Chimie appliquée à l’agriculture/Chapitre 01

Madame Huzard (Tome 1p. 1-31).

CHAPITRE PREMIER.


VUES GÉNÉRALES SUR L’ATMOSPHÈRE, CONSIDÉRÉE DANS SES RAPPORTS AVEC LA VÉGÉTATION.




Pour bien juger de l’influence que l’atmosphère exerce sur la végétation, il faut d’abord connaître les propriétés particulières et caractéristiques de chacun des élémens qui la composent, et étudier ensuite leur action sur les corps terrestres.

Le gaz azote et l’oxigène sont les deux fluides qui composent essentiellement l’atmosphère ; on les y trouve dans les mêmes proportions jusqu’aux plus hautes régions auxquelles on ait pu parvenir. M. Gay-Lussac a établi cette vérité sur l’analyse comparée de l’air puisé à trois mille six cents toises d’élévation au-dessus de la terre, et de celui qui est à sa surface.

L’atmosphère contient encore d’autres fluides qui y existent constamment, mais dans des proportions très-variables : l’acide carbonique et l’eau, les fluides électrique et magnétique, le calorique et la lumière, sont les principaux.

Ces derniers fluides ont une influence très-marquée sur la végétation et sur tous les phénomènes que présentent les corps terrestres ; et quoiqu’ils n’entrent pas essentiellement dans la composition de l’atmosphère, leur action est tellement liée à celle de ses principes constituans, qu’elle en est presque inséparable.

J’ai donc pensé que, pour mieux connaître l’action de l’atmosphère, je devais parler séparément des propriétés principales de tous les fluides qu’elle contient, pour en faire ensuite les applications aux phénomènes que nous présente l’agriculture.


ARTICLE PREMIER.


Des fluides pondérables contenus dans l’atmosphère.


Les fluides pondérables contenus dans atmosphère sont les gaz azote et oxigène, l’acide carbonique et l’eau.

I°. Le gaz azote forme près des quatre cinquièmes de la composition atmosphérique, et par une bizarrerie bien étrange, c’est celui de tous qui paraît exercer le moins d’influence sur les substances des trois règnes. On le trouve en assez petite quantité dans quelques produits des végétaux, et abondamment dans ceux des animaux ; mais jusqu’ici les recherches les plus exactes n’ont pu prouver qu’une faible absorption de ce gaz par les plantes et les animaux.

L’existence de l’azote dans quelques produits de la végétation paraît due en partie à la portion de ce gaz que l’air atmosphérique entraîne dans la plante à l’aide de l’eau qui le tient en dissolution, et en partie aux engrais nutritifs, dont il forme souvent un des principes constituans.

Dans les animaux, où l’azote est plus abondant que dans les plantes, les alimens dont ils se nourrissent, et l’acte de la respiration, concourent également à rendre raison de sa présence dans ces corps.

Les expériences de MM. de Humboldt et Provençal sur les poissons, celles de Spallanzani sur quelques reptiles, et celles de MM. Davy, Pfaff, Enderson, Edwards, Dulong, etc., sur l’homme, ne laissent plus de doute sur l’absorption de l’azote dans la respiration ; mais cette absorption est inégale, peu régulière, variable selon les circonstances, de manière qu’on ne peut pas l’assimiler à celle de l’oxigène, du moins quant à ses effets sur l’économie animale et végétale.

Le peu d’importance de l’action connue de l’azote est loin d’expliquer la profusion avec laquelle la nature l’a répandu dans l’atmosphère ; on dirait qu’elle en a fait un immense magasin, dans lequel sont reçus tous les gaz, toutes les émanations, toutes les vapeurs qui s’élèvent de la surface de la terre, et qui en sont extraits au besoin, soit pour entretenir la vie des animaux, soit pour faciliter la végétation et produire les nombreux phénomènes de composition et de décomposition qui renouvellent sans cesse la surface du globe.

La pesanteur spécifique du gaz azote pur est à celle de l’air dans le rapport de neuf mille six cent quatre-vingt-onze à dix mille.

2°. Le gaz oxigène forme à-peu-près la cinquième partie de l’atmosphère. Sa pesanteur spécifique est à celle de l’air comme onze mille trente-six à dix mille.

Les fonctions de l’oxigène sont aussi nombreuses qu’importantes.

