Choses vues/Extraits des Carnets/1871

Ollendorf (Œuvres complètes. Tome 26p. 177-201).


1871.



ASSEMBLÉE DE BORDEAUX. — MORT DE CHARLES HUGO. — [LA COMMUNE.] — SÉJOUR À VIANDEN. — THIERS ET ROCHEFORT.


13 février. — Partis à midi dix minutes. Arrivés à Étampes à trois heures et quart. Station d’une heure trois quarts et luncheon.

Après le lunch, nous sommes rentrés dans le wagon-salon pour attendre le départ. La foule l’entourait, contenue par un groupe de soldats prussiens. La foule m’a reconnu et a crié : Vive Victor Hugo ! J’ai agité le bras hors du wagon en élevant mon képi, et j’ai crié : Vive la France ! Alors un homme à moustaches blanches, qui est, dit-on, le commandant prussien d’Étampes, s’est avancé vers moi d’un air menaçant et m’a dit en allemand je ne sais quoi qui voulait être terrible. J’ai repris d’une voix plus haute, en regardant tour à tour fixement ce prussien et la foule : Vive la France ! Sur quoi, tout le peuple a crié avec enthousiasme : Vive la France ! Le bonhomme en colère se l’est tenu pour dit. Les soldats prussiens n’ont pas bougé.

Voyage rude, lent, pénible. Le salon-wagon est mal éclairé et point chauffé. On sent le délabrement de la France dans cette misère des chemins de fer. Nous avons acheté à Vierzon un faisan et un poulet et deux bouteilles de vin pour souper. Puis on s’est roulé dans des couvertures et des cabans et l’on a dormi sur les banquettes.

Nous arrivons à Bordeaux à une heure et demie après-midi le 14 février. Nous nous mettons en quête d’un logement. Nous montons en voiture et nous allons d’hôtel en hôtel. Pas une place. Je vais à l’Hôtel de Ville et je demande des renseignements. On m’indique un appartement meublé à louer chez M. A. Porte, 13, rue Saint-Maur, près le jardin public. Nous y allons. Charles loue l’appartement pour 600 francs par mois et paye un demi-mois d’avance. Nous nous remettons en quête d’un logis pour nous et nous ne trouvons rien. À sept heures, nous revenons à la gare chercher nos malles, ne sachant où passer la nuit. Nous retournons rue Saint-Maur où est Charles. Pourparlers avec le propriétaire et son frère qui a deux chambres, 37, rue de la Course, tout près. Nous finissons par nous arranger.

Alice a fait cette remarque : Le 13 nous poursuit. — Tout le mois de janvier nous avons été treize à table le jeudi. Nous avons quitté Paris le 13 février. Nous étions treize dans le wagon-salon, en comptant Louis Blanc, M. Bochet et les deux enfants. Nous logeons 13, rue Saint-Maur.


15 février. — À deux heures je suis allé à l’Assemblée. À ma sortie, une foule immense m’attendait sur la grande place. Les gardes nationaux qui faisaient la haie ont ôté leurs képis, et tout le peuple a crié : Vive Victor Hugo ! J’ai répondu : — Vive la République ! Vive la France ! Ils ont répété ce double cri. Puis cela a été un délire. Ils m’ont recommencé l’ovation de mon arrivée à Paris. J’étais ému jusqu’aux larmes. Je me suis réfugié dans un café du coin de la place. J’ai expliqué dans un speech pourquoi je ne parlais pas au peuple, puis je me suis évadé, c’est le mot, en voiture.

Pendant que ce peuple enthousiaste criait : Vive la République ! les membres de l’Assemblée sortaient et défilaient, impassibles, presque furieux, le chapeau sur la tête, au milieu des têtes nues et des képis agités en l’air autour de moi.

Visite des représentants Le Flô, Rochefort, Lockroy, Alfred Naquet, Emmanuel Arago, Rességuier, Floquet, Eugène Pelletan, Noël Parfait.

J’ai été coucher dans mon nouveau logement, rue de la Course.


16 février. — Aujourd’hui a eu lieu, à l’Assemblée, la proclamation des représentants de Paris. — Louis Blanc a 216,000 voix, il est le premier. — Puis vient mon nom avec 214,000. Puis Garibaldi, 200,000.

L’ovation que le peuple m’a faite hier est regardée par la majorité comme une insulte pour elle. De là, un grand déploiement de troupes sur la place (armée, garde nationale, cavalerie). Avant mon arrivée, il y a eu un incident à ce sujet. Des hommes de la droite ont demandé qu’on protégeât l’Assemblée (contre qui ? contre moi, à ce qu’il paraît). La gauche a répliqué par le cri de : Vive la République !

À ma sortie, on m’a averti que la foule m’attendait sur la grande place. Je suis sorti, pour échapper à l’ovation, par le côté du palais et non par la façade ; mais la foule m’a aperçu, et un immense flot de peuple m’a tout de suite entouré en criant : — Vive Victor Hugo ! J’ai crié : Vive la République ! Tous, y compris la garde nationale et les soldats de la ligne, ont crié : Vive la République ! J’ai pris une voiture que le peuple a suivie.

L’Assemblée a constitué aujourd’hui son bureau. Dufaure propose Thiers pour chef du pouvoir exécutif.

Nous dînerons pour la première fois chez nous, 13, rue Saint-Maur. J’ai invité Louis Blanc, Schœlcher, Rochefort et Lockroy. Rochefort n’a pu venir.

Après le dîner, nous sommes allés chez Gent, quai des Chartrons, à la réunion de la gauche. Mes fils m’accompagnaient. On a discuté la question du chef du pouvoir exécutif. J’ai fait ajouter à la définition : nommé par l’Assemblée et révocable par elle.

Le général Cremer est venu nous rendre compte des dispositions de l’armée.


17 février. — Gambetta, à l’Assemblée, m’a abordé et m’a dit : — Mon maître, quand pourrais-je vous voir ? J’aurais bien des choses à vous expliquer.

Thiers est nommé chef du pouvoir exécutif. Il doit partir cette nuit pour Versailles, où est la Prusse.


18 février. — Ce soir, réunion de la gauche, rue Lafaurie-Monbadon. La réunion m’a choisi pour président. Ont parlé Louis Blanc, Schœlcher, le colonel Langlois, Brisson, Lockroy, Millière[1] (pourquoi parmi nous ?), Clemenceau, Martin Bernard, Joigneaux. J’ai parlé le dernier et résumé le débat. On a agité des questions graves, le traité Bismarck-Thiers, la paix, la guerre, l’intolérance de l’Assemblée, le cas d’une démission à donner en masse.


19 février. — Le président du Cercle national de Bordeaux est venu mettre ses salons à ma disposition.

Mon hôtesse, Mme  Porte, fort jolie femme, m’a envoyé un bouquet.

Thiers a nommé ses ministres. Il prend le titre équivoque et suspect de président chef du pouvoir exécutif.

L’Assemblée s’ajourne. On sera convoqué à domicile.

Nous avons dîné à la maison. Puis nous sommes allés, Victor et moi, à la réunion de la gauche que j’ai présidée.


20 février. — Aujourd’hui encore le peuple m’a acclamé comme je sortais de l’Assemblée. La foule en un instant est devenue énorme. J’ai été forcé de me réfugier chez Martin Bernard qui demeure dans une rue voisine de l’Assemblée.

J’ai parlé dans le 11e bureau. La question de la magistrature (qui nous fait des pétitions pour que nous ne la brisions pas) est venue à l’improviste. J’ai bien parlé. J’ai un peu terrifié le bureau.

Petite Jeanne est de plus en plus adorable. Elle commence à ne vouloir plus me quitter.

J’ai présidé ce soir la réunion de la gauche.


21 février.Mme  Porte, mon hôtesse de la rue de la Course, m’envoie tous les matins un bouquet par sa petite fille.

Je promène Petit Georges et Petite Jeanne à tous mes moments de liberté. On pourrait me qualifier ainsi : Victor Hugo, représentant du peuple et bonne d’enfants.

