Chimie appliquée à l’agriculture/Chapitre 05
À peine la plante a-t-elle commencé à développer ses premières feuilles, et à établir ses radicules dans la terre, qu’elle se nourrit de nouveaux alimens qu’elle prend dans l’atmosphère, et dans le sol sur lequel elle végète.
Les organes par lesquels cette nouvelle nourriture lui est transmise, sont principalement les feuilles et les racines. Les feuilles absorbent quelques-uns des gaz contenus dans l’atmosphère, et les racines prennent dans la terre, avec l’eau qui les charie, les sucs et les sels qui y sont répandus, en même temps que les gaz qui s’y développent, et ceux qui y sont introduits avec l’air ou tenus en dissolution dans l’eau.
Les plantes absorbent le gaz acide carbonique contenu dans l’air et dans l’eau elles le décomposent au soleil, et s’assimilent le carbone et une partie de l’oxigène.
Une petite dose de gaz acide carbonique, ajoutée à celle que contient l’atmosphère, favorise la végétation ; une trop forte dose lui est nuisible.
Ce gaz est indispensable à la végétation mais le besoin n’en est pas le même dans toutes les périodes de la croissance de la plante.
Une très-jeune plante dont les feuilles et les racines commencent à se développer, arrosée avec de l’eau imprégnée d’acide carbonique, souffre et languit. Lorsqu’elle a pris de la force et de l’accroissement, cette opération la fait végéter avec plus de force. Sennebier avait déjà observé que les jeunes feuilles décomposent, à volume égal et dans le même temps, moins de gaz acide carbonique que les feuilles adultes.
En général on peut hâter la végétation, en mêlant à l’air atmosphérique jusqu’à un douzième et même un dixième d’acide carbonique ; mais cette addition n’est favorable que lorsque les plantes sont exposées au soleil : un mélange quelconque de cet acide leur est nuisible lorsqu’elles végètent à l’ombre.
L’effet du terreau et de plusieurs autres matières qu’on emploie pour favoriser la végétation est dû en grande partie au gaz acide carbonique, qu’elles versent continuellement dans l’atmosphère, ou qu’elles transmettent directement à la plante.
Les feuilles ont principalement la propriété d’absorber l’acide carbonique et de le décomposer pour s’approprier le carbone. La décomposition est très-active lorsqu’elles sont exposées au soleil, et, dans ce cas, elles reversent dans l’atmosphère la majeure partie de l’oxigène mêlé d’un peu d’azote.
D’après les expériences de M. de Saussure, les plantes, en décomposant le gaz acide carbonique, s’assimilent une petite partie de son oxigène et versent l’autre dans l’atmosphère.
La décomposition de l’acide carbonique est d’autant plus active, que la lumière du soleil est plus vive, et les feuilles plus vertes et plus saines. Il paraît néanmoins que la décomposition, sans être très-intense, s’opère un peu à l’ombre, puisque Sennebier a observé que les feuilles étiolées qui s’y développent, s’y colorent sensiblement en vert ; ce qu’il attribue à la décomposition de l’acide carbonique.
Je décrirai ici une observation que j’ai faite, il y a bien long-temps, dans les mines de charbon du Bousquet (arrondissement de Béziers).
Les pièces de bois qui soutiennent le toit de la longue galerie qui conduit aux couches de charbon, étaient chargées de ces gros champignons qui se fixent ordinairement sur les troncs des arbres vieux : l’entrée de la galerie est très-éclairée ; mais la lumière diminue insensiblement à mesure qu’on pénètre dans l’intérieur, et il règne dans le fond une obscurité complète. Je fus frappé de la différence qui existait entre les champignons qui végétaient à différentes profondeurs dans la longueur de la galerie ; ceux de l’entrée étaient colorés en jaune ; leur tissu était si compacte, qu’on avait de la peine à le rompre à la main ; à mesure qu’on avançait, la couleur jaune rougeâtre s’affaiblissait, le tissu devenait plus mou et plus lâche ; et au fond de la galerie, où la lumière ne parvenait pas, les champignons, quoique aussi volumineux, étaient parfaitement blancs et presque sans consistance, à tel point qu’en les pressant avec la main, on n’en retirait qu’un liquide et peu de tissu fibreux. Je remplis des bouteilles de ces derniers, et je pris dans ma main deux ou trois de ceux qui végétaient au milieu et à l’entrée de la galerie. L’examen comparé de ces produits ne m’a présenté, pour ceux du fond, que de l’eau saturée d’acide carbonique, une petite quantité de mucilage et un peu de parenchyme fibreux nageant dans le liquide : la proportion de l’acide a été beaucoup moins forte, et celle du tissu ligneux bien plus considérable dans les champignons cueillis vers le milieu, et sur-tout dans ceux qui ont été pris à l’entrée. Les champignons du fond de la galerie ne contenaient donc que les matériaux de la nutrition non élaborés, tandis que, dans les autres, la nutrition et l’assimilation étaient plus ou moins parfaites, selon que la lumière et l’air atmosphérique avaient plus ou moins facilité le travail de la végétation. D’ailleurs, comme dans la partie obscure de la galerie, l’acide carbonique était plus abondant qu’à l’entrée, le tissu de ces végétaux a dû s’en imprégner plus fortement.
Les feuilles saines absorbent le gaz oxigène pendant la nuit ; mais les phénomènes qu’elles présentent, varient suivant la nature du végétal.
Les feuilles du chêne, du marronnier d’Inde, du faux acacia, etc., absorbent l’oxigène, et il se forme un volume d’acide carbonique moindre que celui du gaz oxigène consumé.
Les feuilles des plantes grasses diminuent le volume de l’atmosphère dans laquelle elles sont plongées, en absorbant de l’oxigène, sans qu’il se forme sensiblement de gaz acide carbonique.
La plante absorbe d’autant plus d’oxigène qu’elle est plus vigoureuse.
L’absorption se règle encore sur la température : elle est plus grande à vingt-cinq degrés de Réaumur qu’à dix et à quinze.
Lorsqu’on prolonge pendant plusieurs nuits le séjour des plantes dans des récipiens remplis d’air atmosphérique, les feuilles continuent, mais plus lentement, à absorber de l’oxigène ; elles en sont saturées, dès qu’elles en contiennent une fois et un quart leur volume.
Lorsque les feuilles sont saturées de gaz oxigène, elles forment de l’acide carbonique, en combinant leur carbone avec le gaz oxigène de l’atmosphère, sans toutefois changer son volume, et elles n’emploient jamais pour former cet acide, que la moitié de l’oxigène qu’elles peuvent absorber.
L’oxigène absorbé par les feuilles s’y trouve dans un état de combinaison : le vide qu’on fait sur elles et la chaleur qu’on leur applique ne peuvent en dégager que le sixième du volume du gaz absorbé ; ce gaz, ainsi extrait, n’est point de l’oxigène pur, mais un mélange de gaz azote, d’acide carbonique et d’oxigène.
Il est très-probable que le gaz oxigène, absorbé par les plantes dans l’obscurité, se combine avec leur carbone pour former de l’acide carbonique, qui reste en dissolution dans leurs sucs, jusqu’à ce que le soleil en opère la décomposition, et verse l’oxigène dans l’atmosphère par la transpiration des feuilles, tandis que le carbone entre dans la composition de la plante.
Les plantes ne peuvent se développer que dans une atmosphère qui contient de l’oxigène ; néanmoins elles prospèrent moins à l’ombre dans le gaz oxigène pur, que lorsqu’il est mêlé avec d’autres gaz, tels que l’acide carbonique et l’azote.
