Chimie appliquée à l’agriculture/Chapitre 10

Madame Huzard (Tome 2p. 110-168).

CHAPITRE X.


DE LA CONSERVATION DES SUBSTANCES ANIMALES ET VÉGÉTALES.




Chaque produit de l’agriculture a sa saison ; il en est peu que la terre produise en tout temps.

De cette vérité reconnue il résulte deux faits incontestables : le premier, c’est que, dans les années d’abondance, la production est au-dessus de la consommation, et qu’alors il y a déperdition d’une partie du produit et vente du reste à vil prix ; le second, c’est que la consommation de la plupart des produits est bornée à une saison, tandis qu’elle se prolongerait indéfiniment, et la vente des denrées serait plus avantageuse à l’agriculteur, si on avait des moyens sûrs de les conserver sans altération.

C’est donc un des problèmes les plus utiles à résoudre en économie rurale, que celui de la conservation des produits que fournit la terre.

Avant de faire connaître les procédés par lesquels l’expérience nous a appris qu’on pouvait préserver ces produits de toute altération, il convient de jeter un coup d’œil sur les causes qui la déterminent.

Tout corps qui a cessé de vivre ou de végéter, abandonné à l’action des lois physiques et chimiques qui s’exercent sur lui, change peu-à-peu de nature ; les élémens qui le composaient forment de nouvelles combinaisons et par conséquent de nouvelles substances.

Pendant tout le temps qu’un être vit ou végète, les lois chimiques d’affinité sont continuellement modifiées dans les organes du corps vivant.

Dès que le corps a cessé de vivre, il est livré à l’action rigoureuse des lois d’affinité, qui seules en opèrent la décomposition.

L’air entretient le corps vivant, qui s’empare de ses principes et se les assimile, tandis que ce fluide décompose le corps mort. La chaleur est le principal stimulant des fonctions vitales, elle forme, après la mort, un des agens les plus actifs de la destruction.

C’est donc à empêcher ou à maîtriser l’action des agens chimiques et physiques sur les corps, que doivent tendre tous nos efforts pour les préserver de la décomposition ; et nous verrons que tous les procédés qui ont été couronnés du succès, consacrent ce principe.

Les agens chimiques qui exercent l’action la plus puissante sur les produits de la terre sont, l’air, l’eau et la chaleur ; mais leur action n’est pas égale sur tous : les produits mous, aqueux, et ceux qui sont fortement animalisés, se décomposent plus facilement ; leurs principes sont moins cohérens, moins liés entre eux, de sorte que l’action des agens désorganisateurs est plus efficace et plus prompte.

Tous les procédés employés jusqu’à ce jour pour préserver le corps de la décomposition se réduisent à dénaturer ou à enlever les principes de destruction qu’ils peuvent contenir ; ou peut produire le même effet en empêchant le contact des agens mentionnés au paragraphe précédent, ou bien en faisant pénétrer dans ces corps des substances qui arrêtent et empêchent toute action de la part des agens externes et internes.


ARTICLE PREMIER.


De la conservation des produits de la terre par le moyen de la dessication.


L’eau existe sous deux états différens dans tous les produits que nous fournit la végétation : une partie s’y trouve à l’état libre, tandis que l’autre y est dans un véritable état de combinaison. La première s’évapore à la température de l’atmosphère, parce qu’elle n’est retenue que par les enveloppes des fruits ; la seconde exige une chaleur qui altère, décompose et dénature les fruits : la première, étrangère à la composition du fruit, en imprègne toutes les parties, en dissout quelques principes, sert de véhicule à l’air et à la chaleur, se gèle par le froid ; elle facilite la décomposition. La seconde ne présente aucun de ces inconvéniens : se trouvant dans un état de combinaison et solidifiée dans le fruit, son action est neutralisée.

La dessication doit donc se borner à enlever, par la chaleur, toute l’eau qui se trouve à l’état libre dans le produit qu’on veut garantir de la décomposition.

Il suit de ce que nous venons de dire, que si l’on appliquait une chaleur trop forte pour dessécher un fruit, on en altérerait le goût et l’organisation par un commencement de décomposition des principes constituans ; il ne faut jamais la porter au-dessus du trente-cinquième au quarante-cinquième degré centigrade.

La dessication peut s’opérer au soleil ou dans des étuves.

La chaleur du soleil, dans les pays méridionaux, suffit pour dessécher la plupart des fruits et les préserver ainsi de toute altération : à cet effet, on les expose à ses rayons sur des claies ou des ardoises, en les garantissant de la pluie, de la poussière et du dégât des animaux. L’habitude seule fait juger du degré de dessication auquel il faut porter chacun de ces fruits pour en assurer la conservation : lorsque leur enveloppe s’oppose à la libre évaporation de l’eau contenue dans le parenchyme charnu, on fait des entailles à la surface du fruit pour la faciliter.

C’est par ce moyen qu’on prépare plusieurs des fruits secs qui forment aujourd’hui un objet de commerce considérable entre le midi et le nord.

Les fruits doux et sucrés, tels que quelques prunes, les figues, les raisins muscats, peuvent être préparés de cette manière et conserver presque toutes leurs qualités ; mais d’autres fruits acides contractent plus d’aigreur par la concentration de leur suc ; néanmoins on en prépare plusieurs par ce procédé.

Dans les pays les plus chauds, on commence souvent pas faire passer les fruits au four et on termine la dessication au soleil : il en est même qu’on fait infuser dans une faible lessive chaude, jusqu’à ce que la surface se ride ; après quoi, on les lave avec soin à l’eau froide, et on les met au soleil pour terminer l’opération ; on traite sur-tout les cerises de cette manière.

Lorsque la chaleur du soleil ne suffit pas pour évaporer toute l’eau contenue dans le tissu charnu d’un gros fruit, on le coupe par tranches qu’on expose au soleil : c’est ainsi qu’on peut dessécher les pommes et les poires.

Mais cette méthode n’est ni assez prompte ni assez économique pour des préparations qui ont peu de valeur dans le commerce, et qui ne peuvent jamais remplacer, pour nos besoins domestiques, les fruits entiers qu’on peut aisément conserver d’une saison à l’autre. On est donc dans l’usage de les dessécher dans des étuves ou au four : dans le premier cas, on place ces fruits coupés par tranches sur des claies disposées par rayons dans une chambre chauffée au quarantième degré ; dans le second, on en garnit le four au moment où l’on vient d’en extraire le pain ; on les y expose une seconde fois, si la dessication n’est pas jugée suffisante après une première opération.

Quelques-uns des fruits dont nous venons de parler dans le dernier paragraphe peuvent être desséchés sans qu’on les coupe par tranches ; les poires tendres qui ne peuvent pas se conserver pendant l’hiver, telles que le rousselet et le beurré, le doyenné, le messire-jean, le martin-sec, etc., sont de ce genre : on commence par les peler, on les blanchit dans l’eau bouillante, et on les met au four, sur des claies, à une chaleur au-dessous de celle qu’exige la cuite du pain ; on remet la poire au four trois ou quatre jours de suite ; avant de les y exposer pour la dernière fois, on aplatit les poires avec la paume de la main, ce qui a fait donner à cette préparation le nom de poires tapées.

Les fruits desséchés par l’une ou l’autre de ces méthodes sont susceptibles de fermentation en les délayant dans l’eau, et on s’en sert pour préparer des boissons peu coûteuses et à l’usage du peuple.

