Chez les heureux du monde
La Revue de Paristome 1 (p. 748-764).
◄  24
26  ►

XXV


— Regardez ces paillettes, miss Bart… toutes cousues de travers !…

La « première », une grande femme à figure perpendiculaire et pincée, rejeta, d’un geste de réprobation, sur la table, à côté de Lily, la forme de laiton et de tulle, et passa à l’ouvrière suivante.

Elles étaient vingt dans l’atelier ; leurs profils fatigués, sous des chevelures exagérées, se penchaient, dans la dure lumière du nord, sur les ustensiles de leur art : car c’était assurément quelque chose de plus qu’une industrie, cette création de décors sans cesse renouvelés pour les visages des femme fortunées. Leurs visages à elles, étaient blêmis par l’insalubrité de l’air chaud et du travail sédentaire, plutôt qu’ils ne présentaient, à proprement parler, les signes du besoin : elles étaient employées par un élégant magasin de modes, et étaient relativement bien vêtues et bien payées ; mais les plus jeunes d’entre elles étaient d’aspect aussi terne et incolore que les plus âgées. Dans tout l’atelier, il n’y avait qu’une seule figure sous la peau de laquelle le sang jouait encore visiblement, et cette figure était enflammée d’humiliation tandis que miss Bart, sous le cinglement de l’arrêt rendu par la « première », commençait à dépouiller la forme des paillettes qui la recouvraient.

Gerty Farish, toujours optimiste, avait cru trouver une solution en se rappelant quel talent avait Lily pour garnir des chapeaux. Des exemples de jeunes femmes, — d’« amateurs », — s’établissant modistes sous un patronage élégant et conférant à leurs « créations » cette touche indéfinissable qu’une main professionnelle n’arrive jamais à donner, avaient rendu à Gerty sa confiance dans l’avenir, et convaincu même Lily que sa rupture avec Mrs. Norma Hatch ne la réduirait pas nécessairement à dépendre de ses amis.

Cette séparation était survenue quelques semaines après la visite de Selden, et se serait produite plus tôt, n’eût été la résistance éveillée en Lily par son malencontreux avis. Le sentiment d’être mêlée à une opération qu’elle n’eût pas aimé à examiner de trop près s’était précisé bientôt grâce à une indication de M. Stancy : si elle comprenait « ce que parler veut dire », elle n’aurait pas à s’en repentir, assurait-il. Cette allusion à une récompense directe avait hâté sa fuite, et l’avait rabattue, honteuse et contrite, dans les bras pitoyables et grands ouverts de Gerty. Elle ne se proposait pas, toutefois, de s’y reposer lâchement, et l’idée de Gerty, touchant les chapeaux, avait aussitôt ravivé ses espoirs d’activité lucrative. Voilà donc quelque chose enfin que ses jolies mains nonchalantes pouvaient réellement faire : elle n’avait aucun doute sur leur habileté à nouer un ruban ou à disposer une fleur de façon avantageuse. Et, naturellement, on ne lui demanderait que ces dernières touches-là : des doigts subalternes, grossiers, gris, piqués d’aiguilles, prépareraient les formes et coudraient les coiffes, tandis qu’elle présiderait le charmant petit magasin, — un magasin tout en panneaux blancs, miroirs et tentures vert mousse, — où ses créations achevées, chapeaux, guirlandes, aigrettes et le reste, seraient perchées sur leurs supports comme des oiseaux prêts à s’envoler.

Mais, dès le début de la campagne de Gerty, cette vision du magasin vert et blanc s’évanouit. D’autres jeunes dames à la mode s’étaient ainsi établies, vendant leurs chapeaux rien que par l’attraction d’un nom et leur chic réputé pour faire un nœud ; mais ces êtres privilégiés imposaient à la confiance publique par des garanties matérielles, par leur empressement à payer leur loyer et à avancer une forte somme pour les dépenses courantes. Où Lily pouvait-elle trouver un pareil soutien ? Et, l’eût-elle trouvé, comment amener les dames de l’approbation de qui le succès dépendait à lui accorder leur patronage ? Gerty s’en aperçut : la sympathie que la situation de son amie aurait pu éveiller, quelques mois auparavant, avait été compromise, sinon définitivement perdue, par ses relations avec Mrs. Hatch. Une fois de plus, elle était sortie d’une position équivoque à temps pour sauvegarder son respect d’elle-même, mais trop tard pour se justifier devant le public. Bertie Van Osburgh ne devait pas épouser Mrs. Hatch : il avait été sauvé, au dernier moment, — d’aucuns disaient par les efforts de Gus Trenor et de Rosedale, — et expédié en Europe avec le vieux Ned Van Alstyne ; mais le danger qu’il avait couru serait toujours attribué à la connivence de miss Bart, et servirait en quelque sorte à résumer et à corroborer la vague mais générale méfiance qu’on avait d’elle. C’était un soulagement pour ceux qui s’étaient écartés de Lily de se trouver ainsi justifiés : ils étaient portés à insister quelque peu sur son rôle dans l’affaire Hatch afin de bien montrer qu’ils avaient eu raison.

