Chronique de la quinzaine - 14 juin 1870

Chronique n° 916
14 juin 1870


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 juin 1870.

Un jour, il y a quelque dix ans, un homme respecté pour son nom, pour ses vieux services, pour sa fière intégrité, un ancien membre de nos assemblées, un ancien président du conseil, le duc de Broglie, employait les loisirs forcés que les événemens lui avaient faits à méditer sur l’état politique de la France, sur un présent qui lui apparaissait comme une halte entre le passé et l’avenir. Ces méditations d’un observateur solitaire, il ne songeait pas à les livrer au public, il les avait fait simplement autographier pour lui seul ou tout au plus pour quelques amis. C’était une sorte de testament politique qu’il écrivait dans la plénitude d’une intelligence élevée et sincère. Mal lui en prit d’une telle hardiesse. Celui qui était alors chargé de la police de l’esprit ne l’entendait pas ainsi ; c’était sans doute à ses yeux un crime manifeste contre l’empire de penser librement, fût-ce dans la plus discrète intimité. On saisit ces pages qui n’étaient pas destinées à voir le jour, et peu s’en fallut que l’auteur lui-même n’eût à comparaître devant un tribunal pour avoir osé réfléchir.

Que de choses ont changé en peu d’années ! Celui qui commandait ces brillantes expéditions contre l’indépendance de la méditation solitaire est maintenant passé libéral. Le duc de Broglie est mort il y a quelque temps, vengé par ceux-là mêmes qui l’avaient poursuivi dans sa pensée, et son fils peut aujourd’hui, sans danger fort heureusement, sans avoir aucune permission à demander, publier avec une respectueuse fidélité les vues sur le gouvernement de la France. Ce que c’est que la fortune pour les œuvres de l’esprit comme pour les hommes ! Ce livre d’honnête spéculation et de savante expérience, qu’on poursuivait il y a dix ans comme une sédition, est tout simplement à l’heure où nous sommes un livre de circonstance. C’est la théorie précise, ingénieuse et éloquente de la nécessité de la monarchie constitutionnelle démontrée par l’histoire, par la nature des choses, par le caractère français, par l’impossibilité du régime qui existait encore au temps où l’auteur écrivait. C’est un programme de politique libérale que le ministère et les partis peuvent étudier avec fruit. Le duc de Broglie débattait avec lui-même dans le silence qui régnait alors, toutes ces questions de réformes nécessaires qui sont devenues depuis le thème banal des polémiques, et chemin faisant il semait les traits fins, les vues justes et pénétrantes ; il disait des vérités qui trouvent chaque jour leur application. Ce sage expérimenté et clairvoyant nous prévenait, comme s’il nous avait vus à l’œuvre une fois de plus, que nous étions un peuple assez étrange, tout feu ou tout découragement, plein d’illusions et de défaillances, aimant surtout les coups de théâtre, les révolutions ou les plébiscites, et passablement novice encore dans l’art de poursuivie un dessein pratique, de tenir tête aux difficultés de tous les jours, de les surmonter pied à pied par la patience persévérante. On dirait en vérité qu’en politique comme à la guerre nous ne sommes bons que pour l’assaut impétueux, pour les chocs retentissans, et qu’après cela tout nous semble pâle et décoloré ; nous nous hâtons de rentrer dans la routine, nous en revenons aussitôt à nous débattre dans une atmosphère épaisse et lourde, dans une multitude de petites combinaisons où l’on s’épuise sans marcher.

Est-ce que le duc de Broglie n’avait pas raison ? Est-ce que ce n’est pas notre histoire encore aujourd’hui ? C’est ce qu’il y a de plus vrai dans une situation qui ne se manifeste que par une fatigue ou une atonie universelle, par des indécisions et des ambiguïtés, et, chose curieuse, plus on fait d’efforts pour sortir de la confusion, plus on semble s’y enfoncer. La vérité est que nous ne nous trompions guère en disant l’autre Jour que le plébiscite avait momentanément émoussé les ressorts ordinaires de la politique en exerçant sur tout le monde une influence de dépression. Ce résultat, qui se prolonge et s’étend, s’est produit par la force des choses, par une sorte de détente après le combat, par la difficulté d’interpréter pratiquement le vote du 8 mai, et, dans ces conditions nouvelles subitement créées, le gouvernement, tout aussi dépaysé que Aies partis, est le premier à chercher sa voie, ta se demander ce qu’il veut ou ce qu’il doit faire. Le ministère fait ce qu’il peut pour s’établir solidement et à chaque instant il sent le terrain se dérober sous ses pieds, les partis cherchent à se reconstituer, et à chaque tentative qu’ils font ils paraissent un peu plus désorganisés. Voilà où nous en sommes provisoirement.

Le gouvernement, il est vrai, s’est donné récemment la satisfaction de déclarer qu’il représentait le pays, qu’il était en dehors des partis. C’est une puérile méprise, ou c’est une singulière façon de se mettre au-dessus des conditions parlementaires. Est-ce que tous les gouvernement n’ont pas la prétention de représenter le pays ? Dès qu’ils ont le pouvoir, ils personnifient le pays, ils agissent en son nom, cela est parfaitement certain ; mais en même temps, dans un régime parlementaire, tous les gouvernemens, ou pour mieux dire tous les cabinets, sont bien obligés, s’ils veulent vivre, de s’appuyer sur cette force collective et disciplinée qui s’appelle un parti, qui est le véritable instrument de l’action politique. C’est parce que le ministère actuel ne sent pas autour de lui cette force disciplinée et compacte qu’il flotte à l’aventure, n’ayant d’autre garantie de sécurité que l’impuissance de toutes les fractions de l’opinion, qui se neutralisent dans un morcellement indéfini.

Une majorité, il peut l’obtenir sans doute, il l’obtiendra encore comme il l’a obtenue jusqu’ici, il n’a qu’à monter à la tribune et à menacer de se retirer pour enlever une victoire de scrutin ; mais comme cette majorité n’est point l’œuvre d’une forte cohésion morale et politique, comme elle se dissout après chaque vote, on n’est pas plus avancé, c’est toujours à recommencer. Le vote d’aujourd’hui rétracte le vote d’hier et ne garantit pas le vote de demain. On vit au jour le jour dans cet artifice permanent qui crée les situations précaires. M. Émile Ollivier en a fait récemment l’expérience ; au moment où il s’y attendait le moins, il a essuyé coup sur coup quelques échecs dans le corps législatif, notamment à propos d’un amendement qui autorise la publicité des séances des conseils-généraux. Le lendemain, un jeune député de la gauche, M. Bethmont, présente une interpellation par laquelle il demande au ministère de laisser toute liberté aux réunions publiques à la veille des élections des conseils de département et d’arrondissement ; aussitôt M. le garde des sceaux, saisissant cette occasion, engage la lutte, élève une question de confiance et somme le corps législatif d’avoir à se prononcer. Ce qu’il y a eu de curieux dans ce débat impromptu, c’est qu’on ne savait pas trop ce que tout cela voulait dire ; la gauche ne s’est pas montrée ce jour-là d’une humeur fort belliqueuse, M. Bethmont lui-même a fini par retirer son interpellation, et c’est la droite qui a exprimé les plaintes les plus vives par l’organe de M. le baron Jérôme David, c’est la droite qui a trouvé mauvais que le ministère forçât ainsi le corps législatif à lui témoigner sa confiance. C’était là justement, à ce qu’il paraît, ce que voulait M. le garde des sceaux ; il voulait rompre avec la droite, il a fait ce qu’il a pu pour provoquer son hostilité, il l’a suppliée de voter contre lui. Nous avons assisté en vérité à un échangé d’explications passablement aigres, et après cela qu’est-il arrivé ? Au dernier moment, la gauche, persistant dans son attitude de neutralité, s’est abstenue de voter, comme elle s’était abstenue de prendre part à cette escarmouche ; la droite s’est bien gardée d’aller jusqu’au bout de sa mauvaise humeur, et tout a fini par un pur et simple ordre du jour qui a réuni une merveilleuse unanimité. Quel pouvait être la signification de ce vote ? Quelle force a-t-il donnée au gouvernement ? Évidemment le ministère n’a pas pu y voir une victoire bien décisive ; il est resté exactement dans la situation où il se trouvait la veille, si ce n’est toutefois que, après avoir semblé un instant s’être rapproché de la droite à l’occasion du plébiscite, il a paru cette fois se tourner d’un autre côté, vers le centre gauche, en invoquant avec insistance les souvenirs du 2 janvier, en se plaçant sous la protection de cette date originelle ; une évolution nouvelle le ramène à son point de départ. Rien de mieux, s’il sait avoir une volonté et persévérer dans un dessein, s’il est décidé à en finir avec toutes ces oscillations, qui ne feraient que l’épuiser pour le conduire un jour ou l’autre à quelque vote de surprise et de hasard où il disparaîtrait sans éclat. La vraie force dont il a besoin, ce n’est pas une tactique vaine qui peut la lui donner ; il la retrouvera dans la fixité des idées, dans la pratique sérieuse et indépendante des institutions nouvelles, et, pour tout dire, le meilleur moyen pour lui de se prémunir contre les pièges, de tenir tête à la droite, ce n’est pas de jouer avec elle de ces scènes de raccommodement ou de rupture qui sont de temps à autre l’amusement de la galerie, c’est de lui imposer par l’autorité d’une politique simple et nette, par l’ascendant d’une résolution ferme. Nous faisions intérieurement cette remarque l’autre jour en entendant M. Jérôme David reprocher à M. Émile Ollivier ce qu’il appelait une « politique sentimentale ; » c’est qu’en effet M. Émile Ollivier a toujours l’air d’un homme d’état de fantaisie, attendant l’inspiration, cédant à une émotion du moment et improvisant ce qu’il va faire. C’est peut-être ce qui explique ses succès, et c’est aussi ce qui lui a valu plus d’un mécompte qu’il se fût épargné avec un peu de réflexion.

