Chronique de la quinzaine - 14 novembre 1877

Chronique no 1094
14 novembre 1877


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 novembre 1877.

Au jour fixé, le parlement de la France s’est retrouvé à Versailles. Le sénat, qui a dû à son caractère d’assemblée permanente et inamovible de n’être que prorogé, a repris simplement ses séances interrompues, et il a commencé par se donner un congé, sans doute pour ne point être exposé à des démonstrations ou des interventions prématurées ; c’est aujourd’hui seulement qu’il reprend la parole. La chambre des députés, récemment sortie de la fournaise électorale, est entrée en possession de ses droits ; elle s’est mise aussitôt, non sans préoccupations, mais avec une fixité singulière, à expédier des vérifications de pouvoirs, à régulariser son existence, à se constituer : elle a formé son bureau à la tête duquel elle a justement replacé M. Jules Grévy, qui a inauguré sa présidence nouvelle par quelques paroles d’une fermeté sérieuse et sobre. Le gouvernement, à son tour, après avoir hésité, après avoir paru se demander pendant quelques jours sous quelle figure il devait reparaître, le gouvernement a fini par céder à l’inspiration malheureuse de se présenter aux chambres sous la forme du ministère de la dissolution, des élections, de la défaite du 14 octobre. En apparence, ces premières opérations, ces premières rencontres se sont passées assez paisiblement, au moins sans choc immédiat ; mais on sentait bien que dans cette paix plus affectée que réelle, dans ce qu’on pouvait appeler la trêve provisoire de l’organisation de la chambre, il y avait quelque chose de menaçant, et que, si les défis ne se traduisaient pas encore en actes précis, décisifs, ils étaient dans l’air. L’orage s’annonçait d’heure en heure à des signes infaillibles, à l’irritation mal contenue des esprits, aux dispositions des partis, à la manifestation croissante d’incompatibilités, peut-être irréparables ; il a fini par éclater avec violence dans une proposition ayant pour premier objet la nomination d’une commission d’enquête parlementaire sur les élections, sur la candidature officielle, — constituant en réalité une sorte de mise en accusation du gouvernement, sinon sans phrases, du moins sans ménagemens. La lutte est maintenant engagée, dans les termes les plus extrêmes ; elle devait inévitablement, éclater avec ce caractère dès la première rencontre de la chambre nouvelle et du gouvernement, puisqu’après l’avoir préparée depuis six mois, on semble s’être proposé jusqu’à La dernière heure de l’attendre, de la braver, au lieu de la détourner ou de l’adoucir.

Oui, en vérité, rien n’a été négligé pour aggraver et envenimer un conflit qu’il fallait s’efforcer d’atténuer, et aujourd’hui voilà le résultat : c’est une situation où tout conspire pour les guerres à outrance, pour les solutions extrêmes, où les chances de conciliation s’épuisent, et où jusqu’au dernier moment cependant, même en présence des hostilités ouvertes, il reste la grande et éternelle victime, l’intérêt public, pour réclamer la paix. Évidemment il y a quelque fatal malentendu, quelque méprise désastreuse, et ce qui a tout compliqué, c’est que depuis trois semaines on n’ait pas même réussi à se reconnaître, à remettre un certain équilibre dans nos affaires troublées, c’est que le ministère, qui a la responsabilité de cette malheureuse crise, soit resté jusqu’au bout comme l’expression vivante d’une pensée de résistance et de conflit. Que dans un moment un peu effaré, il y a six mois, on ait pu croire à la nécessité d’une grande mesure telle que la dissolution de la chambre des députés, que même pendant la lutte on ait pu se faire des illusions et se laisser entraîner aux plus étranges abus dans l’espoir d’une victoire électorale qui absoudrait tout, soit, on peut le comprendre encore ; mais après le vote significatif du pays, à qui on avait fait appel, lorsqu’il n’y avait plus d’illusions possibles, la première condition était tout au moins, de montrer que cet appel, dont on avait pris l’initiative, avait un caractère sérieux. C’était un acte de prévoyance de détendre pour ainsi dire la situation, ne fût-ce que par un témoignage mesuré de déférence pour une grande manifestation d’opinion. La présence obstinée au pouvoir d’un ministère qui ne représentait plus que la guerre et la défaite ne pouvait plus avoir d’autre effet que d’entretenir et d’accroître les irritations, de préparer des difficultés nouvelles, d’engager un peu, plus M. le président de la république dans une inévitable collision. Le ministère lui-même l’avait senti, puisqu’il avait donné sa démission ; M. le président de la république, lui, aussi, l’avait senti, puisqu’il avait accepté cette démission, en se réservant seulement le temps de s’arrêter à des combinaisons, nouvelles. Ces combinaisons qu’on a dû chercher, où sont-elles ? qu’a-t-on fait sérieusement pour dénouer une crise, que chaque instant aggravait ? . Ce n’était pas apparemment M. Pouyer-Quertier qui devait avoir la vertu de tout pacifier. En dehors de ce ministère mort-né de M. Pouyer-Quertier, tout ce qui a été plus ou moins, essayé reste inconnu, et c’est ainsi qu’en perdant les heures et les jours on s’est laissé traîner à l’ouverture de la session avec un ministère dont la seule présence ressemblait à un défi, à une préméditation de résistance.

On a tergiversé, on s’est perdu en toute sorte de consultations et de colloques plus ou moins compromettans, lorsqu’il fallait se décider simplement et franchement sans avoir l’air de marchander avec les nécessités de la situation. M. le président de la république, dira-t-on, ne peut cependant se livrer sans réserve à la mobilité des influences parlementaires ; il ne peut choisir ou accepter qu’un ministère conservateur. C’est son honneur et son devoir de résister, de rester la personnification vivante de toutes les garanties conservatrices ! — Que signifie cette résistance dont on parle sans cesse, dont on semble faire le mot d’ordre d’une politique ? La situation, telle qu’elle a été faite, est en vérité assez claire. Le gouvernement, à ses risques et périls, a cru, il y a six mois de cela, que la chambre des députés ne représentait pas l’opinion de la France, que dans les élections de 1876 il y avait eu des confusions et des équivoques. Il a demandé au sénat son concours, au moins son aveu, pour la dissolution, il a obtenu ce qu’il demandait. Il exerçait un droit qu’il tient de la constitution, et ce droit, on peut le dire, il l’a exercé sans scrupules, sans mesure, à la faveur de cet interrègne parlementaire pendant lequel il a déployé toutes les ressources d’un pouvoir presque sans contrôle. Le pays, malgré l’excès des pressions administratives, s’est prononcé librement, comme il l’a voulu, en renvoyant à la chambre la plus grande partie de la majorité républicaine qui avait été frappée. Voilà le fait ! Si on avait le droit d’interroger le suffrage universel, le suffrage universel a eu certainement à plus forte raison le droit de répondre, et lorsqu’aujourd’hui on parle sans cesse de protester, on ne voit pas qu’en réalité c’est contre une décision du pays qu’on proteste, en se plaçant aventureusement, dangereusement, dans l’arbitraire des interprétations personnelles. De quelle autorité s’armerait-on pour une résistance aussi extraordinaire ? D’où tire-t-on ce droit de résister que des esprits échauffés de réaction ne cessent d’invoquer ? On n’a pas réfléchi sans doute que ce serait là engager sans mandat, sans raison sérieuse, une terrible partie contre la souveraineté nationale elle-même manifestée par un vote tout récent.

Que cette manifestation régulièrement provoquée, régulièrement accomplie, doive être maintenue jusqu’au bout dans les limites constitutionnelles et ne point usurper sur les autres droits également consacrés par la constitution, rien de mieux : c’est la loi et c’est aussi le conseil d’une politique prévoyante. Que M. le président de la république, en tenant compte des votes du pays, garde ses préoccupations conservatrices, que dans ses combinaisons il veuille faire la part du sénat comme de la chambre des députés, rien de mieux encore ; mais pour une œuvre de ce genre, œuvre d’équité, de modération, destinée à concilier le respect des traditions parlementaires et les garanties conservatrices dont il a le juste souci, il trouvera, s’il le veut, bien des complices qui sont aussi conservateurs que lui : il en trouvera dans la chambre des députés comme dans le sénat. Il ne s’agit pas pour M. le maréchal de Mac-Mahon de trahir les intérêts de la société dont il se considère comme le gardien, de se laisser traîner aux aventures par des influences radicales ; tout ce qu’on lui demande, c’est de rester sur le terrain constitutionnel où son irresponsabilité comme chef de l’état le fait inattaquable, de ne croire ni sa dignité, ni sa susceptibilité, ni même ses opinions engagées dans une lutte sans issue, sans honneur pour lui, sans profit pour le pays.