Les feuilles des différens végétaux ne consomment pas, à l’obscurité, la même quantité de gaz oxigène. Celles des plantes grasses absorbent peu d’oxigène, elles le retiennent plus obstinément et dégagent moins d’acide carbonique. Comme elles conservent mieux le carbone et pompent peu d’oxigène, ces plantes peuvent vivre dans des sols peu fertiles, croître sur des hauteurs où l’air est très-raréfié, et végéter sur le sable aride.
Les feuilles des arbres qui se dépouillent pendant l’hiver sont, en général, celles qui absorbent le plus d’oxigène et contiennent le plus de carbone. Non-seulement ces plantes préparent tous les sucs qui sont employés à la végétation et à la formation des fruits ; mais après qu’elles ont rempli ces fonctions, elles continuent à extraire de l’air et de la terre les principes de leur nourriture ; elles les élaborent et les déposent dans le tissu de l’aubier, pour servir de premier aliment à la plante au retour de la belle saison, jusqu’à ce que le développement des feuilles et l’excitation des racines par la chaleur puissent pourvoir à sa nutrition par l’absorption de corps étrangers : c’est ce qui résulte des expériences de M. Knight.
Ce phénomène de la végétation a la plus grande analogie avec ce qui se passe dans la plupart des insectes, dans quelques oiseaux et dans plusieurs quadrupèdes, qui s’engourdissent pendant l’hiver, et se nourrissent de la graisse qui s’est déposée dans leur tissu cellulaire pendant l’automne.
Les plantes marécageuses, qui sont presque constamment enveloppées dans une atmosphère de vapeurs, consument moins de gaz oxigène que la plupart des autres plantes à tige herbacée.
En général, les plantes absorbent d’autant plus d’oxigène, qu’elles végètent dans un sol plus fertile et dans un air qui en contient davantage sous le même volume. Ces résultats sont déduits des nombreuses expériences de M. de Saussure.
Les racines saines, séparées de leurs tiges et mises sous une cloche de verre, diminuent le volume de l’air atmosphérique, et forment de l’acide carbonique avec le gaz oxigène ambiant : dans ce cas, elles n’absorbent jamais un volume de gaz oxigène plus grand que le leur. La racine, ainsi saturée et transportée dans un autre récipient rempli d’air commun, forme de l’acide carbonique sans changer le volume de l’air ; mais si on l’expose alors pour peu de temps à l’air libre, elle absorbe une quantité de gaz oxigène presque égale à son volume, comme lorsqu’on l’a enfermée pour la première fois ; ce qui prouve que l’air atmosphérique libre peut lui enlever l’acide carbonique qu’elle avait formé.
Les racines se comportent donc, eu égard au gaz oxigène, comme les feuilles, mais elles en absorbent moins ; la seule différence c’est que les racines ne décomposent pas le gaz acide carbonique : cette fonction paraît réservée aux feuilles où l’acide est transporté pour être décomposé par les rayons solaires.
Les résultats sont différens lorsque la racine n’est pas séparée de sa tige : alors les racines absorbent plusieurs fois leur volume de gaz oxigène ; la raison en est simple : ici, l’acide carbonique qui se forme, se dissout immédiatement dans les sucs du végétal ; il passe dans la tige et de là dans les feuilles, qui sont le principal organe où s’opère sa décomposition, de sorte que la racine s’en dégarnit à mesure qu’il s’y forme, et elle en produit à chaque instant sans jamais en être surchargée.
Non-seulement les racines absorbent le gaz oxigène de l’air atmosphérique qui pénètre jusqu’à elles, mais elles dégagent celui qui existe constamment dans l’eau qui les humecte.
Ceci me conduit à l’explication d’un fait que j’ai observé plusieurs fois. Lorsque les racines de la plupart des arbres plongent et croupissent dans de l’eau stagnante, renfermée dans le sol sans contact avec l’air atmosphérique, le végétal ne tarde pas à languir, ses feuilles jaunissent et il meurt. Il paraît que, dans ce cas, le gaz oxigène contenu dans l’eau s’épuise, et que n’étant pas renouvelé, la racine n’a plus le moyen d’en absorber : alors elle se pourrit ; tandis que, lorsque la racine est continuellement abreuvée par de l’eau courante, elle peut extraire sans interruption l’oxigène qu’elle contient, et former de l’acide carbonique, principe de nutrition du végétal.
Le bois, l’aubier, les pétales, et en général les parties qui ne sont pas vertes, n’aspirent point et n’expirent pas alternativement, pendant le jour et la nuit, le gaz oxigène qui les entoure ; mais elles en absorbent une petite quantité, qui se combine avec le carbone, et reste en dissolution dans les sucs de la plante, jusqu’à ce qu’il soit transporté dans les feuilles, où s’en fait la décomposition par l’action du soleil. Il paraît, d’après cela, que le carbone, qui forme un des principes les plus abondans des sucs et autres engrais qui sont transmis à la plante pour lui servir de nourriture, ne peut s’assimiler au végétal que lorsqu’il s’est combiné avec l’oxigène pour former de l’acide carbonique. En cet état, il est versé dans l’atmosphère, d’où il est pompé peu-à-peu par les feuilles et décomposé par elles. Ce qui paraît confirmer cette opinion, c’est que si on s’empare, par la chaux ou les alcalis caustiques, de l’acide carbonique, à mesure que les feuilles le transpirent, la plante périt.
M. Bérard a placé successivement des fruits verts de toute espèce dans des flacons bien bouchés, ou sous des cloches de verre, renversées sur le mercure, et bien exposées à la lumière. Après vingt-quatre heures de séjour de ces fruits dans ces vases, l’analyse de l’air, dont le volume était sept à huit fois plus considérable que celui du fruit, lui a constamment présenté les résultats suivans :
Acide carbonique 4 |
Oxigène 16,80 |
Azote 79,20 |
______ |
100 |
______ |
Dans tous les cas, une portion de l’oxigène a disparu, et il a été remplacé par un volume à-peu-près égal d’acide carbonique. Souvent la quantité d’acide carbonique s’est trouvée un peu plus faible que celle de l’oxigène absorbé.
En diminuant le volume de l’air dans lequel on expose les fruits, l’oxigène peut être absorbé presqu’en entier. Les expériences faites dans des vases dont le fruit occupait le tiers de la capacité, ont présenté le résultat suivant :
Acide carbonique 18,52 |
Oxigène 1,96 |
Azote 79,52 |
______ |
100 |
______ |
Il paraîtrait prouvé d’après ces expériences, que les fruits exposés à l’action de l’air dans un lieu bien éclairé et sous l’influence successive du jour et de la nuit, absorbent l’oxigène, qui se combine avec le carbone du végétal, et qu’il se forme un volume d’acide carbonique à-peu-près égal à celui de l’oxigène absorbé.
Le même phénomène a lieu lorsqu’on expose l’appareil aux rayons du soleil, avec cette seule différence, que la décomposition de l’air est plus prompte et plus complète au soleil qu’à la lumière du jour et à l’obscurité de la nuit.
Des amandes exposées au soleil depuis neuf heures du matin jusqu’à quatre du soir, ont altéré l’air de la cloche comme il suit :
Acide carbonique 15,74 |
Oxigène 5,65 |
Azote 78,61 |
______ |
100 |
______ |
Dans ce dernier cas, il paraît qu’outre l’acide carbonique qui se forme par l’oxigène de l’air et le carbone du fruit, celui-ci en fournit une petite quantité : d’où M. Bérard a conclu que les fruits se comportaient à l’air bien différemment des feuilles ; au lieu de changer, comme les feuilles, l’acide carbonique de l’air en carbone et en oxigène, lorsqu’ils sont frappés des rayons du soleil, ils combinent, dans ce cas, l’oxigène avec leur carbone, pour former de l’acide carbonique : de sorte qu’au soleil comme à l’ombre, ils absorbent l’oxigène et transpirent de l’acide carbonique.
