Chronique de la quinzaine - 14 septembre 1854

Chronique n° 538
14 septembre 1854


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 septembre 1854.

Deux grands faits ont marqué les premiers jours de cette quinzaine. L’expédition, trop longtemps retardée peut-être, qui doit faire sentir à la Russie tout le poids de nos armes dans la Mer-Noire, est partie pour Sébastopol, et la réponse du cabinet de Saint-Pétersbourg aux propositions que l’Autriche s’était donné l’ingrate et difficile mission de lui présenter est arrivée à Vienne. Si l’expédition de Sébastopol avait besoin d’être justifiée, la réponse hautaine de la Russie prouverait combien un vigoureux effort était nécessaire, nous ne dirons pas pour triompher de sa résistance, mais pour rendre cette résistance impuissante. D’un autre côté, si l’on ne savait pas depuis longtemps combien les moyens tenues, les demi-mesures, les ménagemens, sont inutiles ou même dangereux dans certaines situations, l’expérience que vient de faire le cabinet de Vienne le démontrerait une fois de plus. Il s’est fait de la Russie une irréconciliable ennemie en se liant avec la France et l’Angleterre par la note du 8 août, en reconnaissant pour son compte que l’existence de l’empire turc, que l’équilibre et la liberté de l’Europe sont incompatibles avec le maintien des droits et de la prépondérance que les tsars avaient conquis sur le Danube et dans la Mer-Noire ; mais comme le même cabinet s’est jusqu’à présent refusé à devenir partie belligérante, à prendre l’engagement de confondre à jour fixe son action avec la notre, de mêler ses drapeaux et ses soldats avec les drapeaux et les soldats de la France et de l’Angleterre, l’empereur de Russie rejette ses instances et ne tient aucun compte de ses conseils, tandis que la France et l’Angleterre doivent lui savoir peu de gré d’une médiation inefficace, et, secrètement piquées de ses lenteurs, estiment moins chaque jour un appui moral qui ne laisse pas encore apercevoir le moment où il se transformera en une coopération active.

Assurément nous croyons à la loyauté de l’Autriche ; nous ne la soupçonnons pas d’arrière-pensées. Elle a fait ses preuves, elle a donné des gages, elle a marché dans notre sens, depuis qu’entraînée presque à regret peut-être, comme pour l’honneur de donner son nom à la conférence, dans la discussion de cette grande affaire d’Orient, elle ouvrait à la Russie une si large et si facile retraite. Nous nous rendons compte aussi de ses embarras, nous respectons ses scrupules, nous pouvons faire la part des méthodiques habitudes de sa politique, tout cela néanmoins dans une certaine mesure et jusqu’à un certain point ; mais il y a derrière les gens sensés comme nous croyons l’être, derrière les gens modérés comme nous voulons le rester, la foule qui juge par les faits, par l’instinct, la foule qui ne se trompe pas toujours, qui est sceptique, soupçonneuse, qui demande des actes, et qui est toujours tentée de s’écrier :

La foi qui n’agit point est-ce une foi sincère ?

Or ce parterre, qui suit la marche de la pièce avec, un vif intérêt, éprouve en ce moment, on ne peut se le dissimuler, un sentiment de malaise. Il avait franchement applaudi à la netteté des déclarations du 8 août. Il y avait vu, si elles manquaient leur effet sur la Russie, comme c’était fort à craindre, l’annonce d’une décision plus sûre encore que hardie, puisque, maîtresses du Danube, nos troupes, déjà devancées par les Turcs, étaient en mesure de donner la main à l’armée autrichienne. On croyait donc que, dans l’hypothèse prévue du rejet des quatre garanties par le cabinet de Saint-Pétersbourg, la cour de Vienne, ayant épuisé tous les ménagemens, ayant d’ailleurs achevé, tous ses préparatifs militaires, rassurée du côté de la Serbie, du Monténégro et de la Bosnie, entrerait comme de plein droit dans l’alliance des puissances occidentales, qu’elle en avait pris son parti d’avance, et, selon l’expression usitée, qu’elle avait fait son thème en ce sens, pour le cas où la Russie répondrait qu’il faudrait lui arracher par la force les sacrifices qu’on voulait lui imposer avant de l’avoir vaincue. On se trompait : l’Autriche avait fait son thème autrement, car sans hésiter cette fois, sans délibérer longuement comme c’est son habitude, elle a aussitôt pris le parti de ne pas considérer la réponse négative de la Russie comme un casus belli. Et non-seulement cette résolution a été adoptée à Vienne avec une incroyable promptitude, mais elle a été aussi rapidement publiée, ce qui est grave et singulier. Nous ne savons pas si les gouvernemens les plus intéressés à en être instruits l’ont été avant les journaux et le public ; au moins on peut en douter, tant l’information s’est vite répandue. Les Russes, partagés entre la préoccupation de nos grands arméniens contre la Crimée et la crainte de l’effet que produirait à Vienne la rupture du dernier fil des négociations, ont donc su tout de suite que du côté de l’Autriche ils n’avaient pour le moment rien à redouter. Les Autrichiens entraient dans les principautés, il est vrai ; mais déjà Omer-Pacha était à Bucharest, et, pour une raison ou pour une autre, l’armée du prince Gortchakof se retirait derrière le Pruth. Ainsi, puisqu’il ne devait pas l’avoir de collision, puisque les Autrichiens ne devaient pas poursuivre les Russes sur leur territoire, l’occupation de la Valachie par les uniformes blancs perdait beaucoup de son importance comme démonstration politique contre la Russie, et n’offrait pas cette compensation aux embarras et aux susceptibilités qu’elle doit infailliblement éveiller, soit à Constantinople, soit dans les principautés elles-mêmes.

Il ne faudrait cependant pas pour l’honneur de l’Autriche qu’elle se contentât d’avoir, sans coup férir, applaudi à l’affranchissement du Danube, et fait avancer ses soldats de quelques marches sur un territoire que personne ne leur dispute. Ce ne serait peut-être pas même un jeu sûr. Nous avons grande confiance dans le succès de l’expédition de Crimée, et nous sommes certains qu’à Vienne on le désire comme nous. Aussi n’est-ce pas dans l’éventualité d’un échec de ce côté, qui permettrait aux Russes de se rejeter sur les principautés ou de menacer la Gallicie, que nous regardons comme mauvaise pour l’Autriche l’attitude indéfinissable qu’elle a prise, attitude qui n’est plus la paix et qui n’est pas encore la guerre : c’est parce que nous ne croyons pas que tout serait fini par la prise de Sébastopol ; car avec une puissance aussi tenace et aussi orgueilleuse que l’est la Russie, favorisée pour la défensive par l’éloignement des foyers de sa vie nationale, il ne s’agit pas seulement de frapper un grand coup aux extrémités de l’empire, quels que soient l’humiliation et le dommage qu’on lui inflige. La paix ne serait pas conquise sur les ruines de Sébastopol. Cette lutte durera donc, et en durant, elle se compliquera d’élémens nouveaux ; elle pourra prendre un autre caractère. Les puissances belligérantes pourront être amenées par la force des choses, par des entraînemens réciproques, à chercher ou accepter des moyens d’action qui n’étaient pas entrés d’abord dans leur plan. C’est alors que l’Autriche regrettera peut-être de n’avoir pas jeté plus tôt dans la balance des événemens le poids de son épée. En effet, aurait-elle le droit d’espérer que sa voix serait écoutée avec autant d’égards que si ses drapeaux étaient mêlés aux nôtres ? et si dans le développement d’une situation où il est permis de faire une large place à l’imprévu, elle se trouvait aux prises avec des embarras particuliers nés des conditions mêmes de son existence, pourrait-elle compter sur un appui qu’elle ne se serait pas assuré en acceptant la solidarité de toutes les chances d’une entreprise que pourtant elle approuve, et dont elle recueille dès à présent les bénéfices ?

