Chronique de la quinzaine - 14 février 1856

Chronique no 572
14 février 1856


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 février 1856.

Voilà donc l’Europe, après deux années d’épreuves et d’incertitudes, ramenée en face de toutes les perspectives de la paix. Autant on montrait d’incrédulité, il y a deux mois, à l’égard de ces négociations, qu’on pressentait sans en connaître le secret, autant on est porté aujourd’hui à se précipiter en quelque sorte vers l’issue inespérée ouverte par la diplomatie. On dirait même qu’il y a de toutes parts une émulation singulière à hâter le dénoûment, à considérer la paix comme conclue et irrévocable, en un mot à clore ce chapitre nouveau de notre histoire, déjà si féconde en épisodes émouvans. Le fait est que si la paix est rendue au monde en ce moment, la crise qui est venue assaillir l’Europe aura offert un spectacle rare, celui d’une guerre commençant avec un objet déterminé et précis, se déroulant sans franchir jamais les limites qu’elle s’était tracées, et s’arrêtant aussitôt après avoir touché le but. Étrange affaire, où une sorte de rigueur méthodique se sera conciliée avec tous les hasards et tout l’imprévu d’une lutte immense ! Oui, il en sera ainsi à la condition que les efforts de la diplomatie soient couronnés de succès. Il faut cependant tenir compte de tout dans une situation aussi grave. La paix réunit sans doute aujourd’hui les chances les plus nombreuses : la bonne foi du tsar peut d’autant moins être mise en suspicion, qu’il a fallu à ce prince un véritable courage moral, ainsi que le disait récemment lord Clarendon, pour prendre l’initiative qu’il a prise ; dans tous les pays, les passions belliqueuses s’amortissent, les déceptions elles-mêmes s’efforcent de se consoler ; mais croire que tout soit réglé par cela même, ne serait-ce pas pousser un peu loin l’illusion ? Il y a encore à traverser cette crise épineuse d’une négociation sur les plus sérieuses matières de la politique. Le terrain sur lequel la diplomatie doit opérer est choisi, pour ainsi dire évalué par toutes les parties. Les conditions générales sont acceptées. Il reste à serrer de plus près quelques-uns des points qu’on connaît, à éclaircir ceux sur lesquels continue à planer quelque mystère, et sur ce chemin bien des obstacles peuvent naître assurément. La difficulté consiste à trouver une forme qui n’affaiblisse pour la France et pour l’Angleterre aucun des avantages d’une situation victorieuse, et qui n’offre pour le chef de l’empire russe aucune des humiliations ostensibles d’une défaite qu’il ne pourrait accepter aux yeux de ses peuples. Les résultats sérieux de la guerre une fois acquis et garantis d’ailleurs, les puissances occidentales seraient intéressées les premières à donner à cette forme le caractère d’une transaction élevée propre à sauvegarder la dignité des peuples, en devenant une règle nouvelle des relations européennes.

Ainsi se présente aujourd’hui la question avec ses chances diverses. L’acquiescement du cabinet de Saint-Pétersbourg aux propositions autrichiennes n’avait été consigné d’abord que dans une communication diplomatique émanée de M. de Nesselrode. Il a pris, il y a peu de jours, la forme d’un protocole qui a été signé à Vienne, et qui constate tout à la fois l’acceptation de la Russie et l’adhésion des autres puissances, en réservant au congrès qui va se réunir la mission de signer des préliminaires formels de paix, de conclure un armistice et d’ouvrir les négociations définitives. Le protocole est du 1er de ce mois, et c’est le 23 que le congrès doit inaugurer ses travaux au milieu de nous. Singulier retour des choses, qui ramène un congrès où la France va figurer en victorieuse dans ce Paris même où le duc de Richelieu signait il y a quarante ans, le désespoir dans l’âme, le traité du 20 novembre 1815 ! On connaît déjà les principaux hommes d’état qui vont intervenir au nom de leur pays dans la nouvelle réunion diplomatique. L’empereur Alexandre envoie le comte Orlof, l’un des premiers personnages de l’empire, dont la carrière est déjà longue, et qui a eu un rôle dans les plus grands événemens de l’histoire contemporaine de la Russie. Il fut notamment le négociateur des traités d’Andrinople et d’Unkiar-Skelessi. Il avait prouvé son dévouement à l’empereur Nicolas le jour de son avènement au trône, en présence de l’émeute qui grondait à Saint-Pétersbourg ; aussi était-il devenu le conseiller intime, le confident, l’ami écouté du dernier tsar, qui le choisissait encore au commencement de la guerre, pour aller proposer à l’Autriche un traité de neutralité. Le comte Orlof ne réussit pas, et il se trouve conduit aujourd’hui à venir négocier une paix dont la clairvoyance de son esprit aperçoit sans doute la nécessité, en même temps que la popularité de son nom doit la rendre acceptable en Russie ; il doit être assisté par M. de Brunnow. L’Angleterre et l’Autriche seront représentées, comme on sait, par leur ministre des affaires étrangères et leur ambassadeur à Paris. Le sultan envoie son grand-visir Aali-Pacha, qui figurera au congrès avec le ministre turc en France. La représentation diplomatique du Piémont s’est modifiée, sans doute pour devenir en tous points semblable à celle des autres gouvernemens. À la place de M. d’Azeglio, seul désigné d’abord, c’est le président du conseil de Turin, M. de Cavour, qui doit venir prendre part aux négociations avec le marquis de Villamarina, ministre sarde accrédité à Paris. Toutes les puissances engagées à un titre quelconque dans la lutte actuelle seront donc représentées dans le prochain congrès ; il n’y manquera probablement que la Prusse, qui s’est condamnée elle-même à l’isolement par sa politique vacillante et timide. Quelle est la pensée dernière du roi Frédéric-Guillaume ? Il serait difficile de le dire à coup sûr. La Prusse avait encore une occasion de préparer sa rentrée dans le concert de l’Europe, en s’appropriant les propositions autrichiennes ; mais il y avait quelques obligations éventuelles à contracter, et au lieu d’entrer par une porte qui lui eût été facilement ouverte, le cabinet de Berlin semble mettre tous ses efforts à la fermer de plus en plus ; il emploie tout son zèle à peser en Allemagne pour empêcher la diète de souscrire aux propositions de l’Autriche. Qu’en peut-il résulter ? Si la Prusse doit être appelée, comme signataire du traité de 1841, à participer aux négociations, ce ne peut être qu’au dernier moment, quand les grandes questions seront résolues. Acceptera-t-elle dans ces conditions ? Sa fierté de grande puissance ne s’en trouvera pas très rehaussée sans doute. Et d’un autre côté, si on considère ce que la Prusse a fait à l’appui de ses engagemens antérieurs, quel poids sa signature peut-elle ajouter aux transactions destinées à clore la crise actuelle ?

Ce qu’il y a de plus clair jusqu’ici, c’est que le congrès paraît devoir s’ouvrir en l’absence de toute représentation de la Prusse. Du reste, il est dans l’esprit et dans le vœu de tous les gouvernemens d’arriver rapidement à une solution, dès que les conférences auront commencé. Seulement ici peut se réaliser ce que nous disions des difficultés possibles des négociations. Dans tous les cas, les délibérations du congrès ne dureront pas moins d’un mois certainement. Ce n’est point un trop long espace de temps quand on songe aux immenses problèmes qui seront abordés, et dont la solution doit être le fondement même de la paix. La plus grave question qui se présentera au premier abord, et qui peut devenir un écueil, paraît devoir être celle du règlement des frontières à l’embouchure du Danube et de l’organisation des principautés. C’est là peut-être qu’on pourra le mieux apprécier les dispositions véritables de la Russie, l’esprit qui a dicté ses récentes concessions. Bien que la neutralisation de la Mer-Noire semble un point universellement accepté et mis hors de tout débat, l’application du principe ne sera pas moins épineuse. Quant à ce qui touche à l’état des populations chrétiennes de l’Orient, la question arrivera au congrès à peu près résolue, théoriquement du moins. On sait en effet que des conférences ont été ouvertes à Contantinople entre les représentans de la France, de l’Angleterre, de l’Autriche et de la Porte, pour délibérer sur les moyens d’améliorer la situation des chrétiens. Ces conférences, dont les travaux laissaient entièrement intacte l’autorité du sultan, ont eu un résultat : elles ont produit un projet auquel il ne manque que la sanction définitive de l’empereur ottoman pour devenir mi hatti-chériff, et le hatti-chériff ne peut tarder à être publié. Le projet élaboré dans les conférences de Constantinople consacre la liberté pleine et entière des cultes, la faculté de construire et de réparer des églises dans toutes les parties de l’empire, la réforme des abus qui se sont glissés dans l’administration des patriarches, l’admissibilité des chrétiens à tous les emplois, la création de tribunaux mixtes pour juger les contestations entre musulmans et rayas, le droit des chrétiens à témoigner devant la justice turque. C’est, comme on voit, tout un ensemble de réformes qui garantissent aux populations chrétiennes des avantages que la Russie n’eût point songé à réclamer pour elles. Sur un seul point, il paraît s’être élevé quelques difficultés. La liberté des cultes comporte-t-elle pour les musulmans la faculté d’abjurer leur religion et d’embrasser le christianisme ? Aux yeux des représentans de l’Europe, cela n’est point douteux. Aux yeux des conseillers du sultan, la liberté ainsi entendue deviendrait la source des complications les plus sérieuses, peut-être le principe d’une révolution, en affaiblissant de plus en plus l’autorité du chef de la religion musulmane.

