Charles Nodier (E. Montégut)
Revue des Deux Mondes3e période, tome 51 (p. 721-754).
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ESQUISSES LITTERAIRES

CHARLES NODIER, CONTEUR ET ROMANCIER

LES ŒUVRES.

La biographie de Nodier se termine, à proprement parler, avec la seconde restauration. À partir de cette époque, sa vie se fixe, s’assagit, et la littérature prend enfin chez lui la place que la politique lui avait si longtemps et si follement disputée. N’êtes-vous pas frappé, en effet, de la longue stérilité de Nodier et de l’extrême lenteur avec laquelle s’est développé un talent qui, à l’origine, semblait armé pour marcher rapidement à la conquête de la célébrité ? Qu’avait-il produit depuis l’époque déjà lointaine de ses débuts ? Quelques écrits d’érudition curieuse, son Dictionnaire des onomatopées, son ingénieux opuscule sur les Questions de littérature légale, mais aucune œuvre d’imagination de quelque ampleur. Après les romans werthériens de sa première jeunesse, sa veine s’était arrêtée court, comme si le régime napoléonien avait eu le cruel pouvoir non-seulement de gêner sa pensée politique, mais d’empêcher le développement de sa vie d’imagination. La restauration eut le don de rouvrir la source, qui dès lors s’épancha en toute abondance, en sorte qu’on peut dire que Nodier n’a commencé à avoir un talent véritable qu’avec le régime qui répondait à ses sentimens politiques. Est-ce là un phénomène particulier à Nodier ? Je suis persuadé que non et que, les hommes de génie mis à part, la plupart des esprits distingués n’ont de talent que par le triomphe politique de leurs opinions. Avec ce triomphe l’âme se dilate, s’épanouit, s’ingénie avec joie, trouve verve et éloquence pour célébrer sa satisfaction, et c’est cet épanouissement de l’âme qui donne naissance à la plupart des talens moyens. Un Chateaubriand, une Mme de Staël, peuvent aisément se passer de vivre sous un régime favorable à leurs opinions ; au contraire, ils trouvent dans la contrainte qui en résulte une source puissante d’inspiration. Il n’en est pas tout à fait de même pour ceux qui ne dépassent pas une moyenne taille.

Jean Sbogar parut en 1818 ; l’auteur avait trente-huit ans. Eh bien ! même alors on peut dire que Nodier en était encore à conquérir sa forme ; je n’entends pas par là l’art de la phrase, qui fut chez lui parfait dès l’origine, mais le cadre, le tour de la composition générale. Jean Sbogar est essentiellement une œuvre mixte où s’associent deux manières fort dissemblables, mais où le vieux jeu, comme on dit aujourd’hui dans l’expressif argot de l’atelier, domine par trop le nouveau. Par la façon d’agencer et de peindre les effets de terreur, cela rappelle trop souvent le Château d’Otrante d’Horace Walpole, les romans d’Anne Radcliffe, et autres productions du même genre, et en même temps il s’y rencontre quantité de pages heureuses où se révèlent à l’improviste les finesses poétiques d’un art nouveau qui n’est pas encore arrivé à complète incarnation et que d’auteur ne peut saisir que par intervalles. On dirait que, si Nodier n’a pas fait mieux, c’est faute d’avoir eu de meilleurs modèles que ceux qui étaient à sa disposition. C’est ici l’occasion de résoudre une question que nous nous sommes souvent posée pendant nos lectures de l’aimable écrivain. Sainte-Beuve a dit de Nodier qu’il avait été en bien des sens un précurseur, et ce jugement est, je crois, généralement accepté aujourd’hui. J’ai grand’peur cependant qu’il ne soit pas d’une justesse parfaite ; en tout cas, il faut s’entendre à ce sujet. Si par ce mot de précurseur on entend que Nodier était romantique dans un sens général bien longtemps avant que l’école romantique vînt au monde, avant même que Mme de Staël eût apporté d’Allemagne le nom et les principes du romantisme, on aura raison ; mais alors bien d’autres ont partagé cette gloire avec lui. N’a-t-il pas écrit dix fois en plein triomphe du romantisme que la révolution littéraire était faite dès le commencement de ce siècle ? Et cela est vrai ; seulement, comme cette révolution s’était faite sans bruit, sans programmes, sans exposés de principes, et que ceux qui l’avaient faite avaient agi individuellement, sans concert ni communauté d’efforts, nul n’y avait jamais pris garde. En ce sens, Nodier a été, en effet, un précurseur, comme son ami Bonneville, dont il a parlé avec tant de sensibilité, comme ce Grainville dont il édita l’étrange épopée, sans compter de plus illustres dont les noms se présentent à toutes les mémoires. Mais si l’on veut donner à ce mot de précurseur un sens plus précis, un sens d’initiation et d’invention, je réponds hardiment qu’il n’en est rien. Ce qui me frappe, au. contraire, c’est que Nodier a toujours marché littérairement d’un pas égal à celui de son siècle sans jamais retarder, mais sans jamais avancer d’une heure ni pour le choix des sujets et des sentimens ni pour la forme qu’il convenait de leur donner. Voyons plutôt. Était-il en avance de son siècle lorsque, dans sa jeunesse, il écrivait les Proscrits, le Peintre de Saltzbourg, les Tristes ? Non, car il avait eu nombre de précurseurs dans cette voie (Ramond, dont il édita sous la restauration le roman le Jeune d’Olban, en était un) ; le werthérisme était l’air que respirait toute sa génération, et ce wertherisme, il l’a exprimé dans le style sentimental et déclamatoire qui régnait à l’époque de sa jeunesse. Je viens de dire ce qu’est Jean Sbogar. Parmi les romans qui suivirent, Adèle est un composé d’Obermann et de n’importe quel roman de l’empire. Thérèse Aubert a plus d’originalité ; toutefois on peut dire que la forme de ce très beau récit était en quelque sorte dans l’air, car c’est à peu près celle qui va distinguer deux ou trois années plus tard les romans de Mme de Duras, particulièrement Edouard. Trilby est une chose charmante ; ce conte n’en a pas moins attendu pour venir au monde1 que Walter Scott eût mis à la mode les légendes écossaises. Il y a dans la Fée aux miettes, publiée après 1830, un très vif sentiment des lois qui gouvernent le genre fantastique : ; croyez-vous cependant que cette jolie fantaisie fût jamais venue au monde sous la forme que Nodier lui a donnée, s’il n’avait pas eu pour modèles la biographie du Chat Murr et l’histoire du Petit Zacharie, surnommé Cinabre, d’Hoffmann ? Inès de las Sierras est de 1836 ; lisez cette jolie nouvelle avec attention et dites s’il ne vous semble pas apercevoir que les nouvelles fantastiques de Mérimée, la Vénus d’Ille et les Ames du purgatoire ont eu une influence sur la construction et le tour du récit ? Nodier n’a donc presque jamais devancé les mouvemens littéraires de son temps ; seulement, il les a suivis avec une telle rapidité ou, pour mieux dire, une telle instantanéité, qu’il a parfois l’air de les avoir déterminés. Presque jamais la forme qu’il emploie n’est de son invention, et pour peu qui on y regarde de près, on trouve toujours un modèle contemporain qui a donné à son imagination la première suggestion. Enfin, s’il est vrai de dire que Nodier fut un romantique bien longtemps avant le romantisme, il faut bien vite ajouter qu’il n’a atteint son plein développement que par le romantisme et sous sa bannière. Dès que l’école de Victor Hugo fut née, il reconnut l’air qui lui convenait essentiellement, qui lui avait manqué jusqu’alors, et il devint le conteur exquis dont il nous reste à parler.

