Chine et Extrême-Orient/Le luxe en Chine

E. Plon, Nourrit et Cie (p. 125-129).

VII.

LE LUXE EN CHINE.

Contrairement à l’opinion reçue, les Chinois sont extrêmement simples dans leur mise.

Nous en jugeons par ces robes toutes chargées d’ornements avec leur carré ou leur rond par-devant et par-derrière, emblème brodé aussi inexpliqué pour nous que pour eux les épaulettes de nos officiers de marine. Ce sont là en effet des uniformes de mandarins, analogues à la soutane violette, au rochet et à la mitre de nos évêques, à la tunique de nos généraux, au frac de nos ambassadeurs, sans parler de nos habits noirs, couverts de plaques et de grands cordons.

Seuls, les personnages officiels en Chine peuvent revêtir ces costumes, et encore combien de fois par an ? une ou deux à peine : tant les Chinois sont ennemis du faste, en ce qui touche leur personne.

Ils ne les mettent même pas pour la visite de congé ou d’arrivée, due à leur supérieur le plus élevé lorsqu’ils entrent en fonction, ou en sortent, et cela, par un raffinement de politesse ; car, la première fois, ils sont censés se présenter au débotté, sans même avoir eu le temps de changer leur costume de voyage ; de même, quand ils viennent prendre congé, ils offrent, pour ainsi dire, au moment même de monter en voiture, à cheval, en bateau ou en chaise, leurs hommages, à la dernière minute, pour montrer qu’ils ne s’arrachent qu’à regret de leur chef adoré.

Les mandarins envoyés en Europe depuis une dizaine d’années au plus par leur gouvernement, se sont longtemps refusés, sous prétexte qu’ils sont en voyage, à revêtir leur grand costume ; il a presque fallu leur imposer ces frais de toilette, et leur faire comprendre qu’il était peu aimable, sinon même impoli pour les diplomates européens, par lesquels ils sont pourtant flattés d’être traités en collègues, d’assister avec eux aux cérémonies et fêtes officielles, dans ce vêtement par trop simple, et malgré sa coupe et sa couleur étranges, l’équivalent pour eux de notre paletot-sac.

Les Chinois sont donc peu portés à abuser de la splendeur du costume. Les mandarins ne se parent qu’à leur corps défendant et fort rarement du dragon brodé et du collier, insignes de leur dignité. Les grands négociants doivent acheter un titre officiel pour être à l’abri des vexations auxquelles ils seraient exposés si le moindre luxe décelait leur fortune ; car, à la réserve des fonctionnaires, la richesse n’a pas le droit de se produire en Chine. Mais les marchands opulents obtiennent quelque tolérance, en se faisant admettre, à prix d’argent, dans la classe des lettrés. Ces faux mandarins revêtent leur costume encore plus rarement que les vrais, et seulement pour se faire peindre. Quant à la grande industrie, elle n’existe pas ; un tel régime ne saurait la comporter, l’autorité sur des ouvriers et de grands établissements sont incompatibles avec la constitution chinoise.

Quoi qu’il en soit, et malgré un certain apparat, on ne distingue pas un vice-roi ou un important Tao-taï du plus modeste lettré, ou encore le chef d’une maison de commerce, qui remue des millions, du dernier de ses commis. Ils sont tous vêtus à peu près de la même façon. Le bonnet, par exemple, ne diffère en rien, depuis le souverain jusqu’au plus pauvre coolis. Seuls, quelques jeunes excentriques placent parfois une pierre fine sur le devant.

En Europe, nos modes changent perpétuellement : combien d’hommes, même de nos jours, consacrent un temps qui est loin d’être insignifiant à des questions de toilette ! En Chine, rien de tout cela : la forme du ta-koua-ze et du siao-koua-ze, l’un à sept boutons, l’autre à cinq, est fixée d’une manière immuable par les lois. Elle n’a pas varié depuis plus de deux cents ans, époque à laquelle la dynastie mongole imposa, comme signe de la conquête, aux Chinois vaincus, la coiffure et la robe tartares qu’ils portent encore.

L’ancien costume national ne se retrouve plus que sur les porcelaines, sur les dessins, ou encore dans les portraits : habitude conservée comme une sorte de protestation.

Les Chinois ne portent sur eux aucun bijou, à l’exception d’une bague en jade, de trois centimètres de large, qui enveloppe entièrement le pouce, et dont l’usage, provenant du tir à l’arc, est adopté surtout par les Mongols.

Les Japonais sont aussi simples dans leur costume ; mais ils portaient, avant leur révolution, des armes très-luxueuses ; de plus, les membres des différents degrés de leur noblesse paraissaient en public, plus souvent que les mandarins chinois, avec des costumes richement ornés.

Bien entendu, je ne parle pas ici des femmes ; chez les deux peuples elles recherchent la parure, à peu près autant que les personnes de leur sexe en Europe.

En Chine, elles se parent de boucles d’oreilles, de bracelets en or, en argent ou en jade, d’épingles à cheveux de même matière et ornées de pierres précieuses ou de plumes de martins-pêcheurs ; le jade joue toujours un grand rôle dans ces bijoux.

Au Japon, on ne voit guère que des épingles à cheveux, en métal ou en écaille ; leur trop grande profusion sur la tête n’est pas un signe de vertu.