Chronique de la quinzaine - 14 août 1836

Chronique no 104
14 août 1836


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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14 août 1836.


La grande affaire de cette quinzaine est le mouvement révolutionnaire qui a commencé en Espagne par la ville de Malaga, où le commandant militaire, San-Just, et le gouverneur civil, M. le comte de Donadio, ont été massacrés dans la soirée du 25 juillet aux cris de vive la constitution de 1812. Ce mouvement s’est étendu avec beaucoup de rapidité dans toute l’Andalousie, dans l’Estramadure et jusqu’à Madrid, et partout il présente le même caractère, sauf les massacres qui n’ont déshonoré que Malaga. Mais ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que la constitution de 1812 a été proclamée le 2 août à Sarragosse, avant que la révolte de Malaga y fût connue, bien qu’elle ait eu lieu sept jours plus tôt. On pourrait en conclure que le mouvement se rattache à une conspiration positive dont le foyer existait à Madrid, et c’est effectivement très probable ; ou bien, ce qui est certain quant aux dispositions générales du peuple, les sentimens qui l’ont fait éclater ont agi à la fois sur plusieurs points avec la même force, et y ont produit le même résultat.

Nous dirons tout à l’heure ce que nous pensons de cette révolution, qui n’est peut-être pas aussi redoutable qu’on le suppose. Mais d’abord un mot sur ses causes, ou plutôt sur ses prétextes, et sur les circonstances quelquefois très singulières qui l’ont accompagnée.

Depuis quelque temps, les armes de la reine n’étaient pas fort heureuses. Les carlistes, sans faire de bien grands progrès, maintenaient cependant leurs positions, et avaient même, en dernier lieu, élargi un peu le cercle de leurs opérations. La légion anglaise, déjà fort affaiblie, avait échoué dans une tentative sur Fontarabie, qu’on avait ensuite appelée une simple reconnaissance pour déguiser un échec ; le chef carliste Gomez avait fait une pointe très hardie jusqu’en Galice, où les populations l’ont fort mal reçu, où il a échoué, mais dont il revient avec quelque argent extorqué de côté et d’autre, et sans avoir été jusqu’ici sérieusement entamé. Les choses allaient mieux en Catalogne ; mais dans Valence et dans le Bas-Aragon, des bandes audacieuses dévastaient le pays et l’épouvantaient par leurs atrocités. Tout cela n’était pas très grave, don Carlos était encore bien loin de Madrid ; mais, enfin, le parti exalté, mécontent du dernier changement de ministère et battu dans les élections, aimait mieux crier à la trahison, accuser Cordova de perfidie, et vociférer contre M. Isturitz, que de reconnaître les véritables causes qui éternisent la guerre civile, c’est-à-dire le manque d’argent, le manque d’union, l’absence d’une direction vigoureuse et suivie, les rivalités des généraux, et par-dessus tout un certain découragement dans les esprits, suite naturelle des oscillations du pouvoir et des réactions en sens contraires qui ont tant de fois affligé les honnêtes gens dans le court espace de quelques années. Les meneurs ont profité de ces défiances ; les carlistes ne se sont pas fait faute de les augmenter, d’exaspérer les haines, d’entretenir les divisions, et il en est résulté la tentative révolutionnaire qui a donné au gouvernement de la reine deux ennemis à combattre au lieu d’un, qui ajouterait aux chances du prétendant, si le prétendant et les siens étaient d’autres hommes, qui ôtera momentanément quelques ressources, et coûtera quelque argent au trésor, mais prouvera, nous l’espérons fermement, la double impuissance des carlistes et des révolutionnaires, vaudra au gouvernement de la reine une démonstration vigoureuse de ses alliés, et ralliera définitivement autour du trône tout ce qu’il y a de sensé, d’honnête et de vraiment patriote dans la nation espagnole.