M. Bérard a obtenu les mêmes résultats lorsqu’il a opéré sur des fruits qui tenaient encore à l’arbre et qui étaient en pleine végétation.
La maturation des fruits ne paraît à M. Bérard pouvoir s’opérer que par la soustraction de leur carbone, à l’aide de l’oxigène de l’air qui les entoure. Lorsqu’on s’oppose à cette soustraction par un moyen quelconque, le fruit se dessèche et meurt.
Lorsqu’on fait le vide dans les récipiens qui contiennent des fruits, ou qu’on entoure ces fruits d’une atmosphère de gaz hydrogène, de gaz azote ou de gaz acide carbonique, ils laissent d’abord dégager une petite quantité d’acide carbonique ; mais ce dégagement diminue sensiblement et s’arrête vers le troisième ou le quatrième jour.
Dans tous les cas, les fruits verts se conservent long-temps sans altération ; leur maturation n’avance plus, elle reste stationnaire ; mais elle reprend son cours si, au bout de quelques jours, on met le fruit en position de pouvoir absorber de l’oxigène et de transpirer l’acide carbonique.
Lorsque les fruits sont mûrs, ils continuent à absorber de l’oxigène, pour former de l’acide carbonique avec une portion de leur carbone ; ils fournissent alors eux-mêmes une grande quantité de cet acide, qui provient de la combinaison de leurs propres élémens.
Il résulte de l’analyse que M. Bérard a faite de plusieurs fruits, à divers degrés de leur maturité, qu’on y retrouve, à toutes ces époques, les mêmes principes, mais dans des proportions différentes. Nous ne citerons que les résultats d’une de ces analyses comparées.
abricots bien verts. |
abricots plus avancés. |
abricots mûrs | |
Matière animale |
0,76 | 0,34 | 0,17 |
Matière colorante verte |
0,04 | 0,03 | 0,10 |
Ligneux |
3,61 | 2,53 | 1,86 |
Gomme |
4,10 | 4,47 | 5,12 |
Sucre |
des traces. | 8,64 | 16,48 |
Acide malique |
2,10 | 2,30 | 1,80 |
Chaux |
peu. | peu. | peu. |
Eau |
89,39 | 84,49 | 74,87 |
Les cerises, groseilles, prunes, pêches, etc., analysées avant leur maturité et au moment de leur maturité, ont présenté les mêmes résultats, avec quelque légère différence dans les proportions des produits.
Par les progrès de la maturation, la matière animale, le ligneux, l’acide malique et l’eau, diminuent, tandis que le sucre augmente considérablement. Ce dernier produit, extrait du raisin, de la figue et de la pêche à l’état de maturité, se cristallise en partie, tandis que celui des pommes, des poires, des groseilles, des cerises, des abricots et des prunes, reste liquide et incristallisable.
Quand on place dans une atmosphère dépourvue d’oxigène des fruits verts, susceptibles d’achever eux-mêmes leur maturation, ils ne mûrissent pas ; mais cette faculté n’est que suspendue, et on peut la rétablir en mettant le fruit dans une atmosphère qui contienne de l’oxigène. La maturation n’a plus lieu, si le séjour du fruit dans l’air non oxigéné a été trop long.
Après la maturation, le fruit subit un autre genre d’altération qui le fait changer de nature ; il devient blet ou il se pourrit ; il se dégage alors une grande quantité d’acide carbonique. Dans ce dernier cas, le carbone est principalement fourni par le ligneux, qui brunit, et par le sucre, dont la proportion diminue et finit par disparaître, tandis que l’oxigène ne peut être raisonnablement attribué qu’à la décomposition de l’eau. Nous sommes d’autant plus portés à appuyer cette assertion, qu’on peut observer chaque jour que lorsque les fruits blessissent ou qu’ils se pourrissent en tas, on distingue aisément, dans l’atmosphère qui les entoure, une odeur particulière qui se rapproche de quelques combinaisons gazeuses, sur-tout de celles de l’hydrogène avec le carbone.
M. de Saussure, qui a répété les mêmes expériences sur les fruits, en a déduit des conséquences qui diffèrent de celles de M. Bérard ; il croit pouvoir rapporter cette différence à ce que ce dernier ayant renfermé les fruits dans des bocaux qui ne contenaient que six à huit fois leur volume, le contact presque immédiat des parois du récipient, échauffées par le soleil, a pu altérer les fruits et produire un commencement de décomposition.
Il résulte des expériences de M. de Saussure que les fruits verts se comportent comme les feuilles, mais que l’action des feuilles est plus intense.
Comme les feuilles, les fruits absorbent l’oxigène pendant la nuit, et le remplacent par de l’acide carbonique, dont ils absorbent une partie.
Les fruits transpirent de l’oxigène au soleil ; ils consument plus d’oxigène à l’obscurité, lorsqu’ils sont éloignés de la maturité, que lorsqu’ils en sont rapprochés.
M. de Saussure a opéré constamment sur des volumes d’air qui excèdent trente à quarante fois le volume du fruit, et en affaiblissant beaucoup l’action échauffante du soleil.
Les conséquences des expériences de M. Bérard sont toutes applicables à la maturation des fruits dont il avait à s’occuper, celles de M. de Saussure ont sur-tout pour objet leur croissance et leur végétation. Le premier les a considérés dans les changemens qui s’opèrent en eux lorsqu’ils sont détachés de l’arbre ; et s’il soumet quelquefois des fruits verts à ses expériences, ils se comportent sous ses récipiens étroits comme des corps morts : le second a analysé leurs phénomènes de végétation, il est donc peu étonnant qu’ils aient obtenu des résultats différens.
L’eau agit dans la végétation non-seulement par les principes nutritifs qu’elle fournit au végétal qui la décompose, mais par des moyens purement physiques que nous allons d’abord faire connaître.
1°. Le premier effet de l’eau sur une terre qui est employée à la végétation, consiste à humecter le terrain, à le diviser, et conséquemment à le disposer favorablement à l’extension des racines, à l’introduction de l’air, au développement des germes.
2°. Le second effet de l’eau consiste à porter à la graine le premier aliment dont elle a besoin, l’oxigène, que ce liquide tient constamment en dissolution dans une proportion plus ou moins forte, et qui, comme nous l’avons observé, est l’agent principal de la germination.
3°. Le troisième effet est de diviser le fumier, d’en dissoudre quelques principes pour les transmettre immédiatement à la plante, de manière qu’elle puisse s’en nourrir et les élaborer.
Mais toutes les eaux ne sont pas également propres à ces usages : l’eau de pluie qui est la plus pure de toutes et la plus aérée, en est aussi la meilleure, aucune autre ne peut la suppléer.
En général, les eaux qui proviennent des montagnes de granit ou de calcaire primitif, sont très-propres à la végétation ; mais il faut qu’elles coulent sur des terrains qui ne puissent pas les charger de sels métalliques ou terreux, et que l’espace qu’elles ont parcouru, avant de servir à l’arrosage, leur ait permis de s’imprégner suffisamment d’air atmosphérique.
Les eaux peuvent n’être pas pures et néanmoins servir utilement à l’arrosage, c’est sur-tout lorsqu’elles charient ou qu’elles tiennent en dissolution certains sels favorables à la plante, et des substances animales ou végétales. Elles agissent dans ce cas par une double vertu et produisent un double effet.
