Chronique de la quinzaine - 30 novembre 1859

Chronique n° 663
30 novembre 1859


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 novembre 1859.

Bien que, par un temps pacifique, les événemens ne puissent faire beaucoup de chemin en une quinzaine de jours, si peu que les choses se soient déplacées dans un si court intervalle, c’est assez pour que les perspectives du paysage politique se modifient aux yeux de l’observateur. Les objets que l’on a devant soi sont les mêmes, mais ils ne présentent plus les mêmes lignes, ils changent de plan, ils forment des groupes différens ; une autre distribution de lumière et d’ombre les met en saillie ou les éteint, C’est une de ces variations d’aspect que nous avons à constater, en comparant le point de vue d’aujourd’hui à, celui des premières semaines du mois. Aujourd’hui comme il y a quinze jours, nous avons devant nous les mêmes questions : l’état de l’Italie centrale, nos rapports avec l’Angleterre, le travail intérieur de l’Allemagne, le congrès ; pourtant ce n’est plus le même tableau. Au commencement du mois, la question qui venait sur le premier plan et saisissait l’attention était la question anglaise : en étions-nous avec l’Angleterre à la veille d’un refroidissement sérieux ? Un moment, la question de l’Italie centrale a tout dominé : l’Italie pourrait-elle vivre jusqu’au congrès en ayant la vertu et le bonheur de maintenir l’ordre dans la situation révolutionnaire que lui ont faite les événemens de cette année ? L’horizon était tout noirci de ces doutes. Aujourd’hui ces difficultés, éclaircies par quelques changemens de dispositions, reculent et cèdent le devant de la toile à un fait qu’il faut bien accueillir comme un événement heureux, puisque tant de vœux l’ont appelé et que l’accomplissement en a été si longtemps et si impatiemment attendu. La convocation du congrès, voilà l’intérêt du jour. Décidément les lettres par lesquelles la France et l’Autriche invitent les autres puissances à délibérer avec elles sur les affaires d’Italie viennent de partir. Comme l’on doit se croire sûr des réponses que recevra cette invitation, la réunion du congrès s’offre à nous, non plus comme un problème, mais comme une certitude. Sur le fait du moins de la réunion des puissances, plus de doute et d’anxiété, et par cela même un jour nouveau et plus favorable se répand sur l’ensemble et le fond des choses. Pour la première fois depuis longtemps, et pour un moment du moins, l’on respire, car pour la première fois depuis longtemps Ton est enfin en présence d’un fait arrêté, positif, palpable. Sans doute la réunion des puissances n’aura pas lieu le 15 décembre, ainsi qu’on l’avait d’abord espéré : il faudra attendre quelque temps encore ; mais l’année 1860 aura infailliblement le congrès pour ses étrennes. Profitons de cette éclaircie, qui permet aux intérêts et aux esprits de reprendre haleine, pour examiner les difficultés qui passent momentanément au second plan, et dont la diplomatie européenne est désormais chargée de nous tirer sains et saufs.

Nous ne nous trompions point lorsque nous écrivions, il y a quinze jours : « Quelle est la position que la France doit et va prendre vis-à-vis de l’Angleterre ? C’est à cette question que la France et son gouvernement devraient se hâter de faire une réponse claire et catégorique. » Nous ne nous trompions pas non plus en ajoutant : « Nous aimons à croire que le gouvernement déplore, comme nous, les excitations qu’une presse ignorante et grossière répand journellement dans l’opinion contre l’Angleterre. » Cette nécessité d’une explication nette et décisive sur la direction de notre politique était ressentie partout. Le plus puissant organe de l’opinion anglaise, le Times, l’établissait de son côté presque en même temps que nous, et, puisant dans la législation qui régit la presse en France un argument qu’il nous est douloureux de voir invoqué par l’étranger, il ne craignait point de demander à notre gouvernement s’il acceptait la responsabilité des polémiques de nos journaux contre l’Angleterre. Heureusement le gouvernement français avait vu le mal avant même qu’il ne lui eût été si énergiquement dénoncé, et il s’était préoccupé de le faire cesser plusieurs jours avant que cette interpellation directe lui eût été adressée, car la circulaire de M. le ministre de l’intérieur, destinée à y mettre un terme, porte la date du 12 novembre. Le seul succès du Times, qui le premier a eu connaissance de cette circulaire, a donc été d’en hâter la publication, ce dont personne ne lui saura mauvais gré. Quant à nous, si nous avions bien jugé la nécessité de la situation, nous avions eu aussi la bonne fortune de ne point nous méprendre sur la véritable pensée du gouvernement. La circulaire du ministre de l’intérieur a fait connaître cette pensée. Le ministre y décrit le danger que nous signalions : les journaux ont apporté une exagération regrettable dans leurs appréciations sur l’Angleterre. L’inconvénient de ces polémiques est d’inquiéter les intérêts, d’exciter l’opinion, d’attiser les défiances et les hostilités de la presse anglaise, et quand elles sont engagées par des journaux qui défendent habituellement la politique impériale, de fournir à l’étranger le prétexte d’en faire remonter la responsabilité jusqu’au gouvernement. En défendant le droit et les intentions de la France, la presse doit ménager les susceptibilités d’une grande nation, et éviter de compromettre les intérêts de nos alliances et le maintien de la paix. Les préfets doivent transmettre ces avis aux journaux sur lesquels ils peuvent agir, et signaler au ministre les journaux d’opposition qui se mettraient trop ouvertement en désaccord avec la pensée du gouvernement sur ce point. Il y a deux choses dans cette circulaire : un mode d’action employé vis-à-vis des journaux, et une déclaration de sentimens en faveur de l’alliance anglaise. Nos opinions connues sur la liberté de la presse nous dispensent de dire ici que ce mode d’action nous paraît contestable, au double point de vue des intérêts du gouvernement et des intérêts des journaux ; mais nous applaudissons sans réserve aux sentimens manifestés par le ministre de l’intérieur en faveur du maintien des bons rapports entre la France et l’Angleterre. La répudiation par le gouvernement des absurdes et périlleuses déclamations de la presse officieuse contre la politique anglaise ne pouvait être plus opportune, et déjà l’on en voit l’heureux effet dans le ton singulièrement radouci de la presse anglaise à notre égard.

Mais un quos ego gouvernemental ne suffit point pour résoudre la question de nos relations avec l’Angleterre. Le maintien des bonnes relations dépend surtout de la conduite politique que la France voudra tenir en Europe, et le meilleur moyen d’assurer cette conduite dans les voies pacifiques, c’est de vouloir bien comprendre le caractère qui a distingué la politique anglaise dans les dernières quarante-cinq années. Il y a pour l’Angleterre deux politiques possibles que nous allons essayer de définir, et le point critique de la situation actuelle, c’est qu’en ce moment, si nous persistons davantage dans la méprise où nous nous sommes engagés depuis les trop fameuses adresses des colonels, nous pousserions de nos propres mains l’Angleterre vers la politique qui serait la plus funeste à nos intérêts.

Malheureusement des deux politiques qui sont ouvertes à l’Angleterre, la plus connue et même, à vrai dire, la seule connue en France, c’est la politique hardie, opiniâtre, belliqueuse et envahissante du passé, qui se personnifie dans les figures de Chatham et de Pitt. C’est la politique qui mêlait activement l’Angleterre dans les luttes du continent, qui lui inspirait dans ces luttes une rivalité acharnée contre nous, qui en faisait l’âme et le plus énergique bras des coalitions formées contre la France. Lorsque l’Angleterre pratiquait cette politique de haine et de guerre, elle gardait exclusivement pour elle-même les principes de ses libres institutions, et ne subissait point d’influence morale qui l’obligeât à consulter les intérêts généraux de la liberté dans le choix de ses amis et de ses ennemis au dehors. Dans ce temps-là, elle ne connaissait point ces scrupules qui honorent les peuples comme les individus et qui les détournent de certaines alliances qui serviraient peut-être leurs intérêts, mais qui desserviraient leurs principes. Dans ce temps-là, l’Angleterre se souciait bien plus en Europe du concours des souverains que de l’amitié des peuples. Dans ce temps-là, elle regardait la Russie comme son alliée traditionnelle en dépit du partage de la Pologne ; elle comptait sur l’Autriche comme sur son armée du continent, sans s’inquiéter si l’Autriche opprimait la Hongrie ou l’Italie ; elle allait même jusqu’à courtiser l’amitié du pape, si elle pouvait recruter dans la cour de Rome un ennemi de plus contre la France. Les hommes d’état anglais à cette époque ne voyaient dans la politique européenne qu’un duel de puissance entre la France et l’Angleterre ; toute considération cédait pour eux aux nécessités de la lutte. Ils sacrifiaient l’intérêt du bon gouvernement des états européens à l’intérêt des souverains qui leur prêtaient les forces de ces états ; ils sacrifiaient la bonne administration des propres finances de l’Angleterre à la nécessité de soudoyer nos ennemis ; ils sacrifiaient le progrès social et politique de leur propre peuple à la volonté d’abaisser la France. Voilà une politique anglaise que notre histoire même ne nous a que trop appris à connaître, voilà la politique qui a marqué dans notre histoire les deux dates fatales de 1763 et de 1815. Par une aberration qui fait à la fois rire et pleurer, voilà pourtant la politique que des Français qui se croient patriotes, et qui même prétendent être les seuls patriotes, célèbrent comme la seule grande politique anglaise ? A les entendre, l’Angleterre n’a fait que déchoir depuis qu’elle a cessé de la pratiquer ! Ils la raillent ou la plaignent de n’avoir plus à sa tête des Chatham, des Pitt, ou même des Castlereagh ! Voyons donc quelle a été la politique de la décadence anglaise, la politique qui a tant mérité notre mépris ou notre pitié !