Au surplus, il est facile de l’observer, toutes les réformes justes, légitimes, adoptées en principe et inscrites dans un liatti-cheriff, n’acquerront leur pleine valeur qu’en devenant une sérieuse et bienfaisante réalité. Le premier intérêt de la Turquie est d’assurer ce résultat en cherchant une force nouvelle dans l’élévation morale, politique et matérielle de populations nombreuses, qu’une situation meilleure rendra moins hostiles. En réalité, c’est là une des conséquences inévitabes des événemens actuels. La guerre que la France et l’Angleterre ont entreprise aura produit un fait sans exemple jusqu’ici : c’est l’admission de l’empire ottoman dans le concert européen, ou, en d’autres termes, la garantie collective de l’Occident solennellement assurée à l’existence indépendante de la Porte ; mais pour que cette garantie devienne réelle et efficace, il faut invinciblement que la Turquie tende de plus en plus à se rapprocher de la civilisation occidentale. Si, en dehors de tous les arrangemens diplomatiques, les divers états européens sont liés entre eux par une certaine solidarité, c’est qu’à travers les différences de régimes, de formes politiques, de religion même, ils vivent d’un fonds commun d’idées, de sentimens et de principes ; ils reconnaissent le même droit, et là est la raison morale de ce qu’on nomme le concert des puissances. La garantie que l’Europe va offrir à la Porte ne sera sérieuse que si le gouvernement du sultan entre dans cette voie de progrès, et il peut y entrer en faisant de l’empire turc, non un mélange de maîtres et d’esclaves opprimés, mais une terre où puisse grandir une population chrétienne laborieuse et réconcihée par les bienfaits qu’elle recevra. De toutes les questions qui pourront occuper le congrès, celle-là est la plus grande assurément, et si la Russie, dans l’intérêt de sa politique, a si hautement revendiqué des immunités restreintes pour les chrétiens d’Orient, elle ne refusera pas sans doute son concours à des améliorations plus générales, plus étendues, dans l’intérêt de ces populations elles-mêmes.

Une sorte d’inquiétude restait encore, il y a quelque temps, au sujet des dispositions que l’Angleterre apporterait dans les négociations où vont se débattre tous ces problèmes de la politique contemporaine. Le langage de la presse de Londres n’avait pas peu servi à répandre des doutes dans le premier instant. Qu’y avait-il de vrai et de sérieux sous ces apparences obstinément belliqueuses ? Le parlement s’est ouvert. La reine a annoncé dans son discours que des négociations allaient commencer à Paris ; les ministres enfin ont exposé la situation dans les chambres, et, on peut le dire, la vérité des sentimens du peuple anglais s’est révélée sans feinte, sans détour. Oui, il est certain que la possibilité d’une paix immédiate a causé tout d’abord chez nos puissans alliés un moment de déception. Quelques-uns des hommes publics ne l’ont nullement caché. L’Angleterre a éprouvé comme un regret d’avoir à déposer les armes au moment où elle sentait ses forces croître en quelque façon, et où elle pensait être en mesure de frapper des coups terribles dans la Baltique. D’ailleurs les Anglais ont plus que nous les regards tournés vers l’Asie, et la chute de Kars, bien que retardée par l’héroïsme d’un de leurs généraux, n’est point sans avoir laissé une impression très vive. À travers tout enfin, on distingue toujours une sorte de besoin secret de relever le lustre des armes anglaises, comme si l’armée britannique n’avait point montré ses grandes et fortes qualités dans cette longue et rude campagne de Crimée. Par tous ces motifs, l’Angleterre eût continué la guerre sans peine, cela n’est point douteux : sauf le parti plus spécialement et plus exclusivement acquis à la paix, la plupart des orateurs l’ont avoué sans peine ; mais si l’Angleterre est toute prête à continuer la guerre, ce n’est pas une raison pour qu’elle la prolonge, si elle devient inutile. Aussi lord Palmerston et lord Clarendon ont-il mis une entière netteté dans leurs déclarations ; ils n’ont point hésité un seul instant à décliner toute pensée hostile aux négociations. Ce qu’il y a de remarquable dans ces premiers débats du parlement anglais, c’est l’attitude de tous les partis. Que la guerre doive continuer ou que la paix soit prochainement conclue, il n’est point certain que dans l’un ou l’autre cas lord Palmerston parvienne à se maintenir au pouvoir ; il aura tout au moins à surmonter d’immenses difficultés. Tous les partis cependant se sont renfermés dans le silence et la réserve en présence d’une négociation où un grand intérêt public est engagé : rare et digne spectacle offert par un pays libre, qui met son honneur et son patriotisme à se contenir pour ne point créer à son gouvernement l’embarras de discussions irritantes et de dissentimens qui pourraient énerver ou égarer son action ! Au fond, on peut dire que le gouvernement anglais est aussi disposé à la paix aujourd’hui que toutes les puissances qui vont entrer dans les négociations. Les conditions auxquelles il a souscrit, il les maintiendra dans leur modération ; mais il n’en laissera ni diminuer ni affaiblir la portée, et sous ce rapport l’Angleterre et la France n"ont qu’une même pensée, celle d’une paix fondée sur de sérieuses et fortes garanties.

Ce congrès, dont les délibérations vont s’ouvrir, présentera un fait singulier et caractéristique : c’est l’alliance de la France, de l’Angleterre et de l’Autriche, rapprochées sur le terrain d’une défense commune et prêtes à signer ensemble la paix avec la Russie ou à continuer ensemble la guerre. En présence de ce fait, il est impossible de ne point se rappeler une autre circonstance de l’histoire diplomatique de l’Europe. En 1815 aussi, au lendemain des gigantesques luttes de l’empire et de la chute de Napoléon, la France, l’Angleterre et l’Autriche se trouvaient conduites à conclure le 3 janvier un traité assez semblable à celui qu’elles ont signé l’an dernier le 2 décembre. Ce traité, qui devait rester secret, n’eut aucune suite ; il fut même communiqué pendant les cent jours à l’empereur Alexandre, contre lequel il était dirigé. Quarante ans plus tard, la même alliance s’est renouée, tant il est vrai qu’elle était dans la nature des choses, et qu’elle représentait la seule force capable de lutter contre un danger qu’on entrevoyait déjà dans ce premier instant ! Au lendemain de coalitions de toute sorte, on déposait le germe d’une coalition nouvelle. Et à quelle occasion le traité du 3 janvier 1815 était-il signé ? C’était à l’occasion des prétentions de la Russie sur la Pologne, sur ce qui restait du moins de ce royaume, sur le duché de Varsovie. La France et l’Angleterre eussent voulu la reconstitution d’une Pologne indépendante ; l’Autriche elle-même n’était point éloignée de s’y prêter. La Russie finit par l’emporter. N’est-ce point cependant un fait frappant que dans toutes les grandes crises le nom de la Pologne revienne toujours ? Par une aberration singulière, on a laissé tomber la cause de ce malheureux peuple aux mains des révolutionnaires, qui l’ont souvent compromise. Voici une crise nouvelle, et ce ne sont plus cette fois les révolutionnaires qui s’occupent de la Pologne, ce sont les gouvernemens eux-mêmes qui commencent à murmurer son nom, à envisager la possibilité de faire quelque chose pour elle. Nul ne peut dire ce que cache l’avenir ; mais du moins ne peut-on pas demander pour la Pologne le traitement que lui garantissait l’acte final du congrès de Vienne, en lui donnant le caractère d’un royaume-uni et non d’une province russe, en lui assurant le maintien de sa nationalité, — des institutions propres ? La Russie ne pourrait certainement dire que la révolution polonaise de 1830 l’a déliée de tout engagement, car ce n’est point avec la Pologne qu’elle se liait en 1815, et les obligations qu’elle contractait, elle les contractait vis-à-vis de l’Europe, qui trouvait une dernière garantie dans ce reste d’une nationalité survivante. C’est à l’empereur Alexandre II d’entrer dans cette voie de réparation. Cela lui serait compté à coup sûr dans l’esprit de l’Europe. Quant à la France, plus que toute autre puissance, elle est en position d’invoquer les stipulations préservatrices de ces traités, car ils ont été faits contre elle, et seule elle ne les a pas violés. Elle n’a point du reste à modifier sa politique pour que ses sympathies soient assurées à la Pologne, comme à tous les peuples à qui un appui est parfois nécessaire. La France peut être conduite parfois à contracter de grandes alliances. La tendance la plus essentielle de sa politique peut-être consiste à se tenir en étroite amitié avec des états comme le Piémont, la Suède, le Danemark, l’Espagne, le Portugal, dont le faisceau est une force. Aussi, dans le cas où quelque question relative au Piémont ou à la Suède naîtrait dans les prochaines négociations, l’appui de la France ne manquerait point certainement à ces deux pays.

Pour le moment donc et plus que jamais tout se résume dans la réunion de ce congrès, qui va tenir ses séances au milieu de nous. Paris a eu l’an dernier l’exposition universelle des beaux-arts et de l’industrie, la visite de la reine Victoria, la visite du roi de Sardaigne ; il va avoir cette année la plus grande assemblée diplomatique qui ait été tenue depuis longtemps. On ne la verra pas, mais sa présence se fera sûrement sentir, surtout si la paix sort de ses délibérations. Paris alors aura les fêtes de la paix. C’est au ministère des affaires étrangères que le congrès se réunira, et, suivant un usage consacré, c’est le ministre des affaires étrangères, M. le comte Walewski, qui sera le président, de même que M. de Buol présida, il y a un an, les conférences de Vienne. Chaque jour maintenant, les représentans des diverses puissances vont arriver pour se trouver à l’heure indiquée où va se poser solennellement cette grande question de la paix et de la guerre. En attendant, à côté de ces grandes affaires qui intéressent l’Europe entière. divers changemens viennent d’avoir lieu dans le personnel du ministère des affaires étrangères. M. Lefebvre de Bécour a quitté la sous-direction des affaires du nord pour passer au poste de ministre plénipotentiaire au Parana, dans la Confédération Argentine. Au milieu de toutes ces complications qui s’agitent toujours dans la Plata, nul mieux que le nouveau ministre ne peut parvenir à conduire les affaires de la France avec la sûreté d’un esprit à qui toutes ces questions sont familières. M. de Bécour a pour successeur au ministère des affaires étrangères M. H. Desprez, dont on connaît les travaux sur l’Orient, et qui a commencé avec succès comme écrivain l’étude de ces grandes affaires, dont il a aujourd’hui à s’occuper dans une position officielle. Une nouvelle sous-direction a été créée en même temps pour les affaires d’Amérique et confiée à M. Noël, attaché depuis plusieurs années au département.

