Chimie appliquée à l’agriculture/Chapitre 13

Madame Huzard (Tome 2p. 233-277).

CHAPITRE XIII.


DE LA DISTILLATION.




L’art de distiller les vins pour en extraire le principe spiritueux, a fait connaître un nouveau produit qui est employé non-seulement comme boisson, mais encore comme une substance dont les arts ont tiré le parti le plus avantageux.

Ce produit de la distillation du vin est connu dans le commerce sous les noms d’eau-de-vie, d’alcool, d’esprit de vin, etc., et l’appareil dans lequel se fait l’opération porte le nom d’alambic[1].

Depuis qu’on a découvert l’art de distiller les vins, l’importance des vignobles s’est accrue considérablement : la culture de la vigne n’a plus eu pour unique but de fournir une boisson tonique et agréable ; la distillation, en dégageant de cette liqueur le principe volatil, spiritueux, inflammable, a fait connaître une seconde boisson plus active, qui est bientôt devenue d’un usage général dans presque toute l’Europe, et dont les arts se sont emparés pour dissoudre les résines et former les vernis, pour conserver les fruits, dissoudre le parfum des plantes et établir des arts nouveaux.

Aujourd’hui la plupart des vins blancs et une partie des vins rouges de médiocre qualité sont employés à la distillation ; les vins rouges de bonne qualité sont réservés pour la table.

Vu l’importance de la matière, on me permettra de retracer en peu de mots tout ce qui a été fait sur la distillation du vin avant de parvenir à inventer les nouveaux appareils, qui ont fait une telle révolution dans l’art de la distillation, qu’on peut le regarder comme un art créé de nos jours.

Les anciens peuples n’avaient que des idées très-imparfaites de la distillation. Raymond Lulle, Jérôme Rubée et Jean-Baptiste Porta, ne laissent pas de doute à ce sujet : les anciens connaissaient sans contredit l’art d’élever l’eau en vapeur, d’extraire le principe odorant des plantes, etc. ; mais leurs procédés ne méritent pas le nom d’appareil. Dioscoride nous dit que, pour distiller la poix, il faut en recevoir les parties volatiles dans des linges qu’on place au-dessus du vase distillatoire.

Les premiers navigateurs des îles de l’archipel se procuraient de l’eau douce en recevant la vapeur de l’eau salée dans des éponges qu’on disposait sur les vaisseaux dans lesquels on la faisait bouillir. (Voyez Porta, De distillatione, cap. I.)

Le mot distillation n’avait pas chez les anciens une valeur analogue à celle qu’on lui a assignée depuis quelques siècles. Ils confondaient sous ce nom générique la filtration, les fluxions, la sublimation et autres opérations qui ont reçu de nos jours des dénominations différentes et qui exigent des appareils particuliers. (Jérôme Rubée, De distillatione.)

Les Romains, sous les rois et du temps de la république, ne paraissent pas avoir connu l’eau-de-vie. Pline, qui écrivait dans le premier siècle de l’ère chrétienne, ne la connaissait pas encore ; il nous a laissé un très-bon livre sur la vigne et le vin, et il ne parle point de l’eau-de-vie, quoiqu’il considère le vin sous tous ses rapports. Galien, qui vivait un siècle après lui, ne parle de la distillation que dans le sens que nous venons de rapporter.

Tout porte à croire que l’art de la distillation a pris naissance chez les Arabes, qui de tous temps se sont occupés d’extraire l’arome des plantes et qui ont successivement porté leurs procédés en Italie, en Espagne et dans le midi de la France.

Il paraît même que c’est dans leurs écrits que l’on trouve pour la première fois le mot alambic, qui dérive de leur propre langue, et qu’ils le connaissaient avant le dixième siècle ; car Avicenne, qui vivait à cette époque, s’en est servi pour expliquer le catarrhe, qu’il compare à une distillation, dont l’estomac est la cucurbite ; la tête, le chapiteau ; et le nez, le bec par où l’humeur s’écoule.

Rasès et Albucase ont décrit des procédés particuliers pour extraire les principes aromatiques des plantes : il paraît qu’on en recevait généralement les vapeurs dans des chapiteaux qu’on rafraîchissait avec des linges mouillés.

Il est démontré que Raymond Lulle qui vivait dans le treizième siècle, connaissait l’eau-de-vie et l’alcool ; car dans son ouvrage intitulé Testamenturn novissimum, il dit, page 2, édition de Strasbourg, 1571 : Recipe nigrum nigrius nigro (vin rouge), et distilla totam aquam ardentem in balneo ; illam rectificabis quousque sine phlegmate sit. Il déclare qu’on emploie jusqu’à sept rectifications, mais que trois suffisent pour que l’alcool soit entièrement inflammable et ne laisse pas de résidu aqueux.

Le même auteur enseigne ailleurs à s’emparer de l’eau par le moyen de l’alcali fixe desséché. (Voyez Bergman, Opuscula physica et chimica, édition de Leipsick de 1781, vol. IV, pag. 137.) Vers la fin du quatorzième siècle, Basile Valentin proposa la chaux vive pour le même objet.

Raymond Lulle parle dans tous ses ouvrages d’une préparation d’eau-de-vie qu’il appelle quinta essentia, d’où dérive le mot quintessence. Il l’obtenait par des cohobations faites à une douce chaleur de fumier pendant plusieurs jours, et par la redistillation du produit. Raymond Lulle et ses successeurs ont attaché de grandes vertus à cette quintessence, dont ils faisaient la base de leurs travaux alchimiques.

Arnaud de Villeneuve contemporain de Lulle, parle beaucoup de l’eau-de-vie ; mais c’est à tort qu’on l’a regardé comme l’inventeur du procédé par lequel on l’obtient. On ne peut pas néanmoins lui refuser la gloire d’avoir fait les plus heureuses applications des propriétés de l’eau-de-vie, et sur-tout du vin naturel ou composé, soit à la médecine, soit aux préparations pharmaceutiques. (Arnaldi Villanovani Praxis : Tractatus de vino ; cap. De potibus, etc. ; édit. Lugduni, 1586.)