En tout cas, la tentative de Gerty se heurta contre un solide mur de résistances ; et Carry Fisher, momentanément repentante pour sa responsabilité dans l’histoire Hatch, eut beau joindre ses efforts à ceux de miss Farish, elle ne réussit pas mieux. Gerty avait essayé de pallier son échec par de tendres ambiguïtés ; mais Carry, toujours la candeur même, exposa le cas bien carrément à son amie :

— Je suis allée tout droit trouver Judy Trenor : elle a moins de préjugés que les autres, et, en outre, elle a toujours détesté Bertha Dorset. Mais que lui avez-vous donc fait, Lily ? À mon premier mot pour la prier de vous lancer, elle a jeté feu et flamme à propos d’argent que vous auriez soutiré à Gus ; je ne l’avais encore jamais vue si échauffée. Vous savez qu’elle lui passe tout sauf de dépenser de l’argent pour ses amis : si elle est convenable pour moi, en ce moment, c’est qu’elle sait que je ne suis pas à court… Vous dites qu’il a spéculé pour vous ? Eh bien, où est le mal ? Il n’avait qu’à ne pas perdre… Il n’a pas perdu ? Alors, que diable !… Mais, Lily, je n’ai jamais pu vous comprendre !

Le résultat de tout cela fut qu’après d’anxieuses recherches et de longues délibérations, Mrs. Fisher et Gerty, pour une fois bizarrement unies par le désir d’aider leur amie, décidèrent de la placer dans l’atelier de madame Regina, la célèbre modiste. Même cet arrangement n’alla pas sans de laborieuses négociations : car madame Regina avait un robuste préjugé contre les employées qui n’avaient pas fait d’apprentissage ; elle ne céda que parce qu’elle devait le patronage de Mrs. Bry et de Mrs. Gormer à l’influence de Carry Fisher. Elle avait toujours été disposée à employer Lily dans le salon d’exposition : une beauté à la mode pouvait être un précieux appoint pour mettre des chapeaux en valeur. Mais à cette suggestion miss Bart opposa une fin de non-recevoir qui fut énergiquement appuyée par Gerty ; d’autre part, Mrs. Fisher, qui tout au fond n’était pas convaincue, mais se résignait à cette dernière preuve de la déraison de Lily, reconnut que, somme toute, il serait peut-être préférable qu’elle apprit le métier. Ce fut donc à l’atelier de Regina que Lily fut confiée par ses amies, et Mrs. Fisher l’y laissa avec un soupir de soulagement ; cependant la vigilante Gerty continuait d’avoir l’œil sur elle, à distance.

Lily était entrée là au début de janvier ; on était en mars et elle était encore « attrapée » pour sa maladresse à coudre des paillettes sur une forme de chapeau. Comme elle retournait à son travail, elle entendit ricaner le long des tables.

Elle se savait un objet de critique et d’amusement pour les autres ouvrières. Elles étaient, naturellement, au courant de son histoire : — l’exacte situation de chacune était connue et discutée librement par toutes les autres, — mais cela ne produisait chez elles aucun sentiment gênant de la hiérarchie sociale ; cela expliquait tout simplement pourquoi ses doigts ignorants tâtonnaient encore sur les rudiments du métier. Lily ne prétendait pas qu’elles reconnussent en elle aucune distinction, mais elle avait espéré être traitée en égale et se montrer avant longtemps leur supérieure par quelque tour de main spécial, et il était humiliant de constater qu’après deux mois de corvée elle trahissait encore son manque de premier apprentissage. Comme il était loin, le jour où elle pourrait aspirer à exercer les talents qu’elle croyait posséder ! On ne remettait qu’aux ouvrières expérimentées le soin délicat de façonner et de garnir les chapeaux, et la « première » la condamnait inexorablement à la routine du travail préparatoire.

Elle commença à enlever les paillettes de la forme, prêtant vaguement l’oreille à la rumeur de causerie qui montait ou s’abaissait suivant que s’éloignait ou se rapprochait la figure active de miss Haines. L’atmosphère était plus lourde que d’habitude, car miss Haines, qui était enrhumée, n’avait pas permis qu’on ouvrît une seule fenêtre, même pendant le repos de midi, et la tête de Lily était si pesante, après une nuit d’insomnie, que le bavardage de ses compagnes avait pour elle l’incohérence d’un rêve.