Le mouvement des choses diplomatiques éclipse naturellement ce qui reste parmi nous de vie politique intérieure, et cependant au moment même où le congrès va s’ouvrir, ou du moins peu après, le sénat et le corps-législatif vont se réunir à leur tour ; ils sont convoqués pour le 3 mars. On n’a point oublié peut-être un article du Moniteur qui venait récemment provoquer l’activité du sénat. Le sens de cet article semblait assez énigmatique ; il est devenu plus clair par une publication officielle subséquente, qui offre en effet au sénat de quoi s’occuper. Les conseils-généraux émettent chaque année des vœux dictés par la connaissance qu’ont ces assemblées départementales de tous les besoins, de tous les intérêts du pays. Ces vœux annuels ont été réunis depuis 1851, et devront être communiqués au sénat comme un ensemble de documens où ce corps peut puiser toutes les lumières nécessaires pour proposer des mesures d’utilité publique. Il en a été décidé ainsi d’après un rapport adressé par M. le ministre de l’intérieur au chef de l’état. Cette mission confiée au sénat peut en effet, suivant les circonstances, acquérir une certaine importance. Il s’agit simplement de recueillir dans leur spontanéité les vœux, les désirs, les espérances et les justes aspirations d’un pays où se réveille toujours, sous une forme ou sous l’autre, l’énergie morale ou intellectuelle.

Il y a certes dans la vie contemporaine une confusion qui la rend difficile à saisir pour l’esprit politique, et plus difficile encore à reproduire pour l’esprit littéraire. On risque souvent de marcher de contradictions en contradictions, d’incohérences en incohérences. Cette confusion néanmoins laisse apercevoir un fait supérieur : c’est cette sorte de solidarité de principes, d’aspirations ou d’intérêts, qui se révèle entre les peuples et leur crée pour ainsi dire un même but, vers lequel ils se dirigent par des chemins différens. Chaque pays a son histoire particulière sans doute, et il y a aussi une histoire commune à tous les pays ; il est des momens où les nations se sentent invinciblement dépendantes l’une de l’autre et soumises à la pression des mêmes événemens. Ce fait est devenu bien plus palpable depuis la révolution qui a clos le dernier siècle en ouvrant le siècle présent. La révolution française n’est point seulement en effet l’orageuse et terrible transformation d’un peuple livré à lui-même : c’est une grande mêlée de l’Europe, et cette mêlée dure vingt-cinq ans, pendant lesquels tout est démoli, reconstruit, rajusté, pour finir par être remis en équilibre tant bien que mal. L’Europe porte encore la marque de cette opération empirique. Le côté abstrait, organique ou purement intérieur de la révolution a été, surtout en France, l’objet de bien des études qui ne font que se multiplier de jour en jour. Il est plus rare qu’on se soit appliqué à caractériser nettement la partie extérieure de la révolution, le rôle des divers états de l’Europe, surtout ces premiers démêlés bientôt transformés en un duel gigantesque. C’est là ce que s’est proposé un écrivain hollandais, M. A. van Dijk, dans un livre de Considérations sur l’histoire de la révolution française depuis 1789 jusqu’en 1795. M. van Dijk n’est point un contre-révolutionnaire, comme il le dit peut-être un peu subtilement ; mais il est anti-révolutionnaire en ce sens qu’il incline visiblement vers la nécessité d’une réforme sensée, juste, devenue d’ailleurs irrésistible, et qui aurait pu être contenue dans de raisonnables limites sans un enchaînement de fatalités auxquelles l’Europe, par sa conduite, ne fut point étrangère.

C’est ici en effet la partie intéressante des Considérations de M. van Dijk. La vérité est que l’Europe contribua singulièrement à irriter la révolution française en se refusant à comprendre le sens des événemens qui se préparaient, en prêtant au roi Louis XVI un appui périlleux et inefficace, en portant dans ces premiers démêlés aussi peu de sagacité que de décision, surtout des vues étroites et égoïstes. Quel était l’état de l’Europe au moment où déjà se dessinait cette lutte ? L’Angleterre était indifférente encore, ne se sentant pas menacée dans sa puissance. La Russie était engagée dans sa guerre avec les Turcs, et elle ne voulait point se détourner de sa proie, ou si elle se détournait, c’était pour se rejeter sur la Pologne. L’Autriche sortait aussi d’une guerre avec la Turquie, et en se repliant du côté de l’Occident, elle songeait avant tout à sauvegarder ses provinces de Belgique. La Prusse, tout hostile qu’elle fût à la révolution, craignait de voir la prépondérance de l’Autriche sortir des conflits possibles. Les petits princes allemands déjà se voyaient avec effroi absorbés par les deux puissances allemandes rivales. C’est une histoire assez vieille et toujours nouvelle. De là un système plein de tergiversations, de duplicité et d’impuissance. Cette déclaration même de Pilnitz, dont les révolutionnaires de Paris avaient intérêt à exagérer l’importance, ne stipulait rien que de très éventuel et de très équivoque. La déclaration de Pilnitz n’était point une force pour les alliés, ni même un engagement sérieux ; elle ne faisait qu’enflammer l’instinct patriotique en France en le ralliant à la révolution. C’est ce que montre d’une façon lumineuse M. van Dijk. À l’heure des hostilités, l’Autriche et la Prusse engageaient la lutte sans esprit d’unité, avec des forces restreintes. Pourquoi cela ? Parce que la Prusse et l’Autriche gardaient une partie de leur armée du côté de la Pologne, sur laquelle Catherine ne dissimulait plus ses desseins, et qu’il y avait à revendiquer une part de butin. C’est là le nouveau partage que M. de Lamarck appelle « un acte de rapine et de vol, » en montrant les mêmes souverains d’accord pour dépouiller un roi inoffensif et se partager ses états, et coalisés en même temps pour rétablir un autre roi dans ses droits en proclamant des vues de modération. Lorsque fut nouée enfin la grande coalition de tous les états, sauf la Suède et le Danemark, il n’était plus temps. Les révolutionnaires français pouvaient faire honneur de leurs victoires à l’inextinguible amour de la liberté. La grande raison de ces victoires sans doute, ce fut, après l’héroïsme de nos soldats, la politique égoïste et impuissante de ces cours, qui songeaient avant tout à un intérêt étroit, qui rusaient entre elles, menaçaient sans agir, et ne laissaient à la France d’autre alternative qu’une lutte désespérée, en lui offrant le spectacle d’un royaume démembré et partagé. C’est avec pénétration et sûreté que M. van Dijk retrace cette série d’événemens, devenus le point de départ de l’histoire contemporaine.

L’un de ces événemens, le partage de la Pologne, garde sans doute un caractère général ineffaçable, et il a eu aussi une influence particulière sur l’Allemagne. Cette influence n’a point cessé ; elle réagit à chaque instant sur la politique ; elle communique aux gouvernemens une secrète faiblesse, car cette suppression d’un peuple, surtout d’un peuple de soldats, a privé les états germaniques du bouclier qu’ils avaient au nord. Aussi n’est-il pas surprenant que bien des historiens en Allemagne aient tourné leurs recherches vers ce triste épisode des annales du xviiie siècle, et ce n’est pas sans raison que dans ses Études contemporaines sur les pays germaniques et slaves M. Edouard Laboulaye commence par résumer tous les incidens, toutes les péripéties du premier partage, dont tous les autres n’ont été que la conséquence fatale. Chose curieuse et morale à observer, personne n’a songé à absoudre cet acte, dont Marie-Thérèse s’accusait elle-même en le signant ; il ne s’agit que de fixer ses résultats politiques et de démêler la part de responsabilité des divers auteurs de l’œuvre. Il y a, comme on sait, un système historique qui tend à rejeter sur Frédéric II la principale responsabilité du partage, et certes les témoignages accusateurs ne manquent pas contrôle roi philosophe : Seulement il reste toujours cette question : Frédéric fut-il dupe en étant complice ? Qui avait préparé la dissolution de la Pologne ? qui poursuivait cette œuvre avec un acharnement incroyable ? qui en a recueilli le plus grand profit ? Tandis que Catherine faisait avancer la Russie vers l’Occident, l’Allemagne se trouvait affaiblie. C’est ce que M. Laboulaye, après bien d’autres, met en relief dans ses Études. Ce n’est pas là d’ailleurs la seule question allemande que traite l’auteur. Il va librement de la politique à la philosophie. M. Laboulaye n’est point un historien de l’Allemagne contemporaine ; mais c’est un observateur des choses et des hommes, des idées et dès faits, qui analyse plus qu’il ne peint, qui juge plus qu’il ne raconte, et qui recueille enfin ses jugemens sur les publications diverses dont il a eu à s’occuper à mesure qu’elles se succédaient. C’est ainsi que de l’essai sur le partage de la Pologne, l’auteur passe à une étude sur la dernière révolution de Hongrie, pour aborder ensuite le système historique de M. de Savigny. L’esprit qui domine dans ces études est un esprit libéral et équitable, indulgent même parfois. Il est des faits presque inaperçus qui s’accomplissent au-delà du Rhin et que M. Laboulaye indique rapidement. L’un de ces faits est l’échange singulier qui s’opère chaque jour entre l’Allemagne et l’Amérique. Les pays germaniques envoient aux États-Unis leurs émigrans, qui vont chercher la fortune ou un foyer ; l’Amérique envoie en Allemagne ses idées républicaines. Quel augure peut-on tirer de tels faits ? L’émigration allemande, qui se développe toujours dans de vastes proportions, est certes un élément sain et vigoureux pour les États-Unis ; elle porte au-delà de l’Océan des mœurs fortes et paisibles, des habitudes de travail. En compensation, les idées américaines sont-elles destinées à faire des progrès au-delà du Rhin ? et si elles faisaient des progrès, sont-elles de nature à favoriser la grandeur de l’Allemagne ? C’est peut-être le rêve de quelque imagination démocratique, rêve qui s’évanouit bien vite quand on le rapproche de la réalité, de tous les instincts, de toutes les traditions germaniques. Il n’est pas moins curieux d’observer ces affinités entre l’Allemagne de notre temps et la puissante république américaine, qui, pour dernière singularité, grandit chaque jour par le concours des Européens, et semble à chaque instant prendre l’attitude d’une ennemie de l’Europe.