Michel Savonarole, qui vivait au commencement du quinzième siècle, nous a laissé un traité (De confidendâ aquâ vitæ), dans lequel on trouve des choses très-remarquables sur la distillation ; il observe d’abord que ceux qui l’ont précédé ne connaissaient généralement que le procédé suivant pour la distillation. Ce procédé consiste à mettre le vin dans la chaudière de métal, et à recevoir la vapeur dans un tuyau placé dans un bain d’eau froide ; la vapeur condensée coule dans un récipient.

Savonarole observe que les distillateurs plaçaient toujours leurs établissemens près d’un courant d’eau, pour avoir constamment de l’eau fraîche à leur disposition. Les anciens appelaient le tuyau contourné du serpentin vitis, par rapport à ses sinuosités. (Voyez Jér. Rubée.) Ils employaient, pour luter les jointures de l’appareil, le lut de chaux et de blanc d’œuf, ou celui de colle de farine et de papier.

Savonarole ajoute que, de son temps, on a introduit l’usage des cucurbites de verre pour obtenir une eau-de-vie plus parfaite ; et qu’on coiffait ces cucurbites d’un chapiteau qu’on rafraîchissait avec des linges mouillés.

Il conseille (chap. V) d’employer de grands chapiteaux pour multiplier les surfaces.

Il dit que quelques-uns rendaient le col qui réunit la chaudière au chapiteau le plus long possible, pour obtenir de l’eau-de-vie parfaite en un seul coup ; il ajoute qu’un de ses amis avait placé la chaudière au rez-de-chaussée, et le chapiteau au faîte de sa maison.

Dans le nombre des moyens qu’il donne pour juger des degrés de spirituosité de l’eau-de-vie, il indique les suivans comme étant pratiqués de son temps : 1°. on imprégne des linges ou du papier avec l’eau-de-vie, on y met le feu ; l’eau-de-vie est réputée de bonne qualité lorsque la flamme de l’eau-de-vie détermine la combustion du linge ou du papier ; 2°. on mêle l’eau-de-vie avec l’huile pour s’assurer si elle surnage.

Savonarole traite au long des vertus de l’eau-de-vie, et donne des procédés pour la combiner avec l’arome des plantes et autres principes, soit par macération, soit par distillation, et former par là ce qu’il appelle aqua ardens composita.

Jérôme Rubée qui a fait beaucoup de recherches sur la distillation, décrit deux procédés assez curieux, qu’il a trouvés, à la vérité, dans des ouvrages anciens. Ces deux procédés consistent, l’un à recevoir les vapeurs dans des tubes longs et tortueux plongés dans de l’eau froide ; l’autre, à placer un chapiteau de verre à bec sur la cucurbite. Le travail de Jérôme Rubée est remarquable en ce qu’il préfère les tubes longs et contournés qui, selon lui, permettent d’obtenir, par une seule distillation, un esprit de vin très-pur, qu’on n’obtient, dit-il, que par des distillations répétées dans d’autres appareils. (De distillationne, §2 cap. II, édit. de Bâle, de 1568.)

Jean-Baptiste Porta, Napolitain, qui vivait vers la fin du seizième siècle, a imprimé un traité De distillationibus, dans lequel il envisage cette opération sous tous ses rapports, en l’appliquant à toutes les substances qui en sont susceptibles ; il décrit plusieurs appareils d’après lesquels, par une seule chauffe, on peut obtenir à volonté tous les degrés de spirituosité de l’alcool. Le premier de ces appareils consiste dans un tube contourné en spirale qu’il adapte au-dessus de la chaudière ; le second est composé de chapiteaux placés les uns sur les autres, et percés chacun latéralement d’une ouverture, à laquelle est adapté un tuyau qui aboutit à un récipient.

Il observe qu’on peut obtenir par ce moyen et à volonté tous les degrés de spirituosité, attendu que les parties aqueuses se condensent dans le bas, et que les parties spiritueuses s’élèvent plus haut.

Ces procédés diffèrent bien peu de ceux qui, selon Rubée, étaient en usage chez les anciens.

Nicolas Lefebvre, qui vivait vers le milieu du XVIIe siècle, a publié, en 1651, la description d’un appareil par lequel il obtient d’une seule opération l’alcool le plus déphlegmé. Cet appareil est composé d’un long tuyau formé de plusieurs pièces qui s’emboitent en zigzag les unes dans les autres ; une des extrémités est adaptée à la chaudière, tandis que l’autre aboutit à un chapiteau ; le bec du chapiteau transmet la vapeur dans une allonge qui traverse un tonneau rempli d’eau froide : là, les vapeurs se condensent et coulent dans un récipient.

Le docteur Arnaud, de Lyon, dans son Introduction à la chimie ou à la vraie physique, imprimée en 1655, chez Cl. Prost, à Lyon, nous donne des principes excellens sur la composition des fourneaux, la fabrication des luts, la manière de conduire le feu, la calcination, et la distillation qu’il appelle une sublimation humide. Il conseille l’usage des chaudières basses, comme facilitant l’évaporation ; il parle de la conversion de l’eau-de-vie en esprit de vin par des distillations répétées ou par une distillation au bain-marie telle que nous l’employons aujourd’hui pour distiller les substances dont la partie spiritueuse s’élève à une chaleur inférieure à celle de l’eau bouillante. Il parle aussi du bain de vapeur ou de rosée.

Jean-Rodolphe Glauber, dans Son traité, intitulé : Descriptio artis distillatoriæ novœ, imprimé à Amsterdam en 1658, chez Jean Jansson, nous fait connaître des appareils dans lesquels on trouve le germe de plusieurs procédés qui ont été perfectionnés de nos jours. L’un consiste à transmettre les vapeurs qui s’échappent par la distillation, dans un vase entouré d’eau froide ; de ce premier vase, il fait passer celles qui ne sont pas condensées dans un second communiquant au premier par un tube recourbé ; de ce second, il fait passer à un troisième, et ainsi de suite jusqu’à ce que la condensation soit parfaite. On voit clairement qu’à l’aide de cet appareil qu’on peut appliquer à la distillation, on obtient divers degrés de spirituosité, selon que la condensation se fait dans le premier, le second ou le troisième de ces vases plongés dans l’eau froide.