Ce que nous disons ici de l’Autriche, à plus forte raison le pourrions-nous dire de la Prusse, quoique le cabinet de Berlin n’ait pas aussi hautement proclamé la nécessité d’arrêter les empiétemens de la Russie et de réduire, pour la sûreté de l’Europe, sa prépondérance en Orient. Mais la Prusse comprend à sa manière sa position de grande puissance : elle n’agit pas, ne veut pas agir, ne veut pas même prévoir qu’elle ait jamais à se mettre en mouvement, et, dans ce fanatisme d’inaction, elle trouve fort mal que d’autres, plus prévoyans ou plus fiers, ne se lient pas à une politique éternellement négative. Ses tergiversations sont pour beaucoup dans les défaillances de l’Autriche, qui non-seulement la voit équivoquer sans cesse sur le traité du 20 avril, mais à qui elle fait dans le sein de la diète une sourde et constante opposition. Maintenant, s’il faut en croire les indiscrétions calculées de la presse allemande, le cabinet de Berlin accepte comme une satisfaction suffisante la retraite des Russes au-delà du Pruth, bien que sans la moindre garantie contre leur retour, et travaille à paralyser toute démonstration moins optimiste des états secondaires de la confédération germanique. C’est dans cet aveuglement de la Prusse qu’il faut voir la cause principale de l’obstination avec laquelle l’empereur de Russie refuse toute concession sérieuse aux justes exigences des autres cabinets. Il compte sur Berlin pour inquiéter l’Autriche, pour la forcer à regarder en arrière au moment où elle voudrait se porter en avant, et pour lui créer des difficultés à Francfort. La Prusse, tant qu’elle persistera dans cette politique, éloignera donc un dénoûment que l’alliance de l’Europe aurait déjà fait accepter par la Russie, peut-être sans guerre, et qui lui coûtera d’autant plus cher que la lutte durera plus longtemps et embrassera un plus vaste espace ; car se figurer que la France et l’Angleterre, même seules, reculent, engagées comme elles le sont, c’est ne rien connaître aux nécessités de la politique. Et quant aux moyens de continuer la guerre, nous avons montré, dans un remarquable travail dont la presse anglaise nous emprunte les conclusions avec confiance, que ceux de la France et de l’Angleterre étaient presque sans limites, tandis que ceux de la Russie s’épuiseraient bientôt.

Une des raisons les plus singulières dont la Prusse colore son altitude actuelle, c’est que, par le fait de l’évacuation des principautés, la Russie serait rentrée dans une situation purement défensive, et que dès lors l’Allemagne se trouverait désintéressée. Il l’a, ce nous semble, dans une telle manière de voir, une double erreur : d’abord en ce que l’Allemagne n’est point sans doute désintéressée dans la solution que recevra la question d’Orient, en outre en ce que la position prise par la Russie est une position purement militaire, nullement politique, et sur laquelle elle peut revenir sans cesse. C’est doublement méconnaître le sens de la politique occidentale et l’origine de la crise actuelle. Quelle a été en effet dès le début la pensée de tous les cabinets ? Leur politique a été justement d’enlever à cette question tout caractère particulier pour lui laisser son caractère général européen. Cela est si vrai, que la France et l’Angleterre, dans leur alliance particulière, ont stipulé tout d’abord qu’elles ne poursuivraient aucun avantage personnel. Pourquoi l’Allemagne serait-elle désintéressée tant que la question n’est point résolue ? Et si l’Allemagne a un intérêt manifeste, de quel côté cet intérêt doit-il la faire pencher ? Est-ce du côté de la Russie, dont elle aurait à subir la tutelle d’autant plus onéreuse qu’elle aurait commencé par contrarier le tsar dans ses desseins ?

Ce qui est plus étrange encore, c’est de représenter la Russie, au point de vue de la question qui s’agite, comme étant dans une situation défensive. L’empereur Nicolas en disait autant lorsqu’il occupait les principautés. La Russie, cela est vrai, est matériellement rejetée aujourd’hui derrière ses frontières ; mais il n’est pas moins vrai que c’est à l’Europe qu’appartient réellement le rôle défensif, c’est pour sa défense que l’Europe a pris les armes. Quel a été le but de la guerre ? quel est encore le but des opérations qui se poursuivent ? C’est de défendre le droit européen, c’est d’affermir l’équilibre de l’Occident sur des bases telles qu’il ne puisse être à la merci de quelque entreprise nouvelle. Les conditions générales récemment convenues à Vienne n’ont d’autre caractère que de poser ces bases. Ainsi la guerre et la paix qui la suivra sont également une œuvre de défense pour l’Europe. Le jour où cette défense sera assurée, ce n’est point, sans nul doute, la modération des cabinets de l’Occident qui manquera dans la discussion des dernières clauses de paix. Après avoir pris les armes malgré elles, l’Angleterre et la France se retrouveront nécessairement d’accord avec l’Allemagne sur un point, sur la nécessité de rétablir la paix en garantissant l’Europe. Telle a été la pensée des divers protocoles de Vienne, et cette politique n’est agressive à l’égard de la Russie que dans la limite de ce qui est strictement nécessaire à la sécurité de l’Europe. En un mot, il s’agit moins de porter atteinte à la grandeur de l’empire russe que de rendre cette grandeur compatible avec l’indépendance, avec le développement moral et politique du continent, et c’est là un terrain assez large pour que les concessions mêmes du tsar ne soient pas sans honneur.

C’est surtout, on le voit, parce que la guerre aurait un dénoûment plus prompt et se maintiendrait dans certaines limites en gardant son caractère, que l’abstention des deux grandes puissances allemandes nous paraît si regrettable ; mais au reste elles ne peuvent, et nous croyons qu’elles ne veulent ni l’une ni l’autre détourner les coups qu’une politique plus conséquente avec elle-même ne cessera de porter à l’ennemi commun jusqu’à ce qu’il ait reconnu la nécessité de nous désarmer en acceptant nos conditions. Attendons sans jactance, mais avec calme, le résultat de l’expédition de Sébastopol. S’il est heureux, comme la réunion des moyens matériels les plus formidables à l’émulation guerrière de deux braves armées permet de l’espérer, il pourra encourager les timides et fixer les indécis : la victoire a toujours eu ses courtisans. Si au contraire cette tentative ne réussissait pas, on n’en aurait que plus besoin de s’appuyer sur nous contre des ressentimens qu’à Vienne au moins ou a trop fait pour exciter.