C’est certainement l’une des plus graves questions politiques aujourd’hui que celle des complications survenues entre l’Angleterre et les États-Unis. Les relations entre ces deux grands pays, après s’être sensiblement refroidies dans ces derniers temps, finiront-elles par se rompre tout à fait ? Les querelles soutenues des deux côtés de l’Océan par la diplomatie et par la presse se changeront-elles en hostilités ouvertes ? Tous les faits par momens semblent conduire à ce résultat, quand tous les intérêts des deux pays et toutes les affinités de race se réunissent pour le rendre impossible. Dans les premières et courtes discussions du parlement anglais, il n’y a eu place, à vrai dire, que pour deux questions. La première est celle de la guerre avec la Russie et des négociations qui vont s’ouvrir ; la seconde a été celle des rapports de l’Angleterre avec les États-Unis. On sait du reste en quoi consistent les difficultés qui se sont élevées entre les cabinets de Londres et de Washington. Le gouvernement américain accuse l’Angleterre d’avoir violé les lois nationales des États-Unis en faisant des enrôlemens, et il fait peser la responsabilité de cette violation sur le ministre anglais en Amérique, M. Crampton, dont il réclame le rappel. L’autre difficulté a trait à l’interprétation du traité Clayton-Bulwer, relatif à l’Amérique centrale. Il s’agit de savoir si l’un des articles de ce traité, en vertu duquel les deux parties s’interdisent d’occuper ou de coloniser un point quelconque des républiques de Nicaragua, Honduras et Costa-Rica, s’applique aux possessions anciennes de la Grande-Bretagne sur les côtes de l’Amérique centrale. Le gouvernement américain soutient que l’Angleterre doit se retirer complètement de cette partie de l’Amérique. Le gouvernement anglais prétend au contraire que le traité s’applique uniquement à des acquisitions nouvelles et nullement aux droits et possessions qu’avait antérieurement l’Angleterre à Belize, sur la côte des Mosquitos et dans les îles de la Baie. Sur ces divers points, le président Pierce, dans son dernier message, a pris un ton assez haut vis-à-vis de l’Angleterre. Il dit d’une façon assez claire et assez menaçante que les États-Unis iront jusqu’au bout, s’ils n’obtiennent pas satisfaction pour la violation de leurs lois nationales et au sujet de l’interprétation du traité Clayton-Bulwer.

C’est ainsi que la question arrivait récemment devant le parlement anglais. Les explications des ministres, de lord Clarendon et de lord Palmerston, ont été, il faut le dire, empreintes d’une modération extrême. Quoiqu’ils eussent été assez fondés à relever les paroles de M. Pierce, ils n’en ont rien fait ; bien au contraire, ils ont poussé l’esprit de conciliation presque jusqu’à la limite de l’humilité, et certes ce jour-là lord Palmerston avait oublié le fameux civis romanus. Du reste les explications des ministres anglais étaient fort simples. En ce qui touche l’interprétation du traité Clayton-Bulwer, ils ont offert de soumettre la question à l’arbitrage d’une puissance amie. Quant à l’affaire du recrutement, ils ont tout fait pour désarmer la susceptibilité américaine sans aller cependant jusqu’à rappeler M. Crampton. La querelle suit son cours entre les deux gouvernemens, car à la veille de l’ouverture du parlement le cabinet anglais recevait encore une communication plus péremptoire de Washington. Les explications données par le ministère de Londres suffiront-elles pour satisfaire le gouvernement américain ? Il ne serait point impossible que la perspective d’une paix prochaine en Europe n’eût encore plus d’effet et ne servît à ramener le cabinet de Washington à une politique moins acerbe et moins impérieuse. Dans tous les cas, le cabinet britannique a prouvé certainement tout le prix qu’il attachait à ne se point brouiller avec les États-Unis. Cela ne paraît point suffire cependant à l’humeur pacifique de M. Bright et aux manufacturiers de Manchester, qui ont besoin du coton américain. Il est vrai qu’après les discours de M. Bright, il ne reste plus qu’à laisser les États-Unis suivre leurs volontés et leurs impérieux caprices, comme il eût fallu laisser paisiblement la Russie accomplir ses desseins en Orient. La politique de la paix eût été satisfaite ; il n’y a que la dignité des peuples qui eût reçu l’irréparable atteinte. Il n’est point douteux que le gouvernement anglais a une raison de tout faire pour éloigner une rupture avec les États-Unis ; mais si malgré tout cette rupture éclatait, la question pourrait bien changer de face, et l’attention de l’Europe pourrait se tourner du côté de l’Atlantique, pour demander enfin quelques garanties à cette politique turbulente qui remplit et agite le Nouveau-Monde de ses ambitions et de ses provocations.

Placée en dehors des conflits où d’autres peuples sont engagés, heureusement affranchie de toute complication extérieure, l’Espagne en est, aujourd’hui comme hier, à lutter avec elle-même ; c’est la condition de son existence politique depuis deux ans. La Péninsule parviendra-t-elle enfin à se donner un gouvernement ? De cet amas de passions personnelles, de rivalités, d’antagonismes qui semblent tout obscurcir au-delà des Pyrénées, sortira-t-il un pouvoir capable de reprendre d’une main vigoureuse la direction du pays ? Il n’y a pas d’autre question à Madrid. Après avoir voté une constitution qui reste provisoirement suspendue, le congrès discute maintenant les lois organiques, notamment la loi électorale, et pendant ce temps le cabinet vient de se modifier encore une fois, sans qu’il y ait eu à la vérité une crise réelle. Le ministre des finances, M. Juan Bruil, a quitté le pouvoir et a été remplacé par M. Francisco Santa-Cruz. Des considérations toutes personnelles ont sans doute présidé à ce changement, qui ne modifie pas d’une manière sensible la position du gouvernement. M. Francisco Santa-Cruz est un riche propriétaire de la province de Teruel, progressiste modéré, qui a déjà fait partie, comme ministre de l’intérieur, du premier cabinet formé après la révolution de 1854, et qui a donné sa démission, il y a six mois, pour quelques démêlés avec la milice nationale de Madrid. Sa rentrée au pouvoir ne peut que promettre un appui de plus à une politique modérée dans le sein du conseil. Ce n’est plus toutefois comme ministre de l’intérieur que M. Francisco Santa-Cruz revient au gouvernement, c’est comme ministre des finances. Or les finances sont certainement un des côtés les plus graves de la situation de l’Espagne, et il reste à savoir si le nouveau ministre sera à la hauteur des difficultés qu’il va avoir à résoudre. C’est peut-être pour n’avoir pas pu vaincre ces difficultés que M. Bruil s’est retiré après avoir mis la main à beaucoup d’opérations d’un succès au moins douteux. La chose est curieuse à observer. Il y a à Madrid une assemblée qui est en permanence, qui prolonge son existence au risque d’ajouter à l’incertitude du pays, qui se livre chaque jour aux querelles les plus irritantes et les plus stériles, et qui n’a point trouvé le temps de discuter sérieusement le budget. Les contributions publiques se perçoivent encore, selon l’habitude, en vertu d’une autorisation préalable, et ce budget même présente un déficit considérable, principalement occasionné par la suppression de l’impôt des consumos. Pendant l’année qui vient de s’écouler, on a cherché, à l’aide de divers emprunts et d’opérations onéreuses, à combler le vide laissé par cette suppression ; mais la difficulté ne subsiste pas moins tout entière pour le nouveau ministre comme pour celui qui s’est retiré. Il s’agit toujours de créer des ressources permanentes pour faire face à des dépenses permanentes. M. Francisco Santa-Cruz proposera-t-il le rétablissement des droits de consommation ? La question serait bien vite résolue si ce n’était pour la révolution une espèce de désaveu d’elle-même, et si on ne craignait de mettre une arme dans la main des partis extrêmes. Il n’y a point cependant d’autre issue pour rétablir un certain équilibre financier.