Jean Sbogar est le roman d’un bandit illyrien, en révolte contre la conquête française et dont Nodier pendant son séjour en Illyrie avait suivi de près les exploits et le procès. On a voulu trouver dans ce roman une trace de l’influence de la littérature allemande sur les esprits de l’époque, et il est certain en effet que les Brigands de Schiller se présentent infailliblement au souvenir à la lecture de Jean Sbogar. Il ne faudrait pas se hâter de conclure cependant que Nodier s’y est proposé l’imitation de Carl Moor aussi expressément qu’il s’était proposé celle de Werther dans ses premières années. Non, l’origine de ce roman est à notre avis beaucoup plus intime, et il faut la chercher dans le prolongement de ce singulier état psychologique que la révolution avait créé chez lui et qui ne s’effaça jamais entièrement. Nous avons dit en quoi consistait cet état, comment sa sensibilité surexcitée lui avait présenté la gloire du conspirateur comme la plus enviable et associé à ses jeunes rêveries des images de proscriptions et de supplices. Son admiration pour ce sinistre idéal prit une forme d’autant plus durable qu’il avait essayé de la réaliser sur lui-même ; de là sa tendresse avouée pour tout révolté ou tyrannicide, que ce fût un héros ou un ambitieux inquiet, un patriote ou un bandit. il admirait Charlotte Corday, mais il n’admirait pas moins son ami le colonel Oudet, sorte de mouche du coche de toutes sortes de conspirations avortées ou restées à l’état de projet contre Napoléon ; André Hofer avait été pendant un temps secrètement son idole, et il avait suivi ses succès avec plus de joie peut-être qu’il ne convenait à un Français même ennemi de l’empire, mais le vertueux révolté tyrolien ne faisait aucun tort dans son imagination à un héros de grande routes dont les brigandages arboraient une cocarde patriotique. Si, par hasard, il avait une préférence, on peut même dire que c’était pour ce dernier, et cette préférence pouvait se justifier, sa sympathie pour le révolté quel qu’il fût une fois admise. De même que Bayle se prétendait le meilleur des protestans parce que, disait-il, il protestait contre tout, le bandit peut se dire l’homme libre par excellence puisqu’il s’élève non contre telle ou telle tyrannie déterminée, mais contre toute contrainte sociale. De toutes les œuvres de Nodier Jean Sbogar est celle où on peut le mieux constater le fonds d’idées parfaitement antisociales que les spectacles de son temps avaient laissé dans son esprit, celle-ci par exemple, que nulle génération n’a de raison de subir un pacte social qu’elle n’a pas conclu et que toute révolte contre cette tyrannie est légitime. Si nous trouvions seulement cette idée dans les fameuses tablettes de Jean Sbogar, nous pourrions croire qu’elle n’est là que pour établir l’accord entre les principes et les actes du bandit, et qu’elle n’est en rien personnelle à Nodier, mais comme nous la rencontrons dans vingt endroits de ses ouvrages, et exprimée par des personnages qui n’ont rien de commun avec le brigandage, dans le Peintre de Saltzbourg, dont le héros est un artiste mélancolique[2], dans Adèle, dont le héros est un gentilhomme d’âme libérale, dans Thérèse Aubert, dont le héros est un jeune Vendéen, le doute n’est pas possible. Reste à savoir comment Nodier conciliait avec son conservatisme, son royalisme et son amour enthousiaste de la tradition cette idée et toutes celles qui en découlent logiquement ; il est probable qu’il acceptait naïvement cette contradiction sans s’être jamais interrogé à ce sujet. Cette explication qu’il n’a pas donnée, nous pouvons la donner pour lui ; elle est dans les sentimens que la révolution française avait développés chez lui à son insu. Ceux qui ont vécu dans des temps d’anarchie n’éprouvent plus, à quelque parti qu’ils appartiennent, devant certains faits ou certaines erreurs intellectuelles, le même étonnement et la même antipathie que ceux qui ont vécu dans des temps bien ordonnés. A qui a vu se dissoudre le lien sociables revendications les plus violentes paraissent choses légitimes, et les plus monstrueux paradoxes sont compris et acceptés facilement par quiconque a eu longtemps les oreilles assourdies par les sophismes criards des passions. L’anarchie possède une contagion qui s’étend même à ceux qui sont naturellement ses ennemis et les mieux faits pour lui résister, même aux bons et aux vertueux. Et voilà comment il se fait que Nodier le royaliste et le conservateur a choisi pour héros un voleur de grands chemins, et comment les idées qu’il lui prête ont pu s’accorder avec les siennes propres. On sait qu’à Sainte-Hélène Napoléon donna quelques-unes de ses heures à Jean Sbogar et qu’il y trouva quelque intérêt ; c’est que ce roman lui renvoyait le double écho et des passions françaises qu’il avait enchaînées, et des passions européennes qui avaient fini par le renverser.

Thérèse Aubert suivit de près Jean Sbogar. C’est une de ses très bonnes œuvres, et encore aujourd’hui on ne peut la lire sans sentir la gorge se serrer et les larmes venir aux paupières. Dans ce roman Nodier faisait un retour beaucoup plus direct que dans Jean Sbogar aux sentimens qui avaient passionné sa jeunesse. On y retrouve tout le wertherisme des anciens jours, mais mis en accord avec le goût et l’esprit moral du parti triomphant sous la restauration. Rien, à mon sens, ne marque mieux un certain état de sentiment et d’imagination des premières années de ce régime. La vieille société est rentrée à la suite des Bourbons, non plus en petits groupes et silencieusement comme aux premières années du siècle, mais par masses et bruyamment, et elle est pour un temps triomphante. Elle est pleine, cela va sans dire, du souvenir des vingt-cinq dernières années, et les premières joies du retour passées, elle se plaît à les rappeler avec tristesse et passion. Que d’épreuves ! que de périls ! que de pertes ! combien de proches qu’on ne reverra plus ! combien d’amis qui manquent à l’appel ! Et cependant tout n’était pas noir dans ces souvenirs, et parmi les larmes qu’ils provoquaient, plus d’une était éclairée d’un sourire. La vie avait suivi son cours et semé d’aimables aventures au milieu de ces dangers ; plus d’un avait aimé sous l’ombre même de l’échafaud ou dû son salut à l’amour ; pour plus d’un, des oasis de sécurité et de paix s’étaient ouvertes au milieu du désert de l’exil. Ces périls, ces angoisses, ces fièvres de l’inquiétude, ces voluptés funèbres, ces bonnes fortunes assaisonnées de mort, Nodier rassembla tout cela et en présenta le dramatique tableau dans Thérèse Aubert. La tristesse y surabonde, mais elle est cette fois amplement justifiée. De toutes les variétés du malheur que purent connaître les hommes de ce temps, vie errante du proscrit, mort sur les champs de bataille de la guerre civile, échafaud, folie, désespoir, aucune ne manque ; de tous les personnages, y compris l’auteur supposé du récit qui l’écrit en face de son propre supplice, pas un ne reste debout à la fin, et c’est vraiment charité qu’il en soit ainsi, car on se demande comment le survivant pourrait supporter l’existence après une telle accumulation de douleurs. Aimer après la mort est le titre d’un beau drame de Calderon ; Aimer dans la mort pourrait être le second titre de Thérèse Aubert. Tout ce que le sentiment d’une mort toujours attendue peut donner d’énergie et d’acuité à l’amour, Nodier l’a mis dans ce récit à la grâce lugubre. Ah ! que l’on comprend bien que cet Adolphe qui accuse dix-sept ans à peine s’exprime comme un homme qui aurait vécu une longue existence pleine d’aventures et de passions ! En une situation si cruelle, le temps, se condensant pour ainsi dire, met les années dans les jours, et les mois dans les heures. Dans chacune de ces minutes qui peut être la dernière, il y aura donc une intensité de vie vraiment effrayante. Aussi, chaque étreinte de ces amans sera-t-elle étroite comme s’il fallait disputer l’être aimé à la fatalité ennemie, ou s’attacher à lui de manière à ne pouvoir plus en être séparé ; chacun de leurs baisers se prolongera douloureusement comme s’il était le baiser d’adieu. La mort elle-même deviendra l’auxiliaire de cet amour que ses menaces ont rendu si profond, et puisqu’il ne peut avoir pour lui le temps, il prendra par elle possession de l’éternité. Cette aspiration d’un cœur passionné qui se sent la puissance de créer l’immortalité à ce qu’il ne peut retenir d’une seconde, cette confiance invincible qui dit toujours là où la fatalité dit jamais, sont exprimées avec une véritable éloquence dans les suprêmes conversations au lit de mort de Thérèse. Le sentiment spiritualiste de l’union des âmes par l’amour est très particulier à Nodier, et il est à peine un de ses récits où on ne le retrouve ; ce qu’il y a ajouté dans Thérèse Aubert et ce qui en fait la nouveauté propre, c’est le charme cruel et la séduction poignante qui naissent de l’opposition entre celle de nos passions qui nous rattache le plus à la vie et qui représente le plus essentiellement la vie, et la mort sous une des formes les plus odieusement tragiques qu’elle puisse revêtir.

