Chimie appliquée à l’agriculture/Chapitre 03

Madame Huzard (Tome 1p. 109-170).

CHAPITRE III.


DE LA NATURE ET DE L’ACTION DES ENGRAIS.




On appelle engrais toutes les substances qui, confiées au sol ou existant dans l’atmosphère, peuvent être portées dans les organes du végétal, et servir à la nutrition et à la végétation.

Les engrais sont fournis par les corps des trois règnes de la nature. Ce sont les débris des végétaux décomposés et quelques parties des animaux qu’on emploie communément comme engrais.

Les sels qui servent également d’engrais sont filtrés dans le tissu du végétal, y passent en nature et excitent la végétation.

En comprenant sous le nom générique d’engrais toutes ces substances, on donne trop d’extension à ce mot. Je distinguerai les engrais en deux classes et, pour m’écarter le moins possible du langage reçu, j’appellerai engrais nutritifs ceux qui fournissent des sucs ou des alimens quelconques à la plante, et engrais stimulans tous ceux qui ne font qu’exciter les organes de la digestion : ces derniers sont, à proprement parler, des assaisonnemens, des épiceries plutôt que des alimens.


ARTICLE PREMIER.


Des engrais nutritifs.


Les engrais nutritifs sont ceux qui contiennent des sucs ou des substances, que les eaux peuvent dissoudre ou entraîner dans un état de division extrême ; tous les sucs végétaux ou animaux sont de ce genre.

Mais on emploie rarement ces alimens de la plante dans leur état naturel ; on préfère, avant d’en faire usage, de les laisser pourrir ou fermenter : la raison en est simple ; outre que cette opération décompose toutes ces substances et les rend plus solubles dans l’eau, elle a encore l’avantage de donner naissance à la production de plusieurs gaz, tels qu’acide carbonique, gaz hydrogène carburé, azote et ammoniaque, qui deviennent des alimens de la plante ou des stimulans pour les organes de la digestion.

Il ne faut pas cependant laisser trop longtemps se prolonger cette décomposition ; car, si elle était complète, il ne resterait que les sels fixes mêlés de quelques terres et sucs qui auraient résisté ; d’ailleurs, l’effet de ces engrais complétement décomposés serait presque momentané et pour une seule récolte, tandis que lorsqu’on les emploie avant qu’ils soient parvenus à cet état, leur effet se prolonge pendant plusieurs années : dans ce dernier cas, la décomposition, ralentie par la division des engrais en petites masses, se continue peu-à-peu dans la terre, et elle fournit des alimens au végétal selon ses besoins et pour long-temps.

Les excrémens des animaux qui proviennent tous de la digestion de leur nourriture, ont déjà subi une décomposition qui a désorganisé les principes de leurs alimens, et a plus ou moins changé leur nature : la force des organes digestifs, qui varie dans chaque espèce de ces animaux ; la différence de leur nourriture et le mélange des sucs digestifs fournis par leur estomac, apportent des modifications considérables dans ces engrais.

On emploie, sans mélange et sans leur faire subir une nouvelle fermentation, les excrémens de quelques-uns de ces animaux, tels que ceux des pigeons, des volailles, etc., parce qu’ils contiennent beaucoup de sels et peu de sucs. Souvent même on fume les champs avec le crotin pur et l’urine des bêtes à laine, qu’on ramasse dans les bergeries, ou que ces animaux répandent eux-mêmes sur le sol comme dans les parcages.

Mais en général on fait éprouver à la fiente des chevaux et à celle de tous les animaux à cornes une fermentation, avant de s’en servir comme engrais.

La pratique la plus généralement adoptée pour opérer cette seconde élaboration dans le fumier des quadrupèdes, consiste d’abord à former sur le sol des bergeries et des écuries une couche de paille ou de feuilles sèches. Cette couche se charge des excrémens solides des animaux, et s’imprègne de leur urine ; au bout de quinze jours ou d’un mois, on porte cette couche dans un lieu propre à la faire fermenter, et on en forme une nouvelle ; on a soin, tous les jours, de répandre sur la litière le résidu des rateliers. Ces couches ont encore l’avantage d’assainir les étables et de maintenir la propreté parmi les animaux. Lorsque la couche est peu épaisse, ou qu’on ne peut pas la renouveler assez souvent, parce qu’on manque de paille, on forme, sur le sol, un lit de plâtras ou de gravois bien battus, bien broyés, et on le recouvre d’un peu de paille ; ces terres s’imbibent des urines, et lorsqu’elles en sont pénétrées, on les porte dans les champs pour les enfouir. La nature des terres dont on forme les couches dans les bergeries et les écuries, doit varier selon l’espèce de terrain qui doit les recevoir, parce qu’elles lui servent à-la-fois d’engrais et d’amendement. C’est pour les terres argileuses et compactes qu’il faut réserver les couches qu’on a formées avec les gravois et les débris des vieux mortiers calcaires, tandis que celles qui contiennent de la marne grasse ou des limons argileux conviennent aux sols secs et légers.

Dans quelques pays de bonne culture, les étables sont pavées et toutes les urines se rendent, par une pente douce, dans des réservoirs, où on les fait fermenter avec des matières animales ou végétales, pour en arroser les champs au moment où la végétation se développe.

L’art de faire pourrir les fumiers de litière est encore bien incomplet dans une partie de la France : ici, on les laisse se putréfier jusqu’à ce que la paille soit complétement décomposée ; là, on les porte dans les champs à mesure qu’on les tire des étables : ces deux méthodes sont également vicieuses.

Par la première, on laisse dissiper en pure perte presque tous les gaz et décomposer les sucs nutritifs ; par la seconde, la fermentation, qui ne peut s’opérer que sur une grande masse, ne peut plus avoir lieu que très-imparfaitement dans les champs, et les eaux n’entraînent dans la plante que ce qu’elles peuvent enlever par un simple lavage.

L’art de préparer les fumiers est peut-être, en agriculture, l’opération la plus utile et celle qui demande le plus de soins ; il exige l’application de quelques connaissances chimiques que nous nous bornerons à énoncer : car il suffit d’indiquer à l’agriculteur les préceptes d’après lesquels il doit se conduire, sans prétendre exiger de lui une étude trop profonde des sciences accessoires.

1°. Les substances solides, végétales, animales ou minérales ne passent dans le végétal qu’autant qu’elles sont préalablement dissoutes dans l’eau, ou entraînées par ce liquide dans un état de division extrême.

2°. Les substances végétales et animales qui, par leur nature, sont insolubles dans l’eau, peuvent former, dans leur décomposition, de nouveaux composés solubles, qui deviennent des alimens pour la plante.

3°. Les substances animales et végétales, dépouillées par l’eau de toutes leurs parties solubles, peuvent former de nouveaux composés, solubles par les progrès de leur décomposition : j’en ai fourni la preuve en parlant du terreau.

Ce qui rend difficile l’art d’employer les fumiers de la manière la plus avantageuse, c’est que, quelque méthode qu’on adopte, on occasionne la perte d’une portion de l’engrais. En effet, lorsqu’on transporte de suite le fumier de litière sur les champs, et qu’on l’enterre presqu’à l’instant, on met sans doute a profit, pour la plante, tous les sels et les sucs solubles qui y sont contenus ; mais la fibre, la graisse, les huiles, etc., restent intacts dans la terre, et leur décomposition ultérieure devient très-lente et imparfaite. Si, au contraire, on amoncèle le fumier dans un coin de la basse-cour de la ferme, il ne tarde pas à s’échauffer ; il se dégage alors en pure perte et en abondance de l’acide carbonique, et successivement de l’hydrogène carburé, de l’ammoniaque, de l’azote, etc. Un liquide brun dont la couleur se fonce en noir de plus en plus, humecte la masse et coule en dehors sur le sol : tout se désorganise peu-à-peu ; et lorsque la fermentation est complète, il ne reste plus qu’un résidu, composé de matières terreuses et salines mêlées d’un peu de fibre noire et de charbon en poudre.