Dans, un second appareil, Glauber place une cornue de cuivre dans un fourneau ; il en fait plonger le bec dans un tonneau fermé rempli du liquide qu’il veut distiller ; de la partie supérieure de ce tonneau part un tube qui va s’adapter à un serpentin disposé dans un autre tonneau rempli d’eau. On voit, d’après cette disposition, que le liquide contenu dans le premier tonneau remplit sans cesse la cornue, et qu’en échauffant cette dernière on imprime bientôt à tout le liquide du tonneau un degré de chaleur suffisant pour en opérer la distillation : de sorte qu’avec un petit fourneau et à peu de frais, on échauffe un volume considérable de liquide. Glauber se sert avec avantage de cet appareil ingénieux pour chauffer les bains.

Philippe-Jacques Sachs, dans un ouvrage imprimé à Leipsick en 1661, sous le titre de Vitis viniferœ ejusque partium consideratio, etc., nous a donné un traité complet et très-précieux sur la culture de la vigne, la nature des terrains, des climats et des expositions qui lui conviennent, la manière de faire le vin, la richesse des diverses nations dans ce genre, la différence et la comparaison des méthodes usitées chez chacune d’elles, la distillation des vins, etc. On voit sur-tout dans le dernier chapitre, qui seul nous occupe en ce moment, que les anciens avaient plusieurs méthodes d’extraire l’esprit de vin, lesquelles consistaient ou à élever l’alcool par une douce chaleur, ou à s’emparer de l’eau du vin par de l’alun calciné, ou à placer des linges mouillés sur la cucurbite, ou à frapper de glace le chapiteau de l’alambic pour ne laisser passer que les vapeurs les plus subtiles, ou enfin à terminer la chaudière par un col extrêmement long. Le même auteur parle aussi de l’alcool ou de la quintessence, quinta-essentia et donne les divers moyens de l’extraire. Ut vero spiritûs vini alcool exaltetur, variis modis tentârunt chimici : quidam multis repetitis cohobationibus ; aliqui, instrumentorum altitudine ; alii, spongiâ alembici rostrum obturante, ut, aquâ retentâ soli spiritus transirent ; non multi, flammâ lampadis, ut ad summum gradum de purationis exaltaretur.

Moïse Charas dans sa Pharmacopée, imprimée en 1676, a décrit l’appareil de Nicolas Lefebvre, et y a ajouté quelques perfectionnemens ; il a adapté un réfrigérant au chapiteau. On peut voir encore dans les Élémens de chimie, de Berchusen, imprimés en 1718, et dans ceux de Boerhaave, qui parurent à Paris en 1733, plusieurs procédés d’après lesquels on peut obtenir de l’alcool très-pur par une seule chauffe ; mais tous ces procédés ont cela de commun, qu’on fait parcourir à la vapeur de très-longs tuyaux pour condenser les vapeurs aqueuses, et ne recevoir en dernier résultat que l’esprit de vin le plus pur et le plus léger.

Postérieurement, on a beaucoup écrit sur la distillation, on a proposé et exécuté divers perfectionnemens ; mais au lieu de partir de l’heureuse idée des anciens, qui avaient entrevu la possibilité d’obtenir à volonté tous les degrés de l’alcool par la condensation successive de la vapeur d’eau mêlée à l’alcool, on s’est borné à varier la forme de la chaudière, celle de l’alambic et celle du serpentin ; et l’art de la distillation a presque rétrogradé pendant près d’un siècle.

Cet art s’était fixé, il y a peu de temps, à un appareil qui quoique éloigné des vrais principes de la distillation des vins, était néanmoins généralement adopté, parce qu’il produisait son effet ; et c’est par des distillations répétées de l’eau-de-vie qu’on parvenait à obtenir les divers degrés de spirituosité qu’on désirait.

Tel était l’état de la distillation vers là fin du dernier siècle.

À cette époque, l’appareil le plus généralement employé pour la distillation était composé de trois pièces en cuivre une : chaudière ronde qui contenait environ quatre cents pintes de vin, se rétrécissait vers sa partie supérieure, et recevait un chapiteau qui s’enchâssait dans son orifice et communiquait par un tuyau allongé à un serpentin. Ce serpentin était placé dans un tonneau, dans lequel on entretenait de l’eau fraîche pour opérer la condensation des vapeurs alcooliques.

Cet appareil grossier présentait plusieurs défauts : le premier de tous, c’est que les vapeurs qui s’élevaient par l’action du feu passaient toutes dans le serpentin, ou elles se condensaient ; de sorte que les vapeurs aqueuses, mêlées aux vapeurs alcooliques, coulaient dans le bassiot ou récipient, et formaient constamment une eau-de-vie très-faible, qu’il fallait soumettre à une seconde distillation, pour la porter à un degré convenable.

Le second inconvénient de ces alambics consistait en ce que la condensation étant toujours très-imparfaite, parce que l’eau du bain du serpentin ne tardait pas à s’échauffer, il y avait une grande déperdition de vapeurs alcooliques, qui se répandaient à pure perte dans l’atelier.

Le troisième vice inhérent à ces appareils était le suivant : comme toutes les vapeurs qui s’élevaient de la chaudière passaient immédiatement dans le serpentin, où elles se condensaient, il fallait modérer le feu de manière à ne faire évaporer que les parties alcooliques ; un coup de feu un peu plus fort faisait monter une trop grande masse de fluide aqueux, et alors on n’obtenait qu’une eau-de-vie très-faible : il fallait donc surveiller le feu avec un soin extrême ; l’opération devenait difficile à conduire.

Ces vices réunis de l’appareil distillatoire faisaient qu’il était impossible d’extraire les dernières portions d’alcool contenues dans le vin, sans qu’elles fassent chargées d’une immense quantité de parties aqueuses ; on séparait avec soin ce dernier produit de la distillation sous le nom de petites eaux, et on les redistillait avec du vin nouveau.

