la critique ne lui a pas épargnés. Il est par conséquent inutile de lui répéter, à propos de ses Contes de bord, ce qu’il a déjà maintes fois entendu sur ses précédens ouvrages. Laissons le pécheur endurci mourir dans l’impénitence finale.

Une suite d’articles écrits de Paris, en 1831 et 1832, par Henri Heine, pour la Gazette d’Augsbourg, vient d’être traduite et publiée sous le titre de : La France[6]. Ce recueil achèvera de rendre populaire parmi nous le nom du jeune écrivain, le plus brillant peut-être de la nouvelle école qui chaque jour grandit dans la rêveuse et métaphysique Allemagne. Croyances naïves, convictions religieuses, vagues rêveries, doutes vaporeux, science ténébreuse, pouvoirs de toute espèce, cette école attaque tout à la fois avec la même ardeur que le fit parmi nous le dix-huitième siècle, qu’elle me semble avoir pris pour modèle. Bœrne, dans son radicalisme fantastique a quelque chose de la fougue et de l’énergie désordonnée de Diderot, dont il est, sous tout autre rapport, à une distance incommensurable ; Heine, comme Voltaire, verse d’une main intarissable la raillerie et le sarcasme sur le patriotisme spiritualiste de ses compatriotes, tandis que la critique niveleuse et âpre de Wolfgang Menzel a osé porter une main hardie sur la grande renommée de Goëthe. Ce que le vieux génie allemand, si perdu jusqu’ici dans le passé, et dans de nébuleuses théories, doit gagner ou perdre entre les mains de ces nouveaux athlètes, ne peut encore s’apprécier ; mais il est à craindre que, comme nous, il n’échange contre des améliorations matérielles ces illusions de l’âme aussi nécessaires aux nations qu’aux individus. Quoi qu’il en soit, le livre d’Henri Heine doit faire fortune en France ; outre qu’il traite de nos propres affaires, des évènemens d’hier et d’hommes qui jouent encore leurs rôles sur la scène actuelle, l’auteur aime notre pays comme l’un d’entre nous ; il y est venu chercher un asile contre ses ennemis, et de là, comme à l’abri d’un fort, il continue sans relâche la guerre qu’il a déclarée aux institutions et aux hommes qui pèsent sur sa patrie. Si madame de Staël qui riait de la manière un peu gauche avec laquelle nos voisins d’outre-Rhin cherchent parfois à imiter la légèreté dont, à tort ou à raison, nous aimons à nous vanter comme d’une qualité à nous personnelle, eût pu lire Heine, elle eût reconnu qu’à cet égard les exceptions n’étaient pas impossibles. L’allure de cet écrivain est toute française ; une feinte de germanisme, qui se fait remarquer çà et là dans la forme que revêt sa pensée, rend celle-ci encore plus piquante ; ce qu’il prodigue de verve, de saillies inattendues, de traits acérés contre l’objet de ses attaques est incroyable. Si l’on se demandait ensuite ce que veulent Heine et ceux qui, comme lui, battent incessamment en brèche la vieille individualité allemande, il serait peut-être assez difficile de répondre. Les voilà tous employés à démolir, abattre, niveler : ils y vont de si grand cœur, que c’est une merveille ; mais nous ne voyons pas encore ce qu’ils proposent de mettre à la place de l’antique édifice, quand ses ruines seront éparses sur le sol. Au reste, c’est ainsi que nous avons procédé nous-mêmes, et la liberté mal définie dont nous jouissons en ce moment, l’univers sait à quel prix nous l’avons achetée. Puisse l’Allemagne obtenir mieux et à meilleur marché !

Heine en est à l’époque de destruction ; les idées de recomposition sociale sont encore latentes chez lui, et ne se manifestent que de loin en loin par de vagues tendances vers les théories qui se discutent et se mûrissent pour un autre temps parmi nous ; aussi serait-il injuste de lui demander un compte rigoureux de ses croyances à cet égard. Avant tout, il est homme d’esprit et d’imagination. À côté de réclamations en faveur de je ne sais trop quelles constitutions qu’il demande pour l’Allemagne, vous le verrez protester de son respect pour la monarchie, plus loin se prendre d’admiration pour la république, et même trouver du bon dans le juste-milieu, pour lequel c’est justice néanmoins de dire que son goût ne se prolonge pas long-temps. Les légitimistes sont les seuls envers lesquels il se montre impitoyable, et qu’il fustige sans miséricorde chaque fois qu’ils se trouvent sur son passage ; on en peut dire autant de l’aristocratie, qu’il est trivial et de mauvais goût d’attaquer en France, depuis que justice en a été faite, mais qui est encore toute puissante en Allemagne, et contre laquelle il y a du courage à lutter. Heine, à notre sens, n’a pas encore acquis tout son développement, mais il est évidemment atteint de la sainte maladie de l’avenir, et, comme tel, nous le reconnaissons pour un des nôtres.

