Chronique de la quinzaine - 14 juillet 1844

Chronique no 294
14 juillet 1844
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 juillet 1844.


On se demandait, depuis plusieurs mois, jusqu’où pouvait aller la patience du cabinet. Battu sur les questions administratives comme sur les questions politiques, il s’armait d’une résignation égale à ses défaites ; d’où lui venait cette magnanime indifférence ? On l’ignorait. On ne savait pas qu’il possédait un secret pour se tirer d’affaire. Ce secret nous a été enfin révélé. Le Moniteur du 30 juin a publié l’article sur la dotation.

Cet expédient prolongera-t-il les jours du ministère ? est-il raffermi, ou bien a-t-il soulevé imprudemment la tempête destinée à l’emporter ? Ce problème n’est pas encore résolu pour nous. Le succès, dans ce monde, est quelquefois si bizarre ! Les témérités les plus folles peuvent réussir et prendre l’apparence de l’habileté. Laissons à un avenir plus ou moins rapproché le soin de nous instruire à cet égard. Les politiques profonds, les gens habiles, nous voulons dire ceux qui ont un penchant décidé pour le ministère, répondent maintenant de sa durée jusqu’à la session prochaine. Soit : que le ministère dure encore cinq ou six mois, puisqu’ils le veulent ; mais si le ministère a su se tirer d’affaire pour le moment, voyons s’il a sauvé sa considération et son honneur.

D’abord, le manifeste a été l’objet d’un blâme universel. Pas une voix sérieuse ne s’est élevée pour le défendre, ni dans les chambres ni dans la presse. L’opinion a été unanime pour le condamner. Il a profondément affligé les vrais amis du trône constitutionnel ; il n’a réjoui que les radicaux et les légitimistes. La chambre des députés, sous le coup de cette publication inouie dans les fastes du gouvernement représentatif, n’a pas voulu retarder d’un seul jour l’expression de son juste ressentiment. L’article avait paru le dimanche 30 juin, les interpellations ont eu lieu le jour suivant. M. Dupin, de ce ton ferme et brusque qui le caractérise, a reproché au ministère d’avoir fait une sorte d’appel au peuple contre les chambres, d’être sorti des voies constitutionnelles, d’avoir agi sans loyauté et sans franchise. M. Guizot, dont l’embarras était visible, et dont l’éloquence avait déjà pâli deux fois devant le langage audacieux de M. Lherbette, n’a pas répondu à M. Dupin. Tout le ministère est resté muet. Son silence a été apprécié par la chambre. Cette fois encore, le ministère avait contre lui la majorité, qui, selon sa vieille habitude, s’est contentée de l’humilier.

Voilà, jusqu’à présent, tout le succès du manifeste au Palais-Bourbon. L’opinion du Luxembourg n’a pas mieux accueilli cet étrange oubli des règles parlementaires. Si le mécontentement de la chambre des pairs n’a pas éclaté à la tribune, il s’est produit ailleurs, dans des conversations pour ainsi dire publiques, et avec une vivacité singulière. M. Pasquier n’a pas ménagé ses termes, et le jugement exprimé par le grave chancelier serait de nature à blesser cruellement l’amour-propre du cabinet, si le cabinet avait de l’amour-propre. L’impression ressentie dans les chambres a été partagée dans le public ; elle est celle de tous les citoyens sensés qui se défient des expériences politiques, qui aiment le jeu naturel de nos institutions, qui trouvent qu’un gouvernement est bien fou de se créer lui-même des embarras, lorsque le cours ordinaire des choses amène sans cesse des difficultés nouvelles, qui pensent enfin que les premiers devoirs d’un cabinet sont d’exécuter fidèlement la constitution, de respecter les opinions de la majorité, de garantir de toute atteinte la personne du roi, et de pratiquer sincèrement la doctrine de la responsabilité ministérielle. Voilà l’effet que la publication du Moniteur a produit sur les esprits les plus modérés. Nous passons sous silence les plaisanteries sur certains passages peu littéraires de l’article officiel, et l’impression pénible qu’a causée l’humilité de certaines phrases. Sans parler de la mesure en elle-même, était-ce là un langage habile, convenable, digne de l’intérêt élevé que l’on voulait défendre ? Et le moment choisi pour la publication, quelle preuve de tact ! L’heureuse idée de jeter les dotations princières au milieu de l’affligeant débat des intérêts matériels et à travers les dégoûts soulevés contre les affaires d’argent ! Les dotations et la discussion des chemins de fer, quel rapprochement ! Sous tous les rapports, l’occasion était trop belle d’injurier le trône pour que les factions ne l’aient pas saisie aussitôt. Une presse ardente, la presse légitimiste surtout, a exploité le thème fourni par le Moniteur. Le roi est attaqué ; le ministère ne l’est plus. Un ou deux journaux ministériels qui veulent bien défendre la mesure le font froidement, comme des avocats chargés d’une mauvaise cause. Pourquoi aussi le Moniteur ne parle-t-il pas ? Il a promis d’éclairer le pays, de dissiper les erreurs, de combattre les calomnies, de faire triompher la vérité contre les préjugés entretenus par la malveillance des factions. La tribune est muette ; c’est au Moniteur de parler. Qu’il fasse donc ses affaires lui-même. Nous connaissons des gens, d’ailleurs fort exclusifs en matière de presse, qui, cette fois, accepteraient bien volontiers la concurrence du journal officiel. Si le Moniteur voulait enfin rompre le silence ; s’il lui plaisait tout à coup de devenir piquant, spirituel, éloquent, persuasif, il leur éviterait de grands embarras.

Mille bruits ont circulé sur la rédaction et sur la publication du manifeste. Dans le premier moment, des familiers du ministère ont osé dire que le Moniteur avait commis un acte d’indiscipline, et qu’il en était résulté de graves explications dans le conseil, à la suite desquelles plusieurs portefeuilles, courageusement déposés, avaient été repris sous l’empire des sollicitations les plus pressantes, adressées aux sentimens les plus nobles. Cette fable n’ayant rencontré que l’incrédulité et le mépris chez les honnêtes gens, on a imaginé une autre version. On a dit que tous les ministres n’étaient pas coupables au même chef, que plusieurs avaient ignoré la mesure, que d’autres, l’ayant désapprouvée et mettant en balance leurs convictions et leur dévouement, avaient fini par imposer un douloureux silence à leurs convictions. Quant à la rédaction de la note, on ajoutait que tous les ministres y étaient étrangers. On l’avait reçue toute faite, ceux qui l’avaient connue l’avaient discutée respectueusement, sans y rien changer ; puis le Moniteur l’avait publiée. Cette seconde version a obtenu plus de succès que la première. Elle était d’accord avec l’idée que le public s’est faite, à tort ou à raison, de l’influence réelle de certains membres du cabinet. Elle donnait aussi à certains ministres que nous n’avons pas besoin de nommer, et qui sont connus pour ne pas aimer les affaires douteuses, le moyen de se créer dans la circonstance une situation à part. Il faut dire à l’honneur de la fraction militaire du cabinet qu’elle n’a pas accepté un seul instant la solidarité de ces trahisons réciproques, au milieu desquelles un intérêt supérieur à tous les autres était scandaleusement sacrifié. Dès que le maréchal Soult a connu ces commentaires, il les a désavoués avec la franchise un peu rude qu’on lui connaît. L’amiral Mackau a fait la même chose un peu plus poliment. On a su alors que la mesure de la dotation avait été discutée en conseil depuis trois mois, et que l’article du Moniteur avait été entièrement rédigé par M. Guizot. M. Villemain, dit-on, par amour des formes littéraires, aurait bien voulu introduire dans la rédaction quelques changemens utiles ; mais ses observations, pleines de goût et de justesse, n’ont pas été accueillies. Le style génevois a écarté le style académique.