Assurément, par elle-même la situation, telle qu’elle apparaît aujourd’hui avec ses langueurs et ses confusions, n’est point précisément grave, et même on pourrait dire qu’elle offre de grandes et sérieuses ressources à un gouvernement à demi habile qui saurait s’en servir ; le danger, c’est cette indécision d’un ministère allant à la légère, se démenant dans le tourbillon des partis, entre une droite, qui ne cherche qu’à prendre sa revanche, et une gauche désorganisée, dont la fraction la plus modérée elle-même en est encore à préciser sa situation, à se donner un programme saisissable. Que la droite cherche à prendre une revanche des ennuis qui lui ont été infligés depuis un an, et qu’elle commence à croire le moment favorable, c’est assez visible par quelques-uns des derniers incidens parlementaires, par l’attitude qu’a prise M. Jérôme David, un des chefs du parti, à l’occasion de ce vote de confiance si héroïquement conquis dans le vide par M. le garde des sceaux. La droite, il n’y a point à s’y méprendre, croit toujours être la majorité dans le corps législatif, une majorité qui se prête, qui ne se donne pas. Jusqu’au plébiscite, elle faisait assez triste figure, elle se sentait vaincue ; le plébiscite lui a rendu la bonne humeur, l’espérance, et depuis que l’empereur lui a dit que le vote du 8 mai avait raffermi les pouvoirs du corps législatif actuel, elle est plus qu’à demi rassurée, elle pense avoir le champ libre. Ce qu’elle veut, ce n’est pas renverser le ministère d’un seul coup, le pousser brusquement hors des affaires ; non, elle veut lui administrer ce que M. Jérôme David a eu la franchise ; d’appeler, dans un langage plein de réminiscences du bon temps ; un premier avertissement. Elle ne veut rien précipiter, elle croit pouvoir choisir son heure, et en attendant que cette heure du grand coup au sonné, elle se contente d’user le ministère, de le surprendre dans le flagrant délit de ses trop fréquentes inconséquences, de le dépasser en libéralisme quand il est conservateur, ou de lui reprocher de livrer toutes les garanties conservatrices quand il est libéral, de lui faire en un mot la vie dure et impossible. Le reste viendra tout seul ; on compte sur les ressources de ce régime parlementaire, qu’on accuse le cabinet d’altérer lorsque dans une pensée d’intimidation, il pose des questions de confiance dont on n’a que faire. M. Émile Ollivier, ce nous semble, aurait pu répondre avec quelque autorité de raison, sans se donner l’air de renouveler la scène du Dépit amoureux ; il aurait pu dire que ce qui n’est pas précisément parlementaire, c’est d’appuyer matériellement un cabinet à qui on refuse dans le fond du cœur tout concours moral, c’est de prendre sa part d’un vote qu’on appelle soi-même une fiction, c’est de paraître prolonger par tolérance la vie d’un ministère qu’on s’efforce de détruire en détail, c’est enfin de combattre un gouvernement par la parole et d’avouer par son vote l’impuissance de le remplacer.

Telle est en effet la vraie question aujourd’hui. La droite a beau se nourrir d’illusions, elle ne peut pas remplacer le ministère actuel ; elle ne le pourrait qu’en compromettant sérieusement l’œuvre tout entière d’une année. Elle n’a pas dépouillé encore assez la vieille robe ; elle aurait la meilleure volonté qu’on ne la croirait pas : elle passerait pour une résurrection du régime de 1852, on serait persuadé qu’elle ramène dans les conseils du gouvernement des pensées de réaction, qu’elle veut revenir, au-delà du 2 janvier. Et en réalité n’est-ce point cela ? Que reproche-t-on tout haut à M. Émile Ollivier ? On l’accuse de ne rien comprendre à la situation, de ne pas voir que le plébiscite a tout changé, qu’il a délié le ministère des engagemens contractés, par les programmes des deux centres ; que le 2 janvier n’est plus rien, que le vote du 8 mai a effacé tout ce qui s’est fait depuis un an pour replacer l’empire dans l’intégrité de sa puissance. Voilà ce qui se dit, et si la droite revenait en ce moment au pouvoir, elle serait emportée par la logique de ses antécédens, de ses habitudes, de ses préférences ; si elle rentrait aujourd’hui aux affaires, ce serait une sorte de déchirement du vote complexe du 8 mai, et qu’elle le voulût ou qu’elle ne le voulût pas ; elle représenterait l’exclusion ou l’ajournement de toute une partie du plébiscite, justement de cette partie libérale qui a fait accepter et a popularisé cet acte. Nous ne voulons certes pas dire que la droite n’a plus aucun rôle dans le jeu constitutionnel, qu’elle ne peut pas à un jour donné revenir au pouvoir. Pour le moment, elle n’en est pas là, et, si elle ne s’arrête pas sur le chemin où elle semble s’engager, elle peut aller tout droit à un dénoûment qui n’est pas précisément celui qu’elle poursuit et devant lequel on a reculé jusqu’ici : la dissolution du corps législatif.

On a fait ce qu’on a pu pour l’éviter. Le pays, nous en convenons, s’est montré peu favorable et n’a aucune passion pour ces votes répétés qui mettent tout en mouvement. Le gouvernement ne s’est point hâté jusqu’ici, il est resté sourd à toutes les provocations. Dans le corps législatif lui-même, beaucoup de membres de la gauche tout aussi bien que de la droite ne sont nullement pressés de se remettre en campagne et de recommencer la course au clocher électorale. Cette dissolution, dont personne ne veut, elle peut cependant devenir inévitable, et le ministère doit bien le sentir, puisqu’il en est à préparer une loi électorale. La dissolution peut devenir d’autant plus inévitable que les incidens parlementaires qui se succèdent, la confusion des partis, les difficultés d’une situation pleine d’incohérences, finissent par accoutumer les esprits à cette idée comme à une nécessité. On en vient à se dire que ce corps législatif, élu en somme dans des conditions bien différentes, ne répond plus aux circonstances, surtout après le plébiscite, qu’il est même numériquement insuffisant depuis que sa sphère d’action s’est agrandie, qu’une assemblée nouvelle, plus nombreuse, librement élue, offrira nécessairement un cadre élargi où une majorité homogène et rajeunie pourra se former, où les partis, grossis d’un contingent de cent cinquante hommes nouveaux, auront plus de consistance et pourront se mouvoir plus librement. En un mot, voilà ce qu’il faut constater : l’idée a fait des progrès, surtout depuis que la droite, en montrant son impatience, a mis les esprits en garde contre la possibilité d’une évolution de pouvoir qui nous ramènerait en arrière, de telle sorte que par une fausse manœuvre, par une stratégie qui s’est peut-être démasquée trop tôt, on est arrivé à un double résultat qu’on n’avait probablement pas en vue : on a rejeté le ministère vers ses alliés de la première heure, vers le centre gauche, et on a ravivé du même coup la question la plus épineuse qui puisse être agitée aujourd’hui, la question de la nécessité d’une assemblée nouvelle ou de la dissolution du corps législatif.

La droite, au reste, peut s’organiser si elle veut, elle peut lever ouvertement le drapeau contre le ministère, elle est dans son droit, rien n’est plus simple, et la condition qui en résulte pour le cabinet n’est même pas la chose la plus importante. L’essentiel est que, dans cette carrière qui s’ouvre, tous les camps se dessinent, que les partis se dégagent de cet amalgame confus où ils sont tombés, que les groupes libéraux s’organisent à leur tour pour être l’appui efficace, la force d’une situation libérale, et sous ce rapport les mouvemens de la gauche sont un des incidens les plus curieux de cette réorganisation qui s’essaie laborieusement. C’en est donc fait maintenant, la rupture est accomplie. Il n’y a plus une gauche unique, il y en a deux ; il y a, pour parler le langage du jour, une gauche ouverte et une gauche fermée, une gauche constitutionnelle et une gauche radicale ou républicaine. Le protocole a été signé dernièrement avec toutes les formes diplomatiques par les plénipotentiaires des deux puissances, nous voulons dire des deux fractions, M. Ernest Picard et M. Jules Grévy. On s’est séparé avec une courtoisie sous laquelle perce une certaine aigreur ; enfin la scission est complète. On n’avait pas besoin d’aller chercher dans des histoires de journaux, dans des indiscrétions propres à mettre en jeu les susceptibilités personnelles, des raisons de séparation ; s’il n’y avait eu que ces petites piqûres, ce serait trop puéril. La rupture ostensible s’est accomplie parce qu’elle répondait à une dissidence profonde, parce qu’elle était dans la nature des choses, parce que l’alliance formée il y a huit mois par le manifeste du 15 novembre 1869, avant la session, avant le ministère du 2 janvier 1870, avant la réforme constitutionnelle, n’était plus qu’une fiction compromettante, et, s’il y a un fait surprenant, c’est que M. Ernest Picard ait eu l’air jusqu’au bout de se laisser pousser dans ce qu’il continue à ne pas vouloir appeler une évolution. Il a fallu presque le mettre dans l’impossibilité de faire autrement. Cet homme d’esprit s’est vu réduit à la cruelle extrémité d’avoir du bon sens, de la raison, de la décision presque par force, et il a fallu que M. Jules Grévy lui rendît le service de lui fermer poliment la porte de la rue de la Sourdière en refusant de provoquer une réunion générale de la gauche qu’il sollicitait. Voilà par quelle série de malheurs et de contrariétés a dû passer l’honorable M. Picard pour arriver à être le chef de la gauche ouverte, par opposition à la gauche fermée de la rue de la Sourdière. Maintenant la chose est faite, il n’y a plus à y revenir, et ici s’élève une autre question. Évidemment l’évolution de M. Ernest Picard et de ses amis n’aurait aucun sens, si elle ne signifiait que la gauche nouvelle entre franchement, complètement, dans la vie constitutionnelle, en acceptant toutes les conséquences de cet acte définitif, sans exclure la perspective même du pouvoir. Cette fraction de la gauche devient un des élémens des combinaisons futures. Par ce côté, elle touche au centre gauche, avec qui elle a de manifestes affinités. C’est là justement ce qui fait l’importance de cette évolution. Désormais, par des rapprochemens devenus possibles, il peut se former un groupe sérieux ayant un rôle à jouer dans nos luttes publiques, ouvrant un asile à tous les esprits libéraux et indépendans, devenant le premier noyau d’un parti qui peut s’étendre par des élections nouvelles, offrant au pays des garanties de modération.