Dans les pays ou ces fruits sont très-abondans, on peut commencer à en préparer par dessication, dès le commencement du mois d’août, en employant ceux qui tombent des arbres. Lorsque la récolte est faite en automne, on sépare avec soin les plus beaux fruits et les plus sains de ceux qui sont rabougris, piqués ou meurtris ; les premiers sont réservés pour servir d’aliment dans le courant de l’année, et les autres sont desséchés et conservés dans un lieu sec pour être employés à former des boissons. Je ferai connaître les procédés qu’on peut employer à cet effet dans un autre chapitre de cet ouvrage.

Les fourrages qui servent de nourriture aux bestiaux ne peuvent se conserver que par la dessication, et elle se pratique dans tous les pays au moment de la récolte. Les fourrages encore humides qu’on entasse imprudemment dans les greniers fermentent ; il se produit de la chaleur, qui en altère la qualité, détermine la moisissure, et elle devient quelquefois assez intense pour produire un incendie.

Il est des fruits qui, moyennant quelques légères précautions, peuvent être conservés toute l’année : la première de ces précautions, c’est de les dépouiller de toute humidité, et de ne les enfermer que lorsque la surface est bien sèche ; la seconde, de les conserver dans des endroits où la température soit constamment à dix ou douze degrés du thermomètre centigrade, et où l’atmosphère ne soit pas humide ; la troisième consiste à isoler les fruits de manière qu’ils ne se touchent point. Il faut avoir l’attention de ne destiner à la conservation que les fruits bien sains, et enlever soigneusement ceux qui s’altèrent ou se pourrissent ; j’ai vu des pommes conservées de cette manière, sans détérioration sensible, pendant dix-huit mois.

On emploie encore la dessication pour conserver les bois et toutes les autres parties végétales et animales : par ce moyen, on leur donne de la dureté, on les rend moins accessibles à l’action de l’air, à celle des insectes et des autres agens destructeurs.

Mais la dessication ne se borne pas à préserver les fruits entiers de toute décomposition, elle fournit encore le moyen de conserver les sucs en en formant des extraits.

Lorsqu’on peut extraire par la seule pression le suc des plantes, il suffit d’évaporer ces sucs à une chaleur convenable, et dans des vases appropriés pour enlever toute l’eau qui tient le suc à l’état liquide et le ramener à l’état sec. L’évaporation long-temps prolongée à la chaleur de l’eau bouillante dénature un peu les sucs ; elle coagule l’albumine, qui existe plus ou moins abondamment dans les fruits sucrés ; et dès-lors ils ne sont plus susceptibles d’éprouver la fermentation spiritueuse.

Le moût de raisin travaillé de cette manière donne un extrait qu’on nomme raisiné ; cet extrait forme un aliment aussi sain qu’agréable, qui, délayé dans l’eau, se pourrit sans produire de l’alcool ; mais on peut rétablir sa vertu fermentescible primitive en y délayant un peu de levure de bière ; on répare par ce moyen l’altération que la chaleur a produite sur le suc pendant l’évaporation.

Tous les sucs provenant de fruits doux et sucrés peuvent être convertis en extraits et former des alimens agréables. Leur qualité varie, dans le commerce, selon la proportion du sucre contenu dans le fruit et d’après les soins qu’on apporte à l’opération : lorsqu’on clarifie le suc à plusieurs reprises ; lorsqu’on entretient l’évaporation au bain-marie ; lorsqu’on a soin d’agiter le liquide pour qu’il ne s’attache point aux parois des vases, la couleur et le goût de l’extrait sont bien supérieurs à ce qu’on obtient en n’employant pas ces précautions.

Les sucs les plus doux, tels que celui du raisin bien mûr du midi, contiennent néanmoins un acide qui, concentré par l’évaporation, agit sur les chaudières de cuivre dans lesquelles se fait l’opération, de sorte qu’il se forme un peu d’acétate de cuivre qui pourrait devenir dangereux et exciter des coliques, dans le midi sur-tout, où le raisiné fait la principale nourriture des enfans. Une pratique très-ancienne et généralement suivie obvie à ce grave inconvénient : dès que le moût du raisin est en ébullition dans la chaudière, on y jette un paquet de clefs, et on les y laisse pendant tout le temps de l’opération ; ces clefs se recouvrent d’une couche de cuivre, qui annonce la décomposition de l’acétate de cuivre par le fer, à mesure que ce sel se forme : de sorte qu’il ne reste plus dans le raisiné que de l’acétate de fer, qui n’est pas dangereux.

J’ai déjà dit qu’on pouvait convertir en extrait le jus de tous les fruits succulens, et les conserver pour servir à nos usages dans le courant de l’année ; mais la plupart de ces sucs, rapprochés par l’évaporation, présentent un tel degré d’acidité, qu’ils ne peuvent pas servir comme aliment, et qu’ils forment une boisson très-aigre lorsqu’on les délaie dans l’eau. Pour corriger ou masquer cette acidité, on fait cuire ces sucs avec du sucre, qu’on emploie pour quelques-uns à parties égales, et on en forme des sirops ou des extraits.

Comme il importe d’extraire et de pouvoir conserver, pour les besoins domestiques, les arts ou la pharmacie, des produits végétaux que la pression mécanique ne peut dégager que très-imparfaitement, on a recours à d’autres moyens, et l’on emploie, à cet effet, des liquides qui dissolvent ces principes, et qui, par la chaleur et l’évaporation, les portent à l’état sec.

L’eau est l’agent de dissolution le plus généralement employé : elle dissout l’extractif, le mucilage, le sucre et la plupart des sels, elle délaie la partie amilacée ; de sorte qu’en l’employant chaude ou froide, ou en la faisant bouillir sur les plantes, selon l’exigence des cas et la nature des principes qu’on veut extraire, on s’empare de tout ce qui est soluble, et il ne s’agit plus que d’évaporer pour obtenir ces extraits.

Les résines, si abondantes dans quelques végétaux, ne sont pas solubles dans l’eau ; mais on remplace ce liquide par l’alcool, qu’on fait digérer sur la plante ; l’évaporation suffit pour séparer l’alcool de la résine qu’il tient en dissolution : l’opération se fait dans des alambics ou vaisseaux clos, pour recueillir le dissolvant, et éviter les accidens que pourrait produire la dispersion dans l’atmosphère d’une vapeur très-inflammable.

Indépendamment de la chaleur naturelle ou artificielle qu’on a employée jusqu’ici pour dessécher les fruits ou pour réduire les sucs des végétaux à l’état de sirop et d’extrait, M. de Montgolfier y a appliqué l’action du ventilateur avec un grand succès : j’ai goûté des sucs préparés et épaissis par cette méthode, et j’ai pu juger que la saveur en était très-supérieure à celle des sucs qui avaient été desséchés par les procédés usités et pratiqués jusqu’à lui. Je ne doute pas que cette méthode ne soit généralement adoptée lorsqu’elle sera plus connue.


ARTICLE II.


De la conservation des fruits de la terre en les préservant de l’action de l’air, de l’eau et de la chaleur.


L’air atmosphérique en contact avec des fruits leur enlève continuellement du carbone et forme de l’acide carbonique.

L’eau qui se dépose sur les fruits ou qui en imprègne le tissu, dissout ou délaie quelques-uns de leurs principes constituans, affaiblit l’affinité qui en unit les élémens et facilite la décomposition.

La chaleur dilate les parties, diminue les forces de cohésion et d’affinité, et favorise l’action de l’air et de l’eau.

Lorsque ces trois agens concourent simultanément, la décomposition est prompte ; elle est plus lente, si un seul agit sur les fruits, et les résultats sont différens.

Ainsi, pour préserver les fruits de toute décomposition, il faut les garantir de l’action de ces trois agens destructeurs.