Le soir, j’ai présidé la réunion de la gauche.


25 février. — Le soir, réunion des deux fractions de la gauche, gauche radicale, gauche politique, rue Jacques Bell, dans la salle de l’Académie. Ont parlé Louis Blanc, Emmanuel Arago, Vacherot, Jean Brunet, Bethmont, Peyrat, Brisson, Gambetta et moi.

Je ne crois pas que mon projet de fusion, ou même d’entente cordiale, réussisse. Schœlcher et Edmond Adam m’ont reconduit jusque chez moi.


26 février. — J’ai aujourd’hui soixante-neuf ans.

J’ai présidé la réunion de la gauche.


27 février. — J’ai donné ma démission de président de la gauche radicale pour laisser à la réunion toute son indépendance.


28 février. — Thiers a apporté à la tribune le traité. Il est hideux. Je parlerai demain. Je suis inscrit le septième ; mais Grévy, le président de l’Assemblée, m’a dit : — Levez-vous et demandez la parole quand vous voudrez. L’Assemblée voudra vous entendre.

Ce soir, nous nous sommes réunis dans les bureaux. Je suis du 11e. J’y ai parlé.


1er mars. — Aujourd’hui séance tragique. On a exécuté l’empire, puis la France, hélas ! On a voté le traité Shylock-Bismarck. J’ai parlé.

Louis Blanc a parlé après moi et supérieurement parlé.

J’ai eu à dîner Louis Blanc et Charles Blanc.

Le soir, je suis allé à la réunion rue Lafaurie-Monbadon, que j’ai cessé de présider. Schœlcher présidait. J’y ai parlé. Je suis content de moi.


2 mars. — Pas de séance aujourd’hui. Le vote de la paix a entr’ouvert le filet prussien. J’ai reçu un paquet de lettres et de journaux de Paris. Deux numéros du Rappel.

Nous avons dîné en famille tous les cinq. Puis je suis allé à la réunion.

Puisque la France est mutilée, l’Assemblée doit se retirer. Elle a fait la plaie et est impuissante à la guérir. Qu’une autre Assemblée la remplace. Je voudrais donner ma démission. Louis Blanc ne veut pas. Gambetta et Rochefort sont de mon avis. Débat.


3 mars. — Ce matin, enterrement du maire de Strasbourg, mort de chagrin. Louis Blanc est venu me trouver avec trois représentants, Brisson, Floquet et Cournet. Il vient me consulter sur le parti à prendre quant aux démissions. Rochefort et Pyat, avec trois autres, donnent la leur. Mon avis serait de nous démettre. Louis Blanc résiste. Le reste de la gauche semble ne pas vouloir de la démission en masse.

Séance.

En montant l’escalier, j’ai entendu un bonhomme de la droite, duquel je voyais le dos, dire à un autre : — Louis Blanc est exécrable, mais Victor Hugo est pire.

Nous avons tous dîné chez Charles qui avait invité Louis Blanc et MM. Lavertujon[2] et Alexis Bouvier[3].

Le soir nous sommes allés à la réunion rue Lafaurie-Monbadon. Le président de l’Assemblée ayant fait aujourd’hui les adieux de l’Assemblée aux membres démissionnaires pour l’Alsace et la Lorraine, ma motion acceptée par la réunion (leur maintenir indéfiniment leur siège) est sans objet, puisque la question est décidée. La réunion semble pourtant y tenir. Nous aviserons.


4 mars. — Réunion de la gauche. M. Millière propose, ainsi que M. Delescluze, un acte d’accusation contre le gouvernement de la Défense nationale. Il termine en disant que quiconque ne s’associera pas à lui en cette occasion est dupe ou complice. Schœlcher se lève et lui dit : — Ni dupe, ni complice. Vous en avez menti.

Séance à l’Assemblée.

Le soir, réunion. Louis Blanc, au lieu d’un acte d’accusation en forme de l’ex-gouvernement de Paris, demande une enquête. Je m’y rallie. Nous signons.


5 mars. — Réunion de la gauche. On parle d’une grande fermentation dans Paris. Le gouvernement qui reçoit ordinairement de Paris un minimum de quinze dépêches télégraphiques par jour, n’en avait pas reçu aujourd’hui une seule à six heures du soir. Six dépêches adressées à Jules Favre sont restées sans réponse. Nous décidons que Louis Blanc ou moi interpellerons le gouvernement demain sur la situation de Paris, si l’anxiété continue et si la situation n’est pas éclaircie. Nous nous verrons avant l’ouverture de la séance.

Une députation de lorrains et d’alsaciens est venue nous remercier.


6 mars. — À midi nous avons tous déjeuné en famille chez Charles. J’ai mené ces deux dames à l’Assemblée. Question du transfèrement de l’Assemblée à Versailles ou à Fontainebleau. Ils ont peur de Paris. J’ai parlé dans le 11e bureau. J’ai failli être nommé commissaire. J’ai eu dix-huit voix, mais un M. Lucien Brun en a eu dix-neuf.

Réunion rue Lafaurie. J’ai fait la proposition de nous refuser demain tous à discuter Paris, et de rédiger un manifeste en commun signé de tous, et déclarant que nous donnions nos démissions si l’Assemblée allait ailleurs qu’à Paris. La réunion n’a pas adopté mon avis et m’a engagé à discuter. J’ai refusé. Louis Blanc parlera.


8 mars. — J’ai donné ma démission de représentant.

Il s’agissait de Garibaldi. Il avait été nommé en Algérie. On a proposé d’annuler l’élection. J’ai demandé la parole. J’ai parlé. Tumulte et rage de la droite. Ils ont crié : À l’ordre ! C’est curieux à lire au Moniteur. Devant cette furie, j’ai fait un geste de la main, et j’ai dit :

— Il y a trois semaines, vous avez refusé d’entendre Garibaldi. Aujourd’hui vous refusez de m’entendre. Cela me suffit. Je donne ma démission.

Je suis allé pour la dernière fois à la réunion de la gauche.


9 mars. — Ce matin, trois membres de la réunion gauche modérée, qui siège salle de l’Académie, sont venus députés par la réunion, qui me prie, à l’unanimité de deux cent vingt membres, de retirer ma démission. M. Paul Bethmont portait la parole. J’ai remercié et refusé.

Puis est venue une autre insistance, d’une autre réunion, dans le même but. La réunion du centre gauche, dont font partie MM. d’Haussonville et de Rémusat, me prie, à l’unanimité, de retirer ma démission. M. Target portait la parole. J’ai remercié et refusé.

Louis Blanc est monté à la tribune et m’y a fait ses adieux avec grandeur et noblesse.


10 mars. — Louis Blanc a parlé hier et aujourd’hui. Hier, de ma démission. Aujourd’hui de la question de Paris. Noblement et grandement.

11 mars. — Nous nous préparons au départ.


12 mars. — Force visites. Foule chez moi. M. Michel Lévy vient me demander un livre. M. Duquesnel, directeur associé de l’Odéon, vient me demander Ruy Blas. Nous partirons probablement demain.

Charles, Alice et Victor sont allés à Arcachon. Ils reviennent dîner avec nous.

Petit Georges, souffrant, va mieux.

Louis Blanc est venu dîner avec moi. Il va partir pour Paris.


13 mars. — Cette nuit, je ne dormais pas, je songeais aux nombres, ce qui était la rêverie de Pythagore. Je pensais à tous ces 13 bizarrement accumulés et mêlés à ce que nous faisons depuis le 1er janvier, et je me disais encore que je quitterais cette maison où je suis le 13 mars. En ce moment, s’est produit tout près de moi le même frappement nocturne (trois coups comme des coups de marteau sur une planche) que j’ai déjà entendu deux fois dans cette chambre.