La situation de l’Espagne, à ce point de vue, reste donc singulièrement embarrassée, soit par suite des mesures irréfléchies adoptées l’an dernier, soit par bien d’autres causes qui contribuent à maintenir le pays dans une certaine stagnation matérielle. Dans tous les cas, si l’Espagne ne retrouve pas subitement aujourd’hui la route de toutes les prospérités matérielles et financières, ce ne sont pas les moyens de crédit qui vont lui manquer. Depuis quelque temps en effet, il y a à Madrid une véritable invasion de faiseurs, de projets, de capitaux en espérance, si l’on nous passe ce terme. Banques, institutions de crédit, sociétés mobilières, — jusqu’ici on en peut compter au moins quatre, qui viennent d’être l’objet de concessions de la part du gouvernement et du congrès. Durant plus d’un mois, il n’a été question que de cela dans les couloirs de l’assemblée aussi bien qu’à la bourse de Madrid. La spéculation a fait son entrée à pleines voiles dans la vieille Espagne, et la petite chronique de cette entrée solennelle ne serait peut-être pas sans offrir quelques particularités curieuses. Quoi qu’il en soit, la première de ces sociétés nouvelles s’est formée sous les auspices et au nom des fondateurs du crédit mobilier de France, qui avaient commencé par avancer au ministre des finances une somme de 6 millions de francs pour le paiement du semestre de la dette, et avaient eu peut-être un moment la pensée d’obtenir le privilège d’une entreprise unique de ce genre. Il n’en a point été ainsi cependant. Un autre banquier français, M. Prost, a fait une soumission de la même nature, et il a eu aussi sa concession. Ce n’est pas tout ; les banquiers espagnols n’ont pas voulu laisser le champ libre aux étrangers ; MM. Collado, Sevillano, bien d’autres encore, ont fondé également une société dont l’existence a été consacrée par les cortès. Enfin des négocians et des capitalistes catalans ont à leur tour formé pour le même objet une association flnancière, dont l’action restera circonscrite, il est vrai, dans la principauté de Catalogne. Tout compte fait, voilà donc quatre sociétés qui s’offrent à inonder l’Espagne d’argent ou peut-être de papier. Cette intervention des capitaux étrangers, cette multiplication des moyens de crédit ne pourraient évidemment qu’être utiles à la Péninsule ; mais n’est-il pas à craindre que tout ce mouvement ne soit plus apparent que réel, et qu’il ne soit très disproportionné avec l’état vrai des affaires ? Qu’on songe bien que le crédit est chose récente en Espagne : le seul établissement de ce genre, la banque de Saint-Ferdinand, date de 1829. On essaya en 1844 de créer la banque d’Isabelle II, qui ne put vivre, et alla bientôt se fondre avec sa rivale et son aînée. La banque de Saint-Ferdinand, successivement réorganisée par M. Mon en 1849 et par M. Bravo Murillo en 1851, a donc seule fonctionné jusqu’ici, avec un capital social de 120 millions de réaux et avec la faculté de mettre en circulation pour une somme égale de billets. M. Domenech, durant son ministère en 1854, avait songé un moment à augmenter le chiffre de la somme émissible en billets, et dès cette époque il avait même reçu, dit-on, des propositions des fondateurs du crédit mobilier français. La révolution survenait, et la banque de Saint-Ferdinand est restée dans des conditions modestes, qui n’indiquent point à coup sûr un grand mouvement d’affaires. Qu’on se représente maintenant quatre sociétés nouvelles de crédit survenant avec un capital presque fabuleux pour l’Espagne, et, ce qui est plus grave, avec la faculté d’émettre du papier pour une somme décuple du capital de fondation. N’y a-t-il pas à craiiidre quelque perturbation dans un pays où le crédit est jusqu’ici peu entré dans les habitudes ? Il y a eu un exemple de ce genre après 1846, après la création de nombreuses sociétés anonymes ; il en est résulté deux années de crises durant lesquelles la place de Madrid eut à subir les plus rudes épreuves. L’Espagne est donc fondée à se prémunir, non certes contre la propagation du crédit, mais contre l’excès des entreprises de ce genre. Du reste, le premier élément de sa régénération financière, l’Espagne le trouvera toujours dans une bonne et intelligente politique, et sous ce rapport il reste malheureusement beaucoup à faire. Les mêmes luttes existent en effet dans toutes les régions ; seulement plus on avance, plus on aperçoit distinctement pour le général O’Donnell la nécessité d’adopter une politique dans laquelle l’Espagne puisse voir la garantie de sa sécurité et de ses intérêts.

ch. de mazade.
REVUE ÉTRANGÈRE.

Nous signalions l’autre jour le mouvement d’études sérieuses qui s’accroît et se propage en Allemagne ; en voici de nouveaux témoignages que nous nous empressons de recueillir. Un libraire de Leipzig, M. Hirzel, qui se distingue par son activité et par le choix de ses publications, vient de faire paraître deux ouvrages qui ne peuvent manquer de saisir vivement l’attention des penseurs ; l’un est une Histoire de la Logique dans l’Occident par M. Charles Prantl[1], professeur à l’université de Munich ; l’autre est une Philosophie du Christianisme, par M. Christian Weisse[2].

En publiant son œuvre, qui est évidemment le fruit de longues années de travail, M. Charles Prantl remarque avec une satisfaction très allemande qu’il traite un sujet tout nouveau (invia doctorum pedibus peragro loca), et qu’il n’a trouvé que d’insuffisantes ressources chez les écrivains qui l’ont précédé. Ramus dans ses Scholæ dlalecticæ, Gassendi dans son livre intitulé De Logicæ origine et varietate, avaient donné sans doute des indications fort utiles ; mais M. Prantl est un de ces esprits acharnés qui croient que rien n’est fait tant qu’il reste à faire quelque chose ; il prend son sujet dès les plus lointaines origines et ne nous fait grâce d’aucun détail. L’histoire de la philosophie ancienne a été, de nos jours surtout, l’objet de bien des travaux approfondis ; a-t-on étudié les procédés de l’esprit humain dans les différentes écoles avec autant de soin et d’attention qu’on étudiait ces écoles même et leurs doctrines générales ? M. Prantl ne le croit pas. Rechercher ce qu’a été l’art de penser chez les Éléates, chez les Mégariens, dans l’école de Socrate et de ses glorieux successeurs, telle est la tâche qu’il se donne. Cet art de penser, tantôt il est formulé, chez Aristote par exemple, avec une force et une précision supérieure, tantôt il s’exerce naïvement sans se rendre compte à lui-même des procédés qu’il emploie ; le docte critique veut découvrir ces secrets et montrer quelles phases de progrès ou de décadence la logique a traversées dans l’Occident depuis Parménide et Zenon jusqu’à Kant et Hegel. Le premier volume que nous avons sous les yeux embrasse toute la philosophie ancienne, et s’arrête au seuil du moyen âge avec Boèce ; le second, qui doit paraître bientôt, comprendra la scolastique et la philosophie moderne. C’est à coup sûr un tableau instructif que cette histoire des procédés de l’esprit chez les penseurs de la Grèce et des écoles alexandrines ; M. Prantl y a déployé une science incontestable et quelquefois des vues ingénieuses et fécondes. Je ne dirai pas que le livre soit bien fait, qu’il soit composé avec art, que la logique, sujet de ces longues investigations, apparaisse suffisamment dans l’emploi et la distribution des matériaux, mais certainement c’est là un manuel qu’on ne pourra se dispenser de consulter chaque fois qu’on s’occupera de l’art de philosopher chez les anciens. M. Prantl s’excuse quelque part d’avoir laissé de côté la logique des écoles orientales, bien que les traditions de l’Asie aient exercé une influence manifeste sur les premiers développemens de la philosophie hellénique ; il prévient aussi, en demandant grâce, qu’il n’a parlé qu’accessoirement des logiciens arabes du moyen âge. Qu’il se rassure : ce n’est pas l’insuffisance des documens qu’on pourra lui reprocher. Je regrette pour ma part qu’il ait accumulé tant de choses. On étouffe dans cet arsenal de formules ; on voudrait y voir circuler un peu d’air, et l’on est tenté de s’écrier avec Goethe : mehr Licht ! Après tout, M. Prantl a remué beaucoup de faits, beaucoup d’idées, et cette abondance d’un écrivain qui ne sait se borner, défaut si grave chez nous, sera beaucoup moins remarquée chez nos voisins. On sait de reste que l’Allemagne ne ressemble pas à notre immortel fabuliste, et ce n’est pas elle qui dirait : Les longs ouvrages me font peur.

Que de faits aussi, que d’idées et de formules dans l’ouvrage de M. Christian Weisse ! Heureusement l’érudition de l’auteur s’applique à un fonds plus riche et plus varié. Il ne s’agit pas de consulter sur un même point l’opinion de toutes les écoles, il s’agit d’établir par la raison et par l’histoire la philosophie du christianisme. La philosophie du christianisme ! M. Weisse ne s’inquiète pas de savoir si ces mots sonneront mal aujourd’hui au milieu des passions contraires entretenues par les ennemis de la raison ; il est philosophe, il est chrétien, et il poursuit son œuvre. Dès la première page de son livre, il réfute l’intolérance et le fanatisme en rappelant qu’à toutes les époques où le christianisme a vécu d’une vie complète, il a eu sa philosophie. Cette philosophie se révèle déjà, et avec quelle sublimité ! chez saint Jean et saint Paul ; elle se développe chez les pères, et elle produit sous la plume de saint Augustin des monumens immortels. Que sont les travaux des scolastiques et des mystiques du moyen âge, sinon une série de systèmes philosophiques inspirés par la religion du Christ ? Des apôtres à saint Augustin, de saint Augustin à saint Thomas, de saint Thomas à Tauler, à Bossuet, à Leibnitz, à Schleiermacher, si cette tradition s’interrompt quelquefois, elle n’est jamais brisée. M. Weisse a raison de s’appuyer sur ces glorieux témoignages ; la meilleure partie de son livre incontestablement, c’est celle qui déroule devant nous ces grands et audacieux efforts de l’intelligence humaine. J’aurais même désiré qu’il fît une part plus large à ce développement historique de la philosophie chrétienne. Quand il nous donne ses propres commentaires des dogmes, il tombe souvent dans le vague ; l’histoire le contient et le redresse.