Nous pouvons diviser ces eaux en trois classes : la première comprend celles qui sont chargées des matières animales ; la seconde, celles qui tiennent en dissolution quelques principes des végétaux ; et la troisième renferme les eaux pures ou qui ne contiennent des sels qu’en petite quantité.
Les eaux de la première classe sont les plus actives ; et, parmi celles-ci, les eaux qui sont chargées du suint des laines, ou des combinaisons ammoniacales qui se forment par la fermentation des os broyés, des raclures de cornes ou des débris des laines, occupent le premier rang : ces substances, employées à l’état sec comme engrais, produisent lentement leur effet ; elles exercent une action bien plus énergique lorsqu’elles sont décomposées par la putréfaction, et que l’eau se saisit de tous les produits, à mesure qu’ils se développent, pour les transmettre à la plante.
Les substances liquides, molles ou charnues des animaux, ne produisent pas un effet aussi durable ; leur décomposition est trop rapide pour que leur action se prolonge bien longtemps.
Les eaux de la seconde classe, celles qui sont chargées de quelques produits naturels des végétaux ou de ceux qui proviennent de leur décomposition, forment de très-bons engrais : lorsque la plante est épuisée par l’eau de tous les principes qu’elle peut dissoudre, la décomposition successive du tissu insoluble fournit de nouveaux produits solubles, qui servent à la nutrition ; l’eau s’en empare à mesure qu’ils se forment et les transmet au végétal. C’est ainsi que la plante morte sert d’aliment à la plante vivante, et que tous les élémens qui la composent se retrouvent différemment combinés dans les nouveaux produits.
Lorsque les produits naturels du végétal, et ceux qui sont le résultat de sa décomposition, sont délayés ou dissous dans de l’urine ou autres liqueurs animales chargées de sels, leur action sur la végétation est plus puissante, parce que ces sels excitent les organes digestifs et qu’ils dissolvent des sucs, qui, par eux-mêmes, ne pourraient pas pénétrer dans les organes : ceci explique pourquoi les gâteaux de navette, de colza et de noix, délayés dans l’urine, produisent un des meilleurs engrais connus.
L’eau qui constitue la troisième classe est celle qui tient des sels en dissolution : on peut considérer ces sels comme exerçant plusieurs fonctions dans l’acte de la végétation ; il en est qui ne font que stimuler la vitalité de la plante et rendre ses fonctions plus actives ; ils font sur elles l’effet des épiceries sur le corps humain, tels sont le sel marin, le salpêtre, etc. ; ces sels, mêlés au fumier ou répandus sur le sol, produisent constamment un bon effet.
Pour que les sels soient utiles à la végétation, il ne faut pas qu’ils soient en trop grande quantité, car alors ils dessèchent la plante ; les terres qui ont été long-temps submergées par les eaux de la mer se refusent à toute culture productive, jusqu’à ce que le sel dont elles ont été imprégnées ait disparu par les lavages d’eau douce.
Il est des sels qui, chariés par l’eau dans les plantes, outre la vertu stimulante qu’ils y exercent, s’y décomposent, et concourent, par l’assimilation de leurs principes, à nourrir le végétal : la plupart des sels dont les principes constituans appartiennent au règne animal ou végétal sont de ce genre.
Nous avons considéré l’eau sous le rapport d’un agent mécanique et sous celui de véhicule des engrais, il nous reste à faire connaître son action directe sur la plante.
Il est prouvé, par les expériences de M. de Saussure, que les plantes s’approprient l’hydrogène et l’oxigène de l’eau qu’elles décomposent ; mais cette assimilation est peu de chose lorsqu’elles ne peuvent pas en même temps absorber de l’acide carbonique : c’est ce qui est prouvé par le peu de poids qu’acquiert le végétal, lorsque son atmosphère ne contient que de l’oxigène.
Les végétaux morts qui fermentent sans avoir un libre contact avec le gaz oxigène, forment du gaz acide carbonique, qui ne provient que de la combinaison du carbone avec l’oxigène que contiennent les produits de la végétation.
La décomposition de l’eau parait fournir en grande partie l’hydrogène qui existe dans les plantes ; après le carbone, ce principe en paraît le plus abondant ; on peut l’en retirer par la distillation ; mais, dans les décompositions spontanées des végétaux morts, il se combine ou avec l’oxigène, pour reconstituer de l’eau, ou avec le carbone, pour s’exhaler à l’état d’hydrogène carburé.
Il paraît démontré que les plantes ne prennent dans l’eau et les gaz atmosphériques que du carbone, de l’oxigène et de l’hydrogène ; cependant l’analyse nous a prouvé qu’indépendamment de ces principes et des produits qui résultent de leurs combinaisons, la plante contient de l’azote et des substances terreuses et salines qui ne peuvent pas provenir des trois élémens dont nous venons de parler : il nous reste donc encore à rechercher de quelle manière ces substances peuvent s’introduire dans le végétal.
L’azote qui se trouve dans l’albumine, la gélatine, et dans la partie colorante verte, n’est pas sensiblement soutiré de l’atmosphère, quoiqu’il en forme les quatre cinquièmes ; mais il est entraîné avec l’oxigène dans l’eau qui est chariée dans la plante, et peut, comme ce dernier gaz, se trouver dans le végétal.
Les terres insolubles dans l’eau et délayées ou suspendues dans ce liquide, ne sont point absorbées en grande quantité par les pores des plantes ; mais des agens chimiques quelconques, tels que les alcalis, les acides, etc., peuvent les y transporter. D’ailleurs si l’on fait attention que ces principes sont peu abondans dans le végétal, on concevra aisément que, pour peu qu’il y ait d’affinité entre ces terres et la plante, une division extrême peut en faciliter l’introduction, sur-tout lorsque l’eau sert de véhicule.
Il est des végétaux qui, fixés sur des rocs stériles, se développent en prenant dans l’atmosphère et dans l’eau des pluies le peu d’alimens qui leur sont nécessaires : les mousses, les fougères, les plantes grasses, sont de ce nombre ; leur accroissement est lent, leur transpiration presque nulle, leur couleur reste la même presque toute l’année, de sorte qu’elles absorbent sans interruption l’acide carbonique et l’eau pour s’en assimiler les élémens. La quantité de principes salins et terreux qu’elles contiennent provient sur-tout de ceux qui sont entraînés par les vents, déposés sur les feuilles, et dissous par les eaux qui les portent dans le végétal.
Les végétaux épuisent plus ou moins le sol sur lequel ils vivent : les plantes annuelles l’épuisent beaucoup plus que les plantes vivaces ; les premières ne trouvent pas dans l’air et l’eau une nourriture assez abondante, et lorsqu’on les élève en leur donnant pour support du sable pur et bien lavé et en les arrosant avec de l’eau distillée, on parvient à les faire fleurir, mais leurs graines n’arrivent jamais à une parfaite maturité, c’est ce qui résulte des expériences de MM. Giobert, Hassenfratz, de Saussure, etc.
En général, les plantes annuelles dont la transpiration est abondante sont celles qui épuisent le plus le sol : les pois, les fèves, le blé noir, quoique leurs tiges et leurs feuilles soient succulentes épuisent moins, parce qu’elles transpirent peu[1].
Lorsqu’on coupe les plantes à l’époque de la floraison, le sol sur lequel elles croissent n’est pas épuisé, parce que les racines succulentes lui conservent beaucoup d’engrais ; mais lorsqu’elles ont formé leurs fruits, la racine sèche ne restitue presque plus rien à la terre.