Dans les campagnes, on ne laisse jamais arriver la fermentation à ce degré de décomposition ; mais telle qu’on la pratique, on n’en perd pas moins une grande partie de l’engrais.

L’usage le plus généralement suivi est de déposer dans un coin le fumier de litière à mesure qu’on l’extrait des écuries ou des bergeries ; on augmente la masse toutes les fois qu’on en fait une nouvelle extraction, et on la laisse fermenter jusqu’à ce que l’époque des semailles, en automne et au printemps, en exige le transport sur les champs.

Cette méthode présente plusieurs inconvéniens : le premier, de former successivement plusieurs couches, qui ne peuvent pas éprouver chacune le même degré de fermentation, puisque l’une la subit pendant six mois et l’autre pendant quinze jours ; le second, de laisser le fumier exposé à la pluie, et de le laver, en pure perte, de tous les sels et de tous les sucs solubles qu’il contient ; le troisième, de décomposer complétement l’extractif, le mucilage, l’albumine, la gélatine, dans les couches inférieures et au centre de la masse ; le quatrième enfin, de laisser échapper dans l’air les gaz qui nourriraient la plante s’ils se développaient près de la racine : car M. Davy a observé qu’en dirigeant ces émanations sous les racines d’un gazon de jardin, la végétation y a été très-supérieure à ce qu’elle était dans le voisinage.

Mais convient-il de laisser fermenter les fumiers ; ou doit-on les employer à mesure qu’ils se forment ? Cette question nous ramène à jeter un coup d’œil sur la nature des fumiers, ce n’est qu’après avoir établi leur différence qu’on pourra la résoudre.

Les principales parties des végétaux qu’on emploie comme engrais, contiennent du mucilage, de la gélatine, des huiles, du sucre, de l’amidon, de l’extractif, souvent de l’albumine, des acides, des sels, etc., avec abondance d’une matière fibreuse insoluble dans l’eau.

Les différentes substances que présentent les animaux, y compris leurs excrémens et toutes leurs excrétions, sont la gélatine, la fibrine, le mucus, la graisse, l’albumine, l’urée, les acides urique et phosphorique et des sels.

Parmi ces substances, qui constituent l’animal et le végétal, le plus grand nombre est soluble dans l’eau, et il est évident que, dans cet état, on peut les employer comme engrais sans fermentation préalable ; mais lorsqu’elles contiennent beaucoup de matière insoluble à l’eau, il convient de les décomposer par la fermentation, parce qu’alors elles changent de nature et forment de nouveaux composés, qui sont solubles et peuvent passer dans la plante.

MM. Gay-Lussac et Thénard ont retiré, par l’analyse de la fibre ligneuse, de l’oxigène, de l’hydrogène et beaucoup plus de carbone que n’en contiennent les autres principes des végétaux, et ils en ont déterminé les proportions. Nous savons que la fermentation enlève beaucoup de carbone : il est donc évident qu’en faisant fermenter la fibre végétale, on diminuera peu-à-peu le principe qui lui donne son principal caractère, et qu’on l’a mènera à ne plus former qu’un corps soluble dans l’eau. C’est de cette manière qu’on convertit en engrais les végétaux ligneux et les feuilles les plus sèches.

Comme toutes les parties solides du végétal contiennent de la fibre, qui ne peut être rendue soluble à l’eau que par une longue fermentation, et que c’est dans la fibre sur-tout que réside le carbone, si nécessaire à la végétation, on ne peut pas se dispenser de faire fermenter les végétaux, pour en tirer le meilleur parti comme engrais.

On objectera peut-être l’usage consacré d’enterrer quelques récoltes en vert pour engraisser les champs ; mais j’observerai que, dans ce cas, on les enterre au moment de la floraison, et qu’alors la plante est charnue, la fibre molle et peu formée, et que la chaleur et l’action de l’eau dans la terre suffisent pour la décomposer : cet effet n’aurait pas lieu si la tige était sèche et épuisée par la formation de la graine.

On pourrait enterrer sans inconvénient le fumier pur des quadrupèdes, au moment où on le sort des étables ; je crois même qu’il y aurait alors de l’avantage ; mais lorsqu’il est mêlé avec la litière, il me paraît plus avantageux de lui faire subir une légère fermentation, afin de mieux disposer les pailles ou les feuilles à devenir engrais.

Pour faire fermenter les fumiers de litière, il faut user de certaines précautions, qui évitent les inconvéniens attachés à la méthode généralement usitée.

Au lieu d’entasser en grande masse les fumiers de litière, et de les laisser pourrir à découvert et exposés à l’intempérie des saisons, il convient de les placer dans un lieu abrité par un hangar, ou de les garantir de la pluie, par un simple appentis de paille ou de bruyère. On doit former des couches séparées avec chaque vidange des écuries, étables ou bergeries. Les couches doivent avoir un pied et demi à deux pieds de hauteur, et lorsque la chaleur qui se produit s’élève dans le centre à plus de vingt-huit degrés, ou que la couche commence à fumer, il faut la retourner pour modérer sa décomposition.

On doit arrêter la fermentation dès que la paille a commencé à brunir, et que son tissu a perdu de sa consistance : à cet effet, ou l’on démonte la couche pour en augmenter l’étendue et modérer la fermentation, ou on la transporte aux champs pour l’enfouir de suite, ou bien on la mélange avec du terreau, des plâtras, du gazon, des balayures, etc.

Lorsque les fumiers ont très-peu de consistance, tels que ceux des grosses bêtes à cornes pendant le printemps et l’automne, on doit les employer de suite, ainsi que je l’ai déjà annoncé ; mais s’il est impossible de les porter aux champs dans le moment pour les y enterrer, il convient de les mêler avec des terres ou autres matériaux secs et poreux, qui conviennent, comme amendemens aux champs auxquels on les destine.

Dans presque toutes nos fermes, on expose en plein air et sans abri les fumiers des quadrupèdes, à mesure qu’on les retire des écuries ; l’eau de pluie qui les lave entraîne avec elle les sels, les urines et tous les sucs solubles, et forme, au pied de la couche, des ruisseaux d’un suc noirâtre, qui s’échappe en pure perte au dehors, et va se perdre dans les fossés.

À mesure que la fermentation avance, il se forme de nouvelles combinaisons solubles, qui sont entraînées à leur tour, de sorte que tous les principes nutritifs et stimulans du fumier disparaissent peu-à-peu, et il ne reste que quelques faibles débris d’engrais mêlés de brins de paille qui n’ont plus de saveur.

Pour remédier, autant qu’il est possible, à un abus aussi funeste à l’agriculture, il faudrait au moins creuser une fosse profonde, dans laquelle on recevrait tous les sucs qui s’écoulent du fumier, pour les porter, au printemps, sur les blés ou sur les prairies artificielles ; on peut même les garder en réserve, pour en arroser les prairies artificielles après la première fauchaison.

Un grand tonneau fixé sur une petite charrette, et qu’on remplit à l’aide d’une pompe à bras, suffit pour cet usage ; on adapte au robinet une caisse peu large, longue de quatre pieds et percée de trous dans son fond, pour répandre ce suc.

Cet arrosage produit des effets merveilleux la seconde année lorsqu’on l’a employé après la fauchaison.

Pour pouvoir prononcer sur la question de faire ou de ne pas faire fermenter les fumiers de litière, il faut encore avoir égard à la nature des terres qu’on veut engraisser : si les terres sont compactes, argileuses et froides, les fumiers longs non fermentés conviennent mieux ; ils produisent alors deux grands effets : le premier, d’amender la terre, de l’ameublir et de la rendre plus perméable à l’air et à l’eau ; le second, de l’échauffer par les progrès successifs de la décomposition et de la fermentation : si, au contraire, la terre est légère, poreuse, calcaire et chaude, les fumiers courts sont préférables, parce qu’ils s’échauffent moins, qu’ils se lient mieux avec le sol, et qu’au lieu d’ouvrir la terre, déjà trop poreuse, aux filtrations de l’eau, ils modèrent l’écoulement de ce liquide : une longue expérience a fait connaître ces vérités aux agronomes observateurs.

