Chronique de la quinzaine - 14 octobre 1861

Chronique n° 708
14 octobre 1861


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 octobre 1861.

Le roi de Prusse est parti, le roi des Pays-Bas arrive. Ce n’est point en nouvellistes de cour que nous mentionnons ces royales visites. Nous ne sommes pas enclins à exagérer la valeur de ces actes de courtoisie ; nous ne cherchons pas non plus à en restreindre l’importance. Il serait difficile par exemple de refuser toute signification politique au voyage du roi de Prusse à Compiègne. Après la guerre d’Italie amenant pour dénoûment l’annexion de la Savoie, une crainte vague, dirait-on si l’on se laissait aller à la pente du lieu-commun, aiguë, faudrait-il dire pour être vrai, s’était répandue en Europe. On voyait la France reprise de la manie des frontières naturelles. Après les Alpes, s’imaginait-on, viendrait le Rhin. Ce fut au plus fort de cette effervescence des défiances européennes que l’empereur alla visiter à Bade le roi de Prusse, entouré des souverains secondaires de l’Allemagne. Cette démarche caractéristique ne pouvait avoir qu’un sens : elle était un démenti donné aux appréhensions qui voyaient déjà la France déborder vers, le Rhin. Aujourd’hui ce démenti est redoublé par la visite du roi de Prusse à Compiègne. Il semble donc qu’un grand prétexte doive être par là enlevé définitivement au scepticisme qui règne en Europe touchant le maintien de la paix. Nous Saurions pour notre part qu’à nous féliciter d’un tel résultat.

Constatons que la portée politique que nous attribuons à la visite du roi de Prusse est justement celle que lui donne la portion de la presse allemande qui n’est point atteinte de gallophobie. Les feuilles libérales de Prusse s’accordent à prendre acte de ce grand fait : la politique impériale n’aspire pas à la frontière du Rhin. Ce point réglé, les journaux prussiens remarquent avec beaucoup de sens qu’il serait difficile de voir où pourraient s’élever entre la Prusse et la France des causes d’antagonisme. L’affaire des frontières écartée, découvre-t-on une seule question où la Prusse et la France aient lieu de se redouter mutuellement et de se nuire ? Ce n’est assurément ni en Orient ; ni en Italie, ni sur mer, ni sur terre. Il ne reste donc plus aux deux nations qu’à se réjouir de la conviction nouvelle qu’elles acquièrent en commun de la nécessité et de la sécurité de leur alliance. Voila l’effet naturel, voilà le sens direct et simple de la présence du roi de Prusse en France. Le Times et les journaux anglais ont été mal inspirés dans cette circonstance en cherchant à réveiller les susceptibilités, les jalousies et les craintes de la Prusse à notre endroit. Qui avait plus hautement que la presse anglaise dénoncé, il y a bientôt deux ans, le péril que faisaient courir à la Prusse les desseins attribués à la politique impériale ? N’était-ce pas cette presse qui criait à la Prusse : « Garde à vous ! La Russie a été vaincue, l’Autriche a été frappée ; à votre tour maintenant ! » On dirait presque que c’est pour répondre à ces clameurs que deux souverains se sont imposé des déplacemens insolites, que l’un est allô à Bade, que l’autre est venu à Compiègne. Et l’on n’est pas satisfait ! C’est peu raisonnable et c’est peu habile. Il est des temps où il est de bonne politique d’accepter le fait tel qu’il se présente, dans sa signification simple et naturelle, sans supposer qu’il y ait des dessous de cartes ; il y a des momens où il est spirituel de se féliciter du succès, pour peu que l’on puisse se flatter d’en avoir obtenu au moins l’apparence.

