Choses vues/1847/Abdul Medjid

Ollendorf (Œuvres complètes. Tome 25p. 230).


ABDUL MEDJID.


Le sultan Abdul Medjid a peu de physionomie, il est laid plutôt que beau ; cependant ses yeux sont doux et intelligents. Il marche et se meut lentement, ce qui est étiquette, et ce qui peut être aussi débilité et rachis. Il a du reste les meilleures intentions. Dernièrement il faisait faire son portrait par un jeune peintre français. — Faire faire son portrait, chose énorme pour un turc, monstrueuse pour un sultan ! — Il parlait histoire avec le peintre et le questionnait fort. Tout à coup il l’interrompit et soupira en disant : — Oh ! j’étudie le plus que je peux ! Nous autres sultans on nous cachait le passé comme le présent. Mais je commence à savoir. Il y a eu des choses bien tristes et bien mauvaises dans toutes les histoires, et en particulier dans la nôtre. Mais avec l’aide de Dieu, j’espère que sous mon règne il n’y en aura pas chez moi ni par moi !

C’est dans cette pensée qu’il a destitué le pacha de Salonique, vieux turc qui faisait religieusement toutes les vieilles cruautés comme nos ultras font toutes les vieilles bêtises. Ce pacha, le plus féroce des hommes et le plus dévot des osmanlis, s’écria en recevant l’ordre du sultan qui le déposait : — C’est fini, le vieil esprit s’en va ! le monde est aux infidèles !

L’étiquette se brise en Turquie comme ailleurs. Maintenant le sultan reçoit le corps diplomatique debout. Après les trois saluts qu’on lui fait, il entre dans les groupes et il cause. Il ne sait que le turc auquel il mêle par-ci par-là quelques mots italiens. Il bégaie aussi quelques mots français. Image de son peuple qui bégaie la civilisation.

Ce mot lui-même, civilisation, vient d’entrer dans la langue turque. Les turcs n’en avaient aucun synonyme. Ô barbarie !

Ils ont de l’esprit du reste. Le grand-duc Constantin, qui les a visités l’an dernier, savait et parlait le turc. Il croyait ainsi leur plaire ; il leur a déplu. Cette connaissance étrange et unique dans un prince européen leur a paru un en-cas.