Chronique de la quinzaine - 14 septembre 1849

Chronique no 418
14 septembre 1849


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 septembre 1849.


La raison politique et l’histoire veulent toutes deux que le chef suprême de l’église catholique soit en même temps un souverain temporel. C’est une indispensable garantie pour les intérêts spirituels dont il est l’arbitre, de lui savoir une place indépendante parmi les princes de la terre. Il ne suffit pas que le pape soit indépendant vis-à-vis du dehors, il faut encore qu’il le soit chez lui : le pape ne peut être ni sous la main d’une puissance extérieure, ni sous la pression d’une majorité parlementaire. Le pape, sans un état qui soit à lui, n’est plus qu’un préfet ecclésiastique au service de la puissance chez laquelle il résidera ; le pape, obligé de capituler avec les directions d’un premier ministre, de subir un cabinet ou de jouer aux coups d’état, le pape n’est plus qu’un roi constitutionnel avec les chances de l’emploi. Voilà le point de départ de tous nos jugemens dans l’affaire de Rome, et ce credo nous semble assez orthodoxe pour ne permettre à personne de supposer, ou que nous veuillions camper à perpétuité sur le patrimoine de saint Pierre, ou que nous engagions Pie IX à reprendre la constituante de M. Mazzini. Nous lui demandons, au contraire, de venir régner chez lui en toute liberté pour donner à nos soldats le droit de s’en retourner chez eux ; mais nous lui demandons aussi de renoncer, dans sa prudence et dans sa charité, au regrettable avantage qu’il trouverait à nous mettre en trop mauvaise position, et nous le supplions de n’être point trop habile avec des gens qui le sont si peu.

La situation ne laisse pas, en effet, d’être bien singulière. La république française est devenue par substitution la fille aînée de l’église, et elle a rempli les devoirs que lui imposait ce titre héréditaire avec un zèle que la monarchie aurait peut-être calculé davantage. Son argent et son sang, elle n’a rien ménagé. La démagogie européenne avait chassé le pape de la ville éternelle. La France y est rentrée d’assaut ; le pape ne l’a point avertie qu’elle pût ainsi lui déplaire, et il n’a pas défendu à nos généraux de lui présenter les clés de sa capitale Etait-ce donc pour n’y point entrer, ou pour y entrer en autre compagnie que la nôtre ? Il semble maintenant que Pie IX fuie nos baïonnettes protectrices avec autant de répugnance que le poignard des assassins de M Rossi, et peu s’en faut que nous n’ayons l’air de le violenter en le rétablissant sur son siège. Il se dérobe à nos poursuites les plus respectueuse et les déconcerte par ses froideurs ; il s’éloigne quand nous le conjurons de se rapprocher Il était à Gaëte, il va se réfugier à Portici ; de là peut-être ira-t-il à Lorette ou bien même à Bologne, chez les Autrichiens, on ne sait encore là-dessus rien de très positif, rien du moins, si ce n’est qu’il ne tiendra point à Rome, parce que nous y sommes. La belle avance à présent que nous y soyions ! Oui, sans doute, cette ironie ne serait pas mal placée dans la bouche des ennemis déclares de l’expédition ; mais convenait-il au pape de leur en donner le sujet ?

D’où viennent donc ces cruels dissentimens qui tiennent en échec le repos de l’Europe, et retardent une pacification si désirée après tant de secousses ? C’est toujours un mauvais procédé de demander aux gens qui ont déjà fait beaucoup pour vous plus encore qu’il ne leur appartient de faire, et principalement quand il est bien clair qu’ils ont été tout d’un coup jusqu’aux dernières limites du possible dans les conditions où ils étaient eux-mêmes placés. Pie IX devrait avoir appris, par son expérience personnelle, ce qu’il y a de qu’il y a de dur et de peu équitable dans les exigences croissantes des opinions ou des passions une fois éveillées par des encouragemens trop complets. Un pape peut bien aimer la popularité, il peut savourer les acclamations qui montent de la rue jusqu’aux balcons du Vatican, et ne pas dédaigner une promenade triomphale au Corso, fût-ce même sous l’égide de Ciceruacchio ; il peut, dans un noble accès de patriotisme, souffrir assez volontiers qu’on crie tout à la fois, en face de l’Autriche et vive le page ! Et dehors les barbares ! Il peut même, par une sincère passion pour les libertés modernes, commencer et précipiter des réformes nécessaires. Tout cela ne justifie pas les partis extrêmes qui croient pouvoir compter sur lui comme un héraut de révolution, comme sur un tribun d’avant-garde. Vouloir que le souverain pontife prêchât une croisade italienne contre des catholiques parce qu’ils étaient étrangers, vouloir qu’il se dépossédât de son autorité traditionnelle et cessât d’être un prince par la grace de Dieu, c’était méconnaître sans pitié la nature de son gouvernement, et tirer parti de ses premiers bienfaits pour l’attaquer dans ses dernières réserves. Voilà comment on est passé, vis-à-vis de Pie IX de la reconnaissance à l’ingratitude. On ne s’est pas résigné à comprendre qu’avec la meilleure intention du monde d’être agréable à son peuple, il ne pouvait pas cesser d’être lui-même et démentir par ses actes l’éternel caractère imprimé sur la tiare.

La France aussi porte un caractère qui est à elle et point à d’autres, qui lui vient du génie, du courage, de la gloire de enfin de la consécration des siècles. Elle a jusque parmi ses écarts, jusqu’au fond de ses abaissemens, un rôle marqué dans le monde, un rôle dont elle ne saurait se départir sans y être aussitôt ramenée par la force des événemens. La France ne peut pas se mettre à la place de l’Autriche, pas plus que l’Autriche ne peut se mettre à la sienne. Il est donc excessif de lui imposer de trop fortes contradictions avec elle-même, et ce n’est pas d’un grand cœur, comme est celui de Pie IX, d’oublier tout le dévouement qu’on lui a montré pour chercher qu’à profiter des embarras que ce dévouement même a créés.

Nous prions qu’on nous pardonne de la dire, le pape se comporte un peu avec nous comme les radicaux italiens se sont comportés avec lui : il ne parait plus nous savoir gré des services que nous lui avons rendus, parce que nous ne sommes pas précisément à sa disposition pour l’obliger en d’autres points où il ne saurait nous convenir de l’aider. De ce que nous avons enlevé Rome à la démagogie, on en conclut trop vite, autour du saint-père, que c’est notre devoir de la livrer derechef à l’absolutisme théocratique, et l’on nous boude parce que nous ne nous accommodons point d’un retour en arrière auquel il n’est pas sûr que l’Autriche elle-même, dont nous parlions, voulût donner les mains. C’est donc là bien réellement l’histoire de Pie IX, mais à l’envers : de ce qu’il avait évoqué la liberté, on en a conclu qu’il était obligé de patroner la licence. Il a compris qu’il était temps de prouver aujourd’hui qu’on s’était trompé, et il le prouve de reste. Nous sommes bien obligés de l’avertir aussi qu’à son tour il a trop compté sur nous, comme on avait trop compte sur lui.