La politique qui a généralement prévalu en Angleterre depuis 1815 jusqu’à ce jour a été, chose extraordinaire, peu connue et nullement comprise sur le continent. Les développemens de cette politique se sont pourtant étendus sur un assez long espace de temps pour qu’il fût facile d’en saisir et d’en apprécier les grands caractères. Nous ne craindrons pas de le dire : considérée dans son ensemble, c’est la politique la plus sensée et la plus juste qui ait encore été pratiquée par aucun peuple européen, c’est la vraie politique de la paix d’un peuple libre. À partir de 1815 en effet, les Anglais ont poursuivi trois desseins : réformer leurs institutions, régler leurs finances, et travailler à l’avancement matériel et moral du peuple. Nous n’insisterons pas sur les réformes politiques ; ce sont les plus connues. Et certes les peuples du continent qui, dans ces quarante-cinq années, ont traversé tant de révolutions pour revenir presque toujours sur leurs pas, ne sauraient parler avec dédain de l’habileté et du bonheur avec lesquels, échappant aux révolutions par les réformes, l’Angleterre a pu assurer ses progrès politiques intérieurs. La politique financière de l’Angleterre n’a été ni moins habile ni moins heureuse ; elle a eu un double caractère, économique et social. Effrayée des prodigalités financières de la grande politique de Pitt, qui lui avait légué une dette de plus de 20 milliards, elle se prit d’une horreur sensée pour ce système de subvention des armées étrangères que Pitt avait employé avec tant d’exagération. La paix venue, l’opinion anglaise prit en quelque sorte vis-à-vis d’elle-même la résolution de ne plus tomber dans ces ruineuses exagérations, et comme ces charges qui pesaient tant sur l’Angleterre étaient la conséquence du rôle qu’on lui avait fait jouer dans les affaires du continent, l’opinion anglaise, repoussant la cause avec l’effet, se prononça avec vigueur contre tout système de politique étrangère qui tendrait à entraîner de nouveau la Grande-Bretagne dans les complications politiques et les guerres du continent. Ce sentiment s’étendit bientôt des classes commerçantes aux masses aussi bien qu’à l’aristocratie, finit par dominer les hommes d’état de tous les partis, et devint celui de la nation tout entière, comme on l’a bien vu au commencement de cette année, lorsque cette soudaine guerre d’Italie est venue mettre aux prises les affections politiques et les intérêts du peuple anglais.

Au point de vue financier, le premier effet de cette politique a été celui-ci : la dette anglaise a cessé de s’accroître ; au contraire elle a été réduite. En 1818, l’Angleterre avait à payer 747 millions d’intérêts pour un capital emprunté de 21 milliards de francs ; en 1858, elle ne payait plus que 720 millions pour un capital emprunté de 20 milliards. Ce fait est d’autant plus remarquable que dans la même période le capital de la dette s’est élevé chez nous de 3 milliards 340 millions à 7 milliards 800 millions, et le service des intérêts annuels de 165 millions à plus de 390. C’était beaucoup de ne pas augmenter la dette, de la restreindre même ; mais les Anglais ne se sont pas contentés de cet avantage négatif. Ils se sont, avec une persévérance systématique, appliqués à réduire leurs dépenses, et en cela ils donnaient un nouveau gage au monde de la sincérité de leurs intentions pacifiques, puisqu’ils ne réalisaient d’importantes économies qu’aux dépens de leur établissement naval et militaire. Ce n’est pas tout encore : en même temps qu’ils réduisaient leurs dépenses, ils entreprenaient sur leur budget des recettes, sur le système de taxation qui alimentait leurs revenus, les expériences les plus habiles et les plus fécondes, dont les résultats sont devenus un enseignement pour tous les peuples. Le succès de leurs premiers essais en ce genre devint le point de départ non-seulement d’une réforme commerciale conforme aux principes économiques, mais d’un travail social qui seconda puissamment l’avancement matériel et moral des classes populaires. Dans cette voie, les hommes d’état anglais apportèrent aux questions qui intéressent le bien-être du peuple une sollicitude hautement avouée, qui était une disposition assurément nouvelle et originale chez un gouvernement. Par les réformes douanières, ils affranchissaient de toute entrave le travail anglais, et lui permettaient de déployer toute sa force, de jouir de tous ses fruits, car ils assuraient au peuple la nourriture et le vêtement, en cessant d’aggraver les prix naturels des choses de taxes qui n’étaient qu’un tribut indirectement payé par la nation à des classes privilégiées et à des industriels protégés. Ils ne se contentèrent pas d’assurer ainsi la subsistance matérielle de l’ouvrier, ils supprimèrent les taxes imposées sur le papier et les journaux, qui renchérissaient artificiellement sa nourriture intellectuelle. À l’inverse des gouvernemens despotiques du continent, au lieu d’étouffer la presse, ils en assurèrent la diffusion et l’influence au sein des masses. Ainsi répugnance chaque jour grandissante à se mêler aux affaires du continent, application constante à améliorer les finances, à effacer les taxes qui pèsent sur les masses, à travailler au bien-être du peuple, à préparer par la libre culture intellectuelle son avènement progressif aux droits politiques, et à développer la liberté dans toutes les sphères de l’activité humaine, tels ont été les traits généraux de la politique anglaise depuis 1815, politique, répétons-le, qui, à mesure qu’elle se précisait davantage et s’emparait de l’esprit public, tendait essentiellement à subordonner les questions étrangères aux questions intérieures.

Quel était l’effet de cette politique sur la situation extérieure de l’Angleterre et sur les états continentaux ? Insensiblement et à plusieurs égards, elle a modifié la situation de l’Angleterre vis-à-vis des cours et des peuples. Elle a sans doute affaibli le crédit de l’Angleterre auprès des cours, et elle a laissé le champ libre aux peuples qui ont eu la volonté et le courage de faire valoir leurs droits à l’encontre de leurs gouvernemens. L’esprit pacifique et l’esprit libéral grandissaient dans le royaume-uni en se donnant la main. Dès que les arrangemens de 1815 furent accomplis, l’Angleterre se détacha de cette conspiration dirigée bien plus encore contre la liberté que contre la France, et qui s’appelait la sainte alliance. Les libres discussions de sa presse et de son parlement ne laissèrent point dormir ces souverains despotiques occupés à traquer toutes les aspirations nationales et libérales des peuples en les flétrissant du nom d’esprit révolutionnaire. Les cours despotiques se plaignirent d’abord doucement des embarras que leur causaient les libertés parlementaires anglaises, et s’efforcèrent poliment, en exprimant leurs doléances aux ministres anglais, de séparer le cabinet britannique de la responsabilité qu’elles imputaient à la chambre des communes. Un jour par exemple, M. de Metternich, le spirituel dogmatiste de l’absolutisme, adressa des plaintes de ce genre à M. Wellesley, qui fut depuis lord Cowley, le père de l’ambassadeur actuel d’Angleterre à Paris. M. Canning fit à cette critique une réponse qui dut apprendre au chancelier autrichien que l’Angleterre était déjà bien loin de 1815. « Il paraît, écrivit Canning à M. Wellesley, que, suivant le prince de Metternich, si nous ne changeons pas nos façons, les états du continent n’auront plus qu’à se mettre en garde contre le mal que font nos discours dans le parlement… Pour que notre influence au dehors se conserve, il faut qu’elle se retrempe constamment aux sources de notre force au dedans, et les sources de cette force sont dans la sympathie qui règne entre le peuple et le gouvernement, dans l’union du sentiment public avec les conseils publics, dans la confiance réciproque et la coopération de la chambre des communes et de la couronne. Si le prince de Metternich s’est figuré que la chambre des communes est une simple entrave à la liberté d’action des conseillers de la couronne, que tout en ayant à tempérer les préjugés de cette chambre et à calmer sa mauvaise humeur, le gouvernement en fait demeure indépendant de son impulsion, en un mot que notre tâche est de la conduire et non de la consulter, — il se trompe. La chambre des communes fait essentiellement partie de l’autorité nationale aussi bien que des conseils nationaux, et malheur au ministre qui entreprendrait de conduire les affaires de ce pays en concertant uniquement sa politique étrangère avec une grande alliance, et croirait pouvoir réaliser les vues de cette alliance en jetant un peu de poudre aux yeux à la chambre des communes ! Et cependant voilà la conduite que le prince de Metternich paraît croire possible ! C’est un point, permettez-moi de vous le dire, mon ; cher Wellesley, où, d’après votre propre rapport, vous ne lui avez pas suffisamment exposé son erreur. »