De tous les romans publiés par M. Bulwer, un seul, celui qui marqua son début dans la carrière, avait été négligé par nos traducteurs de profession. Cette lacune était à regretter pour ceux qui, ne se contentant pas du moment actuel, veulent connaître dans un auteur justement populaire le point de départ et les transformations successives qu’a subies son talent ; mais elle s’explique facilement par le peu de succès qu’obtint Falkland[7] en Angleterre. Tout le monde sait que la popularité de M. Bulwer date de Pelham, qui parut un an plus tard. Falkland est loin cependant d’être une œuvre à dédaigner, et nous devons savoir gré au modeste anonyme qui probablement en a jugé ainsi, de l’avoir fait passer dans notre langue. Falkland, ainsi qu’on l’a dit quelque part, n’est guère qu’une mosaïque de Byron et de René ; il ne fait pressentir en rien l’ironie et la satire voilée de Pelham, qui l’a immédiatement suivi ; mais à la simplicité du drame, à la touche parfois vigoureuse, au fini de quelques détails, on devine déjà la main qui, plus tard, a tracé cette simple et pathétique composition d’Eugène Adam. L’action tout entière repose sur deux personnages qui, seuls, occupent constamment la scène : Falkland sombre, désillusionné, croyant mortes ses passions, qui ne font que sommeiller, puis surpris d’éprouver encore l’amour, et sacrifiant la femme innocente qu’il aime à ses désirs sans frein. Cette femme passe des bras de son amant dans ceux de la mort, et nous retrouvons Falkland en Espagne, compagnon de Riego dans la lutte en faveur de la liberté, mais sans enthousiasme, sans conviction, et cherchant plutôt la fin de ses ennuis que le triomphe de la cause qu’il sert. Blessé à mort en même temps que Riego est arrêté, il meurt comme il a vécu, le doute à la bouche, sans appréhensions et sans espoir. L’ouvrage a moins de portée que cette rapide esquisse ne pourrait le faire supposer ; l’hésitation dans l’exécution décèle souvent l’écrivain à son premier essai : Falkland est plutôt ébauché que peint d’une manière ferme et complète, et l’on comprend que M. Bulwer n’ait pas appelé du jugement porté par le public lors de son apparition. Mais, sans vouloir donner trop d’importance à l’étude d’une série de romans sous le rapport littéraire, il n’est pas sans intérêt de chercher à connaître jusqu’à quel point celui en question annonçait ceux qui l’ont suivi. Si, au lieu de débuter dans le roman par Waverley, Walter Scott n’eût enfanté qu’une œuvre médiocre, les hommes pour qui la littérature est autre chose qu’un vain plaisir, ne seraient pas moins tenus de la lire. Or, sans être Walter Scott, M. Bulwer est un écrivain d’un grand mérite ; et, comme tel, digne d’être étudié dans l’ensemble de ses compositions.

Nous préférons cependant à Falkland un autre roman également traduit de l’anglais dont l’auteur nous est inconnu, et dont la traduction est l’ouvrage d’une jeune femme enlevée récemment à sa famille, à ce que nous apprend une courte préface de l’éditeur. Cette destinée nous a ému, et nous sommes heureux de n’avoir qu’à applaudir au bon goût de celle qui avait consacré ses heures de loisirs, peut-être des heures de repos entre deux souffrances, à nous faire connaître Réalité et Apparence ou les deux éducations[8]. Ce livre est sans aucun doute l’ouvrage d’une femme ; souvent il nous a rappelé les meilleures pages de mistriss Burney ou mistriss Opie ; tout en est naturel, vif, animé ; le style offre les mêmes qualités, et se prête avec bonheur aux scènes les plus calmes, comme aux paroxysmes les plus terribles de la passion. Le sujet lui-même renferme une leçon élevée de morale. Deux enfans, deux jumelles, filles d’un pêcheur des environs de Brighton, et encore dans l’enfance, perdent le même jour leurs parens par un naufrage. Elles trouvent chacune une protectrice dans leur malheur, mais d’un caractère bien différent ; l’une tombe entre les mains d’une femme accomplie, qui la rend semblable à elle-même ; l’autre est recueillie ou, pour mieux dire, enlevée de la manière la plus théâtrale par une folle dont les romans ont tourné la tête, aussi légère dans sa conduite que ridicule dans son langage, et ne tenant compte que des qualités extérieures nécessaires pour réussir dans un certain monde. On prévoit facilement le résultat de deux éducations aussi opposées. Après de longs évènemens que nous supprimons à regret, les deux sœurs se retrouvent et leur reconnaissance amène le dénouement. La seconde, qui a fait le malheur d’un époux qu’elle a séduit par les artifices de la coquetterie la plus raffinée, meurt dans un accès de désespoir en apprenant qu’elle n’est que la fille d’un pauvre pêcheur ; la première s’unit à un jeune lord dont elle a fait naître l’amour par ses vertus. Cette sèche analyse ne peut faire connaître les détails pleins de vérité et de fraîcheur qui abondent dans ce livre. Signaler leur existence est tout ce que nous pouvons faire. Si nos infatigables traducteurs nous donnaient toujours des ouvrages de ce mérite, nous n’aurions pas à nous plaindre du fatras qu’ils n’ajoutent que trop souvent à celui dont nous sommes inondés.

Madame Eugénie Foa a déjà publié d’assez nombreux ouvrages ; mais nous ne savons par quelle fatalité aucun d’eux ne s’était encore trouvé sur notre chemin. Nous le regrettons depuis que nous avons lu dernièrement Rachel[9]. Ce livre est un recueil de contes en général un peu courts, mais dont chacun est un petit drame, quelquefois gai, le plus souvent tragique, toujours habilement tracé. La plupart roulent sur des sujets tirés des mœurs hébraïques, mine féconde trop négligée par nos auteurs dans cette époque de disette de cadres neufs. Tirtza et le Taché de sang nous paraissent les deux meilleurs dans ce genre. Le masque de poix a été fourni par un fait réel dont les journaux ont parlé, il y a quelques années : un misérable, voulant assassiner sa pupille pour s’emparer de ses biens, se trompe par un de ces hasards providentiels qui arrivent de temps à autre, et applique, sur le visage de sa fille endormie, un masque de poix destiné à sa victime. Nous ne connaissons rien d’une terreur plus vraie que ce récit, tel que l’a traité madame Eugénie Foa.