Le gaz oxigène entretient la vie des animaux par la respiration, et en se combinant avec le carbone du sang, il produit en grande partie la chaleur animale : il détermine la germination des graines : il est absorbé par les feuilles pendant la nuit : il oxide les métaux en se combinant avec eux.

Le gaz oxigène est l’agent nécessaire de toute combustion, et concourt puissamment à la décomposition de toutes les substances animales, végétales et minérales.

Dans tous les cas où l’oxigène exerce son action, il se combine avec quelqu’un des élémens des corps sur lesquels il agit, et forme des acides avec le carbone, l’azote, le soufre, le phosphore et plusieurs métaux, et de l’eau avec l’hydrogène, etc.

La nature des composés où l’oxigène entre comme élément, varie d’après les proportions dans lesquelles il s’y trouve en combinaison.

Lorsqu’on envisage l’étendue et l’importance des fonctions que remplit le gaz oxigène, et sur-tout lorsqu’on considère que toutes les fois qu’il agit, il se forme de nouveaux corps qui n’ont plus de rapport avec lui, on serait tenté de craindre que l’atmosphère ne s’épuisât tôt ou tard de ce principe actif et régénérateur ; mais la nature répare sans cesse les pertes qui s’en font, par la production de quantités équivalentes : les feuilles des plantes, frappées par la lumière solaire, versent continuellement dans l’atmosphère des torrens de gaz oxigène qui proviennent de la décomposition de l’acide carbonique et de l’eau, dont elles s’approprient le carbone et l’hydrogène.

Il est possible, sans doute que, dans beaucoup de localités, la reproduction de l’oxigène ne soit pas en rapport avec sa déperdition, c’est ce qui arrive par-tout où il s’en fait une grande consommation par la respiration ou la combustion ; mais cet effet ne peut être que partiel et momentané, car la grande mobilité du fluide atmosphérique rétablit bientôt l’équilibre sur tous les points ; les vents, qui brassent l’atmosphère en tous sens, en mêlent les élémens, et on y trouve par-tout, et dans des proportions à-peu-près constantes, les principaux fluides qui la composent.

Il n’y a ni création ni destruction d’aucun élément dans les opérations de la nature. Les nombreux phénomènes de composition et de décomposition qui ont lieu à la surface du globe, ne présentent qu’un déplacement continuel de principes et de nouvelles combinaisons qui se forment d’après des lois fixes, éternelles, immuables : ainsi la nature se régénère sans s’appauvrir, et la matière n’éprouve que des changemens qui se reproduisent périodiquement et uniformément, surtout dans les corps organisés.

3°. L’acide carbonique paraît exister constamment dans le fluide atmosphérique ; il ne paraît y avoir de différence que dans les proportions sous lesquelles il s’y trouve.

Quoique beaucoup plus pesant que l’azote et l’oxigène, puisque son poids, sous le même volume, est à celui de ce dernier comme mille cinq cent vingt à mille, on le trouve disséminé dans toutes les régions de l’atmosphère. M. de Saussure, le père, l’a retiré de l’air, par l’eau de chaux, sur le sommet du Mont-Blanc.

Il n’est donc pas douteux que, dans la composition de l’atmosphère, les proportions du gaz azote et du gaz oxigène sont plus constantes et presque invariables ; mais il paraît prouvé que l’acide carbonique s’y trouve à toutes les hauteurs dans des proportions différentes.

M. Th. de Saussure a comparé l’état proportionnel de l’acide carbonique dans l’atmosphère, qu’il a analysée en été et en hiver, et il a obtenu les résultats suivans :

En hiver :

31 janvier 1809, 10,000 parties d’air contenaient 
4,570 ac. car.
2 février 1811 
4,660
7 janvier 1812 
5,140

Le terme moyen en hiver, sur 10,000 parties d’air, était :

En volume 
4,790
En poids 
7,280

En été :

20 août 1810, 10,000 parties d’air contenaient 
7,790 ac. car.
27 juillet 1811 
6,470
15 juillet 1815 
7,150

Le terme moyen en été, sur 10,000 parties d’air, était :

En volume 
7,130
En poids 
10,830

Sans doute, lorsque l’air est tranquille, ou lorsque l’acide carbonique, qui se forme si abondamment par la fermentation, la respiration, la combustion, etc., est retenu dans des lieux clos, la quantité de cet acide doit excéder ses proportions ordinaires ; mais du moment que l’agitation ou les vents peuvent le mêler dans l’atmosphère, il se répartit et se dissémine sur tous les points d’après des lois constances.