Si, au lieu de s’adresser au ministre d’un gouvernement despotique, ce digne et fier langage eût été entendu par les peuples, ils n’eussent pu y voir, remarquons-le en passant, que l’expression éclatante de la sécurité que le gouvernement parlementaire donne aux rapports internationaux. Dans cette forme de gouvernement en effet, toute entreprise, pour être résolue, a besoin de l’accord préalable du pouvoir exécutif et du conseil national ; elle exige en quelque sorte un contrat publiquement débattu et arrêté entre les deux parties, mettant ainsi les tiers à l’abri des surprises ; mais l’Autriche s’inquiétait bien alors de la sécurité générale qui résulterait des maximes de Canning, si elles étaient universellement pratiquées ! M. de Metternich ne pouvait plus douter que l’Angleterre ne fit défaut au concert contre-révolutionnaire des cours du Nord, et il ressentit seulement le coup que portait à la cause absolutiste ce qu’il appelait sans doute la défection du cabinet anglais. L’on vit bientôt, à partir de 1830, ce que les peuples devaient gagner, ce que les cours despotiques allaient perdre à la nouvelle attitude de l’Angleterre. La France fit sa noble révolution de 1830, et n’eut point à la défendre contre une coalition européenne, parce que l’Angleterre, devenue libérale, applaudissait au triomphe de la liberté en France, qui déterminait la victoire de la réforme parlementaire de l’autre côté de la Manche, et qu’il n’y a point de coalition possible contre la France, si l’Angleterre n’y prend part. À l’abri de l’alliance de la France et de l’Angleterre, la Belgique put reconquérir sa nationalité et se donner des institutions libres ; l’Espagne et le Portugal purent échapper au despotisme et au fanatisme. La nouvelle politique anglaise mettait fin à l’ère des coalitions contre-révolutionnaires : c’était un immense avantage pour les peuples, s’ils avaient su en profiter, et si, par des révolutions intempestives ou mal conduites, ils ne s’étaient pas livrés eux-mêmes aux réactions qui ont effacé les mouvemens de 1848 ; mais, malgré ces malheureuses vicissitudes, dont nous ne pouvons accuser que nous-mêmes, la France a recueilli deux avantages signalés de la nouvelle politique anglaise. Grâce à l’alliance de l’Angleterre, elle a pu se tirer glorieusement du mauvais pas de la question des lieux-saints, et renvoyer à la Russie l’échec que l’empereur Nicolas avait voulu nous infliger ; grâce à la neutralité anglaise, nous avons pu entreprendre et mener à fin, contre le gré de l’Europe, la guerre d’Italie. Les peuples, et la France notamment, ont donc tiré grand profit de la nouvelle politique anglaise. Quant à l’Angleterre elle-même, elle a recueilli sans doute de cette politique les avantages essentiels qu’elle lui demandait : elle a pu remanier ses institutions intérieures sans déchirement révolutionnaire, elle a vu sa population doubler presque en un demi-siècle, elle a fait des accumulations colossales de capitaux ; elle a multiplié ses colonisations ; elle a travaillé à élever ses classes ouvrières au bien-être, au sentiment de la dignité humaine, à l’exercice efficace des droits politiques. L’un de ses hommes d’état les plus illustres, sir Robert Peel, a pu placer son œuvre de réforme sociale sous l’invocation d’un des plus glorieux précurseurs de notre révolution et se vanter d’avoir accompli une pensée de Turgot. Mais en remplissant cette tâche sensée, logique, féconde d’un peuple libre, l’Angleterre a payé le bien qu’elle se faisait elle-même en négligeant ses défenses. Elle a diminué ces établissemens dispendieux qui sont bien plutôt les instrumens accidentels de la force des peuples que la raison permanente de leur puissance. Elle s’est doublement désarmée : désarmée au point de vue des alliances en encourant la défaveur des cours par les sympathies qu’elle a témoignées aux peuples, désarmée au point de vue militaire en subordonnant au respect de la liberté humaine le recrutement de son armée et de sa flotte, en effaçant de sa législation tout ce qui ressemble aux conscriptions et aux inscriptions en vigueur sur le continent.

Devant ce contraste des deux systèmes politiques qui ont été ceux de l’Angleterre, l’un qui dominait avant 1815, l’autre qui a prévalu depuis, nous n’avons pas à nous demander seulement celui qui est préférable au point de vue des intérêts français ; nous avons à décider nous-mêmes quel est celui que l’Angleterre devra définitivement suivre ou abandonner. Entre les deux, c’est nous en quelque sorte qui avons à choisir. Ce sont là les véritables termes de la question politique qui nous est posée en ce moment. Déjà l’Angleterre, inquiète sur sa sécurité, à tort sans doute (mais entre grandes nations il n’est pas permis de discuter les raisons d’un souci semblable), s’arme à sa façon, c’est-à-dire en faisant appel au sentiment public et à la coopération volontaire des citoyens. Tout en regrettant qu’une telle préoccupation se soit emparée du peuple anglais, nous ne croyons rien avoir à y redire, et nous souhaitons au contraire que l’Angleterre ait assez construit de vaisseaux blindés et de rams, ait assez fortifié ses côtes et ses arsenaux, ait organisé assez de compagnies de riflemen ou d’artilleurs volontaires pour se croire en sûreté chez elle, et avoir le sentiment qu’elle n’existe pas, comme disent ses journaux, on sufferance, par tolérance. Moins alarmée, elle sera moins vétilleuse, plus clairvoyante et plus juste. Pourtant, avec la connaissance que nous avons du tempérament politique du peuple anglais, nous ne nous dissimulons pas qu’il lui sera difficile de supporter longtemps dans l’inaction les dépenses d’un armement extraordinaire. Les Anglais n’ont aucun goût pour les dépenses qui consument le capital improductivement. Ils n’ont pas l’indifférence des nations despotiquement gouvernées du continent pour le gaspillage des deniers publics. Ils n’oublient jamais que le capital est du travail accumulé ; ils savent que le capital dévoré en armemens militaires, c’est du travail détruit et qui s’en va en fumée. Si ce capital est le produit de l’impôt, ils calculent le fardeau qui est stérilement infligé aux classes laborieuses ; s’il provient de l’emprunt et augmente la dette publique, ils s’inquiètent du travail qui sera aussi stérilement et à perpétuité imposé aux générations futures pour en servir l’intérêt. Industriels et commerçans, la tranquillité du présent ne leur suffit pas : ils ont besoin d’une longue confiance pour se livrer aux opérations de l’esprit d’entreprise. L’Angleterre armée ne sera plus alarmée, mais elle aura hâte d’en finir avec un état de choses qui lui semblerait incertain et précaire. C’est alors qu’elle nous paraîtrait dangereuse, si, par une folle imprudence, on la provoquait à revenir au système des Chatham et des Pitt. Certes nous avons intérêt à ne pas oublier que la politique anglaise ne se pique point de logique, et qu’il lui serait moins difficile qu’on ne pense de rétrograder par un brusque saut vers cette tradition qu’elle a rompue depuis 1815, vers ce temps où, réformes intérieures, finances, principes libéraux, elle faisait tout céder aux intérêts de sa politique extérieure et de la guerre à outrance. Si esseulée qu’elle paraisse aujourd’hui dans le système des alliances européennes, nous ne nous fierions pas plus à la durée de son isolement qu’à la constance de ces sympathies de nos rivaux naturels du continent que nous croyons avoir conquises, chez les Russes à l’Aima et à Sébastopol, chez les Autrichiens à Magenta et à Solferino.

Nous prévoyons donc des épreuves délicates pour notre politique étrangère, mais nous espérons qu’elles seront adroitement et heureusement traversées. Plusieurs circonstances nous rassurent en effet. D’abord, si l’on en juge par la circulaire du ministre de l’intérieur, il est évident que notre gouvernement a fait son choix entre les deux systèmes où il est possible de maintenir ou de pousser la politique anglaise, et qu’il n’est pas disposé à signaler à l’Angleterre l’ère des Chatham et des Pitt comme l’époque de sa grandeur. L’expédition concertée contre la Chine est aussi un bon symptôme. L’on attribuait récemment à notre gouvernement une pensée qui, si elle se réalisait, contribuerait puissamment à rétablir la confiance normale entre les deux pays. Nous voulons parler des modifications qui devaient être prochainement apportées dans nos tarifs de douane, et qui auraient pour effet d’affranchir de droits les matières premières employées par nos industries, et de réduire les droits sur les denrées nécessaires à l’alimentation du peuple. De pareilles mesures ne seraient pas seulement utiles à notre commerce et aux classes populaires, elles seraient l’inauguration d’une véritable politique de paix, dont les tendances deviendraient manifestes au dehors. Enfin, quant à nous, persistant dans les idées que nous émettions dernièrement, nous verrions la plus efficace des garanties de la paix dans le réveil d’une vie politique intérieure qui intéresserait et associerait la France au développement libéral de ses institutions, et la détournerait ainsi des préoccupations stériles et périlleuses de la politique étrangère.