Pendant la fructification, la plante ne se borne pas à puiser dans le sol les principes nutritifs qui y sont contenus ; elle emploie encore à la formation de la graine les sucs nourriciers qui ont été déposés dans les tiges et les racines ; c’est ce qui fait qu’elles se dessèchent, qu’elles maigrissent et qu’elles ne présentent plus qu’un tissu ligneux. C’est faute de connaître ce principe qu’on fauche presque toujours trop tard les prairies soit naturelles, soit artificielles ; l’époque la plus favorable pour cette opération est celle de la floraison : si on attend que la graine soit formée, on s’expose à deux grands inconvéniens : le premier, c’est d’obtenir un fourrage qui est trop sec et dépourvu en grande partie de ses sucs nutritifs ; le second, c’est que le végétal, qui a rempli le grand œuvre de sa reproduction, seul but que la nature lui a marqué, ne peu tplus végéter avec vigueur dans l’année.
On peut développer et appuyer ce dernier principe par des exemples : les prairies qu’on fauche avant la fructification donnent des regains abondans, qu’on peut récolter plusieurs fois dans le courant d’une année ; les plantes fourragères vivaces peuvent être maintenues dans cet état de production pendant plusieurs années en employant les mêmes soins ; mais si on ne les fauche qu’après la formation de la graine, la plante est épuisée et la reproduction est beaucoup moindre.
Tous les agriculteurs savent que lorsqu’on défriche une prairie artificielle qui a été constamment fauchée à l’époque de la floraison, le sol peut nourrir plusieurs récoltes sans fumier ; mais que, si on a laissé grener, il faut fournir à la terre de nouveaux engrais, pour qu’elle produise.
Quelques plantes qu’on coupe à l’époque de la floraison, et qui n’épuisent pas le terrain au même degré que celles qui portent leurs graines, ont fait croire à des agriculteurs que les végétaux se nourrissaient des principes constituans de l’air et de l’eau jusqu’au moment de la fructification, et qu’alors ils prenaient presque toute leur nourriture dans le sein de la terre.
Cette opinion paraît fondée sur ce qui se passe dans la culture des prairies artificielles, qui, constamment fauchées à l’époque de la floraison pendant plusieurs années de suite, appauvrissent si peu le terrain, qu’on peut le faire produire après avoir défriché la prairie, sans employer de nouveaux engrais.
Mais ce principe n’est pas applicable à toutes les plantes : la laitue, le navet, le tabac, le pastel, l’endive, le choux, l’oignon, le petit radis, épuisent beaucoup le sol, quoiqu’on les emploie à leurs usages avant la fructification. La pomme de terre est une des plantes les plus épuisantes, et cependant elle produit peu de graines. Les plantes qu’on élève en pépinière pour les transplanter ensuite, épuisent plus ce sol natal que celui sur lequel elles terminent leur végétation.
Ainsi, dans tout le temps de leur végétation, les plantes prennent leur nourriture dans l’air et dans les sucs de la terre ; mais si on fauche une plante au moment de sa floraison, on laisse une racine et une partie de la tige bien charnues, qui restituent au sol presque tout ce qu’il a perdu, tandis qu’en arrachant la plante, le sol reste épuisé.
Il est connu des agriculteurs qu’en enfouissant à la charrue, avant la floraison, une récolte de fourrages ou d’une plante annuelle quelconque, on dispose la terre à produire sans le secours d’aucun autre engrais : dans ce cas, on donne au sol plus qu’il n’a fourni à la plante ; car, outre les sucs qu’elle a extraits de la terre, elle contient tous les principes qui résultent de la décomposition de l’air et de l’eau.
Pour bien apprécier ce point de doctrine, qui me paraît important pour l’agriculture, il suffit de considérer les changemens qui s’opèrent successivement dans la végétation d’une plante annuelle : d’abord il se produit des feuilles vertes qui se mettent en rapport avec l’air pour y puiser les principes dont j’ai déjà parlé ; les tiges se développent et se chargent de nombreuses feuilles pour soutirer de l’atmosphère une quantité de nourriture proportionnée aux besoins du végétal ; les feuilles et sur-tout les tiges sont d’autant plus fortes, plus charnues et plus vertes, que le sol est plus riche en sucs nutritifs.
Cet état se maintient jusqu’après la floraison : alors, il se produit un changement notable dans la plante ; les racines se flétrissent peu-à-peu, les tiges ne tardent pas à se dessécher, elles changent de couleur, et lorsque la fructification est accomplie, les tiges et les racines ne forment plus qu’un squelette, dont la décomposition ne peut plus que très-imparfaitement engraisser la terre et nourrir les animaux.
Pendant cette époque de la végétation, que sont devenus les sucs qui étaient si abondans dans les racines et les tiges ? Ils ont été employés à former les graines.
Dans le temps que s’opère la fructification, on ne peut pas nier que la plante ne continue à extraire du sol et de l’atmosphère quelques principes qu’elle s’assimile, et qui peuvent concourir à la formation des fruits ; mais cette formation est due presqu’en entier aux sucs qu’elle avait déposés dans ses organes.
Ces principes s’appliquent également à la fructification des végétaux vivaces : on observe même que lorsque les fruits sont trop abondans sur un arbre, il s’épuise, se dessèche, et ne produit que des fruits petits et rabougris. La différence qu’il y a entre les végétaux annuels et ceux-ci, c’est que les premiers meurent dès que la fructification est opérée, tandis que les autres conservent leurs feuilles vertes et leurs racines fraîches, pour pomper de nouveaux principes nutritifs, qu’ils déposent dans leur tissu, à l’effet de fournir des alimens à la végétation dès que le retour de la chaleur vient la développer au printemps.
M. Mathieu de Dombasle, l’un de nos agriculteurs les plus éclairés, a fait des expériences qui confirment les principes que je viens d’exposer. Le 26 juin 1820, à l’époque de la floraison, il a choisi dans un petit espace quarante pieds de froment, égaux entre eux, et portant chacun trois tiges en épis ; il en a arraché vingt avec toutes leurs racines, et a laissé les autres jusqu’après la fructification ; il a nettoyé avec soin les racines de ceux qu’il avait arrachés, et a coupé la tige à deux pouces au-dessus du collet ; il a fait sécher séparément les racines et les tiges surmontées de leurs épis.
Les racines et les parties de la tige qui y étaient adhérentes ont pesé 42,6 grammes. |
Les tiges, les épis, les feuilles 126,2 |
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Total 168,8 grammes |
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Le 28 août, au moment de la moisson, il a arraché les vingt pieds qui avaient grené, a séparé les racines et coupé la tige comme pour les premières, et il a obtenu les poids suivans :
Racines 27,2 grammes. |
Pailles, épis et bâles 85,7 |
Grain 66,5 |
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Total 179,4 grammes. |
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Pendant cette période de deux mois, les racines et la partie de la tige adhérente avaient perdu 15,4 gr. |
Les tiges, épis et feuilles avaient perdu 40,5 |
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Total de la perte 55,9 gr. |
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Mais comme le grain a pesé 66,5 grammes, il y a eu augmentation en poids, dans la masse totale, de 11,6 grammes.
On peut conclure de cette expérience que les sucs contenus dans les tiges et les racines, au moment de la floraison ont concouru et fourni à la formation de la graine dans la proportion de 55,9 sur 66,5, et que l’excédant du poids de la graine, qui est de 11,6, provient de ce que la plante a absorbé dans l’air ou puisé dans la terre pendant les deux mois de fructification.
Si le blé avait été fauché à l’époque de la floraison, on eût laissé comme engrais dans la terre le quart du poids total de la plante ; lorsqu’on l’a fauché après la maturité, il n’est resté que le septième ; mais ce dernier engrais n’est pas comparable au premier ; il ne contient presque que du carbone, tandis que le premier est riche en sucs et d’une décomposition plus facile.