On sait que les troupes qui ont pris Bomarsund doivent prochainement arriver en France, après avoir détruit des fortifications qui ont coûté fort cher à la Russie, et qui n’étaient que l’ébauche d’un immense établissement militaire destiné à menacer Stockholm de beaucoup plus presque Sébastopol ne menace Constantinople. A-t-on offert les îles d’Åland au roi de Suède ? Tout porte à le penser ; mais le cabinet de Stockholm aurait refusé une possession qui aurait aussitôt fait de la Suède une puissance belligérante, et aurait pu, dans le cours de l’hiver prochain, lui attirer sur les bras une armée russe. On comprend qu’il ait préféré le maintien d’une neutralité plus sûre, et qu’il se soit réservé le bénéfice du temps. La perspective de recouvrer la Finlande est assurément de nature à séduire les Suédois ; mais ce qui doit les refroidir sur cet agrandissement, c’est moins encore la crainte des longs ressentimens que la Russie en garderait que la jalouse opposition manifestée en Norvège contre une conquête qui dérangerait au profit de la Suède l’équilibre entre les deux parties de la monarchie. Quand on suit de près les passions et les intérêts qui s’agitent sur ce petit théâtre, ou est étonné, du peu de bon vouloir que le peuple norvégien a pour son voisin, de l’esprit d’indépendance qui l’anime et de l’antagonisme des deux existences nationales qui se développent, sans se confondre, sous le même souverain. L’union de la Norvège ajoute donc bien peu à la force de la Suède, et ne la dédommage pas de la perte de la Finlande. Le remède à ces jalousies, qui gênent la politique naturelle de la Suède, serait dans une combinaison souvent indiquée, et qui a de nombreux partisans dans les trois royaumes Scandinaves, mais à laquelle les circonstances ne se prêtent pas, et qui ne sortira peut-être jamais de la sphère des théories.

Nous ne reviendrons pas sur ce que le génie et l’artillerie ont vu dans la chute rapide de Bomarsund. Ce qui nous intéresse au moins autant, c’est la facilité avec laquelle nous avons transporté au fond de la Baltique un corps d’armée pourvu d’un énorme matériel. L’empereur de Russie devrait y voir une menace terrible pour Cronstadt et Sweaborg, et en conclure qu’il ne doit jamais se brouiller à la fois avec l’Angleterre et avec la France. Quand il en appelle aux souvenirs d’une autre époque, il affecte toujours d’attribuer aux seules armes de la Russie l’honneur de la résistance ; mais alors l’Angleterre, maîtresse de la mer, était l’alliée de tous nos ennemis, et une grande partie de l’Europe était liguée contre nous : les rôles sont aujourd’hui changés. L’Angleterre nous prête ses vaisseaux quand nous n’en avons pas assez pour porter nos troupes, et l’alliance des ressources maritimes les plus étendues avec la plus redoutable armée de l’Europe constitue un pouvoir d’agression irrésistible : qu’on y joigne la mobilité que donne à nos forces l’infatigable puissance de la vapeur, et la question sera décidée.

À côté de l’action des gouvernemens en présence de la crise orientale, une autre action dont il faut tenir compte est celle de l’esprit public. Dans les pays germaniques comme dans les pays slaves, il n’est pas sans intérêt d’étudier les symptômes qui la révèlent. Il serait injuste par exemple de croire que l’opinion de l’Allemagne en général soit favorable à l’influence qui pèse sur les résolutions de quelques cabinets. Dans la presse, les partisans de l’influence russe ne forment qu’une minorité bruyante il est vrai, mais sans considération, sans autorité réelle. Le sentiment général ne laisse passer aucune occasion de se formuler sans la saisir avec empressement : toujours il se prononce pour les résolutions les plus conformes aux intérêts et à la dignité du pays. Aussi, dans le jugement que les populations allemandes portent sur la conduite de leurs gouvernemens, leurs sympathies vont-elles à celui qui, malgré de regrettables hésitations, s’est avancé le plus loin jusqu’à ce jour dans les voies qu’indiquait l’honneur national. La cour de Prusse, qui naguère encore ne craignait pas de se dire appelée à l’hégémonie de l’Allemagne, s’est vue abandonnée par l’opinion au profit de la jeune cour d’Autriche ; c’est en ménageant la Russie que le cabinet de Potsdam a perdu tout ce terrain ; l’Autriche comprendra-t-elle cet enseignement ? L’opinion se livrera définitivement à celui des deux gouvernemens qui saura donner la plus large satisfaction à l’esprit national, et c’est à ce dernier qu’est réservée l’hégémonie de l’Allemagne, car l’avenir appartient à ceux qui, en s’associant à l’action des grandes puissances, s’assurent ainsi les moyens d’influer sur la solution du différend.

En Danemark, la situation n’est pas sans analogie avec celle de l’Allemagne. Les dispositions du pays envers la Russie ne sont pas douteuses. Vainement le parti qui gouverne aujourd’hui vante-t-il les avantages de la neutralité. L’opinion ne laisse échapper aucune occasion de manifester hautement ses sympathies pour la cause que les puissances occidentales défendant dans la Baltique et dans la Mer-Noire. D’où vient l’erreur du gouvernement danois dans une question si claire ?

La Russie, dit-on, a rendu des services au Danemark lors de ses démêlés encore récens avec l’Allemagne : elle s’est interposée plus directement qu’aucune autre puissance entre ce pays et la Prusse pour arrêter l’invasion allemande. Raisonnement spécieux, et qui, au lieu de rassurer le cabinet danois, devrait plutôt lui rappeler les dangers trop certains qui menacent le Sund et l’archipel danois dans l’avenir !

Il entre en effet, quant à présent, dans la politique de la Russie de ne pas se prêter aux progrès de l’Allemagne en Danemark ; mais cette puissance est bien loin de vouloir mettre fin à la lutte de l’élément scandinave et du germanisme. Son but au contraire est de l’entretenir, et s’il fallait prouver que telle est en effet la pensée du cabinet de Saint-Pétersbourg, on n’aurait qu’à étudier les résultats réels de la solution qui a été donnée sous son influence à la dernière guerre. N’est-il pas clair en effet que tout a été calculé pour entretenir les passions qui divisent le Danemark et l’Allemagne, en laissant subsister toutes les raisons de conflit qui les ont poussés à la guerre ? Croit-on que les rapports du Slesvig et du Holstein avec le reste de la monarchie soient aujourd’hui réglés de manière à satisfaire les intérêts pour lesquels on a de part et d’autre combattu ? Non-seulement il n’en est pas ainsi, et la question internationale n’a reçu qu’une solution incomplète, mais l’une des conséquences de l’arrangement imposé au Danemark a été de semer dans le pays des germes de division que nous voyons se développer dès à présent avec les caractères les plus fâcheux. Voilà les services rendus par la Russie au gouvernement danois. Si le cabinet de Saint-Pétersbourg s’était proposé de préparer de nouvelles causes de dissentiment entre le Danemark et l’Allemagne pour affaiblir l’un par l’autre et surtout pour épuiser le Danemark dans cette lutte, évidemment il n’aurait pas mieux réussi. C’est ce que le parti qui a aujourd’hui la prépondérance, sans avoir toutefois la majorité, refuse de comprendre ; mais le parti national (parti d’ailleurs essentiellement monarchique, et qui, assure-t-on a toutes les sympathies du roi) n’est pas dupe de l’intérêt trompeur que le cabinet de Saint-Pétersbourg a témoigné au Danemark dans la dernière lutte avec l’Allemagne, et comme le nombre et la raison sont de ce côté, espérons que le parti national ne tardera pas à reprendre l’influence qu’il a exercée avec honneur pendant toute la durée de la guerre.