On demandera à quel point de vue s’est placé M. Christian Weisse et de quelle école il relève. M. Weisse est un de ces nobles esprits qu’avaient séduits d’abord la mystique grandeur de l’idéalisme hégélien, et qui bientôt, effrayés des conséquences d’une doctrine qui anéantit la liberté humaine, n’ont conservé de l’inspiration du maître que l’enthousiasme de la science et l’ardent désir de concilier la philosophie et la religion. Les ouvrages de M. Weisse sont nombreux ; un des plus remarquables sans contredit est celui où il revendique contre Hegel le droit de l’individu et l’immortalité de la conscience. M. Weisse reprend donc la philosophie au point où elle semblait parvenue lorsque Hegel apparaissait aux esprits comme le créateur d’un système qui unissait la raison et la foi. Hegel n’a pas réalisé, on le sait trop, les sublimes espérances qu’il avait fait concevoir ; M. Weisse est-il mieux inspiré ? Il l’est très certainement si l’on considère, non pas l’éclat du génie, mais la justesse des intentions. Aucune trace de panthéisme dans le système qu’il expose, à moins que ce ne soit ce prétendu panthéisme que certains esprits aperçoivent partout, le panthéisme dont saint Paul et saint Jean sont remplis. L’homme est libre dans la doctrine de M. Weisse, et toutefois il dépend d’un pouvoir supérieur vers lequel l’emportent les aspirations de son amour. La religion n’est pas pour lui, comme chez Hegel, la conscience de sa propre divinité ; elle naît au contraire du sentiment de sa faiblesse, en même temps qu’elle atteste la dignité de son être. En un mot, nous ne sommes pas des dieux longtemps emprisonnés dans la matière et affranchis enfin après une captivité de six mille ans par l’audacieux philosophe de Berlin ; mais si l’esprit humain n’est pas dieu, ne croyez pas cependant qu’il soit privé, comme le veut de nos jours une théologie sceptique, de cette lumière céleste qui éclaire tout homme venant en ce monde ; il porte en lui la marque de la main qui l’a formé, et c’est en s’étudiant lui-même qu’il peut s’élever à la connaissance du divin maître et de ses attributs. L’étude de Dieu, l’étude métaphysique du Père, du Fils, du Saint-Esprit, l’étude psychologique, si je puis ainsi parler, de la bonté, de la justice et de la providence infinie, voilà le sujet de M. Christian Weisse dans ce premier volume ; le second s’attaquera à des problèmes plus périlleux encore : il essaiera une explication philosophique des dogmes fondamentaux du christianisme, le péché originel et la rédemption. Un livre qui traite de matières si hautes, qui discute les questions les plus ardues de la métaphysique et de la théologie, soulèvera sans doute plus d’une objection sérieuse. Quant à nous, sans entrer dans le fond des choses, nous lui reprocherons bien des défauts de mise en œuvre, bien des obscurités de style et un amas de dissertations abstruses. Il n’en est pas moins vrai que cette lecture élève l’âme et la transporte en des régions idéales dont la philosophie allemande avait perdu la voie. Quel qu’en puisse être le succès, nous félicitons l’auteur de cette audacieuse tentative ; il y a là, on ne peut le nier, un symptôme éclatant du retour à ce spiritualisme chrétien qui est en définitive le vrai génie de l’Allemagne.

C’est encore l’éditeur Hirzel qui publie un ouvrage d’un ordre bien différent, mais qui représente aussi avec éclat les plus glorieuses facultés du génie germanique ; je parle du Dictionnaire allemand de MM. Jacob et Wilhelm Grimm[3]. Ce grand ouvrage est le résumé de toutes les recherches qui occupent depuis quarante ans les deux infatigables philologues ; leur vie entière est là. On sait avec quelle patience, avec quelle sagacité lumineuse, M. Jacob Grimm et son frère ont scruté les antiquités du droit, de la mythologie et de la littérature germaniques ; en exhumant toutes ces richesses, ils ont eu maintes occasions de noter les transformations de la langue, de marquer le sens primitif d’un mot et de suivre ses destinées dans le cours des âges. Tout cela se retrouve dans le dictionnaire qu’ils publient aujourd’hui, dictionnaire sans précédens, dictionnaire impossible jusque-là, car il ne pouvait naître avant les immenses travaux de la philologie du xixe siècle, et il exigeait toute une carrière comme celle de Jacob Grimm assisté de son digne frère.

Quelle est l’inspiration de M. Jacob Grimm ? Un amour passionné de la langue de son pays. Ce n’est pas le grammairien d’autrefois, défiant, méticuleux, voyant partout des solécismes et châtiant le peuple avec sa férule ; ce n’est pas le philosophe scythe émondant à coups de serpette le feuillage trop touffu ; il a foi dans l’idiome du peuple, il recueille avec piété les termes, les locutions, les tours de phrase que tout le monde emploie, il interroge les documens primitifs et les livres populaires aussi bien que les œuvres classiques des maîtres, il étend même, autant qu’il le peut, les limites de son domaine ; tous les pays où la langue allemande est parlée lui fournissent des indications, et le romancier populaire de la Suisse allemande, Jérémie Gotthelf, est invoqué à côté de Luther et de Goethe.

Ceux qui veulent connaître dans son fond le plus intime le génie des idiomes germaniques ne sauraient choisir un autre guide que celui-là ; c’est à la fois, dans le même tableau, l’histoire et la philosophie de la langue. Sous la gravité de la science, on sent à chaque page l’enthousiasme de la poésie. — Voyez cette montagne immense, dit quelque part Henri Heine, c’est l’érudition de Jacob Grimm ; voyez au pied de la montagne la source fraîche et limpide qui en sort, c’est l’imagination de Jacob Grimm. — Rien de plus vrai ; cette fraîcheur de pensée, cet enthousiasme poétique et national éclatent dans l’abondance et le choix des citations littéraires qui viennent expliquer l’histoire des mots. La préface est un chef-d’œuvre d’exposition : l’éminent philologue, souvent un peu embarrassé de ses richesses, a rarement montré dans ses autres ouvrages la netteté et la précision dont il fait preuve ici. On y trouvera une explication éloquente et candide des principes qui l’ont dirigé, en même temps qu’un résumé rapide et substantiel des travaux analogues accomplis en Allemagne avant la création de la philologie comparée. C’est un immense travail qu’ont entrepris MM. Wilhelm et Jacob Grimm : le premier volume, le seul qui soit achevé, ne termine pas la lettre B ; mais nous n’avons pas besoin d’adresser aux auteurs une parole d’encouragement. Leur érudition est riche de trésors amassés, leur juvénile ardeur ne se lasse pas, et on peut affirmer que les deux illustres frères auront bientôt élevé un monument durable à la langue des nations germaniques.

Saint-René TAILLANDIER.


Svensk och Ryss[4] ! (Suédois et Russes). — S’il était besoin, outre les nombreux témoignages que nous avons invoqués dans la Revue, de démontrer par d’autres preuves encore que les sympathies en faveur de la France sont en Suède aussi nombreuses qu’elles l’ont jamais été, aussi nombreuses et aussi vives qu’elles l’étaient avant 1812, et qu’après avoir rebroussé à cette époque vers la Russie, sous une pression du moment, l’opinion publique en Suède a repris de notre temps son cours naturel, mille nouveaux indices nous ôteraient toute incertitude. Voici par exemple une publication suédoise, essentiellement populaire, qui se répand à bon marché, dont le titre est une menace, et qui n’est tout entière elle-même qu’un cri de guerre. C’est un petit volume de cent cinquante pages, dont la couverture montre un bouclier, des glaives et un vigoureux Suédois terrassant une poignée de Moscovites, avec cette légende : « Non pas un contre sept, ce serait peu ; un contre vingt ! « et cette autre, tirée d’une belle poésie de Tegner en l’honneur de Charles XII : « Hors du chemin, Moscovites ! Ur vægen, Moscovist er ! » L’éditeur n’a fait que réunir les témoignages les plus connus de la haine qui a toujours divisé Suédois et Russes, chants nationaux, récits populaires, poésies patriotiques. Rangées selon la suite des temps, ces voix, qui respirent souvent la colère et la vengeance, ne laissent pas de produire une vive impression et donnent bien à ce petit livre le caractère national et populaire qu’il cherchait. Du xive siècle à l’an 1835, voilà quelles ont été les antipathies d’une nation tout entière contre la Russie voisine : est-il possible que les vrais intérêts d’un peuple ne soient pas d’accord avec ses sentimens, si longtemps et si uniformément exprimés ?

