Chronique de la quinzaine - 14 août 1881

Chronique n° 1184
14 août 1881


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 août.


Puisqu’on l’a voulu ainsi, puisqu’on a cru prudent ou utile d’abréger autant que possible les préliminaires de la prochaine consultation publique, tout se hâte vers le scrutin d’où va sortir une nouvelle chambre des députés. Il n’y a que quelques jours que les élections ont été décidées, que la date du moins en a été fixée : avant que le mois soit fini, tout aura été expédié, le suffrage universel aura une fois de plus dit ses volontés par le choix de ses mandataires. Le 21 août, l’imbroglio électoral aura son dénoûment dans toutes les communes de France. Jusque-là, les heures rapides laissées aux délibérations populaires et déjà presque passées, sont tout entières aux compétitions, aux brigues, aux manifestes, aux discours, aux programmes de tout genre.

Le moment est aux candidats qui bataillent, aux chefs de partis qui donnent leurs mots d’ordre, aux orateurs en voyage de propagande. Qu’en sera-t-il au bout du compte de tout ce bruit, de ce mouvement qui a été précipité avec intention et qui reste jusqu’ici assez confus ? Dans quelle mesure la chambre qui va être élue différera-t-elle, par la composition, par l’esprit, de la chambre qui va disparaître après quatre années d’existence ? quelles seront les conséquences de cette manifestation nouvelle du suffrage universel pour la direction générale de la politique française, pour la situation parlementaire, pour les partis qui sont en présence ? Assurément, c’est un premier fait sensible : les élections du 21 août n’ont rien de ces grands mouvemens qui passionnent quelquefois l’opinion, qui partagent violemment une nation. Elles ne ressemblent pas à ces élections du 14 octobre 1877, qui étaient une vraie, une longue et émouvante bataille de trois mois, qui pouvaient conduire aux plus redoutables conflits et engager l’avenir de la France. Les élections d’aujourd’hui sont à peine une lutte, une campagne de quelques jours, et si elles suscitent une certaine agitation partielle et factice dans quelques villes, dans des centres populeux, dans des réunions plus tapageuses que sérieuses, elles laissent visiblement la masse nationale assez calme, presque indifférente. Elles s’engagent de façon à ne pas laisser présager de grands changemens. Elles ont cependant leur importance, ces élections prochaines, et par les circonstances dans lesquelles elles s’accomplissent et par les questions de toute sorte, extérieures ou intérieures, qu’elle trouvent en suspens, et par les infatuations ou les illusions qu’elles peuvent faire naître chez les républicains à peu près assurés de la victoire du scrutin ; elles pourraient surtout avoir de périlleuses conséquences si on se méprenait sur l’état réel de l’opinion française, si dans ce calme, dans cet apparent désintéressement du pays, ceux qui gouvernent ou qui aspirent à gouverner ne voyaient qu’une sanction de toute leur politique.

Le seul fait vrai, le secret de cette sorte de tempérance publique à la veille d’un vote qui a pourtant sa gravité, c’est que le pays, croyant avoir trouvé le repos sous le régime qui lui a été donné, ne veut pour le moment ni agitations ni révolutions nouvelles ; il s’en tient à ce qui est, il vote pour ce qui existe, et, à y regarder de près, c’est là justement ce qui fait le désavantage des partis conservateurs d’aujourd’hui dans les luttes où ils sont engagés, dans ces élections qui se préparent. Cela s’explique. Les conservateurs expient une erreur de conduite qui date de quelques années déjà, qui leur a créé des difficultés croissantes. Ils n’ont pas su se décider à propos, mettre en réserve leurs espérances et entrer simplement, franchement, sans arrière-pensée, dans un ordre d’institutions qui pouvait ne pas répondre à leurs vœux, qui était néanmoins le seul possible. Ils n’ont pas vu que, faute de se rendre assez tôt à la nécessité des choses, ils s’exposaient à user ce qu’ils avaient d’autorité et de talent dans une entreprise sans issue, à justifier jusqu’à un certain point cette accusation banale qui ne leur a pas été épargnée de vouloir se servir de la constitution contre la constitution elle-même. Coalisés plus ou moins contre la république sans pouvoir la remplacer, ils frappaient d’avance de stérilité une opposition devenue forcément suspecte dans ses revendications conservatrices. Il en est résulté pour eux une situation mal définie qui, dans un moment d’élection, laisse éclater les incohérences, qui ressemble un peu aujourd’hui à du désarroi. Ce ne sont pas évidemment les comités royalistes qui peuvent se promettre de rétablir les affaires de la monarchie avec leurs mots d’ordre, leurs appels revêtus du sceau royal, et leurs arrêts d’exclusion fulminés contre tous ceux qui ne s’inclinent pas devant l’orthodoxie traditionnelle. Ce n’est pas non plus sans doute le prince Napoléon qui relèvera la cause impériale par ses interventions de prétendant, par les manifestes où il fait retentir ce grand mot : « Autorité, démocratie, suffrage universel ! » Vainement le prince Napoléon se remet en scène, évoque tous les souvenirs, et inscrit dans son programme la révision constitutionnelle « pour obtenir que la voix du peuple se fasse enfin entendre et désigné directement son chef responsable… » Vainement il s’efforce de rallier des partisans : l’armée napoléonienne est plus qu’à demi dispersée ! La crise de décomposition a commencé pour le parti le jour où le prince impérial a disparu, elle continue. Le dernier manifeste napoléonien déguise à peine les progrès de ce désarroi. La vérité est que les bonapartistes comme les royalistes semblent aller aux élections avec des chances singulièrement diminuées, et que, s’ils sont exposés à des défaites, à des désaveux de scrutin, c’est parce que le pays voit en eux, non plus des conservateurs défendant Ses intérêts ou ses traditions, mais des partis représentant des révolutions nouvelles accompagnées de violens conflits dynastiques.