Notre credo nous met à l’aise. Encore une fois, nous n’aurions pas le moindre goût à voir le pape entouré du voile très peu mystique des fictions constitutionnelles et nous ne croyons pas que les Romains aient une fureur innée pour les délices du mécanisme parlementaire, mais les Romains, et nous entendons par Là les honnêtes gens de Rome, les Romains ne peuvent se résigner à la pensée de retomber sous l’empire des abus qui avaient signalé l’ancienne administration cléricale aux justes reformes de Pie IX lui-même. Nous ne croyons pas qu’ils aient tort dans leur désespoir, et ce serait, selon nous, une faute grave de les y abandonner. La politique de la France est tout entière avec eux sur ce point-là, depuis des années la France n’a pas tenu d’autre langage au saint-siège, et les puissances catholiques se sont unies à son influence pour la seconder. La sécularisation raisonnable de l’administration, l’intervention progressive des corps élus dans les affaires des communes, des provinces et de l’état, une assemblée consultative a défaut d’assemblée souveraine, tous ces changemens qui feraient aujourd’hui la joie de l’Italie et la tranquillité de l’Europe, si on les avait réalisés pour prix de notre récente victoire, étaient déjà indiqués dans le memorandum du 21 mai 1831. C’était encore le sens de notre direction en 1847, nous ne voulions ni plus ni moins, et ce n’était pas nous alors qui pressions le pape ; c’était, s’il nous en souvient, le pape qui nous accusait de lenteur. Aujourd’hui, les trimvirs rouges, qui usent si malheureusement à Rome de la procuration dont ils ont été investis à Gaëte, peuplent le gouvernement de prélats, de prêtres et de moines ; légations, magistratures et ministères sont livrés aux mains qui les occupaient sous Grégoire XVI. Les prisons se remplissent d’honorables suspects, les livres de Rosmini et de Gioberti sont mis à l’index comme une affectation de bravade. La réaction la plus aveugle poursuit et efface, quoi ? — les traces de la démagogie mazzinienne ? — non, les souvenirs des temps les plus prospères et des essais les plus justement applaudis de Pie IX. Pie IX s’abdique lui-même devant son entourage de Gaëte et de Naples, devant les conseils de l’absolutisme, autant qu’il se serait abdique, s’il eût fléchi dans Rome devant les émeutes radicales.

Il y a étranges illusions d’optique dans les aperçus de la faveur populaire. Ce doux et mobile pontife a pourtant passé dans l’opinion fugitive de nos dernières années pour un sage intrépide, pour une ame vigoureuse et constante ! Dieu, nous garde d’effleurer encore d’une atteinte indiscrète un cœur déjà si blessé ; mais nous ne pouvons pas nous dissimuler qu’après avoir contribué beaucoup au déchaînement révolutionnaire par les avances peut-être trop caressante qu’il faisait à la popularité, Pie IX risque aujourd’hui de contribuer à précipiter l’Europe dans des collisions encore plus graves par la passion avec laquelle il se rend impopulaire. Le saint-père n’est, comme nous tous, qu’un homme de ce temps-ci, trop sujet aux impression exagérées des idées incomplètes, trop accessible à ces mouvemens des choses extérieures qui compriment ou qui surexcitent la faiblesse de nos caractères. Sur cette figure presque effacée, dans ce vague sourire, dans ces yeux à demi clos, dans cet air de béatitude facile, ne cherchez pas les traits énergiques des Grégoire et des Alexandre. Combien de fois ne lui est-il pas arrivé, aux heures ardentes de son pontificat, de trembler le lendemain du grand pas dont il s’était enorgueilli la veille ! Combien de fois, par exemple, M Rossi, qu’il n’écoutait point assez dans ses accès d’enthousiasme, a-t-il été obligé de le réconforter dans ses découragemens ! L’homme est ainsi fait chez Pie IX, le pape n’y peut rien, et la sincérité de sa conscience ajoute encore au trouble de a conduite. Livré maintenait tout entier au parti grégorien, qu’il avait repoussé dès son avènement, dominé par l’esprit d’autorité absolue qui règne à Naples, Pie IX semble prendre à tâche de se fermer d’avance toutes les portes par où il pourrait revenir à ses premiers erremens, et nous lui sommes suspects rien que pour les lui rappeler.

La France doit-elle cependant rester l’arme au bras en face de cette politique obstinée à contrarier la sienne ? La France, présente à Rome dans la personne de ses soldats, n’a-t-elle pas quelque droit de se sentir blessée du mépris qu’on professe pour ses vœux les plus naturels ? Peut-elle se figurer qu’elle est allée à Rome pour y restaurer le régime de Grégoire XVI ? Les décorations et les honneurs dont les triumvirs pontificaux et le roi de Naples ont comblé le général Oudinot ne suffisaient pas pour nous convaincre que son expédition eût ce but-là : la lettre à la fois trop particulière et trop publique du 18 août a surabondamment prouvé qu’elle en avait un autre. Cette lettre, pur parler franchement, a provoqué des colères et des sympathies dont nous ne partageons l’excès en aucun sens.

Nos soldats étaient mal logés, nos officiers médiocrement traités par les nouveaux triumvirs ; notre armée ne recevait qu’un très mince tribut de reconnaissance dans les proclamations officielles, les négociations diplomatiques traînaient en longueur, et il faut avouer que le sang-froid et la force d’inertie qu’on nous opposait pouvaient bien aisément venir à bout de nos impatiences, de nos reviremens, des chassés-croisés de nos ambassadeurs. Bref, on gouvernait à Rome devant nous, sans nous et contre nous. M. le président de la république a deux vertus très réelles : la première, de s’identifier de tout cœur à la France et de se croire sûr qu’elle pense souvent comme lui ; la seconde, de se plaire aux initiatives personnelles et d’enlever les positions sans crier gare. Comme ces deux vertus ont fini par lui réussir assez bien, il a souvent l’envie d’en user encore, et, quand l’occasion s’en présente, il a bientôt passé par-dessus les bagatelles. La lettre qu’il écrivit naguère pour encourager l’armée française sous les murs de Rome, après l’échec du 30 avril, avait été d’un effet très heureux ; il a voulu, cette fois, encourager, non plus les soldats, mais les diplomates. Le tort qu’il a eu, a été de s’y prendre avec les uns comme avec les autres. On n’est pas obligé d’être le vainqueur de Lodi pour dire aux gens : Battez-vous bien ; mais il est plus délicat de prendre trop vite le ton du négociateur de Campo-Formio. Nous reconnaissons le juste ascendant, l’utile emploi des souvenirs héréditaires ; le tout est de les placer à propos.

