Chronique de la quinzaine - 31 janvier 1846

Chronique no 331
31 janvier 1846


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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31 janvier 1846.


Au moment où nous écrivons, les débats de l’adresse se prolongent encore à la chambre des députés. Tantôt brillans, tantôt traînans et confus, ils sont loin d’avoir épuisé la liste des questions à l’ordre du jour. L’opposition n’a aucune raison pour éviter les rencontres avec le cabinet ou pour les abréger ; au contraire, en les rendant aussi fréquentes, aussi graves que possible, elle travaille et réussit parfois à semer entre le ministère et ses propres amis des causes sérieuses de déplaisir et de mécontentement. Il est peu agréable à une majorité d’être contrainte coup sur coup à des votes d’où l’on puisse conclure qu’il lui est indifférent que l’administration soit pure ou les lois obéies. Alors l’opposition triomphe, car ses échecs parlementaires lui semblent bien compensés par l’impression qu’elle croit avoir produite tant sur l’opinion que sur le corps électoral.

Cette situation réciproque de la majorité et de l’opposition est, à nos yeux, nous l’avouerons, un spectacle assez triste, car de part et d’autre on se trouve entraîné à des actes, à des accusations dont, en suivant ses vrais instincts, on se fût abstenu. Les hommes graves de la majorité n’approuvent pas, à coup sûr, les excès de zèle dans lesquels peuvent tomber certains préfets, pas plus que dans l’opposition les esprits, sérieux ne voudront soutenir qu’il doit être interdit au gouvernement d’exercer sur les élections la moindre influence ; mais, comme on est rangé en bataille les uns contre les autres, on s’échauffe, on s’exalte : la modération, la vérité, succombent sous des exagérations que chaque parti impose à ses membres comme un devoir.

Au milieu de cette mêlée parlementaire, un fait a été remarqué, qui a paru nouveau à quelques-uns, et dont se sont affligés quelques autres : nous voulons parler de l’union de la gauche et du centre gauche. D’abord, cette alliance n’est pas nouvelle ; elle est, depuis quatre ans, le point de ralliement de toutes les forces de l’opposition ; puis elle n’a rien d’inquiétant pour la stabilité de l’avenir. Qui a perdu la restauration, si ce n’est la conviction où était le successeur de Louis XVIII qu’après un ministère royaliste, composé de ses plus dévoués serviteurs, il n’y avait plus d’administration possible, d’administration capable de gouverner et de sauver la monarchie ? En vain M. de Martignac épuisait, au service de la couronne, son énergie et son talent ; il se sentait suspect, et il en était désespéré. Que de fois ses intimes amis l’ont surpris ému jusqu’aux larmes des marques de défiance que ne lui épargnait pas une cour insensée ! Heureusement, aujourd’hui, la situation est autre. Si conservateur que l’on soit, on ne saurait nier que le gouvernement de 1830 a l’avantage de compter dans les rangs de l’opposition constitutionnelle des hommes aussi dévoués à sa cause, à sa perpétuité, que les membres de la majorité actuelle. Nous calomnierions le cabinet et ses amis, si nous ne pensions qu’ils sont les premiers à s’en féliciter.

Cette différence d’avec la restauration n’échappe pas aux partis extrêmes ; aussi attaquent-ils les représentans, les chefs du centre gauche et de la gauche avec la même violence que si ceux-ci étaient au pouvoir. Souvent même M. Thiers est plus assailli que M. Guizot. On ne pardonne pas non plus à M. Odilon Barrot et à ses amis de ne pas suivre avec une obéissance aveugle la consigne réformiste donnée par quelques journaux. M. Ledru-Rollin a eu l’insigne imprudence de se faire à la tribune l’organe de ces colères : il n’a pas compris qu’en exhumant du fond de quelques feuilles obscures de pareilles déclamations, pour les traduire au grand jour de la tribune, il en montrait lui-même toute la pauvreté, tout le néant. Sans le vouloir probablement, M. Ledru-Rollin avait l’air d’un auxiliaire du cabinet. Il semblait préoccupé du besoin, non pas d’attaquer le ministère actuel, mais un ministère futur ; c’est ce qu’a spirituellement relevé M. Duvergier de Hauranne, qui n’a pas voulu, pour son compte, coopérer à cette diversion singulière.

Il est remarquable, et ce n’est pas un des moindres gages de sécurité pour l’avenir, qu’au moment où l’on parle tant de l’union du centre gauche et de la gauche, le centre gauche a su garder toute la modération de ses opinions, sans permettre à une alliance qu’il a crue nécessaire de les altérer. Si M. Duvergier de Hauranne ne pense pas qu’à l’extérieur notre politique soit assez hardie, il n’est pas pour cela devenu partisan d’une politique de guerre, il a les mêmes opinions qu’au temps de Casimir Périer ; seulement il préfère les souvenirs d’Anvers et d’Ancône à ceux de Taïti et du Maroc. Jamais M. Thiers n’a parlé plus en homme de gouvernement, soit qu’il ait traité des questions étrangères, soit qu’il ait approfondi un des points les plus importans de la politique intérieure, c’est-à-dire la constitution de l’université. Dans cette dernière question, il a protesté hautement, il a fait plus, il a prouvé qu’il mettait à ses pieds toute préoccupation de parti, pour ne songer qu’à l’intérêt général.