— Je lui avais bien dit qu’il ne la regarderait plus, et c’est ce qui est arrivé. Moi, à sa place, j’aurais fait comme lui : je trouve qu’elle s’est très mal conduite avec lui. Il l’avait menée au bal Arion, menée et ramenée en voiture… Elle a pris dix bouteilles, et ses maux de tête ne vont pas mieux ; mais elle a écrit une attestation pour dire que la première bouteille l’avait guérie, et elle a eu cinq dollars et son portrait dans le journal… Le chapeau de Mrs. Trenor ? Celui avec l’oiseau de paradis vert ? Voici, miss Haines : il sera prêt dans un instant… C’était une des demoiselles Trenor qui était là, hier, avec Mrs. George Dorset. Comment je le sais ? Mais parce que madame m’a envoyée chercher pour changer la fleur dans ce chapeau de chez Virot : celui-là, en tulle bleu. Elle est grande et mince, avec les cheveux frisés ; un peu comme Mamie Leach, seulement plus maigre…

Et cela continuait incessamment : un courant ininterrompu de sons insignifiants, à la surface duquel, de temps à autre, un nom familier venait flotter. Ce qu’il y avait de plus étrange dans l’étrange expérience de Lily, c’était d’entendre ces noms, de voir reflétée dans l’esprit de ces ouvrières cette image fragmentaire et déformée de la société où elle avait vécu. Elle n’avait jamais soupçonné le mélange d’insatiable curiosité et de liberté méprisante avec lequel elle et ses semblables étaient discutées dans ce monde inférieur de travailleuses qui vivaient de leur vanité et de leur coquetterie. Chaque ouvrière, chez madame Regina, savait à qui était destiné le chapeau qu’elle avait en mains, et chacune avait son opinion sur la destinataire, une connaissance bien nette de sa situation dans le système mondain. Que Lily fût une étoile tombée de ce ciel, cela n’avait rien ajouté, une fois le premier mouvement de curiosité passé, à l’intérêt qu’elle pouvait exciter chez ses compagnes. Elle était tombée, elle avait disparu sous l’horizon, et, fidèles à l’idéal de leur race, elles n’avaient de respect que pour le succès, que pour l’image grossière et tangible de la réussite matérielle. Le sentiment de la différence des points de vue les tenait seulement à quelque distance, comme si c’était une étrangère avec laquelle il fallait faire effort pour causer.

— Miss Bart, si vous ne pouvez coudre ces paillettes plus régulièrement, je crois que vous feriez mieux de donner le chapeau à miss Kilroy.

Lily regarda tristement son ouvrage. La « première » avait raison : les paillettes étaient lamentablement cousues. Qu’est-ce donc qui la rendait plus maladroite que d’habitude ? Était-ce dégoût croissant de sa tâche ou réelle incapacité physique ? Elle se sentait fatiguée : elle avait les idées brouillées ; il lui fallait faire un effort pour les rassembler. Elle se leva et tendit le chapeau à miss Kilroy, qui le prit avec un sourire contenu.

— Je regrette… Je ne me sens pas très bien, — dit-elle à la « première ».

Miss Haines ne fit aucune remarque. Dès le principe, elle avait mal auguré du consentement de la patronne acceptant une apprentie du monde parmi ses ouvrières. Dans ce temple de l’art, on n’avait pas besoin de débutantes maladroites, et miss Haines aurait été surhumaine si elle n’avait pas pris un certain plaisir à voir ses pronostics se réaliser.

— Vous feriez mieux de vous remettre à border les formes ! dit-elle sèchement.


Quand les ouvrières furent libérées, Lily se glissa dehors la dernière. Elle ne se souciait pas de se mêler à leur dispersion bruyante : une fois dans la rue, elle se sentait toujours revenir malgré elle à son vieux point de départ, à son aversion instinctive pour toute grossièreté comme pour toute promiscuité. Au temps — comme il lui semblait éloigné maintenant ! — où elle avait visité le « Cercle de Jeunes filles » avec Gerty Farish, elle avait éprouvé un intérêt de néophyte pour les classes laborieuses ; mais c’était parce qu’elle les voyait d’en haut, de l’altitude heureuse de sa grâce et de sa bienfaisance. Maintenant qu’elle se trouvait à leur niveau, le point de vue était moins séduisant.

Elle sentit qu’on lui touchait le bras et rencontra les yeux repentants de miss Kilroy.

— Miss Bart, je suis sûre que vous pouvez coudre ces paillettes tout aussi bien que moi, quand vous êtes bien portante. Miss Haines n’a pas été juste pour vous.

À cette avance inattendue, Lily rougit un peu : il y avait longtemps qu’elle n’avait vu de vraie bonté dans d’autres yeux que ceux de Gerty.

— Oh ! merci ; je ne vais pas très bien, mais miss Haines avait raison : je suis maladroite.

— Bon ! bon !… c’est un travail ingrat pour quelqu’un qui a mal à la tête. (Miss Kilroy s’arrêta, irrésolue.) Vous devriez rentrer chez vous tout de suite et vous coucher. Avez-vous jamais essayé l’orangine ?

— Merci. (Lily lui tendit la main.) Vous êtes bonne. Je vais rentrer tout de suite.