Il n’y a eu de résistance nulle part, c’est vrai ; le mouvement s’est propagé rapidement et accompli sans peine. On dit que les gardes nationales se sont partout prononcées unanimement pour la constitution ; enthousiasme, proclamations, feux de joie, rien n’a manqué de ce qui ne manque jamais en pareil cas ; mais tout cela ne prouve pas grand’chose. Proclamer la constitution de 1812 pour le peuple espagnol, c’est proclamer le souvenir d’une grande époque, d’un grand ébranlement national, d’une défense héroïque, de la guerre de l’indépendance, souvenirs sur lesquels on vivra encore long-temps en Espagne, parce qu’il n’y a rien autre chose dans son histoire depuis la découverte du Nouveau-Monde. Les trois quarts des Espagnols ne savent pas ce que c’est que la constitution de 1812 ; ils ne l’ont pas étudiée, ils ne se passionnent certainement pas pour le système d’une seule chambre ; ils s’inquiètent peu du veto suspensif ou absolu, de la députation permanente, de tous les rouages mal combinés qui rendent inapplicable la constitution de 1812. Pour eux, cela ne veut dire que liberté, indépendance, élan national. Qu’il se tourne contre les carlistes, à la bonne heure ; mais encore faut-il, de toute nécessité, un gouvernement, un pouvoir central, fort, intelligent et respecté, pour le diriger.

À côté de la grande pièce qui se joue en public, il y a toujours la petite qui se joue dans les coulisses. Dans les mouvemens populaires, il y a toujours des hommes qui cherchent de l’importance locale ; de là ces juntes si nombreuses. L’histoire de M. de Toreno dit à ce sujet un mot plein de sens et de vérité : il y a des intérêts particuliers qui veulent se satisfaire ; il y a les inévitables ennemis de toute autorité nouvelle, il y a les embarras d’argent et les embarras de position ; les exagérés, qui veulent toujours aller plus loin, les timides qui se cachent ou s’en vont. L’année dernière, on a vu tout cela dans les juntes ; cette fois on en voit déjà quelque chose. À Malaga, le lendemain de la révolution, on ne savait où trouver de l’argent ; la commission de gouvernement avait déjà ses ennemis, et le reconnaissait naïvement dans le bulletin officiel de ses séances ; elle se plaignait de la froideur des uns, du mécontentement des autres ; avant qu’on eût appris le soulèvement de Cadix, la jeunesse même refusait de marcher sur Grenade. À Sarragosse, les tiraillemens sont tels, que, sur quatre juntes de gouvernement nommées l’une après l’autre, pas une encore n’a réussi à s’installer.

Nous ne croyons donc pas que le gouvernement de la reine soit sérieusement menacé. La constitution de 1812 nous inquiète d’autant moins que les provinces soulevées reconnaissent formellement aux cortès le droit de la modifier. Nous ne serions vraiment inquiets que le jour où l’armée, fidèle jusqu’à présent, échapperait à ses chefs et prêterait à l’insurrection un appui sans lequel il n’y a pour elle ni durée, ni succès.

Il y a sur ces évènemens, sur la tournure qu’ils prendront, sur la résistance que pourra opposer aux juntes le ministère espagnol, une grande anxiété dans le monde diplomatique ; mais on peut être sûr que l’Europe redoute beaucoup plus le triomphe de la révolution qu’elle ne désire celui de don Carlos. Et la France, que fera-t-elle ? Voilà ce qu’on se demande de toutes parts. Intervenir ? Pas tout-à-fait ; la question d’argent est grave. Abandonner la cause de la reine, laisser don Carlos faire peut-être quelques pas de plus à la faveur de cette confusion ? encore moins. Des engagemens solennels, l’honneur et l’intérêt de la révolution de juillet, l’honneur et l’intérêt de la nouvelle dynastie, tout le défend. On restera donc fidèle au système de la quadruple alliance ; on lui donnera plus de développement ; on imprimera au recrutement de la légion étrangère un mouvement plus rapide ; elle recevra un chef d’un rang plus élevé, d’une réputation militaire plus éclatante, d’une énergie incontestable, d’un nom, d’une position politique à laquelle il serait difficile de refuser plus tard tout ce qui sera nécessaire pour ne pas le compromettre ; et si les Anglais s’y prêtent, comme il n’y a lieu d’en douter, le but du traité de la quadruple alliance pourra être atteint. Est-ce assez ? est-ce tout ce qu’il serait possible de faire, questions délicates que nous posons sans les résoudre. Pour nous, notre conviction profonde est qu’il faut, à tout prix, empêcher don Carlos de s’établir à Madrid. La clef de voûte du système de paix suivi depuis six ans est la solidarité d’une Europe constitutionnelle opposée à l’Europe absolutiste. Pactiser avec Carlos serait trahison envers les prétentions les plus justes et les plus modérées de la révolution française, qui tend à multiplier les monarchies constitutionnelles ; politique que M. de Talleyrand s’est si souvent vanté de servir, et que probablement le président ministre des affaires étrangères n’abandonnera pas.