Nous sommes en retard avec le neuvième volume des Contes de toutes les couleurs[10], et nous en éprouvons presque un remords en relisant, pour la troisième fois, la charmante histoire de Michel Perrin, par madame de Bawr qui, à elle seule, vaut tout le reste du volume. Lisez cependant encore le Jettator de M. Roger de Beauvoir, et la double confidence par M. Émile Deschamps. Quant aux autres, ce serait un guet-apens de vous les recommander.

Madame Amable Tastu vous fera les honneurs du dixième volume ; commencez votre lecture par le Souhait. Passez de là au meilleur Médecin, par un anonyme qui se cache sous le nom de Tristan, mais que nous avons reconnu à certains effets de style. Nous serons discrets à son égard. M.   Théodore Muret vous apprendra ensuite, dans Cécile, comme quoi, de nos jours, il se trouve encore des écrivains de talent qui meurent littéralement de faim. À quoi donc, bon Dieu ! servent nos deux cent cinquante journaux, pour Paris seulement, nos Revues, grandes et petites, nos Cent-et-Un, nos Salmigondis, etc. ? Comment s’y prenait donc le malheureux dont M. Théodore Muret a écrit l’histoire, pour ne pas trouver accès près de cet être providentiel qu’on appelle éditeur ? Trois fois ingrat M. Muret !

L’Aveugle, de madame de Thélusson, ne tient pas tout-à-fait ce que promettait pour l’avenir la Veuve du poète qu’elle nous a donné dans un précédent volume. Elle a été plus heureuse dans Lucile[11], production naïve, où se trouve tout ce que le cœur d’une femme renferme de secrets délicats. Lucile est une nouvelle peinture de ces passions brûlantes qui s’emparent de deux êtres placés à des degrés différens de l’échelle sociale, et dont l’énergie s’accroît en raison de tous les obstacles qui s’opposent à l’accomplissement de leurs désirs : seulement cette fois, tout finit, après bien des peines, par s’arranger à la satisfaction des deux amans. Quelques-uns pourront blâmer ce dénoûment heureux ; mais il nous a plu, à vrai dire, peut-être parce que nous y comptions fort peu.

Quant aux Heures du Soir, qui sont déjà parvenues à leur quatrième volume, nous attendrons pour en parler que nous puissions concilier notre conscience de critique avec les égards dont nous nous piquons envers le sexe des auteurs. Il nous est d’ailleurs, impossible, de retrouver dans notre mémoire rien de ce que nous avons lu dans les deux derniers volumes.

CONFIDENCES, PAR JULES LE FÈVRE.[12]

Si M. Jules Le Fèvre eut publié son nouveau recueil sous la restauration, je m’assure qu’il se fût fait quelque bruit autour de son nom ; car il y a dans les Confidences une substance nourrissante et solide, assez rare dans les recueils de ce genre. Les hommes familiers avec l’histoire littéraire se souviennent très bien des qualités éminentes révélées par le Clocher de Saint-Marc. Ces qualités se retrouvent tout entières dans les Confidences, plus développées, plus saillantes ; c’est un progrès dans la route où l’auteur s’était engagé. Le poète est demeuré fidèle à ses principes ; mais je regrette pour lui qu’il n’ait pas modifié les artifices de sa parole selon l’auditoire auquel il avait affaire.

En effet, il faut une sorte de persévérance et de courage pour pénétrer le sens complet de la plupart des pensées de M. Jules Le Fèvre ; il lui arrive trop souvent d’envelopper les sentimens qu’il exprime d’un voile sombre et terne, et comme il ne prend pas soin d’en arranger les plis avec une simplicité assez sévère, pour que l’œil puisse deviner le nu sous la draperie, une attention ordinaire et médiocrement exercée hésite et trébuche presque à chaque page.

Cependant, quand on a surmonté les premiers obstacles, on est largement dédommagé de son dévoûment ; une fois acclimaté dans cette atmosphère brumeuse, le regard se raffermit, et parvient à suivre, sans trop de fatigue, les contours indécis du paysage, les lignes flottantes de l’horizon. Alors on s’aperçoit que la rébellion du langage a souvent comprimé l’inspiration du poète ; mais de cette difficulté même est née pour lui la nécessité irrésistible de ne pas vivre sur le fonds commun des images démonétisées. Comme il manie laborieusement et lentement le rhythme et la rime, on n’a pas à lui reprocher la perpétuelle et monotone reproduction des formes consacrées.

Or, pour ceux qui ont eu l’occasion de voir à l’œuvre un artiste sérieux, il n’est pas douteux que la facilité, la soudaineté de l’expression est un écueil dangereux où se perdent parfois des trésors inestimables. On serait effrayé si l’on pouvait compter les hommes, authentiquement médiocres à ne consulter que leurs œuvres, auxquels il n’a manqué, pour conquérir un rang élevé dans l’histoire, que de trouver moins de docilité dans l’instrument qu’ils avaient choisi.

