Chine et Extrême-Orient/Les chevaux mongols

E. Plon, Nourrit et Cie (p. 186-197).

XII.

LES CHEVAUX MONGOLS.

Les Mongols forment une nation de cavaliers et d’éleveurs de chevaux. À ce double titre, leurs pratiques et leurs procédés méritent d’être étudiés.

Pour acquérir une connaissance approfondie de la méthode qu’ils emploient dans l’élevage du cheval, il faudrait demeurer longtemps dans leur pays ; mais, à première vue, la race de leurs chevaux ne semble rien devoir à un perfectionnement raisonné.

Une complète rusticité et une grande résistance à la fatigue : telles sont les deux qualités qui distinguent la plupart des chevaux mongols. Leur supériorité relative se montre dans toutes les courses que les Anglais ont organisées dans les ports de l’extrême Orient. Partout, les chevaux de Mongolie battent ceux du reste de la Chine, de Manille ou du Japon, quoique leur taille soit moindre et leur apparence moins belle.

Vers 1860, c’étaient des chevaux pur sang qui figuraient dans ces courses. Ils coûtaient fort cher. Mais les grandes fortunes des Anglais établis en Chine, les énormes bénéfices des Jardyne, des John Dent, des Russel, leur permettaient ce luxe. C’était le temps où les employés eux-mêmes de ces puissantes maisons menaient grand train, n’admettant pas sur leur table d’autre vin que le Champagne, et où, chaque matin, le caissier payait leurs dettes de jeu faites pendant la nuit.

Le télégraphe a changé tout cela en multipliant, en facilitant les rapports avec l’Europe, enfin en mettant le public à même de tenter ces beaux coups réalisés seulement autrefois par les propriétaires des paquebots rapides, qui apportaient des nouvelles de Singapoor et de Calcutta.

Les courses ont donc pris un caractère plus démocratique, si l’on peut employer cette expression. On a fixé une taille maxima qui permet aux poneys indigènes seuls de concourir. Elles n’en sont pas moins suivies avec beaucoup d’intérêt et d’entrain, surtout à Shang-haï et dans les établissements du nord de la Chine, dont le climat est plus favorable aux exercices du sport. Les chevaux sont généralement montés par des jockeys chinois fort habiles, et qui ont toutes les qualités et les défauts de leurs confrères d’Occident. On leur fait endosser pour la circonstance les bottes à revers, la casaque et la toque professionnelles, aux couleurs de leur maître. Rien n’est plus curieux que de les voir courir, accrochés comme des singes, à leurs petits chevaux, leur longue tresse de cheveux se déroulant malgré toutes les précautions et flottant horizontalement derrière leur tête par suite de la vitesse de la course.

Il se fait à cette occasion de fort gros paris, auxquels les Chinois ne sont pas les derniers à s’intéresser. On invite toujours l’autorité locale, et le Tao-tai ou le Tche-fou ne manque point de s’y rendre avec un certain apparat.

Les chevaux, en Mongolie, sont élevés par troupeaux nombreux, paissant à l’aventure dans les immenses steppes de la terre des herbes. Chaque soir, on les rentre dans une enceinte circulaire, formée d’un petit mur et voisine des tentes de feutre du propriétaire. D’énormes chiens les gardent des loups.

La taille moyenne de cette race est d’un mètre dix à un mètre vingt. Avec leurs membres vigoureux, une grosse tête, leur encolure raide, bien qu’en cou de cygne, leur poil hérissé, ils rappellent nos chevaux de Bretagne ou de la Camargue.

Les Mongols ne vendent guère leurs juments ; d’un côté, ils tiennent à les conserver comme poulinières ; d’autre part, les Chinois, qui sont leurs principaux et même leurs seuls clients, ne les montant pas, en font peu d’estime. C’est surtout pour l’hygiène des chevaux de service que nous pourrions trouver quelque enseignement dans l’expérience des Mongols.

Élevées en plein air, ces bêtes connaissent peu l’écurie. Plus tard, chez leurs nouveaux maîtres, elles n’en prendront pas davantage l’habitude.