Nous avons déjeuné chez Charles avec Louis Blanc. J’ai été voir Rochefort. Il demeure rue Judaïque, <abbr class="abbr" title="numéro">n<sup style="font-size:70%">o 80. Il est convalescent d’un érysipèle qui l’a mis un moment en danger. Il avait près de lui MM. Alexis Bouvier et Mourot que j’ai invités à dîner aujourd’hui en les priant de transmettre mon invitation à MM. Claretie, Guillemot et Germain Casse[4], dont je voudrais serrer la main avant mon départ.

En sortant de chez Rochefort, j’ai un peu erré dans Bordeaux. Belle église en partie romane. Jolie tour gothique fleuri. Superbe ruine romaine (rue du Colisée) qu’ils appellent le palais Gallien.

Victor vient m’embrasser. Il part à six heures pour Paris avec Louis Blanc.

À six heures et demie, je suis allé au restaurant Lanta. MM. Bouvier, Mourot et Casse arrivent. Puis Alice. Charles se fait attendre.


Sept heures du soir. Charles est mort.


Le garçon qui me sert au restaurant Lanta est entré et m’a dit qu’on me demandait. Je suis sorti. J’ai trouvé dans l’antichambre M. Porte, qui loue à Charles l’appartement de la rue Saint-Maur, <abbr class="abbr" title="numéro">n<sup style="font-size:70%">o 13. M. Porte m’a dit d’éloigner Alice qui me suivait. Alice est rentrée dans le salon. M. Porte m’a dit : — Monsieur, ayez de la force. M. Charles… — Eh bien ? — Il est mort.

Mort ! Je n’y croyais pas. Charles !… Je me suis appuyé au mur.

M. Porte m’a dit que Charles, ayant pris un fiacre pour venir chez Lanta, avait donné ordre au cocher d’aller d’abord au café de Bordeaux. Arrivé au café de Bordeaux, le cocher en ouvrant la portière avait trouvé Charles mort. Charles avait été frappé d’apoplexie foudroyante. Quelque vaisseau s’était rompu. Il était baigné de sang. Ce sang lui sortait par le nez et par la bouche. Un médecin appelé a constaté la mort.

Je n’y voulais pas croire. J’ai dit : — C’est une léthargie. J’espérais encore. Je suis rentré dans le salon, j’ai dit à Alice que j’allais revenir et j’ai couru rue Saint-Maur. À peine étais-je arrivé qu’on a rapporté Charles.

Hélas ! mon bien-aimé Charles ! Il était mort.

J’ai été chercher Alice. Quel désespoir !

Les deux petits enfants dorment.


14 mars. — Je relis ce que j’écrivais le matin du 13 au sujet de ce frappement entendu la nuit.

Charles est déposé dans le salon du rez-de-chaussée de la rue Saint-Maur. Il est couché sur un lit et couvert d’un drap sur lequel les femmes de la maison ont semé des fleurs. Deux voisins, ouvriers, et qui m’aiment, ont demandé à passer la nuit près de lui. Le médecin des morts, en découvrant ce pauvre cher mort, pleurait.

J’ai envoyé à Meurice une dépêche télégraphique ainsi conçue :

« Meurice, 18, rue Valois. — Affreux malheur. Charles est mort ce soir 13. Apoplexie foudroyante. Que Victor revienne immédiatement. »

Le préfet a envoyé cette dépêche par voie officielle.

Nous emporterons Charles. En attendant, il sera mis au dépositoire.

MM. Alexis Bouvier et Germain Casse m’aident dans tous ces préparatifs qui sont des déchirements.

À quatre heures, on a mis Charles dans le cercueil. J’ai empêché qu’on fît descendre Alice. J’ai baisé au front mon bien-aimé, puis on a soudé la feuille de plomb. Ensuite on a ajouté le couvercle de chêne et serré les écrous du cercueil ; et en voilà pour l’éternité. Mais l’âme nous reste. Si je ne croyais pas à l’âme, je ne vivrais pas une heure de plus.

J’ai dîné avec mes deux petits-enfants, Petit Georges et Petite Jeanne.

J’ai consolé Alice. J’ai pleuré avec elle. Je lui ai dit tu pour la première fois.

(Payé au restaurant Lanta le dîner d’hier, où nous attendions Charles, où Alice était, où je n’étais pas.)


15 mars. — Depuis deux nuits je ne dormais pas, j’ai un peu dormi cette nuit.

Edgar Quinet est venu hier soir. Il a dit en voyant le cercueil de Charles dépose dans le salon :

— Je te dis adieu et au revoir, grand esprit, grand talent, grande âme, beau par le visage, plus beau par la pensée, fils de Victor Hugo !

Nous avons parlé ensemble de ce superbe esprit envolé. Nous étions calmes. Le veilleur de nuit pleurait en nous entendant.

Le préfet de la Gironde est venu. Je n’ai pu le recevoir.

Ce matin, à dix heures, je suis allé rue Saint-Maur, 13. La voiture-fourgon des pompes funèbres était là. MM. Bouvier et Mourot m’attendaient. Je suis entré dans le salon. J’ai baisé le cercueil. Puis on l’a emporté. Il y avait une voiture de suite. Ces messieurs et moi y sommes montés. Arrivés au cimetière, on a retiré le cercueil de la voiture-fourgon, et six hommes l’ont porté à bras. MM. Alexis Bouvier, Mourot et moi, nous suivions, tête nue. Il pleuvait à verse. Nous avons marché derrière le cercueil.

Au bout d’une longue allée de platanes, nous avons trouvé le dépositoire, cave éclairée seulement par la porte. On y descend par cinq ou six marches. Il y avait plusieurs cercueils, attendant, comme va attendre celui de Charles. Les porteurs ont descendu le cercueil. Comme j’allais suivre, le gardien du dépositoire m’a dit : — On n’entre pas. — J’ai compris et j’ai respecté cette solitude des morts.

MM. Alexis Bouvier et Mourot m’ont ramené rue Saint-Maur, 13.

Alice était en syncope. Je lui ai fait respirer du vinaigre et je lui ai frappé dans les mains. Elle s’est réveillée et a dit : — Charles, où es-tu ?

Je suis accablé de douleur.


16 mars. — Petite Jeanne souffre de ses dents. Elle a mal dormi.

À midi, Victor arrive, avec Barbieux et Louis Mie[5]. Nous nous embrassons en silence et en pleurant. Il me remet une lettre de Meurice et de Vacquerie.

Nous décidons que Charles sera dans le tombeau de mon père au Père-Lachaise, à la place que je me réservais. J’écris à Meurice et à Vacquerie une lettre où j’annonce mon départ avec le cercueil pour demain et notre arrivée à Paris pour après-demain. Barbieux partira ce soir et leur portera cette lettre.


17 mars. — Nous comptons partir de Bordeaux avec mon Charles, tous, ce soir, à six heures.

Nous sommes allés, Victor et moi, avec Louis Mie, chercher Charles au dépositoire. Nous l’avons porté au chemin de fer.

Nous sommes partis de Bordeaux à six heures trente du soir. Arrivés à Paris à dix heures trente du matin.


18 mars. — À la gare, on nous reçoit dans un salon où l’on me remet les journaux qui annoncent notre arrivée pour midi. Nous attendons. Foule, amis.

À midi, nous partons pour le Père-Lachaise. Je suis le corbillard, tête nue, Victor est près de moi. Tous nos amis suivent, et le peuple. On crie : Chapeaux bas !

Place de la Bastille, il se fait autour du corbillard une garde d’honneur spontanée de gardes nationaux qui passent le fusil abaissé. Sur tout le parcours jusqu’au cimetière, des bataillons de garde nationale rangés en bataille présentent les armes et saluent du drapeau. Les tambours battent aux champs. Les clairons sonnent. Le peuple attend que je sois passé et reste silencieux, puis crie : Vive la République !

Il y avait partout des barricades qui nous ont forcés à de longs détours.

Au cimetière, dans la foule, j’ai reconnu Millière, très pâle et très ému, qui m’a salué, et ce brave Rostan. Entre deux tombes une large main s’est tendue vers moi et une voix m’a dit : — Je suis Courbet. En même temps j’ai vu une face énergique et cordiale qui me souriait avec une larme dans les yeux. J’ai vivement serré cette main. C’est la première fois que je vois Courbet.