Dans l’Europe orientale, l’esprit des populations est de même généralement bon et prévoyant. Le fâcheux exemple donné par les Grecs n’a pas été suivi, et ce qui est surtout digne de remarque, c’est que les Slaves, qui pouvaient se laisser séduire plus facilement encore que les Grecs à cause des liens de famille qui, outre les liens religieux, les rattachent à la Russie, ont gardé au contraire une attitude très froide en présence de tous les efforts que le panslavisme a faits pour les entraîner. Pour les Serbes, l’épreuve était sérieuse, car ils étaient en contact même avec l’armée russe, dont ils n’étaient guère séparés que par le corps ottoman de Kalafat. Ils pouvaient de leur frontière entendre distinctement le canon des assauts que les Russes livraient à cette place improvisée ; ils sont demeurés impassibles. L’état de guerre ayant anéanti les traités entre la Russie et la Porte, et par conséquent les stipulations sur lesquelles reposaient les privilèges de la Serbie, le cabinet de Saint-Pétersbourg avait espéré que ce serait là pour les Serbes une source d’inquiétudes et qu’ils s’en montreraient émus ; mais la Porte a eu l’heureuse pensée de déclarer qu’elle confirmait de nouveau et à perpétuité tous les avantages que les traités avaient assurés au pays, elle a pris à témoin de cet engagement les grandes puissances ses alliées, et les Serbes n’ont pas regretté le protectorat russe. Dans les derniers temps, les Serbes, craignant à tort que les troupes autrichiennes, au lieu d’entrer directement en Valachie, ne franchissent le Danube à Belgrade, avaient cru devoir faire quelques préparatifs militaires un peu bruyans pour défendre leur neutralité ; mais le malentendu s’est bientôt éclairci, le sultan a déclaré aux Serbes qu’ils n’avaient rien à craindre de son allié l’empereur d’Autriche, et les a invités à désarmer. L’entrée des Autrichiens en Valachie a dissipé toutes les craintes, et c’est avec le calme le plus parfait que les Serbes suivent aujourd’hui les développemens imposans que prend la guerre. Les garanties de paix formulées par la France et l’Angleterre et acceptées par l’Autriche comme base des négociations futures, en prouvant aux Serbes que le protectorat exclusif ne pourra jamais être rétabli et qu’il sera remplacé par le protectorat collectif des grandes puissances européennes, leur assurent, par la pondération même des influences qui en résultera nécessairement, la liberté intérieure que l’intervention jalouse et impérieuse du gouvernement russe leur avait ravie. Aussi les Serbes font-ils aujourd’hui les vœux les plus sincères pour que le succès couronne les efforts de nos armes. Tant qu’ils pouvaient penser qu’après la guerre le protectorat russe aurait des chances de se rétablir sur l’ancien pied, ils redoutaient le ressentiment de la Russie. Aujourd’hui que le danger est écarté, ils ne se croient plus obligés de dissimuler leurs sentimens.

Quant aux Moldo-Valaques, comment pourraient-ils ne pas faire les mêmes vœux que les Serbes pour le triomphe de la cause de l’Europe ? Qui a plus souffert qu’eux des prétentions que l’Europe combat ? Depuis la fin du dernier siècle, leur pays est le théâtre de la lutte entre la Russie et la Porte. Ils en ont supporté tout le poids. Ils sont les premiers menacés d’une annexion à la Russie le jour où celle-ci ferait un nouveau pas vers Constantinople. Épuisés, dépouillés, insultés depuis un an par des généraux avides et des soldats sans discipline, ils ont salué avec toutes les manifestations de la joie la plus vive l’entrée des Turcs dans les principautés. Moins défians que les Serbes pour l’Autriche, ils ont comme eux accueilli avec empressement les troupes autrichiennes.

Le cabinet de Vienne s’est engagé, par son traité avec la Porte, à concourir à l’expulsion des Russes du territoire valaque, et à ne leur permettre dans aucun cas un retour offensif en-deça de la ligne du Pruth. C’est pour les Moldo-Valaques une précieuse garantie. Ils voient enfin des jours meilleurs se lever pour eux. L’Europe, dont depuis des années ils essaient d’attirer l’attention, est tout entière en armes sur leur sol ou dans leur voisinage. Quelle que soit la forme qu’elle consente à donner plus tard à leurs institutions, pourvu qu’elle assure au nord leur frontière et qu’elle ferme l’accès de leur pays à l’invasion du panslavisme, ils n’auront pour elle, on peut y compter, que des paroles de reconnaissance, et si l’on veut se donner la peine de les organiser pour la lutte, ils pourront devenir d’excellentes sentinelles de l’Europe et de la civilisation sur le Dniester.

On vient de voir la question pendante caractérisée tour à tour par l’attitude des gouvernemens et des peuples. À l’intérieur, nous retrouvons encore l’appareil de la guerre. Au camp du nord, l’empereur a présidé aux manœuvres qui exercent et préparent nos soldats à des luttes plus sérieuses ; mais ce qui a principalement attiré l’attention sur le camp de Boulogne, ce ne sont point les simulacres de la guerre, les revues : ce sont les visites royales échangées en présence de notre armée. Après le roi Léopold sont venus le jeune roi de Portugal et le prince Albert d’Angleterre. La France et la Grande-Bretagne ont assisté avec satisfaction à ces entrevues, qui proclament une fois de plus aux yeux de l’Europe l’harmonie parfaite et la cordiale entente qui unissent, depuis le commencement des affaires d’Orient, les gouvernemens comme les souverains des deux pays. Il y avait même dans cette rencontre à Boulogne un réveil de souvenirs dont l’histoire constatera un jour les étranges contrastes, car c’était là, sur cette plage de Boulogne, que Napoléon avait armé contre le rivage anglais l’expédition la plus formidable de son règne, et maintenant c’était sur la même plage le spectacle des deux puissances désormais alliées pour un but commun.

Les gouvernemens sont aujourd’hui tout à fait rassurés sur le résultat de la recolle. Ainsi qu’on l’avait annoncé, la récolte de 1854 est au-dessus de la moyenne, non-seulement en France, mais encore en Angleterre, dans le Piémont et dans les divers pays de l’Allemagne. En présence d’une guerre avec la Russie, c’est un point fort essentiel. Si l’Europe occidentale avait dû, cette année encore, se voir menacée de la disette, comment aurait-elle pourvu à ses approvisionnemens, les ports de la Russie lui étant fermés ? Quoi qu’on en ait dit, les États-Unis ne seraient pas en mesure de remplacer, pour la vente des céréales, le marché d’Odessa et de combler le déficit de la production européenne. Il faut donc considérer comme un véritable bienfait du ciel l’abondance et la bonne qualité de la dernière recolte ; les gouvernemens de France et d’Angleterre peuvent désormais poursuivre vigoureusement les opérations de la guerre sans crainte de compromettre l’alimentation des deux pays. Un mouvement de baisse assez marqué s’est déjà produit sur les principaux marchés, mais les prix ne sont pas encore descendus à leur taux normal, et, il faut le dire, la cherté relative du pain a provoqué, sur quelques points, une agitation passagère, moins vive toutefois qu’en Belgique, où les inquiétudes et le mécontentement de la partie la moins éclairée de la population se sont manifestés, à Bruxelles notamment, par des actes très regrettables.