Les débats de la chambre sur la question universitaire ont été remarquables par leur élévation, par leur éclat. Ils ont aussi le mérite d’avoir porté la lumière dans toutes les pensées, dans toutes les situations. Que M. le ministre de l’instruction publique ait été inspiré, en accomplissant la réforme du conseil royal, par les intentions les plus droites, par le plus vif désir d’accroître l’autorité morale de l’université, pour notre part, nous n’en avons jamais douté, et notre conviction avait devancé, sur ce point, les explications données à la chambre par M. de Salvandy. Ce point établi, il faudra convenir, d’un autre côté, que, lorsque l’opposition, par l’organe de M. Thiers, attaque les ordonnances du 7 décembre, c’est elle qui, dans cette circonstance, professe les opinions et les doctrines conservatrices. Ici les rôles sont intervertis, et ce changement ne se peut nier. Quand on a entendu M. Thiers regretter éloquemment une institution née de la force des choses, affermie par l’expérience, consacrée par trente années de pratique et de services rendus au pays, on ne peut avoir de doute sur l’esprit conservateur qui lui a si heureusement dicté un de ses plus éclatans discours. M. Saint-Marc Girardin se trouve faire au cabinet une opposition aussi spirituelle que modérée en défendant ce que le gouvernement ébranle.

Quels sont donc les graves motifs qui ont déterminé le pouvoir à prendre ainsi l’initiative d’un aussi grand changement dans l’organisation de l’université ? Des esprits soupçonneux avaient été chercher ces motifs dans une autre région que la sphère universitaire. On avait conjecturé que le cabinet n’avait pas sans quelque satisfaction adhéré à une réforme qu’il imaginait devoir être agréable à l’église, à la cour de Rome. C’est ce qu’avait indiqué à la fin de son discours M. Thiers avec précision et finesse. Toutefois l’honorable chef du centre gauche, en indiquant de cette manière quel procès de tendance on pouvait, pour ainsi dire, faire au cabinet, avait surtout insisté sur la question du fond, sur l’organisation même du corps universitaire. M. Guizot, au contraire, a surtout parlé des circonstances et des faits politiques au milieu desquels s’est accomplie la révolution qui a frappé le conseil royal.

Les insinuations sont désormais inutiles : la pensée du gouvernement a été avouée avec une hardiesse qu’on croit opportune. La réforme du conseil royal de l’instruction publique n’est plus une conception universitaire, c’est une combinaison politique. Au milieu des difficultés que présentait la rédaction de la loi sur l’instruction secondaire, dans le conflit des passions et des théories qui luttaient les unes contre les autres, le cabinet a imaginé qu’en portant la main sur le conseil royal, il arriverait à un grand résultat, qu’il parviendrait à pacifier les esprits. Il a fallu que sur ce point la conviction du ministère fût bien forte, car rien, on en tombe d’accord, n’appelait les coups de l’autorité sur le conseil : il était resté irréprochable. « Je n’ai eu, a dit M. Guizot, qu’à me féliciter du concours du conseil royal, quand j’ai eu l’honneur de le présider, et j’ai la ferme conviction que depuis cette époque, et à toutes les époques, et il y a trois mois encore, le conseil royal n’a jamais gouverné irréligieusement l’université ; j’ai la conviction que le respect dû à la religion, aux croyances religieuses, le soin de les favoriser, de les développer, ont toujours préoccupé la pensée de l’ancien conseil royal. » M. Guizot proclame aussi que le conseil royal n’a jamais été tyrannique. Il semble donc qu’il avait toutes les raisons possibles pour arrêter le bras de son collègue, M. le ministre de l’instruction publique. Malheureusement, quand M. de Salvandy demanda à M. Guizot son adhésion, son appui pour la mesure qu’il projetait, ce dernier fut moins frappé de l’innocence du conseil que des avantages que pouvait offrir à sa politique cette espèce de coup d’état. En détruisant le conseil pour le réorganiser sur d’autres bases, on faisait aux adversaires de l’université une concession dont on espérait recueillir les fruits ; on se donnait les apparences de l’impartialité.

Quand M. le ministre des affaires étrangères affirme à la tribune qu’il ne veut pas éluder les promesses de la charte, quand il se déclare le partisan d’une liberté raisonnable de l’enseignement, nous croyons à la sincérité de son langage ; dans la sphère des croyances morales, M. Guizot aime franchement la liberté. Il veut aussi maintenir les droits de l’état sur l’enseignement public, nous en sommes convaincus. Enfin il annonce qu’il s’emploiera tout entier à conserver dans le pays la paix religieuse : c’est le devoir de tout gouvernement. Ces trois résultats sont également désirables, et les pouvoirs publics, aussi bien que le pays, doivent y tendre d’un commun accord ; mais nous doutons que la route prise par le ministère pour y arriver soit la meilleure.