Un des premiers récits contenus dans le volume suédois met en scène le défenseur de Wiborg, le célèbre Knut Posse. En l’an de grâce 1395, Knut Posse (un des grands noms de la noblesse suédoise) passait aux yeux de ses compatriotes, à Stockholm, pour un redoutable sorcier, parce que, pendant un long séjour dans les pays étrangers, et surtout à Paris, il avait appris beaucoup des secrets de la nature. Tout à coup la nouvelle se répand que la province (alors suédoise) de Finlande est envahie par ses farouches voisins les Russes. On ne parle qu’avec horreur des excès commis par ces hordes asiatiques : ils rôtissent leurs prisonniers à petit feu, arrachent le sein des femmes avec des tenailles, et se montrent enfin ce que peuvent être des païens sans foi ni loi. Le jeune Svante Sture Nilsson les a bien poursuivis une fois, mais c’est à peine s’il a pu les atteindre ; ils ont disparu devant lui, se sont dispersés dans leurs déserts, puis, revenant en hordes innombrables, ont inondé la Finlande comme des nuées de sauterelles. Sténon Sture, l’administrateur du royaume, se prépare donc à aller les combattre lui-même. Il écrit d’abord à l’archevêque et au chapitre d’Upsal pour obtenir la bannière de saint Éric et la protection divine contre les ennemis de la foi, et puis il s’embarque. Pendant ce temps-là, Knut Posse, qui n’avait pas attendu si tard pour passer en Finlande, combattait les Russes comme on combat les bêtes sauvages, et se faisait si bien redouter par eux, qu’ils fuyaient tous quand ils l’apercevaient de loin. Toutefois son armée s’épuise, et il ne lui arrive de Suède aucun renfort, tandis que les Russes amènent chaque mois des hordes nouvelles. Il ne lui reste bientôt plus de ses braves compagnons d’armes que deux cents hommes, quand l’ennemi en compte des milliers. Il se retire donc dans les murs de Wiborg, non loin de l’emplacement où s’élèvera plus tard Saint-Pétersbourg, et il s’y défend énergiquement, de la Saint-Martin à la Saint-André, en attendant l’arrivée de Sténon Sture et de son armée. Les Russes font bien quelquefois des brèches à ses murailles, mais il les répare avec une incroyable rapidité… Il finit cependant par voir que sa défense ne pourra pas se prolonger beaucoup, et alors il a recours à un expédient. Au nombre des connaissances secrètes qu’il a acquises pendant ses lointains voyages, il compte celle de la fabrication redoutable d’une poussière noire qui éclate au contact du feu et renverse tout autour d’elle. C’est la poudre à canon, que le génie industrieux de l’Occident vient d’inventer. Il rapporte ce secret et imagine de s’en servir pour la première fois contre les Russes. Aidé fidèlement par un guerrier suédois nommé Winholth, il lui confie la défense des murailles, pendant que lui-même, assis devant sa chaudière bouillonnante ou devant le mortier où il pile et broie tout le jour, il fabrique l’horrible matière, à laquelle il ne faut plus qu’une étincelle pour renverser maisons, tours et murailles. Par son ordre, la chaudière est placée dans un trou pratiqué sous la tour principale, dont les autres fortifications dépendent, et un de ses serviteurs est chargé d’y mettre le feu quand il en donnera le signal. — C’était le matin de la Saint-André, le 30 novembre 1395. Les Russes, avec de grands cris et au son des trompes, se précipitent vers la ville, appliquent leurs échelles contre la grande tour qui donne entrée dans la place, et commencent l’assaut. Alors Knut Posse, sans s’émouvoir, assemble sa petite troupe dans la cour du château ; il déploie fièrement la bannière suédoise, qui porte les images de saint Éric et de saint Olaf, et il la fixe devant l’ennemi, qu’il laisse sans se troubler gravir les premiers murs. Cela fait, il donne le signal. La tour s’écroule, et les murs qui l’entouraient écrasent des milliers de Russes. Ce fut ce qu’on appela l’explosion de Wiborg. Le rusé vainqueur reçut de ses compatriotes de grands éloges et de riches domaines en Finlande, et les Russes chantèrent pendant bien longtemps dans leurs litanies : « De l’explosion de Wiborg et de Knut Posse préservez-nous, Seigneur ! »

Un second récit contient encore un épisode de ces guerres incessantes en Finlande ; celui-là date de 1335. La Finlande mettait fréquemment aux prises, il est vrai, Suédois et Russes ; mais, toute suédoise par la langue, la civilisation, la religion et le cœur, cette belle et riche province résistait facilement après tout, bien défendue non pas seulement par le courage de ses habitans, mais aussi par la configuration même de son territoire, entrecoupé de lacs et de forêts.

Charles XII ne pouvait manquer d’avoir sa place dans cette galerie toute suédoise. Son imprudence, il est vrai, a éveillé la Russie, jusque-là peu puissante, et ses victoires ont instruit ses ennemis ; mais les Suédois ont oublié ses fautes pour ne se rappeler que son héroïque ardeur et son courage. Je me souviens d’avoir entendu l’an dernier, sur la principale scène de Stockholm, un acteur intelligent, prenant le vêtement et la physionomie de Charles XII, ses grosses bottes et sa houppelande de drap bleu, réciter avec talent les beaux vers de M. Ridderstad sur Charles XII à Frederikshall, un monologue au bruit du canon. Il fallait entendre les applaudissemens de toute la salle à cette voix du héros dans lequel les Suédois prétendent retrouver leur image. Les rudes apostrophes à la Russie ne manquaient pas dans cette ardente poésie ; le parterre les saisissait avec enthousiasme, et les théâtres de la province, répétant les mêmes scènes, offraient les mêmes échos.

Charles XII donc, le héros de la Suède contre la Russie, est représenté dans cette série de souvenirs par les récits d’Holofzin et de Narva, et par quelques poésies détachées. C’est sans doute parce qu’il est su par cœur dans toutes les parties de la Suède que l’éditeur n’a pas inséré le beau morceau de Tegner, belle, simple et vivante poésie :

Kung Carl, den unga hjelte,
Han stod i roek och dam ;
..........

« Le roi Charles, le jeune héros, il est debout au milieu de la fumée et de la poussière. Il tire son épée du fourreau et il s’élance dans la mêlée. — Voyons, s’écrie-il, voyons s’il mord bien, l’acier suédois ! Hors d’ici, Moscovites, et courage, mes garçons bleus ! — Dans sa colère, un contre dix, il les engage, le glorieux fils des Vasas. Les Russes tombent ou prennent la fuite, et c’est là son coup d’essai. Trois rois ensemble n’ont pas dicté au jeune roi leur volonté. Tranquille il résiste à l’Europe, imberbe dieu de la foudre… »

Ce souvenir du roi Charles, présent au cœur de tous les Suédois, et l’un de ceux qui s’élèvent comme d’infranchissables barrières, quelques efforts qu’on ait pu tenter, entre la Russie et la Suède, un poète contemporain vient de l’évoquer récemment avec une certaine énergie en saluant de ses rimes improvisées l’arrivée du général Canrobert : « … Héros de l’Alma, dit-il, d’un courage et d’une force d’âme antiques, sois le bien-venu ! Nous aussi, nous détestons le nom russe. Comme la France, nous trouverons dans notre passé de grandes leçons. Nous avons, nous aussi, notre campagne de Russie à venger. »

Aussi bien que Charles XII, Gustave III, l’ami déclaré de la France, le correspondant spirituel de Marmontel et de Voltaire, de Mme de Staël, de Mme de Boufflers et de Mme d’Egmont, a combattu la Russie. La journée d’Hogland, restée populaire, consacre ce souvenir.

D’ailleurs la mémoire des batailles n’est pas la seule que ce petit livre invoque. Celle des perfidies de la diplomatie ou de la police moscovite y prend aussi sa place. Ou y trouve par exemple la narration du meurtre de ce malheureux Malcolm Sinclair, qui, chargé par le gouvernement suédois d’aller à Constantinople liquider les dettes laissées par Charles XII et porter au divan des instructions secrètes relatives à la politique du cabinet de Saint-Pétersbourg, fut assassiné dans un bois près de Naumbourg en Silésie, le 17 juin 1739, par des officiers russes. Il était accompagné d’un marchand français nommé Couturier, à qui les meurtriers, en le rassurant, expliquèrent en mauvais latin le motif de sa mort : Ne timeas ! Peccatum esset contra Spiritum Sanctum male facere viro probo sicut te (sic). Iste habuit quod merebat ; erat enim inimicus magistri ; inimicus magistri est inimicus Dei, et puto nos non peccasse interficiendo eum. Ce mélange de superstition et de crime, cette insulte manifeste au droit des gens, au respect des nations, firent en Suède une vive impression sur les esprits. Cent preuves confirmèrent les premiers soupçons qui s’étaient élevés contre la Russie, et cet acte de brigandage devint le motif de nombreux chants populaires en Suède, même en Angleterre et en Allemagne, qui ranimèrent les haines nationales contre les Russes.

La conquête de la Finlande en 1809, la perte de Svéaborg, achetée par les roubles russes, et l’espérance enfin d’un meilleur et plus glorieux avenir, voilà quels traits accompagnent les témoignages suédois des derniers temps. Le livre finit par une pièce intitulée Vaticinium, la même qui fut prononcée jadis à l’une de ces réunions d’étudians Scandinaves ayant pour but de rapprocher ensemble les trois peuples du Nord. Il y avait là des jeunes gens de chacune des universités du Nord. Ceux de la Finlande manquaient seuls depuis quelques années, ou bien, si quelques-uns s’aventuraient en échappant à la police, ils étaient punis au retour. La Finlande néanmoins, la chère Suomi, n’était jamais oubliée dans ces assemblées fraternelles, et des espérances hardies, anticipant sur l’avenir, en rêvaient déjà la nouvelle conquête. « Finlande ! s’écrie M. Strandberg, tu es toujours notre sœur, et la brise qui nous vient d’Orient nous apporte les vœux de plus d’un ami. C’est de là que chaque matin nous arrivent les rayons du soleil ! Bien que nos frères soient courbés sous le joug, le langage les trahit, et, même après une longue séparation, à ce signe vous les reconnaîtrez. — Un soir, j’espère, nous ferons voile vers cette côte ; nous irons prendre au lit l’astre du jour. Nos escadrons couvriront le rivage. En avant ! Nous aurons bientôt tranché les liens qui retiennent les mains de nos frères ! — Avant le coucher du soleil, amis, le Cosaque sera gisant sur la terre. Le nom de ce jour-là sera pour nous un titre d’honneur, et le roi Charles, du haut des cieux, où il tient le solennel chapitre des braves, homme par homme, nous appellera tous, et de chaque étoile que laissera tomber sa main entr’ouverte fera pour chacun de nous une médaille d’honneur ! »

a. geffroy.