La responsabilité ministérielle, malgré tous les efforts que l’on a faits pour l’atténuer, est donc pleinement engagée dans tout ceci. Le ministère répondra des suites du conflit qu’il soulève d’une manière si périlleuse et si peu constitutionnelle. Il a lancé au milieu des passions de la multitude le nom du roi, l’inviolabilité de la couronne, l’honneur d’une dynastie, les principes tutélaires de notre constitution ; ces grands intérêts, dont la garde est confiée à sa loyauté comme à sa prudence, il les livre à la controverse orageuse des journaux ; il les retire du débat régulier des pouvoirs publics pour les précipiter dans l’arène des partis. Si la discussion, ainsi transformée en une sorte d’émeute organisée par le ministère, nuit à la cause qu’il est chargé de défendre, il en portera toute la responsabilité. Nous savons bien, du reste, qu’il y a dans le ministère un homme que cette lutte n’effraie point, et qui la désire au contraire. Ce n’est pas la première fois que la France, depuis quinze ans, voit apparaître dans les conseils du pouvoir une politique dont le but est d’exciter les passions pour se donner le dangereux plaisir de les combattre, et qui, se sentant inhabile à gouverner par la douceur, fait naître des crises pour avoir le droit d’employer la violence comme un moyen de gouvernement. Lorsqu’on ne sait pas se concilier les esprits, on veut les dominer ; lorsqu’on ignore le secret de diriger la majorité dans un temps calme, par la seule influence du caractère et des lumières, on veut la subjuguer par le sentiment du danger. On a recours aux moyens extrêmes pour la discipliner. Comme on sait qu’elle abhorre les factions, et qu’elle est profondément dévouée à la royauté de juillet, on met cette royauté en cause, et on réveille les factions : c’est le moyen d’alarmer et de ressaisir la majorité. On élève les mauvaises passions à la surface de la société pour trouver l’occasion d’un combat où l’on se croit sûr de vaincre, parce qu’on aura le droit de réclamer, au nom des intérêts menacés, l’appui des bons citoyens. On s’abritera derrière le trône, que l’on croit assez fort pour supporter les coups. Qu’importe, d’ailleurs, l’issue de la guerre que l’on allume, si l’on est parvenu à rallier pour un moment la majorité, si l’on a interrompu le travail qui s’opérait naturellement dans son sein, et qui, par un déplacement insensible, allait porter sans secousse le pouvoir dans d’autres mains plus fermes et plus sûres ? On espère bien, par la suite, si cela devient nécessaire, fortifier sa situation en aggravant le péril, et embrouiller tellement les affaires, que l’on dégoûtera pour long-temps les hommes sensés qui pourraient prétendre à l’héritage ministériel. Le pays a déjà fait, il y a peu d’années, l’épreuve de cette politique faible et violente, agressive au dedans et timide au dehors ; peut-être finirons-nous par la revoir à l’œuvre. À Dieu ne plaise que nous voulions augmenter ses embarras ! Nous saurons toujours séparer ce qui est irresponsable de ce qui ne l’est pas, ce qui mérite notre dévouement et nos respects de ce qui mérite le blâme, la couronne enfin de l’intérêt égoïste qui la découvre pour s’effacer lui-même, et la compromet dans une lutte dont il espère, quoi qu’il arrive, recueillir les fruits. Cependant, pour parler avec franchise, nous avions cru que le règne de cette politique était passé. Depuis deux ans surtout, l’immense malheur qui a frappé la France et fixé ses regards inquiets sur l’avenir avait paru indiquer le besoin d’une politique élevée, généreuse, prévoyante, appliquée à éteindre les mauvaises passions, à élargir la base du pouvoir, capable surtout de faire aimer le trône, et de l’entourer des respects du pays. Populariser la dynastie, ce devait être l’œuvre de notre temps. Tous les esprits sages offraient leur concours à cette noble entreprise ; c’était la pensée de M. Thiers lorsqu’il prononçait, sur la loi de régence, un discours que bien des gens paraissent avoir oublié aujourd’hui. C’était aussi le sens de la conduite réservée qu’ont tenue certains hommes considérables, adversaires connus de la politique du cabinet, voyant ses fautes, mais évitant de se prononcer publiquement à son égard, et lui prêtant le secours d’une neutralité généreuse, dans la crainte, imaginaire selon nous, d’empirer la situation en la dévoilant, et de mettre en péril des intérêts plus grands que ceux du ministère. Préparer l’avenir dans l’éventualité d’une régence, c’était, il faut le dire, le conseil de la prudence la plus vulgaire. Le cabinet du 29 octobre ne paraît pas avoir été de cet avis. Calmer le pays, concilier, réunir, aller au-devant des transactions honorables, tout faire en un mot pour diminuer les difficultés d’un moment de transition que les partis attendent avec espoir, c’eût été pour un esprit comme celui de M. Guizot une petite politique ; la grande politique consiste à déchaîner les orages, au lieu de les prévenir.

Livrez donc encore cette bataille aux factions ; que ce soit la dernière, s’il plaît à Dieu, et montrez-y du moins de la résolution et de la vigueur. Mais non ; dès le premier jour, le roi est calomnié ; on insulte à la tribune la royauté, on fait entre elle et la restauration un parallèle outrageant pour la révolution de juillet. Jamais, jusque-là, de pareilles attaques ne s’étaient fait entendre dans le parlement ; elles étaient reléguées dans les pamphlets : et le ministère ne dit mot ! M. Guizot ne saisit pas cette occasion de faire oublier sa faute par l’éloquence, et de relever avec lui, au moyen d’un triomphe oratoire, la majorité confuse et désarmée. Puis arrivent les violences des journaux. La royauté est livrée de toutes parts. Que dit la presse ministérielle ? Qu’il s’agit d’une question de confiance, sur laquelle on n’a pas la prétention de convertir les radicaux ni les légitimistes ; qu’on n’essaiera pas même de persuader quiconque n’est pas l’ami déclaré du ministère. On ne parlera que pour ceux des députés du centre qui ont conservé des scrupules sur la dotation. En vérité, voilà un dédain commode et qui sera d’une grande utilité pour la couronne ! Si la défense de la dotation s’adresse exclusivement à M. Muret de Bort et à ses honorables collègues qui ont exprimé leurs doutes sur la convenance ou l’opportunité de cette mesure, pourquoi tant de bruit ? M. Guizot, sans faire des articles dans le Moniteur, où il avait cessé d’écrire depuis si long-temps, ne pouvait-il pas prier ces messieurs de venir causer avec lui, à l’hôtel des affaires étrangères, et là essayer de les convaincre en leur ouvrant les registres de la liste civile, et en leur parlant de cet air simple et naturel que le ministre doctrinaire sait prendre quelquefois, dit-on, lorsqu’il est de loisir et que le public des tribunes ne le regarde pas ? Mais qu’allons-nous dire ? Si par hasard M. Guizot n’avait toujours eu, au fond, depuis trois ans, qu’un penchant équivoque pour la dotation ; si lui-même, il y a six mois, au moment de la réunion des chambres, dans un intérêt que tout le monde comprend, avait contribué par des suggestions habiles à faire écarter la mesure dans les bureaux ; si le manifeste du Moniteur n’avait eu en réalité d’autre but que d’enterrer le projet, comme on dit, après l’avoir étouffé en public au milieu des protestations du dévouement le plus vif ! Oh ! alors, s’il en était ainsi, nous ne saurions plus comment nommer cette politique. M. Guizot et M. de Cormenin nous sembleraient d’accord pour le but, en agissant par des moyens différens ; et la discussion sur le choix des moyens ne serait peut-être pas à l’avantage de M. Guizot. Que croire cependant ? Ce n’est pas nous, tout le monde le sait, qui inventons de pareilles suppositions. Pour nous, M. Guizot est toujours un admirable orateur, qui honore la France par un talent de tribune que l’on ne peut plus louer, et devant lequel s’inclinent ses ennemis même. Il a rendu au pays de grands services : ce n’est pas nous qui voudrions imprimer cette tache à son caractère ; mais le bruit que nous racontons, ce sont ses confidens eux-mêmes qui le répandent. Ils le disent à l’oreille pour qu’on le répète tout haut. Étrange préoccupation de l’amour-propre ! Ils se croiraient humiliés si M. Guizot, comme tant d’autres, eût fait tout simplement une bévue. Au lieu d’une faute, ils aiment mieux lui attribuer une mauvaise action, que l’on a caractérisée nettement par ces deux mots : honte et profit. Avouons que les ministres ont eu de tout temps des amis bien maladroits.