M. Jules Le Fèvre, forcé de condenser sa pensée, a souvent dû à la fatalité de sa concision des expressions et des tours d’une admirable justesse. Seulement il est fâcheux que la brièveté de son haleine poétique oblige à se rencontrer sur le même terrein des idées et des images d’un ordre différent, par exemple, une idée abstraite et une image visible qui s’obscurcissent mutuellement, au lieu de s’éclairer d’un jour réciproque.

On pourra, dans le fragment suivant, vérifier toutes nos remarques.


OMBRA ADORATA.


Ne parlez pas des vers ! leurs flèches émoussées
Ne tirent pas de sang de nos âmes glacées :
Elles piquent l’écorce, et ne pénètrent pas.
Seule de tous les arts, la musique, ici-bas,

Sait ranimer du cœur la voix long-temps muette,
Embellir le présent du passé qu’on regrette,
Et, nous cachent les maux qui pourraient le ternir,
Comme un rêve sonore, évoquer l’avenir.
Tous ces vers, dont l’esprit est l’écho tributaire,
Y traînent après eux le limon de la terre :
La musique, plus pure, est une voix du ciel
Qui rend, en l’écoutant, l’homme immatériel.
On dirait qu’échappé aux astres d’Ausonie,
Un ange étend sur nous ses réseaux d’harmonie.
Ou, caressant nos fronts de ses ailes d’encens,
Comme un parfum subtil se glisse dans nos sens.
Langue des séraphins, que parlait Cimarose,
Toi seule nous instruis de notre apothéose !
Que du barde, un instant, le génie exalté
S’élance de ce monde à l’immortalité,
Son vol poudreux et lourd touche à peine à la nue ;
Mais toi, fleuve échappé d’une mer inconnue,
Dont la pente y remonte en flots mélodieux,
Tu remportes notre âme à la source des cieux.


Les accens du poète auront beau l’entreprendre,
Ils reçoivent la vie, et ne peuvent la rendre :
Créateurs impuissans, nos plus mâles accords,
Quand ils veulent créer, galvanisent des morts :
Éclair capricieux, la rapide pensée,
Dans les nœuds du langage, expire embarrassée :
Perdu dans le dédale et la nuit du discours,
Un rayon de bonheur s’éteint dans leurs détours ;
La mémoire, infidèle au but qu’elle s’impose,
Oublie, en les contant, tous les faits qu’elle expose ;

Et la douleur ! qui peut, mesurant ses revers,
Imprégner de sanglots le tissu de ses vers ?
Les mots, dont on les peint, refroidissent les larmes :
Combats mystérieux, où nous luttons sans armes,
Il faut, pour exprimer nos chagrins venimeux,
Des cris, des chants, des voix, des sons vagues comme eux.
Lumière accentuée, errante sur la terre,
La musique, elle seule, en surprend le mystère,
Et, pour mieux enivrer nos sens qu’elle traduit,
Laisse, en les éclairant, leurs secrets dans la nuit.
Exhalé d’une tombe, où médita Shakspire,
Et sur nos bords charmés envoyé par la lyre,
Qui n’a pas entendu cet hymne consacré,
Où l’accent du triomphe est si désespéré :
« Ombre adorable et pure, attends-moi Juliette ! »
D’une joie éplorée idéal interprète,
Quel démenti sublime à l’horreur du cercueil,
Et quel drame complet dans un seul cri de deuil !
Dépliez donc vos vers près de ce deuil suprême,
Vous paraîtrez plus froid que le sépulcre même.
Fouillez tous les secrets du cœur de Roméo,
Quand, levant à genoux les voiles du tombeau,
Il croit voir sur ces traits, où la pâleur ondoie,
Le néant qui balance à dévorer sa proie :
Faites rire ses pleurs, quand, défiant le sort,
Sa coupe de poison porte un toste à la mort,
Et regardez votre âme : elle est toujours glacée.
C’est que toute parole énerve la pensée,
Quand il faut remuer ce chaos de douleurs
Qui se presse au cerveau, sans forme et sans couleurs
Comme à travers le ciel, en travail de l’orage,
Le tumulte houleux d’une mer de nuage.

Levier mystérieux comme le désespoir,
Le chant seul a des cris, qui peuvent le mouvoir.
Aussi suivez en vous cet hymne de bravoure,
Ce salut du malheur au trépas qu’il savoure !
Chacun de ses soupirs nous évoque un tableau,
Qui fait battre en nos cœurs le cœur de Roméo.
On sent qu’à chaque note il reprend sa maîtresse :
À part dans son amour, il l’est dans sa détresse ;
On sent que son tourment, qui ne peut plus monter,
Doit descendre au sourire, afin de s’attester.


*


FRAGMENTS OF VOYAGES AND TRAVELS, BY CAPTAIN BASIL HALL.
3e SÉRIE.


Nous nous dispenserons, en jetant un coup-d’œil sur cette troisième série de l’ouvrage de M. Basil Hall, qui complète la tâche qu’il s’était imposée, de répéter les éloges qui lui ont été donnés dans le temps par l’un de nos collaborateurs à propos des deux précédentes. Il nous suffira de dire que ces nouveaux fragmens présentent le même intérêt que leurs aînés, la même abondance de détails instructifs exposés dans un style facile, naturel et empreint d’une humour de bon aloi.