Ainsi, les plantes qui grènent épuisent beaucoup plus le sol, parce qu’elles ne lui rendent presque rien par l’abandon de leurs racines sèches, tandis que celles qu’on coupe en herbe lui restituent, par les racines et une portion de la tige, tout ce que ces dernières ont pris de suc dans la terre, et une partie de ce qui provient de l’atmosphère.
Les principes nutritifs contenus dans le sol ne passent dans la plante qu’à l’aide de l’eau, qui les charie dans un état de dissolution ou d’une division extrême. Le végétal sain absorbe de préférence les sels qui lui conviennent le mieux ; lorsque l’eau est chargée de sels qui lui conviennent moins, elle pompe l’eau et refuse d’absorber, dans la même proportion, les sels qu’elle tient en dissolution, de sorte que le liquide s’épaissit.
Il est des sels qui entrent naturellement dans la composition de quelques végétaux : la pariétaire et l’ortie sont chargées de nitrate de potasse ; les plantes qui se plaisent sur le bord de la mer contiennent du sel marin ou du sulfate de soude ; ces mêmes végétaux, transplantés dans une terre douce, ne donnent plus vestige de ces sels et prospèrent moins bien. M. le marquis de Bullion a prouvé que des plantes de tournesol, élevées dans un terrain qui ne contenait pas de nitre, n’en présentaient aucun vestige à l’analyse, mais qu’après qu’il les avait arrosées, sur le même sol, avec une dissolution de nitrate de potasse, elles en ont été chargées.
En général, les sels trop abondans et très-solubles nuisent à la végétation et font périr les plantes, sur-tout s’ils n’entrent pas naturellement dans leur composition comme principes constituans. Ceux qui leur sont étrangers ne peuvent leur être utiles qu’à très-petites doses, pour exciter leur vitalité et stimuler leurs organes : c’est par cette raison que le sulfate de chaux est si précieux ; l’eau ne peut se charger à-la-fois que de quelques atomes de ce sel, par rapport à son peu de solubilité : de sorte qu’il passe peu-à-peu dans la plante, et son effet se prolonge et se fait sentir pendant trois ou quatre ans, jusqu’à ce que le sol en soit épuisé, comme je l’ai déjà fait observer.
On peut apprécier la quantité et la qualité des sels que contiennent les végétaux, par l’analyse des cendres qui proviennent de leur incinération à l’état sec ; mais il n’est pas inutile d’émettre quelques principes qui peuvent jeter du jour sur cette matière.
Kirwan et Ruckers ont prouvé que les plantes herbacées fournissent, à poids égal, plus de cendres que les plantes ligneuses et M. Pertuis a trouvé que les troncs des arbres donnaient moins de cendres que les branches, et celles-ci moins que les feuilles. Les arbres verts donnent moins de cendres que ceux qui se dépouillent de leurs feuilles en automne. D’un autre côté, Hales et Bonnet avaient observé que les plantes herbacées transpirent plus d’eau que les plantes ligneuses, et que la transpiration des arbres verts est moindre que celle de ceux qui perdent leurs feuilles : cette différence explique pourquoi les cendres sont plus abondantes dans quelques végétaux : l’eau qui s’évapore par la transpiration, dépose dans le tissu du végétal les sels qu’elle y avait entraînés, et elle y est remplacée par une nouvelle quantité de nouvelle eau qui, à son tour, s’évapore en abandonnant ses sels, de sorte que la plante et la portion du même végétal qui transpirent le plus doivent aussi contenir le plus de sels.
Les sels et les terres qu’on trouve dans les végétaux, sont de la même nature que ceux que contient le terrain où ils croissent ; mais l’analyse ne les présente pas dans la même proportion qu’ils existent dans la terre, parce que la plante en absorbe plus ou moins et comme par choix, selon sa nature et leur solubilité.
On ne peut pas dire cependant que tous les sels qu’on trouve dans la plante existent préalablement dans le sol : quelques sels neutres se forment évidemment dans le végétal : ce sont ceux dont la composition de l’acide nous est connue, et sur-tout ceux qui contiennent dans leur composition un principe végétal. Les acétates, les malates, les citrates sont de ce genre.
Ces sels n’existent plus après l’incinération de la plante, parce que leur acide s’est décomposé par l’action du feu, et on n’en retrouve dans ce cas que la base, qui est presque toujours de la potasse ou de la chaux ; mais on peut s’assurer de leur existence, en analysant le végétal par la voie humide.
On peut même, pour quelques-uns de ces sels, suivre la formation de leur acide, en observant les progrès de la végétation et les changemens qui s’opèrent dans les produits. Nous n’en donnerons qu’un exemple : les betteraves arrachées en automne et à la même époque, dans le nord et dans le midi de la France, ne fournissent pas les mêmes principes ; celles du nord contiennent du sucre, tandis que les secondes donnent du salpêtre ; cependant les betteraves du midi, dans le mois d’août et au commencement de septembre, fournissent autant de sucre que celles du nord, d’après les expériences que M. Darracq a faites avec soin dans le département des Landes. Le sucre est donc remplacé par le salpêtre, dont l’acide se forme par une suite des progrès de la végétation. On a encore fréquemment observé que les betteraves contenant du sucre éprouvaient souvent une altération pendant l’hiver, qui faisait disparaître le sucre et le remplaçait par du salpêtre ; on peut suivre presque à l’œil, dans ce cas, les progrès de la décomposition : le jus de la betterave qui commence à s’altérer, versé dans les chaudières, développe une grande quantité d’écume blanche qui laisse échapper des vapeurs rougeâtres de gaz nitreux. Dans cet état, le travail de l’extraction du sucre devient pénible ; les cuites sont difficiles ; le sucre se cristallise mal et la mélasse est plus abondante : on voit clairement que dans cette circonstance, l’oxigène est déjà uni avec l’azote, et qu’il ne faut qu’une plus grande proportion d’oxigène pour former de l’acide nitrique, ce qui s’opère par les progrès de l’altération de la betterave ; à mesure que l’acide nitrique se forme, il se combine avec la potasse, qui est contenue dans le végétal dans la proportion d’un centième de son poids, et il se produit du salpêtre.
Lorsqu’on observe une plante dans les diverses périodes de sa végétation, on voit des différences très-notables, aux diverses époques, dans l’odeur, le goût, la consistance, etc. ; ce qui suppose qu’il se forme de nouveaux produits, de nouvelles combinaisons, et par conséquent de nouveaux sels.
Les sels alcalins sont les plus abondans dans les plantes vertes herbacées : M. de Saussure a observé que les cendres de jeunes plantes qui croissaient sur un sol ingrat, contenaient au moins les trois quarts de leur poids en sels alcalins, et que celles des feuilles des arbres qui sortent de leurs boutons, en contiennent au moins la moitié.
La proportion des sels alcalins diminue à mesure que la plante se développe et vieillit : cette observation s’applique également aux plantes annuelles et aux feuilles des arbres qui se dépouillent en automne.
Les cendres des semences sont plus chargées de sels alcalins que celles de la plante qui les produit.
Ces résultats peuvent être extrêmement utiles à ceux qui alimentent leurs ateliers de salin et de potasse par les cendres qui proviennent de la combustion des végétaux. Il ne leur est pas indifférent de brûler indistinctement toutes sortes de plantes, et à toutes les époques de leur végétation.
Après les sels alcalins, les phosphates terreux de chaux et de magnésie sont les plus abondans dans le végétal ; et, comme dans les premiers, la proportion diminue à mesure que la plante vieillit.
Les plantes contiennent encore, mais dans une faible proportion, de la silice et des oxides métalliques, sur-tout ceux du fer.