Dans plusieurs contrées de l’Europe, surtout dans le Nord, on conserve les racines de toute espèce par des procédés qui n’ont d’autre but que de les soustraire à l’action de ces agens : on creuse des fosses profondes dans un sol sec et un peu élevé ; on y dépose les racines, que l’on recouvre d’une couche de terre assez épaisse pour que la gelée ne puisse pas les atteindre ; et souvent on abrite le tout d’une couche de paille, de genêt ou de fougère, afin de les garantir de l’eau et de la fonte des neiges, qui pourraient filtrer dans la fosse.

Pour que la conservation soit parfaite, il faut avoir soin de n’enfermer les racines que lorsque la surface est bien sèche.

Ces racines ont en elles-mêmes un principe de conservation, que n’ont point les végétaux morts ou les produits qui ont terminé leurs périodes de végétation ; elles n’ont parcouru que la moitié de leur vie végétative, elles n’ont pas formé leurs graines pour assurer leur reproduction ; pour atteindre ce grand but de la nature, les racines profitent de toutes les circonstances qui peuvent favoriser et rétablir leur végétation ; mais, placées une fois hors de l’action de l’air, de l’eau et de la chaleur, elles languissent dans le repos, jusqu’à ce que ces agens puissent, par leur contact, exciter leurs organes.

Les corps morts n’ont plus ce principe de vie dont l’action n’est que suspendue, pendant l’hiver, dans les graines, les racines, etc. : aussi se décomposent-ils, quoique plus lentement, quoiqu’on les soustraie au contact de l’air, de l’eau et de la chaleur.

D’après la méthode que je viens d’indiquer, on peut conserver sans altération jusqu’à l’été les pommes de terre, les betteraves, les carottes, etc. Mais il est facile de les garantir, à moins de frais, de toute décomposition, en en formant des tas, sur un sol très-sec, et les recouvrant, sur toutes les faces, de couches de paille qui les préservent de la pluie et de la gelée : on a observé, en Angleterre, que cette méthode était préférable pour les turneps.

On peut encore entasser les racines dans les granges jusqu’à la hauteur de cinq à six pieds : la seule précaution qu’il y ait à prendre, c’est de les recouvrir de paille ou de foin au moment des gelées. Lorsque la végétation de ces racines s’établit dans le tas, on les change de place, et, par ce moyen, on en arrête le développement.

Thomas Dallas a publié des observations très importantes[1] sur le parti qu’on peut tirer des pommes de terre gelées : on sait que, chez nous, on les rejette comme ne pouvant plus servir à la nourriture, ni fournir de la fécule. Cet habile agriculteur les considère dans trois états : 1°. lorsqu’elles n’ont reçu qu’une légère atteinte de la gelée ; 2°. lorsque le tissu voisin de la peau est gelé ; 3°. lorsque la gelée a attaqué toute la substance.

Dans le premier cas, il se borne à saupoudrer de chaux la surface, pour absorber l’humidité qui se forme sur la peau, et qui occasionnerait promptement la décomposition complète du fruit. Dans le second, il pèle la pomme de terre et la met dans l’eau légèrement salée, où il la laisse pendant quelques heures. Enfin, lorsque la pomme de terre est complétement gelée, il la fait fermenter, et la distille pour en extraire l’eau-de-vie ; il assure que, dans cet état, elle fournit beaucoup plus d’alcool, et d’une qualité supérieure, analogue au meilleur rhum.

La conservation des grains a, de tout temps, occupé les gouvernemens et les agriculteurs : cet objet intéresse d’autant plus, que le blé fait la base principale de la subsistance des peuples européens, et que la disette ou le haut prix de ce premier des alimens, devient la cause ou le prétexte des soulèvemens et des désordres populaires.

L’art de conserver les grains sans altération présente encore l’avantage de faire venir les récoltes abondantes au secours des mauvaises, de maintenir le prix du blé à un prix convenable pour le producteur et le consommateur, et d’éviter ces secousses périodiques de hausse et de baisse, d’abondance ou de disette, qui troublent l’ordre social, provoquent des excès et préjudicient à tous.

Il paraît que les peuples de la plus haute antiquité conservaient les grains pendant des siècles, en les préservant, par des procédés très-simples, de l’action de l’air et de l’humidité.

Depuis un temps immémorial, les Chinois conservent leurs grains dans des fosses qu’ils appellent teon : ils creusent ces fosses dans des rocs qui ne présentent ni fentes ni humidité, ou bien ils les pratiquent dans des terres sèches et fermes. Lorsqu’ils craignent l’humidité, ils tapissent les fosses avec de la paille, ou ils y brûlent du bois pour dessécher et affermir la terre. On ne met les grains dans ces fosses que quelques mois après la récolte, et après les avoir bien séchés au soleil ; on recouvre ces tas de grain avec des nattes, la bâle du grain ou la paille, et on termine par une couche de terre bien battue, pour que l’eau ne puisse pas pénétrer.

Varron, Columelle, Pline, nous apprennent que les anciens conservaient leurs grains dans des fosses creusées dans le rocher ou dans la terre ; le fond et les parois étaient recouverts de paille. Quinte-Curce raconte que l’armée d’Alexandre éprouva de grandes privations sur les bords de l’Oxus, parce que les habitans de ces contrées conservaient leurs grains dans des fosses souterraines, qui n’étaient connues que de ceux qui les avaient creusées[2].

J’ai eu occasion de visiter plusieurs fois à Amboise ce qu’on y appelle, les greniers de César : l’examen des lieux ne permet plus de douter que cet établissement n’ait été formé pour conserver des grains. À environ trente pieds au-dessus du niveau des eaux de la Loire, on a creusé dans un roc calcaire, sec et uni, de profondes et larges excavations, disposées en trois étages séparés les uns des autres par des voûtes. Derrière ces premières excavations, on en a creusé d’autres, séparées des premières par une cloison du rocher, de six à sept pieds d’épaisseur, dans le milieu de ces dernières, on a bâti, en briques et ciment, des greniers circulaires d’environ quinze pieds de diamètre ; la partie supérieure de ces greniers est rétrécie et recouverte par une pierre ; c’est par cette ouverture qu’on les remplissait : une trémie placée à la base servait à les vider. Pour éviter toute humidité, on remplissait, avec du sable fin et très-sec de la Loire, l’espace compris entre les murs des greniers et ceux du rocher. Une galerie latérale, également creusée dans le roc, communique d’un côté avec ces greniers et de l’autre avec un escalier taillé dans le même rocher, qui conduit directement au bord de la Loire : c’est par-là qu’on transportait le blé dans les bateaux. Il paraît que les grandes excavations servaient de magasins pour la consommation journalière, et que les greniers formaient la réserve.

Il est difficile de concevoir un établissement plus propre à conserver les grains, et de choisir un emplacement plus favorable à l’approvisionnement et au transport.

De temps immémorial, dans certains climats chauds et naturellement secs, on conserve les grains, avec moins de précaution sans doute que dans les fosses, mais de manière à former des réserves pour six à sept ans. Prosper Alpin raconte que, non loin du Caire, on avait entouré d’une haute muraille une enceinte d’environ deux milles de circuit, qu’on remplissait, tous les six à sept ans, de monceaux de froment. Il ajoute que l’abondante rosée des nuits mouille la surface, fait germer la première couche du grain, mais que, bientôt après, les jeunes pousses sont desséchées par le soleil, et qu’il se forme une enveloppe dure qui ne permet plus à l’air et à la rosée de pénétrer dans la masse de sorte que les particuliers conservent leurs récoltes en plein air, sur une aire, et se bornent à couvrir leurs tas de blé avec des nattes.