L’eau-de-vie obtenue par ce procédé avait assez constamment un goût de brûlé ; elle était rarement très-limpide : tout cela provenait de la difficulté de pouvoir maîtriser le feu et de la difficulté plus grande encore de retirer, sans forcer la chaleur, toute la partie alcoolique contenue dans le vin.

Si l’on ajoute à cela que le fourneau de ces alambics était mal construit, qu’il ne présentait aucun moyen de régulariser la chaleur ni de l’appliquer également à toute la masse du liquide, on verra que l’art de la distillation était encore dans l’enfance.

Je sentais tous ces défauts, et j’essayai de les corriger : en conséquence je fis construire des chaudières larges et peu élevées pour présenter à la chaleur une plus grande surface de liquide et moins d’épaisseur ; j’entourai le chapiteau d’un bain d’eau froide, pour opérer une première condensation et séparer une partie de la vapeur aqueuse qui retombait en gouttes ou en stries dans la chaudière ; je multipliai les circonvolutions du serpentin et agrandis le tonneau du bain pour que l’eau s’échauffât moins facilement. Ces améliorations furent approuvées et la distillation s’établit d’après ces principes. Mes appareils et ceux de M. Argand, qui avait sur-tout admirablement perfectionné les fourneaux, ont été employés avec succès pendant quinze à vingt ans.

Mais dans les premières années de ce siècle l’art de la distillation a été établi sur de nouveaux principes, et on a laissé bien loin tout ce qui était connu et pratiqué.

Un appareil chimique, par le moyen duquel on fait passer des vapeurs ou des gaz à travers des liquides pour les en saturer, a donné à Édouard Adam la première idée de son appareil de distillation.

La connaissance du fait que les vapeurs aqueuses se condensent à un degré de chaleur qui ne peut pas opérer la condensation des vapeurs alcooliques, lui a fourni le moyen de compléter son appareil.

L’appareil chimique lui a suggéré l’idée de conduire, à l’aide d’un tube de cuivre, les vapeurs qui s’élèvent d’une chaudière de vin placée au foyer du fourneau dans une nouvelle chaudière remplie de vin, pour y déposer leur chaleur et porter le liquide à l’ébullition ; les vapeurs qui s’élèvent de celle-ci peuvent être portées dans une troisième, ou le vin ne tarde pas à se mettre en ébullition ; de sorte qu’il suffit d’entretenir le feu sous une chaudière et de transmettre la vapeur alcoolique dans le vin contenu dans deux et trois autres chaudières bien closes, pour opérer la distillation dans toutes. Cette manière de transmettre la chaleur est aujourd’hui pratiquée dans plusieurs ateliers étrangers à la distillation, et c’est ce qu’on appelle chauffer à la vapeur.

Par ce moyen, Édouard Adam obtenait déjà une grande économie de combustible, et il était sûr d’avoir des vapeurs alcooliques qui ne pouvaient en aucun temps sentir le brûlé. Il gagnait encore sur le temps et sur la main d’œuvre, attendu qu’un ouvrier qui ne soignait qu’un fourneau produisait de plus grands résultats que s’il n’eût fait qu’évaporer dans une chaudière.

C’était déjà beaucoup sans doute, mais ce n’était pas encore assez ; il fallait trouver le moyen de séparer les vapeurs aqueuses des vapeurs alcooliques, pour avoir ces dernières dans leur plus grand degré de pureté possible, et c’est ce qu’il a fait en appliquant à son appareil le second principe que nous avons déjà posé.

Faisons passer, s’est-il dit, les vapeurs alcooliques qui sortent de la dernière chaudière dans des vases qui soient immergés dans un bain d’eau froide, la vapeur aqueuse s’y condensera, et je pourrai la ramener dans les chaudières pour y être redistillée, tandis que la vapeur alcoolique sortira de ces vases sans s’y condenser, et ira jusqu’au serpentin, où elle subira sa condensation.

En partant de ce raisonnement, établi sur des faits positifs, il a adapté un tube à la partie supérieure de la dernière chaudière : ce tube conduit les vapeurs dans un premier condensateur sphérique, baigné par l’eau ; là, une partie des vapeurs aqueuses se résout en liquide, et ce liquide est porté par un tuyau dans le vin de la première chaudière, pour y être redistillé et dépouillé d’une légère portion d’alcool qui y est dissoute ; les vapeurs qui ne peuvent pas se condenser dans ce premier vase passent dans un second, où il s’opère une condensation nouvelle, attendu que la température y est moins élevée ; de ce second elles passent dans un troisième et dans un quatrième, et ce qui se condense se rend, comme nous venons de le dire, dans la chaudière, pour qu’une nouvelle distillation enlève tout ce qui y reste de spiritueux.

La vapeur, en traversant les condensateurs, perd peu-à-peu sa chaleur ; l’eau se précipite ; l’alcool se purifie, il se dépouille de presque toute l’eau qui s’était élevée avec lui par l’évaporation, et lorsqu’il arrive au serpentin, il se condense et marque le plus haut degré de spirituosité.

On voit, par ce qui précède, que, d’après ce procédé ingénieux, on peut obtenir, à volonté et par une seule opération, tous les degrés de spirituosité alcoolique du commerce. Chaque condensateur donne un degré différent, et en retirant successivement le produit de chacun, on a des degrés qui varient depuis l’eau-de-vie jusqu’à l’alcool le plus pur. On peut encore diriger les vapeurs dans le serpentin sans les faire passer par l’intermédiaire des condensateurs, et alors on obtient le degré qui forme la bonne eau-de-vie de commerce.

Tels sont les principes qui constituent éminemment le procédé d’Édouard Adam ; mais indépendamment de l’application de ces principes, il a ajouté des améliorations qui rendent son appareil plus parfait.

1°. À l’aide de robinets et de tuyaux, il dirige à volonté la vapeur dans un petit serpentin d’essai, pour y opérer la condensation et juger du degré de spirituosité toutes les fois qu’il le trouve convenable.