Hors des cas extraordinaires dont nous venons de parler, et qui font exception, l’acide carbonique n’existe dans l’air que dans la proportion d’un cinq centième au plus.

L’acide carbonique est sans cesse absorbé par les feuilles des plantes ; elles le décomposent, s’approprient son carbone, et versent dans l’atmosphère le gaz oxigène.

L’acide carbonique se combine avec la chaux dans les mortiers frais, et la fait repasser à l’état primitif de pierre à chaux.

L’acide carbonique se dissout dans l’eau qu’il rend légèrement acide ; ce liquide en dissout à-peu-près son volume sous la pression de l’atmosphère ; mais lorsque la dissolution est forcée par la compression, il peut en dissoudre beaucoup plus, et alors le liquide qui en est chargé mousse comme le vin de Champagne, qui ne doit cette vertu qu’à l’acide carbonique produit par la fermentation du vin dans des bouteilles bien bouchées.

On est même parvenu, par de nouvelles expériences, à réduire, par la pression, le gaz acide carbonique à l’état liquide.

4°. L’eau existe dans l’atmosphère sous forme de fluide élastique. Lorsqu’on l’absorbe par des corps qui ont avec elle une grande affinité, tels que le muriate de chaux calciné, la portion d’air qu’on a ainsi desséchée diminue de poids et de volume, d’après MM. de Saussure père, et Davy.

La quantité de fluide aqueux qui est répandu dans l’air, varie selon la température de l’atmosphère ; elle est d’autant plus considérable que celle-ci est plus élevée. À dix degrés, elle forme en volume à-peu-près le du fluide atmosphérique ; et comme sa densité est à celle de ce fluide dans le rapport de dix à quinze, elle constitue environ le de son poids (Davy).

Le fluide aqueux peut former, à la température atmosphérique de trente-quatre degrés, du volume de l’air, et de son poids.

Dans son beau Traité sur l’hygrométrie, M. de Saussure, père, a déterminé le poids de l’eau contenue dans un pied cube d’air à divers degrés de température, et a dressé le tableau suivant.

Degrés de l’hygromètre. Poids de l’eau contenue dans un pied cube d’air, à 15,2 du therm. de Réaumur. Poids de l’eau contenue dans un pied cube d’air, à 6,2 du therm. de Réaumur.
grains. grains.
10 0,4592 0,2545
20 1,0926 0,6349
30 1,7940 1,0833
40 2,5634 1,5317
50 3,4852 2,0947
60 4,6534 2,7159
70 6,3651 3,3731
80 8,0450 4,0733
90 9,7250 4,9198
98 11,06900 5,6549

« Par conséquent, ajoute M. de Saussure, je ne crois pas que l’on s’écarte beaucoup de la vérité en assignant onze grains d’eau par pied cube d’air saturé à la température de quinze degrés de Réaumur.

» La dissolution de ces onze grains d’eau dans un pied cube d’air à la température de quinze degrés, ont augmenté la tension de l’air, et le baromètre, qui avant était à vingt-sept pouces, est monté à vingt-sept pouces 5lig.79,411, c’est-à-dire à environ vingt-sept pouces six lignes : par conséquent la tension de l’air, ou son volume dans le récipient, était augmenté de environ. »

Lorsque la température de l’air diminue, le fluide aqueux en est en partie exprimé ; il paraît alors dans l’atmosphère sous forme de vapeurs ; il se précipite à l’état de rosée, et c’est ainsi que la fraîcheur des nuits, pendant l’été, ranime la végétation, et répare l’état de langueur qu’une chaleur trop forte a produit, pendant le jour, sur les végétaux.

L’oxigène et l’azote ont été rangés jusqu’ici parmi les corps simples, tandis que l’acide carbonique et le fluide aqueux sont des composés, dont les principes constituans sont connus, et qu’on forme et décompose à volonté.