On a descendu le cercueil. Avant qu’il entrât dans la fosse, je me suis mis à genoux et je l’ai baisé. Le caveau était béant. Une dalle était soulevée. J’ai regardé le tombeau de mon père que je n’avais pas vu depuis l’exil. Le cippe est noirci. L’ouverture étant trop étroite, il a fallu limer la pierre. Cela a duré une demi-heure. Pendant ce temps-là, je regardais le tombeau de mon père et le cercueil de mon fils. Enfin, on a pu descendre le cercueil. Charles sera là avec mon père, ma mère et mon frère.

Mme  Meurice a apporté une gerbe de lilas blanc qu’elle a jetée sur le cercueil de Charles. Vacquerie a parlé. Il a dit de belles et grandes paroles. Louis Mie aussi a dit à Charles un adieu ému et éloquent.

Puis je m’en suis allé. On a jeté des fleurs sur le tombeau. La foule m’entourait. On me prenait les mains. Comme ce peuple m’aime, et comme je l’aime !

Nous sommes revenus en voiture avec Meurice et Vacquerie. On me remet une adresse du club de Belleville tout à fait ardente et sympathique signée : Millière, président, et Avrial, secrétaire.

Je suis brisé. Mon Charles, sois béni !

21 mars. — Nous comptons partir demain soir pour Bruxelles.


22 mars. — Partis de Paris hier soir à neuf heures, nous arrivons à Bruxelles à deux heures.

Mme  Jules Simon avant-hier quand elle est venue me voir me disait : — Nous sommes déplorablement installés à Versailles[6]. Le plafond sent le palais, le plancher sent l’ambulance. De l’or en haut, du sang en bas. Nous couchons dans des galetas qui ont des lambris de pourpre. Nos lits n’ont qu’un matelas[7]. D’immenses salles glaciales et démeublées, ce sont nos chambres, on ne saurait voir plus de misère dans plus de faste.


23 mars. — Continuation des troubles à Paris.


25 mars. — L’état de Paris est grave, surtout à cause des prussiens qui sont là, tenant la ville sous leur canon. Thiers, en voulant reprendre les canons de Belleville, a été fin là où il fallait être profond. Il a jeté l’étincelle sur la poudrière. Thiers, c’est l’étourderie préméditée. En voulant éteindre la lutte politique, il a allumé la guerre sociale.


27 mars. — Paris est épuisé. Les élections communales vont avoir lieu.

Clément Thomas, qui vient d’être si étrangement tué à Montmartre par une espèce de tribunal de francs-juges, avait été proscrit au coup d’état. En février 1852, il vint me voir à Bruxelles. J’étais logé en compagnie de mon Charles, Grand’Place, <abbr class="abbr" title="numéro">n<sup style="font-size:70%">o 16. Clément Thomas avait à peu près mon âge. Nous causâmes longtemps. C’était un républicain sincère, mais de l’école étroite et formaliste du National. Il avait du reste pris Charles en grande amitié. Tous deux sont morts.


28 mars. — M. Ludwig Wilh vient me voir après mon déjeuner. Il m’annonce que l’Étoile belge publie ma nomination à Paris comme membre de la Commune. Blanqui et Flourens seraient aussi élus.


29 mars. — Ma nomination ne semble pas se confirmer. Tant mieux.


3 avril. — Je ne reçois plus de lettres de Paris. La poste n’y est plus distribuée. La crise devient aiguë.

4 avril. — Chose poignante, on se bat entre français. La guerre a éclaté entre Paris et Versailles.

Minuit. — Hier bataille sous les murs de Paris. Flourens a été tué. Très brave et un peu fou. Je le regrette. C’était le chevalier rouge.


9 avril. — Visite de M. Dreyfus qui arrive de Paris. Il vient de rencontrer, me dit-il, dans la rue Fossé-aux-Loups, Canrobert. Bruxelles est plein de bonapartistes qui attendent. Quoi ?

M. Ernest Lefèvre[8] vient d’arriver. Victor penchait la tête à ma fenêtre, place des Barricades, il m’a dit : — Tiens ! Ernest Lefèvre ! — En effet, M. Ernest Lefèvre était à la porte et sonnait.

Voici ce qui lui est arrivé : il a donné avant-hier sa démission de membre de la Commune, et s’est hâté de quitter Paris. Il nous a dit : — Ceci est le dilemme, démissionnaire aujourd’hui, fusillé demain. Cette Commune est folle. On y délibère en secret. On y parle le revolver au poing. Delescluze et Pyat provoquent les résolutions violentes, et s’esquivent au moment du vote. — Lors de leur décret des suspects, Ernest Lefèvre ayant demandé l’appel nominal, Delescluze, qui voulait voter pour sans qu’on connût son vote, s’est emporté et a menacé Ernest Lefèvre. Le préfet de police, un nommé Raoul Rigault, dit : — J’admire Marat, mais il était mou. — Ernest Lefèvre ayant appelé un membre l’honorable citoyen a été accablé d’injures comme entaché de parlementarisme.

Bref, cette Commune est aussi idiote que l’Assemblée est féroce. Des deux côtés, folie. Mais la France, Paris et la République s’en tireront.


11 avril. — Le jour où nous avons dîné pour la première fois au pavillon de Rohan, Flourens a dîné avec nous ainsi que son aide de camp, un grec qu’il m’a présenté. Flourens était alors major de rempart nommé par le général Trochu. Son aide de camp a été blessé à côté de Flourens tué. Il est en ce moment prisonnier à Versailles.


13 avril. — Paris muré de nouveau, s’éclaire de nouveau au pétrole. Plus de gaz.

On se bat à la barrière de l’Étoile. Ce qui n’empêche pas la foire au pain d’épice à la barrière du Trône. Tel est Paris.


15 avril. — Ce matin, j’ai fait contre la guerre civile les vers intitulés : Un cri. Je les envoie à Paris.

Alfred Asseline est de retour à Bruxelles, il vient de Paris. Il n’a pu partir qu’à grand’peine et caché dans le compartiment des dépêches.


17 avril. — M. Ludwig Wilh a traduit en vers allemands pour les journaux allemands les vers contre la guerre civile.

Les gens de Versailles ont fait arrêter Lockroy.


20 avril. — La lutte s’aggrave à Paris. Ulbach arrêté à Paris.


21 avril. — Alice a reçu de Mme  Jules Simon une lettre indignée contre les gens de la Commune. Elle se plaint du pillage chez elle.


23 avril. — Lockroy en prison à Versailles, Ulbach en prison à Paris, Pierre Véron en exil à Bruxelles, cela caractérise la situation.


24 avril. — Félix Pyat a donné sa démission de la Commune et a déclaré dans le Drapeau que c’était à cause de la suppression de quatre journaux. Là-dessus, séance de la Commune où le membre Clément, appuyé par une foule d’autres, déclare que Pyat a approuvé la suppression des journaux, et que sa démission est une désertion.

Dans la même séance le citoyen Delescluze déclare qu’il ne quittera pas la Commune et qu’il se fera tuer.


25 avril. — Émile Deschamps est mort à Versailles. Il avait quatrevingts ans. Charmant talent, charmant esprit, cœur charmant.


27 avril. — Armistice de quelques heures entre Versailles et Paris.


30 avril. — J’ai déjà donné à Petit Georges trois leçons de lecture et d’écriture mêlées.

Les journaux annoncent qu’on n’a pu retrouver le ballon Victor Hugo qui, parti de Paris en octobre 1870, était allé s’abattre en Belgique. Moi, pendant ce temps-là, j’étais parti de Belgique et j’étais allé m’enfermer à Paris.


2 mai. — Ce soir à minuit, clair de lune, j’ai entendu dans les arbres de la place des Barricades chanter un rossignol. Était-ce une de mes chères âmes ?