Nous sommes donc contens du résultat de ces voyages de princes au point de vue bourgeois des intérêts pacifiques qu’ils ont l’air de servir ; nous n’allons pas jusqu’à en être éblouis. La France a dans son histoire d’autres souvenirs de l’attrait qu’elle a pu inspirer à des princes étrangers, et ces souvenirs ne nous permettent pas de nous enorgueillir de l’empressement avec lequel accourent chez nous ceux d’aujourd’hui. Nous aimons en effet à croire que le XVIIIe siècle fait encore partie de notre histoire, et nous supposons que l’influence que la France a exercée alors sur le monde par sa société et sa littérature n’a pas cessé de compter dans notre patrimoine de grandeur et de gloire. Que de souverains correspondaient alors avec l’esprit français ! que de rois, de fils de rois et d’empereurs étaient alors attirés vers la France ! C’était un jour ce sauvage de génie, Pierre le Grand ; un autre jour, ce fou romanesque, Gustave III de Suède ; une fois ce fils de Catherine II qui devait être Paul Ier, une autre fois, le fils de Marie-Thérèse qui fut Joseph II. Ce n’était pas la cour qu’ils venaient chercher : il y avait une France hors de Versailles, c’est par celle-là qu’ils étaient séduits. Pour marquer plus délicatement l’hommage qu’ils rendaient à nos pères, pour mieux montrer que c’était de la société française qu’ils voulaient être les hôtes, ils se dérobaient à l’étiquette par l’incognito. Le commerce des hommes de lettres avait pour eux plus d’attraits que l’entretien des ministres ; un souper chez Mme du Deffand avait plus de prix à leurs yeux que la pompeuse et aride hospitalité du monarque. Les écrivains, les représentans de la société du XVIIIe siècle et de l’esprit français qui avaient eu l’honneur de mériter et de gagner à notre pays ces attentions, ces prévenances, ces assiduités des chefs des autres nations du continent, y puisaient à leur tour un juste sentiment de leur dignité et de leur force. Un mince écrivain tel que Marmontel allait jusqu’à se sentir élevé par ce courant au niveau d’un des princes les plus distingués de l’Europe, le duc de Brunswick, en faisant au meilleur élève de Frédéric les honneurs de l’Académie. On a beau être né après 89, on a beau appartenir à une démocratie ; on peut sans bassesse exprimer des regrets sous l’impression de ces souvenirs et des comparaisons auxquelles donnent si naturellement naissance les voyages princiers de nos jours. Mais que sont devenues les vieilles lunes ? Si le va-et-vient de souverains auquel nous assistons ne contribue à établir aucune relation entre l’esprit des cours étrangères et l’esprit de la société française, à qui la faute ? Les princes contemporains sont-ils dépourvus des curiosités vaillantes ou délicates de l’intelligence, ou bien la société française a-t-elle cessé d’être un attachant sujet d’études ? N’avons-nous plus d’hommes distingués dans la philosophie, dans les lettres, dans les arts, dont l’entretien méritât d’être recherché par des têtes couronnées ? ou bien le goût s’est-il oblitéré chez les princes contemporains au point qu’il n’y ait pas pour eux de distraction plus attrayante que de visiter des bâtisses, d’assister à des parades militaires, ou de passer une soirée dans quelque petit théâtre parisien ? Serait-ce plutôt que la politique a ainsi dérangé les choses que les rencontres auxquelles se plaisaient tant les princes et nos hommes d’esprit d’autrefois sont devenues chez nous impossibles ? Ne voulant désobliger personne, nous nous abstiendrons poliment et prudemment de répondre à ces questions.

Comment notre siècle ne se bornerait-il pas à estimer par le côté utilitaire les entrevues des souverains ? Nous enflons vainement d’ambition et d’orgueil nos desseins politiques, à chaque instant les nécessités matérielles nous ramènent à la prose des affaires. La vraie question du moment pour la France n’est point dans les entretiens politiques qui ont pu avoir lieu à Compiègne ; elle est dans la crise de finances, d’industrie et de commerce dont nous sommes menacés.

Nos lecteurs savent que, tout en prévoyant depuis trois mois les difficultés qui devaient résulter de l’insuffisance de la récolte de blé de cette année, nous nous sommes défendus contre les exagérations du pessimisme. Nous avions espéré que plusieurs circonstances particulières, — telles que l’abondance relative de l’argent et du blé en Angleterre, les restrictions forcées que la situation politique des États-Unis imposera à notre production industrielle, soit en nous fermant un vaste débouché pour nos exportations, soit en nous privant d’une matière première que nous importons d’Amérique, le coton, — nous permettraient de traverser une période, d’ailleurs très douloureuse, sans que nous fussions obligés d’aggraver le mal par le renchérissement et le rétrécissement du crédit commercial. Nous souhaitions qu’il fût possible que tant que la banque d’Angleterre laisserait l’escompte à 3 1/2, la Banque de France ne relevât pas chez nous au-dessus de 5, et nous ne pensions point émettre un vœu chimérique. La justesse de notre opinion, nous le reconnaissons, dépendait d’un élément dont l’appréciation exacte n’était point à notre portée. Cet élément était le degré même du déficit de la récolte. Privés des informations précises que l’administration supérieure et les grands établissemens de crédit et de commerce peuvent seuls posséder, il ne nous était pas possible de connaître l’étendue vraie du déficit de la récolte : nous nous en tenions donc à l’estimation générale qui le portait à environ dix millions d’hectolitres. Si le déficit ne dépassait pas ce chiffre, dix millions d’hectolitres à importer de l’étranger représentant une somme de 250 à 300 millions de francs, et une partie seulement de cette somme devant être payée en numéraire, nous pensions que la Banque eût pu tenter une expérience hardie, nous l’admettons, mais salutaire, et consentir à fournir une partie de son encaisse aux besoins de l’exportation métallique, en se contentant de laisser l’escompte en France à 11/2 au-dessus du taux où il est en Angleterre. C’est en supposant l’exactitude de la donnée généralement admise sur le chiffre qui exprime le déficit de la récolte que nous avions pris la liberté de critiquer la résolution prise par la Banque d’élever le taux de l’escompte. Notre opposition à la Banque n’était point une opposition de principes ; elle ne portait que sur une question de conduite, dans l’hypothèse que le déficit de la récolte n’eût point dépassé un certain chiffre.