Cent parties acide carbonique contiennent :

Carbone 
27,36
Oxigène 
72,64

Cent parties eau contiennent :

Hydrogène 
11,06
Oxigène 
88,94

L’oxigène et l’azote constituent essentiellement l’atmosphère, puisqu’on en séparant les deux autres principes par des agens chimiques, elle conserve presque tous ses caractères de forme et d’élasticité, etc. ; mais alors elle perd ses propriétés principales sur la végétation, de sorte que toutes les substances qui existent dans l’atmosphère sont nécessaires pour produire et renouveler les phénomènes que nous présentent les trois règnes de la nature.

Des quatre principes qui se trouvent dans l’atmosphère, et dont je viens de parler, le fluide aqueux est celui qui y paraît le moins adhérent, ou le moins lié aux autres ; le seul changement de température en fait varier les proportions à l’infini ; tandis que l’azote, l’oxigène et l’acide carbonique s’y maintiennent toujours à-peu-près dans les mêmes rapports, et aucun moyen de pression ni de variation de température ne peut les désunir ou les extraire séparément.

Le fluide aqueux ne s’élève pas à une grande hauteur dans l’atmosphère ; car, au rapport des physiciens qui sont parvenus, à l’aide des aérostats, à des régions très-hautes, l’air y est très-sec, et pompe avec une telle avidité l’humidité des planches des nacelles, qu’elles se dessèchent et se fendillent comme si on les avait exposées à une forte chaleur ; ce qui provient de l’effet combiné de la diminution de pesanteur de l’air et de sa sécheresse.

La manière dont les élémens atmosphériques sont liés entre eux est toute particulière : assez unis pour ne pas se placer en raison de la différence de leurs pesanteurs spécifiques, et pour ne pas se séparer par la pression ou l’agitation tumultueuse de l’air, leur combinaison est néanmoins si faible, que, pour les désunir et les isoler, il suffit de leur présenter des corps avec lesquels ils aient quelque légère affinité. Ainsi, si l’on enferme sous une cloche de verre un volume quelconque d’air atmosphérique, le muriate de chaux bien calciné en extrait le fluide aqueux, la combustion du phosphore absorbe le gaz oxigène, l’eau de chaux ou les alcalis caustiques se combinent avec l’acide carbonique, et il ne reste plus que le gaz azote, celui de tous qui a le moins de tendance aux combinaisons.

Ce faible état de combinaison entre les principes contenus dans l’atmosphère était nécessaire pour qu’ils exerçassent une action plus active, plus puissante sur tous les corps qui couvrent la surface du globe, et dont les compositions et les décompositions ne peuvent s’opérer convenablement que par eux.

Indépendamment des corps qui constituent essentiellement l’atmosphère, les émanations qui s’élèvent continuellement de la surface de de la terre, se mêlent avec l’air, d’où elles se dégagent et se précipitent dès que la chaleur, ou toute autre cause qui a produit l’ascension, vient à cesser son action.

Ces émanations, mêlées accidentellement à l’air, en altèrent la pureté ; elles modifient ses vertus ; l’oxigène et l’eau s’en imprègnent et les déposent sur des corps, avec lesquels ils entrent en combinaison ou se mettent en contact. L’origine de plusieurs maladies n’a pas d’autres causes ; le germe en est apporté par l’air ou par le fluide aqueux. C’est ainsi que dans les localités où se décomposent en abondance des matières animales et végétales, comme près des étangs et des marais, les fièvres d’accès y sont endémiques, et que les miasmes qui se dégagent de nombreux animaux en putréfaction, deviennent une cause de maladies ; c’est ainsi que, dans plusieurs circonstances, il est dangereux de respirer le serein, parce que la vapeur aqueuse qui le forme entraîne avec elle des principes malsains qui s’étaient élevés dans l’atmosphère ; c’est pour la même raison que les brouillards répandent quelquefois une mauvaise odeur. La manière dont l’air se parfume par l’arome des plantes qu’il transmet à nos organes, et l’odeur qu’il contracte par les émanations des corps en décomposition indiquent suffisamment son influence non-seulement pour produire des maladies, mais encore pour propager celles qui sont contagieuses.


ARTICLE II.


Des fluides impondérables contenus dans l’atmosphère.


Outre les substances pondérables qui constituent l’atmosphère et celles qui s’y trouvent accidentellement, elle recèle encore des fluides impondérables dont les effets nous sont moins connus, mais qui paraissent y jouer un grand rôle : le fluide électrique est de ce nombre.