3 mai. — À minuit, le rossignol. En même temps j’entendais Jeanne endormie dire en rêvant : Papa.

6 mai — Garibaldi m’a écrit. Sa lettre m’est transmise par le général Bordone qui est arrêté et au secret dans les prisons de Marseille.


11 mai. — Paris est de nouveau muré. Les lettres de Paul Foucher à l’Indépendance belge sont interceptées.


12 mai. — Paul Foucher a failli être arrêté par ordre de la Commune. Il s’est échappé. Il est à Versailles. Schœlcher est arrêté. Par qui ? Par ceux de Versailles ? Non. Par ceux de Paris. Ernest Lefèvre est prévenu par moi (avisé par le colonel Laussedat qui arrive de Francfort où sont Favre et Bismarck) qu’il y a un ordre d’extradition signé contre tous les membres de la Commune, et qu’il n’en est peut-être pas excepté. (Dès que Thiers sera maître de Paris.)


14 mai. — Auber est mort. Il avait quatrevingt-neuf ans.

Musique italienne. Charmante, quelquefois belle, quelquefois vulgaire. Rossini en haut, Auber à mi-côte, Adam en bas. Trois maîtres de même race, l’un confinant au sublime, l’autre au vulgaire ; mais le premier ayant quelque chose des défauts du dernier, et le dernier quelque chose des beautés du premier.


15 mai. — La Commune fait démolir la maison de Thiers. Odieux et bête.


23 mai. — L’armée de Versailles est entrée dans Paris. Billioray est tué[9], Paschal Grousset[10] est en fuite. Pyat est caché.


24 mai. — Le bruit court que le Louvre et les Tuileries brûlent. Je ne puis le croire.

Rochefort arrêté à Meaux a été amené en plein jour à Versailles et livré aux huées de la populace. Indigne exhibition. Turba.


25 mai. — Fait monstrueux. Ils ont mis le feu à Paris. On envoie jusqu’en Belgique chercher des pompiers. Ceux de Bruxelles viennent de partir à toute vapeur.

J’ai écrit ma protestation contre le déni d’asile du gouvernement belge aux vaincus de la Commune. Elle sera demain dans l’Indépendance.

27 mai. — Ma protestation en faveur du droit d’asile a paru. Polémique.

L’incendie de Paris diminue. Force lettres et visites me remerciant et me félicitant de ma protestation pour le droit d’asile.


1er juin. — Nous sommes partis de Bruxelles à midi trente-cinq[11].


Luxembourg. 3 juin. — Cournet fusillé, Razoua fusillé, Delescluze tué, Millière fusillé, Ranc prisonnier, Malon prisonnier, Édouard Lockroy prisonnier, faisaient partie de la réunion de la gauche que je présidais, maison Sieuzac, à Bordeaux. Il y a trois mois de cela.

Mourot, prisonnier avec Rochefort, était un des deux seuls amis qui m’accompagnaient au transfert du cercueil de Charles au dépositoire des morts de Bordeaux. L’autre était M. Alexis Bouvier. Dans la longue allée de peupliers du cimetière, sous la pluie à verse, nous étions tête nue tous les trois, derrière le corbillard. Bouvier était à ma droite, Mourot à ma gauche.


5 juin. — Miot et Gambon que j’avais invités à dîner chez moi tous les jours en octobre 1869 sont fusillés.

Au congrès de Lausanne que je présidais en septembre 1869, Chaudey parla, puis Longuet[12]. Chaudey a été fusillé par la Commune, Longuet a été fusillé par l’Assemblée.

Cluseret vint me voir le 7 septembre (j’écris la date de souvenir). Je venais d’arriver à Paris. Il m’avait souvent écrit. Je ne l’avais jamais vu. Je le reçus dans le cabinet de Paul Meurice. C’était un homme d’assez haute taille, à la figure ronde et pleine, aux yeux hardis et indécis, la moustache, l’allure militaires, l’air respectueux. Il me dit : — Ce gouvernement (Trochu, Jules Favre, etc.) trahit. Il livrera Paris. Vous, Victor Hugo, nommez-moi général. Votre signature me suffit. Je lèverai un corps franc de cinquante mille hommes et je chasserai les prussiens. — Paul Meurice lui répondit pour moi : — Victor Hugo ne veut ni ne peut faire acte de gouvernement. — Il salua et partit. Je ne l’ai plus revu. Il vient d’être fusillé.

Cissey, général, a fusillé à lui seul plus de six mille insurgés prisonniers. Thiers avait dit : — Rien ne se fera que pour les lois, avec les lois, et par les lois.


7 juin. — Lettre de Vacquerie. Il est en sûreté. L’Indépendance dit que Meurice est prisonnier à Versailles. Le Siècle dit qu’il n’a pu être arrêté et qu’il est à l’étranger.


8 juin. — Nous partons aujourd’hui pour Vianden. À Diekirsch, où nous sommes arrivés à six heures, on avait annoncé mon arrivée. Il y avait foule à la gare, bien qu’il plût à verse. On m’a salué. Quelques hommes ont dit à demi-voix : Vive la République ! Je l’ai répété à haute voix. Il y avait beaucoup de femmes très bien mises, et quelques-unes jolies. Une d’elles, fort belle, me regardait avec une inexprimable douceur. J’ai dit à Jeanne, que j’avais sur mes genoux, de lui envoyer un baiser. Jeanne a regardé la dame et a mis sa petite main sur sa bouche. La dame a baissé vivement son voile en souriant à Jeanne et s’est mise à pleurer. Charmante apparition.

Un instant après nous partions. Nous sommes arrivés à Vianden à sept heures et demie.


Vianden. 13 juin. — Alice a reçu une lettre de Mme  Jules Simon. — Triste. — Et une lettre de Schœlcher. — Schœlcher lui-même semble découragé. Meurice me préoccupe, Rochefort m’inquiète. Que faire ? Je ne puis plus rien, mais j’essaierai tout. Je me suis mis à la disposition de Mme  Paul Meurice. Hélas ! je ne vaux plus rien pour mes amis. Je suis devenu compromettant.

Reçu une lettre de Louis Blanc. Dans les termes les plus amicaux, lui et Schœlcher se séparent de moi à l’occasion de ma protestation. Je leur répondrai : Franchise pour franchise. Une protestation pour le droit d’asile, et contre la réaction, était nécessaire. Je l’eusse faite dans l’Assemblée, je l’ai faite hors de l’Assemblée. Je ne veux ni du crime rouge, ni du crime blanc. Vous vous êtes tus, j’ai parlé. J’ai combattu le vœ victis. L’avenir jugera.

14 juin. — On s’est battu au Père-Lachaise. Beaucoup de sépultures sont détruites. Les journaux annoncent qu’on a respecté le tombeau de mon père, où j’ai mis le 18 mars mon Charles. La tombe est intacte.


15 juin. — On me remet une lettre. Une femme m’écrit. Elle était la femme d’un nommé Garreau, serrurier, directeur de Mazas sous la Commune. Ce malheureux a été fusillé. Sa femme, en fuite, demande à entrer à mon service. Louise devant partir le 25, j’engage Alice à prendre Marie Mercier (c’est son nom) pour remplacer Louise. La pauvre femme dit que ce serait pour elle le paradis.


16 juin. — Charles Delescluze à Bordeaux faisait partie de la réunion de représentants de la gauche, rue Lafaurie-Monbadon, que je présidais. Je ne l’avais jamais vu. Un jour, dans une séance de la réunion qui, par extraordinaire, avait lieu dans le jour, et qui se tenait au 11e bureau, j’aperçois à un bout de la table où nous siégions un profil livide, yeux jaunes, lèvres bilieuses, cheveux blancs ayant été blonds. Édouard Lockroy était à ma droite. Je lui dis : — Quel est cet homme ? — Il me répond, bas : — C’est Delescluze. — Il était question des représentants de l’Alsace. J’avais proposé de déposer un projet de décret pour les retenir dans l’Assemblée. La gauche avait acclamé mon idée et m’avait demandé de rédiger la proposition. Delescluze parla pour de l’air dont il aurait parlé contre. Il affectait de ne pas prononcer mon nom et me désignait ainsi : le citoyen. Ce qui ne me fâchait pas. Il me regardait avec des yeux de haine inexprimable. Le soir, il y eut une deuxième réunion sur le même sujet. Delescluze y vint. Je lus ce que j’avais écrit. La lecture de la proposition, fixée en rédaction définitive, fit grand effet sur la gauche. On me félicita. Delescluze se leva, le visage sinistre et furieux, regarda de travers ma proposition déposée sur le bureau, et déclara avec rage qu’il l’approuvait. Je ne l’ai vu que ces deux fois-là.