Sérieusement, ou ne saurait disconvenir que la lettre du président n’ait répondu à un premier mouvement de la pensée publique. Non, nous ne pouvons pas vouloir ce que nous n’avons voulu à aucune, époque depuis dix-huit ans : nous avons poursuivi jusqu’à Rome le radicalisme qui nous menaçait hier chez nous ; ce n’est pas pour y relever l’absolutisme qui s’installerait demain sur nos frontières. Tout le monde sent cela en France d’une manière plus ou moins vive, et la vivacité même du petit message présidentiel flattait assez agréablement une disposition très générale. Nous en demandons bien pardon aux zélés ultra-montains, la détresse du pape qui nous touchait beaucoup nous était cependant peut-être moins sensible que le triomphe de la démagogie romaine : de même la restauration du pape ne nous éblouit pas au point de nous fermer les yeux sur les inconvéniens qu’une administration trop justement décriée ramènerait avec lui. Les triumvirs de la vieille Italie ne nous agréent pas plus que ceux de la jeune. Est-ce à dire qu’il faille tout de suite enfermer le saint-père dans le cercle impérieux de la lettre du 18 août et résumer pour lui son gouvernement dans une note confidentielle dressée tout exprès à l’indiscrétion d’un colonel d’état-major ? Ce serait beaucoup hasarder que de trouver là un excellent procédé de conciliation ; c’est de la diplomatie éperonnée et qui lève un peu trop la cravache. Le successeur du général Oudinot, le général Rostolan, avait à porter le poids de la difficulté qu’on ajoutait si bravement à tant d’autre dans la louable pensée de les écarter toutes en un tour de main. Le général en était, depuis quelque temps, à compter les visites avec les triumvirs, il a vu qu’elles allaient du coup devenir ou plus rares encore ou plus fâcheuses : il a demandé qu’on lui épargnât le reste et qu’on le rappelât. Il semble cependant, d’après les plus récentes nouvelles, que cet accident n’a pas eu et n’aura pas au dehors les suites fâcheuses qu’il était de nature à provoquer. Une mise en demeure aussi directe pouvait offenser assez péniblement le gouvernement pontifical pour interrompre tout-à-fait des relations déjà malaisées ; il aurait au contraire été décidé, dans un dernier conseil de cardinaux à Gaëte, que le caractère officieux de cette lettre serait tenu pour une raison suffisante de ne la point relever comme un grief. Nous ne voyons pas de mal à ce que les choses s’arrangent de la sorte, et des concessions émanées du bon vouloir de Pie IX auront toujours meilleur air que si l’on prétendait les lui arracher. Telle n’a jamais été nous en sommes sûrs, l’intention du président de la république ; il n’aurait point écrit de manière à ce qu’on eût pu seulement la lui prêter, si la politique romaine n’avait trompé trop d’espérances Dépouillé de son importance officielle, ce document aura donc toujours été là-bas un avertissement utile ; mais il ne faudrait pas que, pour en donner de pareils, le chef de l’état se familiarisât ainsi trop souvent avec la publicité : Il finirait par y perdre, même en commençant par y gagner.

Nous ne voulons pas entrer bien longuement dans le débat constitutionnel qui s’est élevé ici à l’occasion de cette même lettre. Il est des républicains qui ne trouvent pas inconséquent d’appliquer à la république tout le rituel de la monarchie. Puisque le président est responsable, il agit comme il l’entend puisque les ministres ont aussi leur responsabilité, ils se défendent comme ils peuvent. Le président n’a pas à les consulter quand il lui plaît d’aller de son chef ; ils sont bien libres de le contredire quand il ne leur plaît ni de le suivre ni de faire contre fortune bon cœur. Que tout cet ordre soit la perfection de la perfection, nous ne le soutiendrons pas ; nous ne savons qu’une chose : ainsi le veut la constitution de 1848 ! et cela suffit à notre impartialité pour ne point accuser mal à propos les hauts fonctionnaires qui la pratiquent si complètement. Il est seulement une observation que nous ne pouvons nous empêcher de présenter. La constitution de 1848 n’a pas interdit plus qu’une autre aux membres du cabinet de se mettre d’accord à huis-clos ; nous regrettons qu’ils ne profitent pas de la permission. Il va sans dire qu’on ne peut point toujours s’entendre avec ses collègues, mais est-il bien à propos de se le déclarer dans le Moniteur avec une réciprocité si exacte ? Chacun couvre ainsi son honneur devant sa coterie, mais il découvre son parti tout entier, le grand parti de l’ordre, devant l’ennemi commun.

Pendant que Paris était préoccupé de ces questions intimes, la province tenaît publiquement ses nouvelles assises politiques. Tel est en effet le caractère que les circonstances devaient presque inévitablement imprimer aux délibérations des conseils-généraux, les circonstances, disons-nous, beaucoup plus encore que les tendances très marquées ou très universelles des honorables représentans de la pensée départementale. Ce n’étaient certes pas les encouragemens qui leur avaient manque pour s’ériger, chacun chez soi, en constituans au petit pied. Ce temps-ci est tout-à-fait propice aux esprits à outrance Comme il ne reste guère de règle très évidente en matière de conduite, puisque les conduites les plus extraordinaires n’en aboutissent quelquefois pas plus mal, il paraît presque aussi sage de suivre sa passion que d’appliquer une règle, Puis, comme personne ne saurait prévoir même à peu près ce que sera le lendemain, l’un est fort à son aise pour ne s’en point occuper du tout, et l’on pousse sa pointe au jour le jour, sans se soucier des embarras, qu’on peut se créer dans l’avenir, du moment où l’on a réussi à s’arranger une satisfaction dans le présent. Il est donc des gens qui, à force de s’irriter contre les brusques mouvemens de la capitale et de chercher à sa prépondérance révolutionnaire des contrepoids modérateurs, n’avaient rien trouvé de mieux que de provoquer un retour offensif des provinces sur Paris et de soulever partout l’agitation qu’ils détestaient là. Le motif était d’ailleurs bien choisi, et le grief au nom duquel on conviait les départemens à cette levée de boucliers est un grief très sérieux. La France jouit d’une constitution en beaucoup d’articles qui ne lui plaisent pas tous ; mais il en est un en revanche qui lui plaît infiniment : c’est celui par lequel la constitution déclare elle-même qu’on la pourra changer. Cet article a fait des fanatiques, et nous le concevons bien. Révisons tout de suite, puisque nous devons à la fin réviser et puisque nous ne sommes pas encore à notre goût, pourquoi tarder davantage à nous y mettre ? Voilà des argumens qui ont de la valeur, et nous avouons que pour notre part ils nous touchent.

Le moyen seulement de les imposer ? Là-dessus nous tirons le chapeau à notre souverain maître le hasard, confessant humblement que c’est là sa besogne et non la nôtre, ni celle peut-être de personne, mais de ce que nous ne voyons pas de moyens très directs d’arriver au but, ce n’est pas une raison pour nous déterminer à prendre des moyens très dangereux. Induire les conseils-généraux à solliciter en commun la révision immédiate de la constitution, ce n’était pas seulement endommager le pacte de 1848, que nous n’avons pas mission de protéger d’une façon particulière : c’était ébranler tout l’ancien état de notre pays tel que l’ont, à la longue, édifié les siècles ; c’était compromettre le génie unitaire le la France, qui est la France même. Nous qui ne sommes pas encore d’humeur a en appeler au fédéralisme pour nous venger des abus qu’on a fait de l’unité, nous avons été heureux de reconnaître que la province ne s’était pas très vivement pressée d’entrer dans la sphère où on l’appelait. Les habitudes de centralisation et d’unité se sont pour ainsi dire incorporées à la France, elles y sont devenues un fond naturel dont on ne se départ plus volontiers.