Il paraît aujourd’hui que l’on ne peut plus s’en tenir à cette hypothèse. Des évaluations émises dans des circulaires commerciales portent au cinquième et même au quart de la récolte l’étendue du déficit. Ces évaluations, d’après lesquelles la France aurait à demander à l’étranger 15 et même 20 millions d’hectolitres de blé, ne sont pas démenties. De nouvelles mesures prises par la Banque donneraient même à penser que, dans les hautes régions commerciales, ces évaluations sont acceptées comme vraisemblables. À cette cause de perturbation du marché monétaire, on en ajoute d’autres. L’emprunt italien, dit-on, a, été souscrit pour près de moitié en France. Les versemens de cet emprunt doivent se faire à des époques très rapprochées. C’est une nouvelle cause d’exportation de numéraire qui viendra peser sur nous dans un moment de détresse. On allègue que des entreprises étrangères, dont les actions sont placées surtout en France, font des appels considérables qui vont entraîner des sorties d’espèces. On ajoute l’influence de l’application du traité de commerce avec l’Angleterre : nous allons recevoir d’immenses quantités de produits anglais que nous ne sommes pas prêts encore à échanger contre nos propres produits, et dont il faudra payer au moins une partie en or. Enfin on fait remarquer la coïncidence fâcheuse de la cessation de nos exportations pour l’Amérique. Ces exportations s’élevaient à environ 200 millions. Avec une pareille somme, nous aurions pu payer indirectement une partie de nos engagemens vis-à-vis des autres marchés ; mais ce moyen de rétablir la balance commerciale nous fait aujourd’hui défaut.

Que ces divers traits rassemblés pour dépeindre les difficultés présentes de la situation commerciale de la France soient conformes à la vérité, nous n’avons pas le pouvoir de le contester ; mais nous avons le droit d’être étonnés qu’ils se soient produits tout à coup comme une révélation subite, et qu’aucune pensée prévoyante n’ait pris soin de les démêler d’avance, afin d’en conjurer, en temps opportun les effets. On dirait que le gouvernement lui-même a été, comme tout le monde, surpris par la crise à l’improviste. On ne comprend pas comment il se fait qu’un gouvernement qui a tant d’agens à ses ordres, qui, par la perfection de son mécanisme centralisateur, atteint toutes les parties du territoire, n’ait pas connu approximativement le résultat de la récolte dès les premières semaines qui l’ont suivie. Tout un ordre de prévisions et de précautions devait être déterminé pour l’administration par des informations opportunes. Sans doute toutes les conséquences fâcheuses de la situation actuelle n’eussent pas pu être prévenues : nous ne pouvons rien sur les mouvemens auxquels donne lieu l’application du traité de commerce, nous ne pouvons rien sur la guerre intestine qui dévore l’Amérique du Nord ; mais, s’il est vrai que les gros versemens appelés dans un très court espace de temps par l’emprunt italien doivent nous causer de graves embarras monétaires, sans empiéter sur les droits d’un gouvernement indépendant, n’aurions-nous pas pu obtenir du cabinet de Turin, par d’amicales représentations, qu’il soulageât notre marché en étendant les délais et en diminuant les quotités des versemens de l’emprunt italien ? S’il est vrai que l’encaisse de la Banque, qui est la réserve métallique de notre commerce, soit menacé par les appels faits aux capitaux français pour des entreprises étrangères, l’administration, par d’officieux avis, n’eût-elle pas pu empêcher ceux de ces appels qui choquent le plus l’opinion ? Nous ne sommes pas certes partisans de l’immixtion du pouvoir dans les affaires particulières ; mais le gouvernement ne professe point à cet égard les mêmes principes que nous : il a cru devoir favoriser la création d’établissemens de crédit privilégiés ; il a fondé des institutions de banque qui sortent du droit commun ; il se mêle chaque année de fixer le chiffre des dépenses qu’auront à faire nos compagnies de chemins de fer. Il eût été prudent et en même temps conséquent avec lui-même, s’il eût par exemple prié la société du Crédit mobilier de ne point appeler le versement dans ses caisses, pour le compte du Crédit mobilier espagnol, d’une somme de 18 millions dont le besoin pour cet établissement de crédit n’a été justifié par aucune explication. Et certes tout le monde conviendra que les conseils du gouvernement ne pourraient pas demeurer sans influence sur une institution qui est son œuvre ; mais il est évident que dans cette circonstance le gouvernement, ce terrible solitaire « qui sait tout, qui voit tout et qui est partout, » a connu les faits trop tard, et n’a pas su en apprécier à temps la portée.