2°. Il a interposé un serpentin entre les condensateurs et le serpentin à eau ; il fait baigner dans le vin le serpentin supérieur, et par ce moyen, le vin y prend un degré de chaleur qui hâte son ébullition lorsqu’on en remplit les chaudières. Ce premier serpentin condense la vapeur alcoolique de manière que l’alcool coule liquide dans le second serpentin, et échauffe peu le bain d’eau dans lequel ce second serpentin est plongé.

Il résulte de ces dispositions trois principaux avantages : le premier, de chauffer, sans aucune dépense, le vin qu’on va distiller ; le second, de n’être pas obligé de renouveler l’eau du serpentin ; le troisième, d’obtenir constamment de l’alcool froid, et d’éviter toute déperdition ou évaporation.

M. Édouard Adam forma de suite plusieurs grands établissemens, d’après ces principes, à Cette, à Toulon, à Perpignan, etc., et s’assura d’un brevet d’invention pour jouir en sûreté du fruit de sa découverte.

Mais ses succès éveillèrent bientôt l’attention des autres distillateurs ; ses résultats étaient tels, que ces derniers ne pouvaient plus concourir avec lui : dès-lors, on fit des essais par-tout, ou pour imiter, ou pour varier ce procédé.

C’est sur-tout en partant de l’idée fondamentale que le degré de température auquel se condensaient les vapeurs aqueuses, était insuffisant pour condenser les vapeurs alcooliques, qu’on fit le plus de tentatives. Les appareils construits par Édouard Adam étaient immenses et très-coûteux ; on chercha à en réduire les dimensions et à les mettre à la portée du plus grand nombre.

Isaac Bérard, du Grand-Gallargues (département du Gard), produisit, peu de temps après, un appareil plus simple, qui obtint la préférence sur celui d’Adam : au lieu de coiffer la chaudière d’un chapiteau, comme on le pratiquait anciennement, il la surmonta d’un cylindre dont l’intérieur est divisé en compartimens qui communiquent entre eux par de petites ouvertures ; les vapeurs, qui s’élèvent du vin en ébullition sont transmises dans ces chambres, où elles se dépouillent d’une portion aqueuse qui se rend dans la chaudière par le moyen de conduits, et les vapeurs alcooliques passent dans un condensateur cylindrique qui plonge dans un bain d’eau ; ce condensateur est divisé intérieurement par des diaphragmes en lames de cuivre, qui en font quatre à cinq chambres communiquant entre elles par des ouvertures, de sorte qu’on peut à volonté les laisser parcourir toutes par la vapeur avant qu’elle arrive au serpentin, ou la renvoyer au serpentin après qu’elle a passé par deux ou trois. Les vapeurs se déphlegment de plus en plus en traversant les chambres, de sorte que lorsqu’elles se sont ensuite condensées dans le serpentin, l’alcool marque trente-six et trente-huit degrés ; tandis que si on dirige les vapeurs dans le serpentin sans les faire passer dans les chambres du condensateur, l’alcool marque de vingt à vingt-cinq degrés : on obtient à volonté tous les degrés intermédiaires en faisant parcourir aux vapeurs plus ou moins de chambres.

L’appareil de Bérard parut si simple et si avantageux, qu’il fut généralement adopté : Édouard Adam en attaqua l’auteur comme contrefacteur ; des procès dispendieux qu’il fut forcé de soutenir contre Bérard et beaucoup d’autres, le détournèrent de ses occupations ; et cet homme, à qui on doit presque l’art de la distillation, est mort de chagrin et dans un état voisin de la misère. À-peu-près dans le même temps, M. Cellier, de Blumenthal, conçut l’idée heureuse de multiplier presque à l’infini les surfaces du vin soumis à la distillation, pour économiser du temps et du combustible. En conséquence, il fit circuler les vapeurs qui s’échappent de la chaudière, sous de nombreux plateaux placés les uns sur les autres, et contenant chacun une couche de vin d’environ un pouce d’épaisseur. Ces plateaux sont sans cesse alimentés par du vin chaud qui coule de l’un à l’autre en laissant évaporer l’alcool ; le résidu se rend dans la chaudière, où se termine la distillation. Le vin dépouillé de tout l’alcool s’échappe sans interruption de la chaudière par une ouverture latérale.

Ce procédé, perfectionné encore par M. Derosne, est très-expéditif et dépense peu de combustible eu égard aux produits qu’il fournit.

On appelle cette méthode de distiller : distillation continue.

Ce procédé, quoique mis sous la garantie d’un brevet d’invention, a été imité ; et M. Cellier a éprouvé le sort d’Édouard Adam, par les procès qu’il a été forcé d’intenter aux contrefacteurs de son appareil, tant il est vrai que la législation sur les brevets d’invention est très-insuffisante.

Depuis cette époque, on a varié à l’infini les appareils distillatoires, mais en partant constamment des mêmes principes[2].

Les uns ont dirigé le courant de chaleur qui s’échappe d’un seul foyer sous plusieurs chaudières placées à la suite l’une de l’autre.

D’autres ont varié le nombre et la forme des condensateurs.

Plusieurs ont fait des dispositions plus favorables pour remplir les chaudières, connaître le moment où le liquide ne contient pas d’alcool, chauffer sans frais le vin qui doit servir à la distillation, etc.

Ces découvertes successives ont donné le moyen de distiller avec plus de perfection le marc du raisin, les grains fermentés, la bière, le cidre, etc.

En appliquant à ces substances fermentées la simple chaleur des vapeurs aqueuses ou des vapeurs alcooliques, on en dégage un alcool qui est plus parfait, parce que le feu n’est pas appliqué immédiatement au liquide ; le produit ne sent plus l’empyreume, et la chaudière n’est pas brûlée, comme elle l’était, par la distillation à feu nu du marc et du grain.