Les ouvrages qui suivirent appartiennent à un genre bien différent, le genre fantastique ; toutefois, ils nous éloignent beaucoup moins qu’il ne semble de la restauration et des sentimens qui furent propres à cette période. Au moment où Nodier eut l’idée de l’acclimater chez nous, le fantastique était fort à la mode par toute l’Europe. Dans la bizarre et amusante littérature qui en était sortie, on pouvait distinguer deux courans bien distincts, l’un ancien et l’autre nouveau, qui répondaient aux passions respectives de l’époque. Il y avait d’une part le fantastique lugubre de création anglaise, bourré de violens préjugés protestans et de véritables superstitions sur la religion et les mœurs des peuples du Midi, le fantastique dont autrefois Horace Walpole avait donné par manière de jeu le premier modèle dans le Château d’Otrante, qui avait fait ensuite le succès d’Anne Radcliffe, avait établi définitivement sa fortune avec le Moine et les contes de Lewis et avait enfin atteint son apogée avec Maturin dans Melmoth, ou l’Homme errant, le chef-d’œuvre du genre. Mode absurde, direz-vous peut-être ; si elle fut absurde, je me permettrai de faire remarquer qu’elle ne fut rien moins que passagère. En plaçant la date de sa naissance à la publication du Château d’Otrante et celle de sa fin en 1820, époque où parut Melmoth, nous trouvons que son règne a duré sans interruption plus d’un demi-siècle. Durant ce long intervalle, les plus illustres talens avaient subi son influence. Walter Scott n’a-t-il pas avoué ce qu’il devait à Lewis, et ne vous souvient-il pas de la fantaisie qu’eurent un jour lord Byron et mistress Shelley d’écrire en commun des histoires effrayantes, fantaisie qui, du côté de lord Byron, n’eut d’autre suite que le début d’un conte vampirique, mais qui, dû côté de mistress Shelley, eut pour résultat le remarquable roman de Frankenstein ? Et puisque nous venons de prononcer le nom de lord Byron, êtes-vous bien sûr que ses Corsaire, ses Lara et ses Manfred ne doivent rien aux bandits et aux châtelains mystérieux de cette funèbre littérature ? Une si longue durée et une influence si étendue doivent avoir eu une cause. Elles en ont eu une en effet et d’une importance qu’on n’a pas encore remarquée. C’est que ce fantastique avec ses châteaux où s’accomplissent des mystères d’iniquité, ses souterrains receleurs de secrets qui haïssent le jour, ses histoires de tyrans féodaux à l’affût du crime ou en proie aux terreurs du remords, ses bandits effrontément révoltés contre toute loi sociale, ses scènes d’auto-da-fé, ses moines sacrilèges et ses nonnes damnées, était essentiellement révolutionnaire, et s’accordait merveilleusement avec les passions qui avaient emporté l’ancienne société et s’opposaient à son retour. Les partis ne sont pas composés de grands esprits, mais d’hommes de passion, et qui donc dans le commun du camp révolutionnaire pouvait ne pas se plaire à une littérature qui justifiait ses haines par les jouissances mêmes d’effroi qu’elle lui donnait ? Ce fantastique lugubre commençait à décliner à l’époque où Nodier publia ses premiers essais en ce genre, et en face se dressait un autre fantastique plus varié, plus poétique, et en tout conforme à l’esprit de la société européenne qui avait vaincu avec la sainte-alliance. Le passé avait enfin triomphé du présent, et sous l’empire de ce triomphe il se plaisait à multiplier de beaux miroirs de lui-même où les victorieux du moment aimaient à se reconnaître sous les traits qu’il leur présentait des hommes d’autrefois. Cette antique société tout à l’heure si bafouée, si calomniée, si haïe, était redevenue le bon vieux temps, une terre de féerie pour l’imagination, un éden perdu, objet de regrets pour la rêverie mélancolique. Sous le soleil d’une prospérité passagère, tout ce qui restait des choses d’autrefois se mit à ressusciter et à refleurir, et comme ce qui restait n’était que grâce et poésie, pieuses traditions, touchantes légendes, chevaleresques histoires, naïves superstitions, ce fut dans toute l’Europe un enchantement dont l’écho s’est prolongé jusqu’à nous, et que les ennemis même de ce retour au passé partagèrent. C’était l’époque où Walter Scott redonnait la vie au moyen âge et présentait l’image de la seule société survivante du monde disparu, où Manzoni ressuscitait l’Italie catholique et féodale, où les romantiques allemands racontaient les merveilleuses histoires qui ont rendu célèbres les noms de Lamotte-Fouqué, de Chamisso, de Brentano, d’Arnim, de Novalis et d’Hofmann. Placé au confluent de ces deux genres de fantastique, Nodier subit également l’influence de l’un et de l’autre, malgré ce qu’ils avaient de contradictoire, et bien que ce soit le dernier qui ait fini par prévaloir, il lui resta toujours beaucoup du premier, absolument comme dans son royalisme il y eut toujours un certain grain de jacobinisme.

Sa première tentative en ce genre eut cependant une origine très particulière qui ne permet de la rattacher étroitement ni à l’un ni à l’autre fantastique. En Illyrie, Nodier avait trouvé une population dont les sommeils étaient troublés habituellement par le cauchemar et dont les veilles étaient assombries par la plus monstrueuse et la plus noire superstition qui existe, la croyance au vampirisme. Il avait sur les songes une opinion très personnelle qu’il a exposée dans un charmant essai intitulé le Pays des rêves ; il essaya avec son aide d’associer et d’expliquer l’un par l’autre ces deux faits du cauchemar et du vampirisme. Selon lui, les rêves étaient d’autant plus fréquens et d’autant plus puissans que l’homme était plus dominé par la seule imagination, c’est-à-dire plus voisin de l’état des sociétés primitives. Ils avaient alors une telle force que le réveil ne les dissipait pas entièrement, et qu’ils continuaient sous les nouvelles formes que leur donnait la mémoire enchantée ou alarmée. Le songe passait ainsi du sommeil dans la veille, se réalisait dans la vie, et cette réalité née du rêve réagissait à son tour sur le sommeil. Ainsi se comblait par l’habitude tout intervalle entre ces deux états si opposés, et l’homme allait de l’un à l’autre sans, plus de difficultés que nous n’en éprouvons à passer un fleuve sur. lequel un pont a été jeté. Le vampirisme n’a été d’abord qu’une forme du cauchemar, mais si puissante a été la secousse que l’imagination en a ressentie qu’elle n’a pu s’en délivrer et qu’elle a été contrainte à le réaliser dans la veille. Sous l’obsession de ses souvenirs du cauchemar et du vampirisme morlaques, Nodier produisit deux ouvrages : Lord Ruthwen ou le Vampire, Smarra ou les Démons de la nuit ; le dernier seul a survécu.