Qui prononcera ? L’avenir. C’est à l’avenir que s’est référé M. Thiers, et M. Guizot a accepté ce renvoi à un avenir qu’il se flatte de ne pas voir arriver si tôt. En effet, M. le ministre des affaires étrangères n’a pas dissimulé que, pour vaincre les obstacles qu’il rencontrait dans l’œuvre de la pacification religieuse, il lui fallait beaucoup de sagesse et pas mal de temps. Le temps, a-t-il ajouté, nous le prendrons, nous le prendrons tant qu’il le faudra. Il faut que jusqu’à présent M. le ministre des affaires étrangères ait obtenu peu de chose, car son langage a été fort modeste. Est-il même certain que le principe de la dissolution de la société de Jésus ait été admis par le gouvernement romain ? Ne serait-il pas plus vrai que la cour de Rome est restée, sur ce point, dans les termes de la neutralité la plus entière ? Quelle que soit l’habileté du diplomate qui nous représente auprès du saint-siège, elle ne peut changer le fond de la situation. Or, le ministère ne s’est-il pas mis, beaucoup plus que ne le lui conseillait la prudence, à la merci du bon vouloir d’un gouvernement étranger ? C’est ce qu’a laissé penser le résumé si concis par lequel l’honorable M. Thiers a clos le débat.

Les développemens qu’ont reçus les débats ouverts sur la conduite administrative du cabinet et sur l’instruction publique ont dû momentané aient faire rejeter au second plan les questions de politique extérieure. Aucune d’entre elles d’ailleurs n’était en mesure de provoquer une résolution importante de la part de la chambre. Quoi que la majorité puisse penser au fond du cœur des actes qu’on l’a contrainte de couvrir de son nom, depuis l’indemnité Pritchard jusqu’au traité de Tanger, cette majorité les a acceptés et ne peut guère permettre qu’on les remette en question devant elle. Le parti conservateur a trop souffert l’année dernière des sacrifices qui lui ont été imposés sur ces matières, pour qu’il soit possible de rouvrir des débats qui pèsent à tout le monde et qui seraient sans résultat. L’opposition n’avait donc à prendre que des réserves pour l’avenir, elle avait surtout à se dessiner sur une affaire qui est assurément la plus importante du temps présent, puisque la question d’Orient sommeille, et à indiquer la politique qui lui serait commandée par les intérêts du pays dans le conflit élevé entre les deux plus grandes puissances maritimes.

M. Thiers s’est chargé de le faire, et jamais tâche n’a été accomplie d’une manière plus élevée. Quelques mois avant de rentrer au pouvoir, à la veille du 1er mars 1840, l’illustre orateur prononça un discours resté célèbre. Il se proposait de rendre son énergie première à l’alliance anglaise relâchée, sinon brisée, par le refus d’une intervention collective en Espagne, et plus tard par le peu d’accueil fait à Paris à la proposition d’une action énergique contre la Russie dans le Bosphore. Aujourd’hui, pour être fait sur un thème différent, le discours n’a pas une moindre portée. Il ne s’agit plus de renouer l’alliance anglaise : elle est devenue le premier article du symbole gouvernemental ; on la célèbre sur tous les tons, on se pâme en parlant de l’étroite intimité qui unit les deux couronnes. Il ne peut donc plus être question de prouver à la France l’avantage de bons rapports avec sa puissante voisine il n’est point un parti sérieux qui n’en soit convaincu. L’œuvre vraiment utile, vraiment politique, c’est d’opposer une digue à l’entraînement du cabinet, d’exposer jusqu’où doit s’étendre l’alliance anglaise, et quelles questions il importe de résoudre par soi-même dans l’entière liberté de son action et de son influence.

Au premier rang des questions réservées, M. Thiers a placé celles qui divisent l’Angleterre et les États-Unis, et il a établi que l’intérêt évident de la France était de décliner toute intervention dans un tel conflit. Ce n’est pas seulement une neutralité en cas de guerre qui convient au gouvernement français, c’est une neutralité diplomatique absolue, dont il ne saurait sortir qu’en suscitant au-delà de l’Atlantique des ombrages et un mécontentement dangereux. Professer, comme l’a fait M. le ministre des affaires étrangères, la doctrine de la neutralité pour le cas d’hostilités ouvertes, et celle d’une intervention, pendant la paix, au profit de l’une des parties, c’est ajouter l’inconvénient d’une contradiction au péril d’une politique dangereuse. Or, n’est-ce pas sortir de la neutralité que d’exercer sur le Texas une coercition morale ? N’est-ce pas sortir des limites de la prudence que d’aller chercher une défaite à laquelle il était si facile de se dérober ? N’est-ce pas compromettre sa réputation d’habileté que de se faire donner par l’évènement un si éclatant démenti, et de consigner dans un document authentique l’opinion que l’annexion est impopulaire au Texas, la veille même du jour où elle est proclamée à l’unanimité par la législature de ce pays ? Commencer la politique de neutralité, si solennellement proclamée, par un acte d’ingérence toute gratuite dans les affaires de l’Amérique du Nord, c’est une œuvre que toute l’habileté du ministre n’a pu parvenir à justifier. Son argumentation a consisté à établir qu’en s’opposant à l’annexion du Texas, la France ne s’était jamais préoccupée du côté anglais de ce débat, et n’avait songé à garantir que ses intérêts particuliers. Alors se sont produits les détails statistiques sur les ressources maritimes et commerciales du nouvel état, que M. Thiers n’a pas eu de peine à réfuter. L’importance qu’aurait pour la France l’existence indépendante du Texas est une thèse peu sérieuse. Il y a, d’ailleurs, un fait irréfragable et que nous nous étonnons de n’avoir pas entendu alléguer dans cette discussion : c’est que, lorsqu’en 1838 la France a reconnu l’indépendance de la jeune république, elle n’a agi ni dans un intérêt commercial, ni dans un intérêt politique, mais pour se venger du Mexique, contre lequel elle avait, à cette époque, des griefs connus du monde entier.