Au fond, entre M. Picard, qui a sans doute fait quelques façons pour entrer dans cette voie, mais qui a fini par y entrer, et ses anciens amis de l’autre gauche qui restent dans leur camp fermé, où est la vérité ? C’est certainement M. Ernest Picard qui est le vrai politique, précisément parce qu’il ne se sépare pas du pays, parce qu’il accepte de servir pratiquement les intérêts libéraux sans déclarer la guerre à ce que la volonté nationale a fait. La gauche radicale, ou républicaine, ou fermée, comme on voudra l’appeler, a peut-être pour elle cette apparence de logique qu’il y a toujours dans les partis absolus ; en réalité, elle est beaucoup moins logique que M. Picard, puisqu’elle fait la même chose sans l’avouer ; elle est simplement inconséquente avec cette irréconciliabilité qu’elle proclame et qu’elle ne pratique pas, qu’elle ne peut pas pratiquer parce qu’elle est impossible. On ne voit pas que se proclamer irréconciliable au nom d’une forme politique qu’on préfère, au moment où la volonté nationale bien ou mal inspirée se prononce dans un autre sens, c’est rompre avec cette volonté elle-même, c’est se mettre au-dessus du pays, c’est se placer dans cette situation où l’on est obligé à chaque instant de transiger avec un état de choses qu’on prétend ne pas reconnaître. Qu’est-ce donc que cette politique réduite à fléchir et à se désavouer sans cesse ? Pour être vraiment irréconciliable, il n’y a qu’un moyen, c’est de s’abstenir de tout et en tout. Si l’on n’agit pas ainsi, si l’on va au corps législatif, si on entre dans la discussion des lois, si l’on concourt avec un gouvernement à l’administration des intérêts publics, si on déclare, ne fût-ce que par tactique, qu’on a confiance dans un ministre, si l’on fait tout cela, on n’est plus qu’inconséquent. L’irréconciliabilité n’est qu’un mot sonore et vide qu’on fait retentir pour les esprits sans portée, en se réservant de travailler en commun avec ses concitoyens, dans la limite des lois, au bien du pays. Et voilà pourquoi le principe sur lequel la gauche radicale a prétendu se fonder n’est même pas un principe absolu, c’est une fiction sans logique par laquelle un parti se condamne à mettre une contradiction perpétuelle entre ce qu’il dit et ce qu’il fait. C’est cette contradiction que des esprits comme M. Jules Favre, M. Gambetta, M. Jules Simon, prennent sérieusement pour de la politique, et qu’ils arborent sur leur petite église, qui par le fait n’est ni fermée ni ouverte.

Sans doute, nous en convenons, on peut être radical et rêver la république. En définitive, avant la république, qui n’est qu’un mot quand elle n’est pas un fanatisme, il y a toujours la liberté, et malheureusement en France, dans ce fractionnement de toutes les opinions, le parti qui s’affiche le moins est celui qui pourrait s’appeler le parti de la liberté pour la liberté. L’autre jour, dans une séance du corps législatif, l’honorable ministre des finances, M. Segris, répondant d’un accent passionné à des récriminations peu justes, se tournait vers l’opposition et s’écriait : « Quelle est donc la liberté qui vous manque aujourd’hui ? » Là-dessus, M. Garnier-Pagès, se levant tout effaré et plein des souvenirs de l’Hôtel de Ville de 1848, répliquait avec véhémence : « Nous n’avons pas le pouvoir constituant ! » Voilà la grande affaire ! il s’agit de liberté, on demande le pouvoir constituant ! Eh ! qu’en voulez-vous faire du pouvoir constituant ? Qu’avez-vous à constituer ? Avez-vous à nous bâcler une constitution nouvelle, qui ne serait guère que la douzième ou la treizième dans notre histoire depuis quatre-vingts ans ? En serions-nous plus libres ? C’est une confusion qu’on fait sans cesse et à tout propos, même involontairement et sans y songer. On a soulevé par exemple et on va discuter bientôt la question assurément la plus sérieuse et la plus délicate, celle de la décentralisation. Rien n’est plus utile sans doute, comme aussi rien n’est plus dangereux ; rien ne sera plus stérile, si on ne resté pas dans la vérité pratique des choses. On se met à l’œuvre, et de quoi s’occupe-t-on tout d’abord ? On va droit à la nomination des maires, c’est-à-dire qu’on commence par la fin, parce qu’il est de toute évidence que le mode de désignation des magistrats municipaux doit se dégager naturellement du système général d’organisation qu’on adoptera ; nous serions un peu tentés d’ajouter qu’on commence par le superflu, parce qu’au bout du compte un maire peut être choisi par le gouvernement ou élu par un conseil municipal, sans qu’il y ait un atome de liberté de plus ou de moins dans le pays. On ne voit pas que la première chose à faire serait d’attaquer le mal dans sa racine, de dégager l’initiative individuelle, l’initiative locale de ce système de ligature qui l’étreint, de cette multitude de formalités inutiles, gênantes, souvent irritantes, qui prolongent les plus simples affaires pendant des mois, quelquefois pendant des années. C’est là qu’il y a immensément à faire, et pour accomplir ces réformes qui peuvent raviver l’esprit d’initiative, rendre vraiment le pays à lui-même, il n’est pas besoin d’invoquer le pouvoir constituant, ni d’attendre la république ; il suffit d’un régime sensé qui se prête à cette œuvre salutaire, et ici nous retrouvons cette théorie aussi éloquente qu’ingénieuse de la monarchie constitutionnelle que le duc de Broglie développe dans ses Vues sur le gouvernement de la France. La monarchie constitutionnelle, sincèrement et virilement pratiquée, bien entendu, a le mérite de se plier à tout sans rompre. L’église fermée de la rue de la Sourdière pourra chercher, elle ne trouvera pas mieux, parce qu’il n’est pas démontré qu’on soit plus libre à Washington qu’à Londres, parce qu’en fin de compte le régime constitutionnel a cet avantage souverain d’être la monarchie sans ses dangers de prépotence personnelle, et la république sans sas dangers de guerre civile ou de bouleversemens périodiques.

Depuis qu’il est réuni, le corps législatif a remué plus qu’il n’a résolu bien des questions intérieures, et il a encore devant lui cette laborieuse discussion du budget où tout revient à la fois. Il ne s’était pas occupé jusqu’ici des affaires étrangères, lorsqu’il y a peu de jours, vers la fin d’une séance, une petite interpellation lancée à l’improviste a provoqué tout à coup un certain mouvement de curiosité et d’émotion. Que se passait-il donc ? Il s’agissait simplement du chemin de fer du Saint-Gothard, œuvre commune de l’Italie, de l’Allemagne, de la Suisse, et dont le parlement fédéral de Berlin, avant de se séparer, a eu tout récemment à s’occuper pour voter le subside par lequel la confédération de l’Allemagne du nord doit concourir à ce travail, rival du percement du Mont-Cenis. Nos députés, il faut le dire, mettent un peu de temps à s’instruire et à connaître les affaires qui se passent en ce monde.