Puisque nous avons parlé de perfidie ou de quelque chose qui y ressemble, nous ne pouvons laisser de côté cette mystérieuse affaire de la dotation sans dire quelques mots d’une ruse assez savamment concertée dans le but d’alléger le fardeau de la responsabilité ministérielle, et de faire peser une solidarité apparente sur des hommes que le cabinet ou ses amis veulent compromettre dans l’opinion, parce qu’ils ont le malheur de lui porter ombrage. Il va sans dire que l’on a fait circuler avant tous le nom de M. le comte Molé. On a fait entendre qu’il avait reçu d’augustes confidences sur la mesure, et qu’il avait tout approuvé. Personne, heureusement, ne refuse à l’ancien président du 15 avril, à part ses autres qualités éminentes, un jugement rare et une certaine finesse unies à une parfaite loyauté. On sait en outre qu’il ne passe pas dans le monde pour être épris d’un sentiment trop vif en faveur de M. Guizot, le chef et l’orateur fougueux de la coalition. Tous ces motifs réunis démontrent que, si M. Molé a connu l’article du Moniteur avant la publication, il l’a blâmé. De sa part, craindre de blesser M. Guizot dans cette circonstance, c’eût été vraiment pousser un peu trop loin la charité chrétienne et l’oubli des injures ; d’ailleurs la loyauté de l’illustre pair lui faisait un devoir d’éclairer la couronne sur le piége tendu à sa confiance. Voilà pour M. Molé. On a parlé aussi de M. Dupin ; mais l’honorable et irritable député, qui savait, avant de monter à la tribune, les bruits que l’on faisait courir sur lui, s’est expliqué trop catégoriquement sur le chapitre de la dotation pour qu’on puisse lui supposer la plus petite part dans la conduite de cette affaire. Ainsi, en ce qui concerne M. Dupin et M. Molé, le ministère a perdu son temps ; mais il s’est montré plus habile en faisant intervenir le nom de M. de Montalivet : le mensonge offrait ici du moins quelque vraisemblance. En effet, comment supposer, à la première réflexion, que l’intendant général de la liste civile n’ait pas connu le plan du ministère sur la dotation ? La faveur particulière dont il jouit auprès du roi, ses relations avouées avec plusieurs ministres, l’extrême réserve qu’il n’a jamais cessé de garder dans son langage sur le cabinet, et que celui-ci a eu l’art de faire passer pour une adhésion ; jusqu’à la nature même de la question dont il s’agit, et sur laquelle nécessairement l’intendant général de la liste civile possède les documens les plus sûrs, tout pouvait faire croire que M. de Montalivet n’était pas étranger à la publication du Moniteur. Et cependant c’est une erreur complète : il n’est personne un peu au courant du monde politique qui ne sache maintenant que M. de Montalivet n’a été prévenu de rien. Il n’a pas été consulté. Son caractère, du reste, est trop connu pour qu’on puisse douter un seul instant de l’avis qu’il aurait exprimé, si un avis lui eut été demandé. Ce n’est pas louer M. de Montalivet de dire que sa carrière politique est déjà pleine d’exemples qui attestent son courage et son dévouement ; c’est proclamer une vérité que personne n’ignore. Non, M. de Montalivet n’aurait pas approuvé la pensée de défendre la dotation dans la presse, au lieu de la soutenir à la tribune ; il n’aurait pas conseillé de mettre en avant la royauté comme un rempart destiné à couvrir la responsabilité ministérielle. Pour tout dire, le ministère nous semble avoir été mal inspiré en mêlant à cette affaire le nom de M. de Montalivet. Ce n’est pas encourager pour la suite le système des neutralités expectantes. L’abnégation politique est une de ces vertus difficiles qui ont besoin qu’on les ménage ; il est dangereux de les exposer à de trop rudes épreuves.

Comme on le voit, il ne manque rien à l’affaire de la dotation, ni l’intrigue, ni le sujet des réflexions les plus graves. L’intrigue paraît en ce moment-ci sur le premier plan ; elle fixe les regards, mais elle n’occupera plus tard que le coin du tableau, et laissera voir dans tout son jour le côté sérieux. On a commencé ; il faut finir. Si l’on s’arrête, on s’avoue vaincu ; si l’on persiste, des difficultés nouvelles peuvent surgir. De toute façon, la situation est critique ; elle réclame l’attention particulière des hommes d’état dont le pays interroge la pensée toutes les fois que des circonstances inattendues l’agitent et l’inquiètent sur son avenir.