Obligé de faire un choix parmi les appareils connus, ou d’en composer un de toutes les améliorations qui ont été successivement apportées, j’ai adopté le suivant :

Une chaudière capable de distiller environ cinq cents litres de vin est placée sur un fourneau ; de la partie supérieure de cette chaudière part un tuyau qui porte les vapeurs alcooliques dans une seconde chaudière contenant quatre cents litres ; ce tuyau plonge à dix pouces dans le vin contenu dans cette dernière ; de la partie supérieure de celle-ci part un tube qui transmet les vapeurs dans un cylindre de cinq pieds de longueur sur quinze pouces de diamètre ; ce cylindre est divisé dans son intérieur en quatre cavités ou chambres séparées par des diaphragmes de cuivre, et communiquant entre elles par un léger orifice pratiqué à la partie supérieure de chaque diaphragme : ce cylindre est plongé dans un baquet d’eau froide. On renouvelle l’eau du baquet en la faisant arriver par l’extrémité la plus éloignée des chaudières.

Les vapeurs qui ne sont pas condensées en parcourant les chambres du cylindre se rendent, à l’aide d’un tuyau, dans un serpentin plongé dans le vin, et de là dans un serpentin inférieur rafraîchi par l’eau. Le courant de chaleur après avoir chauffé la première chaudière, passe sous la seconde pour faciliter l’ébullition du liquide.

Telle est la disposition générale de l’appareil ; mais pour en rendre le service aussi sûr que facile, il faut entrer encore dans quelques détails d’exécution.

À chacune des deux chaudières il faut placer :

1°. Un petit tuyau avec robinet à la partie supérieure de la chaudière. On ouvre ce robinet pour laisser échapper un jet de vapeurs, auxquelles on présente un corps allumé ; lorsqu’elles s’enflamment l’opération n’est pas terminée, dans le cas contraire elle est finie ;

2°. Un gros tuyau avec un robinet au bas de la chaudière, pour faire couler le résidu ou la vinasse ;

3°. Un robinet latéral, pour juger du moment où la charge du vin est à une hauteur suffisante ;

4°. Une douille d’un pouce et demi de diamètre dans la partie supérieure et à quelques pouces de l’endroit où la chaudière commence à se rétrécir, pour pouvoir la nettoyer ou la remplir.

Au fond de chaque chambre du cylindre condensateur, il doit y avoir un tuyau qui porte au dehors le liquide qui se condense ; ces tuyaux doivent s’ouvrir et verser ce liquide dans un tube plus large, qui le porte lui-même dans le fond de la première chaudière. Pour plus de régularité et d’aisance dans le service, il convient de placer un robinet à chacun des tubes, à un pouce de distance de leur insertion dans le tube commun.

Quant au serpentin supérieur, comme le vin qui lui sert de bain peut prendre un degré de chaleur capable de produire des vapeurs alcooliques, il faut que le tonneau dans lequel il est contenu soit hermétiquement fermé, et qu’il n’y ait, à sa partie supérieure, qu’une douille qui permette de le remplir, et un tube qui prenne les vapeurs alcooliques et les transmette dans le fond de la seconde chaudière. Un grand robinet placé latéralement au fond du tonneau servira à faire couler le vin chaud toutes les fois qu’on voudra charger la première chaudière.

Le mécanisme de cet appareil est facile à saisir. Une fois que les deux chaudières et le tonneau du serpentin supérieur sont convenablement chargés de vin, on porte le liquide de la première à l’ébullition, et la seconde commence à s’échauffer par le courant de la chaleur qui s’échappe du foyer de la première. Les vapeurs qui s’élèvent de la première sont transmises dans le liquide de la seconde, où elles se condensent et se dissolvent en abandonnant toute leur chaleur à la masse de vin qu’elle contient. Le liquide ne tarde pas à se mettre en ébullition : alors toutes les vapeurs alcooliques passent dans le cylindre condensateur, où elles éprouvent une température froide ; la partie aqueuse s’y condense avec une portion d’alcool ; cette partie condensée se rend, par les tuyaux, dans le fond de la première chaudière, où elle se dépouille de son alcool par une seconde distillation ; les vapeurs alcooliques qui n’ont pas pu être condensées à ce degré de température se rendent dans le premier serpentin, où elles se résolvent en liquide, et en passant dans le second ce liquide perd toute sa chaleur.

Par cet appareil, on peut obtenir par une première chauffe, de l’excellent alcool à trente six et trente-huit degrés.

On conçoit que l’alcool sera d’autant plus pur, que l’eau dans laquelle le cylindre condensateur est baigné sera plus froide : il faut donc la renouveler le plus souvent qu’on peut.

On voit aussi que si le tube qui porte les vapeurs de la seconde chaudière dans le cylindre condensateur les transmettait immédiatement dans le serpentin, on obtiendrait de l’eau-de-vie ordinaire ; mais qu’en les déphlegmant par le moyen du condensateur on obtient des degrés supérieurs.

Si, au lieu de remplir la premier chaudière avec du vin, on la remplissait d’eau et qu’on chargeât la seconde avec du marc de raisin ou avec du gram fermenté, il suffirait d’opérer de la même manière pour en extraire l’alcool sans crainte de brûler la matière.

Cet appareil ne présentée aucun danger à courir ; les vapeurs ont par-tout des issues libres, la compression n’est jamais assez forte pour déterminer des explosions, le service en est extrêmement facile. Il peut aisément opérer quatre ou cinq chauffes par jour, et fournir mille à onze cents litres de bonne eau-de-vie, en distillant des vins qui fournissent du quart au cinquième.

Tous les vins, et généralement les liqueurs fermentées, ne fournissent ni la même quantité ni la même qualité d’alcool. Les vins du midi donnent plus d’eau-de-vie que ceux du nord ; on en retire jusqu’à un tiers des premiers, le produit moyen est d’un quart, tandis que dans les vignobles du centre c’est un cinquième, et dans le nord c’est du sixième au dixième.

Dans le même pays de vignoble, on observe souvent une très-grande différence dans la spirituosité des vins. Les vignes exposées au midi et placées dans un sol sec et léger produisent des vins très-chargés d alcool, tandis qu’à côté, mais à une exposition différente et sur un terrain humide et fort, on ne récolte que des vins faibles et peu riches en alcool.