En réalité, il y a deux ou trois ans déjà que des négociations se poursuivent incessamment en Italie, en Allemagne, en Suisse, pour arriver à la réalisation de cette idée d’une communication nouvelle reliant le centre de l’Europe aux régions italiennes à travers les Alpes helvétiques. Seulement quelle direction centrale choisirait-on entre le chemin de fer du Brenner, au nord, et le chemin de fer du Mont-Cenis, qui est déjà presque terminé ? Passerait-on par le Splugen ou par le Saint-Gothard ? C’est autour de ce point capital que se sont agités longtemps tous les intérêts, et après bien des débats passionnés c’est définitivement à l’automne de l’année dernière que la Prusse, la Suisse et l’Italie en venaient à s’entendre ; elles signaient le 13 octobre 1869 à Berne un protocole qui fixait le Saint-Gothard comme point de passage, et qui ébauchait le plan de coopération des trois puissances. Deux jours après, l’Italie et la Suisse se liaient par un traité particulier auquel devaient adhérer tous les états intéressés, Bade, le Wurtemberg. Tout était prévu : la subvention des gouvernemens devait être de 85 millions, sur lesquels l’Italie avait seule à payer 45 millions, la Suisse 20 millions, la Prusse ou l’Allemagne 20 millions. C’est une portion de ce subside que le parlement fédéral de Berlin était récemment appelé à voter. Les cantons suisses à leur tour se sont déjà cotisés pour faire leur part de subvention. L’Italie n’a encore rien demandé à son parlement, mais elle dispose d’une somme votée par la ville de Gênes pour la traversée des Alpes, d’une contribution de la compagnie des chemins de fer de la Haute-Italie, et le ministère de Florence s’est adressé aux provinces pour les associer à cette œuvre, de façon à diminuer la charge de l’état. Il y a peu de jours encore, le conseil provincial de Milan, après une longue discussion, votait pour sa part une somme de 1 million, de sorte que la question est déjà fort avancée. Ce n’est plus, qu’on le remarque bien, une chose à faire, c’est une chose faite ; il y a des traités signés, des subventions convenues et votées ; tout cela s’est passé au grand jour, et si l’on devait s’en émouvoir, s’il y avait des considérations supérieures par lesquelles on pût se croire autorisé à combattre cette grande entreprise, c’est au moment où rien n’était fait encore qu’on aurait dû intervenir, ce n’est pas seulement aujourd’hui qu’il faudrait y songer. Nous ignorons encore la pensée du gouvernement, qui aurait peut-être mieux fait de répondre tout de suite et qui a préféré ajourner ses explications à la semaine prochaine. Il ne pourra certainement dire que ce que nous disons ici, c’est que le chemin de fer du Saint-Gothard est une de ces œuvres de l’industrie moderne qu’il n’est au pouvoir de personne de contrarier. Franchement quel droit pourrions-nous invoquer, et comment nous y prendrions-nous pour empêcher l’Allemagne, la Suisse et l’Italie de réunir leurs efforts, de percer les Alpes, d’ouvrir une communication nouvelle au commerce des pays intéressés et de l’Europe tout entière ? Nous avons le Mont-Cenis, l’Autriche a le Brenner ; à côté du Saint-Gothard, le Splugen va être percé à son tour ; tout s’ouvre à la fois.

Il ne faut rien grossir. Est-ce dans un intérêt politique ou pour mieux dire dans un intérêt de puissance militaire que nous aurions quelque raison de nous émouvoir ? Quelques-uns des orateurs du parlement de Berlin, et M. de Bismarck tout le premier, se sont plu, il est vrai, à laisser entendre mille choses. Ils ont mis en avant les considérations des grands jours, la puissance de l’Allemagne, l’importance d’une communication directe avec l’Italie, « l’amie fidèle, » à qui on pourra tendre la main sans être gêné par personne. D’abord M. de Bismarck est coutumier du fait, et n’oublie jamais de recourir aux grands moyens quand il s’agit d’aiguillonner la lenteur raisonneuse de ses Allemands. Il y a peu de temps, pour rétablir la peine de mort en Saxe et dans les autres pays où elle était abolie, il invoquait l’unité allemande ; pour l’unité allemande, il était disposé à écraser sous son talon toutes les résistances. Aujourd’hui c’est le même argument qu’il tire du fourreau pour enlever le vote du subside en faveur du Saint-Gothard. L’imagination de M. de Bismarck va ici un peu au-delà de la réalité, et il n’y a pas encore de quoi s’effrayer. Nous ne voyons pas comment le chemin de fer du Saint-Gothard pourrait devenir une communication militaire ; entre l’Allemagne et l’Italie, il y a la neutralité suisse qui n’est pas une fiction qu’on puisse détruire ou violenter aisément. Le gouvernement helvétique, dans les arrangemens qu’il a signés, a réservé tous les droits de la Suisse ; il reste maître du chemin de fer, il peut prendre toutes les mesures défensives, mettre le passage à l’abri des fortifications qu’il construira, suspendre les communications, arrêter les trains. La Suisse en un mot resté ce qu’elle était, une masse impénétrable entre l’Allemagne et l’Italie, de sorte que sous ce rapport rien n’est changé. Au point de vue politique ou militaire, la question n’est point de celles qui peuvent exciter de sérieux ombrages. Elle a de l’importance sans doute, elle en a surtout au point de vue économique et commercial. Par le fait, l’ouverture du passage du Saint-Gothard se rattache à toutes ces tentatives qui se poursuivent depuis quelques années pour donner un nouveau cours aux relations de l’Europe avec l’extrême Orient, pour détourner les relations de la France et de Marseille.

C’est une lutte engagée où les combattans ne sont pas des armées, ce sont des intérêts, des villes comme Marseille, Trieste, Gênes, Anvers, Ostende, Hambourg : le champ de bataille, c’est l’univers ; mais ici que faire ? Point de susceptibilités vaines, nous ne pouvons vaincre qu’en accélérant nos communications, dont les Anglais nous reprochent la lenteur, en multipliant la facilité des relations, en abaissant nos tarifs, en outillant nos ports, en laissant à nos industries l’excitation salutaire de la liberté. Voilà la véritable et seule importance du passage du Saint-Gothard, qui d’ailleurs ne pourra être ouvert que dans neuf ans. Le chemin du Saint-Gothard offrira sans doute à l’activité commerciale de l’Allemagne des débouchés nouveaux et de nouveaux stimulans ; il ne hâtera pas d’une minute, au moins par un accroissement de puissance militaire, l’unité allemande, qu’on voit à travers tout. Cette unité, elle a bien assez à faire encore de lutter avec ses propres difficultés intérieures et ces difficultés mêlées de grandeur, nous ne l’ignorons pas, palliées souvent par un énergique patriotisme, mais enfin réelles, profondes, on peut les suivre en quelque sorte à la trace dans les intéressantes études que M. Émile de Laveleye vient de réunir sous le titre de la Prusse et l’Autriche depuis Sadowa, dans les beaux essais que M. V. Cherbuliez a rassemblés pour en faire son livre de l’Allemagne politique depuis la paix de Prague. C’est le même sujet traité par deux esprits différens, l’un économiste intelligent, historien exact, investigateur instruit des ressources des peuples, l’autre philosophe politique, observateur plein de vie, peintre habile des hommes et des caractères, — tous les deux, guides impartiaux et sûrs, se complétant mutuellement dans cette étude saisissante des dernières transformations de l’Allemagne. Ces pages de M. Cherbuliez, qui du premier coup, quand elles ont paru ici, ont eu un si brillant succès même auprès des Allemands, qu’elles faisaient quelque peu crier, ces pages ont tout le charme du récit, l’intérêt de l’analyse politique, la finesse de l’observation, la sûreté du trait, l’éclat de l’imagination. L’auteur, on le sent bien, sait ce qu’il dit ; il a vu ce qu’il raconte, et ce qu’il n’a pas vu, il l’a deviné ; il s’est entretenu avec les hommes, il a saisi les nuances de leur nature et pénétré leur secret. Cette Allemagne nouvelle, en marche depuis la paix de Prague, il l’a surprise dans son intimité, dans ses grandeurs ou dans ses incohérences ; il la décompose merveilleusement, sans cacher une vive et sérieuse sympathie pour cette grande nation germanique, mais aussi sans laisser altérer la justesse perçante de son coup d’œil à l’égard de ceux qui la représentent, rois, princes, diplomates ou ministres, et c’est ce qui donne au livre de M. Cherbuliez l’attrait de l’étude politique, du voyage et de l’analyse morale. C’est la description d’une destinée nationale qui se dégage, qui deviendra ce qu’on ne sait pas encore, et que le chemin de fer du Saint-Gothard ne fera pas dans tous les cas marcher plus vite. Qu’on se rassure, ce n’est pas là que nous pourrons avoir besoin d’aller arrêter la Prusse.

On a pu croire un instant que l’Espagne touchait à une crise décisive, mais c’était une fausse alerte. Le fait est qu’on aurait pu s’y tromper. Le président du conseil, le général Prim, convoquait par missive particulière tous les députés à Madrid, comme s’il se fût agi de quelque grande résolution imminente : on avait présenté une loi pour régler le mode d’élection du souverain. Une commission voyageait sans cesse de Madrid à Logrono pour offrir la couronne au vieux Espartero, qui avec un bon sens invincible s’obstinait à la refuser. Le duc de Montpensier et ses amis s’agitaient. D’un autre côté, les événemens de Portugal avaient laissé une singulière impression d’incertitude et de mystère ; on se souvenait qu’à la veille de ces événemens l’ambassadeur d’Espagne à Paris, M. Olozaga, était arrivé à Madrid, où s’était rencontré aussi le ministre espagnol à Lisbonne. Qu’allait-il sortir de tout cela ? Vraiment il n’en est rien sorti, et il est probable qu’il n’en sortira rien, qu’on restera encore dans cet état assez curieux qui n’est ni la monarchie ni la république. C’était peut-être là tout simplement qu’on en voulait venir. À travers toutes les obscurités, il est certain que depuis quelque temps il s’est manifesté une impatience énergique d’en finir avec un provisoire où le pays s’énerve, et c’est pour donner satisfaction à cette impatience qu’avait été présentée une loi réglant le mode d’élection d’un souverain ; mais en même temps il y a un autre sentiment tout aussi énergique : c’est le besoin de n’en pas finir, et c’est à ce sentiment qu’a répondu un amendement présenté aux cortès pour exiger que le roi ne pût être choisi qu’à la majorité absolue de l’assemblée totale, non des seuls membres présens. L’amendement a été adopté, et la majorité exigée est au moment présent à peu près impossible à obtenir pour un candidat quelconque, de sorte qu’on s’est trouvé plus que jamais entre l’impatience de sortir du provisoire et l’impossibilité d’en finir. Là-dessus est arrivé le général Prim déclarant que le gouvernement avait fait tout ce qu’il avait pu, qu’on s’était adressé à quatre princes, qu’on n’avait pu trouver le vrai roi que l’Espagne attend, mais que certainement on le trouverait d’ici à trois mois, — après quoi il ne reste plus évidemment qu’à accepter cet augure. D’ici à trois mois, qu’arrivera-t-il ? Le général Prim parlera sans doute à cette époque avec tout autant de clarté qu’aujourd’hui. ch. de mazade.