Nous ne serons malheureusement pas délivrés des questions étrangères avant que le congrès annoncé ait terminé son œuvre, et avant l’arrangement final des affaires d’Italie ; Que la tâche du congrès soit difficile et que le travail de cette assemblée soit destiné à rencontrer bien des complications et à subir bien des lenteurs, personne ne le contestera. Nous n’aurons pas la témérité de devancer l’avenir ; et d’émettre à ce sujet d’oiseuses prévisions. Nous nous contenterons, pour le moment, d’indiquer les dispositions dans lesquelles la nouvelle de la réunion du congrès va trouver l’Italie. L’on peut considérer les incidens qui ont suivi la proposition de la régence au prince de Carignan comme la crise finale de l’Italie centrale avant la réunion du congrès. Cette crise, à laquelle n’ont pas manqué les incidens imprévus et les contradictions logiques, s’est heureusement terminée par une sorte de compromis. Quel que soit le jugement que l’on porte sur les griefs des diverses provinces de l’Italie centrale, sur le rôle que chacune d’elles joue dans les événemens actuels et sur le caractère du mouvement annexioniste, il est impossible de méconnaître que les dictateurs, en appelant les assemblées à conférer la régence au prince de Carignan, obéissaient à une pensée d’ordre et de conservation. L’on en a eu la preuve par la retraite de Garibaldi et par la publicité donnée depuis aux desseins que nourrissait ce hardi partisan. Le statu quo pesait en effet à Garibaldi, et il voulait faire dans les états pontificaux, et même dans le royaume de Naples, une pointe qui eût remis tout en feu, et qui eût enlevé à l’Italie révolutionnée ce mérite de la conservation de l’ordre, dont le congrès, il faut l’espérer, lui tiendra compte. Pour maintenir la paix, il fallait modérer les impatiences du parti extrême, et pour obtenir la patience des exaltés, il fallait donner une satisfaction à leurs espérances en faisant un pas nouveau dans le sens de l’union. Les situations révolutionnaires imposent de tels compromis, et l’on est bien heureux lorsqu’avec ces ménagemens l’on peut les sauver des excès. La régence du prince de Carignan était la transaction indiquée par les circonstances. Depuis longtemps déjà, un de nos amis de Toscane, M. Matteucci, qui avait eu occasion à Turin de faire sur ce point au prince de Carignan des ouvertures dont le prince lui a témoigné sa reconnaissance par une lettre récente, avait indiqué ici même cette régence comme la meilleure des solutions provisoires pour l’Italie centrale. Les dictateurs s’étaient arrêtés à ce projet dès les premiers jours du mois d’octobre, et la surprise qu’ils ont montrée et que l’on a éprouvée à Turin lorsqu’à paru la note du Moniteur qui désapprouvait la régence du prince serait un fait singulier, s’il ne fallait y voir autre chose que l’effet du premier échec subi par l’optimisme systématique des Italiens depuis plusieurs mois. Quoi qu’il en soit, cette note produisit à Turin une vive émotion, si elle ne mit pas en désarroi les conseillers du roi Victor-Emmanuel. On sait que plusieurs chefs importans du libéralisme piémontais furent appelés à un conseil où il fut décidé que la vice-régence de M. Boncompagni serait substituée à la régence du prince de Carignan. M. Ratazzi, en annonçant cette résolution au roi, ne lui cacha point, dit-on, que le ministère était prêt à se retirer, si la vice-régence de M. Boncompagni n’était pas adoptée. Le roi ne pouvait évidemment pas accepter la dissolution de son ministère. Qui aurait-il pu appeler ? M. d’Azeglio, avec cette chevaleresque franchise qui le distingue, a épousé le mouvement actuel sans garder ces diplomatiques ménagemens qui rendent, comme on dit, un homme possible. Malheureusement les circonstances qui ont déterminé M. de Cavour à sortir du pouvoir ne semblent pas lui permettre encore d’y rentrer. Fallait-il essayer d’un cabinet Revel-Menabrea ? Mais c’était rentrer dans une politique exclusivement piémontaise, abandonner à lui-même le mouvement italien, c’est-à-dire exposer l’Italie à de grands désordres : à un tel parti la droiture du roi Victor-Emmanuel répugnait invinciblement. La retraite sur la vice-régence de M. Boncompagni était donc l’extrême concession que le Piémont pouvait faire. On l’a facilement compris à Paris, comme nous l’avons vu par une (Seconde note du Moniteur ; il a été plus difficile de convaincre l’Autriche, et c’est au temps que l’on a dû employer à surmonter ses objections qu’il faut attribuer le retard qu’a subi l’expédition des lettres pour le congrès. Ce n’est pas le seul inconvénient qu’ait eu cet incident. La régence une fois reconnue impossible, il semble que la vice-régence de M. Boncompagni, désigné par le prince de Carignan, devait satisfaire les Italiens, qui se sont récemment montrés si habiles à prêter aux actes politiques la signification qui leur plaît. Cet expédient donnait encore beau jeu à cette subtilité d’interprétation que nous signalions en eux il y a quelques jours. Nous n’avons eu pourtant que des gloses françaises, assez comiques par leurs variations, sur la question de savoir s’il fallait attacher le même sens qu’à la régence du prince de Carignan à la vice-régence de M. Boncompagni, désigné par le prince. M. Minghetti pour les Romagnes, M. Peruzzi pour la Toscane, s’étaient montrés assez accommodans sur cette demi-solution ; mais M. Ricasoli à Florence a voulu cette fois mettre les points sur les i. Il faut dire, pour la défense du dictateur de Florence, qu’il a révélé depuis plusieurs mois des qualités qui ne lui permettent guère de devenir le simple subordonné de M. Boncompagni. Le baron Ricasoli, avec sa vigueur féodale, est comme un homme du XVIe siècle transplanté dans notre civilisation : il est un des caractères les plus saillans qu’ait produits la révolution italienne ; mais enfin ses répugnances ont cédé comme celles de l’Autriche, et grâce aux concessions qu’il a su faire, qui ont dû lui coûter beaucoup en effet, le danger d’une dissidence éclatant entre la Toscane et le reste de l’Italie centrale, entre Florence et Turin, est aujourd’hui conjuré. Parmi les concessions personnelles qui ont empêché la crise d’avoir de redoutables conséquences, il faut compter aussi en première ligne la retraite du général Garibaldi. La démission du général, garantie d’ordre dans le présent, sert aussi pour l’avenir la cause de l’Italie, car elle laisse entrevoir les extrémités que l’on affronterait, si, en négligeant leurs vœux, on exposait les Italiens aux tentations du désespoir.

Le congrès trouvera sans doute le parlement piémontais rassemblé, et les vœux de l’Italie auront là un organe public et retentissant. Du reste, les dispositions de l’Italie centrale demeurent inébranlablement contraires aux restaurations. Les témoignages d’observateurs très modérés, et très peu enclins aux illusions et aux partis extrêmes, nous dépeignent l’antipathie contre le grand-duc comme ayant pris en Toscane un caractère plus déterminé et plus général. Toutes les classes se prononcent contre l’ancien ordre de choses. On ne pardonne pas à la maison de Lorraine d’avoir retiré la constitution, d’avoir appelé les Autrichiens en 1849, lorsque le pays lui-même avait accompli spontanément la restauration, d’avoir ruiné les finances pour payer l’armée étrangère, aboli la loi léopoldine pour faire un concordat avec Rome, supprimé la loi municipale, ruiné l’université de Pise et laissé systématiquement péricliter les institutions d’instruction publique par lesquelles la Toscane avait exercé si longtemps une éclatante influence sur la culture intellectuelle de l’Italie. La force du gouvernement actuel est très grande, et nous n’avons pas de peine à le croire. C’est en effet un gouvernement national, composé d’honnêtes gens et d’administrateurs éclairés, qui représente une grande réparation faite au patriotisme de la Toscane. Aussi nous assure-t-on que ce n’est point la situation de ce pays qui doit alarmer les amis de l’Italie, que le provisoire n’est point dangereux pour lui, et qu’il vivra parfaitement et tant qu’on voudra sous son régime actuel. Il n’est peut-être pas permis d’avoir la même confiance pour les Romagnes ; il sera pourtant difficile au congrès de surmonter la résolution que témoignent les Romagnols contre une restauration pontificale. Le gouvernement des Romagnes vient de publier une note circulaire à ses agens à l’étranger qui est un plaidoyer, suivant nous irréfutable, en faveur de l’indépendance de cette province. Il ne sera permis à personne de voir dans cet écrit un factum révolutionnaire. Par l’élévation de la pensée, la force de l’argumentation, l’abondance et le caractère des preuves, la dignité du ton et la fermeté modérée du langage, c’est un véritable papier d’état et un des plus remarquables qu’il nous ait été donné de lire depuis longtemps. Devant une réunion de véritables hommes d’état, devant cette assemblée de gentlemen qui, comme disait le Times, doit former le congrès, il est impossible que l’on croie pouvoir se défaire avec un simple froncement de sourcil d’un exposé qui porte en soi une telle autorité de justice et de raison. La note de M. Pepoli arrêtera sans doute sérieusement le congrès.

Si l’on s’en tient à ce qui s’est passé dans la diète, les affaires de la confédération germanique n’ont pas fait depuis quinze jours de progrès visible. Les propositions de réforme partielle du pacte fédéral qui avaient été présentées à la diète par divers états secondaires ont été renvoyées à des commissions spéciales, qui n’apporteront vraisemblablement pas dans leurs travaux une précipitation insolite. L’affaire de la Hesse-Électorale se tend de jour en jour, si l’on en juge par les votes de la chambre hessoise, par les communications du gouvernement électoral à la diète et par le départ de Berlin et de Cassel des agens respectifs de la Hesse et de la Prusse ; mais dans la phase actuelle, le gros événement est la réunion à Wurtzbourg des représentans des états secondaires. Sous l’inspiration du spirituel et actif ministre de Saxe, M. de Beust, et du représentant plus rêveur et plus diffus de Bavière à la diète, M. de Pfordten, les états secondaires essaient encore une fois de constituer un groupe intermédiaire entre les deux grandes puissances allemandes. L’agrégation des états secondaires, si elle parvenait à s’organiser, serait un organe assez respectable de l’Allemagne, car elle représente plus de 18 millions d’Allemands, c’est-à-dire une vraie population germanique, plus nombreuse que la population prussienne et surtout bien plus considérable que les sujets allemands de l’Autriche ; mais les efforts de M. de Beust seront-ils plus heureux aujourd’hui qu’ils ne l’ont été dans le passé ? Sans vouloir décourager sa persévérance, nous nous permettrons d’en douter. Ordinairement les petits états commencent leur levée de boucliers contre l’une des deux grandes puissances et avec le concours de l’autre. Pendant la guerre d’Orient, c’est contre l’Autriche que M. de Beust menait les petits états, et la Prusse venait à la rescousse. Aujourd’hui l’on en veut à la Prusse, et l’on s’inspire ou l’on s’appuie de l’Autriche. Ordinairement aussi il arrive qu’après que les petits états se sont bien démenés, les deux grandes puissances s’entendent par-dessus leur tête, et arrangent à leur guise les affaires fédérales. Les questions purement fédérales occupent sans doute le petit congrès de Wurtzbourg ; mais nous ne serions pas surpris que l’éventualité du grand congrès européen ne tînt une plus grande place encore dans les desseins des meneurs des petits états allemands. Leur ambition constante a été de participer directement eux-mêmes, par un représentant spécial de la confédération, aux délibérations des grandes puissances européennes. L’Autriche et la Prusse, disent-ils, ont des intérêts propres trop distincts pour représenter l’Allemagne dans les conseils de l’Europe, et la confédération germanique est un corps politique trop considérable pour qu’il soit possible de lui refuser sa place dans les conseils européens. Ce n’est pas nous qui donnerons tort à cette argumentation des états secondaires de l’Allemagne ; mais nous craignons fort qu’ils ne réussissent guère à forcer l’entrée du congrès de 1860, et qu’ils ne soient en train de faire, suivant leur habitude, beaucoup de bruit pour rien.