Proposer à des masses électorales, contre un ordre de choses constitué, c’est-à-dire pour une révolution, de se jeter dans l’aventure par un coup de scrutin, sur la foi de coalitions de circonstance, sans savoir ce qui arrivera le lendemain, ce n’est pas une politique ; ce n’est que la continuation d’une vieille tactique, un moyen d’ajouter un chapitre de plus à l’histoire de cette impossibilité de toutes les restaurations qui a refait sans cesse jusqu’ici les affaires de la république. À ce jeu stérile on use des forces qui pourraient être mieux employées, on finit par se débattre dans les contradictions, dans le vide, sans arriver à rien, et c’est ce qui explique comment des partis qui ont pour eux les lumières, l’intelligence, la considération, en viennent à se trouver dans des conditions si inégales vis-à-vis d’adversaires qui n’ont d’autre avantage que de s’appuyer sur une situation légale. Oui, sans doute, les conservateurs ne sont pas pour le moment dans une phase des plus favorables. Les uns se découragent et renoncent à tenter de nouveau le combat électoral ; les autres auront visiblement fort à faire pour enlever quelques succès partiels et limités. Ils retrouveront la fortune un jour ou l’autre dans de nouvelles luttes, ils ne semblent pas l’avoir pour le moment, cela est certain. Le vent n’est pas pour eux, on peut l’admettre ; mais ce serait aussi de la part des républicains une étrange illusion de trop triompher des faiblesses ou des embarras des conservateurs, de se figurer qu’ils ont le champ libre pour toutes leurs fantaisies de domination) que le pays, en votant pour eux, est toujours avec eux. M. Gambetta, qui parle pour les républicains, qui est visiblement le meneur de la campagne électorale, M. Gambetta commettrait lui-même une singulière méprise s’il croyait qu’il n’a qu’à paraître, à tracer des programmes en voyage pour tout simplifier à son commandement, pour disposer de la politique de la France, de la direction et de l’avenir des institutions nouvelles. Les destinées d’un régime à peine établi sont un peu plus difficiles à assurer et à conduire que M. le président de la chambre des députés ne semble le penser, et il est peut-être lui-même une des difficultés d’une situation où les républicains ont plus à craindre de leurs propres fautes et de leur insuffisance que de leurs adversaires.

Assurément M. Gambetta est un personnage d’importance dans la république. Les courtisans et les flatteurs ne lui manquent pas, les historiographes étrangers s’empressent de recueillir ses conversations. On tient à savoir ce qu’il pense de la politique extérieure aussi bien que de la politique intérieure de la France, de l’état de l’Europe comme des affaires de Tunis et d’Alger. Ses amis lui ménagent les occasions de s’expliquer sur toute chose. Hier, il était à Belleville, sur les hauteurs de la cité parisienne où est née sa fortune politique ; l’autre jour, il était à Tours, là où il a été le ministre omnipotent de la défense nationale, et partout, et pour tous ses auditeurs, il a un programme plus ample, plus retentissant que varié. S’il avait eu le scrutin de liste pour lequel il a plaidé, il aurait eu certainement un rôle prépondérant dans les élections, il aurait été une façon de grand électeur ; même avec le scrutin sectionné, il a sans nul doute une influence plus ou moins sensible sur le mouvement électoral qui se déroule aujourd’hui, et il est vraisemblablement appelé à garder dans la chambre nouvelle l’ascendant qu’il a eu dans l’ancienne chambre. En un mot, M. Gambetta reste l’homme du moment, la plus brillante personnalité de cette phase de la république où nous sommes. La question est de savoir si, par ses qualités d’homme public, d’orateur, de politique, il est à la hauteur de la position qu’il a conquise, où les circonstances Pont aidé à s’établir. M. Gambetta, il faut l’avouer, est jusqu’ici une énigme pour tous ceux qui le suivent avec attention. Depuis qu’il est entré pour ainsi dire avec effraction dans la vie publique par son plaidoyer enflammé sur Baudin, il y a quelque douze ans de cela, il a eu certes une carrière heureuse, — une carrière dont on peut suivre les étapes dans le recueil de Discours qu’un jeune écrivain publie avec un zèle qu’on n’applique guère qu’à un personnage de l’histoire. Rien ne lui a manqué. Il a eu dés son début, au déclin de l’empire, d’éclatans succès de parole. Il a été un moment, au milieu de la plus effroyable crise nationale, un dictateur improvisé de la France. Il a été depuis, dans les assemblées qui se sont succédé, un tacticien habile et un stratégiste plein de ressources, sachant tour à tour tenir tête à des hostilités peu déguisées ou discipliner l’action du parti républicain. Dans tous ces rôles, qui ont été parfois assez difficiles, M. Gambetta a incontestablement déployé des facultés de diverse nature qui ont fait par degrés de lui un chef parlementaire autorisé, un président de la chambre, et plus qu’un président de la chambre, une sorte d’arbitre prépotent et irresponsable des affaires de la république. Tout cela est vrai, personne ne dispute à ce brillant athlète la supériorité du talent sur tout ce qui l’entoure. Malheureusement l’énigme ne reste pas moins entière, car si M. Gambetta a réussi à devenir un des premiers personnages publics, s’il est loin d’être un homme ordinaire, il manque visiblement de ce qui fait la vraie puissance. Malgré d’assez sensibles progrès depuis quelques années, il n’est pas arrivé à mûrir complètement, et cette fortune, à vrai dire, ne s’explique ni par ce qu’on a appelé jusqu’ici la véritable éloquence ni par les qualités d’un véritable homme d’état.