Certes, lorsque M. Thiers disait que la république serait conservatrice ou qu’elle ne serait pas, il ne prétendait pas apparemment la livrer au radicalisme. Il lui désirait, lui aussi et avec plus de prévoyance que tout autre, un gouvernement conservateur. Toute la question est de savoir si c’est là le vrai caractère du ministère qui dispute aujourd’hui les dernières heures de son existence, ou des ministères sans couleur et sans nom qui n’en seraient que les équivalens effacés, qui ne feraient que perpétuer cette équivoque d’une république gouvernée avec l’appui et dans l’intérêt de deux ou trois partis ennemis. L’expérience est faite, on peut l’affirmer. Ce qu’on a plus d’une fois reproché, ce qu’on a toujours le droit de reprocher au ministère qui dirige les affaires de la France depuis six mois, c’est d’avoir été non-seulement le moins parlementaire, le moins constitutionnel des gouvernemens, mais encore le moins conservateur des pouvoirs. Il n’est arrivé, par ses procédés étranges, qu’à créer cette situation extrême où ce sont les intérêts conservateurs qui sont le plus immédiatement en péril, où, selon le mot récent de M. Léon Renault, celui qu’on a nommé le « soldat légal, » M. le président de la république voit le terrain de la légalité se dérober sous ses pieds. Voilà où on en est arrivé, de sorte que cette prétendue politique de conservation et de résistance est en réalité la plus perturbatrice des politiques. Qu’elle disparaisse aujourd’hui, c’est véritablement une nécessité de paix publique ; mais en même temps qu’on a le droit de demander à M. le maréchal de Mac-Mahon le retour à une pratique plus régulière du régime dont il a accepté d’être le président, c’est pour la majorité de la chambre des députés une obligation pressante de rester de son côté sur le terrain strictement légal et constitutionnel. Nous ne voulons pas dire absolument que la commission d’enquête parlementaire qui a été proposée et sur laquelle on discute encore aujourd’hui excède cette limite ; elle risque tout au moins d’avoir dépassé la mesure par les considérans et la phraséologie dont elle a été accompagnée. M. Léon Renault a eu besoin hier de toute son habileté éloquente pour la dépouiller de son caractère d’acte exceptionnel et presque révolutionnaire. Ramenée à des proportions toutes légales, l’enquête n’aurait rien d’imprévu ; elle n’aurait été qu’un incident de plus qui n’empêcherait pas le sénat de reprendre un rôle de médiateur pour lequel il est fait. C’est là toute la question qui s’agite aujourd’hui.

La France a le privilège d’occuper le monde de ses dissensions au moment où cette autre lutte singulière et terrible engagée en Orient se déroule, elle aussi, sur son double théâtre, avec des péripéties toujours nouvelles, et reste plus que jamais la grande affaire européenne. L’empereur Alexandre II, qui tient à partager les bons et les mauvais jours de son armée, et qui vient de voir tomber frappé à mort un des princes de sa famille, le jeune prince Serge de Leuchtenberg, l’empereur Alexandre aurait dit récemment, assure-t-on, que, si les Turcs avaient été servis par l’été, les Russes allaient trouver dans l’hiver un allié ! A voir la marche nouvelle des affaires militaires en Orient, ce n’est point impossible. L’hiver pourrait bien sans doute n’être pas un allié toujours sûr, et ne point laisser jusqu’au bout aux Russes une liberté complète d’opérations, surtout d’approvisionnement. Jusqu’ici il n’a suspendu les hostilités ni en Europe ni en Asie, et après les surprises de l’été viennent les surprises de l’hiver. La guerre en effet a ses retours ; la fortune des armes est changeante, et le fait est que, si les Russes ont commencé cette dangereuse campagne par des mécomptes auxquels ils ne s’attendaient pas, ils reprennent depuis quelques semaines un ascendant sensible partout où ils sont engagés. Ils le doivent, cela n’est point douteux, aux forces considérables qu’ils ont appelées de toutes parts, qu’ils auraient dû avoir dès le premier moment, et plus encore peut-être à la prudente résolution qu’ils ont prise de revenir à un système de guerre plus méthodique.

Là est surtout le secret des derniers événemens qui depuis un mois ont changé si complètement la face de la campagne en Arménie. Les Russes, à vrai dire, avaient commencé leurs opérations d’Asie, de même que leurs opérations d’Europe, avec une témérité qui dénotait chez eux un étrange excès d’illusion et de confiance. Ils avaient divisé ce qu’ils avaient de forces, employant une partie de leur armée à mettre le siège devant Kars, le poste avancé, la citadelle de l’Arménie turque, se portant en même temps sur Batoum, sur Ardahan au nord, sur Erzeroum par le sud, par la route de Bayazid. Le résultat de cette stratégie aventureuse a été pour eux une série de sanglans revers, à la suite desquels ils ont été obligés de se rejeter sur leur territoire, vaincus, décimés, suivis par les Turcs eux-mêmes. Ils ont payé cher les erreurs d’une campagne mal engagée, et, chose curieuse, singulière vicissitude de la guerre, ce sont maintenant les Turcs qui semblent avoir commis les mêmes fautes, qui viennent à leur tour de les expier cruellement. Le malheureux Moukhtar-Pacha n’a pas joui longtemps de son titre de ghazi, de « victorieux ! » Il s’est perdu par trop de confiance, pour n’avoir pas assez mesuré ce que lui permettaient ses forces et ce que pouvait lui créer de dangers un retour offensif des Russes.

Moukhtar-Pacha, après ses succès de l’été, s’est figuré trop aisément en avoir fini et s’est cru tout permis. Il a commencé par s’affaiblir en laissant un de ses lieutenans, Ismaïl-Pacha s’engager à grande distance par Le sud sur le territoire russe dans la direction d’Igdir, et il est allé lui-même, avec ce qui lui restait de son armée, camper au-delà de Kars, menaçant Alexandropol. Les positions où il s’est établi sont formées sur une assez vaste étendue, par un massif montueux, entrecoupé et volcanique, dont les points principaux s’appellent les monts Yagny, le Kizil-Tépé, l’Awliar, l’Aladjadagh, — plus en arrière, Vizinkoï. Au-delà du massif coule l’Arpatschaï, servant à peu près de frontière. Ces positions sont assurément puissantes, elles sont autant de retranchemens naturels merveilleusement appropriés à l’opiniâtreté défensive des Turcs. Seulement le chef Turc risquait d’être trop avancé, de s’être trop éloigné de Kars et d’avoir laissé derrière lui un intervalle dangereux. De plus, entre la route d’Alexandropol, où il avait son aile gauche, et l’Aladjadagh, où il avait son aile droite, ses lignes étaient démesurées pour des forces déjà diminuées par le détachement d’Ismaïl-Pacha, appauvries par la rude campagne de l’été. Enfin il restait à découvert sur sa droite au-delà de l’Aladjadagh, dans la partie inférieure du cours de l’Arpatschaï, dont les Russes étaient maîtres et par où ils pouvaient tourner toutes ces positions. Il avait l’apparence d’une situation inexpugnable, il était en réalité très vulnérable, et on allait le lui montrer d’une manière foudroyante.

Ce que Moukhtar-Pacha ne soupçonnait pas en effet, c’est que, pendant qu’il s’établissait ainsi, les Russes, se remettant rapidement de leurs défaites, recevant chaque jour des renforts considérables, se disposaient à rentrer en action, et cette fois avec plus de méthode, avec des combinaisons mieux entendues, avec de nouveaux chefs, quoique toujours sous le grand-duc Michel. En réalité, la nouvelle armée, russe que Moukhtar-Pacha avait devant lui, sans connaître ni son importance ni ses puissans moyens d’artillerie comme il en a fait naïvement l’aveu, cette armée recommençait à se mettre en mouvement dès les premiers jours d’octobre. Elle enlevait quelques-unes des positions les plus avancées au Kizil-Tépé, elle menaçait les Turcs aux monta Yagny. Moukhtar, qui aurait dû être éclairé, ne faisait rien pour se mettre en garde, : il attendait en bataillant sans résultat, sans modifier ses dispositions ; mais ce n’était qu’un prélude. Ce n’est que quelques jours après, le 15 octobre, que se dévoilait le plan russe et que la véritable action s’engageait sur toute la ligne par un ouragan de fer et de feu. L’opération avait été habilement conçue, et elle était vigoureusement exécutée. Tandis qu’une colonne russe, sous le général Heyman, allait droit à l’assaut de l’Awliar, clé des positions de Moukhtar, et réussissait à percer le centre des lignes, une autre colonne, sous le général Lazaref, passait par le sud au-delà de l’Aladjadagh, remontait à un point désigné sous le nom d’Orlok et tournait le massif, si bien qu’à un moment de la bataille les soldats de Lazaref et d’Heyman arrivaient à la fois à Vizinkoï sur les derrières des Turcs. L’armée ottomane se trouvait complètement bouleversée, menacée dans ses dernières communications avec Kars ; elle avait son centre rompu, décomposé, et sa droite, laissée à l’Aladjadagh, cernée de toutes parts, n’avait plus bientôt qu’à mettre bas les armes. Quelques bataillons seulement ou quelques noyaux d’hommes déterminés ont pu échapper au désastre en se frayant un chemin. Le généralissime Turc ne connaissait pas même le sort de cette partie de son armée au moment où, obligé de quitter en vaincu, en fugitif, le champ de bataille, il n’avait plus que le temps de se sauver lui-même, de chercher sa sûreté à l’abri des murs de Kars.