La province, il est vrai, ne voit guère dans la constitution de 1848 qu’un cadeau de Paris, et c’est une raison de moins d’y tenir. Vainement la charte républicaine a été sanctionnés par une assemblée nationale, il paraît toujours a la province qu’on avait bâclé trop de besogne avant l’assemblée même, et que celle-ci a trouvé quelque chose tout fait quelle n’aurait sans doute point mis dans la constitution, si on l’eût consultée a temps. Ce quelque chose est la république telle du moins que l’ont inventée nos démocrates, la république avec un président non rééligible au bout de ses trois années, la république de l’agitation perpétuelle. La seule façon dont les coqs de la démocratie défendent de toucher à cela suffirait pour donner l’envie de le défaire, et c’est à quoi l’on a tout bonnement exhorté les conseils-généraux. Ceux-ci néanmoins ont compris qu’ils pénétreraient ainsi dans un domaine étranger à leur mission, et l’immense majorité s’est arrêtée bien en-deçà de la limite permise. Ils n’ont pas voulu faire acte de législateurs ; ils n’ont pas cru, comme M. Laennec, le président du conseil-général de la Loire-Inférieure, que les questions les plus générales comme les plus particulières rentrassent dans leur compétence, ils sont restés en dehors de la grosse question politique enfermée dans le vœu d’une révision immédiate de la constitution, parce que cette question ainsi posée à tous les coins de la France, au lieu d’être débattue dans une grande et unique assemblée, n’était plus qu’un appel à toutes les passions de localités.

Le conseil-général de la Gironde a cependant persisté à exprimer le souhait que l’assemblée nationale donnât plus de stabilité au pouvoir exécutif en lui donnant plus de durée. Il a même repoussé un amendement qui ajournait l’expressément la réalisation de son vœu « à l’époque légale de la révision ; » il a donc implicitement voté la révision immédiate. Mais il y a là plutôt une fantaisie d’indépendance girondine qu’un acte politique capable d’un grand contre coup. Ces mêmes conservateurs qui soupirent avec cette énergie aventureuse après la révision de la constitution républicaine combattent aussi violemment que les plus chauds républicains, le rétablissement de l’impôt sur les boissons. Bordeaux assurément gagnerait à la suppression des droits, mais Bordeaux oublie toujours qu’il n’est pas toute la France, et il a trop de penchans à se gouverner pour lui seul. Voyez déjà comme chacun tirerait à soi, sans souci du reste, dès l’instant où ces comices départementaux influeraient davantage non-seulement sur leurs propres affaires, ce qui est désirable, mais sur les affaires générales du pays ! Laissons donc la politique à sa place. La discussion du conseil-général de l’Aube, au sujet de cette même révision, nous a plus satisfaits, et pour n’être pas véhémente, comme celle de M. Denjoy, l’argumentation de M. Casimir Périer n’en était pas moins d’un homme politique. La proposition de M. Périer, à l’inverse de celle qu’on a votée dans la Gironde, tenait scrupuleusement compte du délai marqué par l’article 3 de la constitution comme époque où l’on pourrait la changer. Ce n’était plus ainsi qu’un vœu à distance, une sorte de témoignage d’un état moral du pays, et non pas un commandement impérieux qu’il fallût au plus vite exécuter. M. de Boissy a été battu dans le Cher sur le même terrain où M. Denjoy l’avait emporté dans la Gironde : il a reconnu qu’il n’avait pas l’habitude des plaidoyers heureux.

Le gouvernement avait lui-même appelé les conseils-généraux à dire leur avis sur les questions maintenant ouvertes d’organisation départementale ; il est remarquable que la décentralisation n’a été prêchée à ce propos qu’en termes très mesurés. Dans plusieurs endroits, on a renouvelé le vœu tout-à-fait patriotique que les conseils eussent à se réunir spontanément le jour où, par malheur, l’assemblée nationale serait violée. Les départemens prenant alors l’administration d’eux-mêmes, ce serait au moins une chance d’éviter les commissaires extraordinaires, et nous ne tenons pas du tout à la centralisation qui les leur enverrait. Ce ne sont pas là des bienfaits qui puissent la rendre chère. Les conseils-généraux se sont également préoccupés des difficultés de la situation financière qui les touche de près par l’assiette de l’impôt. On s’est prononcé en masse contre l’income-tax, et les impôts abolis, ceux qui portaient sur les boissons, sur le sel et sur l’échange des lettres, ceux qu’on avait déclarés si impopulaires, ont été presque partout redemandés. Le Loiret et le Cher, département vinicoles, se sont même particulièrement signalés en sollicitant le rétablissement de l’impôt sur les boissons ; il eût été chimérique d’attendre la même abnégation ou la même clairvoyance de la masse des pays vignobles. Il s’agit de savoir si la France fera banqueroute pour l’amour des vignerons. Les intérêts moraux n’ont pas soulevé moins de débats que les intérêts matériels. La multiplication désastreuse des enfans trouvés a inspiré de tristes observations sur l’état des campagnes. Les difficultés que se rattachent à l’instruction primaire ont été envisagées de tous les points de vue, et quant à la question universitaire en particulier, M. Bignon l’a sagement défendue à Nantes contre cet intrépide marquis de Regnon, qui veut la liberté d’enseigner pour tout le monde, excepté pour l’état. C’est ce qu’on appelait « la liberté comme en Belgique » du temps où l’on n’avait pas de plus violentes distractions.

Les quelques montagnards que les dernières élections ont laissés dans les conseils-généraux se seraient crus coupables de ne point avertir le pays qu’ils étaient encore pour lui rendre leurs services. Ils se sont, comme toujours, distingués par l’à-propos de leur éloquence : Le citoyen Marc Dufraisse s’est opposé à ce que le conseil-général de la Dordogne s’associât à la souscription ouverte pour élever une statue au maréchal Bugeaud ; sa raison était précieuse : il pensait plus sage d’économiser les, frais du monument, parce qu’on pourrait un jour le renverser, puisqu’on avait bien pu précipiter Marat du Panthéon dans un égout. Quelquefois cette faconde montagnarde opère à deux, et l’orateur ne va pas sans le souffleur. « Nous autres démocrates, s’écrie un conseiller du Lot, nous ne sommes pas des… des… » et sa mémoire s’embarrasse entre les qualités négatives qui peuvent parer un démocrate du Quercy. « Des Cosaques, » souffle le voisin a demi-voix. — « Comment que tu dis, mon ami ? » reprend naïvement l’orateur, et l’auditoire de rire. On rit beaucoup du fatras déclamatoire de ces pompeuses nullités qui sont heureusement devenues plus rares à la tribune du palais législatif, mais qui s’en dédommagent à l’ombre du clocher. Un émule de M. Deville, M. Duffaur, propose l’impôt progressif au conseil des Hautes-Pyrénées, il cite de l’appui Jean-Jacques Rousseau C’est sans doute un homme qui a eu de la littérature ; il écorche un peu la citation ; on rit dans le public, car les débats ont maintenant leur public aussi nombreux qu’il en peut tenir. « Vous riez de Jean-Jacques s’écrie M. Duffaur, eh bien ! du fond de sa tombe, Jean-Jacques vous nargue et rit de vous. » Ce qui malheureusement prête moins à rire, c’est lorsqu’on rencontre ces arriérés de comptes, ces reliquats fâcheux que les premiers administrateurs de la république ont laissés derrière eux dans les départemens comme dans les ministères. Il y a eu de ces incidens à Rouen, à Angers et surtout dans le Puy-de-Dôme. M. Charras avouait bien que c’était mal de payer les bulletins électoraux d’un candidat avec les fonds du département, mais il a eu l’air de croire que c’était une revanche permise des mauvais tours de la monarchie. Voilà une conscience rigide !