Le premier volume tout entier est consacré à l’histoire de la puissance anglaise dans l’Inde. Nous pourrions y trouver matière à citations, ainsi que dans le second volume, qui contient le récit d’un voyage par terre de Madras à Bombay, et d’excursions passagères à Ceylan et à Borneo ; mais nous croyons devoir donner la préférence au dernier chapitre de l’ouvrage où se trouvent sur Walter Scott des détails qui montreront dans ses habitudes privées cet homme célèbre à ceux qui ne le connaissent que par ses ouvrages. Tout le monde sait que l’auteur de Waverley, usé par ses travaux et les chagrins qui empoisonnèrent les dernières années de sa vie, quitta un instant l’Écosse, pour aller chercher, sous le ciel de l’Italie, le rétablissement de ses forces. M. Basil Hall ne contribua pas peu à lui faire entreprendre ce voyage, et lui prodigua ses soins jusqu’au moment de son embarquement à Portsmouth : ce fut par ses démarches qu’un passage sur la frégate la Barham fut accordé à Walter Scott, qui éprouvait une répugnance prononcée à solliciter lui-même cette faveur.

Dans le trajet d’Abbotsford à Portsmouth, rien de remarquable n’arriva à l’illustre voyageur, si ce n’est qu’il faillit être tué par un cheval aveugle, qui rentrant brusquement dans son écurie, le heurta violemment, le jeta à terre, et lui fit quelques contusions. M. Basil Hall, qui l’avait précédé à Portsmouth, pour retenir un appartement, entre dans de grands détails sur la réception qui fut faite à Walter Scott, et les attentions sans nombre dont il fut l’objet. Le commandant de la frégate, qui devait le recevoir à son bord, fit faire à la chambre du bâtiment tous les changemens qu’il crut devoir plaire à son hôte. Les autorités de toute espèce, les membres des sociétés savantes, les lords de l’amirauté eux-mêmes qui se trouvaient alors en tournée à Portsmouth, s’empressèrent de lui rendre visite. Un seul exemple suffira pour faire voir combien ces sentimens de sympathie étaient partagés par toutes les classes de la population.

« Quoique sir Walter ne marchât que peu et non sans peine, il paraissait recevoir des visites sans aucun déplaisir. La Fontaine (nom de l’hôtel où il était descendu) ne cessait d’être assiégée par la foule tant que durait la journée. Tout individu qui pouvait trouver un prétexte pour être introduit, et beaucoup même sans cette formalité d’usage, venaient lui présenter leurs respects. Pendant les trois derniers jours, l’abattement de ses esprits ayant diminué, il ne laissa passer aucun visiteur sans causer quelque temps avec lui. Il ne refusa de recevoir personne, et fit à tous l’accueil le plus cordial sans en excepter ceux qui venaient évidemment par un motif de pure curiosité. Un jour, un vieux marin de ma connaissance, nommé Bailey, après force hésitations et excuses, me demanda s’il n’y aurait pas possibilité pour lui de voir un instant sir Walter Scott, « afin de l’entendre parler ». Je lui répondis que rien n’était plus aisé, et qu’en apportant les lettres de la poste, suivant son habitude, il lui suffirait de faire savoir qu’il voulait les remettre en personne. Le lendemain matin, pendant le déjeuner, le domestique de l’hôtel, qui nous servait, me dit : Bailey, monsieur, désire remettre à sir Walter lui-même les lettres qu’il a pour lui, et prétend que vous lui avez recommandé d’agir ainsi. » Sir Walter se tourna de mon côté, et se mit à rire ; mais quand je lui eus expliqué l’affaire, il ordonna de faire monter l’honnête marin, et lui dit en lui tendant la main, « j’espère que vous êtes content, maintenant que vous m’avez entendu parler. »

— J’ai envoyé hier, à bord de la Barham, répondit Bailey, trois hommes qui voulaient s’y embarquer, uniquement parce que vous devez être du voyage.

— Ils seront du moins sur un bon navire et sous les ordres d’un bon capitaine, j’en suis sûr, répliqua sir Walter.

— Voilà certainement qui est flatteur, continua-t-il, quand la porte fut fermée ; mais je maintiens que le plus grand honneur que m’ait jamais valu ma célébrité, m’a été rendu la semaine dernière, par un marchand de poisson de Londres, à qui le domestique de l’hôtel où je demeurais s’adressa pour avoir un peu de turbot pour le dîner : comme il était tard, il n’en restait point ; mais le domestique ayant fait connaître à qui le turbot était destiné, le marchand s’écria que cela changeait la question, et que s’il y avait moyen d’en trouver un morceau à Londres, par faveur ou pour de l’argent, je n’en manquerais pas. Notre homme se mit alors en quête du poisson, et fit le trajet depuis Billingsgate jusqu’à la place de Sussex dans Regent’s Park, pour l’apporter à l’hôtel. Maintenant si ce n’est pas là une réputation littéraire positive, je ne m’y connais pas ! »

« La mauvaise santé de sir Walter l’empêchait de faire beaucoup d’exercice. Il se plaignait surtout de la faiblesse de ses jambes ; mais il s’arrangeait néanmoins de manière à faire chaque jour une promenade sur les remparts entre la plate-forme et le bastion du sud-ouest, celui sur lequel flotte le pavillon. Il avait coutume de se lever entre six et sept heures du matin ; il descendait ensuite au parloir, et se mettait à écrire son journal sur un épais volume in-quarto, relié en veau. J’avais soin d’être toujours levé et habillé avant qu’il sortît de sa chambre, afin de lui offrir mon bras ; car, sans cette assistance, il lui était souvent difficile de marcher. Je le vis une fois essayer de se rendre seul et même sans sa canne, de la table où nous déjeunions à celle sur laquelle était placé son pupitre, mais ce fut un pénible effort pour lui, et je l’entendis prononcer ces mots avec plus d’amertume qu’il n’en mettait d’ordinaire dans ses discours : « Il est dur de recommencer à soixante ans la vie que j’ai menée à dix, après ma grande maladie. »

« Un matin, il me dit en me montrant son volume manuscrit : « Tenez-vous un journal ? Je suppose que vous n’avez pas manqué de le faire dans tout le cours de votre vie. » Je lui dis quelle avait été mon habitude à cet égard, et j’ajoutai quelques mots sur la difficulté de composer, lorsqu’on est occupé des soins de l’impression.