Lorsqu’il s’agit d’appliquer les fumiers à telle ou telle nature de terrain, on peut se conduire d’après l’observation acquise : les fumiers des bêtes à laine sont les plus chauds ; viennent ensuite ceux du cheval ; ceux des vaches et des bœufs sont les moins chauds de tous.

Les substances animales, molles ou fluides s’altèrent le plus facilement. Les progrès de la décomposition sont d’autant plus rapides, qu’elles contiennent moins de sels terreux. Leur putréfaction produit du gaz ammoniacal en abondance ; ce résultat les distingue des matières végétales, dont la décomposition ne donne lieu à la formation de ce gaz, qu’autant qu’elles contiennent un peu d’albumine.

C’est sur-tout au développement de ce gaz, qui se combine avec la gélatine pour passer dans la plante, que nous croyons pouvoir attribuer l’effet merveilleux que produisent sur la végétation quelques parties sèches des animaux, comme nous le verrons tout-à-l’heure.

Après les fumiers dont nous venons de parler, l’urine des bêtes à cornes et des chevaux forme l’engrais le plus abondant qu’on puisse se procurer pour l’agriculture, et ce n’est pas sans peine qu’on voit tous les jours le peu de soin qu’on met à la recueillir.

J’ai déjà fait observer que dans les pays où l’agriculture est la plus éclairée, on pave toutes les écuries, et on y pratique une pente légère, qui conduit toutes les urines dans un réservoir, où elles se réunissent ; on y délaye des tourteaux de navette, de fin ou de colza, ou des excrémens humains, etc., etc. Au printemps, lorsque la végétation se développe, on porte ces matières fermentées dans les champs pour en arroser les récoltes.

Il y a peu de substances animales dont la composition varie autant que celle de l’urine ; la nature des alimens, l’état de santé y produisent des différences notables : les animaux qui brouttent des plantes plus ou moins sèches ou aqueuses, rendent des urines plus ou moins abondantes et plus ou moins chargées ; ceux qu’on nourrit avec des fourrages secs donnent moins d’urines que ceux qui se nourrissent d’herbe fraîche, mais elles sont plus salées que celles de ces derniers. L’urine qu’on rend immédiatement après la boisson, est moins animalisée que celle qui est séparée du sang par les organes urinaires.

Ce sont ces différentes positions de l’individu qui expliquent pourquoi il y a si peu d’accord dans les résultats des nombreuses analyses qui ont été faites de cette liqueur.

L’urine de vache a fourni à M. Brandt :

Eau 
 65
Phosphate de chaux 
 5
Muriate de potasse et d’ammoniaque 
 15
Sulfate de potasse 
 6
Carbonate de potasse et d’ammoniaque 
 4
Urée 
 5

MM. Fourcroy et Vauquelin ont extrait de celle de cheval :

Carbonate de chaux 
 11
Carbonate de potasse 
 9
Benzoate de soude 
 24
Muriate de potasse 
 9
Urée 
 7
Eau et mucilage 
 940

L’analyse de l’urine humaine a fourni à M. Berzelius :

Eau 
 933,0
Urée 
 30,1
Acide urique 
 1,0
Muriate d’ammoniaque, acide lactique libre, lactate d’ammoniaque et matière animale 
 17,4

Le reste se compose de phosphates, sulfates et muriates.

On voit, d’après ces analyses, que les urines varient beaucoup entre elles, mais qu’elles contiennent toutes des sels qui peuvent passer dans la plante avec l’eau qui les tient en dissolution, et y entraîner les parties animales, ainsi que l’urée, qui sont très-solubles et qui se décomposent aisément.

Parmi les principes contenus dans les urines, il y a quelques sels indécomposables par les organes digestifs du végétal, tels que les phosphates de chaux, les muriates et sulfates de potasse. Ceux-ci ne peuvent servir qu’à exciter, stimuler les organes mais on peut regarder l’urée, le mucilage, l’acide urique et autres matières animales comme éminemment nutritifs.

L’urine sortant de l’animal ne doit pas être employée comme engrais, elle agirait avec trop de force et pourrait dessécher les plantes ; il convient de la délayer par l’eau ou de la laisser fermenter.

L’urine est très-efficace pour humecter toutes les substances qu’on fait entrer dans la formation des composts[1] ; elle augmente la vertu fertilisante de chacune d’elles, et facilite la fermentation de celles qui ont besoin d’être décomposées pour servir à la nutrition.

On combine encore l’urine avec le plâtre, la chaux, etc., et l’on en forme des engrais très-actifs, sur-tout dans les terres froides.

Les os sont devenus aujourd’hui, entre les mains de l’agriculteur, un puissant moyen de fertiliser les terres.

Ces parties animales sont principalement composées de phosphate de chaux et de gélatine.

En général, les os qu’on est le plus dans le cas d’employer, contiennent moitié de phosphate et moitié de gélatine ; on retire des os de bœuf cinquante à cinquante-cinq pour cent de gélatine, de ceux de cheval trente-six à quarante, et de ceux de cochon quarante-huit à cinquante.

Les os contiennent d’autant plus de gélatine que l’animal est plus jeune, et que le tissu de l’os est moins compacte. Les os des pieds de l’élan, du cerf, du chevreuil, du lièvre donnent, à l’analyse, quatre-vingt-cinq à quatre-vingt-dix pour cent de phosphate.

Pour employer les os comme engrais, il faut les broyer avec soin sous la meule, en former des tas, et laisser développer un commencement de fermentation. Du moment que l’odeur devient pénétrante, on démonte le tas, et on répand cette matière sur le terrain pour l’enfouir de suite ; on peut la jeter sur la semence et l’enterrer avec elle. Lorsqu’on sème graine à graine et par sillon, il est avantageux de placer dans le sillon les os broyés.

Dans quelques pays, on extrait des os broyés, par le moyen de l’eau bouillante, la graisse et une grande partie de la gélatine, avant de les vendre aux agriculteurs ; mais, par cette opération, on les prive d’une grande partie de leur vertu fertilisante.

J’ai observé avec soin ce qui se passe lorsque les os broyés sont en fermentation, et j’ai vu que les parcelles d’os se recouvraient à la surface d’une légère couche onctueuse, âcre et piquante, qui m’a paru formée par la combinaison de la gélatine avec l’ammoniaque, qui se développe par la décomposition de toutes les matières animales. Cette doctrine est appuyée par les observations de M. d’Arcet, à qui on doit un travail très-précieux sur la gélatine.

Il est possible que lorsqu’on emploie les os broyés sans leur avoir fait subir un commencement d’altération, la gélatine se décompose peu-à-peu dans la terre, et produise à la longue le même résultat.

On peut concevoir encore que l’eau, agissant sur les os, dissolve peu-à-peu la gélatine et la transmette à la plante ; mais, dans tous les cas, la vertu des os est très-puissante dans la végétation, soit qu’on la considère comme engrais purement nutritif, ou sous le double rapport de nutritif et de stimulant.

Lorsqu’on calcine les os dans des vaisseaux clos, il se produit de l’huile et du carbonate d’ammoniaque ; la proportion du phosphate n’a pas sensiblement diminué, mais la gélatine est décomposée ; il reste après l’opération soixante-dix à soixante-douze pour cent du poids des os employés. Ce résidu, broyé et pulvérisé avec soin, sert avec avantage dans les opérations qu’on exécute sur le sucre pour le raffiner : tout ce qu’on rejette de ces ateliers est imprégné de sang de bœuf et de charbon animal, et forme un des meilleurs engrais que j’aie employés pour les prairies artificielles, telles que trèfles et luzernes. On le répand à la main sur ces plantes, lorsque la végétation commence à se développer au printemps.

Quelques parties sèches des animaux, telles que les cornes, les ongles, se rapprochent beaucoup des os par la nature de leurs principes constituans, mais les proportions en varient prodigieusement ; la gélatine y prédomine, et c’est la raison pour laquelle ces dernières substances sont plus précieuses, comme engrais, que les os : M. Merat-Guillot n’a retiré que vingt-sept pour cent de phosphate de chaux de la corne de cerf, et M. Hatchett n’a extrait, par l’analyse de cinq cents grains de corne de bœuf, qu’un cinquième de résidu terreux, dont un peu moins de la moitié était du phosphate de chaux.