Eh ! non, quoi qu’on en dise, en dépit des enthousiasmes faciles, M. Gambetta n’est point un orateur de la vraie race, ou du moins il n’a que certains dons de l’orateur : nous n’en voulons pour preuve que cette série de discours, cette carrière publique de douze années qui va du premier plaidoyer du palais de justice à la dernière harangue de Tours. M. Gambetta a sans doute de la force, une certaine chaleur de tempérament, de l’animation ; il est fait pour parler dans les grandes réunions, surtout dans les réunions peu choisies, et il a parfois l’art de trouver des mots frappans qui font illusion, qui semblent résumer une situation. En réalité, il n’a ni mesure ni précision, et cette éloquence aux allures impétueuses est presque toujours de la déclamation. Avec un esprit pénétrant et vif, l’orateur républicain manque évidemment de connaissances générales, de ces lumières supérieures qu’un politique sait trouver dans l’étude de l’histoire. Il parle en homme d’action, pour la circonstance, dans un intérêt de parti ; il reste un improvisateur retentissant et superficiel, même quand il s’est préparé pour quelque grande exhibition oratoire, et parmi tous les discours qu’il a semés sur son passage dans les assemblées ou dans les réunions, il n’en est vraiment pas un seul traitant sérieusement une question sérieuse de politique, de diplomatie ou d’économie publique. La flatterie se permet tout. Que n’a-t-on pas dit ? On a presque fait de M. Gambetta un Mirabeau, et pour un certain nombre de ses amis, qui ne brillent pas par le sens critique, il est pour le moins de cette famille des grands orateurs du siècle, des Berryer et des Thiers, des Guizot et des Lamartine. C’est une exagération assez étrange. M. Gambetta, à part toute opinion, est encore loin pour l’éloquence de ces puissans héros de la parole qui l’ont précédé dans la carrière, des agitations publiques. C’est, dira-t-on, l’orateur des temps nouveaux, de la démocratie ; soit ! ce qui est certain, c’est que cet orateur de la démocratie et des temps nouveaux commence par prendre de singulières libertés avec la langue française, qu’il traite assez démocratiquement. Il a chemin faisant toute sorte d’incorrections bizarres et de locutions équivoques qui ne peuvent pas passer absolument pour des fleurs de l’éloquence nouvelle. Chose curieuse cet orateur, qui a certainement son originalité et sa puissance, qui sait capter ou dominer un auditoire, est, par le fait, laborieux, obscur et confus, si bien qu’on finit quelquefois par se demander ce qu’il a voulu dire. Et qu’on ne s’y trompe pas, cette obscurité même a peut-être sa signification. Si le langage est confus, c’est que la pensée est loin d’être nette et précise. Si M. Gambetta, comme orateur, manque de simplicité et de clarté ; s’il se sauve par la déclamation, c’est que la politique, chez lui, a de la peine à se dégager avec des idées arrêtées et coordonnées.