Dans la Basilicate, au rapport d’Intieri[3], les cultivateurs forment des tas de blé sur les bords de la mer ; les pluies déterminent une forte végétation sur la surface, qui se recouvre d’une couche impénétrable à l’air et à l’eau.

Il est curieux d’entendre raconter par Joinville la manière dont on assura les approvisionnemens pour les besoins de l’armée que saint Louis conduisit en personne à Jérusalem.

« Quant nous venimes en Cypre, le Roy estoit ja en Cypre, et trouvames grant foison de la pourvéance le Roy ; c’est à savoir, les celiers le Roy et les deniers et les garniers. Les celiers le Roy estoient tiex, que sa gent avoient fait en mi les champs sur la rive de la mer, gran moyes de tonniaus de vin, que il avoient acheté de deux ans devant que le Roy venist, et les avoient mis les uns sus les autres, que quant l’en les véoit devant, il sembloit que ce feussent granches. Les fourmens et les orges il les r’avoient mis par monciaus en mi les champs ; et quant en les véoit, il sembloit que ce feussent montaignes ; car la pluie qui avoit batu les blez de lonc temps, les avoit fait germer par desus, si que il n’i paroit que l’erbe vert.

» Or avint ainsi que quant en les vot mener en E’gypt, l’en abati les crotes de desus à tout l’erbe vert, et trouva l’en le fourment et l’orge aussi frez comme l’en l’eust maintenant batu[4]. »

Ce procédé de conservation est sans doute plus économique, mais il entraîne des déchets, et n’assure pas une durée aussi longue que l’emploi des fosses : aussi leur usage a-t-il prévalu, et on le trouve encore pratiqué dans presque toute l’Europe, et même dans l’Asie et l’Afrique.

Les blés qui servent à la consommation et au commerce d’Alger et de Tunis, sont déposés dans des fosses taillées dans le roc ; elles ont trente à quarante pieds de profondeurs ; on tapisse les parois avec de la paille, et on n’y met le grain que lorsqu’il a été bien séché au soleil.

M. le comte de Lasteyrie a trouvé ce mode dé conservation employé à Malte, en Sicile, en Espagne et en Italie.

Il est même des pays dont les gouvernemens ont fait construire des fosses nombreuses, où les cultivateurs déposent leurs récoltes et attendent des momens favorables pour la vente.

En général, pour assurer une parfaite conservation des grains dans les fosses, il faut employer quelques précautions, sans lesquelles on compromettrait le sort des récoltes ; elles se réduisent aux suivantes :

1°. On ne doit enfermer le grain dans les fosses que lorsqu’il est bien sec. À cet effet on l’expose au soleil pendant quelques jours, et on le retourne plusieurs fois pour que la dessication soit égale.

2°. Pour construire les fosses, on choisit un terrain sec ou un roc uni, de manière qu’il n’y ait à craindre ni filtration d’eau ni transpiration humide. On peut former les murs des fosses avec le ciment qu’employaient les Romains pour la construction de leurs aqueducs ; il était simplement composé de chaux et de pierrailles ; ils élevaient ces murs par encaissement, et en polissaient la surface avec le plus grand soin ; j’ai eu occasion de voir de nombreux restes de ces aqueducs sur plusieurs points de la France, j’ai trouvé partout un procédé uniforme, et je me suis convaincu que ce ciment était impénétrable à l’eau, et d’une solidité plus que suffisante pour en construire les parois des fosses[5].

3°. La troisième précaution consiste à éviter que l’air ne pénètre dans la fosse. Si ce fluide pouvait s’y renouveler, il y porterait à-la-fois de l’humidité et de l’oxigène, qui sont les deux principes de la germination ; il permettrait aux insectes de respirer, conséquemment de continuer leurs ravages et de se multiplier : tandis que, lorsque la fosse est bien close et pleine de grains, l’air qui y est enfermé se change en acide carbonique (comme nous l’avons vu en parlant de l’action de l’air sur tous les fruits), et les insectes y restent assoupis ; l’expérience est venue à l’appui de cette dernière assertion, dans les essais qui ont été faits sur la conservation des blés, par l’administration des vivres de la guerre, ainsi que nous le verrons bientôt.

Mais la construction de ces fosses entraîne des dépenses, et nécessite des soins, que le simple agriculteur repoussera long-temps. Quelque avantageux que soit ce mode de conservation, il n’appartient qu’aux administrations publiques, aux grandes villes et au gouvernement de donner un exemple salutaire, en retirant de la circulation une grande masse de blé dans les années d’abondance, pour le déposer dans les fosses, et le garder en réserve afin de s’en servir dans les années calamiteuses.

De nos jours, on a beaucoup écrit sur la conservation des grains ; on a varié les méthodes de bien des manières, mais toutes sont fondées sur les mêmes principes.

L’administration des vivres de la guerre, sous la direction de M. le comte Déjean, a tenté une suite d’expériences bien conçues, qui ont donné d’excellens résultats : les appareils étaient des récipiens de plomb hermétiquement fermés et soudés dans tous les joints.

Les résultats de ces expériences en ont présenté un extrêmement précieux : on enferma des farines et des blés remplis de charançons dans trois récipiens ; on les ouvrit au bout d’une année révolue, et on trouva que les charançons n’avaient absolument commis aucun dégât ; tous étaient morts ou asphyxiés. Dans l’un de ces récipiens, on trouva dans le fond un petit tas de grains agglomérés, de la grosseur d’une pomme moyenne et sentant le moisi : cet accident provenait d’une petite ouverture, du diamètre d’une épingle, qu-on avait oublié de souder et par où s’était introduite l’humidité.

M. Ternaux l’aîné a fait construire des fosses dans sa belle campagne de Saint-Ouen ; il les a remplies de blé : on les a ouvertes d’année en année, pour s’assurer de l’état de la conservation du grain, et jusqu’ici les résultats ont été satisfaisans.

Le blé se conserve très-bien et long-temps dans son épi très-sec et garanti de l’air et de l’humidité, tout le monde sait que c’est un moyen de conservation employé dans les pays de grande culture où l’on forme des meules, des gerbiers, qu’on ne démonte que pour fournir à la consommation et à la vente, aux époques où le battage en grange peut seul occuper les employés de la ferme.

Au lieu de construire des fosses en dehors des habitations pour y conserver les grains, on peut pratiquer dans l’intérieur, des cuviers en pierre d’une grandeur proportionnée à la quantité de blé que fournit un domaine, et en recouvrir l’ouverture de manière à ce que l’air et l’humidité n’y pénètrent point.

On peut également employer à cet usage des caisses et des cuves en bois, en enduisant la surface extérieure d’une bonne couche de couleur à l’huile.

Les grands vases en terre dans lesquels on conserve l’huile dans le midi sont encore très-propres à cet usage.

Quelle que soit la méthode qu’on adopte, elle sera préférable à celle de conserver les grains dans les greniers ; les soins que cette dernière exige ne garantissent qu’imparfaitement les grains de l’humidité, des insectes, des souris, etc., et leur conservation sans altération ne s’étend guère au-delà de trois à quatre ans.

Il n’est point rare que les blés déposés dans des lieux humides ou emmagasinés sans être bien secs, contractent l’odeur de moisi : cette altération les rend impropres à servir à leurs usages ordinaires. Mais comme cette altération n’attaque point la substance du grain et qu’elle se borne à la partie de l’écorce, on peut aisément la corriger en versant sur le blé le double de son poids d’eau bouillante, et agitant la masse avec soin jusqu’à ce que le liquide soit refroidi ; on enlève les grains gâtés qui nagent à la surface, on décante l’eau et on sèche le grain qui s’est précipité.