La déroute était complète avant le soir. Moukhtar-Pacha, s’arrêtant à peine quelques heures à Kars pour rassembler les débris de son armée, s’est rejeté aussitôt sur la route d’Erzeroum ; il n’avait qu’une pensée, celle de devancer aux défilés de Soghanly les Russes courant à sa poursuite. Que devenait pendant ce temps Ismaïl-Pacha, assez témérairement engagé du côté du gouvernement d’Érivan ? Promptement averti du désastre, il s’est hâté de rétrograder, harcelé à son tour par le général Tergoukasof, qu’il avait suivi jusque sur le territoire russe. Ismaïl a réussi non sans peine à échapper aux étreintes de son adversaire, et à rejoindre Moukhtar-Pacha dans la direction d’Erzeroum, vers Zewin, sur ces champs de bataille où naguère les Turcs infligeaient de si cruels revers aux Russes. Même avec les contingens, d’ailleurs irréguliers et fort équivoques, d’Ismaïl-Pacha, l’armée turque ne pouvait plus espérer tenir sérieusement ; elle ne comptait plus 20,000 hommes, elle avait perdu la plus grande partie de son artillerie, et elle avait à tenir tête aux poursuites combinées d’Heyman et de Tergoukasof. Elle a voulu néanmoins faire front, ou plutôt elle a été obligée de se battre pour couvrir sa retraite, et encore une fois elle a eu la mauvaise chance de voir son arrière-garde coupée à Hassan-Kalé. Après cela, Moukhtar et Ismaïl n’avaient plus qu’à se jeter sous Erzeroum, où ils ont été suivis par les Russes, et où une défense paraît avoir été organisée. Les dernières affaires engagées autour d’Erzeroum, sur les hauteurs de Deveboyoum, auraient été favorables aux Turcs, et elles sembleraient prouver dans tous les cas que les Russes n’ont peut-être pas les moyens de vaincre une certaine résistance, si elle leur est opposée. En réalité, la situation militaire, telle qu’elle apparaît aujourd’hui, est celle-ci : la place de Kars, qui est le poste avancé et la clé de l’Arménie turque, est de nouveau et plus que jamais sous le coup d’un blocus rigoureux. Erzeroum, qui est la capitale arménienne et le réduit suprême de la défense, voit les Russes autour de ses murs. La question est de savoir si Kars a assez de forces, assez d’approvisionnemens pour soutenir un long siège, et si Erzeroum peut se défendre. De toute façon, l’Arménie est en péril ; les Turcs ont perdu d’un seul coup tous les fruits d’une campagne qu’ils avaient commencée avec avantage. Leur dernière ressource est dans le temps, si le temps leur est accordé pour se réorganiser, et dans l’hiver, si l’hiver vient à propos pour créer aux Russes des difficultés nouvelles.

La lutte n’a point été signalée par de tels désastres pour les Turcs en Bulgarie. Là aussi cependant la situation militaire prend de jour en jour un certain caractère de gravité. Du sort de Plevna dépend peut-être l’issue de la guerre, et la position de Plevna n’est rien moins qu’assurée. Le nouveau système de guerre adopté sous la direction du général Totleben et appuyé par les puissans renforts arrivés successivement du centre de l’empire, ce système est plus menaçant et peut-être plus efficace que les assauts de vive force vainement tentés jusqu’ici. Tous les efforts des Russes tendent maintenant à enfermer Plevna dans un cercle de fer, et ils ont été poursuivis depuis quelques semaines avec assez de vigueur pour que l’investissement semble à peu près complet. Les dernières opérations que le général Gourko a été chargé de conduire à Dubnik, à Telish, et auxquelles Chevket-Pacha n’a pas pu s’opposer, coupent la ligne directe d’Orkhanie, par où Osman-Pacha recevait jusqu’ici ses ravitaillemens. D’un autre côté, la pointe que le général Skobelef vient de faire sur Wratza, au sud-ouest de Plevna, indique le dessein de fermer les communications de toutes parts et même de se ménager un moyen de tourner les Balkans. Les Russes manœuvrent et agissent maintenant avec une prudence habile qui n’exclut pas sans doute, à un moment donné, quelque résolution plus hardie. Osman-Pacha, de plus en plus serré dans les positions où il a su se rendre inexpugnable, tentera-t-il de se dégager par son propre effort ? A-t-il assez de vivres, de munitions pour prolonger sa défense et attendre qu’on le dégage ? Osman-Pacha est jusqu’ici l’homme le plus silencieux, le plus mystérieux de cette guerre. Il ne dit rien, on ne sait à peu près rien de lui, si ce n’est qu’il est toujours debout. Après les preuves d’aptitude militaire et d’énergie qu’il a données jusqu’ici, il semble assez douteux qu’il se résigne à attendre dans l’inaction, dans sa muette impassibilité l’heure d’une capitulation inévitable. Le gouvernement de Constantinople, malgré les intrigues où il se perd, ne peut, lui non plus, se dispenser de songer à cette situation. Méhémet-Ali, l’ancien généralissime de Choumla, vient d’être envoyé à Sofia pour rassembler une armée nouvelle. Si Chevket-Pactia, avec les forces qu’il a autour d’Orkhanie, est hors d’état d’agir efficacement par lui-même, il peut concourir à un effort commun. Suleyman-Pacha a son armée intacte vers Rasgrad. Les forces sont en présence, et rien n’est compromis, rien n’est décidé, si tout semble incertain.

Jusqu’à quel point cependant laissera-t-on se prolonger cette guerre en Europe et en Asie ? Combien de torrens de sang devront encore couler ? C’est peut-être le secret de prochains événemens militaires qui pourront donner la signal de quelque tentative pacificatrice en réveillant les pensées de médiation. La diplomatie, dans tous les cas, reste jusqu’ici pleine de mystère et de réserve ; elle ne se compromet pas, et ce n’est pas l’Angleterre qui semble décidée à se risquer la première, si on en juge par le langage que lord Beaconsfield a tenu ces jours derniers au banquet du lord-maire. Lord Beaconsfield a eu des paroles aimables pour tout le monde, il a mis son art le plus raffiné à dorer la neutralité absolue de l’Angleterre. Cette neutralité a certainement rendu service à la Turquie en lui offrant l’occasion de montrer qu’elle n’est point « un mythe, » que son gouvernement n’est point un « fantôme, » que « son peuple n’est point épuisé, » qu’elle a en un mot toutes les ressources de vigueur et d’habileté nécessaires pour figurer parmi les grandes puissances ! Assurément la Russie a pu montrer, elle aussi, qu’elle a du courage, et on a rendu à son armée le service de lui laisser cette occasion de prodiguer son sang ! Comment maintenant réconcilier les deux puissances ? Lord Beaconsfield ne peut oublier que « le tsar, avec la magnanimité qui caractérise son esprit élevé, a déclaré à la veille de la guerre que son seul but était d’assurer le bonheur des sujets chrétiens de la Porte… » Il se souvient en même temps que le sultan s’est déclaré : prêt à accorder toutes les réformes désirables. Lord Beaconsfield, invoquant Walpole, recommande aussi « d’essayer un peu de patience. Si ce n’est pas un commencement de médiation, c’est au moins le trait d’un homme d’esprit qui se tire d’embarras pour le moment, au risque de se réveiller en face de quelque plan de pacification orientale que l’Angleterre pourrait bien ne pas trouver aussi ingénieux ni même satisfaisant.

Bienheureux sont les peuples dont l’histoire n’est troublée ni par des guerres extérieures ni par de graves conflits intérieurs, et qui, pour toute émotion publique, n’ont qu’une modeste crise ministérielle née paisiblement, dénouée correctement. La Hollande est un de ces heureux pays. Elle a son rôle, ses agitations d’opinion, ses intérêts diplomatiques dans le mouvement qui emporte l’Europe et dont elle peut ressentir les contre-coups ; mais c’est une nation prudente et calme qui sait conduire ses affaires sans trouble, qui aime son indépendance, ses lois, ses libertés, et qui trouve sans effort la paix dans le jeu naturel de ses institutions. Un cabinet a cessé de vivre récemment à La Haye, un cabinet nouveau s’est constitué, la crise a pu être laborieuse, elle a pu même, en se prolongeant pendant quelques jours, impatienter un peu l’opinion, elle n’a pas été au fond une complication bien grave, quoiqu’elle ait peut-être sa signification.

Lorsque les états-généraux de Hollande se réunissaient au mois de septembre à La Haye, il y avait déjà quelques nuages lentement formés entre le ministère et le parlement. Le ministère présidé par M. Heemskerk existait depuis 1874. Il avait été porté au pouvoir par un mouvement conservateur, comme le représentant modéré d’un parti qui a eu une influence considérable par ses opinions comme par le talent et l’expérience de ses chefs. M. Heemskerk est lui-même un homme d’une supériorité reconnue, et le ministère qu’il a dirigé depuis trois ans n’a point eu une existence inutile. Il a montré le plus sérieux dévoûment à la cause nationale en dévoilant avec une loyale française les défectuosités du système de défense du pays et en proposant d’y remédier. Le ministre de la justice, M. van Lynden, a entrepris des réformes d’une certaine importance. Le ministre de la marine, M. Taalman Kip, a déployé de l’activité. Malgré tout cependant, le ministère ne pouvait avoir raison d’un malaise assez sensible dans le parlement. La plupart des propositions qu’il faisait restaient en suspens ou elles étaient tellement transformées qu’il ne pouvait plus les reconnaître comme son œuvre. En un mot, il n’avait pas une action politique suffisante sur la chambre, il n’avait plus de majorité. Il s’était affaibli par des raisons diverses, d’abord parce que le parti conservateur a perdu quelques-uns des hommes distingués qui étaient sa force, et ensuite parce que depuis quelque temps les opinions sont devenues plus vives, plus exigeantes autour de lui. La lutte s’est animée sur certaines questions, et en Hollande aussi, comme dans bien d’autres pays, ce conflit a éclaté au sujet de l’enseignement primaire, à propos de la direction de cet enseignement, il s’agissait de la réforme d’une loi, vieille de plus de vingt-cinq ans, qui régie les conditions des écoles publiques et des écoles privées. Les protestans orthodoxes ou « antirévolutionnaires, » ayant pour alliés les catholiques, n’aspirent qu’à étendre les libertés de l’enseignement privé ; les libéraux veulent étendre et fortifier l’enseignement public. M. Heemskerk, arrivant au dernier moment avec un projet de conciliation entre les partis, a eu le sort qu’ont trop souvent les médiateurs les mieux intentionnés. Il n’a satisfait ni les uns ni les autres : pour ceux-ci il accordait trop peu, pour ceux-là il accordait trop.