1°. L’électricité se développe par le frottement et se transmet par le simple contact ; elle s’accumule dans les corps quand ils sont isolés ; elle se communique comme la chaleur lorsqu’on approche des corps électrisés de ceux qui ne le sont pas.

Les propriétés singulières du fluide électrique contenu dans l’atmosphère, et les variations fréquentes qu’il y éprouve, donnent naissance à de nombreux phénomènes, sur lesquels l’observation et l’expérience ont déjà répandu quelque lumière.

Il paraît que lorsque ce fluide est abondamment disséminé dans l’atmosphère, il exerce une grande influence sur les phénomènes de la végétation ; il excite l’action de l’oxigène, et détermine l’écoulement du fluide aqueux : M. Davy a observé que le blé germe plus vite dans l’eau chargée d’électricité positive, que dans celle qui contient le principe opposé ; et il est bien reconnu que les fermentations se développent mieux aux approches des orages, et que les liquides composés d’une aggrégation de principes peu liés entre eux, tels que le lait, se décomposent et tournent dans ces circonstances.

2°. Quelle que soit l’opinion qu’on adopte sur la nature du principe de la chaleur, il est hors de doute qu’il existe, dans l’atmosphère et dans les corps terrestres, un fluide impondérable, qui est inégalement réparti entre eux, et qui les constitue à l’état solide, liquide ou gazeux, selon l’affinité plus ou moins forte qu’ont les molécules entre elles et avec le fluide de la chaleur : c’est cet état qu’on peut regarder comme l’état naturel des corps.

Tous les corps dans leur état naturel, exposés à la même température atmosphérique, sont pénétrés d’une dose inégale du fluide de la chaleur ; mais comme ce fluide y existe comme principe, et pour ainsi dire en combinaison, il ne développe point sa propriété principale qui est la chaleur : dans cet état, on est convenu de l’appeler calorique, et il prend le nom de chaleur lorsqu’il est rendu libre et dégagé de toute combinaison.

Le calorique interposé entre les molécules des corps, tend sans cesse à les éloigner les unes des autres, et lorsqu’on l’accumule dans l’un d’entre eux au-delà de ses proportions naturelles, cet excédant agit comme chaleur ; il change la forme du corps et le fait passer successivement de l’état solide à l’état liquide, et de ce dernier à l’état de vapeur.

Les corps qui existent naturellement à l’état de gaz, et qu’on a solidifiés en les faisant entrer dans des combinaisons, reprennent leur état naturel, dès qu’on leur applique assez de chaleur pour rompre l’affinité qui les unit à la base ; mais ceux dont la constitution naturelle n’est pas celle de gaz, passent par tous les degrés intermédiaires entre leur état naturel et celui de vapeur imperceptible : ils reviennent à l’état concret, en perdant l’excès de chaleur qu’on leur avait appliqué.

On peut extraire le calorique des corps par la percussion ou la compression, comme on exprime l’eau d’une substance qui en est imbibée ; dans ce cas, on rapproche les molécules, on diminue la porosité, et conséquemment le volume du corps. Le choc et le frottement des corps durs entre eux produisent le même effet. La portion de calorique, qui, dans tous ces cas, devient libre, agit comme chaleur.

Ou peut encore abaisser ou élever la température des corps, en les mettant en contact avec d’autres corps plus froids ou plus chauds ; le fluide de la chaleur passe de l’un à l’autre, et se met en équilibre, eu égard à leurs capacités respectives, car ils en absorbent inégalement d’après leur nature.

Tous les corps ont une proportion de calorique déterminée, qui les maintient dans leur état naturel ; mais lorsque leur densité éprouve des changemens, par les variations de la température à laquelle ils sont exposés, ils perdent ou prennent du calorique, ce qui les contracte ou les dilate ; les gaz qui se solidifient en entrant dans des combinaisons ; les vapeurs qui se condensent ; les solides qui se contractent, abandonnent à l’air une portion de leur calorique, qui devient chaleur : tous ces corps en absorbent au contraire lorsqu’ils se dilatent.