Si l’on tient pour vraies les difficultés que l’on fait maintenant si grosses, il n’y a plus de reproches à adresser à la Banque de France. À l’égard des circonstances extraordinaires qui agissent sur le marché commercial, la Banque joue un rôle essentiellement passif. Elle doit le crédit au commerce ; mais, pour être en état de remplir cette fonction vitale, son premier devoir est de veiller à son propre crédit. Or le crédit de la Banque, c’est sa solvabilité. Il faut que son billet, dont la circulation fait profiter le commerce d’une économie considérable de capital, puisse à tout moment être converti en numéraire. Il ne manque pas en France, nous ne le savons que trop, d’utopistes assez insensés pour contester le mérite de la convertibilité du billet de banque, et pour demander à chaque crise le bienfait du cours forcé du papier. Ces esprits avancés n’ont pas l’air de savoir que le cours forcé du papier chasse aussitôt le numéraire métallique des pays qui ont recours à cet expédient désespéré. Le métal précieux, n’étant plus retenu en effet comme numéraire pour les besoins de la circulation, puisque la circulation est défrayée par le papier, ne peut plus être employé que comme capital. Comme il est le produit et la forme de capital le plus recherchés, ou bien il va dans le pays s’enfouir dans des thésaurisations particulières, ou il va se placer au dehors dans les pays qui ont conservé la circulation métallique. Il est impossible d’ailleurs, avec une circulation de papier, de contenir le crédit dans ses limites normales ; la spéculation n’a plus son frein naturel. Dans les étals surtout qui ne sont point libres, qui sont enclins au luxe des constructions publiques et aux entreprises militaires, la faculté d’émettre du papier à cours forcé devient la plus trompeuse des ressources et la plus funeste des tentations. Avec les abus du crédit et l’excès des dépenses publiques, la dépréciation atteint bientôt le papier circulant ; on a le change contre soi, et il se trouve qu’en croyant s’être affranchi d’une chaîne par l’abolition de la circulation métallique, on n’a fait que s’imposer une servitude vis-à-vis de l’étranger, et se condamner à payer aux autres peuples commerçans un ruineux tribut. Le cours forcé est la forme sous laquelle se reproduit de nos jours cet expédient de la barbarie du moyen âge qui consistait à altérer les monnaies. Trois exemples contemporains nous montrent où mène l’empirisme de la circulation du papier, lorsque cette circulation n’est plus soumise à la loi de la convertibilité du papier en espèces : ce sont ceux de la Russie, de l’Autriche et de la Turquie. On ne comprend pas que, devant cette triple expérience, que nous avons parlante sous les yeux, il s’élève encore des voix en France pour réclamer la circulation du papier inconvertible.

Mais il ne suffit pas de repousser le cours forcé en théorie ; il faut prendre garde de ne pas s’y laisser acculer par les nécessités que produisent les crises périodiques du commerce ; il faut surtout que les gouvernemens évitent d’aggraver ces crises par l’imprévoyance et le décousu de leur politique financière. Les devoirs : d’un établissement tel que la Banque de France sont à cet égard plus spéciaux et plus étroitement limités qu’on ne se le figure généralement dans notre pays. Elle n’est point tenue à la prévoyance lointaine que doit avoir le gouvernement ; elle ne peut pas devancer les faits, elle ne peut agir que lorsqu’elle en subit immédiatement l’influence. Deux élémens lui fournissent sur ce point des indications qu’elle ne peut méconnaître sans danger : ce sont d’une part l’étendue de ses engagemens et de l’autre l’étendue de ses ressources métalliques. Nous comprenons l’effroi qui a saisi la Banque, si ses prévisions sur l’imminence de ses besoins de numéraire sont fondées. Dans l’hypothèse d’un déficit considérable de récolte, aggravé par les appels des emprunts extérieurs et des entreprises étrangères, elle a dû croire que c’étaient des centaines de millions que l’on viendrait en peu de mois puiser dans sa réserve métallique. Or cette incursion sur son encaisse allait se produire à une époque où chaque année le mouvement du commerce intérieur fait sortir de la Banque des sommes importantes en numéraire. De septembre à novembre, à la suite des premières transactions auxquelles les récoltes donnent lieu, l’encaisse de la Banque s’affaiblit tous les ans d’une centaine de millions qui reviennent quelques mois plus tard, à mesure que se consomment les produits des récoltes. L’année dernière, bien qu’il ne fût pas question des causes d’exportation de numéraire dont on parle aujourd’hui, l’encaisse de la Banque entre les mois de septembre et de janvier diminua d’environ 182 millions ; mais en septembre de la même année, l’encaisse était de plus de 500 millions. On pouvait voir décroître de près de 200 millions une si grosse somme sans s’émouvoir outre mesure. Cette année au contraire, l’encaisse était en septembre de 385 millions ; il a décru de 80 millions de septembre à octobre, c’est-à-dire d’une somme qui ne dépasse guère la sortie ordinaire d’espèces qui s’opère habituellement dans cette saison. Les causes extraordinaires d’exportation de numéraire dont la Banque s’attend à éprouver l’influence n’ont donc guère agi jusqu’à présent, et c’est dans les mois qui vont suivre qu’on en devra sentir l’effet. La Banque n’affronte donc qu’avec un encaisse de 300 millions environ ce mouvement de sortie d’espèces qu’elle se représente comme devant être si énorme. Nous craignons qu’on n’ait laissé voir une trop grande terreur ; mais nous comprenons que la Banque ait pris de vigoureuses précautions contre une telle perspective. Elle a temporairement aliéné une portion de ses rentes ; elle s’est vue obligée d’emprunter le concours de plusieurs maisons de banque, qui lui prêtent leurs signatures par des traites fournies sur Londres pour une somme de 50 millions. Jamais la Banque de France n’avait encore rien fait de semblable ; mais si le péril est aussi réel qu’elle a paru le croire, s’il faut en effet solder en espèces, outre les emprunts étrangers, l’achat de quinze millions d’hectolitres de blé, ces expédiens, la chose est à craindre, n’apporteront qu’un soulagement temporaire ; ils seront insuffisans. La Banque, pour se défendre efficacement, devra élever encore le taux de l’escompte et attirer chez nous les capitaux étrangers, en déterminant par le renchérissement du crédit une dépréciation passagère des valeurs de placement françaises.