C’est là justement la situation qui s’est dessinée dès l’ouverture de la session des états-généraux de La Haye. Le projet du gouvernement était tout prêt à être livré à la discussion. Vainement le ministère a insisté pour en maintenir au moins les principes essentiels, pour pousser jusqu’au bout sa tentative de conciliation ; la majorité libérale, fortifiée par les élections du mois de juillet dernier, grossie de quelques autres fractions hostiles au projet ministériel, a répondu en refusant le débat dans ces termes, en constatant dans l’adresse au roi le désaccord entre la chambre et le cabinet. Et le chef de l’opposition hollandaise, M. Kappeyne van de Coppello, lui aussi, s’est donné la satisfaction de placer M. Heemskerk dans l’alternative de se conformer aux vœux de la chambre ou de laisser la tâche à d’autres, — enfin « de se soumettre ou de se démettre ! » Heureusement pour la Hollande, le dilemme est moins grave à La Haye qu’ailleurs. S’il y a eu au premier instant dans le gouvernement quelque velléité d’aller jusqu’à une dissolution de la chambre, cette pensée, qui n’était d’ailleurs nullement celle de tous les ministres, n’a pas tenu devant la majorité assez forte qui s’est prononcée, — 44 contre 28, — et le ministère s’est démis de bonne grâce. L’enfantement d’un nouveau cabinet n’a pas été aussi facile qu’on le croyait ; il a duré près de trois semaines. Ce n’est qu’aux premiers jours de ce mois qu’est apparu un ministère dont le chef naturel est le leader reconnu des libéraux dans la dernière campagne. M. Kappeyne van de Coppello est du reste, lui aussi, un homme supérieur dans son parti, jurisconsulte éminent, orateur d’une vigoureuse intelligence et d’une merveilleuse lucidité de parole. Le nouveau ministre des affaires étrangères est M. de Heekeren von Kell, depuis longtemps directeur du cabinet du roi. Les finances passent à M. Gleichman, qui a été secrétaire de la banque et qui a la réputation d’un habile praticien. Le portefeuille de la guerre est confié à M. de Roo, officier d’infanterie et député, qui s’est signalé par ses travaux militaires, par ses idées sur l’organisation de la défense nationale. Le ministre des colonies, M. Van Bosse, est un homme déjà éprouvé au pouvoir, vieillard plein de verdeur et d’activité. C’est M. van Bosse qui, comme ministre des finances, a inauguré il y a bien des années le libre échange en Hollande.

Évidemment le nouveau cabinet de La Haye a en lui-même assez de ressources d’expérience et de talent pour faire le bien dans un pays si calme, si fermement attaché au régime constitutionnel. Il a cependant encore à se présenter devant les chambres, dont les travaux ont été suspendus pendant la crise ministérielle ; alors seulement on aura la mesure de la politique qu’il se propose de suivre, de l’autorité qu’il peut prendre et du concours que le parlement pourra lui prêter. CH. DE MAZADE.

CORRESPONDANCE

LE DRUIDISME. — L’ARMÉE GAULOISE A LA BATAILLE D’ALESIA.

A M. ALBERT RÊVILLE


Monsieur,

L’intéressant travail que vous avez publié dans la Revue des Deux Mondes[1], sous le titre de Vercingétorix et la Gaule au temps de la conquête romaine, est une de ces œuvres de vulgarisation qu’on ne saurait trop encourager. L’histoire, présentée sous une forme concise, élégante, dégagée de l’appareil de citations qui encombre les œuvres d’érudition, et rendue ainsi plus accessible aux gens du monde, contribue puissamment à l’éducation nationale en faisant pénétrer partout la connaissance, malheureusement encore bien incomplète, des origines et de la vie des peuples, et en particulier des Gaulois nos aïeux. Mais il est à peine besoin d’ajouter que les productions de ce genre ne seraient pas sans inconvéniens si leurs auteurs s’écartaient trop des véritables données de la science. C’est pourquoi je pense remplir un devoir en vous signalant ici trois points de votre travail, qui me semblent exiger des rectifications ; ce sont les suivans :

1° Le mode et la date d’établissement du druidisme en Gaule ; 2° la liste des peuplades gauloises qui eurent à fournir des contingens de guerriers pour l’armée de secours destinée à dégager Vercingétorix enfermé dans Alesia, et le chiffre de chacun de ces contingens ; 3° la comparaison de ces contingens entre eux, et la signification des différences qui les séparent, au point de vue de la politique des partis qui divisaient la nation gauloise.

Après avoir rappelé que, d’après certains auteurs, les druides seraient entrés en Gaule six ou sept siècles avant l’ère chrétienne avec la puissante immigration qui vint alors d’Asie à travers l’Europe centrale, vous regardez comme beaucoup plus probable que le druidisme est un produit autochthone, antérieur aux invasions mentionnées par les historiens ; qu’il est en quelque sorte le fruit du génie gaulois, du genius loci ; il se serait formé au sein des populations les plus anciennement fixées sur notre sol, probablement au sein de ces forêts du pays chartrain où se tenaient les assises annuelles de la Gaule[2]. Sans entrer autrement dans la discussion de votre théorie, je puis bien faire remarquer, monsieur, qu’en l’exposant, vous n’avez tenu aucun compte (en tout cas vous n’en parlez point) d’un texte formel des Commentaires de Jules César qui la contredit ; on y lit en effet (je traduis littéralement) que, « d’après la croyance générale, le druidisme fut trouvé dans l’île de Bretagne (Angleterre) et transporté de là en Gaule, et que, de son temps, ceux qui voulaient acquérir une connaissance approfondie de cette doctrine allaient la chercher dans cette grande île[3]. »

Voilà un témoignage positif, précis, émané de l’historien conquérant, de celui qui a recueilli en Gaule et dans l’île de Bretagne les élémens de ce précieux inventaire des traditions et de l’état moral et économique de la confédération autonome : témoignage que ne contredit aucun texte, aucun document de quelque autorité, aucun fait probant. Il en résulte que, suivant l’opinion commune parmi les Gaulois, la doctrine druidique leur était venue de la Grande-Bretagne, où elle avait été trouvée ; il ne paraît donc pas exact de prétendre qu’elle ait été produite spontanément par la Gaule, comme le fruit du genius loci. En tout cas, puisque vous aviez des raisons de penser qu’il en était autrement, il eût été peut-être utile de faire connaître à vos lecteurs l’objection assurément très grave que rencontre votre opinion.

A quelle date le druidisme a-t-il été importé de Bretagne en Gaule, ou bien, en me plaçant au point de vue que vous avez développé, à quelle époque aurait-il pris naissance sur notre territoire ?

Ce ne pourrait être avant les invasions des Gaulois dans l’Italie du nord, puisqu’on n’en retrouve aucune trace dans la Cisalpine, que les peuplades gauloises ont si longtemps habitée. Or, la date de ces invasions se place, d’après Tite-Live, en l’an 600 avant Jésus-Christ ; selon M. Th. Mommsen et plusieurs autres savans, au commencement du IVe siècle ; et, suivant une opinion que nous avons récemment exposée devant l’Académie des inscriptions et belles-lettres[4], dans la deuxième moitié du VIe siècle avant notre ère. Je n’ai pas à débattre ici cette question. Il suffit de montrer qu’aucune des trois solutions proposées ne se concilierait avec l’existence du druidisme en Gaule, antérieurement au VIe siècle[5], et surtout avec l’idée de la génération spontanée de cette doctrine religieuse et de cette organisation sacerdotale sur notre sol. Vous aviez incontestablement le droit d’émettre, comme vous l’avez fait, cette dernière idée ; mais vous reconnaîtrez qu’il était utile, sinon nécessaire, de prévenir les lecteurs des sérieux obstacles auxquels elle venait se heurter. Je passe sans transition à la deuxième partie de mes observations. Il ne s’agit plus ici, monsieur, d’un système historique sur lequel des opinions divergentes peuvent être librement conçues et discutées ; il ne s’agit même pas seulement d’une question d’interprétation de textes, mais bien de textes à rétablir, et de rectifications à opérer dans les termes qui vous ont servi à reproduire un des chapitres les plus curieux et les plus importans des Commentaires.

