Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Madame de Montanclos

MADAME DE MONTANCLOS.


Madame de Montanclos (Marie-Emilie Mayon), née à Aix en 1736, est morte en 1812. Cette dame eut pour premier mari le baron de Princen, et épousa en secondes noces Charlemagne Cuvelier-Grandin de Montanclos. Veuve encore de ce dernier, elle consacra ses jours à la littérature. On a d’elle des comédies en un acte, des vaudevilles et de petits opéras, ainsi que des pièces fugitives et un ouvrage périodique intitulé Journal des dames.


ÉPÎTRE A UN PROFESSEUR AIMABLE.


M’interroger, Damis, sur l’emploi que je fais
Des jours que la Parque me laisse,
C’est demander un compte à la foiblesse,
Sûr d’y trouver les abus des bienfaits.
Faut-il vous l’avouer ? j’aime assez la paresse,
Et j’aime également l’ardente activité ;
Celle-ci convient fort à ma vivacité,
Mais l’autre, je le vois, s’allie à la tendresse.
Ne doit-on pas nommer une douce langueur
La paresse d’un cœur sensible
Qui se plaît dans un lieu paisible
A méditer sur le bonheur ?
Moi, dans ma tranquille demeure,
Grace à l’imagination,
Je sais changer de situation,

De climats, de plaisirs, plusieurs fois dans une heure.
Souvent, Damis, je suis auprès de vous :
Là, je cache mon sexe, et, sous un maintien sage,
J’ai tous les charmes du bel âge,
L’esprit vif, l’air espiègle et doux
Du plus intéressant élève.
J’écoute avec respect vos éloquens discours ;
Mais quelquefois, hélas ! un peu trop fille d’Ève,
Je regrette un talent perdu pour les amours.
Bientôt vous m’ordonnez de réciter Virgile :
Je m’attendris sur le sort de Didon ;
De louer Æneas me paroît difficile ;
J’ose le comparer au perfide Jason.
Vous vous fâchez ; moi, je m’excuse,
Et je vous dis : Si je m’abuse,
Accusez-en ma sensibilité.
Les dieux pourraient-ils nous prescrire
La barbarie et l’infidélité ?
Ah ! la tendre pitié qu’inspire
L’amante qui pour nous soupire
Doit l’emporter sur la rigidité.
Vous vous taisez, et mes maximes
N’obtiennent point tout haut votre approbation ;
Mais j’entrevois que votre opinion
Rend mes principes légitimes.
Après l’étude et le repas,
Parmi la jeunesse folâtre
Vous venez conduire mes pas :
Je ne puis vous quitter, et je laisse s’ébattre,
Crier, sauter, courir cet essaim d’étourdis.
De ma tranquillité vous paraissez surpris :
Mais vous l’êtes bien plus, lorsque ma main tremblante
Cherche la vôtre, et malgré vous
L’offre à ma bouche caressante.

Votre rougeur me peint votre courroux :
Je la devine, elle accroît mon estime,
Et de pousser ce jeu me paroîtroit un crime.
Je vous regarde en souriant :
Vous retrouvez en moi les traits de votre amie ;
Je me nomme tout bas, et je fuis à l’instant…..
Voilà ma douce erreur finie
Une autre fois….. Mais taisons-nous ;
Du plaisir que je goûte en ces heureux mensonges
Les faux dévots pourroient être jaloux,
Et, sans l’aveu du ciel, me damner pour des songes.


LES ADIEUX SOUS LE SAULE PLEUREUR.


Pour faire de tendres adieux,
Quel est l’asile favorable !
Choisit-on de sauvages lieux ?
Un bocage est-il préférable ?
Est-ce dans un boudoir galant
Que l’amour peut verser des larmes ?
Saule pleureur ! pour un amant,
Ton ombrage seul a des charmes.

C’est toujours au bord d’un ruisseau
Que se plaît ta douce verdure ;
Ton feuillage ainsi que son eau
Imitent l’amoureux murmure.
Si dans tes rameaux balancés
On voit l’image de la vie,
Que de tourmens sont annoncés
À qui s’éloigne de sa mie !