18 juin. — Maurice Garreau était sous la Commune directeur de Mazas. Il allait tous les jours causer deux ou trois heures avec l’archevêque. Il répondait à Raoul Rigault qui le blâmait : — C’est égal, ça le désembête.

Ce pauvre Garreau a été fusillé. Sa veuve qui est ici, Marie Mercier, m’a raconté le fait. — Alice lui donne de l’ouvrage et je la secours de mon mieux.

Garreau, directeur de Mazas, a refusé de mettre le feu à la prison. Il a fait ce qu’il a pu pour alléger le sort des otages. Sa femme, malgré les défenses, portait les journaux à l’archevêque, non, dit-elle, qu’elle l’aimât plus que les autres curés, mais parce qu’il s’ennuyait bien, et que cela lui faisait, à elle, de la peine.

Ce fut le mercredi 24 qu’on vint chercher les otages à Mazas pour les mener à la Roquette. Le président Bonjean disait en causant avec l’archevêque : — Du côte de Versailles on commet des atrocités. Cela est dangereux pour nous. — Avant de partir, ils semblaient inquiets. L’archevêque fit distribuer aux prisonniers le vin qu’il laissait dans sa cellule et que lui avait apporté sa sœur, Mme  de Beauregard. Il demanda à Garreau : — Où nous mène-t-on ? — Je l’ignore, dit Garreau. Il le savait. Sa femme aussi. Elle avait les yeux pleins de larmes, quoique haïssant les prêtres, dit-elle. Mais on ne devait pas les tuer. — Garreau, consterné, alla se coucher et dit à sa femme : — Ne me parle pas. C’est affreux de tuer ces gens-là. — Les otages partirent dans de grands omnibus du chemin de fer, sans autre garde que deux gardes nationaux dans chaque voiture. La foule assemblée devant Mazas cria en les voyant : — À bas la prêtraille ! Les voitures partirent au galop. À la Roquette, ils furent mis en cellule, et ils vivaient encore le lendemain jeudi à cinq heures. Mais des furieux criaient : — Les Versaillais fusillent les nôtres, est-ce qu’on ne va pas fusiller ceux-là ? Ceci détermina le meurtre. Quand on les fusilla, les troupes n’étaient qu’à un demi-quart de lieue de la Roquette.

Entre autres faits, voici comment une femme a été fusillée. Elle avait été blessée d’un éclat d’obus au fort d’Issy où elle combattait avec Mme  Eudes, André Léo et Rochebrune. On l’avait portée à une ambulance du xive arrondissement. Les troupes de Versailles, victorieuses, sont entrées dans cette ambulance. Les soldats ont arraché de son lit la blessée. On l’a traînée au camp voisin. Elle était en chemise. Elle a écarté sa chemise et montré ses seins au peloton qui la couchait en joue en disant : — Délivrez-moi. — Les soldats tremblaient. Ils l’ont mal ajustée. Elle n’est morte qu’à la seizième balle.

Marie Garreau n’a pas vu ces faits, mais ils lui ont été racontés par un témoin oculaire. Elle a vu de ses yeux fusiller au faubourg Saint-Antoine la femme qui avait dans ses bras un enfant de six semaines.

Marie Garreau me dit : — Que j’ai vu de ruisseaux de sang !


19 juin. — Je reçois une lettre de Paul Meurice. Grande joie. Il est mis en liberté.

Je reçois de Liège (envoi de Victor) des affiches, des brochures, des journaux et des caricatures contre ceux qui m’ont assailli et expulsé. Réveil de l’opinion.

J’écris à Meurice qu’il vienne à Vianden.

24 juin. — Lettre de Busnach. Henri Rochefort désire que j’écrive pour à Thiers.

Georges et Jeanne ont vu aujourd’hui pour la première fois un colimaçon, les cornes sortant et rentrant. Grande stupeur. Jeanne a d’abord ri, puis a fini par pleurer.


26 juin. — En 1849, j’ai présidé le Congrès de la Paix à Paris ; j’avais trois vice-présidents : Cobden, Coquerel, Deguerry. Le 24 août, anniversaire de la Saint-Barthélemy, au moment de clore le Congrès j’ai fait s’embrasser Deguerry et Coquerel[13]. Cobden est mort, Coquerel est mort, Deguerry vient d’être fusillé.


28 juin. — Georges vient de me dire : — Il y a ici une petite fille qui me donne des bêtes. — Il avait un colimaçon dans une main et un hanneton dans l’autre.

Les journaux annoncent qu’un M. de Montépin demande aux auteurs dramatiques que je sois exclu de la société comme ayant fait partie (occulte évidemment) de la Commune[14].


30 juin. — Victor est revenu ce soir. Il m’a apporté une nouvelle affiche d’un meeting à Liège contre mon expulsion.

Je reçois une adresse du Comité des instituteurs belges contre l’acte du gouvernement belge envers moi.

1er Juillet. — Les journaux annoncent que la liste radicale de Paris commence ainsi :

Victor Hugo
Gambetta.


Gambetta désire être nommé. Moi point.


5 Juillet. — Comme je le savais d’avance, je n’ai pas la moindre chance d’être en ce moment nommé à Paris. Le plus que la réaction puisse porter, c’est Gambetta.


23 Juillet. — L’horloge du pavillon des Tuileries marque neuf heures moins dix minutes, le moment précis où l’incendie l’a touchée et arrêtée.


5 août. — Depuis quelques jours, beaucoup d’officiers prussiens en uniformes, sabre au côté et casque en tête, viennent à Vianden, stationnent sur le pont devant ma maison, et quand je parais à ma fenêtre, me saluent. Cela va m’empêcher de me mettre à la fenêtre.


23 août. — Nous avons quitté Vianden.


Mondorf. 2 septembre. — Paul de Kock est mort. Thiers est nommé par l’Assemblée président de la République.


5 septembre. — Il y a un an je rentrais à Paris. Quelles acclamations alors ! quelle réaction aujourd’hui ! Et qu’ai-je fait ? mon devoir.


16 septembre. — Reçu un télégramme de Meurice. Il nous a loué pour un an un appartement rue La Rochefoucauld, 66.


18 septembre. — Lettre de Paul Meurice. M. Chilly demande Ruy Blas pour l’Odéon. M. Perrin demande tout mon répertoire pour le Théâtre-Français.


22 septembre. — Arrive un télégramme de Bochet, annonçant la condamnation de Rochefort à la déportation dans une enceinte fortifiée. Cela me détermine à partir le plus tôt possible pour Paris. J’espère pouvoir partir demain.


23 septembre. — Voici notre itinéraire : aujourd’hui 23, Thionville, demain 24, Reims, après-demain 25, Paris.

25 septembre. — Nous sommes partis de Reims pour Paris à midi et demi. Nous arrivons à Paris à six heures. Nous allons à l’appartement retenu, 66, rue La Rochefoucauld. Nous allons descendre rue Laffitte, hôtel Byron.


Paris. 26 septembre. — Ce matin Meurice arrive. Puis Bochet. Nous causons de Rochefort. Je ferai pour le sauver ce qu’on voudra ; mais je ne suis plus rien.


28 septembre. — Rochefort m’a écrit. J’ai écrit à Thiers.