Dans les auberges, où les chevaux arrivent échauffés après une course plus ou moins longue, ils trouvent, en guise d’écurie, une sorte de petit toit, qui n’abrite que la mangeoire et couvre seulement l’encolure et la moitié du dos des chevaux ; ils sont ainsi constamment exposés aux intempéries de l’air, et cela par les plus grands froids, qui atteignent parfois vingt-cinq degrés centigrades au-dessous de zéro. Jamais un animal qui vient de faire une course n’est attaché immédiatement à la mangeoire, n’eût-il marché qu’au pas ; il est toujours promené doucement en main pendant au moins un quart d’heure. Partout on trouve des enfants pour remplir cet office, qui leur rapporte 4 ou 5 sapèques.

Chez leur maître, et dans la journée, les chevaux, sont d’ordinaire attachés dans une cour, à un poteau. Durant les nuits d’hiver on les rentre sous un hangar, mais le plus tard possible, et dès le point du jour, on les remet en plein air. Ils sont promenés chaque matin au pas par le licol, pendant trois quarts d’heure ou une heure, et autant le soir, s’ils ne sont pas sortis dans la journée ; le bon marché de la main-d’œuvre et la douceur des animaux rendent cet usage possible : un enfant peut en tenir trois ou quatre. Cette promenade au pas, par le licol, semble être un des principes essentiels de l’hygiène des chevaux mongols : si vous êtes en route et que vous veniez à vous arrêter, une foule de gens se précipitent pour s’emparer de vos montures et les faire marcher lentement, afin qu’elles ne restent pas immobiles pendant la halte.

On tient beaucoup aussi à leur donner l’habitude de la selle. Un Chinois en voyage s’empresse à son réveil de seller son cheval et ne le desselle que le soir, jamais dans la journée. S’il s’arrête pour prendre du repos, pour manger lui-même ou faire manger sa monture, il se contente de relâcher la seconde sangle qui passe derrière le ventre.

Le cavalier mongol ou le chinois, qui a les mêmes habitudes, fait de préférence manger son cheval le soir, ou pendant la nuit, bien qu’il lui donne aussi quelque nourriture le matin. Il n’a cependant aucun parti pris contre un repas au milieu du jour ; et s’il le supprime, c’est généralement par économie.

On fait volontiers boire les chevaux en route, lorsqu’il reste encore au moins une heure de trajet. Sur tous les chemins se trouvent, de distance en distance, des auges en pierre, remplies pour une sapèque (soit un centime ou demi-centime), où le voyageur peut désaltérer sa monture. Quelque bonze cumule souvent ce léger bénéfice avec celui de l’entretien de sa modeste pagode.

Ces règles d’hygiène ne sont guère perfectionnées par un peuple ennemi-né de tout changement ; mais elles sont scrupuleusement observées, avec ce respect de la coutume qui est le propre des nations orientales ; comme elles ne sont ignorées de personne, jamais on ne s’en écarte.

Les Mongols ou les Chinois ne trottent point en route, ils marchent au pas ; mais la plupart des chevaux et des mulets montés pour voyager vont l’amble. La longueur ordinaire des étapes représente cinquante à soixante kilomètres ; quelques chevaux et surtout les mulets peuvent faire beaucoup plus. J’en ai vu qui abattaient au grand amble cent vingt kilomètres entre le lever et le coucher du soleil, et cela pendant plusieurs journées de suite. Un beau mulet capable de soutenir un pareil train atteint parfois le prix de 3,000 francs de notre monnaie, tandis qu’un cheval ordinaire ne coûte jamais au-delà de 200 à 300 francs, même lorsqu’il va l’amble.

Les mulets sont superbes, et relativement très-supérieurs aux chevaux. Le principal centre de production pour les premiers est la province de Shantung ; là ils valent environ 600 à 700 fr. On commence à y recruter les animaux nécessaires au service de la remonte dans notre colonie de Cochinchine.

En Chine même, il n’existe pas de pâturages : aussi, en dehors de la Mongolie, où ils paissent l’herbe des prairies, les chevaux ne mangent-ils que de la paille de riz ou de sorgho hachée et mélangée avec de la graine de millet, du blé noir et une sorte de vesce, ou encore avec du son qui, par suite de l’imperfection des instruments de blutage, se trouve être très-riche en farine. Dans le nord de la Chine, on donne aussi aux chevaux une avoine assez semblable à la nôtre, mais dont le grain se décortique plus facilement. En Mongolie, ils n’ont que l’herbe de la prairie ; encore sont-ils forcés, dans la mauvaise saison, de l’aller chercher sous la neige, assez rare à la vérité, malgré les froids rigoureux qui règnent dans ces immenses steppes. Aussi, la mortalité est énorme, chaque hiver, dans ces grands troupeaux.