Il est fâcheux pour la famille doctrinaire que les évènemens qui se passent dans la Péninsule aient détourné sur eux l’attention générale. La harangue de M. Guizot aux cent soixante-neuf électeurs de Lisieux n’a pas produit tout l’effet que s’en promettaient les amis du rédacteur en chef de la Paix. Cependant il vaut la peine d’étudier cette pièce d’éloquence dirigée contre le ministère du 22 février, et destinée à porter l’épouvante dans ses rangs. D’abord M. Guizot remercie les cent soixante-neuf électeurs de Lisieux de leur persévérance politique ; cet éloge lui sert de transition pour célébrer le système du juste-milieu qui est à la fois, suivons bien ceci, la politique du 13 mars, la politique de Casimir Périer, la politique du 11 octobre, la politique de M. Guizot, la politique des amis de M. Guizot, la politique royale, la politique nationale. M. Guizot n’a jamais été plus prolixe et moins clair qu’au banquet de Lisieux. Cependant à travers tous les paralogismes et les adulations de l’ancien ministre de l’instruction publique perce cette pensée qu’on ne saurait trop méditer : Le roi Louis-Philippe remplit aujourd’hui la même mission politique qu’Henri IV au commencement du xviie siècle ; il est possible qu’il succombe tragiquement dans sa glorieuse entreprise. (On peut se rappeler qu’il y a quinze jours, un journal qui reçoit volontiers les inspirations de M. Guizot, semblait vouloir préparer la France à la possibilité d’une catastrophe, et travaillait d’avance à l’en consoler.) Mais après Henri IV vint Richelieu ; or, la France est assez heureuse pour avoir l’équivalent de ce grand ministre, comme elle a sur le trône l’image du grand roi qui est tombé sous le fer d’un assassin. Le nouveau Richelieu, vous l’avez deviné, n’est autre que M. Guizot, qui se juge destiné, sous un nouveau règne, à enchaîner les factions et à réprimer la démocratie, comme Armand du Plessis abaissa la noblesse. Ainsi l’histoire est décrétée d’avance, et nous n’avons plus qu’à nous soumettre aux prévisions du député du Calvados. Il nous semble qu’ici M. Guizot, qui a si souvent reproché à ses adversaires le plagiat politique, ne s’en gêne guère, et nous le surprenons à se contrefaire un avenir d’après un passé qui nous semble peu convenir à sa taille.