REVUE MUSICALE.

Nous avons assez souvent parlé de Weber aux lecteurs de la Revue pour n’avoir pas besoin de revenir sur l’admiration que nous inspire le plus populaire de ses trois chefs-d’œuvre. C’est dire que nous sommes de ceux qui se plaignent lorsqu’on les prive d’entendre le Freyschütz, qui veulent qu’il y ait à Paris au moins un théâtre où de pareils témoignages du génie humain soient conservés pour l’édification continuelle du public, comme pour l’enseignement de cette classe si intéressante de jeunes musiciens à laquelle c’est bien aussi montrer de la sympathie que de tenir la grande école ouverte en permanence ; mais une fois le principe accepté, que le Freyschütz est un de ces ouvrages qu’une ville telle que la nôtre ne doit jamais perdre de vue, resterait à chercher quelle serait la scène la plus apte à se l’approprier. Du Théâtre-Lyrique, on n’en saurait parler jusqu’à nouvel ordre ; l’Opéra-Comique, dont le cadre serait peut-être le seul qui convînt, il faut malheureusement se résigner d’avance à le voir mis hors de la question, et par certaines habitudes trop bourgeoises de son répertoire et par l’incroyable longanimité avec laquelle ce théâtre subit la plus ridicule des tyrannies. Imagine-t-on en effet que, à une époque de prétendue liberté théâtrale, il existe une commission des auteurs capable de tenir son interdit éternellement suspendu sur la seconde scène lyrique française, et de répondre par le plus inexorable des non possumus à toute sollicitation à elle adressée au nom d’un chef-d’œuvre de Mozart ou de Weber ? — Le Théâtre-Lyrique n’existant pas, ou, pour parler le langage de Fontenelle, éprouvant une telle difficulté d’être que toute force d’initiative en est chez lui incessamment paralysée, l’Opéra-Comique n’osant point s’affranchir de sa grande charte, qui lui défend de jouer des traductions, l’Académie impériale devient le seul théâtre où le Freyschütz puisse désormais trouver asile, et les amateurs de cette fière musique, s’ils faisaient trop les difficiles, n’auraient qu’à prendre leur parti de ne la plus entendre.

Ceci posé, nous sommes fort à l’aise pour insister sur les conditions essentiellement critiques d’installation que le Freyschütz a toujours rencontrées et qu’il rencontrera toujours à l’Opéra. Les chanteurs fussent-ils cent fois meilleurs, l’art d’un poète eût-il réussi à conserver dans la traduction celle saveur pittoresque des paroles allemandes si complètement en harmonie avec l’expression musicale, vous ne sauriez faire que les genres concordent entre eux et que les choses soient à leur place. Qu’est-ce en effet que le Freyschütz ? Un simple récit de la forêt mis en musique par un homme de grand génie et d’une extrême bonne foi, un recueil de mélodies locales merveilleusement rapportées, ajustées, un de ces contes nocturnes qui tirent leur épouvante de l’étroitesse même de l’endroit où l’on se les raconte tout bas, pressés les uns contre les autres. Chercher là midi à quatorze heures, comme s’il s’agissait de monter un opéra de Meyerbeer, c’est aller contre l’esprit de cette musique, c’est en vouloir gâter à plaisir le romantisme. Qui s’occupa jamais en Allemagne d’assigner à la mise en scène du Freyschütz une couleur historique ? Les pièces de ce genre n’ont point d’époque ; elles se jouent en pleine nature avec les costumes d’hier et d’aujourd’hui. Max, Casper, Kuno et Kilian sont encore gardes-chasse au service du duc de Saxe-Weimar ou du prince de Reuss. Agathe, la fiancée du chasseur, continue à chanter son hymne à la lune pendant que son bel amoureux, égaré dans la Wolfschlucht, souffle bravement sur le réchaud cabalistique, et, de connivence avec un Samiel imaginaire, évoque toutes les forces de la nature pour arriver à des résultats que le plus modeste habitué du tir aux pigeons obtient chaque jour sans se gêner. Sancta simplicitas ! dirait Méphisto, le maître-diable qui, sur tous ses confrères passés et présens, garde l’immense supériorité de ne point croire à sa diablerie, tandis que l’honnête Samiel y croit, lui, du fond de son âme, en vrai diable rural qu’il est et restera. Le Freyschütz, c’est la vie forestière allemande prise sur le fait ; à l’Opéra, tout le côté naïf et légendaire disparaît. On a, nous devons le reconnaître, fait du mieux qu’on pouvait pour qu’il en fût ainsi ; mais eût-on procédé avec une complète intelligence du sujet, l’inconvénient probablement serait le même, et les torts que la critique attribue à l’exécution viennent bien plutôt du manque absolu de proportions entre un opéra de genre comme le Freyschütz, et les conditions toutes somptuaires de l’Académie impériale, où la nécessité de faire grand s’impose au directeur en quelque sorte malgré lui.

Et d’abord, sans le dialogue parlé, il n’y a point de Freyschütz possible. Je défie que l’on me cite une pièce où la note et la lettre se marient plus étroitement ; c’est d’un bout à l’autre le mélodrame par excellence : témoin cette scène de la fonte des balles où le musicien a tiré un si curieux effet de l’entre-croisement de la musique et de la parole, et qui, à l’Opéra, représentée avec toute la pompe du tableau des nonnes dans Robert, perd ce que son caractère essentiellement familier avait de sinistre originalité. Au lieu d’agrandir les distances, il eût fallu au contraire les rapprocher. Ce décor, par son immensité, vous déconcerte, vous écrase ; et tout connaisseur, en voyant la toile se lever sur cet aménagement gigantesque, regrettera comme nous qu’un Weber nouveau, un Weber du présent et de l’avenir, ne se soit pas trouvé là pour composer une musique mieux appropriée à cette mise en scène, car l’ancienne musique assurément ne suffit plus ; les motifs semblent écourtés, sonnent creux, nombre d’effets cent fois admirés jusqu’alors passent inaperçus : l’appel des cors, par exemple, au moment où Max paraît sur la montagne, et dans le finale du dernier acte, après la superbe phrase en si, cette précieuse modulation amenant la reprise de l’air d’Agathe. Souvent même l’œuvre du machiniste, ne se contentant plus d’amoindrir l’œuvre du musicien, la supprime entièrement. Ainsi dans le texte de la partition le tableau de la Wolfschlucht se rattache au trio qui précède, comme le chœur des chasseurs se lie aux couplets d’Annette, par tout un système d’exquises transitions que l’oreille suit avec ravissement : à l’Opéra, toutes ces nuances sont perdues. Une simple toile de fond qu’on eût levée, sans retard, sans fracas, nous les eût conservées ; mais il fallait bâtir les décors, aménager les praticables, et l’on n’ignore point quelle histoire c’est de défaire au courant de l’action ces lourds morceaux d’architecture théâtrale. L’orchestre s’interrompt, un rideau tombe, et naturellement les conversations recommencent dans les loges. Nous voici rejetés hors de la pensée du maître, adieu le fil conducteur, un truc l’a brisé. Eh bien ! non, décidément c’est trop de zèle. Cette musique en dit assez pour n’avoir pas besoin qu’on la commente de la sorte et qu’on l’illustre. Intime à la fois et descriptive, elle a son pittoresque en elle, dans ses mélodies, dans ses sonorités, dans ses paroles allemandes qui sont d’un poète[1], et ce qu’au piano elle vous raconte du clair de lune et du torrent, des troubles indéfinis et des pressentimens de l’âme en communication perpétuelle avec les forces élémentaires de la nature, ce qu’elle contient en ses interlignes de romantisme confidentiel, défiera toujours la fantasmagorie de la mise en scène la mieux comprise et les plus merveilleux prestiges de la lumière électrique.

De sujet plus simple, on n’en saurait imaginer : deux cœurs naïfs, qui s’aiment au fond des bois et luttent ensemble contre les maléfices du monde souterrain, drame singulier où les bruits de la nature vont et viennent comme des moteurs symphoniques, espèce d’oratorio de la forêt dont un Allemand pouvait seul surprendre et coordonner les élémens ! Qui dit oratorio dit absence de développement dramatique. Le Freyschütz, pas plus qu’Oberon, ne répond aux conditions d’un grand répertoire : ce sont là d’incomparables fantaisies, des suites de tableaux toujours intéressans, quelle que soit l’atmosphère démoniaque ou féerique qu’on y respire ; ce ne sont point des opéras du genre de ceux que l’Académie impériale adopte et ne lâche plus, de vrais opéras où, comme dans Don Juan, Guillaume Tell et les Huguenots, les passions humaines sont en jeu. Prenez les caractères de Weber ; hommes et femmes, ils se ressemblent tous. Agathe, Rezzia, Euryanthe, c’est la même passivité contemplative, la même inaction dans la rêverie et le mysticisme sentimental ; c’est le même air avec son cantabile délicieux tout baigné d’ombres et de lumières et sa triomphante péroraison, la même prière aux étoiles, un peu dolente et monotone. Écartez la différence des costumes, et je demande comment vous vous y prendrez pour distinguer l’une de l’autre ces trois filles jumelles d’une même inspiration musicale, toutes les trois également blondes, avec des yeux bleus de vergissmeinnicht et des cœurs de Rachel qui ne voudront jamais être consolés tant que la lune au firmament se lèvera pour écouter leurs plaintes. Les hommes de Weber, eux aussi, ne varient guère. Max, Adolar, Huon, sont trois ténors infortunés, passant les uns après les autres par une série d’épreuves on ne peut plus malencontreuses, tous pareillement incapables d’agir, mais tous également doués de l’accent mélodique et sachant par leurs épanchemens élégiaques se rendre compatissant le public de tous les pays. N’oublions pas, pendant que nous y sommes, de relever encore l’air de famille existant entre le Casper du Freyschütz et le Lysiart d’Euryanthe, nature démoniaque à outrance, espèce de résumé de t : utes les difformités morales qui ont servi à composer l’infernal garde-chasse, et qui va se dédoublant dans le caractère d’Églantine.