La majorité était d’ailleurs évidemment acquise partout à l’opinion modérée ; c’est dans cette opinion qu’ont été choisis les présidens des conseils, même au sein des départemens où les doctrines démagogiques avaient pris le plus d’empire, comme l’ont prouvé les élections du 13 mai. Cette ferme et sage disposition des conseils-généraux s’est produite notamment dans des félicitations solennelles adressées au président de la république. Beaucoup de départemens ont voulu reconnaître ainsi les services réels rendus à la cause de l’ordre et de la société par la bonne attitude, par la prudence ordinaire du premier magistrat que le hasard et la constitution ont élevé au sommet de l’état. Nous approuvons ces remerciemens très mérités, et nous croyons que les excursions du président sur nos nouvelles lignes de fer sont pour lui d’excellentes occasions de se communiquer et d’apprendre. Il est essentiel, qu’il apprenne au contact de toutes ces populations diverses le profond besoin de paix et d’union qu’elles ressentent ; les paroles qu’il est appelé à prononcer dans ces rencontres sont faites d’autre part pour rassurer bien des inquiétudes. Cette campagne en chemin de fer aura été utile à tout le monde ; mais nous ne sommes pas fâchés, après tout, qu’elle soit finie : il y a toujours quelque risque à subir tant de discours, et il était temps d’ailleurs que M. Lacrosse se reposât de ses cavalcades.

À côté de la grande affaire d’Italie, qui est le nœud principal de toutes les complications étrangères, l’Europe poursuit le travail de reconstruction qui lui a été légué par l’année 1848. Ce travail n’est pas l’œuvre d’un jour, et l’on conçoit que l’on hésite beaucoup avant de jeter des fondemens quelconques, lorsqu’on a vu tous les fondemens de l’ancien ordre si vite emportés par l’orage. Faut-il donc remonter plus haut encore dans le passé qu’on ne l’avait fait au congrès pacificateurs de 1815 et de 1820 pour emprunter au vieux monde des bases plus solides que celle du nouveau ? Ou faut-il, au contraire, fouler aux pieds les restes de ces institutions antiques et bâtir à neuf un empire sans antécédens ? Singulier contraste ! ces deux procédés sont aujourd’hui les fantaisies systématiques et favorites des deux grandes cours allemandes. Chacune a le sien, et ni l’une ni l’autre n’a bien choisi. C’est l’Autriche qui se jette dans les nouveautés artificielles, quand les pays qu’elle veut gouverner sont avant tout des pays de traditions ; c’est la Prusse ou plutôt c’est Potsdam qui inclinerait à ressusciter des traditions perdues chez un peuple possédé par l’esprit critique. Contre le double danger de ces tendances excessives, il faudrait seulement laisser parler la liberté, mais la liberté n’est plus consultée en Autriche, et elle se modère si fort en Prusse pour ne pas ressembler à la licence, qu’il lui est difficile de s’opposer vivement à rien.

L’Autriche commence donc à sentir les embarras de la charte d’Olmütz. Nous avons dit bien des fois la pensée de cette charte. Au lieu de ces couronnes particulières de Hongrie, de Bohême, de Croatie, de Gallicie, etc., il n’y a plus qu’une couronne unique, le diadème impérial d’Autriche, porté par un prince qui n’est plus le souverain féodal de sujets indépendans les uns des autres, mais le chef d’une grande administration dans laquelle ils sont tous fondus, le premier employé d’une vaste hiérarchie bureaucratique qui les couvre tous de son réseau, sans distinction de langue ni de race. Voilà le présent qu’on a fait aux Slaves, si jaloux de leurs origines, aussitôt après qu’on les a eu chassés de la diète de Kremsier. Le présent ne s’accepte point sans résistance. Le conseil national des Croates qui délibère dans Agram, a rompu ouvertement avec le ban Jellachich, qui lui impose de force la constitution autrichienne, et l’on prévoit déjà qu’il pourrait être nécessaire de recourir à l’état de siége. Faudrait-il donc maintenant tourner contre les Croates les Russes à peine victorieux des Hongrois ? Et que deviendra l’empire, si ces continuels mouvemens intérieurs ne permettent point de renoncer à prendre au dehors des alliés si redoutables ? L’empereur Nicolas et M. de Nesselrode ne ménagent pas, il est vrai, les protestations pacifiques, et tiennent à convaincre l’Europe de la modération de leur triomphe ; mais la grande amitié que les Russes étaient maintenant pour les Hongrois ; le peu de cas qu’ils affectent de faire des Autrichiens, les rendent trop suspects à la cour de Vienne pour que l’Europe puisse être aussi tranquille que le demande leur diplomatie. Il est à regretter que cette même constitution d’Olmütz qui a forcé l’Autriche à s’appuyer sur eux l’empêche peut-être de se joindre assez solidement à l’Allemagne pour leur résister de concert avec elle.

D’après des bruits que nous ne voulons pas accueillir et que nous ne faisons qu’indiquer, l’Autriche, au contraire, se serait définitivement réunie à la Prusse, mais pour revenir en commun aux anciens erremens absolutistes. Ce ne serait point là une véritable alliance allemande, ce ne serait qu’un pacte russe. On prétend que la coterie de M. de Gerlach aurait déterminé ce triste retour vers un passé impossible, et quelle s’apprêterait à refaire de son mieux une Prusse piétiste et féodale par-dessus une Allemagne esclave. L’archiduc Jean ne serait revenu Francfort avec son ministère in partibus que pour assister au dénouement misérable du pauvre drame de la révolution allemande. Nous ne voulons pas croire à ces rumeurs. Nous savons tout l’ascendant que les dernières commotions ont rendu aux anciens amis de Frédéric-Guillaume, nous comprenons qu’ils songent à profiter de la chute de la Hongrie pour frapper la liberté constitutionnelle avec la démagogie révolutionnaire. Les voyages et les entrevues des princes, allemands peuvent prêter à toutes les suppositions : Nous persistons, cependant à penser que le parlement prussien, qui s’est accommodé dans un esprit si politique du ministère de : M. de Brandenbourg, réunit en lui assez de force et de sagesse pour écarter l’idée d’une contre-révolution trop violente.

— Malgré sa récente crise ministérielle, dont on a du reste exagéré l’importance, l’Espagne continue ses réformes administratives et financières « Le cabinet, nous écrit-on de Madrid, est définitivement reconstitué ; M. Bravo Murillo a échangé le portefeuille des travaux publics, instruction et commerce, contre celui des finances, et, chose singulière, cette nomination a été parfaitement accueillie, quoique M. Bravo Murillo ait été jusqu’ici tout-à-fait étranger à cette branche du service, et peut-être même à cause de cela. La raison en est simple : ce sont les routines bureaucratiques, ce sont les traditions perpétuées dans la direction des finances depuis Philippe V, qui ont Introduit le désordre et la pénurie dans le trésor. On comprend que, pour extirper le mal, il faut un homme de bon sens, d’un caractère ferme et d’une grande capacité de travail. Or, M. Bravo Murillo réunit ces qualités à une connaissance assez étendue des ressources du pays et à une probité que ses ennemis mêmes se plaisent à reconnaître. Depuis son entrée au ministère des finances, M. Bravo Murillo travaille sans relâche au budget, qu’il se propose de porter aux cortès dès que les autres ministres lui auront fourni la part qui revient à chacun d’eux dans ce grand travail. Le grand but du nouveau ministre des finances est d’établir un parfait équilibre entre les recettes et les dépenses, afin de consacrer les premiers mois de l’année prochaine au règlement de la dette extérieure et à la fixation des sommes nécessaires pour payer les arrérages. Soyez persuadé que ce plan est sérieux et qu’il sera mis à exécution. Le conseil des ministres, qui se réunit chaque jour, s’occupe presque exclusivement des finances. Déjà on est d’accord sur la suppression d’un très grand nombre de fonctionnaires publics, qui surchargeaient inutilement le trésor, particulièrement dans les hautes administrations de la capitale La réduction de l’armée est aussi décrétée, un grand nombre de compagnies seront renvoyées. Les hommes formeront une armée de réserve, sans solde, résidant dans leurs foyers et pouvant se consacrer à des travaux utiles ils se tiendront cependant prêts à reprendre les armes au premier besoin. Les officiers seront attachés à l’armée active, pour réorganiser les corps auxquels ils appartiennent, si le gouvernement juge convenable de les appeler.