À l’appel de Vercingétorix, enfermé avec ses troupes ; dans Alesia (Alise-Sainte-Reine), et assiégé par César, les chefs de la plupart des nations gauloises se réunirent en assemblée générale, et fixèrent le nombre de guerriers que chacune d’elles devrait fournir pour une armée de secours. La liste de ces peuplades et de leurs contingens remplit le chapitre LXXV du livre VII des Commentaires ; vous avez cru, avec M. Mounier[6], qu’elles y étaient taxées d’une manière très, inégale et hors de proportion avec leurs forces respectives, dans un dessein de prédominance du parti oligarchique, secrètement porté vers l’alliance romaine, et représenté par les Éduens, (Bourgogne), sur le parti démocratique et unitaire, représenté par les Arvernes (Auvergne), et résolu à combattre sans relâche l’intrusion et l’invasion romaines. « Les deux peuples sont, dites-vous, taxés chacun à 35,000 hommes ; mais l’égalité est bientôt rompue au profit du premier. Le groupe des Séquanes, des Sénons et autres fournira seulement 12,000 hommes ; les Bellovakes 10,000, les Lémovikes, les Pictons et d’autres, ensemble 8,000 ; les Suessions, les Ambiani et d’autres, ensemble seulement 5,000… Tandis que les Rauraques et les Boïens doivent en donner 30,000, la grande confédération armoricaine, y compris les Calètes (Caux), n’en enverra pas plus de 6,000… C’est surtout cette disproportion frappante entre le contingent de l’Armorique, grande et belliqueuse confédération, et celui des Boïens joints aux Rauraques, alliés ou cliens des Éduens, cantons de médiocre importance, qui permet de découvrir le mobile d’une telle répartition. On mêle ensemble des combattans originaires de pays éloignés les uns des autres, qui ne se connaissent pas, les Séquanes par exemple avec les gens de Saintonge, les Tourangeaux, avec ceux du Vivarais, les Messins avec les Périgourdins, gens sans prétention, mais qui, joints à leurs voisins, auraient pu former des groupes de taille à balancer la prépondérance éduenne[7]. »

J’ai dû citer presqu’en son entier, monsieur, ce passage de votre travail, à cause des inexactitudes que je suis forcé d’y relever et que vous avez empruntées au livre de M. Mounier[8] : elles proviennent, les unes de l’emploi d’une édition défectueuse et sans doute déjà ancienne de César, les autres d’une interprétation fautive et contraire à celle des traducteurs des Commentaires. Je vais mettre sous les yeux du lecteur une traduction littérale des parties de ce texte qui nous intéressent, d’après une édition que M. Œhler a publiée, en 1862, à la célèbre librairie de Teubner de Leipzig et qui ne diffère sensiblement ni de la très savante édition de Car. Nipperdey (1847), ni de celle que M. Bernard Dinter a fait paraître, en 1876, dans la collection des classiques grecs et romains de Teubner[9]. Il me sera facile ensuite de mettre en évidence les rectifications que comporte votre version :

« Les chefs réunis en assemblée générale imposent aux Éduens (Bourgogne) et à leurs cliens les Ségusiaves (Forez-Lyonnais), etc., 35,000 hommes ; un pareil nombre aux Arvernes (Auvergne), y compris les Éleuthères Cadurques (Quercy), les Gabales (Gévaudan), les Vellaves (Velai), qui ont coutume d’être sous le commandement des Arvernes ; aux Séquanes (Franche-Comté), aux Sénons (Sens), aux Bituriges (Berry), aux Santons (Saintonge), aux Rutènes (Rouergue), aux Carnutes (pays chartrain), 12,000 ; aux Bellovakes (Beauvoisis), 10,000 ; autant aux Lémovikes (Limousin) ; 8,000 aux Pictons (Poitou), et aux Turons (Touraine), et aux Parisiens (pays Parisis), et aux Helvètes (Genève, Valais, etc.) ; 5,000 aux Sénons (encore le pays de Sens), aux Ambiani (Amiénois), aux Médiomatrikes (Messin), aux Pétrocoriens (Périgord), aux Nerviens (Liège et Namur), aux Morini (Boulonnais), aux Nitiobriges (Agenais) ; autant aux Aulerkes Cénomans (pays du Maine) ; 4,000 aux Atrébates (Artois) ; 3,000 aux Velliocasses (Vexin-Rouennais), aux Lexoviens (Lisieux), et aux Aulerkes Éburovices (Évreux) ; 3,000 aux Rauraques (Bâle-Argovie), et aux Boïens (entre Loire et Allier) ; 30,000 à toutes les cités qui atteignent l’Océan, et au nombre desquelles sont les Curiosolites, Redones, etc. »

La première observation que suggère la lecture de ce chapitre, c’est que les peuples gaulois y sont dénombrés par séries correspondant aux chiffres des contingens de chacun, et dans un ordre décroissant depuis 35,000 jusqu’à 3,000. Ainsi les nations éduenne et arverne, avec leurs cliens, sont taxées à 35,000 chacune ; vient ensuite la série des cités, taxées à 12,000 chacune et non ensemble, comme vous l’avez cru ; puis les contingens de 10,000, puis de 8,000, de 5,000, de 4,000 et de 3,000 ; enfin pour toutes les tribus armoricaines, dont quelques-unes seulement sont nommées, un chiffre collectif de 30,000. C’est donc simplement une nomenclature où les nations figurent successivement dans un rang exclusivement déterminé par le nombre des effectifs armés que chacune doit envoyer. J’ai dit chacune, parce que les chiffres fixés sont obligatoires pour chaque tribu taxée. Jusqu’ici, tous les traducteurs, depuis le vieux Perrot d’Ablancourt (1650) jusqu’aux plus récens, tels que M. Artaud et M. Louandre (1873), tous, disons-nous, ont entendu ainsi le texte qui nous occupe.

Et il ne peut en être autrement. Comment en effet expliquerait-on que telle ou telle série composée de sept peuplades importantes ne fournît qu’un contingent de 5,000 hommes, quand celle des Cénomans (Maine), inférieure à chacune d’elles prise isolément quant à l’étendue du territoire et à l’importance de la population, fournissait à elle seule le même nombre ? En outre, si les gens de cette même série, qui comprenait à la fois des nations de l’est, du nord et du nord-ouest (Amiens, Boulonnais, Namur, Metz, Sens), et des peuplades du sud et du sud-ouest (Périgord-Agenais), avaient eu à donner ensemble un effectif de 5,000 hommes, comment ces nations auraient-elles pu former, à si grande distance les unes des autres, ce petit contingent ? Dans quelle proportion chacune aurait-elle dû y contribuer ? Il eût été, dans l’hypothèse où vous vous êtes placé, indispensable de la déterminer en même temps que le chiffre du contingent, car, à défaut de ce règlement, la décision aurait été absolument inexécutable : or, il n’y a dans les Commentaires nulle trace de cette sous-répartition nécessaire du contingent.

Ces disparates et ces impossibilités prouvent manifestement que l’interprétation par vous donnée du texte de César est contraire à la pensée de l’auteur, en même temps qu’elle est en opposition avec celle qu’ont adoptée les historiens et les commentateurs à toute époque et en tout pays. Eh réalité, monsieur, vous avez pris pour le contingent collectif d’un groupe de tribus ce qui était le taux des contingens d’une série de tribus, intégralement dû par chaque membre de cette série.

Ce n’est pas tout ; vous avez basé votre travail sur la liste publiée par M. Mounier[10], ou sur une liste qui lui est identique, sauf l’erreur concernant les Lémovikes, que vous avez rangés à tort dans la série des tribus taxées à 8,000. En tout cas, le point de départ de cette version est une édition vicieuse, probablement ancienne, et contenant des leçons qui ont été depuis un assez long temps rejetées par les savans. Je ne relèverai pas ici toutes ces leçons[11] : je me bornerai à celle qui a une importance particulière, puisque c’est principalement sur elle que vos aperçus historiques sont fondés ! je veux parler des Rauraques et des Boïens, dont vous opposez le gros chiffre de 30,000 au faible effectif de 6,000, imposé à la grande confédération armoricaine. Eh bien ! dans les éditions de Nipperdey, d’Œnler et de Dinter, ces chiffres sont changés ou déplacés : le premier a rationnellement attribué aux cités de la confédération armoricaine le nombre XXX. (30,000) qui est placé entre elles et les Rauraques et Boïens, et que jusque-là on avait regardé comme s’appliquant à ces derniers. Ceux-ci se sont trouvés par suite privés de tout chiffre de contingent, et Nipperdey a laissé la place en blanc. MM. Œhler et Dinter ont adopté la leçon de Nipperdey, mais, ils sont allés plus loin et se sont efforcés de déterminer le chiffre du contingent des Rauraques et des Boïens, M. Dinter en ajoutant arbitrairement le mot bina (2,000), et M. Œhler en ajoutant terna, (3,000), qu’il suppose, avec une certaine vraisemblance, avoir pu être omis par les copistes, qui y auront vu une répétition inutile de ce mot écrit à la suite des Éburovices. Quoi qu’il en soit à l’égard de ces additions, il reste un point unanimement fixé par les trois savans éditeurs, c’est que le nombre XXX (30,000) désigne l’effectif imposé à l’Armorique, et non ceux des Rauraques et des Boïens.

Dès lors, vous le voyez, monsieur, le fait qui vous a si vivement frappé, la disproportion des contingens avec l’importance respective des peuples taxés, n’existe pas plus que le groupement systématique de ces peuples, que vous pensiez avoir été imaginé en vue d’une prépondérance politique et militaire à établir au profit du parti des Éduens.

Vous avez, à la vérité, invoqué à l’appui de cette thèse, qui est également celle de M. Mounier, le rendez-vous général des contingens fixés sur le territoire des Éduens, et l’attribution de grands commandemens à deux de leurs chefs, Viridomar et Éporédorix. Mais ces argumens me paraissent n’avoir pas une portée bien sérieuse. L’oppide d’Alesia, où Vercingétorix était enfermé et qu’il s’agissait de dégager, était sur le mont Auxois, à Alise-Sainte-Reine, en pleine Bourgogne, au pays des Éduens ; cette identification a été contestée, mais vous-même, monsieur, vous l’avez adoptée, et avec raison je crois. Or, n’était-il pas naturel et même nécessaire d’assigner aux troupes destinées à composer l’armée de secours un point de rassemblement sur le territoire éduen, aussi près que possible du théâtre de l’action afin d’éviter des contre-marches, des pertes de temps, et surtout l’énorme difficulté de faire mouvoir à la fois et longtemps une aussi grande masse d’hommes ?