Les phénomènes de composition et de décomposition qui se renouvellent sans interruption à la surface de notre globe, donnent lieu, à chaque instant, à l’émission ou à l’absorption du calorique : deux substances qui se combinent, forment un composé qui peut exiger plus ou moins de calorique que n’en contenaient ensemble les deux principes composans, et alors il y a nécessairement production de froid ou de chaud pendant l’opération ; les gaz qui se solidifient abandonnent leur calorique, et leur combinaison produit de la chaleur ; dans les combustions dont le gaz oxigène est l’agent principal, il y a constamment dégagement de chaleur, parce qu’en général le gaz forme avec les substances combustibles des composés solides ou liquides, et il abandonne une portion du calorique qui le constituait à l’état de gaz.


Ces principes posés, nous pourrons expliquer aisément une partie des effets que produisent les variations de température sur la végétation.

Les changemens de température qu’éprouve l’atmosphère, dans le courant d’une année, sont tels, que quelques liquides passent alternativement à l’état, soit de vapeur, soit de solide, et que quelques corps solides deviennent liquides.

L’effet naturel de la chaleur est de dilater les corps, d’affaiblir la force de cohésion qui en unit les molécules, et de faciliter l’action de l’affinité chimique de la part des corps étrangers pour former de nouvelles combinaisons : ainsi la chaleur rend plus fluides les sucs de la plante ; elle facilite leur mouvement dans les cellules et les tuyaux capillaires ; elle donne de l’activité aux suçoirs des racines pour absorber les sucs contenus dans la terre, etc.

Mais la chaleur a un terme au-delà duquel elle dessèche les plantes, en facilitant l’évaporation de l’eau, qui en délaie les sucs, et épaississant par là dans leurs organes quelques substances qui y étaient à l’état liquide : alors la végétation s’arrête, et la vie est suspendue. Cet effet a lieu toutes les fois qu’on éprouve de grandes chaleurs, et que la pluie, la rosée ou les irrigations, ne réparent pas suffisamment les pertes occasionnées par la transpiration ou l’évaporation.

Cet effet aurait lieu plus fréquemment, si la nature prévoyante n’avait pas employé des moyens pour modérer l’action de la chaleur : le premier de ces moyens, c’est la transpiration elle-même du végétal, qui ne peut pas avoir lieu sans enlever une grande portion de chaleur, et conserver, par ce moyen, au corps qui transpire, une température qui est au-dessous de celle de l’air. Le second moyen existe dans l’organisation des feuilles, qui sont la partie du végétal par laquelle se fait sur-tout la transpiration ; la surface des feuilles, qui est exposée aux rayons directs du soleil, est recouverte d’un épiderme épais qui repousse les rayons calorifères : dans les plantes herbacées, cette enveloppe est en grande partie siliceuse ainsi que dans les tiges des graminées ; dans d’autres végétaux, elle est analogue aux résines, à la cire, à la gomme, au miel ; et l’épiderme qui recouvre la surface opposée des feuilles est mince, transparente ; c’est par celle-ci que se font la transpiration et l’absorption des principes nutritifs qui existent dans l’atmosphère. Si l’on renverse cet ordre de choses si bien établi, et qu’on retourne une feuille de manière à lui faire présenter au soleil la surface qui y était soustraite, on la voit bientôt faire tous ses efforts pour reprendre sa position naturelle.

Lorsqu’une plante est morte, ou bien lorsqu’une plante annuelle a rempli sa destinée, qui se borne à assurer sa reproduction par la formation des graines ou fruits, alors l’action de la chaleur et des autres agens chimiques et physiques n’est plus modérée par aucune des causes dont je viens de parler, et elles reçoivent leur impression d’une manière absolue et sans modification.

Lorsque la température vient à baisser, les fluides se condensent, le mouvement des sucs se ralentit, l’activité des organes diminue, et les fonctions vitales languissent et finissent par rester suspendues, jusqu’à ce que le renouvellement des chaleurs vienne les ranimer.

L’action du froid atmosphérique, qui s’applique à la plante, est encore modérée par l’émission ou le dégagement du calorique, qui s’échappe toutes les fois que les liquides se condensent, et que les solides se contractent : c’est ce qui fait que la température des végétaux pendant l’hiver est toujours un peu au-dessus de celle de l’atmosphère.

Il arrive néanmoins quelquefois que la température atmosphérique s’abaisse à un tel point qu’il en résulte de funestes effets pour les végétaux ; on voit quelquefois la sève des arbres se convertir en glace et produire leur mort. Ces effets ne peuvent pas toujours se calculer d’après l’intensité ou le degré du froid ; ils tiennent à des circonstances toutes particulières. J’ai vu des oliviers résister à un froid de quatorze degrés centigrades, et je les ai vus périr à une température de six, parce que, dans ce dernier cas, une couche de neige qui s’était formée pendant la nuit sur les branches de l’arbre, avait été fondue par le soleil pendant le jour, et l’arbre humide fut exposé à l’action de six degrés de froid la nuit suivante.