La nutrition des plantes se fait principalement par les feuilles et les racines ; le premier de ces organes absorbe le gaz oxigène, l’acide carbonique et l’eau contenus dans l’atmosphère ; et le second puise dans le sol le gaz oxigène et l’acide carbonique, qui y sont libres ou dissous dans l’eau, de même que les sucs et les sels qui y sont contenus.
L’eau paraît être le véhicule nécessaire de presque tous les principes nutritifs qui sont fournis par le sol : ainsi, elle sert à la nutrition du végétal non-seulement en lui abandonnant les élémens dont elle est composée, mais encore en transmettant dans ses organes intérieurs toutes les substances qui peuvent lui servir d’aliment.
Les substances qui servent éminemment à la nutrition des plantes, ne présentent, dans leur composition, que du carbone, de l’hydrogène et de l’oxigène ; les nombreux produits qu’elles forment pendant le cours de leur végétation, n’offrent pas, à l’analyse, d’autres principes : les sels, les terres et les métaux s’y trouvent généralement en petite quantité, et dans un état peu différent de celui sous lequel ils existent dans le sol.
Les trois principes rigoureusement nécessaires à la végétation, l’oxigène, le carbone, l’hydrogène, se combinent entre eux dans des proportions différentes, et c’est cette différence dans les proportions qui constitue l’énorme variété des produits de la végétation : quelques centièmes en plus ou en moins de carbone, d’oxigène ou d’hydrogène, changent la nature des corps.
La chimie, en opérant sur les végétaux morts, produit à volonté une partie de ces effets : la fermentation et les décompositions spontanées nous les présentent en grand nombre. Mais l’uniformité constante des produits dans les mêmes espèces de végétaux vivans, l’analogie entre ceux qui appartiennent au même genre, leur variété dans les différens organes, et la composition particulière, en apparence si compliquée, de chacun d’eux, forment tout autant de phénomènes, qu’il est au-dessus du pouvoir de l’art d’expliquer.
Nous connaissons les substances qui entrent dans le végétal et celles qui en sont éliminées ; nous déterminons par l’analyse la nature et la composition des produits qui se forment : là se borne le pouvoir de nos facultés. Tout ce qui se passe dans l’intérieur est encore mystère pour nous, et appartient à la vitalité, dont l’action modifie les lois physiques qui nous sont connues.
Cependant, comme dans le végétal ces sortes de lois vitales sont moins indépendantes, dans leur application, de l’action des agens physiques que celles qui régissent les fonctions des animaux, nous pouvons déjà soulever une portion du voile et suivre au moins la marche des phénomènes, si nous ne pouvons pas encore les produire ni connaître le mode d’action.
La germination des graines et le développement des bourgeons au printemps sont des effets presque purement physiques : l’oxigène est le seul agent qui concourt à les produire ; l’eau et la chaleur en sont des accessoires nécessaires, mais ils n’entrent en aucune manière dans les nouvelles combinaisons, et ne font que faciliter les changemens qui s’opèrent. Dans ce cas, l’oxigène s’unit au carbone et forme du gaz acide carbonique : par ce moyen, le mucilage ou l’amidon sont ramenés à l’état d’une liqueur laiteuse qui sert de premier aliment.
Dès que la plante a développé ses feuilles, et que la radicule de la graine a pénétré dans le sol, le système de nutrition change. Le gaz oxigène continue à soutirer du carbone par toutes les parties du végétal, à l’ombre et pendant la nuit ; mais le gaz acide carbonique qui en provient, au lieu de rester dans l’atmosphère, comme à l’époque de la germination, est absorbé principalement par les racines et les feuilles, et décomposé dans ces derniers organes à l’aide de la lumière solaire ; le carbone se fixe dans la plante, et l’oxigène s’exhale dans l’air à l’état de gaz.
Le fluide aqueux, constamment contenu dans l’air en plus ou moins grande quantité, en est extrait sur-tout par l’abaissement de température qui s’opère pendant la nuit, et il alimente la plante.
L’eau dont le sol est imbibé dissout les sucs des engrais et les transmet au végétal.
Mais pour que le végétal prospère, il ne suffit pas qu’il ait à sa disposition tous les alimens nécessaires, il faut encore que leur élaboration soit favorisée par d’autres causes également influentes sur la végétation.
J’ai déjà fait observer que les feuilles ne transpiraient du gaz oxigène que lorsque le soleil en frappait la surface, de sorte que l’acide carbonique qui est absorbé par les racines et les feuilles, reste dans la plante pendant tout le temps que les rayons solaires sont cachés.
Ce fait bien constaté nous explique plusieurs des phénomènes les plus importans de la végétation : on voit par là pourquoi les plantes qui croissent à l’ombre ne présentent que des sucs et des fruits qui n’ont jamais ni le goût, ni le parfum, ni la consistance de ceux qu’elles produisent lorsqu’elles végètent au soleil ; pourquoi les fourrages et les légumes sont de mauvaise qualité, toutes les fois que le soleil n’a pas facilité la décomposition de l’acide carbonique et l’élaboration des autres sucs nutritifs.
Indépendamment de l’action de la lumière du soleil, sans laquelle les plantes languissent, la végétation exige un degré de chaleur déterminé : en général, les germes ne commencent à se développer que lorsque la température de l’atmosphère est parvenue au dixième ou douzième degré centigrade ; et la végétation devient d’autant plus forte que la chaleur de l’atmosphère est plus considérable, pourvu, toutefois, que la terre soit assez humectée pour que l’eau transmette à la plante les sucs nutritifs qu’elle contient, et fournisse par ce moyen à la transpiration.
L’influence de la température est tellement marquée sur la végétation, qu’on la voit diminuer dès que la chaleur atmosphérique décroît, et reprendre son énergie dès qu’elle augmente. La chaleur dilate la sève et facilite sa circulation ; le froid l’épaissit et la rend stagnante.
Quelle que soit la température de l’atmosphère, lorsque la lumière solaire ou le fluide aqueux viennent à manquer à la plante la végétation se ralentit.
Ainsi il ne suffit pas à la plante d’être abondamment pourvue des principes nutritifs, il faut encore que l’élaboration en soit favorisée par les agens qui concourent à la digestion.
Lorsque la terre est trop abondamment pourvue d’engrais et que l’eau peut aisément les transporter dans la plante, l’accroissement peut en être prodigieux ; mais si les organes digestifs et l’action constante du soleil ne concourent pas à élaborer ces sucs, il en résulte une espèce d’obésité, ainsi que je l’ai déjà fait observer, et aucun des produits n’a ni la saveur ni l’arome qu’ils auraient acquis, si la nourriture avait été moins abondante et mieux digérée : il n’est pas rare que, dans ce cas, les fruits et les légumes conservent l’odeur particulière aux engrais dont on les a nourris.
Les sucs circulent dans le végétal, non pas avec la régularité de mouvement qu’on observe dans les animaux mieux organisés, mais avec une torée suffisante pour être transportés dans tous les organes, et recevoir dans chacun d’eux une élaboration particulière.
Les racines pompent les sucs au moyen de leurs tuyaux capillaires ; mais la force qui les pousse dans tout l’intérieur de la plante et jusques aux feuilles, où leur carbone se combine avec le gaz oxigène, est supérieure à celle que peuvent leur imprimer la succion capillaire et la pesanteur de l’atmosphère.
Le célèbre Hales coupa une branche de vigne âgée de quatre à cinq ans ; il cimenta avec soin le chicot dans un tube de verre recourbé en forme de siphon et rempli de mercure, le métal s’éleva par la seule force de la sève ascendante, au bout de quelques jours, à trente-huit pouces. M. Mirbel a confirmé ces expériences et en a ajouté beaucoup d’autres très-importantes, dont la description m’écarterait de mon sujet.