C’est là le secret. La parole déguise à peine le vide, l’incohérence où les contradictions de la pensée. M. Gambetta n’est jusqu’ici à tout prendre qu’un à-peu-près de politique comme il est un à-peu-près d’orateur. Oh ! assurément il a des velléités, des instincts, des ambitions ; il a le goût des affaires, la promptitude de la conception, une singulière facilité d’assimilation ; il a surtout la bonne volonté de se façonner aux grands rôles qui le tentent, pour lesquels il se croit fait. Malheureusement dans cette riche organisation il y a, en quelque sorte, des élémens qui ne se lient pas, d’étranges dissonances, des défauts d’éducation qui résistent à tout, que l’expérience de la vie n’a pas corriges. On sent à tout instant dans cette nature des ardeurs qui n’ont pas mûri, des qualités que la réflexion et le travail n’ont pas fécondées. La faiblesse de M. Gambetta est de n’avoir pu encore dépouiller le vieil homme, de rester un homme de parti, même un homme de secte avec plus de passions que d’idées, et plus de roueries que de vues sérieusement politiques. Chez lui tout se mêle, tout se contredit d’un jour à l’autre. Les mouvemens heureux qu’il peut avoir sont assez fréquemment suivis d’excentricités qui détruisent aussitôt la confiance prête à naître, qui font qu’avec lui on n’est jamais sûr de rien. Que se propose-t-il réellement ? Quelle est la substance de ses programmes ? En quoi se résume la politique qu’il prétend suivre, qu’il cherche encore aujourd’hui à faire prévaloir dans les élections ? Ce n’est vraiment pas toujours facile à saisir, c’est là qu’est l’énigme. M. Gambetta a certes un vif et patriotique sentiment de la puissance du pays ; il suit avec attention les progrès de la reconstitution de nos forces. Il s’occupe des affaires militaires, et au besoin il réunit les généraux, il entretient avec eux des rapports familiers. C’est d’ailleurs chez lui un goût de vieille date. Fort bien ! on n’est un homme d’état que si on a toujours l’œil sur l’état militaire du pays ; mais en même temps, par son influence, M. le président de la dernière chambre des députés favorise tout ce qui peut altérer l’esprit de l’armée, tout ce qui peut dénaturer et affaiblir cette grande institution militaire. M. Gambetta se dit libéra, il réclame des réformes libérales ; mais d’un autre côté le voilà plaidant d’une manière un peu imprévue pour la reconstitution de l’autorité et des forces de l’administration, sans s’apercevoir que, si l’administration est aujourd’hui en décadence, c’est par suite des exclusions, des épurations, des prétendues réformes accomplies par ses amis. M. Gambetta demande à tout prix aux élections une majorité ; il pensait l’obtenir plus sûrement selon ses vœux avec le scrutin de liste, il compte encore l’obtenir avec le scrutin d’arrondissement, et cette majorité, il la demande comme un grand instrument, de gouvernement dans la république. M. Gambetta parle en homme de gouvernement ; tout le monde appelle de ses vœux un gouvernement fort, et il est sûr que la république gagnerait d’être conduite par des mains fermes et habiles. Il faudrait seulement s’entendre et ne pas se faire cette illusion qu’on créera ce gouvernement dont on sent la nécessité avec les idées et les passions destructives de tout régime régulier.

Au fond, c’est bien clair, M. Gambetta est homme de gouvernement un homme d’opposition selon les circonstances, selon l’humeur ou l’intérêt du moment. Il ne veut pas toujours le lendemain ce qu’il a voulu la veille, et le mal, la perpétuelle faiblesse de ce qu’on appelle sa politique, c’est une certaine inconsistance qui ne s’est jamais mieux montrée que ces jours derniers, dans le récent programme de Tours, au sujet de la révision constitutionnelle et du sénat. Voilà qui est curieux ! Il y a moins de deux mois, au milieu des médiocres ovations du voyage de Cahors, M. Gambetta s’élevait énergiquement contre tous les projets de réforme constitutionnelle ; il défendait particulièrement le sénat dans son existence, dans ses droits, dans son intégrité. Il rudoyait les imprudens qui mettaient en doute la stabilité des institutions par des propositions inutiles ou prématurées. Fort bien ! Six semaines s’écoulent, le langage est tout différent à Tours. Supprimer le sénat, M. Gambetta n’en est point encore là sans doute, du moins il s’en défend ; mais une révision « partielle » de la constitution ne serait plus aussi dangereuse. La « stabilité » ne serait plus compromise si on songeait à réformer un peu le sénat, si on réduisait ses attributions, si on lui enlevait définitivement par exemple tout « contrôle financier, » pour laisser à l’autre chambre « l’autorité exclusive en matière d’impôts. » On pourrait aussi, par la même occasion, « introduire quelques modifications dans le régime électoral du sénat, » — et comme M. Gambetta n’est pas toujours le plus clair des réformateurs, il a de singulières définitions qui auraient besoin d’être elles-mêmes définies ; il parle de « changer le mode de recrutement du sénat par l’égalité proportionnelle des communes. » Bref, la question est posée ou, comme dit l’orateur de Tours, « l’opinion est saisie. » Que s’est-il donc passé entre la fin de juin et les premiers jours d’août qui ait pu « saisir l’opinion, » qui explique ce changement de langage, cette évolution de M. Gambetta ? Ce n’est point manifestement pour avoir voté contre l’article 7, pour avoir traité parfois avec quelque sévérité la politique des décrets que le sénat est menacé : tout cela était passé depuis longtemps avant le voyage de Cahors. Il ne reste donc pour tout grief, ou pour grief principal, que le vote contre le scrutin de liste, — le vote que M. Gambetta met au rang des « tentatives plus ou moins coupables, » des « résistances plus ou moins aveugles d’une majorité de hasard. » — Le sénat a cédé a « un vent de vertige, » et, comme « tout se paie en politique, » il faut que le sénat paie son vote. Voilà qui est clair ! M. Gambetta fait de la politique avec ses ressentimens ; peut-être aussi, à la veille des élections, a-t-il cru habile de désarmer les radicaux plus avancés que lui en leur livrant la constitution et le sénat. C’est là ce qu’il appelle travailler à fortifier le gouvernement dans la république ! Le fait est que M. Gambetta est aujourd’hui ce qu’il a toujours été depuis qu’il est un personnage public ; que, chef de parti, président de la chambre ou prétendant au pouvoir, il n’a pas cessé un instant d’être un politique promettant au pays plus d’agitations que de réformes sérieuses et peut-être plus d’aventures que de garanties libérales.