M. Thiers a salué en termes magnifiques la grandeur future des États-Unis ; il a montré cette grandeur produisant dans le monde l’affranchissement de notre politique. Puis, étendant son horizon et remontant aux grands principes qui, depuis 1789, font à la fois en Europe notre gloire et notre faiblesse, il a montré combien la proclamation de ces principes et les susceptibilités qu’ils froissent chaque jour au sein des grandes cours nous ont fait perdre de notre liberté d’action ; il a constaté l’unité, artificielle sans doute, mais puissante, qui lie le continent européen en présence de la France révolutionnée, sinon révolutionnaire. Cette sainte-alliance persistante, avec des modifications et sous des noms divers, a contraint la France, depuis 1830, à se rejeter vers l’Angleterre. L’alliance anglaise est devenue la première nécessité de notre politique. De là des difficultés sérieuses lorsque nos progrès maritimes ou commerciaux ont porté ombrage à notre alliée, de là des exigences auxquelles on s’est trouvé presque toujours dans la nécessité de céder. Deux grands faits, selon M. Thiers, amèneront bientôt dans le monde l’affranchissement de notre action, aujourd’hui contenue et parfois détournée de sa direction naturelle : l’un, c’est le progrès pacifique et régulier des idées françaises en Europe ; l’autre, c’est l’extension de la puissance américaine. La grandeur des États-Unis ne fera pas sans doute abandonner à la France une alliance indispensable à la paix du monde, mais elle lui permettra de se mouvoir, au sein de cette alliance, avec une liberté qui lui est aujourd’hui refusée. Devant une telle perspective, susciter dans l’Union américaine des irritations contre nous et prendre parti pour l’Angleterre dans un conflit diplomatique d’où l’on déclare qu’on s’empressera de se retirer, si le canon vient à gronder, c’est se montrer en même temps imprévoyant et timide. Le moyen le plus puissant qu’ait trouvé M. le ministre des affaires étrangères pour atténuer la vive impression causée par ces paroles au sein même de la majorité, c’est de jeter du haut de la tribune une éclatante déclaration de neutralité pour l’éventualité d’une guerre entre l’Angleterre et l’Amérique. La France a accepté cette déclaration, conforme aux sentimens comme aux intérêts du pays ; elle en remercie le gouvernement sans trop insister pour savoir comment la concilier avec la conduite tenue à Galveston. Puisse cette politique de neutralité être efficace ! puisse la France, dans le conflit de deux droits maritimes opposés et dans la lutte des principes les plus contraires, n’abandonner aucune des traditions qui ont fait sa force et sa gloire !

M. le ministre des affaires étrangères n’avait guère à opposer aux vastes considérations développées par M. Thiers qu’un seul fait, le respect des existences indépendantes et du statu quo territorial, tel qu’il est régi dans les deux mondes par les traités ; mais, lorsqu’il invoquait l’état de choses existant, et s’élevait contre l’ardeur conquérante des États-Unis, c’était pour retomber sous la pressante dialectique de M. Billault. Cet orateur, dans l’un de ses discours les plus substantiels, rappelait les invasions successives faites par l’Angleterre aux points les plus importans du vieux et du nouveau continent ; il la montrait s’établissant, sans protestations et sans obstacles de notre part, à Aden, à Bushire, dans la Nouvelle-Zélande, enfin dans le golfe du Mexique, à Balise et sur le territoire des Mosquitos.

Le débat sur cette importante question a repris à l’occasion du vote des paragraphes. Un admirable discours de M. Berryer a provoqué, de la part de M. le ministre des affaires étrangères, des explications analogues à celles qu’il avait fournies dans la discussion générale ; mais les déclarations plus nettes et plus précises sur le système de neutralité et sur la ferme intention du gouvernement de maintenir, en cas de guerre, les principes de droit maritime toujours professés par la France, ont sans doute augmenté le chiffre de la majorité, qui a rejeté l’amendement de M. Berryer. Peut-être cet amendement avait-il l’inconvénient de statuer pour une éventualité que tous écartent de leurs vieux ; c’était, comme l’a dit spirituellement M. Guizot, une réserve pour une hypothèse. Quoi qu’il en soit, l’effet de la discussion est produit, et les sentimens de la chambre ont éclaté avec une grande unanimité.