Il est d’ailleurs facile d’expliquer pourquoi les prix du grain comme ceux du pain ne se sont pas immédiatement abaissés dans les proportions que semblait promettre le rendement plus que suffisant de la récolte. D’une part, le battage du blé n’était point partout terminé, et la mouture se trouvait arrêtée dans certaines régions par suite de la sécheresse des cours d’eau, en sorte que les farines nouvelles tardaient à paraître sur les marchés. D’autre part, les distilleries, encouragées par la hausse énorme des spiritueux et ne pouvant se procurer aussi aisément que par le passé les vins et les betteraves nécessaires à leur fabrication, ont fait à l’avance de plus grands achats de grains, ce qui a ralenti la baisse des céréales. Telles sont les causes qui ont influé, en Belgique, sur la situation du marché, et qui ont pu tromper les espérances des consommateurs ; mais cet état de choses n’est que transitoire, et les populations auront cette année le pain à bon marché.

Il n’en sera malheureusement pas de même pour le vin. Depuis l’apparition de l’oïdium, la production de la France n’a cessé de décroître. Aux effets désastreux de cette maladie sont venus se joindre, pour la récolte de 1854, des influences atmosphériques très défavorables, et l’on doute que la production atteigne cette année 25 millions d’hectolitres. De là le malaise de nos régions vinicoles et la hausse continue dans le prix du vin. En face de cette situation, le gouvernement a pensé qu’il pourrait faciliter nos approvisionnemens en supprimant, au moins en partie, les droits de douane qui atteignent l’importation des vins étrangers. Il a rendu en conséquence, le 30 août dernier, un décret qui réduit au simple droit de balance de 25 centimes par hectolitre le tarif des vins ordinaires. Antérieurement, le droit était de 15 fr. par hectolitre pour les vins importés par la frontière de terre, et de 35 fr. pour les vins importés par mer. C’était, en d’autres termes, une véritable prohibition. La suppression de ces taxes, évidemment exagérées, n’est, il est vrai, décrétée qu’à titre provisoire ; mais il y a lieu d’espérer qu’après une courte expérience, elle deviendra définitive, aussi bien que la réduction de tarif prononcée, dans des circonstances analogues, à l’égard des bestiaux étrangers. Les gouvernemens devraient bien comprendre aujourd’hui que les taxes trop élevées sur les denrées alimentaires de première nécessité sont le plus souvent inutiles et parfois dangereuses. L’exemple de l’Angleterre est là pour démontrer qu’en pareille matière le régime le plus libéral est le meilleur, non-seulement pour ceux qui consomment, mais encore pour ceux qui produisent.

C’est donc, à tous les points de vue, une bonne et utile mesure que le décret du 30 août dernier. Il est douteux cependant qu’il produise quant à présent, au point de vue de l’approvisionnement général, un effet très sensible, car la plupart des pays qui nous entourent sont, comme la France, ravagés par l’oïdium ; la récolte de 1854 y sera peu abondante, et les prix s’y maintiendront très élevés. Pour que la franchise décrétée récemment exerçât sur l’état de notre marché une influence appréciable, il paraîtrait nécessaire de l’appliquer à la fois aux vins ordinaires et aux vins de liqueur. Ceux-ci, dont le tarif n’a pas été modifié, restent frappés du droit de 100 francs par hectolitre, qui date de 1816. Or, malgré l’exagération de cette taxe, il est entré en France pendant l’année 1858 plus de 3,500 hectolitres de vins de liqueur, provenant en majeure partie de l’Espagne. Peut-être dira-t-on que cette catégorie de vins doit supporter sans inconvénient un impôt très élevé ; mais il convient de rappeler que, sous le titre de vins de liqueur, la douane comprend des produits de qualité fort ordinaire et de bas prix. Il ne s’agit donc pas, comme on serait autorisé à le croire au premier abord, d’une denrée de luxe. Les vins d’Espagne, classés parmi les vins de liqueur, sont accessibles à la consommation populaire, et ils pourraient en tout cas prendre dans les distilleries d’alcool la place de nos produits, qui sont devenus insuffisans.

L’Espagne, depuis la révolution du 17 juillet, ou plutôt depuis la formation du nouveau gouvernement sorti de cette révolution, l’Espagne flotte entre deux tendances qui se livrent un perpétuel combat. C’est la lutte qui suit toute commotion publique entre les influences révolutionnaires survivantes et l’esprit d’ordre qui cherche à renaître, qui a pour complice tous les intérêts en souffrance, tous les besoins de conservation. Cette lutte existe de toutes parts aujourd’hui au-delà des Pyrénées, et la politique même du gouvernement semble en être l’image, le résumé le plus significatif. Depuis plus d’un mois qu’il est au pouvoir, le ministère marche ainsi sous cette double influence : d’un côté, il transige avec la révolution dont il est né, de l’autre, il cherche à remettre un peu d’ordre au milieu d’une anarchie qui est loin d’être complètement vaincue. Un des actes les plus propres à décharger la situation de l’Espagne d’un grand poids, c’est à coup sûr la décision en vertu de laquelle la reine Christine a pu quitter Madrid, où elle était restée comme une sorte de gage entre les mains de la révolution. Par malheur, si le résultat est obtenu, la manière dont l’acte s’est accompli porte encore ce cachet d’une politique qui cherche à faire de l’ordre avec du désordre. Il a fallu négocier, parlementer avec l’émeute ; la ruse même, il faut le dire, s’en est mêlée. Le gouvernement en effet s’était fort imprudemment engagé, il y a un mois, à ne laisser sortir la reine-mère « furtivement, ni de jour ni de nuit ; et quand on est venu rappeler au cabinet ses paroles, il a répondu, avec une subtilité singulière peut-être en pareil cas, qu’il n’avait pas manqué à sa promesse, puisque la reine n’était point partie furtivement, mais au contraire en public, avec une escorte, et sous la responsabilité du gouvernement.

C’est le 28 août que Marie-Christine quittait Madrid, et aussitôt les agitateurs se réunissaient. Une députation du club de l’Union, — du club même dont le duc de la Victoire avait accepté la présidence, — se rendait chez ce dernier pour lui signifier ses protestations. Toutes les corporations populaires étaient convoquées dans un grand conseil où assistaient les ministres, et où les agitateurs madrilènes avaient eux-mêmes leurs représentans. Il est facile de pressentir les scènes de violence, les objurgations qui ont eu lieu. L’essentiel est que les ministres ont maintenu énergiquement leur résolution, et qu’ils se sont montrés prêts à livrer bataille à l’émeute qui se préparait au dehors, à employer la force contre les barricades qu’on commençait à construire. Une vigoureuse démonstration de la milice nationale a complété la victoire de cette journée. Il resterait seulement à concilier la ferme attitude du cabinet avec le langage dont il s’est servi dans ses actes officiels. Le gouvernement a cru désarmer les passions révolutionnaires, et il s’est trompé. Par une circulaire aux gouverneurs des provinces, il a donné à l’éloignement de la reine-mère le caractère d’un bannissement ; il suspend le paiement de la pension octroyée à Marie-Christine par les cortès de 1845 ; il met le séquestre sur tous ses biens. Or on se demande quel peut être le sens d’une telle mesure, en quelle qualité le ministère a pu prendre une décision semblable, à laquelle manque, comme on le pense bien, la signature de la reine Isabelle. Tout cela fait de la mesure ministérielle un acte révolutionnaire, lorsqu’elle aurait dû rester une grande mesure d’ordre public.