Il s’agit de savoir ce que le pays répondra par son vote du 21 sur cette question et sur bien d’autres. M. Gambetta met la révision dans son programme ; M. le président du conseil, qui, à son tour, vient de prononcer un nouveau discours à Nancy, qui, lui aussi, a l’ambition d’être un homme de gouvernement, un chef du parti républicain, M. le président du conseil est évidemment d’une opinion différente puisqu’il a résumé d’avance son programme dans ces mots : « Ni révision ni division ! » Qu’en sera-t-il ? à qui le suffrage universel donnera-t-il raison ? Cette majorité parlementaire qu’on lui demande de tous côtés sans lui dire ce qu’on en veut faire, la donnera-t-il à M. Gambetta ou à M. le président du conseil ? Ce qu’il y a de plus clair, de plus sensible, c’est que le pays est peu, disposé à se passionner pour des programmes plus ou moins décevans, pour des questions auxquelles il n’attache pas d’importance. Non, en vérité, il ne s’intéresse pas démesurément à la révision « partielle » ou totale de la constitution ; il ne réclame ni la mort ni même la réforme du sénat. Il n’a pas non plus un enthousiasme bien prononcé pour les apothéoses que M. le président du conseil se décerne à lui-même, pour les apologies que le chef du cabinet croit de voir faire de sa politique, de cette « politique modérée » qui se permet tout. Ce que le pays demanderait sûrement, s’il pouvait parler dans sa sincérité, avec toute la force de ses instincts et de ses intérêts, ce serait qu’on cessât de l’agiter par des luttes stériles, qu’on s’occupât de ses affaires, qu’on donnât à une nation sensée et laborieuse une politique de raison, de modération réelle et de prévoyance, un gouvernement sérieux. La France, il est vrai, est censée avoir tout cela, et bien plus encore, avec la « république victorieuse, » avec la « république triomphante : » on le lui dit assez dans les harangues officielles ou quasi officielles. On lui répète assez que « ses ruines sont réparées, » que « ses finances sont refaites, » que « sa grandeur militaire est restaurée ; » on lui parle assez de ce « prodigieux essor de vitalité qui lui a rendu la sympathie et l’admiration du monde ! » La France, au fond, la France qui travaille, qui ne va pas dans les réunions et dans les banquets, sait bien qu’en penser ; à travers toutes les exagérations, elle voit des questions qui la préoccupent, les affaires africaines qui se prolongent, qui nécessitent sans cesse de nouveaux efforts, et si elle se sent toujours vivace, elle ne se laisse pas abuser par de vaines ostentations de langage. Ce qu’elle a surtout le droit d’attendre au moment où on lui demande son vote, c’est qu’on lui parle avec plus de sérieux, qu’on ne se méprenne pas sur ses sentimens, qu’on n’engage pas sa fortune diplomatique, militaire et financière dans des aventures qu’elle verrait avec inquiétude, parce que, si on sait comment elles commencent, on ne sait pas comment elles finissent.