D’ici à peu de jours, la session sera close. Les députés s’en iront dans leurs départemens causer de la dotation avec leurs électeurs. À voir la rapidité qu’ils mettent à voter le budget, on pourrait les croire un peu trop pressés de partir ; mais il faut être juste : la session a été laborieuse pour eux. Les commissions surtout ont été surchargées de travail. Soit que la plupart des projets de lois présentés par le gouvernement aient été mal digérés, soit que le ministère, par ses faiblesses et par ses fautes, ait donné à la chambre élective le goût d’administrer elle-même, les commissions, voulant tout connaître et tout dire, ont fait de longues études préparatoires qui n’ont pas toujours éclairci ni simplifié les questions, et les rapports ont pris des dimensions énormes. Ajoutez que la chambre, n’étant pas dirigée ni contenue, a usé souvent de son initiative. Encore aujourd’hui il lui reste à résoudre plusieurs questions importantes qu’elle a soulevées elle-même, entre autres la réforme postale, la question du domicile politique, et la réduction du timbre des journaux. Certes, nous ne voulons pas dire que la chambre ait abusé de ses droits. Abandonnée à elle-même, ne voyant dans les idées du pouvoir aucun plan arrêté, aucune vue d’ensemble, il était naturel qu’elle substituât son action à celle du ministère sur beaucoup de points, et particulièrement sur les questions d’affaires, qui sont celles que le ministère a presque toujours livrées aux hasards de la discussion. La chambre a rempli son devoir. Pourtant, sans parler du dommage que causent à la dignité comme à l’ascendant du pouvoir ces invasions répétées du parlement sur le domaine de l’administration, elles ont cela de fâcheux qu’elles épuisent bien vite les forces d’une législature ; c’est un grand mouvement, mais peu productif, et qui s’arrête au moment même où son énergie devrait redoubler. Les chambres sont faites pour discuter les lois, et non pour rédiger des codes administratifs. C’est au gouvernement à leur livrer des matériaux complets, à les guider dans une voie sûre, et à éloigner d’elles tout ce qui pourrait fatiguer leur attention. Gouverner, administrer, et en même temps discuter, contrôler, cela n’est pas possible long-temps. Aussi la chambre, depuis un mois, se montre pressée d’en finir. Elle a entrepris beaucoup de choses qu’elle ne terminera pas. Elle a posé dans ses rapports bien des questions qui n’en sortiront pas, pour cette session du moins, et que la tribune écarte prudemment. Ajoutez qu’un certain dégoût se mêle à cette lassitude. La modestie d’un ministère peut flatter l’amour-propre d’une majorité ; mais comment pourrait-elle aimer ce qui résulte de son affaiblissement, l’absence de direction et le désordre dans la discussion des lois, la contradiction dans les votes, les résolutions les plus graves enlevées par surprise, source de récriminations fâcheuses contre la chambre et de conflits regrettables entre les pouvoirs parlementaires ? Aussi la chambre des députés n’a jamais été plus impatiente de voir arriver le terme d’une session.

La chambre des pairs est plus calme, et ses actes s’en ressentent. Ainsi que nous l’avions prévu, elle a effacé de la législation des chemins de fer l’article additionnel de M. Crémieux. M. le comte Molé a saisi l’occasion de protester contre les insinuations faites dans une autre enceinte sur la part qu’il a prise à la compagnie de Strasbourg. Il a tenu un langage plein de fermeté et de noblesse. Il a flétri, avec toute l’autorité qui s’attache à son caractère, cet esprit de dénigrement et d’envie qui veut tout rabaisser à son niveau, qui souille par ses indignes soupçons les renommées les plus pures. On pouvait prévoir du reste que M. Molé annoncerait sa détermination bien arrêtée de demeurer désormais étranger à toute entreprise industrielle. Voilà le bénéfice le plus net de l’amendement Crémieux. Un homme qui a parcouru une des plus belles carrières politiques, et dont le nom a toujours été respecté par l’opinion, peut supporter, dans un intérêt de gouvernement, tous les outrages qui s’adressent à la vie publique ; mais on ne peut exiger de lui qu’il brave tous les jours la diffamation et les injures dans le seul espoir d’assurer par son patronage la prospérité d’un chemin de fer. Les députés qui étaient entrés avec M. Molé dans la compagnie de Strasbourg ont suivi son exemple. Tout annonce que le malencontreux article, rejeté à la chambre des pairs, ne se reproduira pas au Palais-Bourbon, malgré l’appui que vient de lui prêter M. Grandin. La commission, qui a repris le projet du chemin de fer de Bordeaux, propose à l’unanimité, par l’organe de M. Dufaure, de ne pas le rétablir dans la loi. Il est devenu évident aujourd’hui, pour tous les esprits non prévenus, que la chambre des députés a commis une faute en votant l’amendement de M. Crémieux ; elle doit en convenir elle-même. Si son but était de prendre une mesure disciplinaire, elle ne pouvait, sans manquer aux convenances, l’imposer à la chambre des pairs. Si elle a voulu faire entrer dans le code électoral un nouveau principe d’incompatibilité, ce n’était pas dans une loi spéciale, et par un amendement fortuit, qu’une semblable déclaration devait se produire : il fallait la soumettre à toutes les épreuves fixées par le règlement pour la délibération des projets de loi. Dans tous les cas, ce n’était point devant une chambre distraite, devant un ministère silencieux et immobile, et d’une façon pour ainsi dire subreptice, qu’une innovation si importante pouvait être consacrée. Ces tours d’adresse parlementaire ne sont pas dignes d’un pays comme le nôtre. Nous espérons bien que la chambre des députés ne persistera pas dans sa première résolution, et que le ministère, soutenu d’ailleurs par M. Dufaure, saura trouver quelques bonnes raisons pour l’en détourner.

La question des chemins de fer, dans ces derniers jours, s’est compliquée d’un embarras nouveau par la tendance de la chambre des pairs à se rapprocher des dispositions de la loi de 1842. La chambre des pairs, au fond, n’approuve pas qu’on soit sorti de cette loi. Beaucoup de ses membres eussent volontiers sacrifié les embranchemens et les lignes non désignées dans le réseau primitif, si la crainte d’ajourner les chemins de fer ne les eût retenus. Au Palais-Bourbon, on a réservé pour le chemin de Strasbourg la question de concession, comme on l’avait fait pour les chemins de Lyon et de la frontière belge. Tout fait supposer que cet ajournement aboutira l’année prochaine au vote de l’exécution intégrale, et même de l’exécution par l’état. C’est un parti qui semble bien arrêté dans la chambre élective. Les dispositions contraires de la chambre des pairs pourront créer des difficultés sérieuses, dont la première cause aura été l’indécision du cabinet. Si son attitude eût été plus ferme dès le début, il eût pu rallier à son système beaucoup d’opinions que sa contenance a ébranlées, et qui, ne pouvant s’appuyer sur lui, sont allées tout droit à des principes plus nettement défendus.