Quant au choix des chefs, il ne faut pas perdre de vue que le généralissime des Gaulois était l’Arverne Vercingétorix : un des quatre commandemens de l’armée de secours fut confié à Vercassiveilaunus, qui était également Arveme et cousin de Vercingétorix ; il fut probablement chargé de diriger les contingens du centre, du sud-ouest et du sud. Commius l’Atrébate (de l’Artois) reçut un autre commandement et eut sans doute sous ses ordres les guerriers de l’ouest, du nord-ouest et du nord. N’était-il pas rationnel et juste de réserver la conduite des effectifs armes du sud-est, de l’est et du nord-est à deux chefs de la puissante cité éduenne, qui fournissait, avec ses cliens, un effectif égal à celui des Arvernes, dont dépendait la citadelle assiégée, sur le territoire de laquelle la lutte était si violemment engagée, et sur laquelle plus que sur toute autre peuplade s’appesantissait le poids de la guerre ? Je ne vois là aucun indice sérieux de manœuvres jalouses et de dispositions à la défection.

Ce qui est plus grave et qu’avec M. Mounier vous avez fait judicieusement ressortir, c’est la différence de conduite des généraux éduens et de leurs hommes (dont César ne signale nulle part l’action, ni même la présence sur le champ de bataille) et du général arverne Vercassivellaunus : « C’est surtout, dit-il, aux fortifications supérieures (d’en haut), où ce chef a porté ses efforts, que l’action est chaude, maxime laboratur[12]. » Et quand, après une lutte acharnée, après des alternatives de revers et de succès, les Gaulois sont définitivement vaincus, nous voyons ce même guerrier tomber vivant aux mains des ennemis, et Sédulius, prince des Lémovikes (limitrophes des Arvernes), périr dans la mêlée. Ces deux noms sont les seuls que le vainqueur ait mentionnés parmi les victimes de cette néfaste journée, noms glorieux et chers aux fils des Gaulois, dignes d’être inscrits sur le livre d’or de la patrie, à côté du grand nom de Vercingétorix.

Il est donc vraisemblable, et cet aveu est douloureux à faire, que les Arvernes et leurs amis et alliés ne furent pas aidés, comme ils auraient dû l’être, par les troupes des Éduens et de leurs cliens, et que ceux-ci virent peut-être avec une secrète joie la défaite et la ruine de leurs rivaux.

Je ne saurais assez vous louer, monsieur, d’avoir mis en un relief saisissant l’idée dominante du jeune chef arverne quand il entreprit contre Rome cette lutte gigantesque dont l’issue devait être si fatale à lui et à son pays : c’était l’idée de « la commune indépendance à recouvrer » et de l’unité gauloise à fonder. Nous en trouvons l’énergique expression dans un admirable discours qu’il prononça au milieu des représentans de toutes les nations gauloises réunies pour délibérer sur la question de continuation ou de cessation de la guerre[13], Il répondait ainsi aux plus hautes aspirations de la confédération, telles que nous les révèlent ces assises annuelles, concilia publica, où se débattaient ses intérêts généraux, cette ardeur généreuse, cet esprit de sacrifice pour la résistance à l’étranger, et ces luttes mêmes d’influence entre les tribus les plus puissantes, qui se disputaient la suprématie. Et, à ce sujet, vous me pardonnerez, monsieur, de rappeler que, dans une publication qui remonte à dix-sept ans, j’avais réuni en un faisceau, pour les montrer à nos concitoyens, les diverses manifestations, dans la vieille Gaule, de cette nationalité déjà vivante et passionnée pour son indépendance, et dont les efforts instinctifs tendaient à constituer une direction politique[14].

Vous pouvez juger par là, monsieur, du vif intérêt et de la profonde sympathie avec lesquels j’ai lu votre étude sur Vercingétorix et le livre qui en a été l’occasion : ma pensée serait exprimée d’une manière imparfaite si je n’ajoutais que toute âme française vous saura gré des termes si élevés et si touchans que vous avez consacrés à exalter la mémoire du vaillant champion de la liberté et de l’unité gauloises ; de cet adolescent de génie, dont le patriotisme ardent, l’activité, l’audace, les talens militaires et la fin héroïque font songer à la Vierge guerrière de Domrémy, à la glorieuse libératrice du sol français au XVe siècle, à la noble, j’allais dire à la sainte martyre de Rouen !


M. DELOCHE.


À M. MAXIMIN DELOCHE, DE L’INSTITUT DE FRANCE.


Monsieur,

Veuillez agréer l’hommage de ma gratitude pour la critique aussi judicieuse que bienveillante dont mes deux articles des 15 août et 1er septembre derniers ont été l’objet de votre part. Votre compétence en pareille matière en double le prix à mes yeux, et si je ne peux, après un nouvel examen, me rendre à toutes vos observations, ce n’est pas sans une certaine timidité que je vous soumets à mon tour les raisons qui me paraissent plaider en faveur des thèses que j’ai avancées. Vous exprimez d’abord le regret que je n’aie pas appuyé de preuves suffisantes mon assertion, contraire, je le reconnais, à l’opinion du plus grand nombre des historiens qui ont traité le même sujet, concernant les origines du druidisme. D’après moi, ce sacerdoce serait autochthone, un fils du genius loci, et non pas une importation d’outre-Rhin ou d’outre-Manche, et vous vous étonnez de ce que je n’aie pas cité le passage des Commentaires (Bell. Gall, VI, 13) où César dit textuellement que l’on croit (existimatur) la doctrine druidique originaire de l’île de Bretagne et transportée de là en Gaule.

Il me semblait pourtant avoir suffisamment montré qu’on ne pouvait ajouter qu’une foi très médiocre aux renseignemens superficiels et transmis avec quelque dédain par le conquérant de la Gaule surtout ce qui a rapport au druidisme. Ses Commentaires eux-mêmes fournissent en abondance les élémens de cette démonstration. Cela reconnu, était-il bien nécessaire de discuter cette allégation que César lui-même ne garantit nullement (existimatur), et dont son propre récit autorise si fortement à douter ? Quelle trace d’une puissante institution sacerdotale établie en Bretagne trouvons-nous dans son narré de la double expédition qu’il dirigea contre l’île britannique, c’est-à-dire, dans l’hypothèse, contre la « terre-sainte » de la religion druidique ? Comment se fait-il que, voulant y porter la guerre, il ne trouve personne qui puisse le renseigner sur ce pays, ses institutions, ses ressources guerrières, vu, dit-il, que, seuls, quelques marchands vont trafiquer sur les côtes et ne pénètrent jamais à l’intérieur (Bell. Gall., IV, 20) ? C’est pourtant là (VI, 13) que ceux qui veulent étudier de près la doctrine druidique, et il y en a beaucoup, se rendraient pour la plupart. Et Tacite ne mérite-t-il pas plus de confiance (Agric, 11), quand il nous dit que la religion gauloise fut portée dans l’île de Bretagne par les Gaulois qui en vinrent occuper la partie méridionale ? D’ailleurs est-il vraisemblable que ces Gaulois d’outre-mer, bien inférieurs en civilisation relative à ceux du continent, aient fait la conquête sacerdotale de la transalpine entière au point de la transformer, pour quelque temps au moins, et comme cela résulterait des données des Commentaires, en une véritable théocratie ?

C’est une raison du même genre qui me porte à rejeter les hypothèses avancées par les historiens qui feraient plus volontiers venir le druidisme en Gaule avec une des immigrations sorties de la Germanie. Tout porte à croire que les nouveau-venus furent chaque fois très inférieurs aux anciens occupans du sol (je parle, bien entendu, des époques où commencent à luire quelques rayons d’histoire), et qu’ils adoptèrent la religion du lieu bien plutôt qu’ils ne la fondèrent. Le fait reconnu par tous les historiens, sauf par quelques Allemands jaloux, je ne sais trop pourquoi, de nos druides, que l’on ne découvre aucun vestige du druidisme proprement dit hors de la transalpine, pas même au sein des populations congénères d’Italie, du Danube et d’Asie-Mineure, me paraît confirmer très fortement cette appréciation.

Si donc il est invraisemblable que le druidisme soit venu d’outre-Manche ou d’outre-Rhin, que reste-t-il à supposer quant à ses origines, si ce n’est qu’ayant pourtant bien dû naître quelque part, il est né tout bonnement sur le sol où il a vécu et fleuri ? César nous rapporte (VI, 18) que les Gaulois disent avoir reçu des druides une tradition selon laquelle ils seraient tous descendus de Dis, c’est-à-dire, dans le symbolisme du narrateur, du Dieu souterrain, du sol lui-même. Il serait bon de compléter cette notice par celle plus précise de Timagène, reproduite par Ammien Marcellin, et d’après laquelle les druides n’assignaient cette origine autochthone qu’à une partie de la population gauloise, ce qui est bien plus vraisemblable. Seulement on peut conclure de l’assertion de César que les druides eux-mêmes se considéraient comme faisant partie des Gaulois fils de Dis, et par conséquent de la population indigène proprement dite. Cela me paraît, je vous l’avouerai, beaucoup plus probable et plus probant que la relégation des origines druidiques dans la brumeuse et lointaine Albion. Vous aurez pu remarquer Les fortes préventions que je nourris contre cet intrigant de Divitiac, bien connu pour avoir brigué les faveurs de l’ennemi juré de la Gaule, contre ce druide ambitieux et retors, que je soupçonne véhémentement d’être l’auteur principal des hâbleries débitées à César sur la constitution, la puissance énorme, les prétentions exorbitantes de la corporation dont il était membre. Qui sait s’il n’entra pas dans ses plans de désigner ce pays inconnu, que l’on pouvait croire inaccessible à une armée romaine, comme le foyer mystérieux, inabordable, des secrets, des influences et des traditions théocratiques ? C’était bien loin pour y aller voir. Et, puisque nous sommes en train de faire des suppositions, qui pourrait, dire jusqu’à quel point la peur de voir s’évanouir cette légende aux yeux du hardi capitaine prêt à s’embarquer ne fut pas pour quelque chose dans les résistances désespérées de Dumnorix, frère de ce Divitiac, non moins ambitieux que lui et qui ne voulut absolument pas (religionibus impeditus, disait-il) suivre César dans cette expédition, ce qui fut cause de sa mort ou de son assassinat (Bell. Gall., V. 7) ?