Nous raisonnons toujours ici dans l’hypothèse où nous nous serions nous-mêmes trompés dans les vœux optimistes que nous formions il y a deux mois, et où l’événement donnerait raison aux alarmes manifestées depuis quinze jours par la Banque de France. Si, malgré nos espérances persévérantes, la crise ne pouvait être conjurée, une grave discussion serait ouverte par les faits eux-mêmes sur la politique financière et économique du gouvernement. Les trois points principaux sur lesquels devrait porter cette discussion sont aisés à signaler. Ce sont l’exagération des dépenses, l’impulsion imprévoyante donnée aux travaux publics, aux démolitions et aux constructions dans les grandes villes, et l’absence de vues coordonnées dans la direction de notre politique économique. Sans doute, un accident tel qu’une mauvaise récolte devenant l’occasion d’une crise industrielle et financière est un effet des lois de la nature et ne peut être imputé à aucune responsabilité humaine ; mais un tel accident vient toujours mettre en lumière des fautes et des erreurs qui en aggravent les conséquences. Suivant que ces erreurs ou ces fautes ont été commises, le mal provoqué par l’accident ou s’atténue ou se complique. Le résultat naturel et immédiat de la crise est de constater un déficit, une rareté de capital. Or, si la crise surprend un pays où le capital a été prodigalement détruit par des dépenses improductives, la perturbation est plus profonde et entraîne de plus douloureux désordres. SI elle éclate à un moment où des encouragemens excessifs ont été donnés aux entreprises qui immobilisent les capitaux, c’est-à-dire qui agissent comme si elles en détruisaient la disponibilité actuelle, elle sévit avec plus d’intensité. Enfin, si c’est le gouvernement qui n’a pas su modérer ses dépenses improductives, si c’est le gouvernement qui a lui-même excité la spéculation au lieu de la contenir, la crise accuse l’imprévoyance du gouvernement et vient l’avertir sévèrement de la nécessité d’un changement de politique. Nous voudrions que les prévisions pessimistes qui ont cours à l’heure qu’il est fussent démenties par des faits prochains, nous désirons vivement cette fois en être quittes pour la peur ; mais en tout cas, nous l’espérons du moins, la leçon ne serait point perdue. Une fausse alerte seule suffirait pour nous apprendre combien il importe que l’accroissement continu de nos budgets ait un terme, combien il importe de cesser de détruire gratuitement des capitaux par des démolitions qui donnent une excitation artificielle à la spéculation des constructions, combien il importe de ne pas fausser les mouvemens de l’industrie et du commerce par des institutions de crédit privilégiées et factices, combien il est urgent enfin d’apporter dans le gouvernement des intérêts économiques de la France une pensée appliquée, qui ne soit point déchirée par des systèmes incohérens, qui soit nourrie des saines théories de la science financière, et qui ne soit point fermée aux conseils de l’expérience. Les nécessités financières et politiques ouvriront impérieusement un jour cette grande controverse ; nous savons bien à quelle conclusion elle nous mènerai Les intérêts matériels y acquerront la conviction qu’il n’y a point de bon gouvernement financier sans liberté politique, en dehors de l’entier et rigoureux contrôle des assemblées représentatives et des vigilantes polémiques d’une presse libre.