La chambre a déjà voté presque tous les chapitres du budget. Plusieurs questions dignes d’intérêt n’ont pu obtenir l’honneur d’une discussion. Ainsi, nous savons que la nouvelle loi sur les patentes diminuera de plus de sept millions les produits de l’impôt. On avait compté au contraire sur une augmentation de trois millions. Voilà une nouvelle difficulté pour l’équilibre financier. Quant aux moyens de combler le déficit, on nous en parle en termes peu rassurans, et cependant c’est à peine si la chambre a voulu écouter les orateurs qui sont venus lui exposer à ce sujet leurs théories des emprunts. Nous aurions pensé qu’elle voudrait s’occuper de l’organisation des ministères et activer sur ce point le zèle de plusieurs ministres qui n’ont pas même encore préparé leurs ordonnances ; mais on a glissé là-dessus. Pourtant c’est un sujet des plus graves. La justice et le bon sens se récrient sur la situation trop souvent précaire des employés de l’état, sur l’inégalité des traitemens, sur la confusion qui règne parmi les titres et les attributions, sur l’insuffisance de certains rouages de cette vaste centralisation, qui est à la fois un admirable instrument de pouvoir et de liberté régulière, double force que nous ne devons pas laisser périr en nos mains après l’avoir reçue de l’époque puissante dont elle a fait la grandeur. Ne pourrait-on pas attribuer à l’organisation vicieuse ou incomplète de nos départemens ministériels une partie des irrégularités que les commissions de finances relèvent dans l’emploi des fonds de l’état ? Ici, aux formes tutélaires des adjudications on substitue les marchés de gré à gré, qui privent le trésor des bénéfices que lui donnerait la concurrence des fournisseurs. Là, on viole ouvertement les règles de la comptabilité. On fait des dépenses qui n’ont pas été votées ; on intervertit les exercices et les chapitres du budget. Nous ne parlons pas de l’Algérie ; nous comprenons les difficultés que rencontre une administration naissante sur un sol mal affermi, où les règlemens de la métropole entrent en lutte avec les résistances locales et avec l’esprit assez désordonné de la conquête. Mais c’est en France, dans nos ports, dans nos établissemens publics, à Paris même, sous les yeux des chambres, que nous voyons les lois financières mal observées, et de ces abus pour lesquels on ne saurait trouver d’excuse après plus de trente ans de gouvernement représentatif. On parle de traitemens augmentés sans crédits, de places créées sans fonctions, d’établissemens fondés contre le vœu des chambres. Bien certainement la majorité n’a pas dit au ministère le quart de ce qu’elle pense sur toutes ces choses. Elle a été indulgente ; elle a eu peut-être un scrupule que nous sommes loin de blâmer. Beaucoup de gens évitent de porter à la tribune les discussions sur les abus de finances, parce que le dommage moral qui en ressort est souvent plus grand que les fautes commises, et parce que la dignité du pays est exposée dans de pareils débats. Ensuite, y a-t-il beaucoup d’honorables membres, au Palais Bourbon, qui aient pris le temps de lire d’un bout à l’autre le volumineux rapport de M. Bignon ?

Comme il arrive souvent que les petites choses se remarquent dans ce bas monde beaucoup plus que les grandes, et comme on est peu charitable dans ce pays assez causeur que l’on nomme la chambre des députés, on a remarqué cette année que M. Bignon, nommé deux années de suite rapporteur du budget, se montrait beaucoup moins ardent que l’an passé ; que son rapport, très étendu du reste, avait glissé sur des détails assez sérieux, révélés à la chambre par ses collègues de la commission ; que son langage, si acerbe l’année dernière, s’était sensiblement adouci ; qu’enfin, s’il montait à la tribune, c’était pour défendre plutôt que pour attaquer le ministère. Les médisans n’ont pas manqué de dire que M. Laplagne était au moment de céder à M. Bignon son hôtel de la rue de Rivoli. Nous pouvons dire là-dessus ce qui en est. On sait toute l’influence que donne pendant quinze jours à un député le rapport du budget. Tous les ministres sont à ses genoux ; tous les solliciteurs frappent à sa porte. Or, une nuée de ces visiteurs incommodes est venue assaillir cette année l’honorable député. Il en est venu de tous les points de la France, de la Loire surtout. M. Bignon, que le maréchal Soult trouvait l’an dernier le plus impitoyable des hommes, est cependant d’une bienveillance achevée. C’est le cœur le plus généreux. Il n’a pu se voir l’objet de tant de sollicitations sans se sentir attendri. Il s’est laissé aller à des promesses nombreuses qu’il a bien fallu réaliser en partie. Les ministres se sont bien gardés de repousser les demandes appuyées par un homme aussi précieux. Sans aucun doute, M. Bignon n’a pas offert son silence en retour des nobles procédés dont le ministère a pu user envers lui : l’indépendance de l’honorable député est pour le moins égale à son extrême bienveillance et à sa courtoisie ; mais de cette double circonstance que la charité de M. Bignon trouvait à s’exercer sans peine, et que la main du ministère l’aidait à répandre des bienfaits, il est résulté que l’honorable rapporteur, sans rien perdre de son désintéressement et de sa dignité, surtout aux yeux des habitans de la Loire, n’a pas cru nécessaire de blâmer aussi sévèrement que l’an passé le ministère au sujet de ces peccadilles que l’on appelle des infractions à la loi du budget, et qu’il a même jugé convenable de lui prêter un peu d’appui dans l’occasion. Nous ne savons si beaucoup de gens blâmeront au fond M. Bignon ; mais nous en connaissons quelques-uns qui auraient voulu se trouver dans la même situation que lui pour faire exactement la même chose.

Quoi qu’il en soit, bien que le débat sur les questions financières ou administratives ait été rapide, il n’a pas toujours porté bonheur au cabinet. Le maréchal attachait une grande importance à la loi du recrutement. On sait que cette question est devenue l’objet d’un dissentiment entre les deux chambres. Un premier vote de la chambre des députés avait fixé la durée du service militaire à sept ans, et la chambre des pairs, d’accord avec le gouvernement, avait adopté la limite de huit années. La chambre élective vient de reprendre sa première résolution. C’est pour le ministre de la guerre un coup sensible, pour le cabinet un échec, pour les rapports entre les deux chambres une difficulté de plus, pour le pays enfin un résultat affligeant, car le voilà pour long-temps peut-être privé d’une loi impatiemment attendue. Un vote important a eu lieu pour les finances. Le ministère, par l’organe de M. Laplagne, proposait de réduire à 3 pour 100 l’intérêt du cautionnement des officiers ministériels ; la chambre a étendu la réduction aux cautionnemens des comptables. Le trésor gagne en tout 2,500,000 francs ; mais les receveurs-généraux, les receveurs particuliers, les payeurs, sont l’objet d’une mesure dont le ministre a vainement démontré la rigueur. On connaît le dévouement de M. Laplagne aux intérêts de l’administration qu’il dirige avec une capacité éprouvée. On ne lui reprochera pas de les avoir laissés sans défense. S’il a succombé, c’est qu’il a rencontré tout à coup dans la lutte des adversaires sur lesquels il n’avait pas compté. Ces adversaires imprévus sont ses collègues eux-mêmes, qui, voyant incliner la majorité vers la réduction, et craignant un échec, ont abandonné prudemment M. Laplagne à ses seules ressources, et se sont mis contre lui dans la majorité. Nous sommes surpris que ce fait caractéristique n’ait pas été relevé. Au budget des cultes, une petite affaire a contrarié vivement M. le garde-des-sceaux. Il s’agissait de l’archevêché de Paris. D’après la loi organique du 8 germinal an II, chaque archevêque peut nominer trois vicaires-généraux, M. l’archevêque de Paris en a trois : il en veut un quatrième, et M. le garde-des-sceaux demande un crédit pour assurer le traitement ; mais la loi du 8 germinal, la charte du clergé, peut-elle être abrogée ainsi dans une de ses dispositions par un chiffre porté au budget ? M. le garde-des-sceaux a fini par convenir qu’il eût été plus régulier de présenter pour cet objet un projet de loi spécial, et il a retiré sa demande.