M. Peschier préfère d’employer l’eau légèrement alcaline et bouillante pour détruire la moisissure ; il lave ensuite le grain à l’eau fraîche[6].

Lorsque les blés sont échauffés ou viciés d’une manière notable, presque toujours la partie végéto-animale est décomposée ou au moins sensiblement altérée dans ce cas, la farine ne peut plus éprouver une bonne fermentation panaire, et le pain qui en provient est malsain : ce grain ne peut servir qu’aux amidonneries.

La conservation des sucs végétaux et autres alimens ne mérite pas moins d’attention que celle des blés.

Les substances dont nous allons nous occuper en ce moment présentent le principe alimentaire délayé ou dissous dans un fluide aqueux, ce qui facilite déjà singulièrement leur altération et leur décomposition. Il ne suffit pas même de les soustraire à l’action de l’air et de la chaleur, puisqu’elles portent, pour la plupart, en elles-mêmes des principes de fermentation, qui réagissent l’un sur l’autre et produisent la décomposition.

Ainsi pour conserver ces substances, il faut non-seulement les mettre à l’abri de l’air, mais il faut encore dénaturer l’un des principes de la fermentation pour détruire ce levain inhérent de décomposition : c’est ce qui s’opère par le procédé conservateur de M. Appert, qui produit les meilleurs effets.

Comme les bons résultats obtenus par le procédé de M. Appert sont confirmés par des expériences nombreuses, je me bornerai à les faire connaître : on pourra consulter l’ouvrage qu’il a publié, pour y puiser la connaissance des détails nécessaires pour chaque opération[7].

Le procédé consiste :

1°. À renfermer dans des bouteilles de verre les substances liquides ou solides qu’on veut conserver ;

2°. À boucher ces vases avec un soin extrême ;

3°. À placer ces vases debout dans une chaudière, que l’on remplit d’eau fraîche jusqu’à la cordeline ou bague de la bouteille ;

4°. À porter l’eau à l’ébullition et à l’entretenir plus ou moins long-temps dans cet état, selon la nature de la substance qu’on traite.

On voit d’après cet exposé qu’il suffit d’un chaudron et de bouteilles pour exécuter cette opération, et qu’on peut la pratiquer dans les plus petits ménages.

Mais chaque partie du procédé exige des précautions à prendre pour éviter les accidens et assurer la réussite : je me bornerai à indiquer les principales, sur-tout celles qui sont absolument nécessaires.

Le choix des bouteilles n’est pas indifférent : celles de Champagne présentent la forme la plus favorable ; le verre y est réparti d’une manière plus égale que dans les autres ; la composition en est plus liante ; on doit en général leur donner la préférence, sur-tout à celles qui ont déjà résisté à l’effort du gaz comprimé du vin mousseux.

On ne saurait apporter trop de soin au choix des bouchons : on ne doit employer que les superfins et rejeter ceux qui ont quelques défauts ; leur longueur ne peut pas être moindre de dix-huit à vingt lignes, et leur diamètre un peu plus fort que celui du goulot de la bouteille, pour qu’on puisse les enchâsser de force, à coups de palette ou maillet.

On remplit les bouteilles jusqu’à trois pouces de la cordeline : lorsqu’on s’est assuré du bouchon qui convient, on le trempe à moitié dans l’eau ; on en essaie le petit bout, et on l’assujettit au goulot, en l’y tournant par l’effort de la main aussi profondément qu’on le peut. On enveloppe alors la bouteille avec un torchon, on en saisit le col avec la main gauche, on serre fortement, et à coups de palette redoublés on introduit le bouchon ; on en laisse dehors la longueur de quelques lignes pour recevoir le fil de fer ou la ficelle, avec lesquels on l’assujettit.

On met ensuite chaque bouteille dans une poche de toile forte, qui l’enveloppe jusqu’au bouchon ; ces bouteilles sont mises debout dans le chaudron qu’on remplit d’eau, jusqu’à ce qu’elle baigne la cordeline. On couvre le chaudron d’un couvercle, sur lequel on étend un linge mouillé pour fermer les issues.

L’appareil étant ainsi disposé, on chauffe l’eau, on la porte à l’ébullition, et on l’entretient à ce degré plus pu moins de temps, suivant la nature des substances qu’on veut préparer.

Un quart d’heure après qu’on a retiré le feu du foyer, on vide l’eau du bain-marie, à l’aide d’un robinet placé au bas de la chaudière, ou par le moyen d’un siphon ; on découvre la chaudière pour n’en retirer les bouteilles qu’une ou deux heures après.

Lorsqu’on veut préparer des viandes et autres alimens solides sans les déformer, on emploie des bocaux à large ouverture ; on procède ensuite de la même manière qu’avec les bouteilles à col étroit.

De bon bouillon de viande traité dans des bouteilles ; et du bœuf cuit aux trois quarts, mis en bocaux, ont subi une heure d’ébullition dans l’appareil, et après un séjour de dix-huit mois sur mer ou dans les ports, on les a trouvés aussi bons que si on venait de les préparer.

On a l’attention de bien tasser les viandes et les autres corps solides dans les bocaux, pour y laisser le moins d’air possible interposé.

On peut préparer de cette manière et conserver pendant long-temps les consommés et les gelées de viande, ainsi que toutes les parties des animaux quelconques qui servent à la nourriture de l’homme.

Le lait et tous les produits qu’on en extrait, se conservent parfaitement par le même procédé.

Avant de mettre le lait en bouteilles, on le rapproche à moitié par l’évaporation, à la chaleur du bain-marié, ou, mieux, encore, à celle du bain de vapeur ; on enlève avec soin les écumes qui se forment à la surface ; demi-heure avant la fin de l’évaporation, on y délaie un jaune d’œuf par litre de lait réduit ; on laisse refroidir, et on verse dans les bouteilles, pour lui faire subir deux heures de bouillon.

Le lait se conserve tel qu’on l’a mis en bouteilles ; au bout de deux ans, il a paru n’avoir éprouvé aucune altération : on peut, après ce laps de temps, en extraire le beurre et le petit-lait comme du lait frais.

Sans doute on ne prétend pas que le lait préparé de cette manière conserve toutes les qualités qui caractérisent le lait frais ; il a presque toujours l’odeur et le goût de la frangipane ; mais tel qu’il est, il forme un aliment agréable et précieux pour les voyages de long cours.

La crême, rapprochée d’un cinquième au bain-marie, est versée dans les bouteilles après qu’on en a enlevé la peau coagulée à la surface, et on la soumet à une heure de bouillon : au bout de deux ans, elle n’était pas sensiblement altérée.

Les végétaux dont on fait un si grand usage dans tous les ménages, se préparent et se conservent de la même manière ; mais l’ébullition est moins prolongée, et pour quelques-uns, on est obligé de les disposer à cette opération par de légères préparations. Pour les asperges, par exemple, on les lave et on les plonge dans l’eau bouillante, et de suite dans l’eau fraîche, afin de leur ôter leur âcreté naturelle ; on ne leur donne qu’un bouillon. Pour conserver aux petites fèves de marais leur couleur, on plonge d’abord dans de l’eau bien fraîche les bouteilles qui en sont remplies, et on les en retire, après une heure d’immersion, pour les boucher, les ficeler et leur donner une heure de bouillon. Quant aux artichauts, après les avoir passés à l’eau bouillante, on les lave à l’eau fraîche, on les égoutte et on les soumet dans les bocaux à une heure de bouillon. Les choux-fleurs se préparent comme les artichauts avec la seule différence qu’il ne leur faut que demi-heure de bouillon.