L’Espagne est définitivement engagée dans sa guerre d’Afrique. Tandis que notre brillante et courte campagne finit, et que le corps expéditionnaire français est déjà rentré sur notre territoire, après avoir infligé une vigoureuse correction aux tribus indisciplinées du Maroc, l’armée espagnole paraît sur la côte, africaine. Les débarquemens de troupes se succèdent. Le général O’Donnell est parti de Madrid, il y a quelques jours, pour aller prendre lui-même le commandement de l’expédition, et tout est en mouvement dans le midi de l’Espagne. Les hostilités ont même déjà commencé, et ces premiers combats, comme on devait le penser, ont été tout à l’honneur des armes espagnoles. D’un autre côté, les cortès viennent d’être suspendues à Madrid après avoir voté le budget au pas de course. Et puisqu’il s’agit de guerre, on pourrait dire que le président du conseil, avant de partir, n’a point négligé d’assurer ses positions en créant cinq grands commandemens militaires qu’il a confiés à des généraux sur lesquels il peut compter. Voilà donc le gouvernement espagnol libre de toute entrave parlementaire, rassuré sur la paix intérieure, et uniquement occupé de la guerre d’Afrique. Mais que va-t-il faire dans le Maroc ? C’est peut-être la question qui s’élève aujourd’hui plus que jamais après la publication des dépêches récemment échangées entre le cabinet de Madrid et le gouvernement anglais. L’armée espagnole obtiendra des succès sans nul doute ; elle battra les Marocains, elle ira camper dans leurs villes et occupera leurs ports. Tout ce qui est militaire, nous voulons le mettre hors de contestation ; c’est le caractère politique de la guerre qui vient de s’obscurcir d’un nuage. Au moment présent, si nous ne nous trompons, le plus grand embarras n’est pas pour le général O’Donnell, chargé de faire une campagne avec de vaillans soldats ; il est bien plutôt pour le cabinet qu’il a laissé à Madrid aux prises avec ce désenchantement d’opinion qui s’est produit aussitôt qu’on a connu les incidens diplomatiques qui ont précédé la guerre. Pour tout dire, la diplomatie espagnole a été moins heureuse que ne le seront indubitablement les soldats campés aujourd’hui devant Ceuta.

À considérer les intérêts de l’Angleterre et sa position à Gibraltar, à voir l’animation des journaux de Londres dans ces derniers temps, on ne pouvait douter que l’expédition préparée par le cabinet de Madrid contre le Maroc ne fût pour le gouvernement anglais l’objet d’une vive et pressante sollicitude. On peut voir aujourd’hui par les pièces mêmes de cette négociation, qui a été comme le prologue de la guerre, ce qu’il a fallu pour désarmer l’Angleterre, à quel prix elle a laissé s’accomplir l’expédition espagnole. L’Angleterre, on ne saurait le nier, va droit au but, elle fait ses conditions d’une façon qui pourrait paraître impérieuse. Une déclaration de désintéressement ne lui suffit pas : elle demande au gouvernement espagnol l’engagement écrit de ne poursuivre aucune conquête dans le Maroc, de n’occuper aucun port d’une manière permanente, de se retirer de toutes les positions conquises aussitôt après la ratification d’un traité de paix, et il est expressément stipulé que c’est immédiatement après la ratification de la paix, non après l’exécution des conditions. Ce n’est point vraiment dans son intérêt que l’Angleterre, maîtresse de Gibraltar, tient tant à ce que l’Espagne n’occupe aucun point de la côte d’Afrique dans le détroit ; c’est afin que la puissance espagnole ne puisse gêner la liberté de la navigation ! Le cabinet de Madrid s’est résigné à prendre les engagemens qu’on lui demandait, et il les a pris par écrit, comme on le lui demandait ; il s’est obligé d’avance à n’occuper aucune position qui pourrait, dit-il, « assurer à l’Espagne une supériorité périlleuse pour la navigation ; » il s’est interdit toute conquête, tout agrandissement, et il a réservé sa liberté pour le reste, de sorte que tout considéré, à moins que, comme on l’a laissé croire un instant à Madrid, il n’y ait d’autres documens qui neutralisent jusqu’à un certain point la portée de ces engagemens et réservent d’une façon plus explicite la liberté d’action du gouvernement de la reine Isabelle, l’Espagne se trouverait engagée dans une entreprise dont elle ne pourrait attendre qu’un prix problématique. En tirant son épée, elle se serait lié les mains !

S’agit-il simplement d’infliger un châtiment aux Maures, d’obtenir des réparations ou des indemnités ? Tout cela, le plénipotentiaire de l’empereur du Maroc l’accordait avant la guerre, et même il consentait en principe à une extension de territoire nécessaire à la sûreté de la place de Ceuta. L’Espagne, il est vrai, restait sans garanties contre de nouvelles insultes, par la raison bien simple que l’empereur du Maroc n’est pas maître chez lui ; mais comment cet empereur battu pourra-t-il offrir des garanties plus sérieuses ? Et dans tous les cas n’y a-t-il pas une singulière disproportion entre l’objet de l’expédition réduit à ces termes et l’immense déploiement de forces qu’on voit en ce moment au-delà des Pyrénées ? C’est là ce que l’opinion s’est dit instinctivement, et l’opinion, qui avait pris feu au premier bruit de la guerre contre les Maures, a été subitement déçue par la divulgation des incidens diplomatiques de l’expédition. Le sentiment national, si puissant et si fier en Espagne, s’est trouvé blessé de la hauteur avec laquelle l’Angleterre a fait ses conditions et de la résignation avec laquelle le cabinet de Madrid s’est laissé dicter des engagemens si péremptoires. Ces dépêches ont fait souffrir l’esprit patriotique autant que la guerre l’avait exalté. Voilà la vérité. La situation n’en est pas plus facile pour le général O’Donnell, qui ne pourra peut-être effacer ces impressions que par de grands succès militaires et par l’imprévu, qui a sa place dans toute guerre. Il n’y a plus aujourd’hui qu’à attendre les événemens et à voir ce qui peut sortir de cette lutte, limitée d’avance dans ses effets par la diplomatie. e. forcade.



ESSAIS ET NOTICES

LES MASQUES ET BOUFFONS DE LA COMEDITE ITALIENNE[1].


Qui ne connaît ces tableaux et ces estampes du siècle dernier où la nature et les personnages sont représentés dans un état de convention qui fait d’abord sourire, qui fait ensuite rêver, groupes charmans que Watteau excellait à peindre ? C’est un idéal maniéré sans doute, mais enfin c’est un idéal dont l’harmonie est visible et le charme certain. Dans ce pays enchanteur peuplé de gentilshommes, de baladins et d’héroïnes galantes, Regnard a placé la scène de ses Folies amoureuses, Lesage son château de Lirias, tous les poètes de l’époque leur retraite désirée jusqu’au jour où Jean-Jacques est venu bâtir sur ces ruines d’opéra sa maison blanche à volets verts. L’Italie a presque seule inspiré ces poses et ces costumes. De belles dames poudrées et fardées traînent leurs manteaux de velours et leurs robes de satin sur les marches d’un escalier de marbre rose. Les unes, au bras de leurs amans, cherchent les allées ombreuses ; d’autres écoutent le récit fait en beau style de quelque aventure ou le sonnet déclamé par un cavalier vêtu d’un pourpoint couleur céladon. Partout c’est un babil capricieux et pétulant où se croisent les joyeuses médisances et les impertinentes déclarations. Égaré par Crispin, Pantalon cherche en le maudissant son libertin de fils Orazio : il est derrière cette charmille, qui joue de la flûte aux pieds de Silvia. La liberté la plus aimable règne dans cette heureuse région, où les arbres bizarrement taillés ne laissent pénétrer qu’un air tiède et une douce lumière. Sur le devant, Pulcinella gambade en ricanant, tandis que Pierrot, raide et les bras collés au corps, ouvre sa grande bouche étonnée ; Mezzetin, tout en raclant sa guitare, poursuit les yeux au ciel quelque songe intérieur. Arlequin présente avec un salut ironique sa batte de bois au vieux capitan Spezzafer, qui s’appuie tristement sur l’épaule de son petit-fils Scaramouche, devenu marquis… en Espagne. Puis, vers les derniers plans, tout un monde de masques, de femmes et de bouffons circule, se mêle et s’évanouit dans une brume rosée…

C’est ce monde chimérique que M. Maurice Sand vient aujourd’hui nous raconter avec la plume et le crayon. L’an dernier, à pareille époque, il ornait de dessins originaux et gracieux une poétique narration des Légendes rustiques du Berri. En faisant succéder aujourd’hui les types de la comédie italienne aux Lavandières de nuit et au Meneu de Loups, le jeune artiste agrandit simplement le cercle de ses études et demeure en réalité sur le même terrain. Critiques bouffonnes du présent, souvenirs touchans ou terribles du passé, ces formes diverses de ce que Mme Sand nomme la fabulosité traduisent également les espérances ou les craintes de l’imagination populaire. Un monde fantastique peuple à la fois cette littérature orale et cette littérature improvisée ; mais celle-ci, plus libre et moins émue, est l’expression hardie des sens, l’organe naturel d’une foule toujours prête à se passionner pour des masques grotesques qui débordent de verve, d’insolence et de raillerie. La Commedia dell’arte, tel est le nom sans équivalent dans notre langue de ce genre d’improvisation appliquée à l’art dramatique, est certainement l’expression la plus intéressante et la plus fidèle du génie de la race italienne. Pour réunir ses personnages, elle a mis à contribution, en leur empruntant leur patois et leurs habitudes particulières, tous les groupes de la péninsule. Enfin elle est parvenue à représenter sous la forme la plus vive et la plus saisissante, en même temps que les instincts les plus naïfs de la créature humaine, toutes les variétés du caractère national. On ne saurait donc refuser à ses masques et bouffons, malgré leur impuissance à s’élever jusqu’à la comédie véritable, l’honneur d’une histoire spéciale.