La discussion du crédit de huit millions pour la marine n’a pas répondu à l’importance des intérêts engagés dans la question. Au lieu de devenir un débat politique, elle est restée, comme le désirait sans doute M. de Mackau, une discussion de budget. L’éloquence et le savoir auraient pu tirer de ce sujet un immense parti. Nous avons vu des temps où la question la plus fastidieuse en apparence, une loi de douane, par exemple, devenait, par le talent des orateurs, un évènement de tribune. La parole animée, féconde, de quelques hommes, communiquait à ces matières arides un attrait puissant. Si alors une question comme celle de la marine, pleine d’un intérêt national, fût tombée entre leurs mains, avec quel empressement ils l’auraient saisie ! Aujourd’hui la chambre est pressée de partir. Il faut excepter cependant M. Billault, qui s’est rendu l’éloquent interprète des idées qu’un brave marin, l’amiral Lalande, nous a léguées en mourant. M. Billault a su se faire entendre dans un religieux silence. L’amiral pensait que la France doit rester une puissance maritime. Tout lui en fait une loi, son commerce, son esprit aventureux, son influence politique, son territoire même à défendre. Quant à l’équilibre à établir entre la marine à vapeur et la marine à voiles, l’amiral voulait qu’on fît des expériences nouvelles avant de prendre une résolution sur ce point : non pas qu’il eût une idée peu favorable du rôle destiné à la marine à vapeur dans le système de nos forces navales ; mais la question ne lui semblait pas suffisamment étudiée. Il voulait qu’on appréciât mûrement les faits. Tel est aussi le vœu de M. le prince de Joinville, que l’on accuse à tort d’exagération. Témoin des incertitudes et des lenteurs du pouvoir dans l’examen de la question, il l’a portée lui-même devant la France : il a voulu la mettre à l’étude ; c’était le moyen d’en assurer la solution. Au surplus, les répugnances du gouvernement pour l’extension de notre marine à vapeur ne sont plus un secret. On en cite les preuves à la tribune, et le ministère ne les dément pas. Si donc, dans la pensée de M. le prince de Joinville, cette disposition du gouvernement est un danger pour le pays, c’était son devoir de la signaler. L’amiral Lalande pensait que notre flotte n’est pas suffisamment exercée dans les manœuvres. Il critiquait le système de la disponibilité de rade, dont le seul avantage est de maintenir la discipline à bord. Il voulait que la flotte devînt plus mobile, que l’on montrât plus souvent nos escadres sur les mers. Il voulait surtout que les stations maritimes envoyées près de nos consuls ne fussent plus un simulacre impuissant de notre force. À ses yeux, c’était compromettre la politique de la France au lieu de la servir. Nous avons aujourd’hui sous les yeux un triste témoignage de cette vérité. La question de la Plata aurait pu être terminée dans l’origine par le blocus de Buenos-Ayres, si les moyens donnés aux agens de la France pour exécuter cette mesure de vigueur eussent été suffisans. Le gouvernement voulait un blocus énergique ; mais, le comte-amiral Leblanc n’ayant pas assez de vaisseaux pour le rendre efficace, les choses ont traîné en longueur, et toutes les complications que l’on connaît sont survenues. On peut supposer également que, si nos agens eussent eu des forces suffisantes dans la Plata au moment de la rupture entre la France et Buenos-Ayres, ils n’auraient pas accepté le concours de Riveira pour prendre l’île de Martin-Garcia, déplorable faute dont les ennemis de la France se sont emparés pour discréditer sa politique dans ces parages. Ce sont là des aveux qu’il est pénible de faire, mais ils renferment des leçons dont le gouvernement doit profiter. L’amiral Lalande attachait le salut de la flotte aux approvisionnemens. Il éprouvait à cet égard de vives inquiétudes ; la chambre les a partagées. Ce côté administratif de la question de la marine a été exploré par plusieurs orateurs qui ont signalé des irrégularités graves. La situation des arsenaux n’a pu être éclaircie. On reproche à M. le ministre de la marine de n’avoir pas donné là-dessus les renseignemens nécessaires. Il est bien possible que M. de Mackau ne les ait jamais eus entre les mains. La commission du budget démontre que depuis six ans, malgré l’accroissement extraordinaire des crédits, nos approvisionnemens se sont épuisés, pendant que notre flotte à voiles a diminué de quatre vaisseaux et de quinze frégates ! D’où peut venir un résultat si affligeant ? M. le prince de Joinville avait-il tort de dire que la plus grande plaie de la marine est le mauvais emploi des fonds qui lui sont accordés par les chambres ? M. de Mackau avait du reste reconnu, il y a un an, la nécessité d’une réforme. Il avait envoyé à Brest une commission spéciale chargée de préparer une ordonnance qui rétablit l’ordre et le contrôle dans toutes les parties du service. L’ordonnance a paru le 14 juin dernier ; mais, en ce qui touche le service des arsenaux, elle ne répond pas au vœu exprimé par la commission de Brest. Celle-ci voulait un système de centralisation fortement constitué, garantie d’un ordre sévère et d’une responsabilité réelle. Le ministre, entravé sans doute par la résistance des intérêts et des préjugés traditionnels, a préféré maintenir le système des comptabilités éparses, détachées les unes des autres, et n’aboutissant à aucun centre commun, système condamné depuis long-temps par les abus qu’il a fait naître et qu’il perpétue. Cette ordonnance du 14 juin a été pour M. de Mackau la source de quelques ennuis secrets dont on a peu parlé, et qui se sont dissimulés à la faveur des grandes questions du jour. D’abord, il ne l’a publiée qu’après les instances réitérées des commissions du budget et du crédit de huit millions, toutes deux favorables au système de la commission de Brest. Puis, quand l’ordonnance a paru, la commission du budget avait déjà fait son rapport, où elle exposait sur le contrôle une opinion contraire aux bases de l’ordonnance. Plusieurs membres de la commission, vivement blessés, parlèrent alors de proposer à la chambre une réduction du crédit pour infliger un blâme au ministre. M. de Mackau a détourné adroitement l’orage, mais il a eu un moment des craintes sérieuses.

Pendant que l’on discute la marine, M. le prince de Joinville commande l’escadre destinée à agir, s’il y a lieu, sur le Maroc. M. le ministre des affaires étrangères a fait connaître les causes de la rupture et les projets du gouvernement. Abd-el-Kader est le principe du différend entre les deux états. Il a soulevé les Marocains contre nous par ses prédications fanatiques. Nous avons réclamé ; nous avons demandé son éloignement de notre territoire ; l’empereur, enchaîné par le fanatisme de son peuple, n’a pu faire droit à nos réclamations. Pour donner lieu à un prétexte de guerre, Abd-el-Kaer a fait surgir entre nous et le Maroc une question de limites. Nous avons dû repousser des prétentions injustes. Alors des rassemblemens de troupes ont été formés inopinément sur notre frontière. Envahis deux fois, nous avons repoussé l’agression, et, la seconde fois, le maréchal Bugeaud, pour constater la supériorité de nos armes, a poussé jusqu’à Ouschda, sans coup férir ; puis il est rentré sur Tlemcen, laissant au gouvernement le soin de faire la paix ou la guerre. Le gouvernement n’a aucune vue de conquête sur le Maroc ; l’Algérie lui suffit. Son but unique est d’assurer la sécurité de notre territoire. Pour atteindre ce but, il exige une satisfaction et des garanties pour l’avenir. Les rassemblemens de troupes formés sur notre frontière seront dispersés ; les agens qui nous ont attaqués seront rappelés et punis ; Abd-el-Kader sera relégué loin de nos limites et de notre influence. On lui assignera une résidence fixe dans l’intérieur, sur les côtes de l’Océan. M. Guizot déclare que toutes ces conditions doivent être stipulées dans des actes formels, et que toutes les mesures sont prises pour arriver à ce résultat.