Au lieu de ces subterfuges peu dignes d’un gouvernement et qui n’étaient pas même faits pour trouver grâce auprès des héros des clubs, n’était-il pas plus simple de dire que dans la situation actuelle, au milieu de l’effervescence des passions, le gouvernement avait dû autoriser et protéger le départ de la reine Christine dans une pensée de pacification, afin d’écarter un grand péril ? N’est-il pas évident en effet que tout acte qui tendra à frapper la reine Christine doit rencontrer le plus invincible obstacle dans la volonté de la reine Isabelle elle-même ? Prétendre passer par-dessus cet obstacle, soit aujourd’hui, soit dans les cortès qui se réuniront prochainement, ne serait-ce point aller au-devant de la crise la plus terrible ? Quoi qu’il en soit, le départ de la reine Christine écarte pour le moment ces difficultés, et c’est sous ce rapport qu’il a une grande importance politique. La facilité même avec laquelle le gouvernement a réprimé les turbulences révolutionnaires du 28 août démontre qu’il n’a qu’à vouloir pour imprimer aux affaires de la Péninsule une direction plus ferme et plus propre à ramener la sécurité dans le pays. Cette première victoire d’ailleurs a permis au cabinet de Madrid de prendre quelques nouvelles mesures conservatrices. Il a dissous toutes les réunions politiques autres que les réunions électorales ; il a assujetti la presse à une législation qui impose quelques conditions et quelques garanties, et la faible résistance que ces actes ont rencontrée prouve que toute la force de l’esprit révolutionnaire est dans l’indécision du pouvoir. Le gouvernement espagnol le sait aujourd’hui par sa propre expérience. Il n’est point certes au bout de son œuvre réparatrice, mais il est maître de choisir sa politique, et c’est pour cela qu’il est doublement responsable envers l’Espagne et envers l’Europe, qui ne peut-être indifférente aux convulsions de ce pays, malheureusement trop éprouvé.

En Amérique, le fait le plus remarquable de la politique, c’est la déconsidération croissante du gouvernement du général Pierce, et cette déconsidération, il faut le dire, n’est pas entièrement imméritée. Rarement on a vu une politique plus incertaine, plus louvoyante, moins sûre d’elle-même. Ce gouvernement a essayé de flatter les passions de tous les partis, et n’a réussi à en contenter aucun. Il a semblé un moment pencher du côté des free soilers et abandonner les principes de la convention de Baltimore en vertu desquels il avait été élu ; il s’est mis à dos les démocrates par cette conduite. Il n’a pas pris parti dans l’affaire des territoires de Nébraska et Kansas, et le bill relatif à l’organisation de ces territoires a passé sans qu’il s’en soit mêlé. Tout récemment, dans l’affaire du bombardement de San-Juan de Nicaragua, il a cru plaire aux passions d’envahissement des États-Unis, et il n’a réussi qu’à soulever l’indignation générale ; mais ce qui caractérise surtout la politique de ce gouvernement, c’est le rôle qu’il a pris dans les affaires de Cuba. D’abord il s’est conduit modérément, a lancé des proclamations pour déclarer que justice serait demandée par les voies légales, mais par les voies légales seulement ; puis il en a lancé de nouvelles, belliqueuses, arrogantes, et qui semblaient faire présager une prise d’armes prochaine. Heureusement les gens éclairés des États-Unis ne semblent pas disposés à le suivre dans cette malheureuse campagne. La conduite du capitaine du Black Warrior a été hautement condamnée plus d’une fois, et il n’est pas un homme sensé qui puisse hésiter à déclarer qu’il était en contravention avec les règlemens espagnols. Bien des illusions aussi se sont dissipées ; on commence à comprendre tous les dangers d’une entreprise comme la conquête de Cuba, et à craindre que si cette île cesse d’être espagnole, elle ne devienne plutôt africaine qu’américaine. Quant à l’achat amiable de cette perle des Antilles, tout le monde convient qu’il faut y renoncer, et que L’Espagne ne consentira pas à se dépouiller d’une possession d’où elle tire ses principales ressources : Aussi n’est-il pas étonnant que la demande des 10 millions de dollars qui avait été adressée au congrès pour un but qu’on n’avouait pas, mais qu’on supposait relatif aux affaires de Cuba, ait été repoussée. C’est un échec sérieux pour la politique du président, qui on subira bien d’autres avant la fin prochaine de son pouvoir. Quoi qu’il en soit, les États-Unis ne semblent pas disposés à aller en guerre, et nous les en félicitons.

Le général Pierre aux élections de 1852 avait eu une majorité énorme sur le général Scott, mais les choses sont bien changées, et c’est aujourd’hui le général Scott dont la candidature est mise en avant pour la prochaine présidence. On avait écarté le général Scott, et on lui avait substitué un homme obscur, parce qu’on l’accusait de free soilisme, et le président élu a fait tout ce qu’il a pu pour faire penser qu’il penchait vers les mêmes doctrines. On accusait aussi le général Scott d’entretenir encore des sympathies pour le défunt parti des native Américans, et voilà qu’aujourd’hui ce parti ressuscite sous le nom de know nothing et sous la forme d’une espèce de société secrète. Que voulaient les native Americans ? Opposer des barrières à la naturalisation trop prompte, des émigrans étrangers. Les démocrates jetèrent feu et flamme, et le parti mourut bientôt ; mais la question qu’il avait soulevée ne mourut pas avec lui, et chaque année le danger qu’il avait voulu prévenir a augmenté d’intensité avec l’accroissement de l’émigration. Dans les nouveaux états, surtout dans l’ouest, le nombre des émigrans a bien vite dépassé le chiffre de la population de souche américaine. Alors une autre question s’est soulevée d’elle-même : la population américaine doit-elle être soumise à des étrangers venus on ne sait d’où, ou ces étrangers doivent-ils accepter la domination américaine ? Partout dans l’ouest, où ils sont le plus nombreux, ils font les élections, nomment les magistrats. Un jour viendra, et ce jour est peut-être prochain, où ils influeront assez sur la politique américaine pour moduler la constitution et les institutions des États-Unis. L’œuvre de Washington et de Franklin a-t-elle donc été fondée pour devenir la proie de quelques millions d’anarchiques papistes irlandais et d’anarchiques socialistes allemands ? Ce raisonnement a en en effet quel que fondement, il faut l’avouer. Jusqu’à présent, la race anglo-saxonne est parvenue à maintenir, à dompter et à absorber les élémens étrangers ; mais si ces élémens devenaient trop considérables, adieu la domination américaine ! Les émigrans ne s’américanisent plus aussi facilement que par le passé ; ils résistent davantage, ils aiment à vivre, ensemble, et forment déjà comme autant de nations étrangères au sein de la grande nation américaine du nord. C’est pour prévenir ce danger que se sont formés les know nothing. Malheureusement ils emploient pour arriver à ce but le plus détestable de tous les moyens, la force brutale. Depuis quelques mois, il est rare que chaque numéro du New-York Herald ne contienne pas le récit de quelques rixes sanglantes entre les know nothing et les émigrans. Tout récemment une lutte sauvage a éclaté dans le Missouri à propos d’une élection où les émigrans avaient eu l’avantage. Les Américains commencent donc à redouter pour eux les élémens dissolvans que leur apporte l’Europe, mais en même temps ils essaient de prévenir ce danger et d’interdire par la violence aux émigrans européens le droit de s’immiscer dans les affaires américaines : c’est là, il faut en convenir, une application un peu trop large et surtout trop arbitraire de la fameuse doctrine de Monroë. ch. de mazade.