Elle regarda miss Kilroy avec reconnaissance, mais ni l’une ni l’autre ne savait plus que dire. Lily sentait que l’autre allait lui offrir de l’accompagner chez elle, mais elle avait besoin d’être seule et silencieuse ; même la bonté, le genre de bonté que miss Kilroy pouvait lui offrir, l’aurait plutôt agacée en ce moment.

— Merci bien ! — répéta-t-elle, en s’éloignant.

Elle tourna vers l’ouest, dans le morne crépuscule de mars, gagnant la rue où se trouvait sa pension. Elle avait résolument refusé l’hospitalité de Gerty. Quelque chose de l’aversion farouche qu’avait sa mère pour toute surveillance et toute sympathie commençait à se développer en elle : la promiscuité d’un petit appartement et son étroite intimité lui semblaient, somme toute, moins faciles à endurer que la solitude d’une chambre unique dans une maison où elle pouvait entrer et sortir sans être remarquée au milieu d’autres travailleurs. Pendant quelque temps, elle avait été soutenue par ce besoin d’isolement et d’indépendance ; maintenant le progrès de la faiblesse physique, la lassitude causée par ces longues heures de réclusion dont elle n’avait pas l’habitude, l’induisaient à sentir âprement la laideur de ce qui l’entourait et le manque de confort. Sa journée faite, elle redoutait de rentrer dans sa petite chambre au papier taché, à la peinture écaillée, elle détestait chaque pas qui l’y ramenait, à travers l’avilissement d’une rue jadis à la mode et qui achevait d’être abandonnée au commerce.

Mais ce qu’elle redoutait le plus, c’était d’avoir à passer devant le pharmacien, au coin de la Sixième Avenue. Elle aurait voulu prendre une autre rue : elle le faisait d’habitude, ces derniers temps. Mais aujourd’hui ses pas semblaient attirés irrésistiblement vers la plaque étincelante du coin ; elle essaya de traverser plus bas, mais un camion chargé la repoussa, elle obliqua sur la chaussée, atteignant ainsi le trottoir juste en face de la porte du pharmacien.

Au-dessus du comptoir, elle rencontra le regard de l’aide qui l’avait servie auparavant : elle lui glissa l’ordonnance dans la main. Il ne pouvait y avoir de discussion au sujet de l’ordonnance : c’était une copie d’une de celles de Mrs. Hatch, donnée obligeamment sur le pharmacien de cette dame. Lily croyait bien que l’aide l’exécuterait sans hésitation ; cependant elle avait une crainte nerveuse d’un refus ou de quelque doute : ses mains étaient agitées pendant qu’elle affectait de regarder les flacons de parfumerie alignés sur la tablette de verre, devant elle.

L’aide avait lu l’ordonnance sans faire aucune remarque ; mais, comme il lui tendait la fiole, il s’arrêta :

— Il ne faut pas augmenter la dose, vous savez !

Le cœur de Lily se contracta. Que voulait-il dire en la regardant ainsi ?

— Bien entendu ! — murmura-t-elle, en allongeant la main.

— Parfait !… C’est que c’est une drogue qui a des effets bizarres. Une goutte ou deux de plus, et vous vous en allez… les médecins ne savent pas pourquoi.

La peur qu’il la questionnât ou qu’il voulût garder la fiole étouffa le murmure d’acquiescement dans sa gorge, et, lorsqu’elle se trouva enfin sans accroc hors de la boutique, elle eut presque un vertige de soulagement. Le simple contact du petit paquet faisait frémir ses pauvres nerfs par la promesse délicieuse d’une nuit de sommeil, et, dans la réaction qui suivait cet accès de frayeur, elle sentit comme les premières fumées de l’assoupissement peser déjà sur elle.

Dans son trouble, elle se heurta presque contre un homme qui débouchait précipitamment de l’escalier du métropolitain. Il s’effaça, et elle entendit son nom prononcé dans un cri de surprise. C’était Rosedale, luisant et prospère sous sa fourrure ; mais pourquoi le voyait-elle si éloigné, comme à travers le brouillard d’une lorgnette cassée ?

Avant de pouvoir se rendre compte de ce phénomène, elle se trouva en train de lui serrer la main. Ils s’étaient séparés avec dédain, de son côté, à elle, et colère, de son côté, à lui ; mais toute trace de ces émotions avait disparu tandis qu’ils échangeaient une poignée de main, et elle n’avait que le sentiment confus qu’elle aurait voulu continuer de se raccrocher à lui.

— Quoi ? qu’est-ce qu’il y a, miss Lily ? Vous n’êtes pas bien ! — s’écria-t-il.

Et elle se força de sourire pour le rassurer :

— Je suis un peu fatiguée, ce n’est rien. Restez avec moi, un moment.

Elle soupira. C’était elle qui demandait ce service à Rosedale !