Il n’y a rien de plus dangereux pour les plantes céréales et celles des prairies artificielles, que les gelées qui surviennent immédiatement après un dégel, parce que les plantes, encore humides et mal établies sur un sol pulvérisé par la glace, ne sont défendues en aucune manière.

3°. Sennebier a été le premier à admettre que l’influence de la lumière était nuisible à la germination, Ingenhouz a confirmé cette opinion par ses propres expériences ; mais M. de Saussure, qui a fait germer des graines sous deux récipiens, l’un opaque et l’autre transparent, s’est convaincu que la germination avait lieu dans les deux cas et dans le même temps, mais que la végétation subséquente était devenue plus vigoureuse et plus avancée sous le récipient transparent que sous l’autre.

Il est facile de concilier ces opinions, en apparence contradictoires, en séparant l’action du fluide de la lumière de celle du fluide de la chaleur : comme les plantes transpirent très-peu dans leur premier âge, si on les expose à l’influence réunie des deux fluides, la chaleur exercera sur elles toute sa force, parce que l’évaporation ne pourra pas en tempérer les effets, et leurs organes délicats en seront desséchés ; c’est pour cela que les jardiniers ont grand soin d’élever leurs semis à l’abri du soleil et de ne les y exposer que lorsque la plante développée peut modérer l’ardeur, de ses rayons par la transpiration.

Quoique l’action du fluide de la lumière sur la végétation ne paraisse pas aussi importante que celle des autres fluides dont j’ai déjà parlé, elle n’en est pas moins réelle : les végétaux élevés à l’ombre ou dans l’obscurité sont loin d’avoir la couleur, le parfum, la saveur, la consistance de ceux qui sont frappés directement par les rayons de la lumière ; et si ce fluide lumineux ne se combine pas dans les organes du végétal, on ne peut pas nier qu’il ne serve de puissant auxiliaire pour faciliter les combinaisons.

Il est généralement reconnu que les feuilles ne transpirent du gaz oxigène que lorsqu’elles sont frappées par le soleil ; on sait aussi que les fleurs ne produisent que rarement des fruits lorsqu’elles sont exposées à l’ombre ; la sensitive portée à l’ombre ferme ses feuilles comme pendant la nuit ; elle les ouvre sur-le-champ dès qu’on l’expose au soleil ou à une lumière artificielle, d’après l’observation de M. Decandolle.

Les belles découvertes de Herschell ont jeté un grand jour sur ces questions délicates : cet habile physicien a prouvé que parmi les rayons qui composent le faisceau lumineux, il y en a qui possèdent presque exclusivement la propriété d’être lumineux, et d’autres celle de donner de la chaleur ; Wollaston et Ritter ont ajouté à ces faits si importans, qu’il existait une troisième espèce de rayons qui paraissent destinés à agir sur les corps comme des agens chimiques très-puissans.

Lorsqu’on est convaincu de l’influence toute puissante qu’exerce l’atmosphère sur la végétation, et de son action sur les principales opérations qui s’exécutent dans les ménages ruraux, telles que les fermentations, la préparation de plusieurs produits, et la décomposition de quelques substances pour les approprier à des usages particuliers, on est étonné de ne trouver nulle part les instrumens très-simples et peu coûteux qui peuvent en faire connaître l’état à tout moment et en annoncer les variations.

Je ne proposerai pas de se munir d’instrumens délicats ou compliqués ; mais je voudrais qu’on trouvât par-tout un hygromètre pour connaître le degré d’humidité de l’air, un thermomètre pour apprécier la température, et un baromètre pour déterminer la pesanteur de l’atmosphère. Ce dernier instrument serait sur-tout précieux pour prédire les changemens de temps ; l’élévation du mercure annonce assez généralement le retour à la sécheresse, l’abaissement indique la pluie et les orages : on ne peut regarder ces variations du baromètre que comme des indices, mais ces indices sont bien plus sûrs que ceux que déduit le peuple des campagnes des phases de la lune.