Les rognures et les raclures de cornes forment un excellent engrais, dont l’effet se prolonge pendant une assez longue suite d’années ; ce qui provient de la difficulté qu’éprouve l’eau à les pénétrer, et du peu de tendance qu’elles ont à fermenter.

On peut tirer encore un parti très-avantageux des débris de la laine : il résulte des recherches ingénieuses de M. Hatchett, que les poils, les plumes et la laine sont une combinaison toute particulière de la gélatine avec une substance analogue à l’albumine : l’eau ne peut les dissoudre qu’à la longue et à l’aide d’une fermentation qui s’établit lentement et dure long-temps.

Un des phénomènes de végétation qui m’a le plus étonné dans ma vie, c’est la fertilité d’un champ des environs de Montpellier, qui appartenait à un fabricant de couvertures de laine : le propriétaire y apportait chaque année les balayures de ses ateliers, et les récoltes en blé et en fourrages que j’ai vu produire à cette terre étaient vraiment prodigieuses.

Tout le monde sait que les brins de laine transpirent une humeur qui durcit sur leur surface, et qui conserve néanmoins la propriété d’être très-soluble dans l’eau : elle a reçu le nom de suint. L’eau du lavage des laines chargée de cette substance forme un engrais précieux. J’ai vu, il y a trente ans, un marchand de laine de Montpellier qui avait établi son lavoir au milieu d’un champ dont il avait transformé une grande partie en jardin ; il n’employait pas d’autre eau pour arroser ses légumes que celle de ses lavages : tout le monde allait admirer la beauté de ses productions.

Les Génois ramassent avec soin dans le midi de la France tout ce qu’ils peuvent trouver de retailles et de débris de tissus de laine, pour les faire pourrir au pied de leurs oliviers.

D’après l’analyse de M. Vauquelin, le suint est composé d’un savon à base de potasse avec excès de matières huileuses ; il contient encore de l’acétate de potasse un peu de carbonate et de muriate de la même base, et une matière animale odorante.

La fiente des volatils est encore un engrais précieux ; elle diffère de celle des quadrupèdes, en ce que les alimens sont mieux digérés, qu’elle est plus animalisée, plus riche en sels, et qu’elle contient des principes qu’on retrouve dans l’urine des quadrupèdes.

La fiente des oiseaux d’eau, qui sont si nombreux dans les îles de la mer Pacifique, et dont les excrémens fournissent à un commerce considérable avec l’Amérique méridionale, qui en importe pour le Pérou cinquante bâtimens par an d’après le rapport de M. de Humboldt, contient, outre une grande quantité d’acide urique en partie saturé par l’ammoniaque et la potasse, des phosphates de chaux, d’ammoniaque et de potasse, ainsi qu’une matière grasse. M. Davy a trouvé de l’acide urique dans la fiente du cormoran.

La fiente du pigeon est recueillie avec soin dans nos climats, parce qu’on y reconnaît les bons effets de cet engrais : cent parties de cette fiente fraîche ont donné à M. Davy vingt-cinq de matière soluble dans l’eau, tandis que la même quantité de cette fiente putréfiée ne lui en a fourni que huit : d’où cet habile chimiste conclut avec raison qu’il faut l’employer avant qu’elle ne fermente.

Cette fiente est un engrais chaud qu’on peut répandre à la main avant d’enterrer la semence, ou, au printemps, sur les terres fortes, lorsque la végétation languit.

Les excrémens des volailles se rapprochent beaucoup de ceux des pigeons, sans avoir pourtant leur vertu au même degré ; ils contiennent aussi de l’acide urique ; on les emploie aux mêmes usages.

Dans le midi de la France, où l’on élève beaucoup de vers à soie, on tire un parti étonnant de la larve qui est mise à nu par la filature du cocon ; on la répand aux pieds des mûriers et autres arbres dont la végétation est languissante ; cette petite quantité d’engrais les ranime d’une manière merveilleuse. J’ai distillé ces larves et n’ai trouvé jusqu’ici aucune matière animale qui m’ait fourni autant d’ammoniaque.

Les excrémens humains forment un excellent fumier : les fermiers le laissent perdre, parce qu’il est trop actif lorsqu’on l’emploie dans son état naturel, et qu’ils ne savent ni modérer son action, ni l’approprier, par ses degrés de fermentation, aux besoins des diverses espèces de végétaux.

Dans la Belgique, qui a été le berceau de l’agriculture éclairée, et où les bonnes méthodes de culture se sont perpétuées et s’améliorent tous les jours, on tire un parti étonnant des matières fécales ; on les emploie, la première année de leur décomposition, à la culture des plantes à huile, du chanvre et du fin ; et la seconde, à celle des céréales : on les délaie eau, dans l’urine, et on s’en sert pour arroser les champs, au printemps, lorsque la végétation commence à se développer. On fait encore dessécher ces matières pour les répandre sur des champs de colza.

Les Flamands mettent un tel prix à cet engrais, que les villes afferment fort cher le privilège de disposer de la vidange de leurs latrines, et qu’il y a dans chacune d’elles des courtiers assermentés, par l’entremise desquels se font les achats. Ces courtiers connaissent le degré de fermentation qui convient à chaque espèce de végétal et aux différentes époques de la végétation.

On parviendra difficilement à porter chez nous cette industrie au degré de perfection où elle est parvenue en Belgique, parce que nos fermiers n’en sentent pas toute l’importance et qu’il leur répugne d’employer cet engrais ; mais ne pourraient-ils pas ramasser avec soin toutes ces matières, les mêler avec de la chaux, des plâtras, des gravois, pour en faire disparaître l’odeur et les porter ensuite dans les champs ?

Déjà, dans plusieurs de nos grandes villes, on exploite les latrines pour en former de la poudrette ; ce produit pulvérulent est recherché par nos agriculteurs, qui en reconnaissent les bons effets : espérons que plus éclairés, ils emploieront la matière fécale elle-même comme plus riche en principes nutritifs et aussi abondante en sels. Ils pourront aisément en maîtriser et modérer l’action trop vive par la fermentation, ou bien la mêler avec les plâtras, la terre et autres excipiens, pour en corriger l’odeur.

Comme les fumiers font la richesse des champs, un bon agriculteur ne doit rien négliger pour s’en procurer ; ce doit être là le premier de ses soins et sa sollicitude journalière, car, sans fumier, il n’y a pas de récolte.

La rareté des fumiers, ou, ce qui est la même chose, le mauvais état des récoltes, provient, en grande partie, des préjugés, qui subjuguent par-tout le paysan, et de l’habitude aveugle qui le dirige dans toutes ses actions.

Dans nos campagnes, on ne connaît que les pailles qui soient jugées propres à fournir des engrais ; et, dans le fumier de litière, on les considère comme le principal engrais, tandis qu’elles n’y sont qu’un très-faible accessoire.

D’après les expériences de M. Davy, la paille d’orge ne contient que deux pour cent d’une substance soluble dans l’eau, et qui a un peu d’analogie avec le mucilage ; celle du blé en fournit à peine un et un quart pour cent ; le reste n’est que de la fibre, qui ne peut se décomposer qu’à la longue et dans des circonstances qui facilitent cette opération.

Je ne crois pas qu’il y ait dans le règne végétal un aliment aussi peu nutritif que la paille sèche des céréales : elle l’est aussi peu pour les animaux, dont elle ne fait guère que lester l’estomac, que pour les plantes, auxquelles elle ne fournit qu’environ le centième de son poids en engrais soluble.

Les graminées, les feuilles des arbres, et tous les végétaux succulens qui croissent si abondamment dans les fossés, dans les terres vagues, sur les bords des chemins et des haies, coupés ou arrachés au moment de la floraison et faiblement fermentés, fournissent vingt à vingt-cinq fois plus d’engrais que les pailles. Ces végétaux, soigneusement ramassés, peuvent ouvrir à l’agriculteur une immense ressource.