La moitié de l’existence humaine est prise par le sommeil, et cette moitié a sa vie propre comme celle de la veille ; cette vie nocturne, Nodier entreprit d’en présenter un tableau qui, comme les romans de la vie réelle, formerait un tout ayant ses progressions de passion ou de terreur, serait composé selon les lois qui régissent les rêves et conduit selon la logique à méandres et à brusques ellipses qui les fait sortir les uns des autres et les promène devant l’esprit du dormeur. L’entreprise était originale, elle pouvait facilement n’être que bizarre ; pour la sauver de ce défaut de bizarrerie, Nodier eut recours au moyen le plus ingénieux et le plus sensé, celui de lui donner une forme antique. Dans son discours de réception à l’Académie, Mérimée, se plaisant à opposer la pureté du style de Nodier à l’excentricité de ses compositions, a dit de Smarra, non sans une nuance de raillerie, que cela ressemblait au rêve d’un Scythe raconté par un poète de la Grèce. L’expression est excellente, seulement l’ironie est de trop, car c’est exactement ce que Nodier avait voulu faire. Il s’était souvenu que ce peuple illyrien, chez qui il avait observé la maladie du cauchemar, avait depuis la plus haute antiquité mêlé son sang et ses superstitions au sang et aux croyances grecques, et il choisit judicieusement une forme classique qui lui permît de combiner dans un même dormeur les terreurs sanglantes d’un soldat thrace et les visions voluptueuses d’un lettré d’Athènes. Il avait d’ailleurs l’exemple et l’autorité d’Apulée qui, de tout temps, fut l’objet de sa plus grande admiration. Qu’a fait d’autre, en effet, Apulée que l’entreprise que nous venons de décrire, et qu’est-ce que la Métamorphose sinon la peinture de ce même mélange de la civilisation grecque avec le fonds persistant de farouche barbarie des peuplades voisines, mélange dont les sorcières de Thessalie qui tourmentent le pauvre Lucius offrent le plus sinistre exemple, avec leur méchanceté voluptueuse et leur habileté scélérate ? Nodier se plaça donc sous l’invocation du rhéteur de Madaure et prit le début de la Métamorphose pour point de départ de sa composition. Le choix d’une telle forme entraînant un inévitable archaïsme, il s’ensuit quelque chose d’artificiel dans cette œuvre composée moins avec la spontanéité de l’inspiration qu’avec la patience de l’ouvrier qui assemble les pièces d’une mosaïque ; seulement cette patience a été extraordinaire. Il n’y a pas une phrase qui n’ait été reprise dix fois pour l’épurer de toute expression capable de ramener la pensée vers des temps plus modernes, il n’y a cas une image qui n’ait été triée, essayée, vérifiée, au moyen de la pierre de touche des poètes anciens. Non moindre que cette patience est la constance de l’effort qu’il a fallu pour soutenir jusqu’au bout le ton du rêve et retenir la trame fluide d’une composition toujours prête à se diviser comme une vapeur. De même que le choix de la forme entraînait un certain archaïsme, il ne se pouvait pas non plus qu’il n’y eût une certaine monotonie dans une œuvre qui par son sujet était condamnée à ne se composer que d’images ; mais ce défaut même est ici une qualité, car cette monotonie, berçant l’esprit d’un flot ininterrompu de phrases harmonieusement cadencées, le place dans la disposition même où le sommeil le veut pour le rêve. Et d’ailleurs, quelle variété dans cette multitude d’images ! il y en a là de toute sorte et de dignes des plus vrais poètes, soit qu’il nous montre l’essaim des rêves s’abattant au-dessus du dormeur à la façon des abeilles qui se suspendent en grappes au sommet d’un jeune pin, soit qu’il nous peigne la lune « tachée de sang, semblable au bouclier de fer sur lequel on vient de rapporter le corps d’un jeune Spartiate égorgé par l’ennemi, » soit qu’il nous fasse approcher du cadavre du plus ancien des soleils « couché sur le fonds ténébreux du firmament comme un bateau submergé sur un lac grossi par la fonte des neiges. » Œuvre de rhétorique, si l’on veut, et dont les dilettanti enragés peuvent seuls sentir le mérite, mais tous ceux qui savent le prix d’une cadence, d’une chute de phrase, d’un choix de mots sourds ou vibrans, d’une image bien trouvée et bien assortie à son objet, y prendront toujours un plaisir extrême. Sainte-Beuve a nommé Nodier un Arioste de la phrase, et cette heureuse définition est de la plus extrême exactitude, mais Nodier ne l’a jamais méritée autant que dans Smarra.

Pour être heureuse, la tentative n’en est pas moins singulière, et comme il est impossible de ne pas être frappé de cette singularité, on se dit que Nodier a eu peut-être un but secret, et l’on s’évertue à trouver à ce rêve prolongé un sens ésotérique différent du sens apparent. Ce sens, il y est, je crois, chuchoté bien bas, il est vrai, mais comme il convient aux habitudes des esprits de mystère. Je le donne tel que je l’aperçois ; si je me trompe, ce n’est qu’une illusion de plus, très excusable en telle matière. Il faut le chercher dans le contraste entre le rêve et les délicieux épilogue et prologue qui le précèdent et le ferment. Deux ordres de sentimens très opposés vont ainsi nous apparaître ; d’un côté, les mauvais génies des pensées homicides et des passions implacables issues de la civilisation païenne ; de l’autre, les bons anges de la paix, de la tendresse et de l’amour, enfans de la civilisation chrétienne. Eh bien ! étendez ce contraste, faites-en l’application aux temps où Nodier avait vécu et à celui où il écrivait ce songe, et dites si vous ne pouvez pas traduire ainsi l’exquise musique de ces couplets du commencement et de la fin : « Dormez, vous dont la jeunesse a connu tant de mauvais jours, et que l’inquiétude de les voir renaître ne trouble pas votre sommeil. Dormez en paix, nous vivons sous le règne du roi très chrétien, Louis, dix-huitième du nom. Chassez pour jamais ces images funestes de sorcières méchantes et de gnomes hideux, de victimes et de bourreaux. Cet échafaud de Lucius ne se dressera plus jamais, ni pour vous, ni pour ceux que vous aimez ; ces cortèges funèbres qu’il vous décrit n’escorteront plus personne à la mort ; ce peuple effrayant ne viendra plus sous vos fenêtres, hurlant des menaces, et demandant vos têtes. » Oui, dans cet étrange petit livre, on reconnaît la trompeuse sécurité de la société de la restauration, on sent la respiration haletante des âmes à peine délivrées de l’oppression des terribles vingt-cinq années précédentes. On dirait que Nodier a voulu dans cette œuvre se débarrasser une fois pour toutes de l’obsession des souvenirs qui le poursuivaient depuis si longtemps. Si telle a été son intention, il a vraiment réussi. Le fait est que le sentiment morbide, obstiné comme une idée fixe, qui le ramenait toujours vers ces terreurs de la révolution, sentiment si fort encore tout récemment dans Jean Sbogarn Thérèse Aubert, Adèle, va s’effaçant de plus en plus à partir de Smarra, et quand plus tard il y reviendra, ce sera surtout, comme dans les Souvenirs de jeunesse, pour évoquer tout ce qu’il connut de doux, de gracieux et d’aimable pendant ces jours terribles, ou, comme dans les Souvenirs de la révolution et de l’empire, pour raconter à la façon des vieillards des périls qu’on a fini par surmonter et des épreuves dont on s’attendrit en les rappelant.