Il jeta un coup d’œil sur le coin malpropre et peu propice où ils se trouvaient, avec le fracas du chemin de fer, le cri des rails et des wagons qui résonnait hideusement à leurs oreilles.

— Nous ne pouvons pas rester ici ; mais laissez-moi vous emmener prendre une tasse de thé. Le « Longworth » est à deux pas, et il n’y aura personne à cette heure.

Une tasse de thé dans un endroit tranquille, hors du bruit et de la laideur, lui semblait, pour le moment, la seule consolation qu’elle pût supporter. En une minute, ils furent à la porte de l’hôtel qu’il avait nommé, et, un instant après, il était assis en face d’elle et le garçon avait placé le thé entre eux.

— Vous ne voulez pas commencer par une goutte d’eau-de-vie ou de whisky ? Vous avez l’air absolument rendue, miss Lily… Eh bien, prenez votre thé très fort, alors… Garçon, mettez un coussin dans le dos de madame. Lily sourit faiblement à cette injonction de prendre le thé fort. C’était la tentation qu’elle cherchait toujours à vaincre. Son besoin de ce stimulant était sans cesse en conflit avec cet ardent désir de sommeil, — le désir de minuit que, seul, le petit flacon qu’elle tenait dans sa main pouvait satisfaire. Mais aujourd’hui, quoi qu’il en fût, le thé ne pouvait être trop fort : elle comptait dessus pour verser dans ses veines vides la chaleur et la résolution.

Comme elle se renversait contre le coussin, les paupières tombantes à force de lassitude, bien que les premières gorgées du thé chaud eussent redonné un peu de vie à son visage, Rosedale eut de nouveau la poignante surprise de sa beauté. Les cernes de la fatigue sous les yeux, la morbide pâleur veinée de bleu aux tempes, faisaient ressortir l’éclat de ses cheveux et de ses lèvres comme si toute sa vitalité déclinante se fut concentrée là. La pureté de sa tête se détachait sur le fond chocolat du restaurant mieux qu’elle n’avait jamais fait dans la salle de bal la plus brillamment illuminée. Il la regardait avec un soudain malaise, comme si sa beauté était un ennemi oublié qui s’était tenu jusque-là en embuscade et qui l’assaillait maintenant à l’improviste.

Pour éclaircir l’atmosphère, il essaya de prendre avec elle un ton dégagé :

— Eh bien, miss Lily, je ne vous ai pas vue depuis un siècle. Je ne savais pas ce que vous étiez devenue.

Il s’arrêta, embarrassé, pressentant les complications où ceci pourrait le conduire. S’il ne l’avait pas vue, il avait entendu parler d’elle : il savait ses relations avec Mrs. Hatch et les bavardages qui en résultaient. Le milieu de Mrs. Hatch était un de ceux où jadis il avait fréquenté assidûment et qu’il s’appliquait le plus à éviter aujourd’hui.

Lily, à qui le thé avait rendu sa clarté d’esprit, vit à quoi il pensait et dit avec un léger sourire :

— Vous ne pouviez pas entendre parler de moi. Je fais partie maintenant des classes laborieuses.

Il la regarda fixement, avec un étonnement sincère :

— Vous ne voulez pas dire ?… Bon Dieu ! qu’est-ce que vous faites ?

— J’apprends le métier de modiste… au moins j’essaie de l’apprendre ! — s’empressa-t-elle de rectifier.

Rosedale étouffa un sifflement de surprise :

— Allons ! vous ne parlez pas sérieusement, n’est-ce pas ?

— Très sérieusement. Je suis obligée de travailler pour vivre.

— Mais j’avais compris… je croyais que vous étiez chez Norma Hatch.

— Vous aviez entendu dire que j’étais entrée chez elle comme secrétaire ?

— Quelque chose comme cela, il me semble.

Et il se pencha pour lui verser une seconde tasse.

Lily devina les possibilités d’embarras que le sujet présentait pour lui, et, levant les yeux sur son interlocuteur, elle dit brusquement :

— Je l’ai quittée, il y a environ deux mois.

Rosedale continua de manier gauchement la théière, et elle fut certaine qu’il avait entendu ce qu’on avait dit d’elle. Mais aussi qu’est-ce que Rosedale n’entendait pas ?

— N’était-ce pas une situation très douce ? — demanda-t-il sur un ton léger.

— Trop douce… on aurait pu s’enfoncer trop profondément.

Lily avait un bras posé sur le bord de la table ; elle considérait Rosedale avec plus d’intérêt qu’elle ne l’avait jamais fait. Une invincible impulsion la pressait d’exposer son cas à cet homme de la curiosité duquel elle s’était toujours si furieusement défendue.

— Vous connaissez Mrs. Hatch, je crois ? Eh bien, vous comprendrez, sans doute, qu’elle pouvait me faciliter un peu trop les choses.