Art, Scenery and Philosophy in Europe (Art. Sites et Philosophie d’Europe), etc., par H. B. Wallace, de Philadelphie[5]. — Ces fragmens, réunis et publiés après la mort de l’auteur, révèlent un aimable enthousiasme et une chaleur d’admiration pour le beau dans l’art et dans la nature, qui dénotent un esprit sincère et bien intentionné. M. Wallace était un jeune avocat américain qui paraît s’être enflammé à première vue d’un ardent amour pour les chefs-d’œuvre de l’art et tout en même temps du désir d’exposer les lois de la beauté plastique. Son noviciat à peine commencé, il se lance dans des critiques et des théories du genre le plus ardu. Un peu plus d’expérience aurait sans doute modéré cet excès d’audace, car M. Wallace semble avoir possédé un certain sentiment de l’art aussi bien que de remarquables capacités intellectuelles, et on peut croire que cette assurance exagérée provenait plus encore d’une éducation première défectueuse que d’une disposition présomptueuse. Pour les natures bien douées, le temps et les voyages corrigent souvent ce qu’il y a d’erroné dans les enseignemens nationaux, qui, à tout le moins, tendent à circonscrire l’esprit plutôt qu’à l’élargir. Il n’est pas moins assez difficile de s’expliquer la publication d’une œuvre aussi incomplète. Nous ne prétendons pas deviner jusqu’à quel point elle peut être suffisante pour répondre aux goûts des compatriotes de l’écrivain et pour satisfaire aux exigences de leurs lumières actuelles en matière de beaux-arts ; mais en regard des vues et des idées esthétiques qui circulent de ce côté de l’Atlantique, on ne voit plus guère ce qui a pu mériter la publicité à des fragmens aussi crus et à un langage aussi imparfait et aussi peu soigneux. Peut-être la précipitation, qui semble être l’état normal de la vie américaine, a-t-elle poussé les éditeurs à se hâter d’imprimer ce que l’auteur lui-même, s’il eût vécu, eût gardé en portefeuille pour le revoir et le méditer. Tel qu’on nous l’a donné, le volume, quoiqu’il ne soit pas absolument sans renfermer quelques justes aperçus, ne saurait rendre qu’un faible témoignage aux talens et aux connaissances de M. Wallace, et il confirme mal ce que des plumes amies racontent de ses études et de ses capacités dans les notices louangeuses qui remplissent les trente premières pages.

Le volume s’ouvre par quatre morceaux de peu d’étendue, où sont traités les plus mystérieux problèmes de l’esthétique. Le premier développe l’idée que l’art est une émanation du sentiment religieux ; le second est consacré à démontrer que l’art est symbolique et non imitatif ; le troisième nous donne la loi du développement de l’architecture gothique ; dans le quatrième, l’auteur recherche les principes du beau dans les œuvres d’art. Si les conclusions de ces essais étaient vraiment satisfaisantes, et si M. Wallace avait été aussi profond et aussi judicieux qu’il a été concis et rapide dans ses jugemens, nous aurions ainsi, dans quatre fois vingt pages de lecture facile, la solution de ces questions intéressantes et ardues. Malheureusement les difficultés du sujet ne paraissent paus avoir épouvanté l’auteur, probablement parce qu’il ne les apercevait pas ; au lieu de l’arrêter dans ses raisonnemens, elles l’entraînent seulement à se contredire lui-même. Ainsi, au commencement de son premier essai, il écrit ces mots : « La faculté créatrice qui fait l’artiste est une faculté distincte et indépendante, originale et naturelle, un don accordé à quelques-uns et refusé aux autres, qui implique sans doute une organisation cérébrale ou au moins un développement d’espèce particulière. » Et deux pages plus loin, dans le même essai, il attribue au même instinct une tout autre origine. Nous lisons que « la faculté artistique n’est pas autre chose qu’un intense sentiment religieux qui opère imaginativement, ou une vive imagination agissant sous l’influence d’un sentiment religieux qui l’échauffé et l’élève. » Un déploiement aussi formidable d’inconséquence au début du premier et du principal morceau donne une mauvaise idée des pages qui restent à lire, et de fait elles sont remplies d’idées mal digérées et d’assertions précipitées. On y trouve pourtant, comme nous l’avons dit, des passages disséminés qui indiquent confusément quelques vagues perceptions dans le sens de l’art, et probablement une certaine fibre pour le sentir ; mais, quoique cette aptitude naturelle et toute spéciale à recevoir des impressions plastiques soit aussi indispensable à celui qui juge qu’à celui qui pratique, elle a besoin chez l’un et chez l’autre d’être complétée par une forte dose d’instruction technique. Et, à vrai dire, pour pouvoir réellement apprécier une œuvre, il faut à peu de chose près la même éducation que pour pouvoir la produire. Sans cette préparation, on peut, quand on est docte en d’autres matières, écrire des choses très sagaces au sujet d’une peinture ; néanmoins, si l’on ne donne pas dans le faux, on n’entre qu’à peine dans le vrai, ou l’on reste tout à fait à côté. M. Wallace ne diffère pas de la grande majorité des lettrés qui ont prononcé sur l’art sans en avoir fait une étude pratique. Ses remarques et ses jugemens nous semblent superficiels et nullement concluans.

À la suite de ces quatre essais viennent des observations sur les cathédrales du continent, des souvenirs d’un voyage en Suisse et en Italie, des notes sur les peintres italiens, et enfin une lettre inachevée sur la philosophie de M. Auguste Comte. Il est clair que l’esprit de M. Wallace n’avait rien d’exclusif, et nous pouvons concevoir une intelligence largement douée qui toucherait avec puissance, quoique en passant, à tous ces divers sujets, pour faire jaillir de chacun d’eux une succession d’étincelles électriques, ou pour les enchaîner tous dans une même harmonie. Il faut toutefois dans ces pages nous contenter de la bonne volonté et de la jouissance évidente avec laquelle l’auteur épanche ses sensations. Çà et là, comme l’ardeur de son enthousiasme eût pu le faire présumer, il s’est abandonné à des élans de description poétique ; mais ce sont là les parties les moins attrayantes de son livre, et l’enflure de ces passages pourrait même donner des doutes sur la vérité de son sentiment général pour l’art. En tout cas, il est loin d’être un maître dans son propre art d’écrivain, et quand il quitte le beau style pour un ton plus simple, sa prose est gauche et mal construite, malgré l’abondance aventureuse avec laquelle elle s’épanche. Néanmoins la jeunesse est si visible dans ces défauts, qu’ils appellent l’indulgence, et ce n’est que justice peut-être de supposer que la maturité, en arrivant à l’auteur, lui aurait fait produire de bien meilleurs fruits.

Les pages sur la philosophie de M. Comte ne sont que la première ébauche d’une lettre qui, à la mort de M. Wallace, a été trouvée dans ses papiers. Nous les mentionnons seulement pour en extraire un ou deux passages qui sont remarquables comme venant d’un citoyen des États-Unis. Après avoir énergiquement soutenu que la philosophie positive était applicable et devait être appliquée à l’ordre des phénomènes moraux, il s’attaque virilement aux théories sociales du jour, et donne un franc démenti aux axiomes des démocrates républicains ou socialistes et autres docteurs du corps politique. Ainsi les dogmes populaires, que « tous les hommes ont des droits égaux, » et que tout pouvoir politique ne « peut procéder légitimement que du consentement des gouvernés, » sont traités par lui de sophismes métaphysiques. Plus loin il ajoute : « Quant à ces maximes démocratiques sur les droits de l’homme, elles sont clairement fausses et pernicieuses, parce qu’elles sont de la pure métaphysique, et parce qu’elles ne s’accordent pas avec les phénomènes des sociétés tels qu’ils sont consignés dans l’histoire. Que ces notions ne représentent aucunement les lois implantées dans la nature de l’homme en tant qu’être social, cela résulte clairement du fait que jamais la société n’a obéi à de telles règles, et qu’elle n’a jamais été compatible avec elles. »

Des principes de ce genre sont faits pour frapper chez un citoyen de la république modèle. On se fût à peine attendu à les entendre sortir d’une telle bouche ; mais nous ne serons peut-être pas dans l’erreur en supposant que M. Wallace avait appris à douter des vérités républicaines en contemplant de près leurs conséquences pratiques.

w. h. darley.

V. De Mars.
  1. Geschichte der Logik im Abendlande, von Carl Prantl ; premier vol., Leipzig 1836.
  2. Philosophische Dogmatik oder Philosophie des Christenthums, von Ch. Weisse ; premier vol., Leipzig 1855. Hirzel. Paris, Glaeser, rue Jacob, 9.
  3. Deutsches Wörterbuch, von Jacob Grimm und Wilhelm Grimm. Premier vol. et neuf livraisons du deuxième vol ; Leipzig, chez Hirzel, 1854-1855.
  4. Un volume in-12, Stockholm 1835.
  5. 1 vol. in-8o, Philadelphie, Herman Horace Binney Hooker, 1855.