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UN PHILOLOGUE DANS L’UNTERWALD.


Dans un petit village de l’Unterwald vit en ce moment un chapelain, dont les connaissances philologiques ont étonné tous les juges compétens auxquels elles ont été soumises. Nous avons eu communication de quelques lettres de ce digne prêtre. La plus importante est écrite à M. Zelger, landamman de Stanz, chef-lieu du canton alpestre d’Unterwald, esprit fort cultivé lui-même, et qui exerce patriarcalement la médecine dans ses montagnes, à l’aide d’une pharmacie dont les secours sont gratuits. À la demande de M. de Sinner, de Berne, professeur et helléniste distingué, M. Zelger avait prié le chapelain Matthys de lui donner quelques détails sur sa vie et sur la marche qu’il avait suivie pour étendre ses connaissances. Le chapelain répondit à cette demande par un résumé d’autant plus curieux que les épreuves à travers lesquelles le modeste savant s’est formé y sont racontées avec plus de simplicité. Sa lettre, que nous allons traduire le plus littéralement possible, a été remise à la société du Musée britannique par l’orientaliste éminent qui représente l’Angleterre en Suisse, M. Murray.

« Très honoré monsieur le landamman,

«… Vous désirez avoir pour un de vos amis quelques renseignemens sur ma carrière scientifique, et particulièrement, sur mes minces connaissances dans les langues, et je vais vous en donner quelques-uns, pour vous apprendre, à vous et à votre ami, à moins estimer ces connaissances, ou même à les tenir pour rien du tout.

« Né en 1802, je vécus à Wolfenschiessen jusqu’en 1808. Alors je vins à Beckenried, où je restai jusqu’en 1818. Pas une âme, à plus forte raison pas une autorité ne songea à m’envoyer à une école publique ; aussi n’en fréquentai-je aucune, à l’exception de vingt-huit jours que je passai dans une école privée. Je menais donc une vie sauvage. Cependant mon père écrivait par-ci par-là quelque chose. Je voulus voir cette merveille ; il m’apprit à déchiffrer ses lettres écrites, et j’appris ainsi à lire l’écriture. Plus tard, j’essayai de copier cela, et j’y réussis aussi. Dès lors je raffolai de toutes les bribes d’écriture, et.pour les lire, je les ramassais le long de tous les chemins. J’aperçus un jour de l’imprimé chez quelques voisins. Alors l’ardent désir s’éleva en moi de pouvoir le lire aussi. Mon père me montra les lettres, et bientôt je lus aussi l’imprimé. Il m’apprit de plus à compter et à calculer par cœur.

« En 1818, je revins à Wolfenschiessen, où je vis un livre de calcul chez un voisin. J’exprimai le désir de l’avoir, on me le céda quelque temps, et je sus bientôt calculer de manière à pouvoir délier tous ceux que je connaissais. En 1820, je vis dans une autre maison une grammaire latine dans laquelle un enfant apprenait le latin. Cet enfant me nargua avec des mots latins, et j’éprouvai en secret un vif désir d’apprendre aussi quelque chose de pareil ; mais où trouver une grammaire latine ? Mon père n’était pas à même de m’en acheter une, et tout ce que je pus faire, ce fut de mendier un petit livre de prières. Cependant, en 1821, j’allai en Allemagne, dans la Franconie bavaroise, pour gagner quelque chose comme domestique suisse, ainsi que d’autres l’avaient déjà fait. De bonnes gens m’avancèrent l’argent de mon voyage. Quelques mois après, j’avais déjà plusieurs florins en poche. J’arrivai dans une ville sur le marché. Je vis la petite et la grande grammaire latine de Brader, avec dictionnaire y atténant, et j’achetai le tout à la fois. Dès lors je ne perdis plus un moment. Je cherchai à apprendre la grammaire ; je déclinais et conjugais un mot après l’autre tout en travaillant ; j’appris même le dictionnaire par cœur, et je me mis alors à traduire. En 1823, je revins dans mon pays, non chez mes parens, mais dans un service comme domestique, et en été j’allais sur une alpe où j’eus beaucoup de temps à consacrer au latin, ce que je fis.

« Alors commencèrent mes études. Un chapelain m’examina et trouva que je comprenais déjà quelque chose. On apprit cela à Stanz, et quelques bonnes gens me mirent à même d’y entrer à l’école latine. J’entrai dans la troisième classe. À Stanz, j’étudiai jusqu’à la fin de 1825. un jour j’entendis une dame de Stanz parler avec un monsieur à moi inconnu, dans une langue inintelligible pour moi : c’était la langue française, et aussitôt je me sentis pris du désir d’apprendre aussi cette langue. Cette dame me donna une vieille grammaire. Un monsieur de Stanz essaya bientôt de parler avec moi, et cela ne tarda pas à aller un peu. Sur la fin de 1825, j’allai, avec le secours de bonnes gens, à Soleure, où j’étudiai la rhétorique et la philosophie. Là, je trouvai chez un bouquiniste des grammaires à bon marché de quelques langues européennes, et je les achetai ; de quelques autres, j’attrapai aussi les dictionnaires. Le grec, je dus l’apprendre à l’école. Je profitai de tout. À la fin de 1827, j’allai étudier la physique à Fribourg en Suisse. Au nouvel an de 1828, je me hasardai à envoyer mes souhaits à mes bienfaiteurs à Stanz, en allemand, en français, en italien et en latin ; à la fin de 1828, j’allai en théologie à Lucerne, où je dus apprendre aussi l’hébreu, et où, moyennant trois florins, je me procurai, de la société biblique de Bâle, une Bible hébraïque. Quant au Nouveau Testament en hébreu, je l’achetai dans un encan. À la fin de 1830, j’entrai au séminaire à Coire, et je rentrai chez moi comme prêtre en 1831. La même année, je reçus la cure de Nieder-Riekenbach, où je dus rester quatorze ans, la plus grande partie de l’année, comme dans un désert abandonné, sans avoir rien à faire. Pour occuper mon temps, je m’adonnai très laborieusement à la philologie. Là, j’achetai de vieilles grammaires aux encans, ou bien je m’en fis une moi-même, comme l’espagnole ; seulement, comme j’avais peu de choses à lire, elle dut rester incomplète. Je ne pouvais pas me procurer les livres nécessaires, parce que j’avais trop peu de revenu, et que d’ailleurs j’avais trop de choses à payer. À Nieder-Riekenbach, pendant la première année de mon séjour, M. le landamman Würsch revint de l’Inde orientale avec deux enfans, et en amena un chez moi, le petit garçon, pour qu’il apprit l’allemand, car il ne parlait que malais et un peu hollandais. Le père devait avoir défendu au bambin de faire entendre un seul mot de langue malaise, car je ne l’entendis qu’une fois prononcer au soleil levant le mot mata, les deux premières syllables de matahari, qui signifie le soleil. Alors je fus pris du désir d’apprendre cette langue, et je fis venir de la Hollande une grammaire de haut et bas-malais avec dictionnaire. Quelque temps après, pour me venger de n’avoir pu tirer un mot de l’enfant du landamman, je surpris son père avec une lettre malaise qu’il comprit, et à laquelle il répondit aussi en malais. L’une et l’autre lettres étaient écrites en caractères arabes. Je travaillai avec plaisir à cette langue, parce que, comme auxiliaires, j’avais en main grammaire, dictionnaire et même livres de lecture ; mais pour l’arabe, le sanscrit, etc., j’avais à peine une grammaire et seulement quelques morceaux à lire sans dictionnaire : cela n’alla pas si bien, je ne pus me procurer d’auxiliaires. Une grammaire chinoise avec deux brochures à lire me coûtèrent même si cher, que je n’osai le dire à personne, et que je ne pensai plus à m’en procurer davantage.