Trilby est à peu près de la même époque que Smarra. Ce conte charmant, né de la première vogue des romans de Walter Scott, d’un voyage en Écosse que Nodier fit en 1821 avec son ami le baron Taylor, et d’une anecdote racontée par M. Amédée Pichot, est sans doute présent à la mémoire de la plupart de nos lecteurs, et point n’est besoin, par conséquent, d’insister pour faire comprendre comment il porte les couleurs et la marque des goûts d’imagination de l’époque de la restauration. C’est de tout point une œuvre achevée, et je ne crois pas que Nodier ait jamais dépassé le point de perfection qu’il y a atteint. La psychologie en est excellente et d’une transparence merveilleusement limpide ; le fait moral qu’il a enveloppé dans sa fable se laisse suivre sous le cours du récit aussi distinctement qu’apparaissent sous les eaux du lac Beau les féeriques poissons bleus, orgueil des filets du mari de Jeannie. C’est bien ainsi que les rêves décevans s’insinuent dans l’âme, s’en emparent, la maîtrisent et la tuent. Le point de départ est l’innocence même. Jeannie est aimée du lutin du foyer, et c’est à lui qu’elle rapporte tous les rêves capricieux auxquels son imagination s’amuse. Il lui rend légère sa monotone existence, il efface les vulgarités de sa vie quotidienne, il peuple sa solitude. Où est le mal en tout cela ? et d’ailleurs Trilby n’est-il pas moins qu’un enfant ? C’est un lutin, c’est-à-dire quelque chose de plus microscopique qu’un atome, de plus insaisissable qu’un souffle de l’air, de plus rapide qu’une étincelle de ce foyer dont il a fait sa demeure. Cependant les sollicitations incessantes de Trilby finissent par alarmer la conscience de Jeannie ; cet amour si léger, elle ne peut pas le tenir secret, et le pauvre Trilby, exorcisé par un moine à la piété farouche, est chassé de la cabane du pêcheur ; mais, phénomène singulier, cette expulsion, loin de guérir le trouble de Jeannie, l’accroît au contraire. Son rêve grandit par les moyens mêmes dont elle s’est servie pour s’en délivrer, et l’image de son invisible amant a pris désormais une forme humaine ; ce n’est plus Trilby, le lutin du foyer, c’est un beau jeune homme dont le fantôme la poursuit de ses reproches passionnés. Jeannie résiste victorieusement à cet amour qu’elle ressent et dont elle a terreur, qu’elle refuse à la fois d’avouer et de maudire. Inutile victoire ! le rêve a maintenant rempli toute son âme, en sorte qu’en triomphant de la tentation, c’est elle-même qu’elle tue. Un défaut fréquent de ces sortes de récits est de tomber trop aisément dans l’allégorie, et ici ce défaut était d’autant plus à craindre que le fait psychologique qui en fait le sujet était plus transparent, et cependant il n’en arien été ; c’est bien un vrai conte merveilleux que nous lisons et non une ingénieuse histoire morale. Il y a là mille détails de la plus heureuse invention et où se trahit un hôte familier du pays des fées ; le récit en particulier que fait Trilby à Jeannie des misères de son exil, des nids qu’il a partagés avec les petits des oiseaux, des demeures souterraines qu’il a disputées au mulot, des lits de mousse où il a cherché un abri contre le froid, est vraiment digne des lutins de Shakspeare. Dans aucune de ses œuvres non plus Nodier ne s’est montré paysagiste plus remarquable. Les luttes de la lumière et du brouillard, si fécondes en spectacles féeriques, les vapeurs abondantes et denses de la terre et des lacs qui dressent aux sommets des montagnes ou suspendent à leurs flancs ces illusions de paysages et d’architectures fantasques que dans nos pays du midi nous cherchons dans les nuages, tous ces phénomènes de la brumeuse Écosse ont été rendus par Nodier dans tous leurs contrastes avec une richesse de coloris d’une surprenante variété. Enfin la manière dont l’élément fantastique a été conduit et ménagé est des plus remarquables. Le fantastique dont Nodier s’est servi pour écrire Trilby est celui-là même dont Cazotte a donné chez nous le plus irréprochable modèle, fantastique précis, repoussant tout luxe de détails féeriques et toute exagération de diablerie, fantastique qui est tellement dans le tempérament de notre génie national et dans nos dispositions héréditaires d’imagination, que deux Allemands, dont l’origine française n’a pu être effacée par le génie de leur pays d’adoption, Chamisso et Lamotte-Fouqué, l’ont pratiqué d’instinct. Que Nodier, en écrivant Trilby, ait songé à Cazotte, cela est indéniable, car non-seulement il s’est proposé le même sujet fantastique, mais il lui a fait un emprunt très direct, quoique adroitement dissimulé. Quand Trilby insiste auprès de Jeannie pour qu’elle lui dise seulement : « Oui, Trilby, je t’aime, » il ne fait que se rappeler, le : « Dis-moi, je t’en prie, dis-moi : Cher Béelzebuth, je t’adore, » du Diable amoureux. La stérilité relative des longues années qui séparent les romans werthériens de la jeunesse de Nodier de Jean Sbogar recommence après Trilby pour ne s’arrêter qu’en 1829, date de la publication de Mademoiselle de Marsan. Vous êtes étonnés peut-être de la fréquence et de la longueur de ces intermittences d’un talent si facile en apparence ; ne les attribuez cependant ni à l’impuissance ni à la paresse. Dieu sait s’il restait inactif pendant cette période de sept années maigres. Que de travaux de toute sorte, que d’entreprises, et aussi, il faut le dire, que de besognes ! ses nuits y passent après ses journées, et elles ne suffisent pas encore à un tel labeur. Ce sont des Voyages pittoresques dans l’ancienne France entrepris en collaboration avec son ami le baron Taylor ; ce sont des traductions ou des adaptations d’œuvres étrangères assorties à son tour d’esprit, parmi lesquelles il faut citer le drame de Bertram, de Maturin, d’innombrables éditions des auteurs les plus divers, Millevoye et Voltaire, Clotilde de Surville et Molière ; des notices et préfaces à l’infini sur Galland, Baour-Lormian, Raynouard, Lamartine, lord Byron ; des arrangemens de dictionnaires français et des préfaces de dictionnaires étrangers : « J’ai neuf volumes sous presse, » écrit-il un jour de 1828 à son ami Weiss. C’est que, malgré les circonstances favorables que la restauration lui avait faites, le pauvre Nodier portait toujours le poids des longues années aventureuses et besogneuses de sa jeunesse. Collaborateur assidu du Journal des Débats, de la Quotidienne ensuite, — il nous adonné les chiffres de cette collaboration au moins pour le Journal des Débats, et ils sont considérables, étant donnée la valeur de l’argent à cette époque, — bibliothécaire à l’Arsenal, pensionné de divers ministères, plus tard même inscrit sur la liste civile du roi, producteur infatigable, bibliophile expert, habile à l’échange des livres rares, commerce lucratif qu’il pratiqua toute sa vie et qui l’aida singulièrement à surmonter ses déboires, il avait bien des ressources pour effacer ses imprudences passées ; mais qui ne sait que, lorsque de telles situations pécuniaires ont été créées, elles se montrent plus vivaces que ce vampire aux innombrables résurrections dont il a fait un roman ? Au moment où on croit s’en être débarrassé, elles reparaissent sous une nouvelle forme, car pendant qu’on travaille à s’en délivrer, la vie continue son cours et ajoute de nouvelles exigences aux embarras existans déjà. C’est un enfant qui naît, une maladie qui se prolonge, une perte imprévue, une occasion heureuse qui échappe ; sans cesse il faut aller rechercher au pied de la montagne ce rocher de Sisyphe, qu’on croyait avoir remonté pour toujours. Ce fut là l’histoire de Nodier ; peu d’hommes de ce temps ont payé plus cher l’humeur indépendante de leur jeunesse et le libéralisme de leurs opinions. Toute sa vie nous le voyons contracter une dette pour en détruire une autre, ou, comme dit le peuple, découvrir Pierre pour couvrir Paul. L’imprudence est un mal dont les natures généreuses ont d’ailleurs peine à se guérir, et Nodier eut en tout temps des rechutes fréquentes de ce mal. Pendant les années de la restauration, il engagea légèrement sa signature pour rendre service à un ami dont le nom ne nous est pas donné : à l’échéance, l’ami disparut, et Nodier se trouvât obligé de faire face à des engagemens qui ne lui étaient pas personnels. La somme était assez faible (quelque chose comme 5,000 fr. ), mais elle représentait pour Nodier une masse énorme de travail. Il n’avait qu’un moyen de s’acquitter : c’était d’engager par avance pour un temps donné les indemnités ou salaires fixes qu’il recevait ; mais ce moyen était encore une imprudence et il n’était pas facile de trouver un banquier qui consentît à une pareille affaire. Refusé par le banquier conservateur en vogue de l’époque, Nodier fut plus heureux avec M. Jacques Laffitte, qui, libéral de cœur comme d’opinions, s’empressa de sortir d’embarras un royaliste aussi intéressant. Ce solde par fractions de la somme dont nous venons de donner le chiffre, perpétuellement retardé, et par les besoins d’argent de Nodier, et par les changemens des ministères, et par la révolution de juillet, durait encore en 1836. La gêne l’accompagna, on peut le dire, jusqu’au tombeau ; car dans les années qui précédèrent sa mort, nous le voyons faire des prospectus pour des libraires ou des industriels au prix fixe de 500 francs ; c’est lui-même qui, dans une série de lettres à son ami Weiss, nous a révélé ce navrant détail. En voilà assez sur ce triste sujet ; laissons là l’homme et revenons, pour ne plus le quitter, au romancier et au conteur.