Le résultat de cette discussion aura été de donner au cabinet un sérieux avertissement. Toute décidée que soit la majorité à ne pas frapper les actes accomplis d’un blâme de nature à amener une crise ministérielle, il est manifeste qu’elle a improuvé la négociation relative au Texas, et que le cabinet est désormais placé dans l’impuissance de faire un pas de plus dans la voie où il semblait engagé. La majorité est dévouée à l’alliance anglaise ; mais elle la veut avec des limites déterminées et connues d’avance. Malheur au gouvernement qui, dans un entraînement irréfléchi, essaierait de les franchir !

Dans quinze jours, les sentimens véritables de la France seront connus au-delà de l’Atlantique, et à une froideur d’un moment succédera la confiance accoutumée. Nous désirons sincèrement que les États-Unis mettent dans les délicates négociations aujourd’hui pendantes un esprit de conciliation sans lequel la paix du monde deviendrait impossible. Les derniers débats du congrès semblent de nature à faire redouter des dispositions contraires. Ce n’est plus seulement le parti démocratique qui, par l’organe du général Cass, demande la dénonciation immédiate du traité de 1827 et la prise de possession du territoire entier de l’Orégon ; c’est le parti whig lui-même qui semble céder à la contagion universelle. Un homme considérable par les fonctions présidentielles qu’il a remplies, M. Quincy Adams, déclare que la première mesure à prendre est de dénoncer le traité, et, ajoutant l’ironie à la menace, il fait une longue dissertation pour établir que la convention de 1827, considérée à tort comme un traité d’occupation conjointe, assure dès à présent les droits des États-Unis à la souveraineté de tout l’Orégon, et n’attribue aux sujets anglais que des privilèges de commerce et de libre navigation que l’ex-président veut bien consentir à leur continuer ; il ne voit donc pas une seule possibilité de guerre, et n’est d’avis de s’y préparer que pour rassurer l’opinion publique. Au surplus, M. Adams finit par se montrer plus sincère, et déclare en face des deux mondes qu’il faudra désormais, dans toutes les questions territoriales, user du procédé militaire de Frédéric II, et traiter après l’occupation consommée.

En regard de cette motion vient se placer celle de M. Calhoun, qui, conformément à des offres antérieures faites par les États-Unis, aurait pour effet de céder à l’Angleterre la portion du territoire située au-delà du 49e degré de latitude, en réservant à l’Union le cours entier de la Colombie. On sait que cette proposition a été plusieurs fois repoussée à Londres ; mais au point où en sont arrivées les choses, il est à croire qu’elle y serait accueillie, si elle était reproduite. Aura-t-elle la majorité dans la chambre des représentans et au sénat ? Cela commence à devenir douteux. Telle est pourtant la seule chance qu’ait encore la cause de la paix. Ce sera déjà beaucoup pour le cabinet anglais que d’accueillir des ouvertures toujours repoussées avec hauteur tant qu’il n’a pas redouté la guerre, et de livrer à l’Union le seul cours d’eau navigable qui conduise à l’Océan Pacifique. On dit que, pour mettre l’honneur national à couvert sur ce point, le cabinet anglais aurait chargé des voyageurs d’explorer une rivière à peu près inconnue, et dont le cours véritable est à peine indiqué depuis les montagnes Rocheuses jusqu’à son embouchure. Le Frazer-River serait, contre toute expérience et toute vérité, officiellement déclaré navigable, et l’Angleterre profiterait de cette découverte géographique pour abandonner ses droits à la propriété de la Colombie.

Nous ne doutons pas que telle ne soit, en effet, la conclusion de ce grand débat, si le parti des négociations prévaut à Washington, comme on peut encore l’espérer ; mais si les États-Unis, dans un entraînement qui paraît avoir saisi la législature locale de New-York elle-même, ne parlent plus du 49e degré et prétendent au 54e, si c’est la souveraineté de l’Orégon tout entier qui est en question, que fera-t-on à Londres, et comment deviendra-t-il possible de céder sans déshonneur ? Après avoir reculé dans l’affaire de Mac-Leod, dans celle des frontières du Maine, et tout récemment dans l’affaire du Texas ; après avoir, depuis six ans, courbé la tête sous la menace, comment deviendra-t-il possible de céder, lorsque, loin d’offrir ce qu’elle avait deux fois refusé, on viendrait à s’emparer d’une chose qu’on n’avait pas même eu jusqu’ici l’audace de lui demander ?