« Malgré tout ce que vous lirez dans nos journaux, la retraite de M. Mon n’altère en rien l’union du parti conservateur et sa confiance dans le général Narvaez ; ce qui le prouve, c’est la présence, dans le cabinet ; de son beau-frère et fidus Achates, M. Pidal. De petites incompatibilités personnelles, des blessures qui ne devraient effleurer que très légèrement l’amour-propre, voilà les véritables causes de la démission de l’ancien ministre des finances. La majorité du corps législatif n’en reste pas moins compacte.

« Je vois dans vos journaux que la politique intérieure de notre cabinet n’est pas appréciée très exactement en France. On y paraît croire que le général Narvaez ne réussit à conserver la tranquillité publique qu’en persistant dans ce système de rigueur et de résistance à l’aide duquel il parvint naguère à vaincre la révolution. C’est une grave erreur que de porter un pareil jugement sur la situation de l’Espagne La résistance n’est plus de mise là où il n’y a pas d’hostilité. Le gouvernement a cru qu’il pouvait sans danger rappeler tous les Espagnols au sein de leur patrie, et confier des emplois importans aux hommes de l’opposition. C’est ainsi que nous avons à présent à Madrid un grand nombre des plus chauds partisans du comte de Montémolin, ses intimes amis, et qui pendant long-temps ont été attachés à son service personnel, ou employés dans les plus hauts grades de l’armée carliste ; c’est ainsi que le général Chacon, ancien favori d’Espartero, vient d’être nommé capitaine-général de Burgos, que le général Infante et M. Gonzalez, anciens ministres de l’ex-régent, ont été nommés conseillers royaux ; c’est ainsi que le chef politique de Madrid permet aux progressistes de former des associations pour les prochaines élections municipales, et que celui de Séville, non content d’accorder la même permission aux démocrates de son département (qui sont de vrais républicains), a présidé la séance d’inauguration, en les engageant à parler sans contrainte et à faire usage de tous les moyens légaux en faveur de leurs candidats. Le fait est qu’on ne découvre pas dans toute l’étendue de la Péninsule le plus petit symptôme d’agitation.

« On nous dit que M. Henry Bulwer travaille, en Belgique, pour obtenir du roi Léopold sa médiation dans nos désagrémens a ce l’Angleterre, posant comme condition sine qua non une satisfaction personnelle de la part de notre cabinet. Je puis vous assurer de la manière la plus positive qu’il n’obtiendra jamais ce résultat. Le repos parfait dont nous jouissons, et qui date pieusement du jour du départ et de M Henry Bulwer, justifie suffisamment la résolution de nos ministres de refuser une déclaration aussi contraire à leur honneur qu’a leurs convictions les plus intimes. Nous nous trouvons trop bien de cette absence pour en renier les motifs. Si M. Henry Bulwer attend ce dénoûment pour se rendre aux États-Unis, le cabinet de Washington sera long-temps privé de sa présence.

« Le nouveau tarif, sur l’exécution duquel il a plu à messieurs les Anglais d’exciter et de répandre quelques doutes, va être mis en pratique d’ici à très peu de jours. Cette mesure a été suspendue dans une vue de conciliation à l’égard des manufacturiers de la Catalogne, ou, pour mieux dire, de Barcelone. C’est dans cette pensée que le marquis de la Romera est allé en mission dans cette ville, non pas, comme on l’a prétendu, pour étudier la question des tissus de coton, afin VV d’introduire quelques modifications dans la loi, mais pour faire comprendre aux fabricans que cette loi ne leur portait pas le moindre préjudice, aussi bien que pour éclairer le gouvernement sur les indemnités qu’il serait juste de leur accorder, si, en effet ils devaient éprouver quelque perte. Or, M. de la Romera est revenu, et il a laissé les Catalans parfaitement tranquilles et satisfaits. Il est désormais démontré que l’industrie cotonnière de Barcelone n’a pas toute l’importance qu’on a bien voulu lui donner, et en voici une preuve bien frappante : toute la contribution industrielle de la province de Barcelone, la seule où les fabriques cotonnières existent, ne monte qu’à la somme insignifiante de 500,000 réaux. En supposant que l’industrie cotonnière y soit pour une moitié (ce qui est bien loin de la vérité), il en résulte une bien mince représentation du capital employé.

« Il est hors de doute que le gouvernement est décidé à changer de fond en comble son système économique et que les doctrines du libre échange sont adoptées comme base de la législation inaugurée déjà par le nouveau tarif, et qui recevront un plus large développement dans la prochaine législative. C’est le parti conservateur qui est l’auteur de cette importante innovation, que les intérêts agricoles et commerciaux de l’Espagne demandent à grands cris. »

Revue des Théâtres.

Malgré ses belles promesses et ses largesses de 1848, la république n’est pas une mère fort tendre pour les théâtres. La triste situation qui a commencé pour eux avec la révolution de février n’a fait que s’empirer depuis quelques mois, et l’état n’en est pas moins resté sourd au cri de détresse qui, dernièrement encore, s’est élevé vers lui. Faut-il l’en blâmer, et y a-t-il donc lieu de tant s’étonner qu’on ne veuille pas renouveler en faveur des théâtres le régime des ateliers nationaux ? Franchement, nous ne le pensons pas. On sait trop où mènent de pareils expédiens. Ce n’est pas que nous méconnaissions l’importance de l’art dramatique, ni ses titres à la sollicitude d’un grand pays. Bien loin de là ; mais il faut se demander, avant de venir au secours de l’art dramatique, si l’art dramatique est bien réellement en cause dans cette affaire. Nous le disons à regret, ce qu’on appelle la crise des théâtres pourrait bien n’être au fond qu’une crise industrielle, et dès-lors pourquoi l’état interviendrait-il dans un domaine où rien ne remplace la libre action du public ? Et même, si l’intervention de l’état pouvait être efficace, est-il donc bien nécessaire de conserver à si grands frais quelques débouchés factices aux tristes produits des faiseurs de mélodrames et de vaudevilles ? Les théâtres oublient trop, en nous étalant leur misère, qu’ils donnent eux-mêmes complètement raison à l’indifférence du public.