Les carottes, choux, navets, panais, betteraves, sont d’abord lavés, cuits à moitié dans l’eau avec un peu de sel ; ils sont ensuite égouttés, refroidis, mis en bouteilles et exposés à une heure de bouillon ; les oignons, le céleri, disposés de même, n’exigent que demi-heure.

En général les légumes préparés et assaisonnés soit au gras, soit au maigre, lorsqu’ils sont cuits aux trois quarts, et mis dans les bouteilles, pour leur donner vingt minutes de bouillon, se conservent très-bien.

Les plantes antiscorbutiques, et les sucs qu’on extrait de tous les fruits et végétaux, n’exigent qu’un bouillon pour acquérir la faculté d’une parfaite conservation.

Lorsqu’on opère sur des sucs, on les dépure et clarifie avec soin, avant de les mettre dans les bouteilles. Les plantes n’exigent que d’être bien lavées, épluchées, séchées et ensuite tassées dans les bouteilles.

Pour faire usage de ces préparations, il faut leur donner ensuite, par l’apprêt, les propriétés et jusqu’aux apparences de celles de même nature qu’on prépare journellement dans nos cuisines et nos offices.

Les alimens qui ont été cuits avant d’être enfermés dans les bouteilles ou bocaux, ne demandent qu’à être chauffés.

Les consommés n’exigent que l’eau nécessaire pour former de bons potages.

Les gelées de bœuf, de veau, de mouton, de volailles, etc., étendues d’eau bouillante, et assaisonnées d’un peu de sel, donneront d’excellens bouillons.

On lave les légumes, au sortir de la bouteille, et on les traite ensuite comme s’ils étaient frais.

Les sucs reçoivent leur destination ordinaire, comme aliment, boisson ou médicament.

Je terminerai cet article par faire observer qu’on préserve encore quelques corps de la destruction, en les garantissant de l’action de l’air, de l’humidité et des insectes, à l’aide des vernis dont on recouvre la surface : cet usage est devenu général ; et lorsque les vernis ne s’écaillent point et qu’ils sont appliqués sur des corps bien secs, ils en assurent une longue durée.

Les couleurs à l’huile siccative produisent le même effet, de même que le goudron.

L’usage s’est introduit à Paris, depuis peu de temps, de conserver les œufs frais en les tenant immergés dans l’eau de chaux ; ils se recouvrent à la surface d’une couche de chaux, qui empêche que l’air ne pénètre dans l’œuf, ce qui les préserve de toute altération.


ARTICLE III.


De la conservation des alimens par les sels et les liqueurs spiritueuses.


On peut conserver la plupart des corps employés à notre nourriture, ou à d’autres usages domestiques, par les moyens suivans :

1°. En les immergeant dans des liquides qui ne puissent ni les dissoudre, ni s’altérer eux-mêmes avec le temps ;

2°. En les dénaturant en partie et les combinant avec les corps qui forment avec eux des composés indestructibles ;

3°. En les saturant de sels.

I°. Pour opérer par la première méthode, on emploie ordinairement l’alcool ou l’eau-de-vie : il serait possible de se servir de beaucoup d’autres substances, telles que les acides, les huiles volatiles, etc. ; mais elles altèrent le goût et changent les qualités de la plupart de ces corps qu’on destine à la nourriture.

On pourrait préparer et conserver presque toutes les espèces de fruits par l’alcool ; mais on n’emploie à cet usage que ceux qui ont peu de volume, parce que le liquide ne pourrait pas pénétrer dans toute la substance charnue des plus gros, et que leur conservation serait plus ou moins imparfaite. Je me bornerai donc à faire connaître la préparation de la cerise et de la prune à l’eau-de-vie.

Oh exprime le suc de six livres de cerises précoces et bien mûres, et on le met sur le feu dans un poêlon à confiture, avec trois livres de sucre en poudre ; on fait bouillir à un feu doux pendant une demi-heure : le poêlon est alors retiré du feu, et on y jette de suite une livre de framboises bien parfumées, qui s’y fondent en peu de temps, à l’aide de la pression que l’on exerce avec l’écumoire : on verse six litres ou pintes de bonne eau-de-vie et quelques aromates, tels que cannelle, girofle, vanille, etc.

Cette préparation est conservée dans des vases fermés qu’on expose au soleil.

Dès que la grosse cerise est mûre, on passe à la chausse la préparation à l’eau-de-vie dont je viens de parler, et on la met de suite dans des bocaux de verre, que l’on remplit des cerises qu’on veut conserver. Ces vases sont exposés, bien bouchés, sur des fenêtres, au soleil, jusqu’au moment où ces fruits doivent être consommés.

Lorsqu’on veut préparer les prunes, on procède d’une manière qui diffère un peu de la précédente.

On prend les plus belles prunes reines-claudes, on les pique et on les met dans une bassine avec de l’eau froide ; on fait chauffer l’eau, on enlève les prunes avec l’écumoire, à mesure qu’elles s’élèvent, et on les jette dans l’eau froide.

On dissout deux livres de sucre dans trois livres d’eau chaude, et lorsque ce sirop est refroidi on y plonge les prunes, qu’on laisse se pénétrer de sucre, à une douce chaleur, pendant quelque temps ; ces prunes sont retirées de l’eau pour concentrer un peu le sirop par le feu : alors on y replonge les prunes, qu’on traite comme à la première immersion ; on les retire encore afin de concentrer le sirop à consistance ; on y rejette les prunes pour la dernière fois. Après ces opérations, les prunes et le sirop sont mis dans des bocaux, où l’on verse une quantité d’eau-de-vie égale au volume des prunes et du sirop : il faut ne conserver dans cet état que les prunes qui n’ont pas perdu leurs formes.

La description de ces procédés suffit pour diriger ceux qui voudraient préparer d’autres fruits par cette méthode.

Lorsqu’on remplace le sucre par des sirops, il faut employer de l’eau-de-vie plus forte.

L’alcool dissout et conserve l’arome des plantes et des fruits ; il suffit de les faire infuser dans ce liquide et de passer ensuite l’infusion à travers un filtre.

Je ne puis pas me refuser à prescrire ici quelques méthodes pour composer des liqueurs alcooliques, dont l’usage modéré me paraît précieux pour conserver la santé de l’habitant des campagnes. Je sens que pour atteindre ce but, je dois moins m’occuper de donner à ces boissons les qualités qu’exigent le luxe et le goût exercé et délicat des personnes opulentes, que d’apporter dans leur fabrication une sévère économie, des procédés faciles, et l’emploi des matières que la mère de famille a sous sa main.

Pour composer trois pintes de ratafiat de noyaux, on écrase deux cents noyaux d’abricots dont on sépare l’amande : ces noyaux sont exposés à la chaleur du soleil. Quelques jours après les avoir réduits en poudre dans un mortier, on les met dans une bouteille avec deux pintes de bonne eau-de-vie : la bouteille est bouchée avec soin et exposée au soleil. Vingt jours après, on filtre la liqueur et on y mêle la dissolution d’une livre et demie de sucre dans une chopine d’eau, ou deux livres et demie de bon sirop. Lorsqu’on mêle quelques amandes concassées avec les noyaux, la liqueur en est plus parfumée.