Rosedale parut vaguement intrigué : elle se souvint que les allusions étaient perdues pour lui.

— Ce n’était pas votre place, d’aucune façon ! — avoua-t-il, sous la pleine lumière de ses yeux.

Il en était inondé, noyé, entraîné tout à coup en d’étranges profondeurs d’intimité. Lui qui avait dû se contenter de viser au vol des regards fugitifs, bientôt perdus sous le couvert, il sentait maintenant les prunelles de Lily fixées sur lui avec une intensité rêveuse qui l’éblouissait réellement.

— Je suis partie, — continua-t-elle, — de peur que les gens ne disent que j’aidais Mrs. Hatch à épouser Bertie Van Osburgh… lequel n’est nullement trop bon pour elle… et, comme on continue tout de même à le dire, je vois que j’aurais tout aussi bien pu rester où j’étais.

— Oh ! Bertie (Rosedale balaya le sujet d’un geste qui en marquait le peu d’importance et qui montrait en même temps quelles immenses perspectives s’ouvraient maintenant devant lui), Bertie ne compte pas… Mais je savais bien que vous n’étiez pas mêlée à cette affaire. Ce n’est pas votre genre.

Lily rougit légèrement : elle ne pouvait se dissimuler que ces paroles lui faisaient plaisir. Elle aurait voulu rester là, boire encore du thé, continuer à parler d’elle-même à Rosedale. Mais la vieille habitude d’observer les conventions lui rappela qu’il était temps de mettre fin à leur colloque : elle esquissa le mouvement de repousser sa chaise.

Rosedale l’arrêta en protestant du geste :

— Attendez une minute, ne partez pas si vite ; asseyez-vous tranquillement et reposez-vous encore un peu. Vous paraissez à bout de forces. Et vous ne m’avez pas dit…

Il s’interrompit, conscient d’aller plus loin qu’il ne voulait. Elle vit la lutte et la comprit ; elle comprit aussi à quel charme il cédait, les yeux attachés à son visage, quand il reprit tout à coup :

— Que vouliez-vous dire, tout à l’heure, en prétendant que vous appreniez le métier de modiste ?

— La vérité, tout simplement. Je suis apprentie chez Regina.

— Seigneur !… vous ?… Mais pourquoi ? Je savais que votre tante vous avait déshéritée : Mrs. Fisher me l’a dit. Mais j’avais compris que vous aviez un legs…

— Oui, dix mille dollars… mais ce legs ne sera payé que l’été prochain.

— Eh bien, mais… écoutez ; vous auriez pu emprunter dessus, si vous aviez voulu.

Elle secoua gravement la tête :

— Non, car je dois déjà toute la somme.

— Vous les devez ?… les dix mille dollars ?

— Jusqu’au dernier sou.

Elle s’arrêta et reprit brusquement, les yeux fixés sur le visage de Rosedale :

— Je crois que Gus Trenor vous a raconté, un jour, qu’il m’avait fait gagner quelque argent à la Bourse…

Elle attendit, et Rosedale, congestionné d’embarras, murmura qu’il se rappelait quelque chose de ce genre.

— Il m’a fait gagner à peu près neuf mille dollars, — poursuivit Lily, sur le même ton ardemment communicatif. — J’avais compris alors qu’il jouait avec mon propre argent : c’était parfaitement stupide de ma part, mais je ne savais rien des affaires. Après, je découvris qu’il n’avait pas touché à mes fonds : ce qu’il m’avait dit avoir gagné pour moi, il me l’avait réellement donné. Il le faisait, naturellement, par bonté pure, mais ce n’est pas un genre d’obligation que l’on puisse accepter. Malheureusement, j’avais dépensé l’argent quand je reconnus mon erreur, de sorte que mon legs doit servir à rembourser. Voilà pourquoi j’essaie d’apprendre un métier.

Elle exposait tout cela nettement, délibérément, s’arrêtant entre les phrases, de façon que chacune d’elles pénétrât bien à fond dans l’esprit de son auditeur. Elle désirait passionnément que quelqu’un connût la vérité au sujet de cette affaire, et aussi que son intention de rembourser parvînt aux oreilles de Judy Trenor. Et cette idée lui était venue soudain que Rosedale, qui avait surpris la confidence de Trenor, était la personne indiquée pour recevoir et transmettre sa version des faits. Même, elle s’était sentie, un moment, transportée d’aise, à la pensée de se soulager de son secret détesté ; mais ce sentiment s’évanouit à mesure qu’elle parlait : à la fin, sa pâleur avait disparu sous la rougeur de sa misère.

Rosedale continuait à la contempler avec étonnement ; mais l’étonnement prit le tour qu’elle aurait le moins attendu :

— Eh bien, mais… s’il en est ainsi, vous voilà libérée entièrement !

Il lui faisait remarquer cela comme si elle n’avait pas compris les conséquences de sa résolution, comme si son ignorance incorrigible des affaires allait la précipiter à un nouvel acte de folie.