— Oui ! oui ! c’est vrai, répondit-il avec un soupir, ce n’est que trop vrai, car je crains bien que ma maladie actuelle ne provienne d’avoir travaillé au-delà de mes forces. Croyez-moi, capitaine, rien n’est plus dangereux que de trop travailler.

« Il se mit ensuite à parler de ses affaires ; et, comme je prononçais par hasard le nom de M. Robert Cadell d’Édimbourg, son éditeur, il dit avec un autre soupir : Ah ! si, depuis que j’écris pour le public, j’avais été entre les mains de notre excellent ami Cadell, j’aurais certainement aujourd’hui en ma possession 200,000 livres sterling, au lieu d’être obligé de me tuer, à force de travail, pour acquitter mes dettes.

« Je me hasardai à remarquer que, à part la maladie dont il était souffrant, tout était peut-être pour le mieux, attendu que depuis le délabrement de sa fortune, il avait été soutenu dans ses travaux par un motif plus généreux et plus désintéressé que le simple désir de gagner de l’argent.

— Peut-être avez-vous raison, me répondit-il ; aucun écrivain ne devrait jamais avoir pour mobile unique ou même principal l’amour du gain. Gagner de l’argent n’est pas l’affaire d’un homme de lettres. Cependant, d’un autre côté, les personnes qui, par profession, ne visent qu’à s’enrichir (j’entends mes créanciers) doivent reconnaître que, quoique j’aie marché sur leurs brisées dans ces derniers temps, je l’ai fait pour leur avantage et non pour le mien. En somme, comme je le disais tout à l’heure, je crois que je suis allé trop loin, et que mes infirmités proviennent en partie d’un excès de contention d’esprit. Comment cela finira-t-il ? je n’en sais rien. Je me donne, dit-on, une chance de salut en entreprenant ce voyage… On peut mourir également bien partout.

— Il me semble, dis-je, que la plupart des hommes prennent trop à cœur la perte de la fortune qui n’est qu’au dernier rang parmi les grands maux de la vie, et qui doit être un des plus supportables.

— Appelez-vous, répliqua-t-il, un petit malheur d’être ruiné pécuniairement parlant ?

— Cela est moins pénible, à tout prendre, que de perdre ses amis.

— J’en conviens.

— Ou de perdre sa réputation.

— J’en conviens encore.

— Ou de perdre la santé.

— Ah ! voilà où j’en suis, murmura-t-il tout bas, sur un ton plus mélancolique qu’il n’avait parlé jusque-là.

— Qu’est-ce que perdre sa fortune, continuai-je, auprès de perdre la paix de l’âme ?

— Pour en finir, dit-il en souriant, vous voulez me prouver que celui-là n’est pas à plaindre qui est plongé par-dessus les oreilles dans des dettes dont il ne peut sortir.

— Cela dépend beaucoup de leur origine, et des efforts faits pour les acquitter, du moins quand le débiteur est un homme d’un cœur élevé.

— Il l’est, je l’espère, dit-il avec une joie mêlée de fierté.

« Afin de donner à la conversation un tour un peu moins sérieux, je dis que je regardais comme un grand malheur pour un écrivain d’être affecté d’un panaris au bout de l’index de la main droite, cas où je me trouvais dans le moment.

— Oui, remarqua sir Walter, car il n’y a certainement rien de moins amusant que d’écrire avec la main gauche.

« Les personnes qui s’occupent de littérature apprendront peut-être avec intérêt que, quelques années auparavant, dînant avec sir Walter à Édimbourg, je saisis l’occasion de lui demander pendant combien d’heures par jour il pouvait écrire pour la presse avec succès.

— Je regarde, me répondit-il, cinq heures de travail comme une tâche très raisonnable pour l’esprit lorsqu’il s’agit d’une composition originale. Rarement je peux aller jusqu’à six heures ; et je crois que ce qu’on produit après cinq ou six heures d’un travail intellectuel soutenu, ne vaut pas grand’chose.

« Je lui demandai comment il divisait les heures en question.

— Je tâche, répondit-il, d’en trouver deux ou trois avant le déjeuner et le reste le plus tôt possible après, de manière à avoir l’après-midi pour me promener, monter à cheval, lire ou ne rien faire.

« Il est très important de remarquer que cette conversation eut lieu à Édimbourg avant que sir Walter ne donnât sa démission de son emploi de greffier de la cour, et que cette division de son temps n’avait lieu probablement qu’à ces époques de vacances pendant lesquelles la cour ne siégeait pas, et qu’il passait à Abbotsford. Mais, d’après quelques paroles qu’il m’adressa à cette époque, je dus conclure qu’il donnait à ses travaux d’esprit la même étendue lorsqu’il était retenu à Édimbourg par la session. Les devoirs de sa place étant d’une nature, pour ainsi dire, mécanique, et n’exigeant aucun effort de pensée, il n’en tenait pas compte dans son calcul.