Au milieu de ce bruit des élections, des manifestes et des programmes, il y a eu cependant un jour pour une fête de l’esprit à l’Institut, puis un jour encore pour cette autre fête de la jeunesse intelligente, qui se renouvelle tous les ans à la Sorbonne. Ces réunions aimables, souvent brillantes, ont toujours leur attrait ; elles avaient cette fois comme un intérêt nouveau par le contraste des plaisirs délicats de l’intelligence ou de la bonne grâce de la jeunesse heureuse avec les turbulences électorales. A l’Académie française, c’était la séance annuelle consacrée à la distribution de toute sorte de prix, prix littéraires, prix de morale et de vertu. Le secrétaire perpétuel, M. Camille Doucet, a mis une fois de plus tout son zèle à parler des prix littéraires, des livres couronnés, à expliquer et à justifier les choix de l’Académie. M. Ernest Renan s’est trouvé pour cette année chargé du rapport sur les prix de vertu. Il a eu à raconter tous les actes de dévoûment obscur, d’héroïsme inconnu dont le mérite est d’avoir été accomplis en toute simplicité par de braves gens qui ignoraient assurément l’existence de l’Académie, qui ne savaient pas qu’il y eût pour leur vertu des récompenses instituées autrefois par un honnête philanthrope. Œuvre toujours délicate, un peu ingrate et difficile à rajeunir, que M. Renan a conduite jusqu’au bout avec autant de finesse que d’émotion généreuse, avec ce tact supérieur qui sait tout relever. A la Sorbonne, c’est le chef de l’Université qui a naturellement présidé la distribution des prix aux élèves des lycées. M. le ministre de l’instruction publique a l’avantage d’être complètement satisfait de lui-même, d’être toujours prêt à recommencer son apologie, tantôt devant les électeurs, tantôt devant les élèves des collèges. Il réforme tout, les programmes scolaires, les méthodes, l’enseignement classique. Il a inauguré un peu triomphalement, l’autre jour, ce qu’il appelle une « conception moderne, démocratique, » l’enseignement spécial secondaire, et il a assisté à l’oraison funèbre du traditionnel discours latin. Soit, il faut tout changer, tout renouveler ! Il y a seulement une réflexion dont on ne peut se défendre. Ces vieilles méthodes qu’on proclama aujourd’hui surannées ont produit des successions de fortes et brillantes générations. Il s’agit, avant de triompher, de savoir ce que produiront les méthodes nouvelles, si elles seront le progrès, comme on le dit, ou si elles ne sont pas le commencement de la décadence des grandes cultures de l’esprit.

La France a ses élections et ses fêtes académiques ou universitaires d’un jour. L’Angleterre a ses affaires lointaines de l’Afghanistan et du pays des Boers, qu’elle réussit à dénouer avantageusement ; elle a ses affaires intérieures, l’éternel bill agraire d’Irlande, que la chambre des lords discute après la chambre des communes, qui n’est sans doute pas près de le voter définitivement. L’Angleterre a aussi ses diversions imprévues, elle vient d’assister ces jours derniers, avant que le parlement se sépare, à des scènes singulières, presque dramatiques, qui se sont passées au seuil de Westminster, qui se rattachent à l’admission d’un membre des communes, qui réveillent les plus délicates questions de légalité et de foi religieuse. Sous la forme d’un simple incident parlementaire, c’est le problème de la liberté de conscience qui s’agite, c’est le conflit flagrant des plus vieilles traditions anglaises et de l’esprit nouveau. Il s’agit de ce député libre-penseur ou athée, M. Bradlaugh, qui a été élu, il y a quelque temps, à Northampton et qui s’est mis en lutte contre le parlement. Le jour où il s’est présenté pour la première fois à Westminster, il a refusé de prêter le serment légal, sous prétexte que ce serment contenait des formules religieuses contraires à ses convictions, et il a été exclu. Il s’est même produit un incident bizarre qui ne s’explique que par la législation et les mœurs britanniques. Le député de Northampton ayant continué à siéger par tolérance ou par subterfuge a été l’objet d’une poursuite intentée par un simple citoyen anglais devant les tribunaux, et il a été bel et bien condamné pour usurpation de droits, pour avoir voté sans titre légal. Il a été réduit à donner sa démission et à se faire réélire. Lors qu’après une seconde élection, pour en finir, M. Bradlaugh a consenti à prêter le serment exigé, la chambre des communes, se souvenant de son premier refus, n’a plus voulu l’admettre ; elle a maintenu l’exclusion, et c’est là que la question s’est aggravée. M. Bradlaugh a entrepris de forcer rentra du parlement le speaker a employé les sergens d’armes pour faire exécuter les ordres de la chambre. Il y a eu de violentes collisions, des scènes de pugilat. Quand M, Bradlaugh est sorti presque défaillant de Westminster ; il a été accueilli avec enthousiasme par la masse populaire, qui a pris parti pour lui.

Voilà un singulier conflit ! Comment se terminera-t-il ? Il se dénouera sans doute par l’action de l’opinion, avec le temps, comme se dénouent tous les conflits de ce genre dans un pays où ce n’est qu’après bien des années que les juifs, les quakers ont fini par entrer au parlement. Qu’on ne se hâte pas, comme on le fait quelquefois, de prendre en pitié les inconséquence et les lenteurs du libéralisme anglais. C’est ainsi que l’Angleterre est arrivée par degrés à conquérir toutes les libertés, et que, plus heureuse que bien d’autres peuples, elle a su les garder.