29 septembre. — Visite de d’Alton-Shée. Sa femme vient d’accoucher. Demeurant à Passy, elle a été fin mai et commencement de juin douze jours et douze nuits sans dormir, à cause des feux de peloton, des fusillades et des cris d’hommes et d’enfants qu’on fusillait dans le bois de Boulogne sans interruption jour et nuit.

Promenade le soir en voiture. Nous avons vu les ruines des Tuileries et de l’Hôtel de Ville. Sinistre.


30 septembre. — Un homme officiel, grave et noir, est venu m’apporter la réponse de M. Thiers. Il m’attend demain dimanche à deux heures.


1er octobre. — Je suis allé voir M. Thiers pour Rochefort. À midi et demi, départ pour Versailles. Dans le wagon un homme ganté de jaune qui lit le Figaro a l’air de me reconnaître et me regarde d’un air furieux ; arrivée à Versailles à une heure et demie. Pluie et soleil. À deux heures j’entrais à la Préfecture, que M. Thiers habite. On m’a introduit dans un salon drapé de soie cramoisie.

Un instant après, Thiers est entré. Il m’a tendu la main et je l’ai prise. Il m’a conduit, à travers des corridors et des escaliers, à un cabinet retiré, où il a fait faire un peu de feu. Nous avons causé.

L’entretien a été long et suffisamment cordial. Je l’ai félicité de ce qu’il a fait pour la libération du territoire, et j’ai ajouté :

— Du reste, des abîmes séparent mon opinion de la vôtre. Il y a entre nous des désaccords auxquels vous tenez, et moi aussi. Mais des rencontres de consciences sont possibles.

La commission dite des grâces est tellement féroce qu’il n’y a aucune commutation officielle à espérer pour Rochefort. Mais, à défaut de commutation officielle, il peut y avoir une commutation de fait.

Voici ce que j’ai obtenu de Thiers pour Rochefort :

Rochefort ne sera pas embarqué. Il subira sa peine dans une forteresse, en France. Je me suis récrié contre une forteresse, et contre Belle-Île et contre le Mont-Saint-Michel. Thiers m’a dit : Je prends note de votre désir. Je ferai mieux.

J’ai demandé Nice.

Rochefort verra ses enfants librement, et tant qu’il voudra.

Enfin, comme il faut qu’il vive, il pourra écrire l’histoire de Napoléon III, qu’il veut faire.

Et puis, d’ici à six ou sept mois, l’amnistie arrivera ; et il sera libre.


Je dois dire que Thiers est entré dans beaucoup de détails. Il m’a notamment raconté des scènes d’intérieur des commissions de l’Assemblée et des conseils de guerre, et sa conversation avec l’empereur d’Autriche au sujet de l’empereur d’Allemagne, que l’empereur d’Autriche appelle mon oncle. Tout à coup, Thiers s’est interrompu, et a dit : Mais j’en dis trop. Puis, il a repris : Non, je sais à quel honnête homme j’ai affaire. Je lui ai dit : — Soyez tranquille.

C’est pourquoi je n’écris pas cette conversation plus en détail.

Il m’a dit :

— Je suis comme vous un vaincu qui a l’air d’un vainqueur ; je traverse comme vous des tourbillons d’injures. Cent journaux me traînent tous les matins dans la boue. Mais savez-vous mon procédé ? Je ne les lis pas. — Je lui ai répondu : — C’est précisément ce que je fais. Votre procédé est le mien. — Et j’ai ajouté : — Lire des diatribes, c’est respirer les latrines de sa renommée. — Il m’a serré la main en riant.

J’ai appelé son attention sur les atrocités déjà commises, et je l’ai engagé à ne laisser exécuter aucun condamné. J’ai demandé qu’il muselât les gens à épaulettes. J’ai insisté pour l’amnistie. Il m’a dit :

— Je ne suis qu’un pauvre diable de dictateur en habit noir.

L’entretien, commencé à deux heures un quart, a duré jusqu’à trois heures et demie. À quatre heures, je suis reparti pour Paris.


Il y avait dans le wagon deux jeunes officiers frais éclos de Saint-Cyr, et une jeune femme avec un jeune homme, son mari probablement. La jeune femme lisait un journal, l’Éclipse, où il y a une caricature de Henri V par Gill. Je regardais Sèvres et les bois de Meudon. Tout à coup la jeune femme montre du doigt à son mari une ligne du journal et s’écrie : — Victor Hugo est un héros.

— Prends garde, dit le jeune homme bas, il est là ! — Et il m’a montré discrètement.

La jeune femme a pris mon chapeau qui était sur la banquette et en a baisé le crêpe ; puis elle m’a dit :

— Vous avez bien souffert, monsieur ! continuez de défendre les vaincus. Et elle a pleuré. Je lui ai baisé la main. C’est une âme charmante qui a de bien beaux yeux. Je lui ai donné la main, à Paris, pour descendre de wagon, et, après un salut, nous nous sommes perdus chacun de notre côté dans la foule.


2 octobre. — M. Thiers m’informe par dépêche télégraphique que je puis aller voir Rochefort. Le général Appert m’attendra à une heure et me conduira. Je reçois la dépêche trop tard pour arriver à une heure. Je pars néanmoins.

En route, je viens en aide à une pauvre femme qui est montée péniblement dans le wagon où je suis. La voiture où elle était a versé. Elle a la fièvre et des battements de cœur. Je lui donne des conseils et je la rassure. Elle me prend pour un médecin.

Arrivée à Versailles à une heure trois quarts. Le général Appert ne comptant plus sur moi est parti. Je m’adresse au colonel Gaillard. Obstacle. M. Thiers a oublié que, depuis le 25, Rochefort a été lâché par la justice militaire et saisi par le pouvoir civil. Ce n’est plus le général Appert qui règne sur la prison, c’est le préfet. Le colonel Gaillard me pilote à la préfecture ; pas de préfet. Il est parti. Le secrétaire général ? — Pas de secrétaire général. Il est chez le ministre. Je me décide à l’attendre. On lui envoie une dépêche. Il arrive. Il me fait traverser la rue. Prison et palais se touchent. Il n’y a qu’à passer le ruisseau. Rochefort loge en face de Thiers.

À la prison, empressement. On m’introduit dans un salon long de huit pieds, large de cinq, éclairé d’un soupirail grillé, meublé de deux chaises dépaillées et d’une latrine. C’est une cellule qui sert aux visites de haute faveur. Le directeur fait boucher la tinette, me salue jusqu’à terre et s’en va.

La porte s’ouvre. Entre Rochefort, pâle, l’œil allumé. Il se jette dans mes bras. Je lui dis tout ce que j’ai obtenu. Il est heureux. Je lui dis en outre ce que je viens de savoir du colonel Gaillard, qu’il n’y a rien, absolument rien de vrai dans les calomnies semées sur le compte de sa pauvre petite Noémie[15], et que c’est une rose et un ange. Il était ravi ; le voilà épanoui. Nous nous embrassons encore. Nous causons. Il garde ma main dans ses mains. Il me dit : — Vous me sauvez ! et il ajoute : — Au reste, c’est la seconde fois. — J’ai oublié la première, lui dis-je. — Comment ! en 1868, ne m’avez-vous pas ouvert vos bras quand j’entrais en exil ! reprend-il. Sans vous, je serais mort de nostalgie.

Il verra ses enfants, il ne sera pas embarqué, il sera libre d’écrire son histoire de Napoléon III, je lui promets un grand succès, et je lui montre prochainement l’amnistie.

— Encore quelques mois, lui dis-je, et vous serez libre.

Il reprend : — Sans vous, j’étais mort.

Et il me montre ses cheveux qui sont tout gris.

Mais il faut partir. Je lui dis : — J’ai Meurice et Blum à dîner. — Emmenez-moi, me dit-il en riant. — Je vous invite avant six mois, lui dis-je.


Et nous nous quittons après un long embrassement.

— Reviendrez-vous ? — Oui, certes.

Et il rentre pendant que je sors. Il est content, il va bien dormir, je suis heureux.