L’agriculteur qui couperait soigneusement ces plantes pour les convertir en fumier, y trouverait encore l’avantage de prévenir la dispersion de toutes leurs graines dans ses champs ; ce qui les épuise et salit les récoltes.

Il en est de même des gazons qui couvrent les bordures des champs et des chemins : enlevés avec leurs racines et la terre qui les nourrit, on peut les faire pourrir en tas et en porter les résidus dans les champs, ou bien les écobuer pour répandre le produit de la combustion sur les terres.

Si les pailles ne servaient pas de litière aux animaux et ne contribuaient par là à leur santé et à leur propreté ; si en même temps elles ne s’imprégnaient pas de leurs urines et de leurs excrémens, il serait plus avantageux de couper les épis et de laisser les tiges des céréales dans les champs, car elles ne servent que d’excipient aux véritables engrais.

On dit chaque jour que le fumier de litière, outre sa vertu nutritive, a encore l’avantage d’ameublir les terres fortes et de les rendre plus perméables à l’air et à l’eau. Je ne disconviens pas de cette vérité, j’avouerai même que cette propriété est due presque entièrement à la paille qui y est mêlée ; mais cet effet serait le même si les pailles étaient enterrées sur place.

Outre la propriété qu’ont les fumiers de servir d’aliment à la plante, ils en possèdent d’autres qui ajoutent à leur vertu fertilisante.

Le fumier, tel qu’on l’emploie, n’est jamais assez décomposé pour qu’il ne continue pas à fermenter, et, dès ce moment, il entretient dans le sol un degré de chaleur humide qui favorise la végétation, et garantit le végétal du mal que lui occasionneraient les passages brusques qu’éprouve trop souvent la température atmosphérique.

Le fumier qui n’a pas le contact de l’air se dessèche difficilement, par rapport aux sucs visqueux qu’il contient : de sorte qu’il entretient l’humidité dans les racines des plantes, et maintient leur végétation dans les temps où, sans son secours, la sécheresse ferait périr le végétal.

Les fumiers contiennent plus ou moins de sels, que l’eau transmet au végétal pour exciter ses fonctions et ranimer ses organes.

Les fumiers mêlés avec la terre peuvent encore être considérés comme amendemens, et sous ce rapport ils doivent varier selon la nature des terrains. Les terres compactes ont besoin d’être ameublies et échauffées ; elles exigent donc des fumiers longs qui aient peu fermenté, sur-tout ceux qui sont riches en sels. Les terres calcaires et légères veulent des fumiers gras, qui se décomposent très-lentement, qui lient les parties désunies du sol, et puissent retenir long-temps l’eau, pour la fournir aux besoins de la plante dans les saisons de sécheresse.

C’est en partant de ces principes qu’on pourra parvenir à approprier les fumiers à chaque espèce de sol et à la nature de chaque végétal : déjà l’attention de l’agriculteur s’est dirigée sur ce point, en composant des mélanges d’engrais qu’on appelle composts. On les forme en établissant l’une sur l’autre des couches de diverses natures d’engrais, et en observant de corriger les vices de l’un par les qualités de l’autre, de manière à donner au mélange les propriétés convenables au terrain qu’on veut engraisser.

S’agit-il, par exemple, de former un compost pour une terre argileuse et compacte, on fait une première couche de plâtras, de gravois, ou de mortier de démolition ; on la recouvre de fumier de litière de mouton ou de cheval ; on compose la troisième avec les balayures des cours, des chemins et des granges, la marne maigre, sèche et calcaire, le limon que déposent les rivières, les matières fécales qu’on a ramassées dans la ferme, les débris de foin ou de paille, etc., et celle-ci est à son tour recouverte d’une couche du même fumier que la première. La fermentation s’établit d’abord dans les couches de fumier ; le jus qui en découle se mêle avec les matières qui composent les autres couches ; et lorsqu’on reconnaît, aux signes que j’ai déjà indiqués, que la décomposition est suffisamment avancée, on démonte les couches et on les porte aux champs, après en avoir mêlé toutes les substances qui les composent.

Destine-t-on un compost à fumer une terre légère, poreuse et calcaire, il convient de le former de matériaux qui soient de nature toute différente. Ici, il faut faire prévaloir les principes argileux, les substances compactes, les fumiers froids, et pousser la fermentation jusqu’à ce que les fumiers forment une pâte liante et glutineuse. Les terres glaises à demi cuites et broyées, les marnes grasses et argileuses, le limon des mares, doivent servir à former les couches.

En opérant d’après ces principes, j’ai changé la nature d’un sol ingrat que je possédais dans les environs d’une de mes fabriques. Ce sol était composé de terre calcaire et d’un sable léger, j’y ai fait répandre, pendant plusieurs années, de la terre argileuse calcinée : cette terre, dans laquelle on ne pouvait élever que quelques arbres à fruits à noyau, est devenue très-propre pour les arbres à pépins, et elle produit de beau froment, lorsque auparavant elle ne supportait que des récoltes chétives d’avoine et de seigle.


ARTICLE II.


Des engrais stimulans.


Nous ne nous sommes occupés jusqu’ici que des engrais qui contiennent à-la-fois le principe alimentaire nécessaire à la végétation, et les sels ou stimulans qui en sont inséparables et qui passent en dissolution dans le végétal pour exciter l’action des organes : il me reste à parler de ces derniers d’une manière plus spéciale, attendu que leur manière d’agir et leur utilité dans l’économie végétale diffèrent essentiellement des premiers, et que d’ailleurs on les emploie souvent seuls pour activer la végétation.

Il résulte des expériences rigoureuses que M. de Saussure a faites sur les substances dont se nourrissent les végétaux, que les racines des plantes absorbent les sels et les extraits dissous dans l’eau.

L’absorption des sels nuisibles est d’autant plus facile et abondante, que la plante est plus languissante, faible ou mutilée. Il suit de ce principe consacré par l’expérience, que l’absorption des sucs et des sels par la plante n’est pas une faculté passive et purement physique, mais qu’elle est déterminée par les lois de la vitalité qui régissent les fonctions du végétal en vie. Ce n’est que lorsque l’action de ces lois s’affaiblit par l’état de maladie ou de langueur de la plante, que les agens extérieurs agissent sur elle d’une manière plus absolue. La plante ne pompe pas indifféremment et en même proportion toutes les substances qui sont tenues en dissolution dans l’eau, elle absorbe de préférence les moins visqueuses.

On peut conclure de ce qui précède que les plantes saines ne se comportent pas d’une manière rigoureusement passive par rapport à leurs alimens, mais qu’il y a de leur part choix et goût jusqu’à un certain point : les lois physiques y prédominent d’autant plus au détriment de l’organisation vitale, que la plante est plus languissante.

Toutes les substances molles ou fibreuses du végétal sont évidemment le produit de l’élaboration qui se fait dans ses organes, des sucs et des gaz qui le nourrissent. Les matières salines qu’on y trouve sont, pour la plupart, sans altération, et telles que le sol les a fournies.

Quelle que soit la variété que nous présentent les produits végétaux, les élémens qui les composent sont peu nombreux ; on n’y trouve que de l’oxigène, du carbone, de l’hydrogène et de l’azote, combinés dans des proportions différentes ; quelques centièmes en plus ou en moins dans les proportions de ces principes constituans, établissent souvent une différence immense entre les produits. C’est ce qui fait que, la plus légère altération produite dans les organes donne lieu à la formation de nouveaux composés qui ne ressemblent plus aux premiers.

Personne n’a contesté jusqu’ici que les sucs les huiles, les résines, la fibre et autres parties essentiellement végétales, ne fussent un résultat du travail des divers organes de la plante, et que les élémens de ces composés ne fussent ceux des corps dont la plante se nourrit et qu’elle combine d’une manière particulière et conforme à son organisation ; il n’y a donc en tout cela aucune création, il y a simplement décomposition d’un côté, et, de l’autre nouvelle combinaison des élémens dans d’autres proportions.