La force des vins peut se déduire de la proportion d’alcool qu’ils contiennent ; mais leur bonté, leur qualité, leur prix dans le commerce ne peuvent pas se calculer d’après cette base ; le bouquet, la saveur, qui en font rechercher la plupart, sont des qualités étrangères et indépendantes de la quantité d’alcool qu’ils renferment.

En général, les vins riches en alcool sont forts et généreux ; mais ils n’ont ni ce moelleux ni ce parfum qui font le caractère de quelques autres.

Les vins blancs donnent une eau-de-vie de meilleur goût que celle des vins rouges. Bans le midi, on distille presque par-tout des vins rouges, et l’eau-de-vie, quoique plus abondante, est moins estimée que celle des vins blancs qu’on distille dans l’ouest.

Les vins qui ont commencé à tourner à l’aigre fournissent peu d’eau-de-vie, et elle est de mauvaise qualité.

Il ne faut donc distiller que les vins bien fermentés et bien conservés ; ce qui explique l’opinion où sont tous les distillateurs qu’il convient de distiller les vins du moment qu’ils ont terminé leur fermentation. Nous observerons cependant que ce principe n’est applicable qu’aux vins médiocres, qui tournent aisément, et que, pour ce qui regarde les vins généreux, bien fermentes, bien dépouillés, on peut les distiller en tout temps.

Une fois qu’on a fait choix du vin qu’on veut soumettre à la distillation, on procède à l’opération de la manière suivante :

On commence d’abord par laver la chaudière avec le plus grand soin ; et en supposant qu’on vient de terminer une distillation, on ouvre le robinet pour faire couler la vinasse : par l’ouverture de la douille supérieure, on introduit un bâton pour bien agiter ce liquide, et détacher tout ce qui pourrait former croûte contre les parois intérieures. On ferme le robinet, et on verse de l’eau dans la chaudière ; on l’agite avec soin, et quelque temps après, on ouvre le robinet pour la faire écouler.

Pour sentir toute l’importance de cette opération préliminaire, il suffit d’observer que si l’on néglige cette précaution, la paroi de la chaudière s’encroûte d’une couche de tartre et de lie qui ne tarde pas à donner un mauvais goût à l’alcool, et qui détermine la calcination du cuivre, attendu qu’il n’est plus immédiatement mouillé par le liquide.

Du moment que la chaudière est bien nettoyée, on y verse le vin, et on la remplit à-peu-près aux trois quarts. Avant de verser le vin, on a eu la précaution d’ouvrir le robinet latéral pour juger de l’instant où il faut cesser de charger, et pour faire échapper l’air que déplace le vin.

Dans le même temps que la chaudière se remplit, on allume le feu.

À mesure que les vapeurs s’élèvent, on juge du chemin qu’elles font dans toutes les capacités de l’appareil par la chaleur que prennent successivement tous les conduits qu’elles parcourent.

Il passe d’abord un alcool qui n’a ni goût ni odeur agréables ; on sépare ce premier produit pour le distiller une seconde fois ;

L’alcool qui succède est très-concentré et de bonne qualité. On en détermine le titre par le pèse-liqueur, et on établit à demeure cet instrument à l’ouverture du bassiot pour juger du degré de l’alcool pendant tout le temps de l’opération.

Le pèse-liqueur se maintient à-peu-près au même degré pendant quelque temps ; mais à mesure que l’appareil et le liquide des bains s’échauffent, la condensation des vapeurs aqueuses est moins parfaite, et l’alcool est moins concentré, de sorte qu’il perd peu-à-peu de sa force.

Lorsque l’alcool commence à tomber au-dessous de vingt degrés, on ouvre de temps en temps le petit robinet placé au haut de la chaudière ; on présente une allumette enflammée aux vapeurs qui en sortent, et on renouvelle cet essai jusqu’à ce que ces vapeurs ne s’enflamment plus. Dès ce moment l’opération est terminée.

Si l’on pouvait entretenir pendant toute l’opération le même degré de fraîcheur à l’eau des condensateurs et au liquide qui baigne les serpentins, tout le produit aurait le même degré ; et lorsqu’on s’aperçoit que les degrés diminuent, on peut les relever de suite en rafraîchissant les bains.

Dès que l’opération est finie, on couvre le feu pour s’occuper de faire écouler la vinasse, de nettoyer la chaudière et de la remplir de nouveau.

Comme l’alcool produit pendant toute la durée de l’opération n’est pas au même degré on peut aisément le porter, par le mélange, au degré qu’on désire, ou bien redistiller ce qui a passé vers la fin, pour l’obtenir en totalité au plus haut point de concentration connue. On n’a besoin, en aucun cas, de recourir à la distillation qu’on a appelée jusqu’ici bain-marie.

L’alcool qu’on extrait par la distillation doit être incolore et sans mauvaise odeur ; on parvient à lui enlever les mauvaises qualités qu’il peut avoir en le redistillant avec soin : il suffit même souvent de le filtrer à travers le charbon bien brûlé et réduit en poussière très-fine. Presque toujours les mauvaises qualités de l’alcool dépendent de ce que la distillation a été mal conduite, ou de ce que les diverses parties de l’appareil ne sont pas propres. Il arrive néanmoins quelquefois que ces défauts proviennent du vin, sur-tout lorsqu’il est légèrement tourné à l’aigre.

À mesure que les bassiots qui reçoivent l’alcool sont pleins, on les vide dans des futailles de bois de chêne qu’on tient dans un lieu frais pour éviter l’évaporation.

Le séjour que fait l’alcool dans le bois neuf lui fait acquérir une couleur jaunâtre, qui n’altère pas sa qualité. L’eau-de-vie, en vieillissant, perd le goût de feu qu’elle a souvent quand elle est fraîche, elle devient plus agréable et plus suave.

Les instrumens dont on se sert pour déterminer le degré de l’alcool, ne sont pas d’une précision mathématique ; mais ils suffisent pour le commerce.

Avant d’arriver à connaître les instrumens dont on se sert aujourd’hui pour connaître le degré de spirituosité de l’alcool, on a employé plusieurs méthodes très-inexactes.