J’étais de retour à Paris à six heures et demie.


3 octobre. — Mme  Henry Maret est venue me voir. Je m’occuperai de son mari qui, lui aussi, est condamné.

Un journaliste, Maroteau, est condamné à mort pour fait de presse !

Rochefort m’a dit hier : — J’ai écrit sur le mur de ma cellule les trois vers que vous avez faits sur moi dans l’Année terrible[16].


4 octobre. — Visite de M. Floquet. Floquet m’a parlé du complot bonapartiste. Ladmirault[17] tient Paris. L’empire est armé. Paris est désarmé.

J’ai rencontré Langlois rue Pigalle. Il m’a sauté au cou. Nous sommes allés causer dans mon nouveau logis, au milieu des caisses d’emballage. Lui aussi voit s’approcher le complot bonapartiste. Il m’a consulté sur le renouvellement de l’Assemblée par tiers.


9 octobre. — Reçu la lettre définitive du directeur de l’Odéon. Je lui réponds. J’accepte. Le traité pour Ruy Blas est conclu.


10 octobre. — Victor a trouvé Rochefort presque radieux. Il lui a dit : — Vous me charmez avec votre air de santé et de joie. — Rochefort lui a dit : — Je le dois à votre père.

Il sera transféré à Tours ou à Avignon à son choix. Toutes les promesses que Thiers m’a faites seront tenues.




1871.

J’ai un peu erré dans Paris.

La maison de la rue de Clichy, numéro 3 ou 5, où j’ai été petit enfant vers 1806, a été démolie pour faire une place.

La maison des Feuillantines, où j’étais en 1810 et 1811, a été démolie pour faire une rue.

La maison de la rue Sainte-Marguerite, 42, pension Cordier, où j’ai été élève, rhétorique et philosophie, de 1815 à 1817, a été démolie pour faire une rue.

La maison de la rue des Petits-Augustins, 18, où j’étais en 1818 et 1819, avec ma mère et mes frères, a été démolie pour faire une cour (la cour de l’École des Beaux-Arts).

La maison de la rue de Mézières, 10, où ma mère est morte, a changé d’aspect et est méconnaissable. Ma mère est morte en 1821.

La maison de la rue de Vaugirard, 92, où Charles est né en 1826, a été démolie pour faire une place.

La maison de la place Royale, 6, où j’ai habité seize ans, est défigurée. Le balcon s’est écroulé.

La maison de la rue de la Tour-d’Auvergne, 37, où j’ai habité d’octobre 1848 à décembre 1851, a perdu sa belle vue sur Paris. Elle est masquée au sud par de hautes maisons neuves.

La chapelle de la Vierge, à Saint-Sulpice, où ma mère a été enterrée et où je me suis marié, a été trouée d’un obus prussien le 13 janvier 1871.


  1. Millière avait pris part, le 31 octobre 1870, au mouvement insurrectionnel contre le Gouvernement de la Défense nationale. (Note de l’éditeur.)
  2. Rédacteur en chef de la Gironde, en 1855 ; secrétaire du Gouvernement de la Défense nationale ; rédacteur en chef du Journal officiel, puis consul général à Amsterdam. (Note de l’éditeur.)
  3. Romancier et auteur dramatique. (Note de l’éditeur.)
  4. Journaliste ; devint membre de l’Assemblée nationale en 1873, puis, en 1889, gouverneur de la Martinique. (Note de l’éditeur.)
  5. Avocat. Après le 4 septembre 1870, fondateur de la République de la Dordogne ; célèbre par ses nombreux plaidoyers en faveur des journaux républicains poursuivis sous l’empire. (Note de l’éditeur.)
  6. Les différents ministères étaient installés à Versailles et le ministère de l’Instruction publique occupait l’aile gauche du palais au rez-de-chaussée en face l’Orangerie. (Note de l’éditeur.)
  7. Un matelas à terre. (Note de l’éditeur.)
  8. Ernest Lefèvre, avocat, devint député de Paris en 1881 et fut l’un des trois exécuteurs testamentaires désignés par Victor Hugo. (Note de l’éditeur.)
  9. Fausse nouvelle. Billioray, membre de la Commune, a été déporté en 1871 à la presqu’île Ducos où il est mort en 1876. (Note de l’éditeur.)
  10. Journaliste, membre de la Commune en 1871, nommé délégué aux Affaires extérieures. Condamné à la déportation à la Nouvelle-Calédonie d’où il s’évada. (Note de l’éditeur.)
  11. Victor Hugo ayant déclaré qu’il donnerait aux vaincus de la Commune l’asile que le Gouvernement belge leur refusait, sa maison fut attaquée la nuit à coups de pierres par une bande de manifestants qui proféra contre lui des menaces de mort. À la suite de cette agression, le ministre de la Justice prit un arrêté enjoignant « au sieur Hugo » de quitter immédiatement la Belgique. Voir Actes et Paroles, Depuis l’exil. Toute la lyre, La Corde d’airain. (Note de l’éditeur.)
  12. Journaliste. Ses violentes attaques contre l’empire au congrès de Liège le firent, à son retour en France, condamner à la prison. Rédacteur en chef du Journal officiel sous la Commune ; membre de la Commune lors des élections du 16 avril ; à l’entrée des troupes de Versailles, il parvint à se réfugier en Angleterre. Les journaux avaient annoncé sa mort. (Note de l’éditeur.)
  13. Deguerry était curé de la Madeleine ; Coquerel, pasteur protestant. (Note de l’éditeur.)
  14. On lit dans le Figaro :
    La lettre suivante vient d’être adressée à M. Auguste Maquet, président de la Société des Auteurs dramatiques :
    Paris, 22 juin 1871.
    Monsieur le Président,

    J’ai l’honneur de soumettre à votre haute approbation, et à celle de vos collègues, une proposition qui me semble toucher aux intérêts les plus chers de notre dignité.

    Je demande que MM. Félix Pyat, Victor Hugo, Henri Rochefort, Vacquerie, Paul Meurice, ceux enfin d’entre nous qui, soit par leurs actes, soit par leurs écrits, ont pactisé avec les doctrines de la Commune de Paris soient déchus de l’honneur d’appartenir à la fraternelle société des auteurs dramatiques. En effaçant leurs noms de nos listes, nous affirmerons notre indignation légitime contre les chefs et les souteneurs de la secte qui procédait par l’assassinat des otages, l’empoisonnement des soldats de notre armée, le pillage des caisses publiques, l’incendie des palais, des maisons, des théâtres.
    Entre de tels hommes et nous, nous creuserons un abîme. — C’est assurément notre droit, et c’est, je crois, notre devoir.
    Forcé de quitter Paris, et ne pouvant, à mon grand regret, assister à l’assemblée générale du 1er juillet pour y soutenir ma proposition, j’ose vous demander. Monsieur le Président, de vouloir bien donner connaissance de cette lettre à nos collègues réunis.
    Ils comprendront le sentiment qui m’anime et j’espère qu’ils ne refuseront pas de s’y associer.
    Agréez, etc.
    Xavier de Montépin.
    Quelques pages plus loin, un extrait de journal daté du 1er juillet et collé sur un feuillet blanc du carnet annonce que « l’assemblée a écarté la proposition en passant à l’ordre du jour sans discussion, par 55 voix contre 37 ». (Note de l’éditeur.)
  15. Fille de Rochefort. (Note de l’éditeur.)
  16. Ils viennent, louches, vils, dévots, frapper à terre

    Rochefort, l’archer fier, le puissant sagittaire
    Dont la flèche est au flanc de l’empire abattu.

    Les Pamphlétaires d’église.
    (Note de l’éditeur.)
  17. Général ; sous-gouverneur de l’Algérie en 1865 et sénateur en 1866 ; commanda un corps d’armée en 1870 ; prit une part active à la répression de la Commune et devint, le 1er juillet 1871, gouverneur de Paris avec les pleins pouvoirs de l’état de siège ; sénateur en 1876. (Note de l’éditeur.)