— Entièrement, oui ! — répondit-elle avec tranquillité.

Il demeura silencieux, ses fortes mains enlacées sur la table, ses petits yeux étonnés explorant les recoins du restaurant désert.

— Eh bien, c’est admirable ! — s’écria-t-il brusquement.

Lily se leva de son siège, avec un rire de modestie :

— Oh ! non… ce n’est que très ennuyeux ! — dit-elle en renouant les bouts de son boa en plumes.

Rosedale restait assis, trop absorbé par ses propres pensées pour prendre garde au mouvement de la jeune fille :

— Miss Lily, si vous avez besoin de quelque soutien… J’aime le courage, — dit-il d’une voix entrecoupée.

— Merci. (Elle lui tendit la main.) Votre thé me soutient déjà le mieux du monde… Me voilà, grâce à lui, à la hauteur des événements.

Son geste semblait donner congé à Rosedale, mais son compagnon avait jeté un billet de banque au garçon et glissait ses bras courts dans son pardessus coûteux.

— Attendez une minute… je vais vous accompagner jusque chez vous, — dit-il.

Lily ne fit aucune protestation, et, lorsqu’il se fut assuré qu’on lui avait rendu exactement sa monnaie, ils sortirent de l’hôtel et traversèrent de nouveau la Sixième Avenue. Comme elle s’en allait vers l’ouest en passant devant une longue série de cours, qui laissaient voir, avec une franchise croissante, par les barreaux tordus de leurs grilles dépeintes, des restes de repas plus ou moins récents, Lily sentit que Rosedale notait dédaigneusement le voisinage, et, devant la porte où elle s’arrêta enfin, il leva les yeux avec un air de dégoût incrédule :

— Ce n’est pas ici ?… Quelqu’un m’avait dit que vous demeuriez chez miss Farish.

— Non : j’ai pris pension ici. J’ai vécu trop longtemps aux dépens de mes amis.

Il continuait d’examiner la façade noirâtre et pustuleuse, les fenêtres aux rideaux de misérable dentelle, et la décoration pompéienne du vestibule boueux. Alors il la regarda de nouveau et dit avec un visible effort :

— Vous me permettrez de venir vous voir, un de ces jours ?

Elle sourit, reconnaissant l’héroïsme de l’offre au point d’en être vraiment touchée.

— Merci, vous me ferez grand plaisir.

Et c’était la première parole sincère qu’elle lui eût jamais adressée…

Ce même soir, dans sa chambre, miss Bart, qui avait fui de bonne heure les lourdes vapeurs de la salle à manger située au sous-sol, était assise, rêvant à l’impulsion qui l’avait portée à s’épancher ainsi dans le sein de Rosedale. Par-dessous, elle découvrit un sentiment toujours pire d’abandon, la terreur de revenir à la solitude de sa chambre, tant qu’elle pouvait être quelque part ailleurs, en quelque autre compagnie que la sienne propre. Les circonstances dernièrement s’étaient combinées pour la tenir de plus en plus à l’écart du peu d’amis qui lui restaient. De la part de Carry Fisher, l’éloignement n’était peut-être pas tout à fait involontaire. Ayant fait son effort final en faveur de Lily et l’ayant mise en sûreté dans l’atelier de madame Regina, Mrs. Fisher se sentait encline à se reposer de ses travaux, et Lily, comprenant ses raisons, ne pouvait la condamner. Carry s’était trouvée, en fait, bien près d’être impliquée dans l’épisode de Mrs. Norma Hatch, et il lui avait fallu quelque habileté verbale pour s’en tirer. Elle reconnaissait franchement avoir mis en rapport Mrs. Hatch et Lily, mais alors elle ne connaissait pas Mrs. Hatch, — elle en avait formellement averti Lily, — et, au surplus, elle n’était pas la gardienne de Lily, et vraiment celle-ci était d’âge à se garder elle-même. Carry n’exposait pas son cas si brutalement, mais elle permettait qu’il fût ainsi exposé pour elle par sa plus récente amie intime, Mrs. Jack Stepney : — Mrs. Stepney tremblait en songeant au péril auquel son frère unique avait échappé, mais elle brûlait de justifier Mrs. Fisher, chez qui elle pouvait compter sur les joyeuses réunions qui lui étaient devenues une nécessité depuis que, libérée par le mariage, elle avait quitté le point de vue des Van Osburgh.