Le règlement de 1729 prescrivait de placer de la poudre dans une cuiller, de recouvrir cette poudre avec de l’alcool et d’y mettre le feu ; on jugeait de la spirituosité de l’alcool selon que la poudre s’enflammait ou ne s’enflammait pas ; mais pour obtenir des résultats rigoureux, il aurait fallu que la quantité de poudre et celle de l’alcool fussent toujours les mêmes, car une plus grande quantité de liqueur spiritueuse laisse après la combustion une plus grande quantité d’eau, qui ne permet pas à la poudre de s’enflammer.

On a encore employé le carbonate de potasse comme se dissolvant avec plus ou moins de facilité, selon que l’alcool est plus ou moins chargé d’eau.

Le gouvernement espagnol a prescrit, en 1770, d’employer l’huile comme liqueur d’épreuve.

Le procédé consiste à laisser tomber une goutte d’huile sur l’alcool, et on prononce sur le degré de spirituosité, selon que la goutte d’huile descend plus ou moins profondément dans la liqueur ; mais il est évident que l’immersion est proportionnée à la hauteur de la chute et au volume de la goutte.

Ce fut en 1772 que MM. Borie et Pouget, de Cette, parvinrent à des résultats qui ont donné au commerce un pèse-liqueur assez exact pour qu’il n’y eut plus aucune erreur notable dans l’évaluation des degrés de spirituosité de l’alcool.

Après avoir fait des expériences très-rigoureuses sur les mélanges d’alcool pur avec l’eau et sur l’action de la température à tous les degrés de concentration possible ; ces deux habiles physiciens ont fait adopter un instrument qui tient compte des variations de la température. Ce pèse-liqueur n’a pas peu contribué à établir la réputation des eaux-de-vie du midi dans le nord, en les présentant constamment au commerce à leur véritable degré.

L’usage d’un bon pèse-liqueur est tellement nécessaire au commerce, que j’ai vu pendant plus de quinze ans nos négocians du Languedoc acheter les eaux-de-vie d’Espagne dont le degré de spirituosité n’était pas constant, et se borner à les mettre au degré pour les expédier dans le Nord et dans tous les pays de consommation.

Dans le midi, où l’on prépare la majeure partie des eaux-de-vie qu’on distribue dans le commerce, on les connaît sous des noms différens, selon leur degré de spirituosité.

On appelle eau-de-vie preuve de Hollande celle qui marque vingt et un à vingt-deux degrés.

Cette première qualité, plus concentrée et réduite aux trois cinquièmes par la privation ou la soustraction de l’eau qu’elle contient, prend le nom de trois-cinq.

On la porte à trois-six et à trois-sept en la dépouillant d’un cinquième ou d’un quart de plus de son principe aqueux.

À Paris et ailleurs, on emploie le pèse-liqueur de Cartier ou de Baumé pour déterminer le titre de l’alcool. Ces instrumens sont moins précis que celui de Borie, mais ils suffisent aux usages du commerce.

L’alcool est employé comme boisson. On s’en sert pour dissoudre les résines, et il concourt à former les vernis siccatifs ou à l’esprit de vin.

L’alcool sert de véhicule au principe aromatique des plantes, et prend alors le nom d’esprit de telle ou telle plante.

Les pharmaciens s’en servent pour dissoudre des résines, et ces dissolutions sont connues sous la dénomination de teintures.

L’alcool fait la base de presque toutes les boissons qu’on appelle liqueurs. On l’adoucit par le sucre, et on l’aromatise avec toutes les substances qui ont un goût ou une odeur agréable.

L’alcool préserve de la fermentation et de la putréfaction les substances animales et végétales. Oh conserve sans altération dans l’alcool les fruits, les légumes et les matières animales.

Toutes les substances végétales qui ont éprouvé la fermentation spiritueuse donnent de l’alcool par la distillation, mais la quantité et la qualité varient beaucoup.

L’alcool du cidre a, en général, un mauvais goût, parce que la liqueur fermentée contient beaucoup d’acide malique, dont une partie s’élève avec l’alcool et y reste mêlée.

L’alcool extrait des cerises sauvages fermentées a plus de force sous le même degré que celui du vin : on le connaît sous le nom de kirschawasser.

L’alcool qu’on retire des sirops de sucre fermentés porte le nom de rhum et de tafia.

Pallas a vu distiller chez les Kalmoucks le lait aigri des vaches et des jumens ; ils aident à l’acétification par la chaleur et par un levain fait avec de la grosse farine salée ou avec la présure de l’estomac des agneaux ; ils n’écrêment pas le lait destiné à fournir de l’eau-de-vie. Ils distillent dans des chaudières recouvertes d’un chapiteau de bois, et reçoivent le produit dans des vases, qu’ils rafraîchissent en les entourant d’eau très-froide.

On fait de l’eau-de-vie de grain dans presque tous les pays connus ; mais ces eaux-de-vie sont difficiles à obtenir exemptes de mauvais goût, par rapport à l’état presque pâteux de la matière fermentée qui s’attache aux parois de la chaudière, s’y brûle et communique ce goût au produit de la distillation on masque ce mauvais goût en mêlant des baies de genièvre à la matière de la fermentation ; le goût du genièvre domine alors, et la liqueur est connue sous le nom d’eau-de-vie de genièvre.



  1. Les dénominations d’eau-de-vie, d’esprit de vin, employées jusqu’ici par le commerce pour désigner les deux extrêmes de concentration de la même liqueur, telle qu’on l’emploie dans le commerce, ont été remplacées dans la nouvelle nomenclature chimique par le mot générique alcool. Cependant, comme dans le langage reçu, eau-de-vie et esprit de vin expriment des substances très-différentes par les usages qu’elles ont dans les arts et dans l’économie domestique, il est à craindre que le commerce ne veuille pas les comprendre sous la même dénomination ; car il ne lui suffit pas qu’elles soient de même nature, du moment que le prix et les usages établissent entre elles une grande différence.
  2. On peut consulter avec avantage l’ouvrage en deux volumes qu’a publiés M. Lenormand sur la distillation. C’est un traité complet sur cette importante matière.