Cette histoire, que l’on a pu lire en partie dans la Revue[2], est complétée en beaucoup d’endroits par les recherches de M. Maurice Sand. On pourrait peut-être désirer que les curieux détails dont ce livre abonde fussent unis par une méthode plus rigoureuse et fécondés par quelques considérations générales. Toutefois, si M. Maurice Sand laisse au lecteur le soin de tirer lui-même ses conclusions, il ne néglige aucun des petits faits qui peuvent l’éclairer. Il nous donne d’abord au moyen de l’analyse une idée très nette de la comédie de l’art. Les essais de représentation en ce genre dont il a été le témoin, et qu’il raconte spirituellement, lui fournissent d’instructives et amusantes observations de mise en scène. C’est un fait acquis à la critique moderne que la nécessité, pour toute forme de l’art qui tend à se renouveler ou à se connaître elle-même, de remonter d’abord à ses sources. Ces types du théâtre italien, qui sont dus plutôt aux sentimens et aux passions d’un peuple qu’aux conquêtes rationnelles de son intelligence, M. Maurice Sand les prend à leur naissance et les suit patiemment jusqu’à nos jours dans les inévitables transformations qu’ils doivent aux années et aux événemens politiques. Il n’oublie pas de les accompagner dans leurs excursions transalpines. La France, on le sait, se les appropria presque tous, et leur imprima le cachet de ses mœurs et de ses traditions. Au XVIIIe siècle, elle fit, en la modifiant, de la commedia dell’arte un genre nouveau de son théâtre, se souvenant avec raison que Molière lui avait quelquefois repris son bien. C’est de cette influence réciproque que résulte pour nous le principal intérêt des figures dramatiques de l’Italie.

Les masques et bouffons qui composent l’ensemble de la comédie italienne sont en très grand nombre : chaque bourg, chaque patois a son représentant. M. Maurice Sand a eu l’heureuse idée de les classifier pour ainsi dire scientifiquement, en ramenant chaque variété à l’espèce, chaque espèce au genre. Un rapide examen de ces principales figures dans leurs détails les plus caractéristiques ne peut manquer d’offrir quelque intérêt. — Arlequin, le premier et le plus populaire, le Panniculus des Atellanes reconnaissable à la batte et au chapeau, est l’un des deux zani[3] bergamasques, dont l’autre porte le nom de Brighella. Celui-ci, personnage flagorneur et mielleux, est la souche de tous les valets fourbes et intrigans. Sa lignée française est nombreuse : Scapin, Sbrigani, Mascarille, Frontin, Labranche et Figaro le reconnaissent pour père. Il a volontiers la plaisanterie féroce : « J’ai vécu, dit-il, dans le théâtre de Gherardi[4] six ans avec ma première femme sans avoir le plus petit démêlé. Une fois seulement, après avoir pris du tabac, je voulais éternuer : elle me fit manquer mon coup. De dépit, je pris un chandelier et lui cassai la tête. Elle mourut un quart d’heure après. Voilà le seul différend que nous ayons eu ensemble. » Arlequin est moins méchant ; il a même commencé par être un niais, un sot dont on se moquait, un balordo affatto ; son costume bariolé témoignait de sa misère. Plus tard, il a laissé à Pierrot son héritage de horions et de balourdises et s’est rappelé qu’il était le petit-fils de Mercure. Il est devenu fin, spirituel et diseur de bons mots ; il est l’amant de cœur de Colombine. Cependant toute gloire se perd : en Italie, il est relégué parmi les marionnettes ; en France, ce n’est plus qu’un mime de tradition.

Venise, où vécurent et brillèrent les poètes Calmo et Baffo, Gritti et Lamberti, Goldoni et Gozzi ; Venise, le foyer le plus littéraire de la commedia dell’arte, revendique comme sien le type le plus fécond en incidens comiques, le type de la dupe par excellence, Pantalon. Pantalon est l’anneau du milieu de cette longue chaîne de Gérontes qui commence au Pappus des Atellanes, se continue par le Philocléon d’Aristophane, le Déménète de Plaute et se termine par les Pasquale, Cassandre, Pandolphe, Orgon, Gorgibus, Harpagon, Sganarelle. La destinée de ce vieillard asthmatique, ladre, crédule et libertin, est d’être incessamment raillé, incessamment trompé. Ses filles sont coquettes, ses fils le volent, ses valets le dupent, les soubrettes le bernent. Est-il né à Bisceglia : les Napolitains, que son patois réjouit fort, lui font porter une perruque rousse ornée d’une queue en salsifis et l’appellent Cucuzziello (cornichon). On connaît le Cassandre français avec sa trogne rubiconde barbouillée de tabac et ses petits yeux enfoncés dans de gros sourcils. Voici comment l’un de ces vieillards insensés traduit parfois son naïf patriotisme. Regardant avec Arlequin des vaisseaux qui entrent dans le port : « Que disent les gens qui montent celui-ci ? demande-t-il. — Ils disent : Yes, yes. — Ce sont des amis. Et cet autre ? — Ils disent : Oui, oui. — Ce sont aussi des amis. Et ce troisième ? — Ceux-là disent : la, ia, — la ! ia ! Ce sont des porcs ! » — Le favori du public romain est aujourd’hui Cassandrino, petit vieillard élégant et propret, aimable et fin, avec le cœur crédule des vieux garçons. Se marie-t-il à quelque Babet, le titre qu’il prend alors à Sganarelle n’a plus rien d’imaginaire.

Mais quels sont ces gens qui viennent de Naples et s’avancent « d’un pas mustaphique, c’est-à-dire cheminant superbement les mains sur les costés, comme pots à anses, dédaignant moustachiquement tout ce qu’ils rencontrent[5] ? » À ce pourpoint rouge et jaune, à ce manteau barbelé, à ce chapeau de feutre roux surmonté d’une plume de coq rouge, à ce nez d’aigle, à cette rapière, à ces vastes bottes enfin, reconnaissez Spavento, Matamores et Fracasse, braves à trois poils, qui reçurent dans un endroit où il faisait fort chaud cette furieuse blessure vous savez où. Ils ont pour aïeul le général Bombomachides, petit-fils de Neptune. Ils mangent quelquefois comme Gargantua et sont plus souvent rossés comme Pierrot ; mais ils sont magnanimes et pratiquent volontiers l’oubli des injures. « Ils m’ont bien battu, mais je leur en ai dit ! » Ils finissent ordinairement par prendre du service sur les galères du roi. Falstaff est leur cousin, et Marco-Pepe, de Rome, qui embourse dix-neuf coups de nerf de bœuf sur vingt, marche dignement sur leurs traces. Les Romains prétendent seulement que Marco-Pepe est un Napolitain naturalisé.

Au-dessus, et bien au-dessus de ces principaux types qui représentent dans une mesure plutôt comique qu’exagérée les sottises et les malices de la bête humaine, se dresse cette figure vraiment extraordinaire, vraiment monstrueuse, de Polichinelle. C’est d’ailleurs le plus ancien et le plus noble. Il est né, dit’on, à Atella, entre Naples et Capoue ; mais son origine est plus haute, et son galbe grotesque se retrouve dessiné sur certains débris de la vieille Babylone et de l’antique Égypte. Était-il l’incarnation typique des élémens impurs adorés par les croyances païennes, ou bien représentait-il déjà la négation ironique des idéales destinées promises à l’homme ? C’est aux souvenirs osques qu’il doit surtout ses habitudes brutales, et aux orgies de Caprée, dont-il fut le témoin, ses cruautés lascives. Comme Mardoche, il a fait ses classes de bonne heure, et acquis de la vie une rude expérience ; son enfance a été malheureuse : sa nourrice l’ayant laissé tomber sur le dos, puis sur le ventre, il en est résulté ces deux bosses qui ne l’empêchent pas de réussir auprès des femmes, car il sait être avec elles insolent et caustique. Tout jeune, il avait cette voix de poulet qui lui a fait donner son nom [pullus gallinaceus, pulcino, pulcinella), et que la pratique lui a conservée. Ce qui distingue Pulcinella, c’est son froid égoïsme et sa férocité goguenarde. Il est pourtant bonhomme, et il est parfois de belle humeur : c’est qu’il vient d’administrer à la morale une volée de coups de langue, au commissaire une volée de coups de bâton. À qui croit-il hors de lui-même ? Il fut un temps où il croyait au diable ; mais depuis qu’il l’a rossé et que Punch a tué Old-Nick, il est tombé dans un effrayant scepticisme et un profond découragement. Les enfans profitent de cet intervalle pour l’embrasser. « O Polichinelle, disait Charles Nodier toi dont la tête de bois renferme essentiellement dans sa masse compacte et inorganique tout le savoir et tout le bon sens des temps modernes ! »

Les figures secondaires de la comédie improvisée sont innombrables ; il en est quelques-unes que leur présence habituelle a rendues nécessaires et typiques, celles d’abord qui représentent la loi, la force, la justice, la morale… et l’hygiène. Les apothicaires et les médecins de Molière sont présens à la mémoire de tous ; le plus renommé en Italie, c’est le docteur bolonais Grazian Baloardo. On voit d’ici le notaire avec sa perruque à huit marteaux, sa robe noire, son nez bourgeonné, ses énormes lunettes, sa canne d’une main, son portefeuille de l’autre, plume à l’oreille. Alfred de Musset a fixé en deux lignes cette figure égrillarde et gourmande dans maître Capsucefalo, le notaire de la charmante comédie de Bettine. Tout cela se complète du procureur, du commissaire et du sbire. Une création napolitaine, Tartaglia, résume tour à tour ces différens types. George Sand, dans un de ses derniers romans, Daniella, a tracé de Tartaglia comme caractère italien de réalité moderne un très curieux portrait.