« Mais, après qu’il eut quitté son emploi, et qu’il fut devenu complètement libre, j’ai des raisons de croire que son ardent et chevaleresque désir de s’acquitter de dettes qui eussent réduit au désespoir la plupart des hommes, le porta à dépasser de beaucoup les judicieuses limites qu’il regardait non-seulement comme nécessaires à sa santé, mais encore à la qualité de ses écrits. J’ai même appris que, sur la fin, excité par le même noble motif, il travaillait pendant dix, douze et même quatorze heures de suite par jour, au lieu de cinq ou six ; et plusieurs expressions qui lui échappèrent à Portsmouth me donnent la certitude qu’il attribuait le délabrement de sa santé principalement à cette cause.

« J’ai déjà dit que, pendant les trois derniers jours de son séjour à Portsmouth, sir Walter se ranima ou reprit, comme on dit vulgairement, d’un manière étonnante. La gaîté reparut dans ses regards et ses discours, il plaisantait et racontait ses vieilles histoires avec autant de verve qu’il l’eût jamais fait à ma connaissance. Vers la même époque, il commença à parler avec intérêt de son voyage, et son œil brillait du même éclat que par le passé, lorsqu’il nous entretenait de la probabilité qu’il avait de visiter les pyramides d’Égypte, et peut-être, Athènes et Constantinople. Dans ces momens, et lorsqu’il était assis, un étranger eût pu croire qu’il n’y avait rien à craindre pour lui : mais lorsqu’il se levait ou essayait de se lever, sa faiblesse ne devenait que trop évidente. Un soir, après avoir causé pendant une heure avec la plus grande vivacité, il témoigna le désir de se retirer ; mais, quoique je lui eusse donné le bras et que je l’aidasse de tout mon pouvoir, ce ne fut qu’au troisième effort qu’il vint à bout de se tenir sur ses pieds. Pendant ces tentatives, je l’entendis murmurer à voix basse : « Cette maudite faiblesse ne fait qu’augmenter ! » et, après une pause, il ajouta : « N’est-il pas affreux qu’au moment même, au premier moment de ma vie où je puis me regarder comme libre d’aller où bon me semble et de faire ce qui me plaît, je sois ainsi empêché et hors d’état de traverser la rue, y eût-il de l’autre côté la plus grande curiosité du monde à voir ? »

« Le lendemain matin cependant, le 28 octobre, j’étais assis dans le parloir vers les six heures et demie, lorsque je le vis s’avancer d’un pas assez ferme, et en jouant avec sa canne ; il me pria de lui donner le bras pour le conduire sur les remparts où il voulait jouir, en se promenant, de la beauté de la matinée. En arrivant sur la plate-forme, il s’arrêta :

— Maintenant, me dit-il, montrez-moi l’endroit où Jack le peintre a été pendu.

« Je lui désignai le lieu où se trouve aujourd’hui un poteau ou signal de pilote dans l’intérieur de Blockhouse point, là même où je me rappelle avoir vu les os de Jack suspendus à des chaînes, vingt-neuf ans auparavant, lorsque je m’embarquai pour la première fois comme midshipman. Il semblait si familier avec tous les exploits de Jack le peintre, surtout avec sa tentative d’incendier l’arsenal, que je lui demandai s’il avait lu récemment cette histoire. « Il y a, pour le moins, trente ou quarante ans que cela m’est arrivé, répondit-il. »

« À mesure que nous suivions lentement les remparts, il regardait souvent du côté de Spithead ; enfin il fit une pause et me pria de lui montrer la place où avait coutume de mouiller le célèbre Royal William pendant la dernière guerre.

— Où le Royal Georges a-t-il sombré ? demanda-t-il ensuite. » Je lui fis remarquer la bouée ; sur quoi, comme s’il eût cherché dans sa mémoire, il se mit à réciter d’une voix si basse, qu’on pouvait à peine l’entendre, un vers ou deux du poème de Cooper sur cette triste catastrophe :

Ses doigts tenaient la plume : son épée…

— Non, dit-il en se reprenant, ce n’est pas cela :

Son épée était dans le fourreau ;
Ses doigts tenaient la plume,
Quand Kempenfeldt descendit dans l’abîme
Avec deux fois quatre cents hommes.

« Pendant tout le cours de cette promenade, sir Walter se montra plein de gaîté et raconta cinq ou six de ses meilleures histoires et dans son meilleur style. Je les connaissais, à la vérité, pour la plupart ; mais la forme en était nouvelle et leur sel aussi piquant que jamais. Il y en eut cependant une sur lui-même que je n’avais pas encore entendue, et qui, je crois, a été publiée depuis, dans un des volumes de la nouvelle édition de ses œuvres. À l’âge de deux ans, il fut, à ce qu’il paraît, confié aux soins d’une femme de charge et envoyé à la campagne chez son grand-oncle, pour rétablir sa santé, car il était alors dans un état de faiblesse et de rachitisme inquiétant ; « mes souffrances, me dit-il, furent sur le point d’être promptement terminées, car ma garde, dont la tête avait été dérangée par quelque amour contrarié ou toute autre cause, résolut de me donner la mort. Pour accomplir son dessein, elle me porta dans les marais, et, après m’avoir déposé sur la bruyère, elle tira ses ciseaux et se mit en devoir de me couper la gorge.