Plusieurs physiciens d’ailleurs très-estimables ont prétendu qu’il se formait, par l’acte même de la végétation, des sels et des terres ; mais à mesure que la science a fait des progrès, on a pu voir qu’aucune des expériences qu’on cite à l’appui de cette doctrine n’était rigoureuse. Les uns ont arrosé des plantes avec de l’eau distillée, les autres les ont élevées dans du sable lavé ; presque tous leur ont laissé le libre contact de l’atmosphère : plusieurs ont analysé, avec plus ou moins de soin, le sol sur lequel ils faisaient croître ces plantes ; presque tous ont conclu que les sels et les terres qu’on trouvait dans le végétal, et dont on ne pouvait pas démontrer l’existence ou la même quantité dans les diverses substances qui avaient concouru à la végétation étaient l’ouvrage de la plante ; mais l’atmosphère, souvent agitée, ne déplace-t-elle pas constamment des sels et des terres qu’elle dépose sur les plantes ? La poussière qu’elle emporte ne salit-elle pas les lieux les plus élevés ? L’eau la mieux distillée, soumise à l’action de la pile galvanique, contient des atomes d’alcali et de terre, d’après les belles observations de M. Davy.

MM. Schrader et Braconot ont publié des résultats de leurs expériences, d’après lesquels ils ont été portés à croire qu’il y avait création de sels et de terres dans les organes du végétal ; mais M. Lassaigne a constaté que les plantes développées donnaient les mêmes sels et les mêmes terres que ceux que contenaient les graines dont elles provenaient.

M. Th. de Saussure, dont l’opinion est d’un grand poids sur ces matières, a prouvé que les plantes ne créaient aucune de ces matières.

D’ailleurs, si la formation de certains sels était un attribut de la plante, pourquoi le salsola ne donnerait-il plus de sel marin lorsqu’il est éloigné des bords de la mer ? Pourquoi, dans de semblables circonstances le tamarisc ne fournirait-il plus de sulfate de soude ? Pourquoi enfin le tournesol resterait-il dépourvu de salpêtre sur un sol qui n’en contient point ?

Mais quoi qu’il en soit de cette doctrine, deux vérités pratiques nous sont connues : la première, c’est que quelques sels entrent, pour ainsi dire, comme élémens naturels dans la composition de quelques plantes, puisqu’elles languissent dans les terres qui en sont dépourvues, et qu’elles les absorbent en abondance par-tout où elles les trouvent ; la seconde, c’est que les sels doivent être inséparables des engrais, qui agissent d’autant mieux qu’ils en contiennent davantage, pourvu que leur proportion n’excède pas les besoins du végétal, et que leur action irritante ne soit pas trop forte.

Je pourrais ajouter que la plante absorbe de préférence le sel qui est le plus analogue à sa nature. Le salsola, qui croît à côté du tamarisc, pompe le sel marin, tandis que le tamarisc s’empare du sulfate de soude. De là vient que l’analyse des plantes qui ont été élevées sur le même terrain ne fournit point les mêmes sels, ou que du moins elle les présente avec une grande différence dans les quantités.

Les sels sont nécessaires au végétal ; ils facilitent tellement l’action de ses organes, qu’on les emploie souvent sans mélange, et c’est dans cet état que je vais à présent les considérer.

La pierre à chaux, soumise à l’action du feu, perd l’acide carbonique, qui est un de ses principes constituans, et il en résulte une pierre blanchâtre, opaque et sonore, qui a une saveur âcre et brûlante, absorbe l’eau avec bruit et chaleur, et forme avec elle une pâte, qui est un véritable hydrate.

La bonne pierre à chaux peut perdre jusqu’à cinquante pour cent de son poids par la calcination ; mais il est rare que la chaleur des fours des chaufourniers la réduise de plus de trente-cinq à quarante pour cent lorsque le carbonate est sec.

Dès que la chaux est exposée à l’air, elle en absorbe assez promptement l’humidité ; elle se fendille et se divise peu-à-peu ; elle pompe l’acide carbonique contenu dans l’atmosphère, et se réduit insensiblement en poudre impalpable.

De cette manière, la chaux reprend les principes qu’elle avait perdus par la calcination, et se reconstitue pierre à chaux ou carbonate calcaire sans en reprendre la dureté. À mesure que la recomposition s’opère, la chaux perd les propriétés qu’elle avait acquises par l’action du feu ; elle cesse d’être âcre, caustique et brûlante ; sa solubilité dans l’eau diminue, et son affinité pour ce liquide devient presque nulle.

C’est sur-tout la chaux éteinte à l’air qu’on emploie en agriculture ; la chaux vive détruirait les plantes, à moins qu’elle ne soit combinée avec des engrais qui en modèrent l’action, ou avec des corps qui puissent lui fournir de l’acide carbonique pour la saturer.

Nous devons à M. Davy des expériences qui jettent un grand jour sur la manière d’agir de la chaux dans la végétation : il a prouvé que les matières fibreuses végétales, épuisées de toutes les parties que l’eau peut en dissoudre, présentaient de nouveau des parties solubles après qu’on les avait laissées macérer avec la chaux pendant quelque temps.

Ainsi, toutes les fois qu’on veut approprier à la nourriture des plantes les bois secs et les racines ou tiges fibreuses des plantes, l’emploi de la chaux peut être très-efficace. La pierre à chaux broyée et la chaux complètement régénérée à l’état de carbonate ne produisent pas cet effet : il faut employer la chaux éteinte à l’eau, la délayer avec de nouvelle eau, et la mêler avec les matières fibreuses, pour les laisser réagir pendant quelque temps.

Dans les cas dont nous venons de parler, la chaux rend donc solubles et approprie à la nourriture de la plante des substances qui, dans leur état naturel, ne jouissent pas de ces propriétés : sous ce rapport, son emploi peut être fort utile.

Ainsi, lorsqu’on veut disposer des végétaux ligneux et fibreux à former des engrais, on peut se servir de la chaux avec avantage.

S’il s’agit d’employer comme engrais des substances soit végétales, soit animales, qui soient naturellement solubles dans l’eau, leur mélange avec la chaux forme de nouvelles combinaisons qui les dénaturent complétement, mais qui peuvent devenir, avec le temps, très-propres à la nutrition des plantes. Ceci exige quelques développemens.

La chaux forme des composés insolubles à l’eau avec presque toutes les substances animales ou végétales molles, qui peuvent se combiner avec elle ; sous ce rapport, elle détruit ou diminue sensiblement la propriété fermentescible de la plupart ; mais ces mêmes composés, exposés à l’action continue de l’air et de l’eau, s’altèrent néanmoins avec le temps ; la chaux passe à l’état de carbonate ; les matières animales ou végétales se décomposent peu-à-peu, et fournissent de nouveaux produits qui peuvent fournir des alimens à la plante : de sorte que la chaux présente dans ce cas deux grands avantages pour la nutrition, le premier, de disposer certains corps insolubles à former, par leur décomposition, des composés solubles dans l’eau ; le second, de prolonger l’action et la vertu nutritive des substances animales et végétales molles au-delà du terme qu’elles auraient si on ne les faisait pas entrer en combinaison avec la chaux.

On trouve un exemple bien frappant des faits que je viens d’énoncer dans quelques opérations qui se pratiquent dans les ateliers de l’industrie : lorsqu’on veut enlever à des sucs végétaux l’extractif et l’albumine qu’ils contiennent, on emploie un lait de chaux, qui se combine avec ces substances et les ramène à la surface du liquide sous la forme d’une écume épaisse, insoluble ; cette écume, portée en cet état dans les champs, fait périr les plantes ; mais lorsqu’on la dépose dans une fosse et qu’on la laisse fermenter pendant un an, elle forme alors un des engrais les plus puissans que je connaisse. J’ai constaté ce fait pendant douze ans dans ma fabrique de sucre, en employant de cette manière les écumes abondantes qu’on retire par la première opération qui s’exécute sur le suc de la betterave.

D’après la manière d’agir de la chaux, telle que je viens de l’exposer, nous pouvons tirer des conséquences sur ses usages et sur la manière de l’employer, lesquelles sont conformes à ce que l’expérience la plus éclairée a fait connaître jusqu’ici.