Mademoiselle de Marsan, avons-nous dit, marqua la fin de ce second repos de ses facultés inventives. Cette longue nouvelle où il faisait retour à ces mystères du carbonarisme qui l’avaient tant préoccupé autrefois, venait bien à son heure à cette fin de la restauration où la marée montante du libéralisme annonçait qu’elle allait encore une fois tout emporter : sans être trop préoccupé de l’à-propos, Nodier ne le négligeait cependant pas, et il n’est pas impossible que cette nouvelle ait été écrite en vue de l’heure où elle parut. C’est une seconde édition de Jean Sbogar revue, corrigée, moins naïve que la première, mais mieux composée, et d’une tout autre unité de manière ; on y sent manifestement l’influence de l’école romantique, qui livrait alors ses grandes batailles et dont Nodier était un des plus fervens adeptes. Dès l’apparition de cette école, en effet, il avait reconnu en elle ses propres doctrines et il s’était prononcé pour les novateurs. Il fut donc romantique et il le fut absolument, sans hésitation, sans réserve, sans aucun de ces compromis auxquels s’arrêtaient volontiers alors les hommes de sa génération, un Guiraud, un Soumet, un Lebrun, voire même un Népomucène Lemercier, car si nous avons dû lui contester son titre d’initiateur, nous ne pouvons dire qu’il ait été à aucun degré un homme de transition. A partir de la constitution de l’école romantique au moins, on ne trouve dans ses écrits rien qui marque le passage d’une génération à une autre. En critique, il a pu être de plus d’une époque, mais dans la littérature d’imagination, il est entièrement de son temps. L’apparition du romantisme, fut, après la restauration, l’événement qui eut pour Nodier les plus heureuses conséquences. Par exemple, il lui dut le monde qui convenait essentiellement à son tour d’esprit et à ses préférences. Jusqu’alors, sauf quelques bons vieux camarades franc-comtois, il n’avait eu que des amis pris un peu partout, au hasard des rencontres et des accidens de sa vie peu stable, divers d’esprit comme de condition et de doctrines comme de fortune ; pour la première fois il trouvait, avec l’école d’Hugo, un groupe compact de jeunes esprits dont aucune division ne le séparait. Il est curieux de l’entendre dans ses lettres de la fin de la restauration et du commencement du règne de Louis-Philippe parler de Victor Hugo et d’Alexandre Dumas, de Sainte-Beuve et de Vigny comme s’ils étaient ses compagnons d’âge. C’est qu’en effet il lui était arrivé de rencontrer vingt ans trop tard ses amis selon son cœur et son imagination, et il avait dû vivre dans une sorte d’isolement intellectuel qui n’avait cessé qu’avec leur tardive arrivée. Par son âge et son renom, Nodier devint tout de suite un des centres de cette phalange sympathique, et son salon de l’Arsenal, dont les soirées resteront célèbres dans l’histoire littéraire de notre siècle, fut à la phase triomphante du romantisme ce que le cénacle avait été à sa phase militante. C’est aussi en partie, je le crois, à l’influence de ce jeune monde et à l’appui qu’il y trouvait qu’il faut attribuer la fécondité de ses quinze dernières années. Nodier a énormément écrit durant ces quinze années et dans les genres les plus divers : nouvelles, contes, fragmens autobiographiques, portraits historiques, dissertations critiques, fantaisies philosophiques, pamphlets humoristiques. La variété des dons est très grande, il faut en convenir, si elle répond à la variété des œuvres. Lui-même semblait s’étonner de cette végétation mêlée et se plaisait à l’expliquer par les différences et les contradictions de sa nature. Dans une aimable fantaisie qui date de 1830, l’Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux, il a justifié cette apparente incohérence en se présentant comme composé de trois hommes opposés : l’un, tout contemplation et rêverie ; l’autre, tout entrain et gaîté malicieuse ; le troisième, tout curiosité érudite et manie fureteuse. L’explication n’était pas à son désavantage, mais peut-être se flattait-il un peu, et est-il moins difficile qu’il ne le disait de ramener tous ces hommes à un seul. Au fond, deux genres seulement sont naturels à Nodier : la nouvelle sentimentale et le conte fantastique, et les mêmes caractères, qualités et défauts, sont communs à ces deux genres.

Il revint au premier dans une suite de récits semi-autobiographiques qui ont formé le volume intitulé : Souvenirs de jeunesse. Vous connaissez l’admirable pièce des Orientales qui a pour titre : Fantômes ; on pourrait dire que les nouvelles de Nodier n’en sont que le développement en prose. Il y évoque les ombres des jeunes filles aimées ou dignes de l’être qui avaient traversé ses jeunes années et s’étaient évanouies comme un son sur la lyre, ou dont l’âme trop tendre avait brisé le corps, comme en s’envolant l’oiseau courbe la branche. Le livre est charmant, seulement ne le laissez pas traîner dans les chambres des demoiselles, pas plus du reste qu’aucun des récits d’amour de Nodier. Ce n’est pas qu’il soit capable de pécher contre certaines bienséances : n’est-ce pas lui qui a dit de l’amour physique « qu’il était extrêmement joli, mais que c’était un sujet sur lequel il ne fallait jamais écrire ? » Il a fait cependant quelque chose de plus dangereux peut-être que la peinture de l’amour physique, il a élevé la sensualité jusqu’à l’âme et l’a en quelque sorte spiritualisée. Oui, la sensualité, en dépit de tous les déguisemens de mysticisme, de platonicisme, de pétrarquisme dont elle s’enveloppe et de la prétendue chasteté qu’elle s’impose. Cette chasteté d’ailleurs n’a jamais dû être bien dure à subir, à voir comme elle est adroite à se créer des compensations et à se payer en plaisirs exquis des contraintes qui sont sa loi. Elle se contente modestement des voluptés à demi innocentes de la passion naissante ou rêvée, mais c’est qu’elle n’ignore pas qu’il n’y a rien dans les voluptés de la passion satisfaite de comparable en finesse aux sensations délicieuses des commencemens et des temps d’apprêt de l’amour. Nodier est incomparable pour décrire le frémissement qu’un frôlement de robe fait courir dans l’être entier, pour dire comment devant la personne aimée le sang peureux se réfugie dans le cœur au risque de l’étouffer d’angoisse voluptueuse, pour peindre les jeux de la lumière sur une aigrette ou une chevelure. Cette sensualité n’est pas seulement raffinée, elle est inventive, elle sait l’art d’ajouter quelque chose au plaisir ou d’en créera l’improviste quelque variété nouvelle. Rappelez-vous le baiser d’Adolphe et de Thérèse. Aubert au travers d’une feuille de rose ; rappelez-vous le moment où la chevelure d’Amélie effleurant la joue de Maxime Odin (pseudonyme de Nodier dans les Souvenirs de jeunesse) il y cache son visage entier en en retenant un des flots avec les dents, et tant d’autres détails d’une âpre et poignante douceur. Pour comble de raffinement, c’est toujours à quelque moment tragique ou dans l’attente inquiète de quelque sombre événement que ces inventions se produisent, circonstance où se révèle le voluptueux consommé. Il sait bien ce que l’inquiétude ajoute d’étendue au plaisir, et ce n’est pas pour lui un secret psychologique que la souffrance peut être dans l’amour le principe d’une félicité à laquelle le bonheur triomphant des passions sans contrariétés ne peut se comparer.