Lily comprenait la situation, elle était indulgente. Carry avait été pour elle une bonne amie en des jours difficiles, et peut-être n’y avait-il qu’une affection comme celle de Gerty pour résister à la pression toujours croissante. L’affection de Gerty tenait ferme, et cependant Lily commençait aussi à l’éviter. Car elle ne pouvait aller chez Gerty sans courir le risque d’y rencontrer Selden ; et le rencontrer maintenant, ce ne serait plus qu’une souffrance. Il était même assez pénible de penser à lui, soit qu’elle se le figurât distinctement, tout éveillée, soit qu’elle sentît l’obsession de sa présence à travers la brume de ses nuits tourmentées. C’était une des raisons pour lesquelles elle était revenue à l’ordonnance de Mrs. Hatch. Dans les rêves inquiets de son sommeil naturel, il lui apparaissait parfois avec sa camaraderie et sa tendresse de jadis, et elle se réveillait de cette douce illusion comme bafouée et dépourvue de courage. Mais dans le sommeil procuré par la fiole elle s’enfonçait trop au-dessous de la région où ces images pouvaient venir la réveiller à demi, elle tombait dans les profondeurs d’un anéantissement sans rêve d’où elle sortait chaque matin avec un passé aboli.

Peu à peu, sans doute, le poids des vieilles pensées reviendrait ; pour le moment, du moins, elles n’importunaient pas ses heures de veille. La drogue lui donnait une illusion de renouvellement où elle puisait de la force pour son travail quotidien. Elle avait toujours plus besoin de cette force, à mesure que les perplexités de l’avenir augmentaient. Elle n’ignorait pas que, pour Gerty et pour Mrs. Fisher, elle était censée subir seulement un temps d’épreuve : l’une et l’autre étaient persuadées que son apprentissage chez madame Regina lui permettrait, quand le legs de Mrs. Peniston serait payé, de réaliser la vision du magasin blanc et vert avec la compétence acquise par cette éducation préalable. Mais, pour Lily elle-même, qui savait que le legs ne pouvait avoir un tel emploi, l’éducation préalable semblait peine perdue. Elle comprenait trop bien que, même si elle pouvait apprendre assez pour rivaliser avec des mains habituées dès l’enfance à ce travail spécial, le petit salaire qu’elle recevrait ne serait pas une addition suffisante à son revenu pour compenser un tel esclavage. Et l’idée précise de ce fait la ramenait constamment à la tentation d’employer ce legs à s’établir dans les affaires. Une fois installée, à la tête de ses propres ouvrières, elle croyait avoir assez de tact et de capacité pour attirer une clientèle élégante et, si les affaires allaient bien, elle pourrait peu à peu mettre assez de côté pour acquitter sa dette envers Trenor. Mais l’accomplissement de cette tâche pouvait prendre des années, même si elle continuait à se priver le plus possible et, en attendant, sa fierté serait écrasée sous le poids d’une obligation intolérable.

Telles étaient ses considérations superficielles ; mais là-dessous se cachait la peur secrète que cette obligation ne lui semblât pas toujours intolérable. Elle savait qu’elle ne pouvait pas compter sur sa persévérance, et ce qui l’effrayait réellement, c’était qu’elle pourrait peu à peu s’accommoder de rester indéfiniment la débitrice de Trenor, comme elle s’était accommodée du rôle qui lui avait été dévolu sur la Sabrina, et comme dernièrement elle avait été tout près d’acquiescer au plan de Stancy pour l’avancement de Mrs. Hatch. Le danger résidait, elle s’en rendait compte, dans la vieille et incurable crainte que lui inspiraient le manque de confort et la pauvreté, dans la crainte que lui inspirait ce flot montant de médiocrité contre lequel sa mère l’avait passionnément mise en garde. Et maintenant un nouveau péril se démasquait devant elle. Elle comprenait que Rosedale était prêt à lui prêter de l’argent, et l’envie de profiter de cette offre commençait à la hanter insidieusement. Il était naturellement impossible d’accepter un prêt de Rosedale, mais des possibilités approchantes voltigeaient devant elle pour la tenter. Elle était sûre qu’il reviendrait la voir et presque sûre que, s’il revenait, elle pourrait l’amener à lui proposer le mariage dans les conditions qu’elle avait repoussées auparavant. Les repousserait-elle encore, si elles s’offraient ? De plus en plus, à chacune de ses mésaventures, elle voyait les furies la poursuivre sous la forme de Bertha Dorset ; et elle avait là, sous la main, serrés soigneusement parmi ses papiers, les moyens de mettre fin à cette poursuite. La tentation, que son dédain de Rosedale lui avait permis naguère de repousser, lui revenait maintenant avec insistance ; et quelle force pouvait-elle encore y opposer ?

Le peu qui lui en restait devait tout au moins être ménagé soigneusement : elle ne pouvait se fier encore aux périls d’une nuit d’insomnie. Pendant les longues heures de silence, le sombre esprit de la fatigue et de la solitude venait se tapir lourdement sur sa poitrine, pour la laisser si épuisée physiquement que ses pensées matinales flottaient dans une buée de faiblesse. Le seul espoir de renouvellement se trouvait dans la petite fiole, à côté de son lit ; et combien de temps durerait cet espoir, elle n’osait pas le conjecturer.