Il est reconnu que la chaux est principalement utile dans les jachères qu’on rompt, dans les prairies, soit naturelles soit artificielles, qu’on défriche, dans les terrains bourbeux qu’on met en culture. On sait que, dans tous ces cas, il existe dans la terre une quantité plus ou moins considérable de racines, que leur mélange avec la chaux peut disposer à servir presque immédiatement d’engrais, par la solubilité qu’elle donne aux nouveaux produits qui se forment ; mais on ne peut obtenir cet effet ni en répandant la chaux en même temps que la semence, ni en la jetant sur le sol sans l’y enterrer, ni en saupoudrant les plantes déjà développées ; il faut la répandre sur la terre avant le premier labour, et ne l’employer qu’à mesure qu’on peut l’enterrer, pour qu’elle n’ait pas le temps de s’aérer et de s’affaiblir. Les labours subséquens la mêlent plus intimement, la mettent plus en contact avec les racines, et au bout de quelques mois, son action est presque terminée.

Indépendamment de cet effet qui, selon moi, est le premier de tous, il paraît que la chaux exerce d’autres propriétés qui en font un agent bien précieux pour l’agriculture : on ne peut pas nier que la longue existence d’une prairie et l’infertilité d’un sol marécageux ou tourbeux n’aient développé et presque naturalisé dans ces terres des peuplades d’insectes, que des labours répétés et un changement successif de végétaux ne pourraient détruire qu’à la longue, tandis que le mélange de la chaux avec la terre doit en opérer la destruction sur-le-champ. Il n’est pas douteux encore que quelques plantes échapperaient à tous les remuemens de terre et saliraient le sol et les récoltes, tandis que par la chaux on les fait promptement périr.

Il suit donc évidemment de ce qui précède, que la chaux ne peut produire ces effets qu’autant qu’on l’emploie à l’état caustique ; et pour cela on peut la préparer comme il suit :

On jette de l’eau sur les pierres de chaux, qui absorbent ce liquide avec avidité : il se produit de la chaleur ; il s’exhale de la fumée ; la pierre se fendille, etc. On humecte jusqu’à ce que les pierres soient divisées en fragmens ; peu-à-peu la masse entière est réduite en une poudre sèche, impalpable, et c’est dans cet état qu’il faut l’employer.

Pour préserver l’agriculteur des mauvais effets que produit sur la poitrine cette poudre volatilisée, on peut la mêler avec de la terre humide et l’employer en cet état. À mesure qu’on répand la chaux sur le sol il faut l’enterrer à la charrue pour lui conserver toutes ses propriétés.

L’usage d’employer la chaux éteinte à l’air et conséquemment ramenée à l’état d’un sous-carbonate, se propage en France d’année en année et produit de bons résultats. Elle agit sans doute alors d’une manière moins active ; mais son emploi exige beaucoup moins de précautions et ne présente aucun inconvénient.

Dès que la chaux est éteinte à l’air et réduite en poudre impalpable, on la mêle le plus souvent avec les fumiers, et elle produit les meilleurs effets : elle corrige l’acidité de quelques-uns d’entre eux, tels que ceux qui proviennent de la décomposition de quelques fruits, du marc de raisin, etc. ; elle absorbe les sucs qui s’écoulent en pure perte ou qui se décomposeraient trop promptement ; elle fixe les gaz qui se perdraient dans l’atmosphère. Ce mélange répandu dans les champs excite la végétation, échauffe les terres froides, divise les sols compactes, maîtrise la fermentation des engrais, et fournit peu-à-peu à la plante, et selon ses besoins, les principes nutritifs dont il est imprégné.

La chaux, qui dans cet état n’a pas perdu complétement la propriété de se dissoudre dans l’eau, est entraînée dans la plante par ce liquide, et y produit les bons effets qui sont dus aux substances salines employées à petites doses.

La pierre à chaux saturée d’acide carbonique, quoique réduite en poudre, ne produit aucun des bons effets qui appartiennent à la chaux vive et à la chaux éteinte à l’air. On peut tout au plus l’employer comme amendement pour ameublir une terre compacte, faciliter l’écoulement des eaux et mieux disposer le sol aux labours, etc.

La pierre à chaux contient souvent de la magnésie, qui modifie singulièrement l’action de la chaux. M. Tennant a retiré jusqu’à vingt et vingt-deux pour cent de magnésie d’une pierre à chaux, dans laquelle la chaux n’était que dans la proportion de vingt-neuf à trente et un pour cent, en versant sur ce mélange des deux terres un peu moins d’acide nitrique étendu d’eau qu’il n’en faut pour la saturation : la liqueur reste trouble et de couleur blanchâtre.

J’ai constamment observé que lorsque les terres, de quelque nature qu’elles soient, contenaient de la magnésie, les eaux qui en recouvraient la surface étaient toujours blanchâtres, et que la moindre agitation par le vent leur ôtait toute transparence. C’est ce qu’on appelle des eaux blanches, lorsqu’elles forment des étangs ou des mares.

Les terres magnésiennes sont peu fertiles. Lorsqu’on emploie pour l’usage de l’agriculture de la chaux qui contient de la magnésie, alors ses effets ne sont plus les mêmes. Pour se rendre raison de cette différence d’action, il faut considérer que la magnésie a moins d’affinité avec l’acide carbonique que n’en a la chaux, que conséquemment lorsque ces deux terres sont mêlées ensemble, la magnésie conserve sa causticité jusqu’à ce que la chaux soit saturée d’acide carbonique et ramenée à l’état de pierre à chaux : d’où il suit que la magnésie peut conserver long-temps sa vertu caustique et exercer son action délétère sur les végétaux.

L’emploi du plâtre comme engrais des prairies artificielles est une des plus précieuses conquêtes qu’ait faites l’agriculture. L’usage en devient général en Europe. Il a même été introduit en Amérique, où Franklin le fit connaître à son retour de Paris : il voulut frapper de ses effets les yeux de tous les cultivateurs, et sur un champ de luzerne placé près d’une grande route aux environs de Washington, ce célèbre physicien écrivit en gros caractères formés par la poussière de plâtre : ceci a été plâtré. La prodigieuse végétation qui se développa dans la partie plâtrée fit adopter de suite cette méthode. Des volumes sur les vertus du plâtre n’eussent pas produit une aussi prompte révolution : depuis ce moment, les Américains tirent une grande quantité de plâtre de Paris.

Il est néanmoins des contrées où l’on a fait l’essai du plâtre sans succès, ce qui paraît tenir à ce que le sol en contient naturellement, et que dès-lors l’addition d’une nouvelle quantité ne peut produire aucun changement sensible : l’analyse des terres sur lesquelles le plâtre ne produit que peu ou point d’effet, a prouvé jusqu’ici que ce sel y existait naturellement.

Le plâtre est un composé d’acide sulfurique et de chaux, contenant plus ou moins d’eau de cristallisation.

Une chaleur modérée le prive de son eau et le rend opaque, on peut alors le réduire en poudre et l’employer dans cet état. Quoique le plâtre cuit absorbe l’eau avec avidité et prenne de la consistance par ce mélange, on peut le garder plusieurs mois sans que ses propriétés s’altèrent sensiblement ; il ne s’agit que de le conserver dans des tonneaux bien fermés.

On emploie également le plâtre cru broyé avec soin, il y a même des agriculteurs qui lui attribuent les mêmes effets qu’à celui qui est cuit. Je les ai essayés comparativement, et j’ai observé que le plâtre cuit avait produit sensiblement un peu plus d’effet la première année ; mais pendant les trois années qui ont suivi, la différence m’a paru nulle.

On répand la poussière de plâtre à la main au moment où les feuilles des plantes commencent à couvrir le sol, et l’on profite assez généralement d’un temps légèrement pluvieux pour faire cette opération. On croit qu’il est avantageux que les feuilles soient un peu mouillées, pour que la surface en retienne une légère couche.