Cette absence de force caractéristique est cause que Weber n’a jamais su écrire un finale. Ses finales sont de simples morceaux d’ensemble sur lesquels va s’étendre par momens une éblouissante nappe mélodique, des chœurs souvent pleins de magnificence ; mais nous ne voyons pas qu’ils se mêlent beaucoup à l’action. Ils arrivent la plupart du temps lorsque la pièce est jouée, éclatent en hymnes d’actions de grâces, et se contentent de former le couronnement de l’édifice. Le finale de Don Juan et des Noces de Figaro, du premier acte du Barbier, du second acte de Guillaume Tell, le finale du second acte des Huguenots, voilà des chefs-d’œuvre de contexture dramatique ; parlez-moi de Mozart pour savoir créer, conduire et dénouer son drame, manœuvrer des personnages, dont les intérêts et les passions s’entre-croisent, et bon gré mal gré les concentrer sur un point stratégique avec cette habileté de coup d’œil, cette assurance magistrale, qui faisaient dire au grand Frédéric : « Les ennemis sont où je les voulais. » Mettre en regard de la pleurarde sentimentalité d’Agathe l’enjouement guilleret d’Annette et marquer, dans le duo et le trio du Freyschütz, la différence de ces deux natures par des oppositions de rhythme, est une très ingénieuse antithèse musicale, un joli trait de peinture de genre, et rien de plus. Mozart et Beethoven, Rossini et Meyerbeer, s’y prennent autrement lorsqu’il s’agit d’individualiser des caractères ; mais ceux-là sont des humanistes, tandis que le romantisme fantastique de Weber n’a de goût que pour les puissances occultes de la nature, et ne veut du cœur humain que sa rêverie et ses superstitions. Il ne connaît que le gouffre ou la grotte d’azur, la porte d’airain ou la porte d’ivoire, sunt geminæ portas, et dédaigne de frapper à la grande porte de la vie, à celle où les Shakspeare, les Molière, les Mozart et les Beethoven ont passé : la terre est une région intermédiaire qui à ses yeux ne compte pas, c’est un gnostique ; mais ouvrez-lui les mondes souterrains, les campagnes du bleu, et vous verrez comme il les gouverne en roi. On peut dire de Weber qu’il a créé la langue des esprits, son orchestre ne ressemble en rien à ce qu’on avait entendu jusqu’alors. Laissons de côté le bon Haydn et son quatuor patriarcal, où les instrumens à vent, quand ils interviennent, ne figurent guère qu’à l’état de solistes ; Mozart, bien autrement coloriste, mélange les sonorités, et par la fusion des divers groupes arrive à l’intensité de l’expression ; Beethoven, nul ne l’ignore, est en matière d’instrumentation, l’individualisateur par excellence, connaissant le fort et le faible de chaque instrument, en tirant pour l’effet général, symphonique, tout ce que sa nature peut fournir de ressources même secrètes, et si le quatuor reste encore chez lui la base fondamentale de l’orchestre, du moins toutes les voix conservent-elles un certain équilibre. Avec Weber, cette pondération cesse résolument, les instrumens à vent prennent le dessus ; voici la domination qui commence de la flûte et du hautbois, de la clarinette et du basson, du cor et de la trompette. C’est aux sons aériens et vaporeux de la flûte et du hautbois que s’élèvera dans les nuages la cité flottante d’Oberon et de Titania, tandis que le maître empruntera aux bassons et aux clarinettes de quoi rendre les pressentimens et les terreurs du monde souterrain, aux cors la saveur forestière, aux trompettes et aux trombones l’élément résurrectioniste du vieux moyen âge écroulé. Ajoutons bien vite cependant que l’instinct de cette coloration tout individuelle formera le fond même de son génie, car s’il est au demeurant très facile de décomposer l’art de Weber, toute cette chimie musicale ne sert de rien lorsqu’il s’agit de procéder, d’instrumenter, et Berlioz, qui n’était certes pas un musicien ordinaire, l’a bien prouvé en voulant tremper sa plume dans l’encrier du maître pour écrire des récitatifs au Freyschütz.

Rendons à l’administration cette justice de reconnaître qu’en remontant le Freyschütz, après trente ans, elle a traité sans ménagemens cette superfétation du texte. On a pratiqué de vraies coupes sombres dans la suffocante épaisseur des dialogues chantés, et néanmoins il en reste encore trop. Je voudrais ne point médire de l’Invitation à la valse, mais la manière dont on l’exécute et la représente à l’Opéra me semble absolument critiquable. Meyerbeer, dans une lettre rendue publique en un certain procès, se récusait à la seule idée d’instrumenter le roi des Aulnes, de Schubert. Berlioz, également tourmenté de scrupules, a passé outre, et certes la chose a dû terriblement lui coûter, à lui qui de sa vie ne cessa de fulminer l’anathème contre les malheureux arrangeurs. Nous parcourions dernièrement ses Mémoires, où tant d’or se mêle au clinquant, où les plus odieuses vulgarités viennent à chaque instant déparer des pages d’ailleurs excellentes ; on n’imagine pas ce que contient ce livre de railleries grotesques et d’invectives de toute sorte à l’adresse des gens qui jamais ont osé toucher d’une façon quelconque aux textes d’autrui. Par quelle série d’inconséquences, l’auteur de ce livre en est arrivé à se permettre de remanier le Freyschütz, d’instrumenter l’Invitation à la valse, je ne me charge pas de l’expliquer, et je me borne à penser qu’il se sera dit : « Je ferai mieux, » imitant à son tour ces horribles sacrilèges, « ces idiots » voués à toutes les exécrations, à toutes les huées de l’avenir, et ne croyant ou ne voulant pas croire que, même en faisant mieux, il fait comme eux. Il se peut que dans un concert, soigneusement isolée des autres compositions du maître, cette instrumentation de Berlioz passe pour du Weber ; à l’Opéra, en plein Freyschütz, l’illusion n’est pas possible, l’exagération seule des procédés de Weber trahit la supercherie ; à certains momens, l’imitation tourne à la charge : c’est la palette tout entière écrasée d’un coup de poing sur la toile. J’appelle l’attention des musiciens, des amateurs sur ce passage où les harpes, les flûtes et les petites flûtes se sont donné le plus glapissant des rendez-vous, et je leur demande si le grand, l’irascible Weber prendrait fort en patience cette grimace de sa couleur et de son style ?

Le pas que cette transcription accompagne, et que Mlle Beaugrand danse à ravir, n’a qu’un tort, celui de n’être point à sa place. Cette pantomime essentiellement aristocratique (la musique ici n’en comportait pas d’autre), succédant sans transition au chœur des chasseurs, produit le plus singulier des contrastes. Où sommes-nous ? Essayons un peu de relever l’état des lieux : sous une magnifique tente de campement qu’on croirait dressée pour Wallenstein et son état-major, mange, boit et se prélasse un superbe hospodar de fantaisie, harnaché de brandebourgs d’or, enturbanné comme un Turc. Que vient faire là cet Orosmane ? que nous veulent ces fiers pandours qui gardent sa personne auguste ? Des casques et des pertuisanes dans le Freyschütz, ô mise en scène, ce sont bien là de tes jeux ! Il est vrai qu’un instant auparavant nous avons pu voir des glaciers dans la Suisse saxonne ! N’importe, comme il s’agit avant tout d’égayer ce potentat qui semble horriblement s’ennuyer en sa douillette de satin cerise, on envoie les chasseurs se coucher dans l’herbe, et la fête commence : un vrai bal, s’il vous plaît, la valse la plus exquise dont jamais le talon rouge d’une bottine de duchesse ou l’éperon damasquiné d’un vaillant prince ait marqué le rhythme impérieux, et qu’on exécute là en plein air, sur le turf, chose d’ailleurs fort regrettable, qui vous mécontente à double titre, car, tout en maugréant contre une malséante adaptation, vous vous dites que c’est grand dommage qu’on ait gaspillé de la sorte un motif qui, bien employé à son temps, à son heure, eût peut-être fourni matière à tout un ballet.