Il y a un nouveau temps d’arrêt dans le développement logique de la question italienne. Nous le regrettons sans doute, mais nous n’en sommes point désolés outre mesure. Il est dans la loi des révolutions de marcher Inflexiblement à leur but final avant de se replier sur elles-mêmes et d’organiser leurs conquêtes. Il n’est donc guère permis de croire que l’Italie puisse se laisser distraire de la pensée de Rome, et trouve un aliment qui la satisfasse dans le travail de sa politique intérieure. La prolongation indéfinie du statu quo crée sans doute des embarras intérieurs au gouvernement italien ; elle ne décourage pourtant pas les amis de l’Italie. Les embarras qui résultent pour les Italiens de l’agonie du pouvoir temporel artificiellement prolongée par la présence de nos troupes à Rome sont trop visibles pour qu’il soit nécessaire de les signaler. On sait que les partisans du régime déchu de Naples entretiennent un foyer d’intrigues à Paris, lequel relie ses menées au foyer principal de Rome, et que de cette action concertée naissent les misérables troubles des provinces napolitaines. On ne peut point appeler cela une conspiration, car tout se fait au grand jour : correspondances, envois d’hommes et d’argent, on ne prend guère la peine de rien dissimuler au gouvernement français. Aussi est-ce surtout pour notre gouvernement que la durée d’un tel état de choses nous paraît désagréable. Jusqu’à quand le gouvernement français croira-t-il ses temporisations compatibles avec le rôle qu’il a joué dans la question italienne ? Est-il, nous ne dirons pas même logique, mais bienséant à la France, après avoir attiré un peuple à de nouvelles destinées, après avoir même tiré profit de la direction dans laquelle il s’est engagé, de paraître pour lui une entrave et de perpétuer en Italie un état de faiblesse et de désordre qui pourrait compromettre un ouvrage auquel nous avons eu une si grande part ? Mais, nous le répétons, c’est bien plus comme Français que comme amis de l’Italie que nous déplorons les vacillations singulières de notre politique. Quoi qu’en pensent dans leurs illusions puériles les adversaires de l’Italie, le bénéfice du temps est pour les Italiens. Voyez l’usage que fait le pape des derniers momens de son pouvoir temporel. Y a-t-il rien de plus triste que la dernière allocution pontificale ? Quels sont les hommes honnêtes et sensés qui n’ont pas gémi de l’étrange emportement auquel le pape s’est laissé entraîner ? Cette rhétorique ecclésiastique, cette irritation boursouflée n’ont pas même l’accent d’une passion sincère. Est-il en vérité, au temps où nous vivons, permis à un souverain d’employer un tel langage contre ses adversaires ? Est-ce au gouvernement italien, qui les supporte avec un sentiment de pitié, que ces outrages peuvent faire du mal ? Cet acharnement du chef de l’église contre des compatriotes et des coreligionnaires peut-il profiter à l’église ? La cause du pouvoir temporel, déjà perdue, abdique ainsi la dignité même du malheur. Elle ne se relève point par la condamnation de l’écrit si chrétien du père Passaglia, Pro caussa Italica, adressé aux évêques catholiques. Quel contraste entre le zèle vraiment religieux du célèbre théologien et les colères si peu charitables du chef de l’église ! La répugnance qu’inspirent à l’opinion éclairée de l’Europe les agitations de la papauté temporelle ne sont pas le seul profit que l’Italie retire de ce provisoire prolongé où l’on essaie de la fatiguer. En dépit des conspirations qui travaillent ouvertement à Rome, les troubles napolitains ont perdu leur gravité. Ces populations napolitaines si longtemps démoralisées par de mauvais gouvernemens, ces populations qui ont subi toutes les invasions dont leur territoire a été le théâtre, qui ont supporté la domination conquérante des Normands, des Angevins, des Français, des Espagnols, endureront bien, qu’on en soit convaincu, une conquête, celle des Italiens, qui, au lieu de les humilier, les associe à l’émancipation et à la grandeur de la patrie commune. D’ailleurs les classes éclairées, la bourgeoisie, à Naples et dans toutes les villes, ont donné leur adhésion au gouvernement italien, Les élémens anarchiques n’existent que dans les campagnes, dans les districts montagneux. Ferdinand II, avec son rare instinct de despote, avait su, parmi les populations rurales, exciter l’animosité des classes inférieures contre la bourgeoisie. Qu’on ajoute aux mauvaises passions de la populace le mécontentement inévitable des corporations religieuses, qui pullulent dans ce pays ; qu’on n’oublie point qu’il y a dans les provinces napolitaines vingt archevêques et soixante-dix-sept évêques, et l’on aura une idée des difficultés que peut rencontrer le gouvernement italien. Ces difficultés, on en viendrait peut-être aisément à bout en employant les moyens sommaires du despotisme ; mais le gouvernement italien, à son grand honneur, veut en triompher en respectant les garanties de la liberté. Ses scrupules constitutionnels rendent sans doute pour le moment sa tâche plus pénible ; mais tout ce qu’il y a d’esprits libéraux en Europe devra lui savoir gré et lui tenir compte de l’honnête courage avec lequel il entreprend de surmonter tant d’obstacles sans renier un seul jour les principes de la constitution libre au maintien de laquelle l’Italie renaissante a lié ses destinées.