— Eh bien ! monsieur, lui dis-je, étonné du sang-froid avec lequel il racontait l’affaire, qui la retint ?

— Je crois, répondit-il, que l’enfant se mit à sourire en la regardant, et elle n’eut pas la force d’achever. »

M. Basil Hall décrit ensuite l’embarquement de Walter Scott qui eut lieu le lendemain de cette promenade, son installation à bord et ses adieux aux personnes qui l’avaient accompagné jusque-là.

Nous ne le suivrons pas dans ces détails qui nous mèneraient trop loin, n’ayant voulu que donner une idée de l’intérêt que présente la lecture de son livre.


*


ESSAIS SUR LA PHILOSOPHIE DES HINDOUS, PAR M. H. T. COLEBROOKE ; TRADUITS DE L’ANGLAIS PAR G. PAUTHIER. PREMIÈRE PARTIE.


Le génie investigateur et persévérant de notre époque, après avoir traversé le monde philosophique de l’Occident, est arrivé au monde oriental, source première de toutes les idées historiques, philosophiques et religieuses. Chaque jour cette étude sévère rallie autour d’elle un plus grand nombre d’esprits solides et ardens. De grands travaux ont été exécutés sur ce sujet dans toute l’Europe, et l’on peut déjà prédire l’époque où le sanskrit et les autres langues indiennes deviendront d’une importance au moins égale au grec et au latin, qui n’en sont que des dérivés affaiblis.

Le livre que nous annonçons est destiné, comme les autres écrits de M. Pauthier, à populariser parmi nous les connaissances sur les différens systèmes philosophiques de l’Inde. Il s’ouvre par une exposition concise, mais suffisante de la doctrine du Sa’nkhya, qui a pour but d’enseigner les moyens par lesquels on peut atteindre à la béatitude éternelle après la mort, si ce n’est avant. Des trois écoles qu’a enfantées cette doctrine, deux, l’école théiste et l’école athée, sont ensuite l’objet des recherches de l’auteur. De là il passe, dans une seconde partie, à l’examen de la philosophie dialectique de Gôtama, et de la philosophie atomistique de Kana’da, qui forment les deux principaux systèmes suivis par les Hindous. Suit la traduction du poème didactique d’Is’vara Krichn’a, la Sa’nkhya-Ka’rika, qui renferme en soixante-douze distiques tout l’ensemble de la doctrine Sa’nkhya. Enfin l’ouvrage se termine par une traduction nouvelle du fameux Tao-Te-King de Lao-Tseu, l’un des livres chinois les plus obscurs, et qui a le plus exercé la sagacité des sinologues.

M. G. Pauthier ne s’est pas contenté de reproduire le texte de M. Colebrooke ; il y a ajouté de savantes notes, et rétabli les textes altérés dans quelques endroits ; il a collationné avec soin ces derniers sur les manuscrits de la Bibliothèque royale ; en un mot, il n’a rien omis pour rendre son travail le plus utile possible. Notre faible entente de la chose ne nous permet pas de juger s’il a réussi dans ses efforts ; mais nous nous faisons un devoir d’appeler les orientalistes à décider la question.


*


Un recueil de poésies, intitulé Mes heures perdues, ouvrage d’un jeune poète à son début, paraîtra incessamment chez le libraire Fournier. Le peu qu’il nous a été permis d’en voir nous donne une opinion très favorable du talent poétique de M. Félix Arvers. Nous citerons, entre autres, le passage suivant de la préface, allocution paternelle et touchante que l’auteur adresse à son livre au moment de le livrer aux périls de la publicité :


Et cependant voilà que, pour une fumée,
Pour l’éclair d’un instant, qu’on nomme renommée,
Pour vouloir follement attacher à mes pas
Un misérable bruit que l’on n’entendra pas,
J’ai troublé le repos de ta douce retraite,
J’ai découvert à tous ta nudité secrète
Et déchiré le voile où tu t’étais caché,
Comme une belle esclave au milieu d’un marché.
Au moins, pauvre petit, avant que je t’envoie,
Ainsi que ces enfans de la vieille Savoie,
Faire ton tour du monde, et que, jusqu’au chemin,
J’aille te reconduire en te donnant la main,
N’as-tu rien oublié de ton petit bagage ?
Perdu dans cette foule, ignorant son langage,
Le début sera rude, et je dois t’avertir
Que bien long-temps peut-être il te faudra pâtir ;

Mais contre leur mépris et leur indifférence,
Sois homme de courage et de persévérance,
Crains toujours le bon Dieu, reste honnête garçon,
Et suis toujours ta route en chantant ta chanson.


Le même libraire vient de publier un roman de Maxime d’Azeglio, gendre de Manzoni, Hector Fieramosca, que nous avons reçu trop tard pour en parler dans cette livraison. Nous l’examinerons incessamment.





  1. Chez Hypolite Souverain.
  2. Chez Abel Ledoux.
  3. Chez Fournier.
  4. Chez Hypolite Souverain.
  5. Chez Mame-Delaunay.
  6. Chez Delaunay
  7. Chez Fournier jeune.
  8. Chez Delaunay.
  9. Chez Henri Dupuy et Tenré.
  10. Chez Fournier jeune.
  11. Chez Fournier jeune.
  12. Henri Dupuy et Tenré.