On le voit, rien n’est moins rassurant qu’une telle perspective. Il règne au-delà de l’Atlantique une telle surexcitation d’espérance et d’orgueil, et l’on s’y tient pour tellement convaincu que la Grande-Bretagne reculera devant une lutte dont le premier effet serait de lui enlever le Canada et de compromettre sa tranquillité intérieure en suspendant ses exportations, qu’on peut s’attendre aux dernières extrémités, et à voir la majorité du sénat emportée par l’impulsion universelle. La crise ministérielle qui s’est ouverte en Angleterre, et les embarras parlementaires qui attendent le cabinet reconstitué, n’auront pu qu’exalter encore à Washington la confiance du parti démocratique et des hommes de l’ouest. Les prochaines nouvelles nous feront connaître le contre-coup produit aux États-Unis par la révélation de ces graves embarras.

Quel effet ces embarras auront-ils sur la résolution définitive de l’Angleterre elle-même ? c’est ce qu’il est encore impossible d’apprécier. Le langage des membres du cabinet dans les deux chambres, celui de sir Robert Peel en particulier, ont été des plus pacifiques ; mais la crise qui agite l’Angleterre peut avoir des phases non moins diverses qu’imprévues. Quelle politique sortira de l’agonie furieuse du torisme, des espérances surexcitées des whigs, de la situation difficile de sir Robert Peel ? c’est assurément ce qu’il n’est pas encore possible de prévoir.

Les explications attendues avec tant d’impatience par l’Angleterre et par l’Europe ont été enfin données, et elles ont tiré toute leur grandeur de la réalité du gouvernement représentatif qui éclate en ce pays. Des hommes politiques qui stipulent pour leur propre parti sur des conditions nettes et précises ; des rivaux parlementaires qui se promettent un loyal concours dans la défense de principes communs dont le triomphe importe à des intérêts supérieurs à ceux de leur ambition ; une reine qui traite directement avec les chefs du parlement, les investit de tous ses pouvoirs, et ne leur fait aucune autre condition que celle de conquérir la majorité : c’est là un beau spectacle, dont la grandeur consiste surtout en ce que la valeur véritable des hommes devient la seule mesure de leur importance politique.

C’est par là que cette scène imposante produit sur tous les esprits un effet saisissant. Il y a sans doute beaucoup d’ombres au tableau, beaucoup de situations fausses et contraintes dans cet ensemble ; mais les embarras des personnes disparaissent devant la forte organisation des partis. Qu’importe aux grands intérêts de l’Angleterre, qu’importe à l’histoire que sir Robert Peel ait été appelé aux affaires en 1841 pour faire exactement le contraire de ce qu’il propose aujourd’hui ? Qu’importent les amères récriminations d’un romancier et les clameurs de la dukery ? Ce qu’il faut à l’Angleterre dans la crise dont elle est menacée, c’est un homme d’état assez fortement établi au sein de son propre parti pour lui imposer des sacrifices, assez sûr de l’estime publique pour pouvoir compter au besoin même sur ses adversaires. Les sarcasmes de M. d’Israëli ont pu torturer le premier lord de la trésorerie pendant deux heures ; il peut éprouver un sentiment pénible en écoutant des plaintes qui ne sont pas dénuées de fondement ; mais les souffrances de sa vanité individuelle n’ôtent rien à la grandeur de son rôle politique. Le duc de Wellington est presque aussi grand pour avoir décidé l’émancipation catholique que pour avoir triomphé à Waterloo, et cependant cette grande mesure n’avait pas eu d’adversaire plus prononcé.

Sir Robert Peel a reculé devant l’imminence d’une crise terrible, comme le ministère de l’émancipation en 1829, comme celui de la réforme en 1832 ; il a vu que la ligue marchait à pas de géant à la conquête du pays, que la classe moyenne tout entière se jetait dans le mouvement ; il a compris la haute portée de la lettre de lord John Russell, et il a pensé qu’il valait mieux être conséquent dans sa conduite générale que conséquent dans des théories économiques : aussi a-t-il préféré l’honneur de sauver son pays à la vaine satisfaction de son amour-propre individuel. Quel est d’ailleurs le parti, quel est l’homme qui n’apprenne rien à l’école des évènemens, lorsqu’ils parlent d’une voix aussi éclatante ? Est-ce que le parti tory est aujourd’hui ce qu’il était il y a vingt ans ? Qu’est-ce que le mouvement d’Oxford au point de vue religieux ? qu’est-ce que l’école de la jeune Angleterre au point de vue politique ? Le docteur Pusey et M. Gladstone professent-ils les maximes de lord Eldon, et qu’y a-t-il de commun entre lord John Manners et le duc de Newcastle ? Est-ce bien à M. d’Israëli, à l’auteur de tant d’utopies sociales, qu’il appartient d’attaquer un homme considérable parce qu’il a changé d’opinion sur des intérêts secondaires, et qu’il fait passer les grandes questions avant les petites ? Lorsqu’on nous aura prouvé que les théories audacieuses et quasi républicaines énoncées dans les romans de la jeune Angleterre sont les mêmes que celles de M. Pitt, nous consentirons à prendre au sérieux les reproches lancés par un homme d’esprit, qui pourra parfois être un embarras pour la personne du premier ministre d’Angleterre, mais qui ne sera jamais un danger pour sa politique.