L’effet du plâtre se fait sentir pendant trois à quatre ans ; on peut en renouveler l’usage et ranimer la végétation après ce terme. La quantité qu’on en emploie est ordinairement de cent cinquante à cent soixante kilogrammes par demi-hectare.

On a beaucoup disserté jusqu’ici sur les effets du plâtre : les uns ont prétendu qu’on devait attribuer son action à la force avec laquelle il absorbe l’eau ; mais il solidifie ce liquide, et il ne le lâche ni à l’air par la chaleur atmosphérique, ni à aucun autre corps ambiant : cette doctrine ne paraît donc pas fondée. D’ailleurs si son action était celle dont il nous parlons, son effet serait momentané et cesserait après les premières pluies, ce qui est contraire à l’expérience. En outre le plâtre cru n’a pas la propriété d’absorber l’eau ; cependant il produit à-peu-près le même effet que le plâtre cuit. La chaux prend l’eau avec plus d’activité que le plâtre et ne produit pas des effets aussi marqués.

D’autres ont pensé que le plâtre n’agissait qu’en favorisant la putréfaction des substances animales et la décomposition des engrais ; mais M. Davy a réfuté cette opinion par des expériences directes, qui ont mis hors de tout doute que le mélange du plâtre avec les engrais animaux ou végétaux n’en facilite point la décomposition.

D’autres enfin ont attribué l’effet du plâtre à sa vertu stimulante : ceux-ci rentrent pleinement dans l’opinion que je m’en suis formée ; mais il reste toujours à expliquer pourquoi ce sel, qui n’est pas aussi stimulant que beaucoup d’autres, produit néanmoins des effets supérieurs ; pourquoi son action se maintient pendant plusieurs années, tandis que celle des autres s’épuise en moins de temps ; pourquoi ce sel ne dessèche jamais les plantes, tandis que les autres les brûlent et les font périr lorsqu’on les emploie en grande quantité : ce sont là des problèmes qu’il nous reste à résoudre, et ce n’est pas dans la seule propriété stimulante qu’on en trouvera la solution[2].

Jusqu’ici on a suffisamment constaté les bons effets du plâtre, et l’agriculture s’est enrichie d’une découverte fort importante : le fait suffit sans doute au cultivateur, et ce n’est pas le seul sur lequel la théorie ne peut rien ajouter à la pratique.

Je donnerai cependant quelques idées sur l’action du plâtre, et je les publie avec d’autant plus de confiance, qu’elles me paraissent déduites d’analogies qu’on ne peut pas révoquer en doute.

Il est prouvé que les sels à base de chaux et d’alcali sont les plus abondans dans les plantes. L’analyse nous a pareillement démontré que ces différens sels n’existaient pas dans les mêmes proportions, ni dans les plantes de diverses natures, ni dans les différentes parties du même végétal.

D’un autre côté, l’observation nous fait voir chaque jour que pour que les substances salines soient avantageuses au végétal, il ne faut pas qu’elles s’y présentent en proportion démesurée : ainsi, si l’on confie à la terre une trop grande quantité de sels facilement solubles dans l’eau, la plante en souffre et dépérit, et si on l’en prive totalement, elle languit : un peu de sel marin mêlé au fumier ou répandu sur le sol excite et anime les organes de la plante et facilite la végétation ; trop de sel produit sur elle un effet pernicieux.

Si à présent nous considérons que les sels ne peuvent agir sur la plante qu’autant qu’ils sont naturellement solubles dans l’eau qui les y transporte, on concevra que les sels qui sont peu solubles dans l’eau doivent être les plus avantageux à la plante.

L’eau ne pouvant dissoudre à-la-fois qu’une faible quantité de ces engrais salins, les charie en tout temps dans la même proportion ; leur effet est égal et constant, et il se maintient jusqu’à ce que le sol en soit épuisé : leur action se prolonge d’autant plus long-temps que le sol en est plus abondamment pourvu, et la plante n’est jamais exposée à en recevoir plus qu’elle n’en a besoin.

La solubilité du plâtre dans l’eau paraît présenter ce tempérament si désirable : trois cents parties d’eau ne peuvent en dissoudre qu’une de ce sel ; son action est dès-lors constante et égale sans être nuisible ; les organes du végétal sont excités par ce sel sans en être irrités ou corrodés, tandis que lorsque les sels sont très-solubles, l’eau s’en sature et les charie en abondance dans le végétal, où ils produisent les plus grands dégâts.

La plupart des sels qu’on retrouve dans la plante ne lui servent point d’aliment ; ils ne lui sont utiles, en général, qu’en stimulant ses organes et en facilitant ses digestions : les animaux qui jouissent de la faculté locomotive se procurent aisément les sels, les stimulans, et tout ce qui est utile à leurs fonctions ; ils ne les prennent qu’à des doses et dans des proportions convenables ; mais la plante n’a pour intermédiaire que l’air et l’eau, et ce dernier liquide lui transmet sans discernement tout ce qu’il peut dissoudre dans la terre : d’où il suit que les meilleurs de tous les engrais salins sont ceux qu’elle ne peut dissoudre que peu-à-peu.

Ce principe est applicable à tous les engrais, quelle qu’en soit la nature.

Il y a néanmoins cette différence entre les engrais purement nutritifs et les engrais salins ou stimulans, c’est que si les premiers surabondent, la plante s’en surcharge ; elle en absorbe trop pour pouvoir les digérer convenablement, elle prend une sorte d’obésité qui rend lâche, mou, spongieux le tissu de ses organes, et ne leur permet point de donner à leurs produits la consistance et les qualités convenables. Lorsque les engrais stimulans sont répandus dans le sol en trop grande quantité, et sur-tout s’ils sont trop solubles dans l’eau, la plante les reçoit en trop grande abondance, et ses organes sont bientôt desséchés.

Le degré le plus convenable de solubilité des engrais est celui qui régularise la nutrition, en ne fournissant que graduellement aux besoins de la plante : c’est ce qui arrive lorsque les engrais animaux et végétaux se décomposent lentement pour être dissous peu-à-peu par l’eau, et lorsque les engrais salins sont peu solubles.

Celles des substances animales qui se décomposent le plus lentement, et qui, par leur décomposition, donnent constamment naissance à des produits solubles, sont les meilleurs de tous les engrais ; les os, les cornes, les laines en sont une preuve : ces substances ont l’avantage de présenter à la plante un aliment avantageux, presque toujours combiné avec un stimulant tel que l’ammoniaque, dont la vertu trop irritante est constamment tempérée par sa combinaison avec l’acide carbonique ou avec les matières animales elles-mêmes.

Les cendres de tourbe et celles de charbon de terre produisent des effets merveilleux sur les prairies artificielles : les premières contiennent quelquefois du plâtre ; mais souvent on n’y trouve que de la silice, de l’alumine et de l’oxide de fer. J’ai retiré du sulfure de chaux par l’analyse des cendres du charbon de terre.

Les cendres de nos foyers domestiques provenant de la combustion du bois, présentent des résultats très-remarquables : lorsqu’elles n’ont pas été lessivées, elles sont beaucoup plus actives ; mais dépouillées par l’eau de presque tous les sels qu’elles contiennent et employées en cet état sous le nom de charrée, elles produisent encore de grands effets. C’est sur-tout dans les terres humides et sur les prairies que leur action est la plus puissante ; non-seulement elles facilitent la végétation des bonnes plantes, mais leur emploi constant et suivi pendant quelques années détruit les mauvaises herbes. C’est ainsi qu’on parvient à extirper les joncs d’un pré dont le sol est constamment abreuvé d’eau, et qu’on les y remplace naturellement par le trèfle et autres plantes de bonne qualité.

Les cendres de bois réunissent le double avantage d’amender, de diviser, de sécher un terrain trop humide et trop glaiseux, et de provoquer la végétation par les sels qu’elles contiennent.



  1. On appelle compost le mélange, par couches, de différentes sortes d’engrais, nous en parlerons par la suite.
  2. On peut voir, dans le rapport de M. Bosc sur l’emploi du plâtre, les observations adressées au Conseil royal d’agriculture par presque tous les correspondans de ce Conseil.