Mais laissons ce détail, et, pour revenir à la thèse principale, disons que la grande extension du druidisme en Gaule doit avoir été postérieure à ces invasions de l’Italie du nord, que, vous rapprochant des données de Tite-Live, vous fixez avec une grande sagacité à la deuxième moitié du VIe siècle avant notre ère. Mais cela n’empêche nullement que le druidisme existât déjà dans quelques cantons à l’état d’humble compagnie de sorciers-médecins, sans pouvoir encore passer pour une institution gauloise au sens complet du mot, et dans une phase encore trop embryonnaire pour qu’il y ait quelque chose d’étonnant dans le fait que les bandes émigrantes ne le transportèrent pas avec elles dans leur nouvelle patrie.

Telles sont, monsieur, les réflexions que me suggère votre première critique. J’ajouterai seulement que c’est surtout l’étude des religions comparées qui m’a fait pencher vers l’admission de l’origine indigène du druidisme. Je ne suis pas du reste tout à fait isolé. M. Henri Martin, qui, dans la troisième édition de son Histoire de France, considérait encore le druidisme comme importé en Gaule, incline dans la quatrième (I, p. 65) à ne plus voir en lui qu’une réforme ou un développement de l’ancienne religion gauloise. Le fait est que tout ce qu’on rapporte des croyances et des superstitions qu’il propageait parait tenir à notre sol, à notre flore, à nos forêts. Là où l’arbre pousse, quand on ne peut montrer qu’on l’y a transplanté tout poussé, il est plus simple de penser qu’il y a été semé par la nature, et je crois qu’on peut en dire autant de tous les sacerdoces qui ont marqué dans l’histoire. Ce fut toujours une illusion, souvent favorisée par eux-mêmes, de s’imaginer qu’ils venaient de très loin.

Je me suis bien longuement étendu sur ce point, qui, je vous l’avouerai, pique fortement ma curiosité. Je tâcherai d’être plus bref en traitant les deux derniers.

Il est possible de les réunir en un seul. Vous relevez des inexactitudes, contraires au texte scientifiquement révisé, dans la liste que j’ai dressée des cantons gaulois invités à former l’armée de secours qui devait délivrer l’armée bloquée dans Alise, et des contingens auxquels chacun d’eux fut taxé ; puis, vous en concluez que j’ai eu tort de ranger avec M. Mounier cette répartition parmi les indices tendant à prouver que la faction éduenne la régla conformément à ses ambitions secrètes et à son ardent désir de prépondérance.

L’édition sur laquelle j’ai travaillé est celle de Tauchnitz, 1867. Elle a rétabli quelques-unes des leçons rejetées par les savans recenseurs dont vous citez les éditions, entre autres la mention des Helves, non des Helvètes, et le chiffre de 6,000 comme celui du contingent de l’Armorique entière. J’aurais dû, je le reconnais franchement, soumettre à une critique plus soigneuse ce texte, qui s’est prêté plus facilement que d’autres aux erreurs des copistes, et par conséquent aux variantes. J’ai rangé à tort les Lémovikes parmi les cantons à 8,000 hommes. Je ne fais non plus aucune difficulté de reconnaître que les 30,000 hommes exigés des Rauraques et des Boïens doivent être reportés plus vraisemblablement sur les confédérés armoricains, quand même on pourrait se demander pourquoi le chiffre de ce contingent se trouve cette fois précéder les cantons auxquels il est imposé, tandis qu’auparavant le chiffre correspondant les suit.

Mais je ne saurais me ranger à l’opinion qui veut qu’en groupant les cantons gaulois pour indiquer le chiffre du contingent qu’on leur demande, César fait retomber ce chiffre sur chacun des cantons pris isolément. Je persiste à croire que c’est l’ensemble de chaque groupe que visait chaque chiffre indiqué, quitte à se répartir à l’intérieur du groupe sur des bases, que l’historien a jugé inutile de nous faire connaître. Et voici mes raisons : 1° César commence par indiquer le chiffre du contingent collectif des Éduens et de leurs cliens, celui du contingent également collectif des Arvernes et de leurs cliens ; puis il continue en énumérant des groupes de cantons, en énonçant les chiffres d’hommes requis, sans un seul mot qui dénonce qu’à partir de là ces chiffres ne seront plus collectifs, mais devront être multipliés par le nombre des cantons composant chaque groupe. 2° Si l’opinion que je combats était fondée, pourquoi César dirait-il : Bellovacis X (millia), totidem Lemovicibus ; Suessionibus, Ambianis, Mediomatricis, etc, quina millia, Aulercis Cenomanibus totidem ? N’aurait-il pas là aussi réuni en un seul et même groupe les cantons qui auraient dû fournir chacun 10,000 ou 5,000 hommes ? 3° Selon le calcul basé sur la manière de compter que je préfère, on arrive au chiffre très considérable pour l’époque de 163,000 hommes. Or, dans le chapitre suivant, César, voulant montrer avec quelle passion unanime la Gaule entière courut aux armes pour venger ses récentes injures et reconquérir sa liberté, nous apprend que 248,000 hommes répondirent à l’appel désespéré de la patrie. Admettons que ce chiffre soit gonflé, comme cela est fort probable. Toujours est-il que l’intention du narrateur est de nous faire voir que, non-seulement les contingens fixés par les chefs de la résistance furent accordés, mais encore que, l’enthousiasme aidant, ils arrivèrent bien plus nombreux qu’on ne les avait requis. Mais veuillez remarquer, monsieur, que si l’on adopte votre supputation, les contingens répartis sur toute la Gaule atteindraient le chiffre de 280,000 hommes, ou, si l’on tient compte du refus partiel des Bellovakes, à celui de 272,000 combattans. Où serait donc la preuve de la passion patriotique dont la Gaule fut alors saisie ? Un pays taxé à 280,000 hommes et qui n’en fournit que 248,000 ne reste-t-il pas au-dessous des attentes plutôt qu’il ne les dépasse ? Et ne sommes-nous pas bien plutôt en droit de supposer que, dans ce chiffre de combattans, si supérieur à celui qui avait été officiellement fixé, il y a l’indice que les cavaliers de Vercingétorix disséminés dans les cantons transmirent son appel à la levée en masse indépendamment des ordres lancés par le gouvernement provisoire de la fédération gauloise ?

Vous comprendrez par conséquent pourquoi je persiste à soupçonner dans le groupement et la répartition des cantons coalisés des arrière-pensées du genre de celles que j’ai cru pouvoir mettre à la charge de l’oligarchie éduenne. Sans doute, si je n’avais que cet argument à faire valoir, il y aurait de la témérité à en tirer une pareille conclusion. Mais ne concorde-t-il pas avec bien d’autres détails qui convergent dans la même direction ? César lui-même ne nous apprend-il pas (VII, 63) que les chefs éduens, Éporédirix et Virdumar, n’obéissaient qu’à regret à Vercingétorix, et que l’oligarchie éduenne se plaignait amèrement à lui, implorait son indulgence, sans oser encore se séparer de la coalition ? Et vous-même, monsieur, avec votre impartialité de vrai savant, ne vous déclarez-vous pas frappé du rôle plus qu’étrange des chefs éduens et des hommes sous leurs ordres dans les sanglantes mêlées dont la délivrance ou la chute d’Alise était l’enjeu ?

tout en passant condamnation sur quelques erreurs de détail que vous avez eu raison de relever, je crois pourtant que mes conclusions restent entières. Mon plus vif regret est de n’avoir pas eu connaissance, avant de rédiger mes études sur la Gaule, du travail que vous avez publié il y a dix-sept ans sur le Principe des nationalités, et où vous abordiez déjà cette question de la nationalité gauloise, bien trop négligée jusqu’à nos jours, puisqu’elle renferme celle de nos véritables origines nationales. Vous l’avez bien dit, monsieur : il y a incontestablement un air de famille qui rapproche à travers les siècles nos grands libérateurs, ceux en qui s’est incarnée la grande idée de la patrie. Vercingétorix, Du Guesclin, la sainte martyre de Rouen, nos héros les plus purs de la révolution, Adolphe Thiers, malgré toutes les différences de civilisation, de croyances, de caractères, de destinée, sont de même sang, de même race, de même foi nationale. Vercingétorix, dans ses montagnes d’Auvergne, à la veille de voir, mourir la vieille Gaule, eut la vision prophétique de la France, comme Jeanne Darc au fond de ses forêts natales eut celle de la France délivrée du joug étranger. C’est leur esprit qui doit nous inspirer dans nos résolutions aux jours critiques, nous calmer, dans nos dissensions, nous relever dans nos revers. Pénétrons-nous toujours plus de cette idée que, s’il nous arrive d’avoir à souffrir dans nos convictions, dans nos espérances, dans nos affections politiques, il est un malheur bien plus affreux que tous les autres, celui qui consiste à n’avoir plus de patrie.


ALBERT REVILLE.

ESSAIS ET NOTICES.

Mémoires sur l’ambassade de France en Turquie, par M. le comte de Saint-Priest. Publication de l’École des langues orientales vivantes. Paris, 18T7. B. Leroux.


