Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Madame Gorgeon

MADAME GEORGEON.


Madame Georgeon (Henriette-Sophie) est née à Paris en 1779. On lui doit de jolies idylles en prose, des pièces fugitives et plusieurs romances dont elle a fait la musique.


À UN CHASSEUR.


Chasseurs qui parcourez la plaine,
Les champs, les montagnes, les bois ;
Fixez votre course incertaine,
Et venez vous rendre à ma voix.

Tandis que la chaleur accable,
Suspendez vos coups inhumains ;
Venez sous ce toit favorable
Recevoir du lait de mes mains.

Si les prières d’une femme
Avoient quelque pouvoir sur vous,
Si j’espérois toucher votre ame
Par des accens plaintifs et doux ;
Vous me verriez tout entreprendre
Pour parvenir à vous changer....
Ah ! croyez-moi, soyez plus tendre,
De chasseur devenez berger.

Près des moutons, dans la prairie,
Votre chien vous caressera ;
Peut-être même votre amie
De tems en tems l’imitera.
Jetez cette arme meurtrière,
La houlette est un doux fardeau ;
La conquête d’une bergère
Vaut mieux que celle d’un oiseau.

Par quelle inhumaine folie
Venez-vous troubler nos hameaux ?
Arrêtez, respectez la vie
De ces paisibles animaux.
Déjà je vois l’arme fatale
Prête à frapper malgré mes cris....
Ah ! craignez que, nouveau Céphale,
Vous n’immoliez une Procris

Que vous a fait la tourterelle,
Pour vouloir lui donner la mort ?

Hélas ! elle est douce et fidelle,
À vos yeux est-ce donc un tort ?
Ah ! fuyez loin de nos retraites
Où règnent la paix, la gaîté ;
Laissez à nos tendres fauvettes
Et la vie et la liberté.

Respectez la paix du bocage,
N’imitez pas l’amour jaloux ;
N’ensanglantez pas le feuillage,
Cherchez-y des plaisirs plus doux.
Il est encore une victoire
Que vous pouvez connoître un jour ;
Heureux qui ne cherche la gloire
Qu’au sein des arts et de l’amour !