Parlons maintenant de l’interprétation, et ne nous laissons pas égarer par ce beau rêve de la perfection qui semble échauffer la critique chaque fois que l’Opéra se hasarde à reprendre un chef-d’œuvre du passé. Il y a quelques années, lors de la mise en scène de Don Juan, les sévérités, on s’en souvient, ne firent pas défaut. On vit de tous côtés sortir des juges qui, après avoir établi les plus sérieux parallèles entre la version de l’Académie impériale et celle du Théâtre-Lyrique, décidèrent que finalement c’était le Théâtre-Lyrique qui « méritait la palme, » et que M. Barré l’emportait sur M. Faure, comme Mme Charton-Demeur sur Mme Sass, et M. Troy sur M. Obin. Cette fois encore, à propos du Freyschütz, on n’a point manqué de mettre en avant le Théâtre-Lyrique et de lui donner la préférence. Rien de plus contestable que cette prétention. Mme Carvalho, malgré tout son talent, ne possédait aucune des qualités nécessaires pour faire une Agathe même médiocre, et le reste de la troupe, bien que formant le dessus du panier, ne méritait guère l’honneur d’être nommé. L’exécution du Freyschütz au Théâtre-Lyrique fut, comme celle de Don Juan, une bonne exécution de province, rien de plus. À l’Opéra, si l’Agathe a ses défaillances, si le Max prête trop le flanc, l’orchestre et les chœurs tiennent vaillamment la partie, et l’on sait quelle place occupent dans une bonne mise en scène du Freyschütz ces élémens d’exécution. En Allemagne, les masses vocales sont presque tout, les personnages s’en détachent à peine, et c’est ce qui fait que dans les plus petites villes vous assistez à d’intéressantes représentations. Les chœurs du Freyschütz sont là partout en permanence ; dans ces joyeux groupes chantant les soirs d’été devant leurs portes sont des jeunes gens et des jeunes filles qui n’auront même pas besoin de changer de costume pour se transformer en Max, en Agathe, en Annette, en Casper, au premier coup d’archet, au premier appel du cor. Quel dommage que M. Villaret n’ait pas reçu la moindre confidence des secrets du pays ! il chante cette musique sans goût comme sans accent ; il ne la comprend pas, et le mieux qu’on puisse dire à sa justification, c’est qu’un autre ne la comprendrait pas davantage, et que M. Colin n’y serait pas moins déplacé. Mlle Hisson continue à jouir d’une magnifique voix dont elle ne sait que faire, et qui la gêne et l’embarrasse ; il semble qu’elle éprouve à chanter un immense ennui ; sa nonchalance s’y refuse. Chateaubriand bâillait sa vie, Mlle Julia Hisson bâille son chant. Une fois seulement cette belle voix parvient à se poser dans l’adagio de la cavatine d’Agathe, qu’elle dit avec ampleur et sentimentalité, sinon avec largeur et sentiment. M. David compose bien la sinistre figure de Casper ; je lui voudrais cependant une attitude plus soutenue. Casper est un scélérat, un damné ; il n’est point un lâche, et dans la scène de l’incantation, dans son dialogue avec Samiel, M. David abaisse le personnage jusqu’à la poltronnerie, à la platitude. J’aurais aussi mieux auguré du succès musical : un tremblement de la voix, trop sensible depuis quelque temps, nuit à l’effet des couplets et de l’air du premier acte, enlevés du reste avec bravoure. Nous ne soupçonnons guère que Mlle Mauduit eût jamais été choisir de son plein gré le rôle d’Annette ; mais on ne choisit pas son devoir, on l’accepte tel que votre directeur vous l’impose. Mlle Mauduit est une cantatrice de grand opéra : une Alice, une Rachel, une Elvire ; le malheur veut qu’en jouant Siebel, dans le Faust de M. Gounod, elle y ait réussi et prouvé, beaucoup trop peut-être pour son propre avantage, que tout en pouvant le plus, elle pouvait le moins, ce qui lui a valu la parfaite reconnaissance de l’administration et en même temps l’octroi tout délicat de ce joli rôle d’Annette, qu’elle chante et joue avec une grande sûreté d’artiste et beaucoup de gentillesse féminine.

Maintenant que penser de certains bruits d’après lesquels une distribution entièrement nouvelle des rôles du Freyschütz serait sur le point d’être essayée ? Notre opinion est qu’il n’en faut rien croire. Un directeur peut se tromper, il ne se désavoue pas. Son intérêt, pas plus que son devoir, ne lui conseille d’abandonner ses artistes ; l’un et l’autre lui ordonnent au contraire de tenir bon, de persister et de conduire bravement jusqu’au bout l’œuvre collective, même alors qu’il reconnaîtrait par quels côtés elle offre prise à la critique. Les avertissemens de l’expérience ne servent que pour l’avenir ; les vouloir utiliser sur le coup, c’est montrer sa faiblesse et son désarroi. Quand on a une fois pris un plan, on doit s’y tenir, d’après ce principe qu’il vaut mieux exploiter les choses en ce qu’elles sont que de les vouloir toujours recommencer parce qu’on n’a pas d’emblée atteint la perfection. D’ailleurs il n’y a pas dans ce monde que des recettes à encaisser, il y a aussi la dignité d’un théâtre de premier ordre, qui ne permet point qu’on fasse huit mois durant travailler des artistes pour les dépouiller de leurs rôles du jour au lendemain. Agir de la sorte serait le comble de la maladresse ; une administration y perdrait tout son crédit, car les artistes, voyant qu’on se moque d’eux, cesseraient de prendre au sérieux des études faites pour rester sans résultat, alors qu’elles ne tournent pas à leur confusion. En ce qui concerne le Freyschütz, toutes les distributions du monde ne changeraient rien à l’état des choses. Il faudrait renverser l’édifice de fond en comble, avoir d’autres récitatifs, une autre traduction ; il faudrait l’impossible. La situation, telle que les circonstances l’ont amenée, n’est certainement point une victoire, elle n’est pas non plus une défaite, et mieux vaut encore pour l’administration de l’Opéra un loyal acquiescement qu’un maladroit remue-ménage qui, sans profiter au caissier, amoindrirait beaucoup l’autorité de la direction.

Le Freyschütz n’a jamais fait en France que d’assez rapides apparitions. On l’a vu depuis trente ans voyager tour à tour du Théâtre-Lyrique à l’Opéra et ne se fixer nulle part. Cette fois encore j’ai tout lieu de craindre que la fantasmagorie ne soit de très courte durée. Les œuvres classiques seules résistent à la traduction ; le Don Juan de Mozart est de tous les temps, de tous les pays, de tous les répertoires ; le Freyschütz, par sa poésie même d’un caractère si exclusivement germanique, si local, répugne à cette naturalisation universelle. Impossible de l’acclimater chez nous ; quoi qu’on fasse, il reste allemand, allemand ombrageux, sauvage, réfractaire aux mœurs du beau pays où fleurissent la Dame blanche et Fra Diavolo. S’il lui arriva jadis, à ce chef-d’œuvre sublime et renfrogné, d’entrer en pleine communication avec le public français, c’est peut-être qu’il trouva son maître dans un homme qui ne croyait pas aux chefs-d’œuvre, et qui du premier coup le rudoya, le maltraita, pour le soumettre au goût français. Nous raillons aujourd’hui et à bon droit ces arrangemens, — notre religion envers le génie s’en indigne comme d’un sacrilège ; mais qui nous soutiendra que ces arrangemens n’aient pas été nécessaires dans leur temps ? qui nous répond qu’à cette heure même le public de l’Opéra ne les regrette pas ? Combien dans cette salle qui s’ennuie n’aimeraient à pouvoir se récrier contre une de ces adaptations intelligentes qui font réussir l’œuvre du génie ! On s’indigne, mais on s’amuse, et cela vaut mieux que de bâiller en admirant. Un pays reste fidèle à ses traditions, à ses goûts ; on aura beau restaurer les textes et pieusement vouloir remettre les choses à leur place, le public français, en fait de Freyschütz, ne connaîtra jamais que son Robin des Bois.

S’il existe deux esprits ayant une parenté tout à fait particulière, c’est assurément Hoffmann et Weber ; rapprocher ces deux noms sur une affiche était une idée ingénieuse : un ballet nouveau, Coppélia, termine en effet le spectacle, auquel, volens, nolens, le grand Freyschütz sert très humblement de lever de rideau. Or Coppélia, c’est le féminin de Coppélius, et qui ne connaît l’histoire de l’homme au sable ? Cette idée du conte fantastique semble depuis quelque temps énormément préoccuper M. Nuitter. Après l’avoir une première fois mise à profit aux Bouffes-Parisiens dans la Princesse de Trébizonde, voilà qu’il en fabrique maintenant un ballet ; si par hasard il lui plaisait quelque jour d’en tirer une comédie pour le Gymnase, nous serions en mesure de lui indiquer une étude dramatique de M. Frédéric Van Helmont, publiée il y a quelques années en Allemagne. Cela s’appelle les Automates ; on n’aurait qu’à traduire, car la pièce est toute faite, et cette question de l’existence artificielle transmise à des poupées de cire ou de bois avait fourni au jeune auteur des boutades philosophiques, qui pourraient sans doute encore avoir leur prix même après les pantalonnades d’une opérette-bouffe et les charmans lazzi d’une ballerine de quinze ans. « Monter le ressort ! moyen unique d’agir avec les automates comme avec les hommes ; le tout est de savoir s’y prendre, car le ressort varie beaucoup : l’amour, l’ambition, la gourmandise, l’envie, la soif de l’or, autant d’individus, autant de mobiles différens, tandis qu’avec mes automates le ressort au moins ne change pas. J’ai connu les hommes, et j’ai fait des automates ; j’ai fabriqué des automates, et j’ai appris à ce métier l’art de conduire et de gouverner les hommes. Croyez-moi, monseigneur, une mécanique vaut l’autre, le tout est d’avoir bien étudié les ressorts pour les faire jouer au moment convenable. » Et la pièce allemande continue ainsi sur le ton humoristique avec une intrigue plus ou moins compliquée, mais qui se suit et se dénoue. En voyant au second tableau du ballet la jeune fille prendre la place de la poupée, chacun s’imaginait que la substitution allait amener quelque chose : non pas ! c’était uniquement de l’art pour l’art, un prétexte à toute sorte de virtuosités mimiques et chorégraphiques. L’auteur de la comédie à laquelle je fais allusion ne se contente pas de transporter tel quel sur les planches le mannequin du conte ; s’il prend le motif hoffmanesque, c’est pour le varier à sa guise, pour en tirer tout ce qu’il peut rendre en ingéniosités drolatiques. J’ouvre la scène suivante qui prépare le dénoûment, et donnera au lecteur français la vraie note de ce petit drame, que j’aimerais à voir traduire pour un de nos théâtres de genre.