Comme la sève circule dans la plante, à l’aide de nombreux vaisseaux et cellules qui n’ont pas de communication rectiligne, on peut expliquer la force d’ascension de la sève par un principe déduit des expériences de M. Montgolfier, qui ont prouvé qu’au moyen d’une très-petite force on pouvait élever les liquides à des hauteurs presque indéfinies, pourvu que la pression de la colonne du liquide soit détruite par de nombreuses interceptions ou valvules.
La force d’ascension de la sève est d’autant plus considérable que la plante est plus saine et que la transpiration est plus abondante : une tige dépouillée de ses feuilles élève moins le mercure que celle qui en est garnie, et les arbres dont les feuilles sont douces, spongieuses et criblées de pores exhalans, telles que celles du cognassier, de l’aune du sicomore, du pêcher du cerisier, etc., l’élèvent à une plus grande hauteur que ceux dont les feuilles sont vernies ou sèches, comme celle des arbres verts. Tout cela résulte des belles expériences de Hales.
Toute l’eau qui est pompée par les différentes parties de la plante, sur-tout par les racines, est d’abord employée à délayer les sucs et à faciliter leur circulation ; il s’en décompose une partie, qui fournit l’hydrogène, si abondant dans les produits de la végétation ; mais la plus grande partie s’évapore, sur-tout par les feuilles, et maintient ainsi la température au-dessus de celle de l’atmosphère pendant les chaleurs brûlantes de l’été. Hales a observé que, dans l’espace de douze heures, un tournesol avait transpiré par les feuilles une livre quatorze onces d’eau.
Les froids qui commencent à se manifester en automne ralentissent le mouvement de la sève ; les fluides s’épaississent, les solides se contractent, les feuilles cessent d’aspirer, et les racines n’absorbent plus les sucs du sol : dès-lors toute fonction vitale est suspendue.
Au printemps, le retour des chaleurs imprime une nouvelle vie aux organes ; les fluides et les solides reçoivent une plus grande expansion ; la circulation se rétablit, et les sucs déposés dans le végétal à la fin de l’été et au commencement de l’automne lui servent de première nourriture.
Des arbres coupés en hiver, des branches séparées de leurs troncs poussent des bourgeons et des tiges au printemps ; une branche de vigne introduite pendant l’hiver dans une serre chaude sans qu’on l’ait détachée de son tronc, végète comme en été, et la partie qui reste en dehors exposée au froid, n’éprouve aucun changement. Les plantes broutées en automne éprouvent, au printemps, une végétation plus tardive et moins forte que celles dont la racine et le collet ont été soigneusement conservés par la fauchaison.
Tous les agriculteurs ont observé que de jeunes arbres plantés au printemps végètent pendant trois ou quatre mois et périssent ensuite : si on les arrache et qu’on en examine les racines, on trouve presque toujours qu’elles ne présentent aucun indice de végétation ; ce qui prouve que la végétation ne s’est opérée pendant quelque temps qu’à l’aide des sucs qui s’étaient déposés dans la plante, en automne, avant la chute des feuilles.
Mais un fait qui ne peut pas échapper à l’œil de l’observateur, c’est la différence de végétation qui a lieu sur la même branche, dont une extrémité se trouve dans l’air et l’autre dans la terre. La partie contenue dans le sol pousse des racines, tandis que celle qui s’élève dans l’atmosphère produit des feuilles ; et si une partie de la racine est mise à découvert et en contact avec l’air, elle forme des tiges et des feuilles, tandis que ce qui reste dans la terre y végète en racines.
Toutes les parties de la plante s’organisent donc par la végétation de la manière la plus convenable pour pomper à-la-fois les principes nutritifs du sol et ceux que fournit l’atmosphère.
L’art est parvenu à maîtriser le cours de la sève, de manière à la diriger à volonté. Lorsque les sucs extraits de la terre sont abondans, la plante les élabore très-imparfaitement, et dès-lors ils sont exclusivement employés à la croissance du végétal ; les arbres, sur-tout, ne produisent dans ce cas ni fleurs ni fruits ; ils se bornent, comme on le dit vulgairement, à pousser en bois. Pour remédier à cette surabondance de sève et ne fournir que les sucs que l’arbre peut digérer parfaitement, on enlève à l’arbre quelques-unes de ses racines, ou bien on pratique des incisions à l’écorce du tronc pour faire écouler une partie de la sève surabondante.
Lorsqu’on veut faciliter le développement des fruits, on coupe des branches et on enlève une partie des fruits pour diriger une plus grande masse de sève sur ceux qui restent ; on peut encore pratiquer de fortes ligatures sur les branches ou y faire des incisions circulaires dans toute l’épaisseur de l’écorce, pour produire le même effet.
La taille des arbres fruitiers a pour but principal de borner la production des fruits et de ne laisser que le nombre que la plante peut nourrir.
La greffe qui se pratique sur des espèces analogues, ne fait que présenter aux sucs du sauvageon un tissu organique différent du sien propre : les sucs y reçoivent une élaboration particulière, qui change la nature des produits.
Ce n’est point par l’analyse des plantes ni par la proportion des principes que l’on peut en extraire à l’aide de l’eau, qu’on peut juger de la qualité nutritive des végétaux et des autres substances alimentaires. J’ai déjà prouvé qu’une substance nutritive, dépouillée de toutes ses parties solubles dans l’eau, formait de nouveaux composés solubles, par les progrès de sa décomposition. C’est uniquement par l’expérience et les effets de telle ou telle nourriture sur l’animal, qu’il est possible de déterminer et de connaître les différences que présentent les corps nutritifs. Les sucs digestifs de l’estomac des animaux et les organes des végétaux, animés par des forces vitales que nous ne connaissons pas, ont aussi leur chimie, à laquelle nous sommes étrangers, et dont nous ne pouvons apprécier que les résultats.
C’est donc une erreur que de prétendre déterminer la quantité du principe nutritif par celle que l’eau peut extraire de l’aliment. En partant de ce principe, M. Davy a représenté la vertu nutritive de la betterave par le nombre 136 et celle des carottes par 98 ; tandis que M. Thaer, qui s’est établi sur l’observation, a estimé la première à 57 et l’autre à 98. D’après les mêmes principes, M. Davy a évalué à 151 l’effet des tourteaux de lin, comparativement à celui de la betterave, supposé 136 ; tandis qu’il est prouvé que soixante-dix livres de betteraves sont à peine l’équivalent en nourriture de dix livres de tourteaux.
Pour estimer la vertu nutritive d’une substance, il faut avoir moins d’égard à ses principes chimiques qu’à la nature de l’animal qui s’en nourrit : l’un rebute ce qui plaît à l’autre ; l’un décompose ce que l’autre rejette, et c’est à la seule observation à prononcer.
Ces principes sont moins applicables à la nutrition des végétaux qu’à celle des animaux, parce qu’il faut que, dans les premiers, l’aliment soit dissous ou délayé et mis en contact immédiat avec les suçoirs de la plante, tandis que les autres vont le chercher au loin et font choix de ce qui leur convient ; mais dans les deux cas la vertu nutritive ne peut être appréciée que par les résultats de l’élaboration dans les organes digestifs et par l’effet produit sur l’économie animale ou végétale.
Il ne faut pas d’ailleurs perdre de vue que la vertu nutritive des divers produits de la végétation est moins en raison du poids que de la qualité, et qu’une substance insoluble à l’eau peut néanmoins être dissoute dans l’estomac et former une excellente nourriture.
- ↑ Bibliothèque britannique, volume 5, page 499.