La démission du général Cialdini prouve assez que les troubles napolitains ne sont plus de nature à inspirer des inquiétudes sérieuses. La lieutenance de Naples va être abolie. Le général La Marmora va prendre avec l’autorité qui s’attache à ses illustres services et à son caractère le commandement militaire de l’ancien royaume. Pour le moment, la démission du général Cialdini et la nomination du général La Marmora à Naples sont les seuls mouvemens qui auront été accomplis dans le personnel du gouvernement italien. L’on a remis en circulation, il y a quelques jours, avec une nouvelle vivacité les bruits de changement du cabinet qui avaient couru avec persistance dès la fin de la session du parlement italien. Il y a peu de dignité et de patriotisme dans l’application que mettent certaines personnes en Italie à user par de telles rumeurs un ministère qui compte des membres très distingués et qui a pour chef un homme aussi respecté que le baron Ricasoli. Cette fois encore, ces rumeurs sont dénuées de fondement. Avant la réunion du parlement, qui doit avoir lieu à la fin de novembre, il est permis au moins de dire qu’elles sont prématurées. Il est naturel que l’on prononce le nom de M. Rattazzi à l’occasion des projets de combinaisons nouvelles. M. Rattazzi occupera toujours une place honorable parmi les hommes d’état sur lesquels peut compter l’Italie, et sa présence au ministère, si elle se concilie avec le maintien au pouvoir des hommes qui ont porté avec tant de courage et de bon vouloir la succession de M. de Cavour, nous paraît devoir être favorablement accueillie. M. Rattazzi est sur le point d’arriver à Paris. Dans les régions qu’il vient explorer, nous espérons qu’on n’aura pas conservé le souvenir de l’opposition consciencieuse qu’il fit pendant son dernier ministère aux annexions de la Savoie et de Nice. Vient-il essayer de pénétrer les desseins de la politique française à l’endroit de la question romaine ? Nous n’en serions pas surpris, car un Italien n’a guère d’autre question à nous adresser que celle-ci : « A quand votre départ de Rome ? » Il sera, à notre sens, bien habile et bien heureux, s’il tire de nous une réponse claire et décisive.

Les grands états plus ou moins détraqués de l’Europe, l’Autriche et la Russie, ne font pas mine encore de reprendre leur aplomb. Ce n’est point un mal aigu, c’est une maladie chronique qui traîne en longueur. À Vienne, dans les entretiens politiques, on met à l’ordre du jour la révision de la constitution, bien que cette constitution n’ait pas encore été complètement appliquée. Ceux qui aspirent à un véritable régime parlementaire veulent que la constitution soit réformée, parce qu’elle ne confère pas aux chambres le droit de refuser les impôts, et qu’elle est ainsi dépourvue d’une condition essentielle des institutions représentatives. D’autres voudraient que la constitution fût remaniée, parce que, sur les bases où elle a été établie, il est impossible d’arriver à un arrangement satisfaisant des affaires de Hongrie et de Croatie. C’est en Hongrie en effet que la situation est sans issue. Le gouvernement autrichien s’efforce sans succès d’y étouffer les manifestations patriotiques. Le comitat militaire de Raab a déclaré que toutes les assemblées dont la dénomination rappellerait le mot de honved, qui désigne les volontaires de 1848, seraient dispersées au besoin par la force. La possession des armes et des munitions de guerre a été interdite par la chancellerie de Bude ; mais en dépit de toutes les prohibitions les femmes, tout émues de généreuse passion politique dans ces races souffrantes et frémissantes de l’Europe orientale, continuent à porter sur leurs bracelets des anagrammes qui rappellent les noms des victimes de Vilagos, de ces quatorze généraux qui furent exécutés en 1849. On dirait que le gouvernement autrichien, impuissant à comprimer les manifestations patriotiques, n’a plus d’autre ressource pour reconquérir son ascendant que d’essayer de s’appuyer, comme autrefois, sur les jalousies des nationalités : triste et fatal moyen de gouvernement qu’il n’est peut-être plus en état de ressaisir.