On fait encore du ratafiat avec les seules amandes : à cet effet, on les jette dans l’eau bouillante pour en dérober la pellicule ; elles sont concassées dans un mortier de marbre ou de bois avec un peu d’eau et de sucre, et l’on met cette pâte dans une bouteille avec de l’eau-de-vie : après quelques jours d’exposition au soleil, la dissolution est filtrée et mêlée de suite avec le sirop convenable.

On peut encore employer l’amande et les noyaux de pêche concassés pour former de bon ratafiat.

La base de toutes ces liqueurs est l’eau-de-vie et le sucre ; leur différence provient de l’arôme et des autres parties végétales qu’on y incorpore.

Il est avantageux de former une première liqueur qui serve d’excipient général, dans lequel on met les diverses substances qui peuvent flatter le goût et l’odorat.

Pour obtenir cette liqueur première, il faut dissoudre huit livres de sucre dans trois fois son poids d’eau ; on fait bouillir, on écume, et lorsque tout le sucre est fondu, ce liquide est passé au travers d’un linge propre, et mis dans une cruche. Dans cet état, on y mêle dix pintes de bonne eau-de-vie ; on bouche la cruche et ce sirop est conservé dans un lieu frais.

Lorsqu’on veut se servir de cette préparation, on met dans une bassine la portion qu’en veut employer, on lui imprime un léger degré de chaleur en y ajoutant les aromes qu’on lui destine.

S’il s’agit de composer la liqueur de fleurs d’orange, après y avoir fait infuser les pétales de ces fleurs, on filtrera au travers du papier gris. Le poids des fleurs doit être le huitième du sucre employé.

S’agit-il de parfumer la liqueur au cédrat, à la bergamotte, à l’orange ou au citron, on râpe la surface de ces fruits avec des morceaux de sucre, qui s’imprègnent de l’huile volatile contenue dans de petites vessies cachées sous l’épiderme, et ce sucre, chargé de l’arome sera dissous dans la liqueur. La vanille, la cannelle, le girofle, peuvent être employés de la même manière.

On compose encore ces liqueurs avec les sucs bien épurés des fruits. Je donnerai pour exemple le ratafiat des quatre fruits.

Après avoir exprimé le jus de dix livres de cerises, autant de groseilles, cinq livres de framboises et cinq livres de cassis et merises, on passe avec expression, et l’on ajoute sur chaque pinte de jus une livre de bonne eau-de-vie ; on laisse reposer le tout pendant vingt-quatre heures. Au bout de ce temps, le mélange est filtré et on y fait fondre huit onces de sucre par pinte. Six semaines après, la liqueur est de nouveau filtrée ; on peut parfumer agréablement ce ratafiat en y ajoutant des œillets rouges ou un peu de cannelle, de girofle, de coriandre concassés et quelques amandes amères.

L’alcool peut encore préserver de la putréfaction toutes les substances animales : c’est par ce moyen que l’on conserve les préparations anatomiques et quelques animaux entiers. La conservation n’est parfaite qu’autant qu’on emploie l’alcool le plus pur du commerce : si le principe aqueux prédomine dans cette liqueur, il extrait et dissout des parties animales qui ne tardent pas à se corrompre. Il faut avoir l’attention de boucher bien hermétiquement les bocaux dans lesquels on met ces substances, pour qu’il n’y ait pas déperdition d’alcool par l’évaporation.

L’alcool employé d’une autre manière conserve parfaitement les animaux d’un petit volume ; les essais que j’ai faits sur les oiseaux m’en ont donné une entière conviction. Je suspends les oiseaux par le bec, et leur lie l’anus avec un fil : à l’aide d’un petit entonnoir que j’adapte au gosier, je remplis, l’estomac et les intestins d’un alcool très-pur ; dès qu’il est évaporé, j’en introduis de nouveau et ainsi de suite, jusqu’à ce que les chairs de l’oiseau soient desséchées comme de l’amadou : on peut alors conserver l’animal avec toutes ses formes, sans craindre aucune altération.

II°. Le second moyen de conservation dont je parlerai dans cet article, consiste à combiner les corps avec des substances qui en forment des composés indestructibles.

L’exemple le plus frappant que je puisse donner de l’application de ce procédé, est celui que présente la conversion des peaux en cuirs : ici, on combine le tannin des végétaux avec la gélatine, qui forme la presque totalité des peaux, et il en résulte un composé dur, indestructible, conservant les formes primitives de la peau avec une augmentation de poids.

III°. Enfin, en imprégnant les substances animales de sels inaltérables à l’air, et qui en pénètrent tout le tissu, on les préserve de toute décomposition.

La salaison des viandes et du poisson est la méthode de conservation la plus générale et la plus précieuse ; elle forme l’objet d’un commerce immense entre les nations ; elle assure l’approvisionnement des vivres dans beaucoup de positions et de circonstances où ils manqueraient sans ce moyen.

L’Irlande a été le berceau des bonnes salaisons, et le commerce qu’on y fait des viandes salées est encore très-étendu, quoique le Danemark et d’autres nations aient adopté les mêmes procédés. Je décrirai succinctement la méthode qui y est pratiquée[8].

On ne destine à la salaison que les bœufs gras, âgés de cinq à sept ans ; avant et après ce terme, la viande a trop peu de consistance ou trop de dureté.

Lorsque le bœuf vient de loin, il n’est abattu que deux jours après son arrivée ; dans l’intervalle on ne lui donne que de l’eau.

Il doit être bien saigné, pour que tout le sang soit extrait du corps ; malgré cette précaution, on est obligé, lorsqu’on le dépèce, de nettoyer et d’enlever avec soin le sang qui peut adhérer à la viande.

On ne s’occupe de le mettre en pièces qu’un jour après qu’il a été tué.

On extrait soigneusement la moelle des os.

Le sel qu’on emploie doit être le plus pur, le plus fin et le plus pesant ; le petit sel du Portugal est réputé le meilleur.

La proportion en volume du sel avec la viande est de vingt-deux à cent. Si on n’emploie que le sel portugais, la proportion est de deux à sept et demi. La proportion en poids est en général d’un de sel contre six de viande.

Pour bien faire pénétrer le sel dans la viande, les saleurs ont la main droite garnie d’une manique ou gant ferré, composé de deux ou trois carrés de cuir de semelle, liés par des clous très-serrés et rivés à la surface interne ; une lanière de cuir sert à assujettir le gant à la main, et en forme une espèce de brosse d’écurie. C’est avec ces gants qu’on fait entrer le sel, qu’on exprime le sang et les sucs dont la viande peut être imprégnée. Chaque morceau de viande est successivement transmis à une série de saleurs, qui exécutent la même opération ; et lorsqu’il arrive au dernier, qui est le plus exercé et le plus habile, celui-ci examine s’il y a quelque défaut, s’il y a quelque veine qui n’ait pas été ouverte ; il corrige les défauts, il ouvre les veines, y fait pénétrer le sel et jette dans le tonneau les morceaux salés.

La viande reste à l’air dans ce tonneau pendant huit à dix jours ; le sel la pénètre et se résout en saumure. On la retire pour l’embariller.

Pour embariller ta viande, on la prend dans le tonneau, et on verse toute la saumure dans un baquet. Alors on forme une couche de sel portugais, de l’épaisseur d’un doigt, dans le fond du tonneau, et on la recouvre d’une couche de viande, en observant de la tasser le plus possible pour ne laisser aucun vide ; on fait un second lit de sel, sur lequel on dispose de la viande, et on procède par couches alternatives de sel et de viande jusqu’à ce que le tonneau soit rempli. Il faut avoir l’attention de mettre dans le fond des tonneaux les morceaux de qualité inférieure, dans le milieu ceux de qualité médiocre, les meilleurs doivent occuper le haut.