Ces derniers mots en disent beaucoup, ils ne disent pas tout cependant. La passion chez Nodier est profonde et exaltée, si profonde et si exaltée qu’elle est toujours tout près du quelque chose qui se brise, et ce quelque chose se brise toujours, c’est à ce point qu’il la conduit, et elle ne lui plaît que lorsqu’elle y arrive. Parmi toutes ses bizarreries, la plus étrange est son affection vraiment désordonnée, — nous dirions morbide si nous ne craignions de faire un pléonasme, — pour la maladie. Sainte-Beuve, qui l’a remarquée, y voit une sorte d’expédient romanesque, de machine littéraire destinée à donner les dénoûmens et à tirer l’auteur d’embarras ; mais cette prédilection a des causes plus profondes. Et d’abord elle s’associe merveilleusement à la sensualité raffinée que nous venons de décrire. Un diletande en matière de beauté vous dira que la maladie peut être aussi riche en nuances de grâce que le paysage de la fin d’automne en teintes attendrissantes ; dans l’agonie de l’être humain comme dans l’agonie de la nature, c’est la mort qui crée ces charmes imprévus. Qui n’a reconnu les effets surprenans de son approche ? Telle maladie a la puissance d’agrandir les yeux ou d’en doubler l’éclat, telle autre communique au visage une pâleur touchante à l’excès, telle autre lui imprime le sceau d’une mélancolie altière. Tout cela, Nodier l’a senti, exprimé, fait comprendre, mais la grosse raison de ce goût singulier, c’est que la maladie se prête mieux que la santé aux délires de la passion, et que Nodier n’aime la passion que délirante. Voilà des transports dont rien ne saurait égaler l’énergie, ceux d’une passion, qui se sait partagée et sent que tout lui échappe, et il est certain qu’un amour qui n’a plus que quelques heures rapides pour dire ses regrets de la terre et ses espérances d’immortalité a une tout autre éloquence qu’un amour qui se sait maître du temps. Il y a dans ces peintures de la passion chez Nodier une nervosité, une fébrilité vraiment exceptionnelles, et qui les classent à part même parmi les productions de la littérature romantique. Il lui faut de l’outrance ; aussi, à défaut de la maladie, toute autre fatalité qui la lui permettra lui sera bonne, l’inégalité des conditions par exemple. Lisez, pour vous en convaincre, Clémentine, la meilleure après Amélie des nouvelles qui composent les Souvenirs de jeunesse. Atala demandant à rouler avec Chactas sur les débris de Dieu et du monde pour se venger du vœu imprudent qui la lie, n’a pas plus de frénésie que le jeune Maxime Odin souhaitant de rouler sur les débris de la société en compagnie de Clémentine pour la punir de mépris dont il n’a pas pénétré la cause. C’est encore une remarque de Sainte-Beuve qu’il y a eu par avance de l’Antony dans Nodier, et la remarque est d’une parfaite justesse ; mais il ne nous est pas prouvé que le rapport ne soit pas plus direct encore que ne le dit l’illustre critique. Alexandre Dumas fréquentait beaucoup Nodier à l’époque où il composa ce fameux drame, et qui sait si ce n’est pas auprès de lui et dans la lecture de ses romans qu’il a pris le germe de cette frénésie hystérique qui a été un moment son principe d’inspiration ? Aux frénésies amoureuses de Maxime Odin ajoutez une forte dose de brutalité et le silence du sens moral, défauts que Nodier ne connut jamais, et vous obtiendrez en effet facilement Antony.

Anévrisme, phtisie, petite vérole, toutes les variétés de la maladie sont bonnes à Nodier, cependant il a une préférence marquée pour la plus triste de toutes, c’est-à-dire la folie. On peut compter chez Nodier autant de fous que d’ouvrages, et il faut même grossir ce nombre, car il est rare qu’il n’y en ait qu’un seul par roman. Folie dans les Proscrits, folie dans le Peintre de Saltzbourg, folie dans les Tristes, folie dans Jean Sbogar et dans Thérèse Aubert. Smarra et Trilby ne font même pas exception, car qu’est-ce que Smarra sinon une démence momentanée, et la mort de Jeannie n’est-elle pas le résultat d’un délire prolongé qui a brisé sa raison ? Nodier fait mieux que plaindre et aimer les fous, il les admire et parfois même il les envie ; il a pour eux le respect et la haute estime que professent les Orientaux, et voit volontiers en eux les élus de Dieu. Le fou, c’est l’amant sincère par excellence, sa maladie ne le prouve que trop ; c’est le poète par excellence, car il n’entre dans ses rêves aucune convention académique, aucun artifice de rhéteur ; c’est le philosophe par excellence, car il voit par intuition ce que les plus savans hommes ne verront jamais avec le secours de leurs méthodes. Cette sympathie pour la folie est le principe du fantastique qui est propre à Nodier ; c’est en elle qu’il faut le chercher plutôt que dans cet autre goût bien connu pour la superstition, plutôt que dans la préférence qu’il eut toujours en littérature pour les œuvres qui s’adressaient exclusivement à l’imagination. Prenez-le, non dans les contes où il s’est proposé un modèle étranger, mais dans ceux où il a été son propre et seul inspirateur, et dites si vous découvrirez autre chose que cette préoccupation obstinée de présenter les fous comme l’élite du genre humain. Un médecin qui eut naguère une notoriété disait, par excès de matérialisme, que le génie équivalait à la folie ; Nodier, par excès de spiritualisme, dit que la folie est le point culminant du génie. En doutez-vous ? passez ses contes en revue. Voici Baptiste Montauban, le fou mélancolique, dont la tendresse a des profondeurs et des délicatesses inconnues aux cœurs des gens en santé. Voici Jean-François les bas bleus, le fou scientifique qui raisonne avec tant d’éloquence sur les mystères des cieux. Voici Lydie, dont l’âme a été brisée par la perte d’un mari adoré et que la folie ravit toutes les nuits dans un ciel de la découverte de Nodier, sorte de narthex du monde invisible, où les morts ressuscites attendent l’heure de la réunion avec Dieu. Voici Franciscus Columna, dont la folie a fait un représentant accompli de l’amour mystique ; jamais Platon ni Pétrarque n’eurent de disciple plus intelligent ni de sectateur plus croyant. N’est-ce pas aussi la folie qui, dans Inès de las Sierras, est le principe à la fois du fantastique du conte et du talent d’artiste de l’héroïne ? Mais là où cette sympathie s’est épanchée tout à l’aise, c’est dans la longue et ingénieuse fantaisie de la Fée aux miettes. L’œuvre est une des plus remarquables de Nodier. Le plan, qui en était de difficile exécution, a été suivi jusqu’au bout avec une dextérité merveilleuse, et l’enchaînement des rêves du fou qui raconte ce qu’il croit son histoire a été présenté avec cette logique à la fois décousue et sophistique, si souvent faite pour embarrasser, qui est propre à la folie. Cette lumière spectrale, c’est-à-dire à la fois vive, sèche et sans joie, qui enveloppe les visions de la démence, y éclaire des scènes d’un comique grimaçant dignes d’Hoffmann, comme la transformation du bouledogue en la personne du baronet sir Japp Muzzleburn, ou d’une verve satirique fantasque où Rabelais aurait reconnu un de ses lecteurs assidus, comme la scène de la cour d’assises. Malgré tout le mérite de ces effets d’un art ingénieux, l’intérêt du livre n’est pas là cependant ; il est dans l’assimilation évidente que l’auteur établit entre les phénomènes de la folie et les lois mêmes de l’imagination, et dans l’espèce de poétique qu’il en tire. O poète, dit très clairement Nodier, pourquoi mépriserais-tu mon lunatique Michel ? La seule différence qu’il y ait entre toi et lui, — et elle est toute à son avantage, — c’est qu’il poursuit d’un cœur ardent et avec une foi parfaite ce que tu poursuis d’un cœur sceptique et par nombre de ruses qui témoignent de ta défiance. Les plus merveilleuses de tes inventions que sont-elles de plus à l’origine que cette pauvre mendiante de Granville à la fois si vieille et si jeune, qui sait l’art des métamorphoses, et sous ses haillons et ses rides cache la royale parure et l’immortelle beauté de Belkiss, reine de Saba, amie de Salomon ? Et cet idéal auquel tu aspires sans jamais l’atteindre et que tu vas chercher dans la mort, dis-moi s’il est autre chose que cette mandragore qui chante, dont la possession doit mettre fin aux malheurs de mon lunatique, et y met fin, en effet, puisqu’il se rompt le cou en s’élançant pour la saisir ?