On a vu les pères et les valets, voici les enfans et les servantes. Ici les libertés de l’improvisation sont nécessairement contenues en de certaines limites, et la part de l’originalité est moins grande. Les amoureux ne se font remarquer que par une nullité profonde. Complètement conduits par leurs valets, on pressent qu’ils auront plus tard le sort de leurs pères. Ce ne sont pour le moment que héros de galanteries, pâture d’usuriers, mannequins pavoises de rubans, bourrés de madrigaux et ruisselant d’eaux de senteur. Il n’en faut point tant d’ailleurs pour toucher Clarice et soumettre Lucrèce : « Que vous êtes jolie ! — Vous êtes bien obligeant. — Oh ! point, je dis la vérité. — Vous êtes bien joli aussi, vous ! — Tant mieux ! Où demeurez-vous ? Je vous irai voir. » Lelio prête-t-il directement le flanc au ridicule : il devient alors le beau Léandre, ignorant, maladroit, poltron, recevant à l’endroit voulu les coups de pied destinés à Pierrot. Colombine, à laquelle il daigne parfois descendre, fait fi de sa noblesse et lui préfère Arlequin. — Naturellement les filles sont plus intéressantes. Il faut si peu de chose pour composer un caractère de femme à la scène ! Avec quelques nuances seulement d’Isabelle et de Silvia, Molière fait Agnès et Henriette. — Les soubrettes enfin sont vraies maîtresses de Mascarille et vraies filles de Brighella : paysannes malicieuses ou confidentes rusées, elles trompent pères, maîtres, tuteurs, maris, amans, pour le moindre bijou, que dis-je ? pour le seul plaisir de tromper.

Enfin il ne faut pas oublier ce monde si curieux de comparses et de bouffons qui s’agite au dernier plan, et que Callot a si bien reproduit dans ses Petits Danseurs. M. Maurice Sand a rassemblé sur ce sujet de nombreux et intéressans détails. On sait que le véritable titre de ce recueil de Callot est i Balli di Sfessania (danses fescenniennes). Fescennia, petite ville de la Gaule Cisalpine, dont les ruines se voient encore à un quart de lieue de Galesa, peut disputer aux traditions grecques et osques, aux influences napolitaines, l’honneur d’avoir répandu dans le nord de l’Italie la commedia dell’ arte. Toujours est-il qu’elle donna naissance à une spécialité de bouffons que les Romains appelaient mimi septentriomis, qu’elle inventa un genre de vers satiriques, de nature primitive et d’expression grossière, dont Horace a dit :

Fesccanina per hunc inventa licentia morem
Versibus altérnis opprobria rustica fudit.


Les acteurs fescenniens dansaient presque nus en s’accompagnant de castagnettes ; ils font suite directe aux acrobates grecs, aux funambules latins et aux phallophores de Sicyone. Qui n’a feuilleté les dessins de Callot ? Qui ne se rappelle ces créatures longues et osseuses, vêtues d’habits collans, ces mimes barbus enveloppés dans de larges pantalons, portant longue plume au chapeau et sabre de bois ? Qui ne se souvient de Pasquariello et de Cucorongna, de Trastullo baisant la pantoufle de Lucia, de Franca-Trippa et de Fritellino, qui dansent en s’accompagnant l’un de son sabre de bois, l’antre d’une mandoline ?

Telle apparaît au premier coup d’œil l’immense variété de personnages qui peuplent la comédie improvisée. M. Maurice Sand les a tous soigneusement décrits, en cherchant la raison de leurs mille nuances dans les circonstances locales et aussi dans le jeu varié des bouffons célèbres qui ont tour à tour rempli ces rôles. Un fait digne de remarque, c’est le peu d’importance du faiseur de libretti à côté du type dramatique et du comédien.. Toute la part de l’auteur consistait dans un canevas léger que l’acteur développait à son gré et sans efforts. Il lui suffisait de se laisser aller à l’inspiration du moment, assuré qu’il était, en obéissant à ses seuls instincts, de satisfaire un public qui, au lieu de juger, ne demandait qu’à partager la sensation. Aussi la supériorité de la commedia dell’ arte sur la comédie noble et soutenue réside-t-elle plutôt dans l’interprétation que dans la conception. Il n’eût pas fallu à l’Italie moins qu’un Molière pour composer la comédie de caractères avec la comédie improvisée. Quelques-uns tentèrent cette difficile transformation. Au premier rang, M. Maurice Sand place Angelo Beolco, dit Ruzzante ( bouffon), qui naquit à Padoue au commencement du XVIe siècle. Ruzzante fut-il supérieur à Gozzi comme inspiration humoristique, à Goldoni comme fine observation et facilité heureuse ? Il est permis d’en douter. Quoi qu’il en soit, il faut tenir compte à Ruzzante d’avoir voulu, avec une intelligence de l’art que ne soupçonnèrent pas ses contemporains, donner à l’Italie un théâtre écrit véritablement national. Acteur et auteur, comme Shakspeare et Molière, il fut le premier, avec Calmo et Molino, qui rédigea ces improvisations que les autres poètes oubliaient quand ils avaient quitté la scène. On sait que les artistes et les jeunes gens nobles se faisaient un honneur de monter sur les planches et d’y interpréter la commedia dell’ arte. Hoffmann, dans un de ses meilleurs contes, nous a montré Salvator Rosa jouant, avec quelle verve ! le rôle de signor Formica au théâtre romain de Nicolo Musso, et il l’a entouré de véritables types scéniques, tels que messer Pasquale Capuzzi, le docteur Splendiano Accoramboni, et l’infortuné nain Phichinaccio. Si Ruzzante n’atteignit pas complètement la comédie de caractères, il opposa du moins la comédie réelle à la comédie de convention. Presque tous ses personnages restèrent au théâtre comme des figures typiques, entre autres Truffaldin.

Enfin en 1528 Ruzzante composa sa première comédie en prose, où chaque rôle était écrit dans un dialecte différent. Il y avait là sans doute un grand progrès pour l’étude de mœurs et l’observation de la nature, mais n’était-ce point aussi enlever à la commedia dell’ arte le caractère général qui eût pu tôt ou tard la transformer ? Ruzzante voulait cette séparation complète, car il dit lui-même : « Personne ne veut plus parler sa langue, on veut contrefaire les Florentins ; c’est comme si moi, qui suis de Padoue, je voulais écrire en allemand ou en français. » Ce ne fut du reste que dans les dernières années de sa vie, — il mourut à quarante ans, — que Ruzzante eut l’idée d’écrire et de mettre en ordre la plupart de ses pièces. Tempérament mélancolique et railleur, délicat observateur des nuances, patriote éloquent, Angelo Beolco est lui-même un caractère curieux et sympathique. Des éclairs de tristesse et de vraie passion viennent illuminer sa gaieté bouffonne. L’observation directe qu’il faisait de la nature lui a inspiré quelques scènes d’une vérité et d’une beauté saisissantes. Avec lui, le cœur humain apparaît pour la première fois dans les types de la commedia dell’ arte. On peut en juger par le dialogue suivant, où l’analyse morale tient la première place. Messer Andronico a enlevé au paysan Bilora sa femme Dina. Bilora, qui aime sa femme et la regrette, vient la trouver et lui tient simplement ce langage : « Viens-t’en avec moi, sœur de ma foi, et je te tiendrai encore pour bonne et chère, comme tu l’étais auparavant. — Bonsoir, me voici, puisque tu m’as demandée. Comment te portes-tu ? Tu te portes bien ? — Moi ? bien, et toi ? — Avec l’aide du ciel. Je ne me trouve cependant pas trop bien, si tu veux que je te dise la vérité. Je suis assommée de ce vieillard ! Il est à moitié malade, il tousse toute la nuit à m’empêcher de dormir. À toute heure, il vient et revient me chercher pour me tourmenter, me prendre dans ses bras et m’embrasser. — Eh bien ! dis-moi, ne veux-tu pas retourner dans ta maison, ou veux-tu rester ici avec ce vieux, dis ? — Moi, je voudrais bien revenir, mais lui ne le veut pas. Il ne veut pas non plus que tu viennes ici. Si tu savais les attentions qu’il a pour moi, les caresses, qu’il me fait ! Par la fièvre ! il me veut joliment du bien, et j’ai grandement du bon temps avec lui. — Mais qu’importe qu’il ne veuille pas, si tu veux, toi ? Je vois bien le manège : tu ne le veux pas non plus, et tu me contes quelque mensonge. Eh ! dis ? — Que te dirai-je ? Je voudrais et je ne voudrais pas (vorràe e si no vorràe ). »