Lorsque la viande est placée dans cet ordre, on la presse avec un poids de cinquante livres et, quelque temps après, on ferme le tonneau.

On fait ensuite un trou à l’un des fonds du tonneau, et l’on souffle avec force, pour s’assurer que la futaille ne fuit point ; lorsqu’il ne s’en échappe point d’air, on bouche le trou ; dans le cas contraire, on ferme la fente par où l’air sort.

Lorsque le tonneau est bien conditionné, on ouvre la bonde, et on y fait couler de la saumure jusqu’à ce que le contenu en soit saturé et recouvert : moins la viande boit de saumure, mieux elle se conserve.

Après quinze jours de repos, on examine si le tonneau est bien rempli de saumure, et l’on y en fait couler jusqu’à ce qu’il refuse d’en recevoir. On souffle encore pour se convaincre que le tonneau ne perd point, alors l’opération est finie.

On sale les langues dans des tonneaux particuliers.

La manière de saler les porcs ne diffère de celle que je viens de décrire pour saler le bœuf, qu’en ce qu’on frotte moins le lard.

L’art de fumer le bœuf été porté, à Hambourg, à une telle perfection, que les autres nations n’ont pas pu l’atteindre, et le bœuf de Hambourg jouit par-tout de la première réputation.

On emploie à cette opération les bœufs les plus gras du Jutland et du Holstein ; on préfère ceux d’un âge moyen.

On sale la viande avec le sel anglais. Les sels les plus forts, tels que ceux du Portugal, privent la viande de sa saveur naturelle ; d’ailleurs la fumigation formant un second préservatif de la putréfaction, il n’est pas nécessaire de donner les mêmes soins à la salaison.

Pour conserver le plus possible à la viande une couleur rougeâtre, on la saupoudre d’une certaine quantité de salpêtre, et on la laisse huit jours dans cet état avant de la fumer.

On établit des foyers dans les caves, on y brûle des copeaux de chêne très-secs ; deux cheminées portent la fumée du combustible au quatrième étage, et la versent dans une chambre par deux ouvertures opposées ; la capacité de la chambre est calculée sur la quantité de viande qu’on veut fumer ; mais le plafond n’est élevé au-dessus du sol que de cinq pieds et demi. Au-dessus de cette chambre, en existe une autre, construite en planches, dans laquelle la fumée se rend par un trou formé au milieu du plafond de la première, et d’où elle s’échappe par des ouvertures qu’on a pratiquées sur les côtés.

On suspend les morceaux de viande dans la première chambre, à un demi-pied de distance l’un de l’autre ; on entretient le feu nuit et jour, pendant un mois et quelquefois pendant six semaines, selon la grosseur des morceaux.

On place les boudins dans la seconde chambre, et on y laisse les plus gros pendant huit à dix mois.

Dans ce procédé, on combine deux moyens de conservation : le premier, c’est la salaison ; le second, c’est l’acide pyroligneux qui est fourni par la combustion, et qui constitue la presque totalité de la fumée ; cet acide pénètre les viandes, et peut seul les préserver de la putréfaction, comme je l’ai éprouvé plusieurs fois ; mais lorsqu’on l’emploie seul, les viandes se racornissent et prennent une couleur noire et désagréable.

Les substances animales, immergées dans un acide faible ou dans de l’eau aiguisée par un acide fort, tel que le sulfurique, peuvent être garanties long-temps de la putréfaction ; mais ce procédé n’est point applicable à celles qu’on destine à la nourriture.

On peut encore remplacer le sel marin par d’autres sels ; mais outre qu’ils sont plus coûteux, ils présentent ou du danger pour la santé, ou une saveur plus ou moins désagréable, qui se communique à la viande, et dont on ne peut pas la priver entièrement.

Le beurre forme un aliment précieux et d’une grande ressource pour les habitans des campagnes mais dans les pays où l’étendue et l’abondance des pâturages permettent d’élever beaucoup de bêtes à cornes, il est impossible de consommer dans sa fraîcheur tout le beurre qu’on y prépare ; comme d’ailleurs la fabrication du beurre n’est pas égale dans toutes les saisons de l’année, il faut avoir le moyen de le conserver sans altération, et ce moyen consiste à le saler.

Le choix d’un sel propre à la salaison du beurre n’est pas plus indifférent que lorsqu’il s’agit de saler les viandes. On ne doit employer que celui qui, par une longue exposition à l’air, sur les bords des marais salans, a perdu tous les sels déliquescens qui y sont mêlés ; ce sel est alors plus sec et plus pur, il attire peu l’humidité, et n’a plus cette âcreté ni cette amertume qui caractérisent les sels fraîchement extraits des eaux salées par l’évaporation.

Mais quel que soit le sel qu’on emploie, il est prudent et utile de le blanchir, et de le purifier par le procédé qui est en usage dans nos cuisines ; on le dessèche au four et on le broie ensuite dans un mortier de pierre ou de bois.

Il ne s’agit plus que de pétrir le beurre avec le sel et de l’y répartir également ; on en remplit ensuite des pots de grès bien lavés et très-secs : si sept à huit jours après, on s’aperçoit que le beurre s’est tassé s’est formé du vide entre lui et les parois des vases, on prépare une forte saumure en saturant l’eau chaude par du sel épuré, et on la verse froide et peu-à-peu sur le beurre, jusqu’à ce qu’il en soit bien recouvert. Ces pots de beurre salé sont portés dans un lieu frais, pour en être extraits et livrés successivement au commerce et à la consommation locale.

On peut encore préserver pour long-temps le beurre de toute altération en le faisant fondre dans un pot, à une très-légère chaleur. Il se forme à la surface une couche de fromage qu’on écume avec soin, et lorsqu’il ne s’en forme plus, on le retire du feu pour le laisser figer.

Lorsqu’on veut conserver les sucs des fruits et en former des alimens aussi sains qu’agréables pour toutes les saisons, on emploie le sucre au lieu du sel ; il a le double avantage sur le sel de corriger l’acidité de quelques fruits et de s’incorporer beaucoup mieux avec eux. Le sucre ajoute à la qualité des sucs, tandis que les sels, qu’on ne pourrait pas en extraire, ne permettraient plus de les employer comme alimens.

Les préparations qu’on fait par ce moyen sont les gelées et les sirops : les premières sont plus concentrées et servent d’aliment ; les secondes peuvent être facilement délayées dans l’eau et sont généralement employées comme boissons.

Après avoir exprimé les sucs, on les clarifie, on les filtre et on y met la dose convenable de sucre, ce qui va, pour quelques-uns, jusqu’à poids égal ; ensuite on évapore à une chaleur douce jusqu’à la consistance requise : l’opération se termine par la clarification des sirops, ce qui les rend transparens et plus agréables à l’œil.



  1. Bibliothèque universelle, partie agriculture, t. II, page 128.
  2. Des fosses propres à la conservation des grains ; par M. le comte de Lasteyrie.
  3. Della perfetta conservazione del grano ; in-4o. pag. 12.
  4. Histoire de saint Louis. Paris, 1761, in-folio, pages 28 et 29.
  5. On peut encore employer les procédés de construction que propose M. le comte de Lasteyrie dans son ouvrage : Des fosses pour la conservation des grains.
  6. Annales de chimie et de physique, tome VI, page 87.
  7. Le livre de tous les ménages, ou l’Art de conserver plusieurs années toutes les substances animales et végétales, 1811, 2e. édition ; par M. Appert.
  8. On pourra trouver de plus longs développemens dans l’ouvrage de M. Martfelt, traduit du danois par M. Bruun-Neergaard.