Nous avons assisté à quelques représentations récentes du Théâtre-Français, et, quoi qu’en dise cette critique de camarades, qui a toujours un coin de journal en réserve pour fêter l’avènement des médiocrités, nous ne saurions prendre au sérieux ni ces essais de proverbes, où l’on ne saisit, à défaut d’inspiration, que de pâles réminiscences de Marivaux ou de M. de Musset, ni ce gros drame qu’on nous dit tiré d’une page de Juvénal, et qui nous arrive en droite ligne du Caligula de M. Dumas. En vérité, c’est s’y prendre d’une singulière façon pour ramener les spectateurs que de jeter de pareils enfantillages à travers les graves préoccupations de la société contemporaine. Dans une sphère inférieure, on a, du moins, mieux compris les nouvelles conditions de la scène, et on a cherché le succès dans quelques parodies de nos mœurs politiques. Aussi le succès n’a-t-il pas manqué, et ce fait seul devrait éclairer les théâtres sur les exigences de leur situation. En définitive, ce n’est ni à l’état ni au public qu’il faut s’en prendre de cette situation difficile, mais non désespérée sans doute. Que la scène française revienne à l’accomplissement sérieux de sa mission, qu’elle se mesure hardiment avec les vices, les ridicules et les passions de notre époque, c’est alors seulement que, si le public lui faisait défaut, elle aurait droit de se plaindre. Qu’elle sache, en un mot, faire renaître la comédie contemporaine.

Jusque-là, nous ne voyons pas ce qu’il y aurait à encourager. Serait-ce par hasard ces réformateurs étourdis qui ont voulu entreprendre ce que leurs faibles mains ne pouvaient réaliser, révolutionnant la scène à peu près comme M. de Lamartine a révolutionné l’état, et qui expient aussi maintenant leurs folles témérités dans l’impuissance et l’abandon ? Qu’on nous signale un poète, un jeune esprit en mesure de doter le théâtre d’une œuvre éminente et grande ; ce n’est pas nous qui conseillerons de mesurer les récompenses à l’écrivain, les secours à la scène qui saura le produire. Un seul homme peut-être encore aujourd’hui, M. Scribe, peut réveiller la comédie ; mais celui-là n’a jamais cherché ses encouragemens qu’en lui-même, et il a su trouver la fortune et la réputation où d’autres n’ont rencontré que des échecs et semé la ruine. Encore une fois, ce ne sont pas précisément des secours que le gouvernement doit à l’art dramatiques : c’est d’abord moins de théâtres, une autre législation pour les régir ; ce sont des reformes qui les mettent dans une meilleure voie.

Nous pourrions en indiquer quelques-unes ; mais à quoi bon ? Qui ne sait cela aussi bien que nous ? Est-il besoin aussi de parler des plaies qui rongent les théâtres, de ces appointemens fabuleux accordés à certains artistes inhabiles même à ramener la foule ? Lorsque, par exemple, des chanteurs médiocres se font attribuer des traitemens de 50,000 francs pour neuf mois au plus de service par an, comme cela se voit à l’Opéra, n’est-il pas matériellement impossible que ce beau théâtre reste debout en subissant de pareilles conditions ? Quand encore une cantatrice sans grand éclat, sans puissance réelle sur le public, puisqu’avec une partition comme le Prophète elle ne sait pas l’attirer en foule, réussit à se faire allouer la somme de sept ou huit mille francs par mois, de quoi témoigne ceci, si ce n’est de l’habileté industrielle dont on est pourvu en dépit de toutes les théories humanitaires, de la rareté des sujets, de la force de la concurrence, du nombre sans limites avec les besoins des théâtres ? Si les artistes d’aujourd’hui avaient réellement la puissance et la grandeur du talent, la noblesse et l’esprit de solidarité qui en sont inséparables, ils ne s’exposeraient pas aux fâcheuses réflexions que font naître des exigences aussi inacceptables. C’est à peine si on peut élever de pareilles prétentions quand on enrichit un théâtre, quand on traîne la foule après soi ; qu’en dire donc quand le plus souvent on la laisse indifférente, et qu’on apporte la ruine aux administrations !

Si de l’Opéra nous passons au Théâtre-Français, nous y retrouvons la même situation et les mêmes souffrances. Le régime de ce que les Anglais appellent une étoile (a star) y a été en pleine vigueur depuis la république, qui a eu la gloire de venir restaurer là le petit empire d’un star que les derniers jours de la monarchie avaient détruit. Si le Théâtre-Français s’y est d’abord trompé, l’étoile a été mieux avisée, et elle, naguère encore si monarchique, célébra sa délivrance en chantant la Marseillaise avec une joie délirante, avec une véhémence concentrée qui lui valurent la gracieuse attention du dictateur d’alors. Voilà quelle fut, on l’ignore peut-être, la véritable cause de l’enthousiasme révolutionnaire de l’artiste. Il y a peut-être quelqu’un qui doit demander pardon à la monarchie de cette trop terrible imprécation que lui jetait l’amie de Pyrrhus. Tout allait donc pour le mieux dans cette lune de miel : la tragédienne jouait avec ardeur, attirait la foule, et son despotisme était presque doré à une époque de désastres publics ; mais il fallut peu de mois pour pénétrer toutes les petites misères et tous les périls que recélait cette charmante royauté, et d’un coup de main habilement préparé on tenta une révolution. La reine de théâtre en fit une maladie ou une absence de plusieurs mois, et menace de sa retraite définitive ses sujets révoltés. C’est là qu’en sont les choses, si nous sommes bien informés, et voilà un an bientôt que dure ce grave débat.

Voyez-vous maintenant le danger pour les théâtres de ces stars, de ces existences excentriques que le public autrefois savait au moins contenir ! Les gros appointemens, vous le voyez aussi, conduisent trop souvent au développement des appétits et à l’usurpation ; car, même en république, même au théâtre, la royauté est toujours de mise, puisque Mlle  Rachel préfère l’exil à sa royauté perdue.

Voyons cependant la situation de Mlle  Rachel au Théâtre-Français, qu’elle a d’abord, nous sommes les premiers à le reconnaître, fait prospérer, qu’elle pourrait faire prospérer encore, si elle avait autant de chaleur d’ame que de talent, et si elle savait, si elle pouvait comprendre l’honneur qui lui en reviendrait. Mlle  Rachel jouit d’un traitement de 42,000 francs pour neuf mois de service ; avec ses feux, c’est plus de 4,700 francs par mois (trouvez-vous que l’état soit assez magnifique par le temps de misère publique où nous sommes !), et pour ces 42,000 francs. Mlle  Rachel donne terme moyen, pendant ces neuf mois, de 40 à 50 représentations tout au plus au Théâtre-Français ! Une seule année, la première de son sociétariat, en 1842, elle en a donné 72. Son service au Théâtre-français est, pour ainsi dire, son temps de délassement, puisqu’en ses trois mois de congé et de voyages elle donne plus de représentations qu’en neuf mois à Paris ; un journal racontait récemment qu’elle avait joué 85 fois en 90 jours pendant son dernier congé ! Il paraît que le chiffre exact est de 83, au dire même des amis. C’est, certes, bien employer son temps. Pourquoi Mlle  Rachel n’a-t-elle pas la même ardeur quand elle joue pour la caisse du Théâtre-Français ? L’illustre la grande tragédienne, comme disent les journaux, ne le verrait pas dépérir entre ses mains ? La littérature contemporaine lui devrait aussi quelque souvenir, si elle savait, comme l’ont su dans leurs temps Talma et Mlle  Mars, doter une œuvre de 150 à 200 représentations, et lui faire produire les 40,000 fr. de droits d’auteur que l’École des Vieillards a valus à Casimir Delavigne. Les rares auteurs d’aujourd’hui que joue Mlle  Rachel ne connaissent guère ces traditions des temps fabuleux, et, quand une pièce faite pour Mlle  Rachel arrive, après mille difficultés, à sa 25e ou 30e représentation, c’est presque une exception. Adrienne Lecouveur n’a pas encore eu cette bonne fortune, et s’est vu interrompre au milieu de son succès. Nous laissons tirer la conséquence.