Sur la terre des herbes, en Mongolie, les chevaux ne sont pas ferrés, ce serait chose inutile ; mais sur les routes de Chine la ferrure est indispensable ; elle est légère, ne gêne pas le pied du cheval et lui conserve bien son aplomb. Elle n’a d’autre inconvénient que de s’user très-vite, de se casser ou de s’arracher souvent dans les mauvais chemins.

Le maréchal ferrant chinois, comme l’anglais, ferre seul et sans aide pour tenir le pied ; il le place sur un escabeau, la pince appuyée dessus, et la sole verticale ; il le pare à l’aide d’un instrument dont il se sert comme d’un ciseau, en l’appuyant à l’épaule pour le faire descendre verticalement ; la sole est ainsi parée à plat. Le fer est fort étroit, avec un centimètre au plus de couverture ; on l’applique sous le pied sans se préoccuper de sa dimension ; on rogne ensuite exactement la corne à sa mesure ; il est assujetti par quatre clous en dedans et deux en dehors. On ferre toujours à froid, et beaucoup de maréchaux ne faisant pas leurs fers eux-mêmes, n’ont pas de feu. La Chine est le pays de la petite industrie : il n’est pas rare de voir un homme acheter quatre fers le matin, et vivre, tout le jour, lui et sa famille, de la pose de ces quatre fers. Leurs autres outils, le marteau, la lime, sont semblables aux nôtres. Pour chasser les vieux clous, l’instrument dont ils font usage est coudé, au lieu d’être droit comme le nôtre.

Les chevaux mongols ont généralement le pied très-sûr, mais dans les mauvais chemins les ambleurs tombent assez fréquemment si le cavalier n’est pas fait à cette allure.

La selle mongole et la selle chinoise se ressemblent ; seulement la première est plus élevée sur le devant, et elle a un pommeau vertical dans le genre de celui de la selle arabe. Elle se compose de deux arçons en bois de quarante centimètres de long sur dix de large, réunis par une arcade de garrot et un troussequin se soudant l’un à l’autre : cela forme un siège tout en bois, offrant une grande liberté pour l’échiné, de sorte que le cavalier est très-élevé sur le cheval. Le bois est recouvert d’un petit coussin. En voyage, les Chinois placent sur leur selle un immense sac renfermant leurs couvertures et effets de toute sorte, qui les élève encore de vingt-cinq centimètres. Ainsi juchés, ils ne se trouvent plus à cheval, mais assis sur une espèce de plate-forme, ce qui rend le trot difficile, mais présente peu d’inconvénients, car, nous l’avons dit, ils vont toujours l’amble.

Immédiatement au-dessous de cette selle, sont fixés deux immenses panneaux en cuir dur, formant chabraque et destinés à protéger la robe du cavalier du contact avec le cheval ; ils empêchent toute action des jambes, et de plus se réunissent sur l’échiné, de façon à enlever beaucoup de liberté au garrot : il en résulte que, malgré l’avantage que paraît présenter à cet égard le bois de la selle, beaucoup de chevaux sont blessés sur la ligne médiane du dos. Ces panneaux ont un trou pour le passage des sangles. Les étriers sont grossiers et assez larges pour que les Chinois se contentent ordinairement d’y appuyer le côté du pied sans l’engager dans l’arcade. Sous le cuir se placent les tapis, le plus souvent en feutre commun et semblables à ceux des selles arabes.

Pour les longs voyages, les Chinois emploient un tapis excellent, d’une remarquable légèreté, d’un très-bas prix et avec lequel les chevaux ne sont, pour ainsi dire, jamais blessés sur les côtes. Il se compose de deux morceaux de laine, piqués de façon à former des boudins longitudinaux de deux ou trois centimètres de large, qu’on remplit d’une graine très-légère, analogue à celle du sorgho. Le tassement complet ne se produit jamais dans ce rembourrage ; et toutes les aspérités que peuvent offrir la selle ou le corps du cheval viennent s’y loger. Ce tapis est parfait, il y aurait profit à l’emprunter aux Chinois.

Les sangles sont mauvaises, en fil ou en poil de chameau. Il y en a deux, l’une ajustée comme les nôtres, au passage ordinaire des sangles, la seconde prenant en arrière du ventre pour suppléer à la croupière ; mais un grand nombre de chevaux portent dans cette région des traces de blessures, ce qui semble devoir condamner cet usage.