À l’exposé de la conduite tenue par sir Robert Peel et lord John Russell durant la dernière crise a succédé l’exposé de ce plan auquel étaient attachées les destinées de vingt-cinq millions d’hommes, et qu’aucune indiscrétion n’avait divulgué avant la publication intégrale. Il était facile de prévoir que la suppression de ce qui restait encore de droits protecteurs entrerait nécessairement dans la combinaison financière du premier ministre. Les tentatives déjà faites depuis trois ans n’ayant eu aucun inconvénient sous le rapport fiscal, et ayant répandu dans toutes les classes un grand bien-être, il était naturel que sir Robert Peel voulût compléter son ouvrage. Jusqu’à quel point la théorie sera-t-elle confirmée par la pratique dans cette expérience, la plus radicale qu’aucun gouvernement ait jamais tentée ? c’est ce qu’il faut laisser à décider au temps, qui pourrait bien n’être pas en tout ; d’accord avec Say. Protégée pendant deux siècles par un régime prohibitif absolu, arrivée à un immense développement de l’industrie et de la richesse publique, l’Angleterre est sans doute dans une meilleure situation que les autres états de l’Europe pour tenter cette immense expérience. Jusqu’à présent, le royaume de Naples, dirigé par un prince hardi autant qu’éclairé, paraît seul disposé à entrer dans ces voies nouvelles. Sir Robert Peel l’a déclaré lui-même dans le parlement anglais en rendant hommage au roi de Naples. Quant aux corn-laws, elles ont été immolées en quelques mots. Dès aujourd’hui l’échelle mobile s’abaisse, et dans trois ans les lois céréales auront rejoint le test et les rotten boroughs dans ces pages de l’histoire où sont inscrites déjà tant de vieilles institutions abolies. Cette perspective suffira-t-elle pour faire accepter par M. Cobden et par les whigs le plan de sir Robert Peel ? On peut le présumer dès aujourd’hui au ton général de la presse anglaise, et c’est avec une satisfaction véritable que nous en acceptons l’augure.

Le gouvernement représentatif n’a pas partout ces dehors magnifiques sous lesquels il vient de se déployer en France et en Angleterre. Néanmoins on peut assurer qu’il est en progrès évident sur tous les points de l’Europe, et qu’il s’asseoit chaque jour plus solidement aux lieux où son établissement a été le plus difficile. Les débats des cortès espagnoles en sont une preuve, et la longue discussion de l’adresse a constaté les progrès faits dans l’ordre politique et administratif par le cabinet que préside le général Narvaez.

Les chambres espagnoles arrivent à peine au terme des débats de l’adresse. Le sénat a eu promptement rédigé et voté sa réponse au discours de la reine Isabelle ; mais dans le congrès la discussion a été longue, agitée. Ce n’est pas qu’en définitive le résultat du vote soit à nos yeux incertain. Sur l’ensemble de la politique, la majorité est incontestablement acquise au gouvernement, et les trente ou trente-cinq voix qui ont appuyé l’amendement proposé par M. Seijas Losano, au commencement des débats, forment le chiffre réel de l’opposition. Cette opposition est elle-même un démembrement du parti modéré ; elle se compose d’un certain nombre d’hommes qui prétendent ne point sortir du cercle des opinions conservatrices. Des discours remarquables, quelquefois éloquens, ont été prononcés devant le congrès, parmi lesquels on peut citer l’attaque très habile et très vive de M. Pacheco, chef de cette opposition, et les défenses successives qu’ont présentées le général Narvaez, MM. Martinez de la Rosa, Pidal et Mon.

Les amis du ministère ont trop souvent cédé au dangereux plaisir d’attaquer lorsqu’ils n’avaient, pour se défendre, qu’à exposer les actes accomplis. Malgré les accusations dirigées contre lui, un cabinet qui a maintenu l’ordre depuis plus d’une année, qui a organisé l’administration municipale et provinciale, l’administration supérieure par le conseil d’état, qui a substitué au désordre des contributions anciennes un système uniforme et régulier, qui a établi sur de nouvelles bases l’enseignement public, un tel cabinet a fait ses preuves et rendu d’éminens services au pays. Certainement tout n’est point parfait dans les lois diverses que le gouvernement espagnol a promulguées depuis quelques mois avec l’autorisation préalable des chambres ; mais ce qu’il faut considérer, c’est que, pour la première fois depuis la révolution, on peut voir en Espagne un ensemble de mesures administratives acceptables. L’opposition elle-même le reconnaît bien, lorsqu’elle admet en principe l’excellence de toutes ces mesures. Sur quoi portent donc les reproches ? Sur des détails du système général, c’est-à-dire sur des imperfections que la pratique seule peut mettre en lumière et aider à corriger. Pense-t-on par exemple que le pouvoir civil puisse acquérir son autorité morale en un jour, que ce soit une œuvre bien facile d’appliquer tout un système financier sans statistique exacte, de fonder une administration qui puisse aussitôt suffire à tous les besoins ? On ne saurait trop le répéter cependant, c’est là le plus pressant besoin de la Péninsule, et ce serait une grande illusion de croire qu’au-delà des Pyrénées le pouvoir puisse aller impunément, comme en Angleterre, des tories extrêmes à sir Robert Peel, ou, comme en France, de M. Guizot à M. Molé ou à M. Thiers. Tant que l’Espagne n’aura pas cette organisation que le cabinet Narvaez a reçu la mission de créer, un changement de ministère ne sera rien moins qu’une révolution : chose assurément digne d’être méditée par tous les hommes du parti conservateur espagnol.