Chère Adèle, entends mes soupirs,
C’est ici que l’Amour t’appelle ;
Cesse de craindre mes désirs,
Je n’en ai qu’un : sois-moi fidelle.
Mes yeux, troublés par la douleur,
N’auront qu’une triste éloquence ;
Viens, l’ombre d’un saule pleureur
Est propice à ton innocence.

Je ne veux que presser ton cœur
De ma main timide et tremblante ;
S’il palpite,.... du vrai bonheur
J’aurai donc la preuve touchante.
Le saule alors doit s’agiter,
Je pourrois craindre mon ivresse....
Hélas ! il faudra te quitter,
Pour mieux te prouver ma tendresse.


L’HONNEUR EN DANGER.

ROMANCE DU VIEUX TEMPS.


Ne suis qu’une pauvre bergère,
N’ai d’autre bien que mes fuseaux ;
Mon lit est un peu de fougère,
Ma cabane, un toit de roseaux.
Chevalier du plus haut parage
Vient pourtant me prier d’amour ;
Mais honneur dit : Si tu n’es sage,
Triste regret aura son tour.


Vois souvent jeunes pastourelles
Toutes belles de chaînes d’or :
Les pastoureaux s’en vont loin d’elles
Et devers moi prennent l’essor :
N’ai pourtant dessus mon corsage,
Dentelles, ni rubans, ni fleurs ;
Mais honneur dit : Quand on est sage,
C’est parure qui plaît aux cœurs.

Dans ceux qui fuyoient mes compagnes
Viens de trouver un doux ami.
C’est le plus beau de nos montagnes
Et le plus tendre, Dieu merci !
Quand ses regards et son langage
Me pressent pour aveux d’amour ?
Honneur parle.... moi, quel dommage !
L’entends moins bien qu’un autre jour.
 
Que Sylvain m’appelle sa mie
Et pose sa main sur mon cœur,
De plaisir je me sens ravie ;
Vous le dis bien avec candeur.
Mon ami parle de sa peine ;
N’y comprends rien, mais je rougis :
Honneur me tient, Sylvain m’entraîne....
Ne sais plus à qui j’obéis.


A MA LAMPE.

ROMANCE.


Dans ta lumière vacillante,
O ma lampe ! quelle leçon !
Je suis aussi foible, tremblante,
De la mort je sens le frisson....
Comme toi je vais donc m’éteindre
Faute d’un utile secours ?
Mais ton sort est bien moins à plaindre,
On te ranime tous les jours.

Demain on te rendra la vie
Pour éclairer les ris, les jeux ;
Demain, si la mienne est finie,
Je disparais à tous les yeux.
Mais à ma demeure dernière
On peut dire en me conduisant,
Le malheur ouvrit la barrière
Qui la séparoit du néant.

L’Amour, en voulant ma naissance,
Avoit, dit-on, formé mes traits ;
Et les Muses, dès mon enfance,
Daignoient m’accorder leurs bienfaits
Amante aimée, heureuse épouse,
Tout faisoit envier mon sort ;
Mais la fortune fut jalouse :
Le bonheur pour elle est un tort


Bientôt disparut à ma vue
Le mortel si cher à mon cœur ;
Quand la foudre perce la nue,
On voit tomber le voyageur.
Ainsi je restois sur la terre
Sans appui, même sans espoir ;
Veuve à jamais et triste mère,
J’eus le courage du devoir.

Remplir sa pénible carrière
En s’effrayant sur l’avenir ;
N’oser regarder en arrière,
Craignant l’effet du souvenir ;
Voir les besoins toujours renaître
Et les moyens s’évanouir,
Qui pourroit, hélas ! être maitre
De ne pas dire.... Il faut mourir !

Eh bien ! sois mon flambeau funèbre,
Lampe, témoin de mes douleurs :
Tu peux un jour être célèbre
Par le récit de mes malheurs.
Fais que sur ma tombe paisible
Les humains jettent quelques fleurs :
Dis-leur que mon ombre sensible
Bénit qui lui donne des pleurs.