Ce qui n’est pas l’œuvre du temps et de la sagesse des peuples est souvent sans durée, et l’Espagne en a plus d’une fois fait l’expérience depuis un demi-siècle. Arrivera-t-elle à se fixer dans l’ordre constitutionnel et modéré qu’elle a retrouvé avec une royauté rajeunie ? C’est une tentative nouvelle qu’elle poursuit. Elle est en ce moment même, comme la France, dans une phase d’élections qui se dénouera des deux côtés, des Pyrénées le même jour, le 21. À vrai dire, le ministère qui est à la tête des affaires depuis cet hiver et dont le premier acte a été de se passer du parlement, le ministère de M. Sagasta, aurait pu moins tarder à faire élire une chambre nouvelle ; il aurait évité ainsi de se trouver dans une sorte d’illégalité on d’irrégularité, faute d’un budget voté avant la fin de l’année financière qui a expiré le mois dernier. Il a voulu sans doute prendre son temps pour mieux préparer ces élections qui vont s’accomplir aujourd’hui, qui, sans être violentes, ne laissent pas d’être animées. À l’heure qu’il est, la lutte est engagée de toutes parts au-delà des Pyrénées. Les libéraux conservateurs qui marchent sous la direction de l’ancien président du conseil, M. Canovas del Castillo, M. Castelar et ses amis les radicaux révolutionnaires qui ont pour chef M. Ruiz Zorilla, M. Martos et ses amis, tous ces partis sont en mouvement. Seuls les fédéralistes ou communalistes, qui ont mis il y a quelques années l’Espagne dans une si belle situation, se sont décidés à s’abstenir. Quant au ministère, il pratique ouvertement comme tous ses prédécesseurs la candidature officielle ; il se sert de tous les moyens administratifs contre ses adversaires, surtout contre les amis de M. Canovas del Castillo, qui sont en effet les plus redoutables pour lui. Quelle sera l’issue de cette lutte électorale ? Le ministère, selon l’usage invariable, aura sans doute sa majorité ; — et il n’en sera peut-être pas plus fort, même devant le parlement qu’il aura fait. Ce serait pour le moment la seule préoccupation au-delà des Pyrénées s’il ne s’était élevé tout récemment une question qui a ému jusqu’à un certain point l’opinion, qui a été surtout exploitée par les partis ? C’est cette question des Espagnols qui ont souffert dans les derniers troubles de la province d’Oran. Entré le ministère de Madrid et le gouvernement français, il y a eu un échange de dépêches ou une controversé diplomatique au sujet d’une indemnité que l’Espagne réclame pour ses nationaux. Des dédommagemens peuvent être dus, et la France n’en est pas à les marchander ; mais, comme d’un autre côté nombre de Français ont souffert cruellement, eux aussi, soit à Cuba, soit dans les provinces basques au temps de la guerre carliste, c’est un compte à régler. Dans tous les cas, entre la France et l’Espagne, une question de cette nature ne peut susciter des difficultés sérieuses. Les deux gouvernemens sans nul doute sont d’avance disposés à la résoudre dans un sentiment commun d’équité aussi bien que dans l’intérêt des bons rapports de deux nations amies.

ch. de mazade.




LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE.




La liquidation de juillet à la Bourse de Paris a été facile. C’est la première fois, depuis bien des mois, qu’il s’est produit une détente quelque peu sérieuse dans le prix du loyer de l’argent. Les caisses et sociétés diverses qui se sont constituées dans ces derniers temps sans autre objet social que de faire des reports pour compte de tiers ont annoncé à leurs déposans qu’elles avaient trouvé emploi de leurs fonds à des taux variant de 7 1/2 à 6 pour 100. En réalité, on a pu se faire reporter le jour de la liquidation des valeurs à des conditions plus modérées que ne l’indiqueraient ces taux, et l’abaissement du prix de l’argent a été sensible surtout pour les acheteurs de grands titres, comme le Crédit Foncier, le Suez (actions et parts) et les chemins français. Le lendemain et le surlendemain de la liquidation, on offrait des capitaux à 4 pour 100. Faut-il voir dans l’abondance et le bon marché des capitaux en juillet l’indice d’une modification durable dans la situation générale monétaire, ou bien le fait est-il accidentel ? On ne saurait se prononcer à cet égard. Il ne semble pas toutefois que l’on puisse espérer à bref délai une nouvelle période d’argent à bas prix.

Il est très vrai que, pendant tout le mois de juillet, les capitaux ont été extrêmement faciles en Angleterre, et que la place de Paris en a profité pour alléger sa dernière liquidation. Mais depuis le commencement d’août, des incidens se sont produits à Londres qui ont provoqué un resserrement sensible, incidens. prévus d’ailleurs, et se rattachant directement à la grande opération d’emprunt réalisée le mois dernier par le gouvernement italien.