« Quand j’arrivai, en 1845, comme chapelain à Thalwyl, la plus pauvre commune du pays, je laissai quelques années de côté la philologie, si pénible pour moi, surtout parce que j’avais d’ailleurs beaucoup à faire et à donner ; mais plus tard, un Unterwaldois revint d’Amérique avec une lettre de bourgeoisie américaine que dans le pays personne ne pouvait lire, parce que c’était écrit en anglais, et je dus la lui expliquer. Alors mon goût pour la philologie se réveilla, et je recommençai à m’en occuper davantage, surtout pour l’anglais, l’hébreu, le sanscrit, le chinois, mais le tout encore avec peine, faute d’auxiliaire. Ainsi mes connaissances polyglottes ne peuvent être que fragmentaires. De parler en langue étrangère, il n’est pas question, car, par exemple pour l’anglais, je n’en ai pas encore entendu prononcer un mot.

« Je suppose maintenant que vous m’excuserez auprès de votre ami, et le déciderez à ne pas me regarder du tout comme un philologue, ce qui n’eût pas été possible dans ma situation, et ne pourrait plus le devenir. Cependant dans d’autres circonstances je le fusse devenu.

« Je suis avec respect, etc.

« JACOB MATTHYS, chapelain.

« Thalwyl, le 16 juin 1854. »


Singulièrement alléché par les détails qu’on lui avait donnés sur le savant de l’Unterwald, M. de Sinner se mit lui-même en route, il y a deux mois environ, pour aller lier connaissance avec le chapelain Matthys.

Il apprit à Stanz de M. Zelger que personne dans le pays ne se doutait des connaissances du chapelain, et que, la chose fût-elle comme, elle ne réussirait guère qu’à lui valoir le dédain de son entourage. Parti de Stanz avec un enfant pour guide, M. de Sinner trouva enfin le chapelain dans sa cure, et se mit à l’examiner, livre en main, sur les langues qu’il connaissait. L’espagnol, le portugais, l’italien, le français, le grec ancien et moderne, allèrent à merveille. M. de Sinner prit ensuite un livre chinois, et bien qu’il ne connût pas cette langue, il put admirer, à l’aide d’une traduction latine, la facilité avec laquelle le chapelain lui traduisit couramment de longs passages de Confucius. Le prince-abbé du couvent des bénédictins d’Engelberg, canton d’Unterwald, homme fort instruit, ami de M. de Sinner, apprit à celui-ci qu’il avait offert d’intervenir auprès de la cour de Rome pour faire entrer le chapelain dans la Propaganda ; mais celui-ci refusa en alléguant son âge et l’impossibilité de quitter ses belles montagnes, où sa vieille mère lui sert encore aujourd’hui de gouvernante. De retour à Stanz, M. de Sinner raconte que son petit guide le prit tout à coup à part et lui dit avec un gros soupir : — Oh ! monsieur, que je voudrais donc pouvoir devenir aussi un savant comme cela ! Dans le fait, on rencontre peu de populations aussi généralement portées à l’étude des sciences et des arts que ces populations toutes pastorales de l’Unterwald. Stanz compte beaucoup de peintres et de sculpteurs dont quelques-uns se sont fait un nom en Suisse et en Allemagne.

Quelque temps après sa visite à Thalwyl, M. de Sinner, qui avait annoncé au chapelain l’intention de venir le voir avec M. Murray, reçut la lettre suivante :


« Monsieur le professeur,

« Je suis un peu effrayé de ce que vous me dites. Vous croyez que son excellence M. Murray m’écrira une lettre arabe, turque, anglaise ; je saurai bien déchiffrer l’anglais, mais pas du tout le turc, parce que je ne possède aucune lettre dans cette langue. En arabe, je ne suis pas non plus fort, car dans les premiers temps je n’ai étudié qu’une courte grammaire arabe, et comme livres de lecture je ne possède qu’une description de l’Égypte et un petit dictionnaire. Cette lettre serait donc un trop grand honneur pour moi.

« Vous voulez un jour me faire une visite avec son excellence. Là je tremble encore davantage. Je n’ai pas encore entendu parler un mot d’anglais, et même, vous, je ne vous comprends pas bien quand vous parlez allemand, parce que mes oreilles sont très dures. Comment cette visite se passera-t-elle ? Cela me ferait certainement un grand plaisir, si seulement j’étais un meilleur philologue ; mais sachez que je ne sais que regarder les langues comme un niais. Saluez bien de ma part nos amis philologues Murray, Parrot, etc., mais rabattez beaucoup de leur attente à mon égard. Je vous souhaite, etc.

« Jacob Matthys, chapelain.

« Thalwyl, près de Stanz, le 25 juin 1854. »


M. Parrot est un orientaliste remarquable, conseiller d’état du canton de Berne. Un jour il envoya au chapelain un livre sur l’Égypte écrit en langue hiéroglyphique. Le chapelain le lui rendit sans avoir pu le lire ; seulement il accompagna l’envoi de deux lignes en chinois dont voici la traduction : « Quand même on a l’amour des langues, si on n’a ni temps ni argent, comment peut-on les apprendre ? — Quoique j’aie quelques livres, ils ne suffisent cependant pas pour apprendre les langues orientales et occidentales. »

Il nous a semblé que les savans philologues de l’Europe ne liraient pas sans intérêt de si touchans détails. Nous nous sommes dit même que leur attention, une fois éveillée, pourrait porter ses fruits pour l’humble savant de Thalwyl. C’est dans cet espoir que nous avons publié ces lettres où se peignent si vivement, avec la modestie propre au philologue de l’Unterwald, l’ardeur de savoir, la curiosité patiente qui distinguent ses compatriotes.

Max Buchon.

Berne, août 1854.

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V. DE MARS.