L’École des langues orientales vivantes a entrepris, avec le concours des ministères de l’instruction publique, des affaires étrangères et du commerce, une série de publications qui nous fournissent des documens jusqu’à présent inédits ou non traduits, et qui formeront bientôt toute une collection intéressante à plus d’un point de vue. Plusieurs volumes ont déjà paru, par les soins et sous la surveillance des professeurs de l’école ; aujourd’hui le directeur, M. Ch. Schefer, vient d’éditer une histoire de l’ambassade et des ambassadeurs de France près la Porte-Ottomane depuis François Ier jusqu’à Louis XVI, écrite par le comte de Saint-Priest, ambassadeur du roi à Constantinople (1768-1784).

On pourrait répéter aujourd’hui encore, ces mots que notre ambassadeur écrivait il y a environ un siècle en commençant l’introduction de son travail : « La nation turque est, sans contredit, celle de toute l’Europe dont l’histoire a été écrite avec le plus d’ignorance et d’inattention. » Cette réflexion a peu perdu de son actualité, et elle nous indique ainsi tout d’abord quel sera l’intérêt de l’ouvrage que nous avons sous les yeux ; le titre en limite en même temps la portée précise et nous promet, non pas une histoire de la nation turque, mais un mémoire, des documens qui serviront un jour à l’édification de cette histoire.

Jusqu’à la révolution de 89, nos représentans en Turquie devaient, au retour de leur mission, remettre au roi un mémoire sur les négociations qu’ils avaient dirigées et sur la situation commerciale des Français établis dans les ports du Levant. Cet usage, dont l’utilité ne se ferait plus sentir aujourd’hui, avait alors son importance : on sait quel était le rôle d’un ambassadeur du roi à Constantinople, à quels devoirs multiples il était astreint, aussi bien en ce qui touchait aux affaires soulevées par la situation exceptionnelle de la France vis-à-vis de la Porte que relativement à la protection de nos nationaux, missionnaires, navigateurs et commerçans. De si nombreux intérêts à défendre et, en outre, la difficulté des communications obligeaient nos représentans à un séjour qui souvent dépassait quinze années, et leur imposaient avant tout une responsabilité des plus lourdes dont ils devaient avoir à cœur de se dégager à leur retour en France. Le dépôt d’un mémoire relatif à leur mission avait ce double avantage d’éclairer la cour en justifiant ses mandataires. Le comte de Saint-Priest le comprit à merveille, mais il jugea qu’un séjour de seize ans lui permettait d’étendre son travail : un ouvrage d’un de ses prédécesseurs, le marquis de Bonac (1716-1724), lui fournit les premiers documens nécessaires pour écrire une « histoire de l’ambassade et des ambassadeurs de France auprès des Grands-Seifneurs. » Plus tard, pendant, un voyage qu’il fit à Paris en 1777, il fut à même d’étendre ses recherches et de composer un résumé assez développé des négociations entamées, rompues ou conclues entre la France et la Sublime-Porte depuis François Ier jusqu’aux dernières années du règne de Louis XV. Une introduction rapide donne au lecteur quelque connaissance des événemens qui précédèrent cette époque en Turquie et lui permet de suivre sans difficulté les tentatives, les échecs et les succès de notre diplomatie jusqu’à l’arrivée à Constantinople du comte de Saint-Priest. Son précis politique s’arrête en effet en 1768, date du départ de M. de Vergennes, son prédécesseur. La période de 1768 à 1784 occupe tout entière le compte rendu présenté au roi, qui ne fait pas partie de ce volume.

Le travail de notre ambassadeur ne s’arrêta pourtant pas là : après un mémoire sur le commence et la navigation de la France dans le Levant, mémoire d’une lecture facile, et qui n’a pas le caractère fatigant et monotone qu’affectent le plus souvent ces sortes d’ouvrages, nous trouvons un recueil historique d’un autre genre qui ne manque pas d’appeler l’attention et qui cependant trompe en certains points la curiosité. Le comte de Saint-Priest eut l’idée de joindre à son résumé politique une histoire de tous nos ambassadeurs auprès de la Porte,. depuis Jean de La Forest jusqu’au comte de Vergennes (1534-1768). Cette série de notices fait espérer de nombreux portraits, promet de curieuses anecdotes ; mais c’est l’ouvrage d’un diplomate, d’un diplomate toujours prudent, poli, maître de lui, discret : à longue date, ces belles qualités ne servent guère à l’écrivain, et chaque page conserve trop ce caractère absolument réservé qui sied si bien à la correspondance d’un ambassadeur, mais qui ne suffit pas toujours à nous éclairer. Cependant, pour qui sait lire, sous ce langage si mesuré des critiques aiguës percent ça et là quelques mots toujours délicats, mais gros de pensées sous leur finesse, trahissent un esprit délié, sans grandes illusions, connaissant les hommes et les affaires, peu sujet aux étonnemens. Voyez comme, sans penser à mal, il rappelle d’anciennes plaintes en parlant de l’un de ses prédécesseurs illustres, Jean-Louis d’Usson, marquis de Bonac : ce dernier sollicitait de la cour de France l’envoi d’instructions urgentes relativement à certaine mission fort onéreuse et qu’il importait de retenir à Constantinople. Les réponses n’arrivèrent qu’après le départ de la mission pour Toulon, et « une autre fois, il demeura dix-huit mois sans nouvelles de la cour ; » alors le comte de Saint-Priest ajoute avec philosophie : « On sait que le cardinal Dubois, qui gouvernait sous la régence, se mettait quelquefois au courant de sa correspondance en jetant au feu les lettres qu’il avait sur son bureau. »

Il est rare que dans ses portraits il omette le chapitre des indemnités. Ne nous plaignons pas ; nous y gagnons de curieux détails : François de Noailles, évêque d’Acqs, sous Charles IX, vit son traitement réduit de 30,000 à 25,000 livres ; mais aussitôt nous apprenons qu’il recevait du Grand-Seigneur un taïn de 4 écus par jour ; on lui fournissait en outre, chaque année, 300 charges de bois, 230 kilos d’orge et 114 charretées de foin. Il faisait part de ces provisions à ses drogmans dont le premier, Domenico Olivieri, avait 300 écus de 50 aspres d’appointemens annuels, 20 écus pour les frais de bateaux, deux robes d’écarlate et deux de soie. « On a cru, reprend M. de Saint-Priest, devoir rapporter ces détails que leur ancienneté rend curieux en les comparant au temps présent, » et il poursuit sa notice sur l’évêque d’Acqs, ambassadeur d’un tempérament bien différent et dont les plaintes plus vives rappellent celles de Machiavel. Le comte de Saint-Priest cite seulement de l’illustre prélat ce passage mélancolique : « La coutume de la cour est de ne rien faire que pour ceux qui sont présens, pressans et importuns. Le roi d’Espagne en use autrement, et j’espère que le nôtre en fera de même un jour ; mais mon temps sera passé. » Ce même Noailles, dont l’esprit charmant et ferme offre un contraste frappant avec le caractère sage et discret de Saint-Priest, ne s’embarrassait pas autant que lui du choix des mots, et quand il parle de son prédécesseur Claude Du Bourg, seigneur de Guérines, c’est pour le taxer en propres termes de « fripon. »

Cet ouvrage, on le voit, présente un intérêt varié ; M. Schefer a eu l’heureuse inspiration de le compléter en le faisant suivre du texte des traductions originales des capitulations et des traités conclus avec la Porte, depuis la période la plus ancienne jusqu’au traité de 1838. Les mémoires du comte da Saint-Priest ne perdent ainsi rien de leur valeur ; nous les trouvons au contraire appuyés par des textes qu’il n’est pas toujours facile de se procurer.

p. D’E.


Le directeurs-gérant, C. BULOZ.

  1. N° des 15 août et 1er septembre 1877.
  2. Revue du 15 août 1877, p. 845-847.
  3. Bell. Gall., VI, 13.
  4. Mémoire inédit sur les Invasions gauloises en Italie.
  5. Des érudits fort autorisés ont professé dans ces derniers temps l’opinion que le druidisme avait été importe des Gaules, dans la deuxième moitié au IIIe siècle avant l’ère chrétienne, par des Belges qui, chassés par les Germains de la rive droite du Rhin, passèrent dans l’Ile de Bretagne et de là en Gaule. Cette opinion ne me semble pas encore suffisamment justifiée.
  6. Vercingétorix et l’indépendance gauloise. Paris, 1875.
  7. Revue du 1er septembre, p. 62-63.
  8. Pages 158-159.
  9. J’ai donné la préférence à l’édition Œhler, parce que les changemens et additions au texte de Nipperdey sont motivés dans la préface, tandis qu’ils ne le sont point dans l’édition de M. Dinter, qui me semble en outre moins prudent et moins judicieux dans le choix des leçons : celle-ci a seulement l’avantage d’une table très détaillée.
  10. Vercingétorix et l’indépendance gauloise ; pages 233-235.
  11. Ainsi les Helvii (Ardèche), que vous mentionnez, ne se trouvent que dans les éditions antérieures à Nipperdey (1847) ; ils occupant la place des Helvetii. — M. Mounier mentionne les Aulerkes-Emburons : il n’y a pas eu en Gaule de peuple de ce nom : les Aulerkes-Éburons, qui leur avaient été substitués, ont cessé eux-mêmes de figurer dans les nouvelles éditions, depuis Nipperdey : ils sont remplacés par les Aulerci-Eburovices, gens d’Évreux, voisins des Lexovii, gens de Lisieux.
  12. Bell. Gall, VII, 85.
  13. Cæs., Bell. Gall., VII, 28.
  14. Du Principe des nationalités. Paris, 1860, in-8o, pages 120-122.