Le but de cette politique est sage : notre seul intérêt dans la question est la sécurité de notre territoire ; mais les moyens employés par le gouvernement et les garanties qu’il exige ne suffiront peut-être pas pour obtenir cette sécurité. L’empereur du Maroc n’est pas maître chez lui ; comment pourra-t-il faire exécuter les engagemens qu’il aura souscrits envers nous ? Cette rupture qui a éclaté, ce n’est pas lui qui l’a fait naître ; il prétend, au contraire, avoir fait tous ses efforts pour l’empêcher, et on peut le croire, car si quelqu’un souffre de la présence d’Abd-el-Kader dans le Maroc, c’est surtout l’empereur. La situation sera donc toujours la même. L’empereur voudra qu’Abd-el-Kader s’en aille, et il ne pourra pas le chasser. À cela, M. Guizot répond que, si l’empereur n’est pas assez fort pour éloigner Abd-el-Kader de notre frontière, nous sommes là pour y pourvoir, ce qui signifie, comme on l’a dit, que, s’il est incapable de faire la police sur son territoire, l’armée française saura bien la faire pour lui. Cet argument nous inquiète ; il nous laisse supposer que l’on n’a pas une grande confiance dans la voie qu’on s’est tracée. Le résultat de tout cela pourrait bien être qu’après avoir obtenu de l’empereur du Maroc une satisfaction complète, les garanties les plus sûres, établies par les conventions les plus formelles, on n’en fût pas moins obligé d’avoir long-temps encore une armée sur la Tafna.

Des deux côtés du détroit, l’affaire du Maroc a déjà donné lieu à plusieurs interpellations. Le résultat en est fâcheux pour le cabinet. Quand bien même les difficultés de la question seraient momentanément aplanies par les réparations que la dépêche du consul de Tanger annonçait le 10 juillet à M. Guizot, il sortirait encore de cette affaire une impression pénible, causée par les révélations des chambres anglaises. Tout le monde sait que les gouvernemens amis échangent entre eux des communications sommaires sur leur politique extérieure ; mais la dignité de la France a souffert d’entendre dire à M. Peel qu’il avait reçu de M. Guizot les explications les plus satisfaisantes et les plus complètes sur les intentions du gouvernement français dans la question du Maroc, et que ces communications comprenaient les instructions données à M. le prince de Joinville. M. Peel, pour se faire bien voir de sa majorité, a peu ménagé dans cette circonstance la susceptibilité et les intérêts de M. Guizot. Après un semblable procédé, M. Guizot eût pu se dispenser de garantir à l’Angleterre, du haut de la tribune française, la modération et le désintéressement de notre politique dans les affaires du Maroc. Le moment était mal choisi de montrer tant d’humilité et de courtoisie. Et comment l’Angleterre a-t-elle répondu à ces avances ? En protestant contre l’occupation française à Alger. Le ministère anglais et des membres de sa majorité se sont concertés pour arranger une sorte de dialogue public où l’on trouverait le moyen de déclarer indirectement à la France que l’on ne reconnaît pas sa souveraineté en Algérie. M. Guizot nous avait dit en 1842 à la tribune que lord Aberdeen regardait l’occupation d’Alger comme un fait accompli ; il tenait le mot de M. de Saint-Aulaire, notre ambassadeur à Londres, qui l’avait reçu du ministre anglais, au Foreign-Office. Aujourd’hui lord Aberdeen rectifie l’assertion de M. Guizot. Loin d’avoir déclaré qu’il regardait notre occupation d’Alger comme un fait accompli, le noble lord prétend avoir dit qu’il n’avait pas pour le moment d’observation à faire à ce sujet, et que son intention était de garder le silence. Il y a, comme on voit, une grande différence entre les paroles de lord Aberdeen et la traduction qui en a été donnée par M. de Saint-Aulaire à M. Guizot.

Ce n’est pas tout. Le ministère anglais veut qu’on sache bien qu’il n’a pas demandé l’exequatur de la France pour son consul-général à Alger. Le fait est connu de tout le monde ; personne n’en doute à la chambre des communes. N’importe ; on veut encore se donner, à l’occasion du Maroc, cette douce satisfaction. On se fait adresser là-dessus une interpellation, et on répond négativement, au grand plaisir de M. Sheil et de ses amis. Cette question de l’exequatur n’a pas été traitée chez nous aussi sérieusement qu’elle devait l’être. C’est une vieille question, dit-on ; oui, mais c’est une vieille injure : il est toujours temps de protester contre elle. Si l’on ne peut aborder de pareils sujets sous le règne de l’entente cordiale, quand donc les abordera-t-on ? Il est bon de faire connaître que l’Angleterre, sur ce point, outre qu’elle tient une conduite mesquine, dont le seul effet peut être de nous blesser gratuitement, se trouve en désaccord avec les règles de la diplomatie. Il est d’usage de ne pas renouveler les exequatur des consuls lorsqu’ils ne sont pas revêtus d’un caractère représentatif ; mais dans le Levant, dans les états barbaresques surtout, en vertu des anciennes capitulations, les consuls ont ce caractère. Ils sont chargés d’affaires ; assimilés aux personnages diplomatiques, ils doivent, comme eux, se faire délivrer de nouvelles lettres de créance dans les changemens de règne ou de souveraineté. S’ils ne le font pas, c’est une protestation. Ils cessent dès-lors d’être accrédités ; ils n’ont plus le droit de garantir leurs nationaux ; voilà les principes. L’Angleterre les méconnaît complètement à Alger. Rigoureusement, M. Saint-John est accrédité auprès du dey ; il ne l’est pas auprès du gouvernement français, qui cependant en agit avec M. Saint-John comme si sa situation était régulière ; car, autant l’Angleterre évite soigneusement de donner son adhésion diplomatique aux entreprises étrangères, autant la France se montre libérale à cet égard. Peu éprise de la Russie, elle a envoyé un consul dans la province du Caucase, et malgré la situation du consul anglais à Alger, nous avons envoyé, depuis 1839, des agens consulaires à Singapour, à Calcutta et à Bombay. C’est peut-être une faiblesse de notre part, et le sujet d’un triomphe secret pour l’Angleterre, il faut avouer qu’elle ne néglige rien pour nous en faire repentir. La mission confiée au prince de Joinville a excité les commentaires jaloux de quelques membres du parlement britannique, parmi lesquels on regrette de voir un homme aussi éminent que lord John Russell. Les journaux de Londres ont aussitôt annoncé le départ d’un certain nombre de vaisseaux destinés à renforcer la station de Gibraltar. La presse et la tribune se sont émues en France. M. Guizot a déclaré que les forces navales de l’Angleterre, dans les parages du Maroc, n’étaient pas supérieures aux forces françaises. À ce sujet M. Molé a rappelé un fait qui a paru placé très à propos dans la discussion. Après la prise de Saint-Jean-d’Ulloa, l’amiral Baudin, négociant avec le Mexique, se trouva en présence du commodore anglais, dont l’escadre était plus forte que celle de la France. L’amiral suspendit aussitôt les négociations, déclarant qu’il ne pouvait les continuer en présence d’une flotte supérieure à la sienne. Le commodore se retira, et renvoya une partie de ses bâtimens. « Je suis sûr, a dit M. Molé, que M. le prince de Joinville, dans des circonstances semblables, agirait comme l’amiral Baudin. » Ce trait, raconté avec une grande simplicité, a produit sur la chambre des pairs une assez vive impression.