Ainsi, Mlle  Rachel, malgré son beau talent, est une médiocre sirène pour attirer les poètes et les auteurs. Eh bien ! que le Théâtre-Français sache prendre son parti : si Mlle  Rachel ne consent pas à se laisser administrer et à faire loyalement son service, à le faire avec la moitié de l’ardeur qu’on lui voit déployer pendant ses congés, que le Théâtre-Français la laisse partir, puisqu’elle ne sait ou ne veut pas le sauver. La demi-présence, le mauvais vouloir de la tragédienne, ce n’est pas la santé, n’est-ce pas une lente consomption ? Son départ sera le signal de la crise qui amènera peut-être le salut. En fortifiant, en renouvelant cette troupe décimée, en rappelant l’ardeur, l’activité et l’ensemble, qui seuls peuvent faire vivre un théâtre d’une vie à lui, d’une vie régulière et honorable, une administration sage peut revoir de meilleurs jours, mais en n’oubliant jamais qu’on peut, qu’il faut être de son temps, sans méconnaître le culte des souvenirs. Le Théâtre-Français a 300,000 francs de subvention annuelle, 115,000 francs de rentes sur le grand livre, en tout 415,000 francs. Outre cette belle dotation, l’état, lui laisse et doit lui laisser sa salle sans loyer ; c’est le plus clair bénéfice qu’il ait eu à la révolution de février. Ce sont là des ressources qui doivent porter leurs fruits, si elles sont bien employées, employées surtout pour recruter de jeunes sujets, pour appeler les écrivains, comme le voulait la constitution instituée par l’ordonnance de 1847, que la république a détruite, et à laquelle il faudra bien revenir.

À notre avis, il n’y a qu’un moyen d’échapper à cette loi sagement mûrie : c’est que la direction du Théâtre-Français soit abandonnée à Mlle  Rachel, ou du moins à l’homme de son choix et de sa prédilection, comme elle en a, on l’assure, manifesté la prétention un moment, mais en l’intéressant directement elle-même dans l’exploitation. Cette solution, après tout, en vaudrait peut-être une autre, et Mlle  Rachel, qui a la force de jouer quatre-vingt-trois fois en trois mois quand elle joue pour sa propre caisse, saurait bien encore trouver l’énergie et la volonté nécessaires pour donner cent représentations en neuf mois sur un théâtre qui serait le sien, pour jouer les pièces qu’on lui ferait, pour servir la littérature, lorsque sa fortune personnelle en dépendrait. Nous livrons cette idée lumineuse aux méditations des hommes graves chargés depuis un an de réorganiser un théâtre toujours en voie de réorganisation ! Mais, pour en revenir à la question même, pourquoi donc, en définitive, tant de théâtres, quand il n’y a ni auteurs, ni acteurs, ni public pour les alimenter ? Pourquoi surtout l’Odéon, à moins qu’on n’ait pas assez de pauvretés ailleurs, et que l’état n’ait trop d’argent ? Nous défions l’homme le plus habile de découvrir assez d’écrivains dramatiques, musiciens, poètes, vaudevillistes même ou faiseurs de mélodrames pour suffire à sept ou huit théâtres à Paris, et il y en a peut-être encore plus de vingt, malgré tous les désastres que nous avons vus. Le ministre de l’intérieur, M. Dufaure, doit songer résolûment à prendre un parti sur cette question, et pour cela il n’a que faire des avis qu’on lui prépare depuis dix-huit mois ; il n’est besoin ni de la commission des théâtres ni de la direction des beaux-arts pour savoir ce qu’il y a à faire. Quiconque a réfléchi un peu là-dessus, quiconque a vu la situation sait à quoi s’en tenir. Les commissions en général, la direction des beaux-arts en particulier, sont peut-être ce qu’il y a de moins propre à donner un avis fécond et pratique en pareille matière.

En attendant qu’on le réorganise encore, le Théâtre-Français nous a donc donné quelques nouveautés et la rentrée de Mlle  Rachel dans Horace, Phèdre et Mithridate. Quant aux nouveautés, il n’y a rien à en dire ; elles n’ont pas vécu et ne pouvaient vivre. Pourtant touts la presse a pris la défense de Séjan, et, voulant blâmer une fois l’illustre tragédienne, elle a reproché à Mlle  Rachel de n’avoir pas abrité la pièce de M. Séjour sous son pavillon. M. Séjour a beaucoup d’amis dans les journaux, où il n’est guère pris au sérieux par le feuilleton, ce qui n’est pas d’un bon augure pour son avenir ; mais nous qui venons de dire quelques vérités à Mlle  Rachel, nous la défendrons contre ses admirateurs ordinaires, et nous la louerons hautement d’avoir eu le bon goût de ne pas se charger du rôle de Fulvie, qui a d’ailleurs valu à une aimable actrice un succès de comédie comme elle n’en aurait jamais eu dans ses meilleures bouffonneries : c’est certainement ce que la représentation de Séjan avait de plus remarquable, lorsque Camille est venue lui donner le dernier coup. Pour avoir beaucoup voyagé et beaucoup travaillé, la tragédienne n’a rien perdu de sa force et de son amère ironie, et son public l’a reçue avec les mêmes applaudissemens que si elle lui revenait bonne princesse et sans mauvaise pensée. Le public, après tout, est plus malin qu’on ne pense, et il prend peut-être le meilleur moyen de retenir l’ingrate Hermione ; peut-être aussi ne croit-il guère aux menaces de la grande comédienne. Ce que cache d’habiletés et de profondeurs le rôle nouveau qu’on se donne, le Dieu des Juifs seul le sait, et le Théâtre-Français pourra l’apprendre bientôt.

Après six semaines de repos, qui ont été utilement employées à l’éclaircissement de certains points litigieux entre le gouvernement et la direction, l’Opéra a rouvert ses portes. Le chef-d’œuvre de Donizetti, Lucie, Mlle  Carlotta Grisi et le charmant ballet du Diable à Quatre ont fait les frais de l’inauguration de la saison d’hiver, qui semble se présenter sous des auspices plus favorables. Indépendamment d’un nouveau ballet féerique et d’un petit opéra en deux actes de las composition de M. Adam, qui seront donnés avant la fin de ce mois, l’administration prépare la mise en scène d’un grand ouvrage en cinq actes de MM. Scribe et Auber. L’illustre auteur de la Muette, du Domino noir et de tant de chefs-d’œuvre remplis de grace et de fine gaieté voudrait terminer sa brillante carrière par une inspiration suprême d’un genre tout-à-fait nouveau. L’enfant prodigue, tel est le titre du grand opéra dont M. Auber achève d’écrire la partition, et qui sera, sans aucun doute, l’évènement musical de la saison.

Le théâtre de l’Opéra-Comique fait aussi de grands préparatifs pour la saison qui va s’ouvrir. La Reine des Fleurs, opéra en trois actes de M. Halévy, sera représentée dans une quinzaine de jours. Après l’opéra de M. Halévy, on promet un ouvrage de M. Grisar, le musicien spirituel et heureusement doué, à qui l’on doit l’Eau merveilleuse et Gilles le Ravisseur.

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V. de Mars.