Le voyage inattendu du roi de Naples à Paris a d’autant plus occupé l’attention, qu’elle avait moins de sujets sur lesquels se porter à l’intérieur. On a suivi avec intérêt le jeune prince, avide de s’instruire, dans ses visites à nos principaux établissemens publics. On rapporte qu’en s’approchant de l’arc-de-triomphe de l’Étoile et de la colonne de la place Vendôme, il s’est découvert et a salué profondément. Ce n’était pas là, de sa part, simple courtoisie. Ses antécédens marquent bien qu’il y a chez lui une vive et véritable sympathie pour la gloire de nos armes et tout ce qui s’y est associé en Italie. Au rebours du système qu’avaient adopté son père et son aïeul, depuis son avènement, c’est aux hommes imbus des idées progressives ou élevés à l’école de nos guerres qu’il a confié les postes principaux de l’administration et de l’armée. Lorsqu’il est monté sur le trône, Rocca-Romana vivait dans l’exil, sévèrement puni de sa vieille fidélité à Murat. Le nouveau roi a rappelé près de lui ce général, et l’a fait capitaine de ses gardes. Le trait suivant est plus caractéristique. M. de Bourmont était venu à Naples avec plusieurs notabilités carlistes, et, malgré tous ses efforts, n’avait pu obtenir d’être reçu ni présenté à la cour. Cependant l’ex-ministre de Charles X fut invité à une fête que donnait M. de Lebseltern, le ministre d’Autriche, et où le roi parut un moment. Comme sa majesté traversait les salles, M. de Bourmont s’avança sur son passage, espérant sans doute être mieux accueilli là et honoré d’un entretien. Mais à sa vue, le prince se détourna tout d’un coup, disant à ceux qui l’entouraient : — « Comment certains hommes osent-ils se montrer encore en Europe après Waterloo ? » Voici un autre trait qui honore doublement le cœur et la politique du jeune souverain. On lui avait dénoncé un complot dans lequel étaient impliqués plusieurs officiers et soldats de deux régimens. Quelque soit le danger auquel il s’expose, sa résolution est bientôt prise. Les deux régimens accusés sont réunis à la hâte et mis sous les armes. Il se place seul à leur tête ; il les conduit en plaine ; il les fatigue de manœuvres, quatre heures durant, puis il les ramène à la ville harassés, et n’en pouvant plus. Alors il fait arrêter deux capitaines des plus compromis. Leur procès n’est pas long. Complètement convaincus, ils sont condamnés à mort. L’exécution devait être immédiate, et avoir lieu, selon l’usage, dans la cour des Présides que dominent les fenêtres du palais royal. Déjà les coupables sont à genoux, les yeux bandés. Quarante balles vont percer à la fois leurs poitrines. Le roi paraît à son balcon ; mais ce n’est pas afin de se repaître d’une scène de sang. À l’aspect du supplice préparé, il agite tout ému son mouchoir. C’est la grâce pleine et entière des condamnés qu’il vient d’accorder. Certainement, le royaume des Deux-Siciles a droit de beaucoup espérer d’un monarque de cet âge qui a de pareils instincts de générosité et de clémence, et se montre dans ses voyages si rempli de simplicité, si empressé de connaître par lui-même et de bien étudier les institutions et les choses utiles des divers pays qu’il parcourt. L’établissement d’une garde nationale et quelques autres mesures libérales ont témoigné déjà de son bon vouloir. Ce peu qu’il a fait permet d’espérer qu’il fera davantage pour l’avancement et la liberté de son pays, quand il va lui revenir instruit par sa propre expérience, et conseillé par l’état prospère des nations libres qu’il aura vues On profite, dit-on, de la présence du roi de Naples à Paris, pour arranger la double ambassade vacante entre les deux cours. Parmi les nombreux candidats que présenterait Naples, deux surtout seraient au premier rang. L’un, M. Filangieri, fils de l’illustre publiciste, officier d’une haute distinction, élevé en France, et qui a même honorablement servi dans nos armées ; l’autre, M. Acton, fils de l’ancien ministre. M. Acton, en se naturalisant Italien, a su conserver tout l’esprit du parfait gentleman anglais. Son libéralisme est éprouvé, sa fortune immense. Il a épousé la fille du duc de Dalberg, et tient ici à tout ce qu’il y a de plus élevé.

En Angleterre, les communes ont eu récemment encore une grande journée, celle où se sont discutés les amendemens introduits par les lords dans le bill des dîmes irlandaises. Chaque parti avait convoqué et réuni tout ce que l’époque avancée de la saison lui laissait de forces disponibles ; plus de cinq cents combattans se trouvaient sur le champ de bataille ; aussi l’affaire a été chaude et la victoire vivement disputée. Lord John Russel a ouvert l’engagement. Comme il fallait s’y attendre, il a tout d’abord brûlé ses vaisseaux et coupé court aux moyens d’accommodement. C’était la meilleure voie dans une question qui remettait en jeu l’existence du cabinet. Il n’eût tenu qu’à lui pourtant, en excipant des priviléges de la chambre, de s’assurer un avantage moins douteux. Eût-il simplement soutenu qu’en rayant la clause d’appropriation, les lords avaient altéré une loi de finance et violé ainsi les prérogatives de l’assemblée, en vertu du vieil usage parlementaire, le speaker eût jeté le bill mutilé sur le bureau des huissiers, d’où ces derniers l’eussent poussé à terre et hors de la salle. Le ministre a dédaigné, avec raison, ce trop facile triomphe. Il a voulu ne devoir le sien qu’au fond et non à la forme. Du reste, le débat, qui recommençait pour la dixième fois peut-être entre les mêmes adversaires, n’a pas offert beaucoup d’incidens ni d’argumens nouveaux. Le discours captieux et vide de sir Robert Peel n’a guère eu d’autre mérite que d’inspirer la brillante réplique de M. Sheil. « Prenez garde, avait dit le ci-devant premier lord de la trésorerie, vous prétendez ne réformer que les superfluités de l’église, et ce sont ses piliers même que vous ébranlez. — Rassurez-vous, s’est écrié l’éloquent orateur irlandais, reprenant l’image ébauchée et la finissant en maître ; rassurez-vous : nous n’ébranlons pas les piliers de votre église, nous la débarrassons seulement de ce dôme pesant chargé d’or qui menace d’écraser en s’écroulant l’édifice tout entier avec ses prêtres et ses autels. » Lord Stanley, qui répondait au représentant de Tipperary, s’est vainement efforcé d’affaiblir l’effet de cette chaleureuse sortie ; vainement il a tenté d’entraîner les consciences de ces whigs bons protestans que remuait autrefois sa puissante parole ; la majorité ministérielle s’est retrouvée ce qu’elle n’a pas cessé d’être sur cette question irlandaise, faible, peu imposante, mais compacte et immuable dans sa faiblesse.