Les contractons anglais de l’emprunt avaient à effectuer leurs premiers versemens en or au ministre des finances d’Italie. On sait qu’ils se sont engagés à fournir 400 millions d’or, dont 200 environ ayant le 1er janvier 1882. On évalue à 65 millions de francs environ les quantités en monnaie de ce métal enlevées déjà à diverses reprises à Londres. Le marché monétaire a été affecté par ces retraits considérables, et dans une mesure d’autant plus forte qu’il y avait lieu de redouter en même temps une reprise immédiate du drainage de l’or pour, les États-Unis. L’encaisse de la Banque d’Angleterre a donc subi de fortes saignées, et les directeurs de cet établissement auraient certainement élevé le taux de l’escompte officiel jeudi dernier, 11 août, s’il n’avait été annoncé que les demandes d’or pour l’Italie allaient être provisoirement suspendues.

A un autre point de vue, peut-on penser que la facilité de la dernière liquidation tienne à un allégement sérieux de la place ? L’hypothèse ne paraît pas admissible. On a sans doute procédé à des réalisations pendant le mois de juillet et depuis le commencement d’août. Mais ces ventes ont porté sur des chiffres insignifians relativement à la masse énorme des engagemens. Quelques positions individuelles ont pu être réduites ou liquidées plus ou moins volontairement ; il n’en est pas résulté une diminution sensible du poids que porte la spéculation. Ce qui est possible et même probable, c’est que, grâce au travail de tassement auquel on s’est livré depuis deux ou trois mois, la charge de la spéculation est maintenant mieux répartie et partant plus aisée à soutenir.

Le 5 pour 100 a été, depuis le commencement du mois, l’objet de ventes continues ; aussi a-t-il fléchi de 118.50 à 117.87, et ce n’est que dans les derniers jours que, sous l’influence des bonnes dispositions générales, la spéculation a pu le ramener à 118.12. Cette défaveur du 5 pour 100 est plus apparente que réelle. On a cherché à l’expliquer par la continuation d’opérations d’arbitrage, déjà entamées il y a quelques mois, et visant la probabilité de la conversion à bref délai. La vraie raison de la baisse est ailleurs. Un grand nombre de soi-disant maisons de banque s’étaient constituées pour spéculer à terme sur le 5 pour 100 et promettaient à leur clientèle d’énormes bénéfices à provenir de cette unique combinaison. L’élévation du prix des reports a coupé en herbe cette riche moisson de l’avenir et forcé la plupart desdites maisons à liquider précipitamment. De là les ventes si remarquées pendant la quinzaine et dont la, contre-partie a été trouvée partiellement sur le marché du comptant ; les petits capitaux conservant leur préférence en faveur du 5 pour 100. Le 3 pour 100 ancien et les deux amortissables, après de faibles oscillations, ont fini par monter de quelques centimes.

La hausse de l’action de la Banque de France ne s’arrête pas. Avant peu ce titre aura atteint 6,000 francs. Les acheteurs comptent, avec raison, pensons-nous, sur un dividende de 250 francs pour 1881.

La plupart des grands établissemens de crédit ont vu leurs titres progresser depuis le 1er août. Des achats intelligens ont ramené l’action de la Banque de Paris aux environs de 1,300 francs. Cette valeur n’avait aucune raison de rester en retard. Le Crédit Lyonnais a été porté à 930, sans cause connue. On a fait monter un peu le Crédit mobilier à l’occasion de ses créations nouvelles en Roumanie, et la Société générale parce qu’on espère qu’elle réussira un jour ou l’autre à se dégager des affaires péruviennes, où tant de millions ont été engloutis. Ni la Banque d’escompte, ni la Banque hypothécaire n’ont fait parler d’elles cette quinzaine. Il n’en est pas de même de l’Union générale et des valeurs qui gravitent autour d’elle. L’Union a progressé de 100 francs et a largement dépassé ce cours de 1,500 francs que les plus optimistes osaient à peine annoncer.

La spéculation revient aux actions des grandes compagnies françaises de chemins de fer, et la cote enregistre de nouveau les plus hauts cours, 1,800 sur le Lyon, 2,000 sur le Nord ; ces prix seront bientôt dépassés, tandis que le Midi atteindra 1,300 et l’Orléans 1,400. On n’a pas oublié les magnifiques résultats qu’avait donnés l’exploitation en 1880 et dans quelle proportion les recettes s’étaient accrues. On pouvait supposer que 1881 verrait se produire un certain ralentissement du trafic ; il n’en a rien été, et le premier semestre de 1881 a non-seulement maintenu intégralement, mais dépassé les résultats du premier semestre de 1880. Même fait à constater sur le Suez avec cette différence que la progression des recettes est plus rapide encore et que l’on peut évaluer d’après les données acquises au 1er août que le dividende de l’action pour 1881 s’élèvera à 55 ou 60 francs. Les chemins étrangers n’ont pas été moins favorisés cette quinzaine que les chemins français ; les Lombards ont dépassé 300 francs, et les chemins autrichiens approchent de 800 francs.

Un grand mouvement de spéculation est lancé sur les valeurs turques. On achète à Londres et à Paris. On s’attend à une vive poussée de la Banque ottomane, à l’occasion de l’arrivée de MM. Bourse et Valfrey à Constantinople vers le 23 courant.


Le directeur-gérant : C. BULOZ.