Cette scène de Ruzzante rend d’une manière bien pénétrante d’une part l’égoïste coquetterie innée aux plus misérables filles d’Eve, de l’autre cette douleur naïve et hébétée, ce regret, ce dévouement, ce pardon tacite où se condensent évidemment dans leur état embryonnaire tous les sentimens de l’homme. Si une pareille douleur fait avec la dignité et la morale des compromis dont la conscience ne peut plus rougir, comme la pente vers le meurtre devient facile ! Le drame se complète par un monologue où les indécisions et les désespoirs de la créature qui n’a que des instincts sont exprimés dans leur véritable langage. Bilora attend messer Andronico devant sa maison. Le tuera-t-il ? ne le tuera-t-il pas ? Écoutons-le. « Ce vieux a ruiné ma vie. Il vaudrait mieux qu’il fût mort et mis en terre. Si j’en croyais ma rage, je l’y aiderais bien. J’y pense ! quand il sortira de chez lui, je lui dirai son fait, et le malmènerai si bien qu’il en tombera tout de suite par terre, et alors, moi de taper dessus, en long, en travers, à lui faire sortir les tripes et la vie. Oui, mais il criera de peur, si je fais ainsi… Il vaut mieux procéder comme les soldats espagnols, il n’aura pas le temps de dire huit paroles. Tirons un peu mon coutelas de sa gaine ; voyons si la lame en est luisante. Par le cancre ! elle ne l’est guère, il n’en aura pas trop peur ; mais moi, Bilora, je saurai bien lui dire des injures épouvantables. Vieux maudit ! puisses-tu venir vite ! Je te veux d’abord enlever la peau des reins, et je te mène et je t’en donne tant et tant que je t’aurai bientôt tué ! Je lui prendrai ses vêtemens, je les emporterai, et pour n’avoir pas à craindre les dépositions, je les vendrai, ainsi que mon manteau, pour acheter un cheval et m’en aller bien loin. Je me ferai soldat, je vivrai dans les camps, parce que maintenant j’ai horreur de ma maison. Je la cède à qui la veut. Ah ! que je voudrais qu’il sortît ! Chut ! le voici !… le voilà sorti ! Le moment est bon, pourvu qu’il ne vienne personne. Il vient ! Ah ! maintenant il ne m’échappera plus ! »

En dehors des souvenirs de la représentation, la commedia dell’ arte n’a cependant laissé dans la littérature italienne aucun de ces monumens durables que fonde ordinairement en tout pays l’expression spontanée du génie national. Les types même les plus populaires finissent par être délaissés. Arlequin, Brighella et le docteur ne se démènent plus guère qu’au milieu des fantoccini. Trois types nouveaux ou renouvelés, mais sans grande originalité, occupent aujourd’hui l’Italie : Stenterello à Florence, Meneghino à Milan, Gianduja à Turin. Les bouffons créés en France à l’imitation italienne du XVIe au XVIIIe siècle ne se retrouvent plus que dans les déguisemens de carnaval. Ce n’est pas d’ailleurs sans raison que ces types se modifient et s’amoindrissent. À mesure que se répand le souffle de la liberté, que la civilisation fait des progrès, que les individus apprennent à se connaître et les peuples à se gouverner, la part laissée aux instincts diminue chaque jour. Or les types de la comédie improvisée personnifiaient surtout les divers instincts soit naïfs, soit artificiels de la nature humaine. Un inévitable défaut de caractère individuel les transformait peu à peu en abstractions incolores. Pour en sauver la monotonie, il ne fallait rien moins que les ressources satiriques du génie italien, que sa particulière intelligence de la bouffonnerie, qui trouvait dans l’improvisation un moyen d’éviter la censure et de braver la persécution politique ou religieuse. Enfin, malgré ce qu’elle a de charmant, de curieux et d’humoristique, malgré ce qu’elle prête à la connaissance des habitudes intimes de tout un peuple, on peut se demander si la commedia dell’ arte n’a pas exercé sur les destinées de la littérature dramatique en Italie une influence regrettable, si la faveur exclusive dont elle jouissait auprès du public n’a pas singulièrement contrarié le développement de la comédie de mœurs et de caractère. Ses masques sont-ils donc autre chose que des figures conventionnelles qui, en désignant constamment sous le même costume le même vice ou le même ridicule, n’éprouvent à le généraliser ! aucune difficulté ? La comédie de l’art fait bon marché de l’harmonie, de la vraisemblance et de la progression de l’intérêt dramatique, pour s’attacher uniquement à l’imprévu. Les procédés qu’elle emploie se dérobent à l’étude pour ne relever que de la fantaisie. De plus, condamnée à se renfermer dans les étroites limites de la bouffonnerie, elle se refuse toute excursion dans le domaine des sentimens véritablement élevés, véritablement moraux. Voltaire en avait fait la judicieuse remarque. « Goldoni, dit-il à propos de la fameuse apostrophe du Menteur, n’a pu imiter dans son Bugiardo cette belle scène de Corneille, parce que Pantalon Bisognosi, marchand vénitien, le père de son menteur, ne peut avoir l’autorité et le nom d’un gentilhomme. Pantalon dit simplement à son fils qu’il faut qu’un marchand ait de la bonne foi. »

On attribue volontiers à l’influence de la comédie de l’art quelques-uns des chefs-d’œuvre de Molière ? mais Molière a su simplement faire valoir cette forme dramatique et se l’approprier. Attachait-il d’ailleurs une souveraine importance à ces imbroglios destinés aux divertissemens de la cour ? Il les écrivait rapidement, et la main du maître ne pouvait faire moins que d’y laisser son empreinte. On connaît la réponse railleuse de ce grand génie à quelque esprit intelligent qui s’inquiétait sans doute de ces imitations italiennes : « J’ai vu le public quitter le Misanthrope pour Scaramouche, j’ai chargé Scapin de le ramener, n Il n’est donc pas vrai de dire, et le vieillard qui applaudit le premier aux Précieuses ridicules le savait bien, que sans la commedia dell’ arte Molière n’eût pas créé la véritable comédie française. Elle n’est pas dans l’Amour médecin ou le Mariage forcé, la véritable comédie française : elle est dans Tartufe, elle est dans le Menteur, elle est dans l’étude des caractères, et non pas dans l’adroite mise en scène de situations comiques ou dans le défilé interminable des caricatures réalistes. On serait presque tenté de voir un retour direct à la commedia dell’ arte dans cette latitude laissée aujourd’hui à l’acteur de suivre l’inspiration du moment, dans ces mouvemens mécaniques et prévus de marionnettes agaçantes qui n’ont ni caractère ni personnalité. Cette fâcheuse tendance est malheureusement trop visible, et n’a-t-elle pas pour origine l’erreur ou l’orgueil de l’écrivain, trop disposé à nous présenter le premier ridicule grossi par un acteur vulgaire comme une faculté générale et typique ?

Toutefois, si l’on détourne les yeux de ces tourmens stériles de l’improvisation moderne, il faut rendre dans le passé pleine et entière justice à la comédie de l’art. Reflet capricieux de la plus mobile fantaisie, elle était composée d’élémens si subtils, qu’ils pouvaient difficilement se grouper et prendre corps dans une œuvre. Avec ces qualités fugitives, avec les attraits si fragiles de l’imprévu, elle a gouverné pendant des siècles cette race ardente,

Ce peuple ami de la gaité,
Qui donnerait gloire et beauté
Pour une orange,


cette nation amoureuse des contemplations extérieures, qu’attiraient d’un autre côté les formes les plus pures et les plus sévères expressions du beau plastique. Mais la meilleure part de gloire de la commedia dell’ arte, son droit le plus certain à revendiquer dans le domaine de la pensée une place supérieure, c’est l’influence qu’elle a exercée sur certaines imaginations. Illuminez un peu son obscur théâtre, et aussitôt vous verrez se grouper autour d’elle tous les esprits inquiets, toutes les âmes mécontentes de la réalité, ces poètes, ces musiciens, ces peintres, qui ne peuvent saisir leur idéal que dans le rêve et l’hallucination. C’est elle qui leur ouvre les portes des régions fantastiques où ils s’égarent ; c’est elle qui leur montre, agissant et parlant, ces êtres bizarres dont, ils soupçonnent les monstruosités morales et les difformités physiques. Callot, Charles Gozzi, Hoffmann, ces débauchés de la fantaisie, venaient chercher là l’enveloppe matérielle de leurs créations, et leur pensée, comme un papillon aux mille couleurs, s’échappait féconde et vive de ces chrysalides indécises de la bouffonnerie italienne, dont il faut encore une fois remercier M. Maurice Sand d’avoir établi la classification et raconté l’histoire avec la verve du peintre soutenue par la curiosité de l’érudit.

Eugène Lataye.

  1. 2 beaux volumes grand in-8o ; texte et dessins par Maurice Sand, gravures par A. Manceau, chez Michel Lévy.
  2. Voyez les études de MM. Ferrari, Ch. Magnin et Frédéric Mercey.
  3. Sanniones, bouffons.
  4. La troupe italienne appelée à Paris en 1645 par Mazarin commença à donner des pièces françaises le 22 janvier 1682 ; elle occupait alors, après la réunion des théâtres français, la salle de l’hôtel de Bourgogne. Évariste Gherardi, qui en devint le directeur, lui fit représenter un grand nombre de ses ouvrages. La plupart, qui offrent une alliance curieuse de l’esprit français et de la bouffonnerie italienne, sont réunis sous ce titre : Le Théâtre-Italien, ou le Recueil de toutes les Comédies et Scènes françoises jouées par les comédiens italiens du roy pendant tout le temps qu’ils ont été au service.
  5. Œuvres de Tabarin.