L’Espagne semble au moment d’entrer en collision avec le Maroc. L’empereur lui a refusé toute satisfaction, et a rejeté la médiation de l’Angleterre. Rien n’égale l’insolence et le mépris avec lesquels Abderraman traite une nation qui fut autrefois si grande. Le gouvernement espagnol dirige des troupes sur Ceuta. On pense que l’Angleterre préviendra les hostilités. Ces circonstances, jointes à une crise électorale qui est imminente, ont donné au peuple espagnol un certain élan. S’il se trouvait un homme de génie qui sût profiter de ce mouvement des esprits et le tourner vers une grande entreprise, les destinées de l’Espagne seraient peut-être changées ; mais la tentative serait trop hardie. Des finances ruinées, une administration à peine constituée, un gouvernement sans règle, un peuple que l’anarchie a dévoré si long-temps, seraient de tristes ressources pour inaugurer une politique nouvelle qui ferait appel à un patriotisme énergique. Aussi, sans chercher à arrêter une guerre où l’honneur du pays est engagé, les esprits sages, en Espagne, conseillent de limiter le but de l’expédition, et de ne pas s’aventurer dans des essais ambitieux où la nation livrée à elle seule succomberait. Rétablir l’ordre, restaurer le crédit, organiser les différens pouvoirs de l’état, fonder le régime constitutionnel sur les débris de tant de révolutions, voilà quel doit être le travail de la société espagnole. Ce n’est qu’après avoir passé par ces épreuves nécessaires, qu’elle pourra tourner ses regards vers cette contrée du Maroc, où semblent l’appeler, dans une époque plus ou moins rapprochée, la nature de son génie primitif et la fatalité des évènemens.

Du reste, les conférences de Barcelone ont produit des résultats conformes à cette politique. Le système constitutionnel l’emporte. Un décret du 4 juillet dissout les cortès, et convoque les colléges électoraux pour le 3 septembre. Un autre décret rétablit dans les provinces basques les députations et les municipalités d’après les fueros. La question des fueros sera soumise aux prochaines cortès.

On s’est beaucoup occupé, dans ces derniers temps, des affaires de Montevideo. Les versions les plus contradictoires ont été accueillies de part et d’autre. D’un côté, on prend ses renseignemens dans les journaux de Buenos-Ayres ou dans les dépêches des affaires étrangères ; de l’autre, on a peut-être le tort de ne chercher la vérité que dans les journaux de Montevideo. Nous croyons que de pareils débats sont prématurés, et que les faits ne sont pas encore suffisamment éclaircis. Les deux discours de M. Thiers n’en restent pas moins, jusqu’à présent, des tableaux fidèles sur beaucoup de points, et animés par ce pinceau éclatant qui n’appartient qu’à lui. Rarement la parole de M. Thiers avait été si entraînante. On sentait que toutes les forces de son ame étaient employées à défendre un intérêt sacré, celui de la France. L’effet de cette parole n’est pas oublié.

M. Thiers, sur l’invitation de la chambre, a lu son rapport au nom de la commission de l’enseignement secondaire. Cette lecture, qui a duré près de trois heures, a captivé la chambre. M. Thiers a été souvent interrompu par des applaudissemens qui s’adressaient à la fois aux sages propositions dont il était l’interprète et au talent admirable de l’écrivain. Nous n’entrerons pas aujourd’hui dans l’examen de cet immense travail ; nous ne ferons que cette seule réflexion. Il y a deux mois, lorsque le projet de loi sur l’enseignement sortait des mains de la chambre des pairs, les partisans du principe universitaire, qui représente les droits de l’état et l’esprit mûr de notre temps, pouvaient se sentir alarmés. Une réaction avait paru s’opérer dans la sphère élevée du pouvoir. L’Université, qui avait le droit de se plaindre, était réduite à se défendre. Aujourd’hui cette situation n’existe plus. Les amendemens de la commission, reprenant la plupart des dispositions du projet primitif, ont rétabli les choses comme elles étaient au point de départ. Seulement, à l’action ministérielle qui s’effaçait dans le débat au lieu de le dominer, vient se substituer l’action personnelle de M. Thiers, dont l’énergie est connue et qui ne passe point pour abandonner aisément les causes remises entre ses mains. Ce que nous disons là ne saurait s’adresser à M. le ministre de l’instruction publique. Nous ne pouvons que féliciter M. Villemain de tout ce qui se passe maintenant. Ce n’est pas une défaite pour lui, c’est une victoire. Espérons qu’il saura en profiter.

Et maintenant, si nous disions que, pendant huit jours entiers, une chose a occupé Paris et la France plus que la dotation, plus que le Maroc, plus que les chemins de fer, on ne nous croirait pas, et cependant rien n’est plus vrai. Pendant toute une semaine, un procès criminel, dénué de tout intérêt pathétique, vide pour l’ame, mais produisant une sorte de frémissement physique par des scènes atroces, a tenu en suspens toute une population qui vante cependant la délicatesse de son esprit et la douceur de ses mœurs. Mais c’est le goût du jour, les raffinemens de la société nous ramènent aux passions du cirque. Ce qui devrait être caché aux regards de la foule, ce qui devrait se passer entre la justice de ce monde et Dieu, ce qui devrait nous inspirer une secrète horreur ou du dégoût nous attire au contraire par je ne sais quelle curiosité barbare. Nous déchirons le voile qui recouvre une plaie hideuse, et nous la contemplons sans pouvoir rassasier nos yeux. Dès qu’un crime est commis, la publicité s’en empare ; des écrivains, dont c’est le talent et la fortune, arrangent les circonstances en forme de drame. Dès que les prévenus sont arrêtés, leurs noms, leurs antécédens, jusqu’aux traits de leur visage, indices trompeurs de culpabilité ou d’innocence, tout est détaillé. On ne s’inquiète pas toujours de savoir si ces révélations sont vraies ou fausses ; on ne songe pas qu’une indication erronée, s’accréditant par la voie de la presse, peut imprimer à une famille honorable une tache éternelle. L’acte d’accusation est dressé ; il paraît à l’instant même dans les journaux. Enfin les débats s’ouvrent, la foule les assiége, et qui voit-on au premier rang ? Des femmes, non pas celles du peuple, mais celles qui font l’ornement de nos salons, les plus fêtées et les plus élégantes. Elles viennent étudier les angoisses des accusés ; elles assistent à leurs tortures : spectacle horrible qu’elles semblent goûter avec une volupté étrange. Inattentives lorsque les circonstances du procès sont vulgaires, elles ont le regard fixe, l’oreille avide lorsque l’interrogatoire présente des incidens tragiques. Plaignez-les, car elles ne croient pas mal faire. Ces émotions qu’elles viennent chercher sur ce nouveau théâtre sont celles qu’une littérature malheureusement justifiée à leurs yeux par le succès offre tous les jours à leur imagination maladive Qu’y a-t-il d’étonnant qu’elles préfèrent à tels drames ou tels romans que nous pourrions citer les drames ou les romans des cours d’assises ? Enfin, de pareils scandales ne se reproduiront plus ; une circulaire de M. le garde-des-sceaux vient d’y mettre un terme. Sil fallait en croire le bruit qui court, ce serait un des derniers actes de l’existence ministérielle de M. Martin ; mais ce sera sans contredit le meilleur et le plus généralement approuvé.