Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1271

Règne de Philippe III le Hardi (1270-1285)

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[1271]


Vers le même temps, pendant que Philippe, roi de France, à son retour de Tunis, était allé visiter les cardinaux de la cour romaine, renfermés dans Viterbe jusqu’à l’élection d’un pape, Henri d’Allemagne, fils de feu Richard roi des Romains, était venu à la cour pour obtenir, s’il le pouvait, le royaume qu’avait possédé son père ; ce qu’ayant appris, Gui, fils de Simon de Montfort, tué dans un combat par Edouard, fils aîné du roi d’Angleterre, qui avait épousé près de Viterbe la fille de Rufin, comte de Toscane, fit entourer d’embûches ledit Henri dans l’église de Saint-Laurent. N’ayant pu venir à bout de l’arracher, comme il le croyait, du milieu des siens, il le perça, dans le lieu saint même, d’un coup de poignard, et, l’ayant ensuite traîné devant les portes de l’église, quoique Henri le suppliât, les mains jointes, de l’épargner, il le frappa trois ou quatre fois de son poignard, et le tua tout-à-fait. Entouré aussitôt des cavaliers de sa suite, qu’il avait disposés d’avance, il quilta Viterbe, et se transporta vers le comte de Toscane, père de sa femme. Comme il avait commis ce crime dans une ville où était le roi de France, cette offense encourut son indignation et le jugement de l’Église romaine, au châtiment de laquelle il lui fallut ensuite se soumettre car l’Église décréta que, pour punition d’un si grand forfait, il serait gardé étroitement dans un très-fort château jusqu’à ce qu’on jugeât à propos de lui pardonner. Philippe, roi de France, étant revenu de Tunis en France, fit enterrer avec une pompeuse solennité et de grands honneurs, le vendredi d’avant la Pentecôte, les ossemens de son père, le très-saint roi Louis, de sa femme, et de son frère, le comte de Nevers, à Saint-Denis en France, lieu qu’ils avaient choisi pour leur sépulture. Bientôt un grand nombre de gens, attaqués de diverses maladies, vinrent de différens pays vers le tombeau du roi, et recouvrèrent, par les mérites du saint roi, le bienfait de la santé. Jean de Courtenai, archevêque de Rheims, mourut, et eut pour successeur Pierre Barbez, archidiacre de l’église de Chartres. Au mois d’août, le lendemain de la fête de la décollation de saint Jean-Baptiste, Philippe fut couronné roi de France à Rheims. Thibaut, roi de Navarre et comte de Champagne, ayant été enterré avec sa femme à Provins, dans la Brie, Henri, son frère, lui succéda, et prit ensuite en mariage la soeur de Robert, comte d’Artois, et nièce de saint Louis, roi de France, dont il eut dans la suite Jeanne, reine de France.

Un certain Arsacide envoyé à Acre pour tuer Edouard, fils du roi d’Angleterre, saisit le moment où il lui parlait en secret dans son lit, comme muni d’un message, pour le frapper d’un poignard empoisonné, dont il lui fit une grave blessure, moins dangereuse encore par la plaie que par le poison qui, se répandant dans l’intérieur du corps, le menaçait du plus grand péril. Edouard, comme un furieux, ayant saisi l’assassin, vengea sur lui cette trahison par la mort la plus cruelle. Bientôt après, ayant recouvré la santé, à la nouvelle de la mort de son père Henri, roi d’Angleterre, il fit préparer un vaisseau, et quitta Acre. Ayant abordé dans le royaume de France, il le traversa pour passer en Angleterre, où il fut couronné roi sans aucune opposition.