Les autres mêlées parlementaires de la quinzaine n’ont pas eu le même éclat. C’est ainsi qu’aux communes, sur la motion de lord John Russel, ont été rejetés presque sans débat les amendemens des lords au bill qui complétait la loi des corporations anglaises et galloises de l’an dernier. Bien que l’affaire eût son importance, et continuât nettement la collision avec la pairie, à peine si l’assemblée était en nombre suffisant, c’est-à-dire qu’il n’y avait guère sur les bancs plus des quarante membres rigoureusement exigés pour former une chambre. Comparativement et contre leurs habitudes de jadis, les lords montrent plus de zèle législatif. Trois d’entre eux pourraient composer une chambre des pairs tout-à-fait légale, et ils sont encore bien une centaine à leur poste. Il est vrai qu’ils prennent un divertissement extrême. Rien ne les amuse comme de faire le mal, et d’empêcher le bien ; et ils se donnent à souhait de ce double plaisir. Durant les deux dernières semaines, il n’y a presque pas eu de jour qui ne les ait vus employés à mutiler ou à détruire quelque mesure utile, longuement et consciencieusement élaborée par les communes. Le bill des mariages catholiques, et je ne sais combien d’autres, aussi essentiels et réclamés, ont successivement succombé sous leurs coups. Restait le bill de réduction du timbre, qui, à son titre de la loi de finance, paraissait devoir s’échapper sain et sauf de leurs mains. Mais ne voilà-t-il pas que la sagacité de lord Lyndhurst s’est avisée d’y découvrir une clause intolérable, en ce qu’elle s’immisce tyranniquement, à son avis, dans la propriété des journaux. Étrange métamorphose ! les lords se sont faits soudainement les champions de la justice et de la liberté. Ils deviennent plus radicaux que les radicaux eux-mêmes. La clause soi-disant vexatoire est écartée du bill, bien qu’elle n’eût d’autre tort, au fond, que d’être à peu près inutile. Ce dernier acte de la pairie témoigne plus de perfidie et de hardiesse qu’aucun de ses actes précédens. Il est clair que sous le prétexte spécieux de protéger l’intérêt des journaux, elle n’avait qu’un but, celui de rendre impossible pour cette année l’exécution d’une réforme universellement populaire. Que devait-il en effet arriver, selon toute probabilité ? Cette fois, le privilége des communes était incontestablement entamé. Si le bill, qui n’était que pure matière de finance, leur était rapporté, elles seraient nécessairement contraintes de le repousser d’emblée. La session expirait. Il serait bien difficile au cabinet d’obtenir d’elles une nouvelle loi qui pût être renvoyée aux lords, dégagée des articles sur lesquels ils avaient fondé leur opposition. Ils auraient ainsi triomphé et rempli leur objet. Heureusement l’activité et la décision du chancelier de l’échiquier ont déjoué ces calculs machiavéliques de leurs seigneuries. Le bill du timbre, qu’elles avaient altéré, a été en effet supprimé le 11 par les communes ; mais il leur en a été présenté immédiatement un nouveau, qui a subi, séance tenante, sa première lecture. Les lords seront pris au mot. La loi leur sera soumise telle qu’ils l’ont voulue, et, bon gré mal gré, il leur faudra bien la voter avant la clôture du parlement. Du reste, puisque sa témérité rencontre si peu de résistance le torisme a peut-être raison de profiter de sa veine pour tenir en échec ses adversaires, et réparer un peu son rempart lézardé. C’est chez les Anglais une maxime politique que dans la guerre des partis tout moyen d’attaque et de défense est légitime. En ce moment de tiédeur publique, les whigs jouent également bien leur jeu lorsqu’ils se bornent à louvoyer, à maintenir, l’arme au bras, leur position. Ce sont les radicaux seuls qui ont tort, et marquent peu d’intelligence en gourmandant, comme ils font aujourd’hui, le peuple lui-même de sa torpeur. L’esprit démocratique a, de temps en temps, besoin de se reposer et de dormir. Soyez-en sûrs, il saura bien s’éveiller tout seul quand il le faudra, et prendre en un instant toutes ses revanches.