La Russie, si l’œil de l’Europe y pouvait aisément pénétrer, nous offrirait assurément un curieux spectacle. Il y a là tout un peuple qui est sous le souffle d’un esprit nouveau, qui est prêt à s’ébranler et à marcher dans des voies inconnues. Les publications révolutionnaires et clandestines s’y répandent presque avec la régularité d’une presse périodique. On cite, parmi ces manifestes les plus récens qui ont été distribués à Saint-Pétersbourg, deux écrits dédiés aux grands russes et une proclamation adressée à « la jeune génération. » L’une de ces feuilles clandestines exprime le mécontentement des adversaires des récentes réformes. Elle s’élève contre l’émancipation, qui prépare, suivant elle, un nouveau Pugatschef, et contre l’incapacité de la dynastie. L’écrit adressé à la jeune génération parle aux paysans et aux soldats : il leur dénonce la noblesse et les Allemands, dont il place même la personnification dans la famille impériale. L’autre manifeste a un caractère communiste, et n’est pas moins politique que les deux premiers : il faut que la terre appartienne aux paysans sans rachat ; la Pologne doit être libre ; une convention fondera en Russie le gouvernement constitutionnel. C’est en vain que les propriétaires qui reviennent à Saint-Pétersbourg, après avoir réglé sur leurs terres leurs nouveaux intérêts et après avoir observé les premiers effets de l’émancipation, témoignent d’une grande confiance ; le gouvernement russe est troublé par ces publications hostiles, dont il ne peut empêcher la diffusion. La complicité que les agens inférieurs, les tchinovniks, prêtent aux mécontens paralyse les efforts du gouvernement russe contre l’opposition des publications clandestines. La classe nombreuse et si corrompue d’ailleurs des tchinovniks contrarie l’action du gouvernement par la force d’inertie qu’elle possède. Les dernières nouvelles de Pétersbourg donnent à penser que le ministère est sérieusement ému d’un tel état de choses, et qu’il est décidé a le combattre par des mesures énergiques. Il vient de fermer l’université de Saint-Pétersbourg, Ainsi ce n’est point seulement en Pologne que se concentrent les préoccupations et les soucis du pouvoir. Là d’ailleurs se poursuit cette agitation surprenante et si neuve qui prend pour forme les manifestations de la religion et de la prière. De plus en plus la Pologne se confirme dans cette attitude de nation suppliante poussant le même cri de douleur infatigable. Les Polonais ne sont point en peine de perpétuer leurs services religieux. Ils ont des anniversaires nationaux pour chaque jour de l’année. Ils célébraient par exemple le 26 septembre la mémoire d’un évêque mort il y a deux cent trente-huit ans ; la mort de cet évêque avait été suivie d’une bataille qui coûta la mort à cinq mille Russes et fut gagnée par un hetman lithuanien. Le 5 octobre, un service pour la prospérité de la patrie a été célébré par les employés des administrations publiques. L’autorité n’a point voulu s’y opposer dans la crainte de n’être point obéie par ses propres fonctionnaires. La cathédrale de Varsovie était comble ; les corporations s’y étaient réunies bannières en tête avec des cravates tricolores. Le télégraphe nous apprend que le gouvernement russe a pu empêcher la grande manifestation annoncée pour le 10 octobre à Horodlo. Le rendez-vous était pris dans une petite bourgade située aux bords du Bug ; il s’agissait d’y célébrer la réunion de la Pologne et de la Lithuanie, et de faire fraterniser avec les grecs-unis et les romains de la Pologne les grecs de la Lithuanie, de la Podolie, de l’Ukraine. Un pareil mouvement national se produisant avec une telle unanimité, revêtant cette forme religieuse et passive, est bien fait pour dérouter les vieilles routines du despotisme. L’irritation des fonctionnaires russes et leur impuissance se conçoivent aisément.

Le vieux monde, en proie à une inquiétude si étrange, marche donc mystérieusement à des révolutions d’une nouveauté bizarre. Cette maladie, qui sera, il faut l’espérer, une crise de régénération, n’est point seulement le lot du vieux monde. Le peuple le plus jeune de la civilisation moderne, cette démocratie américaine naguère si superbe, ne se tord-il pas en des convulsions semblables à celles qui tourmentent notre continent ? Devant ce spectacle, il faut aussi s’animer de la même confiance, et croire que là encore du mal sortira le bien. C’est sans doute cette généreuse espérance qui a poussé deux jeunes Français, les fils du duc et de la duchesse d’Orléans, à prendre part à la grande lutte américaine. Les journaux anglais ont blâmé leur résolution avec une cruelle amertume ; nous n’en sommes point surpris. Des Français et des Anglais ne peuvent être émus de la même façon par ce qui se passe aux États-Unis. Au fond du débat, il y a la grande cause de l’abolition de l’esclavage, à laquelle les Anglais se sont voués avec une glorieuse initiative ; mais ce qui touche les États-Unis réveille en Angleterre des souvenirs, des intérêts, des antipathies, qui ne peuvent avoir d’écho dans la politique et les sentimens de la France. Avant tout, le drapeau semé d’étoiles est le seul que la France n’ait jamais rencontré dans la coalition de ses ennemis. Pour les Anglais, les États-Unis sont toujours une ancienne colonie rebelle ; pour nous, ils sont une nation dont nous avons contribué à établir l’indépendance par de communes victoires remportées sur la maladroite obstination anglaise. Pour la politique anglaise, malgré l’accident du coton, ce serait un succès de voir la confédération américaine s’affaiblir en se divisant. Pour la politique française, la rupture de l’intégrité de la république américaine, qui enlèverait un contre-poids nécessaire à l’équilibre maritime, serait un malheur regrettable. Les Anglais nourrissent contre le Yankee républicain un dédain de race aristocratique ; la France démocratique a pu demander des leçons à la démocratie américaine et lui a plus d’une fois porté envie. Les deux jeunes volontaires qui viennent de s’enrôler dans l’armée du nord sont donc demeurés fidèles, dans le choix de la cause qu’ils servent, aux traditions de leur pays.


E. FORCADE.


V. DE MARS.

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