Malheureusement, nous le craignons, ces questions si vitales peuvent paraître aujourd’hui menacées encore d’un ajournement : la solution en est mise en péril par une autre question épineuse, brûlante, qui absorbe tous les esprits, et dont la passion publique s’est emparée : c’est le mariage de la reine. Il est aisé de voir que c’est la seule difficulté du gouvernement espagnol. On ne saurait imaginer à quel point les têtes sont échauffées à ce sujet, principalement à Madrid. Dans le congrès même, à vrai dire, c’est toujours à cela qu’on revient indirectement en parlant d’administration ou de finances ; et lorsque dans une séance fort orageuse un jeune député de l’opposition, M. Llorente, reprochait tout récemment au ministère, à propos du système tributaire, d’être un gouvernement de cour, cette accusation ne portait pas sur les projets de M. Mon, qui s’est défendu avec un plein succès. À tort ou à raison, on attribue à la reine-mère et au général Narvaez la résolution arrêtée de donner pour mari à la reine Isabelle le comte de Trapani. Or, dans toutes les classes en Espagne il y a une répugnance générale et extrême contre le jeune prince italien.

Dans la Péninsule, ou est toujours prompt à recourir aux moyens hasardeux, extra-légaux. Ainsi, par une imprudence peu concevable, l’infant don Enrique, fils de l’infant don François de Paule, a cru devoir jeter dans la polémique une déclaration où il pose ouvertement ses prétentions à la main de la reine. L’effet de ce manifeste a été fâcheux pour le jeune prince même ; on y a vu ou un enfantillage ou une ambitieuse folie, et, sauf le parti progressiste, qui, par une inconséquence singulière, applaudit à tout ce qui semble une violence faite aux pouvoirs publics, il n’est personne qui n’ait approuvé le gouvernement d’avoir prescrit à l’infant d’aller prendre le commandement de son navire ; mais ce fait, qui est aujourd’hui blâmé par tous les hommes sages, n’en subsiste pas moins comme un dangereux élément de trouble dans des circonstances données. Il n’est pas de pays où on oublie plus aisément une faute qu’en Espagne. C’est au gouvernement qu’il appartient de faire par sa prudence que la faute de l’infant don Enrique reste bien une faute, et garde le caractère d’un appel inconséquent et inutile aux passions du dehors.

Depuis il s’est produit un fait, à notre avis, beaucoup plus grave encore, plus propre à éclairer le ministère espagnol, et qui prouve que les répugnances déclarées contre le comte de Trapani ne sont pas simplement un moyen d’opposition. Instruit que la question du mariage de la reine était à la délibération du conseil des ministres, qui tous ne paraissaient pas d’accord, un grand nombre de députés de la majorité elle-même, — cinquante ou soixante environ, — se sont réunis et ont signé un message pour demander au gouvernement de ne se point engager dans une voie où l’opinion publique se refuse à le suivre. Maintenant le cabinet persistera-t-il dans ses projets ou cédera-t-il à ces sollicitations amicales ? C’est là ce qu’on ne peut dire. Il est très vrai que les ministres ont quelque droit de se plaindre de ce témoignage mal déguisé de défiance de la part d’hommes dont les opinions ne sont pas douteuses, et dont la sympathie leur est acquise ; mais ne doivent-ils pas y voir aussi la preuve de l’irrésistible puissance de l’opinion publique ? Et, s’il y a quelque irrégularité dans cette intervention d’un certain nombre de députés venant demander au gouvernement des garanties sur une question qui n’est pas soumise au congrès, la cause n’en est-elle pas dans une faute qui a été commise l’an dernier, lorsqu’on a supprimé l’article de la constitution qui prescrivait de soumettre aux cortès le mariage de la reine ? Quoi qu’on fasse, il est difficile de soustraire une affaire aussi importante aux délibérations des chambres sous un régime constitutionnel.

Comme on le voit, c’est là une situation sérieuse et délicate, une situation d’où dépend peut-être l’avenir de la Péninsule. Le gouvernement de Madrid, assure-t-on, a promis à ses amis des explications satisfaisantes. Nous souhaitons vivement qu’il les donne ; nous le souhaitons pour l’Espagne, et aussi pour la France, dont l’influence est en jeu dans ces complications hasardeuses.