« Le margrave. — Comment me tirer de là ? car je ne puis cependant consentir à ce que mon fils le prince héréditaire épouse la fille de ce caporal couronné.

« COPPELIUS. — Une nièce du grand Frédéric !

« LE MARGRAVE. — Soit, mais si compromise par l’aventure d’hier au soir ! Tiens, ne me parle plus de cette union ; quoi qu’il puisse advenir, j’y renonce.

« COPPELIUS. — A votre aise, monseigneur ; mais on pourrait toujours arranger un petit simulacre de mariage qui sauverait du moins les apparences.

« LE MARGRAVE. — Et lequel ?

« COPPELIUS. — Par exemple marier deux de mes automates.

« LE MARGRAVE. — Marier des automates !

« COPPELIUS. — Nous poserons que le jeune seigneur est votre fils et la demoiselle sa fiancée, et nous procéderons.

« LE MARGRAVE. — Maître Coppélius, vous n’y pensez pas !

« COPPELIUS. — Pardon, ne vous est-il jamais arrivé de faire pendre un homme en effigie ?

« LE MARGRAVE. — Mais si, plusieurs fois ; j’avoue même avoir un certain faible pour ce genre d’exécution…

« COPPELIUS. — Où la justice et l’humanité trouvent leur compte…

« LE MARGRAVE. — Car on est pendu suivant les règles, et cependant on n’en meurt pas.

« COPPELIUS. — Du moment que vous avez le droit de faire pendre les gens en effigie, je ne vois pas qui oserait vous contester le privilège de les marier de la même façon : le grand-duc et votre cour attendent une noce, cette noce sera célébrée avec tout le cérémonial voulu.

« LE MARGRAVE. — Et après ?

« COPPELIUS. — Dame ! après, nous emballerons les deux conjoints dans un vieux coffre, et il n’en sera plus question. »

On devine que, par une adroite combinaison du vieux mécanicien, le mariage en effigie se trouve être un mariage on ne peut plus authentique, et sur lequel il n’y a point à revenir. Il semble qu’une péripétie de ce genre eût été bienvenue au dénoûment de Coppélia ; même dans un ballet un peu d’habileté ne messied pas, et c’est aussi trop se moquer des gens que de donner pour dénoûment à l’homme au sable la mise en action de la Cloche de Schiller. Associer à l’idée fantastique d’un conte d’Hoffmann le plus classique des dithyrambes du poète d’Iéna, il y a là un de ces contre-sens, de ces anachronismes qui ne se font excuser qu’à force d’amuser leur monde, et cette fois le divertissement est loin de mériter son nom, ou, s’il le mérite, c’est par antiphrase : lucus a non lucendo ! Quelle raison d’être ont ces figures emblématiques, ces éternelles allégories en plein air succédant à la jolie scène de l’atelier, si pittoresquement jouée et dansée par l’aimable virtuose ? On aurait tout à gagner à supprimer ce tableau final ; le spectacle en serait allégé d’autant, et le public quitterait la place sous une impression de plaisir que l’ennui n’a point traversée.

Un ballet n’est point toujours un thème que le musicien doive mépriser ; cette action muette, cette suite de scènes où l’orchestre seul commente l’action et lui vient en aide pour remplacer la parole absente offrent au contraire au compositeur une belle occasion de se développer. Il y peut montrer toute sa force, être savant, habile, industrieux à son heure, inspiré quand il le faut, développer au besoin tous les trésors de sa mémoire, tantôt citant les maîtres et tantôt puisant à son propre fonds, libre de festonner en longeant la côte ou de gagner au large. Hérold a semé dans la Somnambule mille choses exquises, Adolphe Adam ne fut jamais poète que dans ses ballets ; ce Désaugiers musical vous a dans Giselle des idéalités à la Novalis, et dans le Corsaire des flammes dramatiques dont ses opéras ne portent point trace. C’est un peu de ce romantisme que nous voudrions rencontrer dans la musique de Coppélia. L’auteur, M. Léo Delibes, est un écrivain, et parmi tous les compositeurs attendant leur tour, parmi tous ces normaliens ferrés sur la théorie, je ne sais guère que M. Bizet qui soit capable de manier et de remuer un orchestre avec cette solidité de poigne. Si vous aimez le coloris instrumental, on en a mis partout ; j’ose même dire qu’il y en a beaucoup trop. Ces curiosités de résonnances au premier abord amusent l’oreille ; à la longue, elles vous étourdissent, vous assomment. Que M. Delibes y prenne garde, en un temps où la dextérité de facture a livré tous ses secrets, ce maniérisme à outrance, ce brio continu aura bientôt fait de tourner au poncif. Un autre grand péril qui menace les musiciens de talent, c’est l’opérette-bouffe. M. Léo Delibes a donné dans cet affreux travers ; il en est revenu, pensons-nous, mais sa musique en portera longtemps la marque. Rien de plus agaçant que ces harmonicas du second acte : les gens que cette note réjouit cherchent à l’excuser en arguant de la situation. Il se peut en effet que ces jeux de timbres imitant les boîtes à musique de Nuremberg fassent un accompagnement très naturel aux évolutions d’une poupée ; il n’en reste pas moins vrai que de pareilles combinaisons nous viennent en droite ligne des Bouffes-Parisiens. Indiquer la note eût suffi ; la reproduire avec tant de complaisance, c’est vraiment se montrer trop ingénieux.

La petite Joséphine Bozacchi a déjà sa légende, ce qui, pour réussir à l’Opéra et s’y imposer d’autorité dès le début, est une condition non moins indispensable aujourd’hui que de n’être point née Française. Comme la Norvégienne Nilsson jouant du violon dans les kermesses villageoises, la Milanaise Bozacchi a connu les mauvais jours, et bien avant que les lustres fussent allumés, mille anecdotes habilement répandues attiraient la sympathie du public sur cette gracieuse enfant, soutien de toute une famille. Il s’est même trouvé aussitôt des bonnes âmes pour dicter à l’innocente pensionnaire des lettres d’un sentimentalisme prétentieux qui seraient certainement beaucoup mieux à leur place dans la morale en action que dans les colonnes d’un journal de théâtre ; mais laissons là ces véhicules du succès, et sans nous occuper davantage de l’enfant-prodige, parlons de la jeune danseuse.

Pour du mérite, elle en a, et si les enivremens de la première heure et le parasite empressement des flatteurs ne viennent point couper court aux efforts du travail, on peut compter d’ici à quelques années sur un talent très remarquable ; en attendant, les promesses sont charmantes. D’une physionomie tout avenante, où l’espièglerie éclate en jolis traits, agréable et d’un tour exquis, bien qu’un peu mignonne, intelligente dans son geste, légère et correcte dans son pas, Mlle Bozacchi possède de naissance toutes les aptitudes du métier. La virtuosité chez elle est instinctive, et pour arriver au style elle n’a maintenant qu’à suivre sa voie ; ses pointes, ses parcours sont d’un art consommé, sa pantomime, ― on n’est pas Italienne pour rien, — joint à beaucoup de rhythme, d’éloquence, une suprême distinction. N’oublions pas cependant que dans Coppélia Mlle Bozacchi joue un rôle écrit pour elle, un rôle qui, destiné d’abord à la Grandzow, s’est, par une longue suite de répétitions, transformé à l’image exacte de la gentille fée qu’on voulait lancer. Gestes et pas lui sont ménagés de manière à faire briller ses qualités, à cacher ses défauts, si elle en a, ce que nous ne saurons bien, à tout prendre, que lorsque nous l’aurons vue paraître dans les autres ballets du répertoire : Giselle, Néméa, le Corsaire, car les choses sont ici combinées tellement à l’avantage de la débutante, qu’on pourrait presque dire que la petite Bozacchi est moins encore le personnage qu’elle représente que ce personnage n’est la petite Bozacchi elle-même. Le premier soir, quand le succès la prit ainsi au dépourvu, elle ne savait comment répondre aux ovations qu’on lui faisait. Aimable et touchante simplicité ! elle se contentait de sourire aux applaudissemens, joyeuse et fière de son triomphe, relevant librement la tête au lieu de l’incliner selon le vieux rite consacré. Elle ignorait le salut et la révérence, et, n’ayant point prévu ce bienheureux épisode des applaudissemens, elle ne s’était point mise en quête de la pantomime d’usage pour le remplir. Une heure plus tard, pendant l’entr’acte, vous auriez pu voir au foyer de la danse la superbe triomphatrice rire et se démener gaîment avec ses camarades du corps de ballet. Par combien d’émotions avait pourtant dû passer depuis la veille cette frêle et rare créature, hier inconnue et délaissée, ce soir entourée, applaudie, presque illustre, recevant avec une adorable petite moue l’hommage « de la ville et de la cour, » comme on disait au temps de Mme de Sévigné !


F. DE LAGENEVAIS

C. BULOZ

  1. « Que je vous ai d’obligations pour votre magnifique poème ! Que de motifs divers ne m’avez-vous pas fournis, et avec quel bonheur mon âme pouvait s’épancher sur vos vers si profondément sentis ! » Lettre de Weber à son librettiste Kind.