Chose étrange à dire, le spiritualisme très sincère de Nodier n’avait guère de base plus sérieuse que cette confiance aux assurances de la folie. Il en avait tiré mieux qu’une poétique ; il en avait tiré toute une philosophie, presque une révélation. On sait les délicats problèmes de théologie que notre pape français Jean XXII aimait à agiter avec les mystiques cordeliers. Que deviennent les âmes heureuses et quel sort leur est fait avant le grand jour du jugement général ? Ce problème que les docteurs d’Avignon résolvaient par la vision béatifique, Nodier le résout par ce qu’il appelle la résurrection et le monde des ressuscites. Répandue partout dans ses œuvres à l’état de vague induction, cette fantaisie philosophique prit de plus en plus possession de l’esprit de Nodier à mesure qu’il vieillissait ; le conte remarquable à plus d’un titre de Lydie, ou la Résurrection, qui date de ses dernières années, nous la présente sous sa forme la plus nette et avec des ambitions de théorie qu’elle n’avait pas eues jusqu’alors. Et, en effet, comment n’aurait-elle pas eu cette ambition et de plus grandes encore, puisque Nodier la devait à une série de songes que leur opiniâtreté lui avait fait prendre pour une révélation philosophique qui lui avait été particulièrement réservée ? C’est lui-même qui nous l’apprend dans une lettre de 1832, écrite en plein choléra, et trop curieuse pour ne pas être citée. Voilà une révélation de la nature de Nodier autrement sûre que celle dont il croyait avoir été favorisé. Si vous doutiez qu’il y avait eu dans Nodier un véritable visionnaire que les distractions de l’entomologie et de la bibliophilie avaient heureusement empêché de se développer, la lecture de cet incroyable document vous tirera peut-être d’incertitude.


… J’ai la monnaie du choléra, c’est-à-dire tous les symptômes un à un, mais il n’a pas encore osé me prendre au collet de sa personne, quoique ce soit un rude adversaire. Il sait peut-être que j’ai de bonnes raisons de ne pas le craindre. Tu les trouveras avant quinze jours dans un article de la Revue de Paris, où il sera traité de la palingénésie humaine et de la résurrection, et s’il me donne quinze jours de répit, tu te riras de lui comme moi.

Il faut te dire que, depuis quatre ans, une idée, descendue dans mon esprit à la faveur du sommeil, qui est le premier des enseigneurs, s’y est développée avec tant de puissance de nuit en nuit qu’elle a fini par se changer en conviction. Je l’ai cachée longtemps sous le boisseau, parce que le genre humain, dans son état actuel, ne vaut pas la peine qu’on lui jette une vérité inutile. Maintenant j’ai besoin qu’elle jaillisse, peut-être parce que le vase va éclater. Si tu daignes lire cela de plain-pied avec moi, et en t’abstenant jusqu’au bout de la haute dérision des sages, tu comprendras ce que j’ai compris et tu sauras ce que je sais, c’est-à-dire la vérité matérielle, essentielle et indispensable de la résurrection, prouvée par des argumens plus clairs que le soleil dans son midi, par un beau jour d’été, et cent mille fois plus certains, hélas ! que notre réveil de demain.

Ne va pas penser que je prélude au choléra par une fièvre cérébrale. Non, mon ami, je ne suis pas fou. Non, je ne me crois pas inspiré. Non, je ne veux ni fonder une école philosophique ni prendre place parmi les illuminés des religions. Le hasard seul a jeté en moi une perception immense, incommensurable, qui a le caractère le plus évident de la vérité. C’est qu’aucun homme qui pense ne peut la contredire sans s’accuser dans son cœur de mauvaise foi et de mensonge, et cette perception, c’est celle du système de la création tout entière avec son commencement et son but. Les sages de l’Inde, et après eux Pythagore, Charles Bonnet, Kant, qui sont les plus grands génies de tous les siècles, en ont aperçu quelque chose ; Cuvier aussi, mais la chaîne s’est rompue dans sa main sans qu’il osât la renouer. Moi je la tiens, j’en suis sûr, il n’y manque pas un anneau, et l’univers est complet et sublime comme il devait l’être.

Oh ! comprends-tu la joie d’une âme d’enfant, d’une âme ignorante et malade, dans laquelle une telle pensée est tombée plus lucide que le sentiment de sa propre existence, d’une âme troublée par l’angoisse horrible que nous nous sommes communiquée tant de fois, d’imaginer que la vie de l’homme n’était qu’une mystification, et qui s’assure tout à coup, par un effort bien étranger à son intelligence, que la vie de l’homme est exactement rationnelle, qu’il remplit le chemin qu’il doit remplir, que les fléaux eux-mêmes sont bons parce qu’ils sont les instrumens du perfectionnement universel ? Ajoute qu’il n’y a rien là de l’imagination ; le contraire est impossible.

Cacher cela, pourquoi ? et pourquoi le donner ? La gloire, peut-être ? Une gloire d’homme, grand Dieu ! et que vaut une gloire d’homme, je vous en prie, quand on sait au juste ce que c’est qu’un homme ? Le fait est que mon expansion causeuse et prodigue a mis quelques personnes dans ma confidence, que cette idée a préoccupé des masses intéressées à émouvoir et que je ne veux pas qu’elle serve à une déception. J’en tirerai les élémens qui suffiront à ta conviction. La mienne est confirmée à toutes les minutes par des solutions expérimentales. Je sais ce que je sais et que ce que je sais est vrai. Tranquillise-toi, pauvre ami ! Dans ce temps où l’on se fait pontife à si bon marché, tu ne me verras pas même postuler un diaconat chez les charlatans qui exploitent le monde, car tu verras que mon premier degré d’initiation, j’irai le prendre avec tous au séminaire de la mort.

J’aurais eu plus tôt fait de te dire en deux mots la théorie génésiaque qui m’a été donnée et que tu comprendras d’un regard ; mais pourquoi ne pas te laisser cette petite inquiétude sur ma raison, puisqu’elle te forcera à me lire attentivement une fois ? Je te donne ma parole d’honneur qu’aussitôt après, je retourne à mes nouvelles et à mes romans, qui sont maintenant l’outil indispensable de ma vie actuelle, état fort réel de mon éternelle vie, mais qui ne l’est pas plus que l’autre.


Nous n’accompagnerons ce document d’aucun commentaire, et nous laisserons au lecteur le soin d’en tirer telle conclusion qu’il lui plaira. Philosophiquement, cette fameuse théorie, dont on trouvera dans Lydie l’exposé dramatisé, peut être une simple puérilité ; gardons-nous cependant de lui être trop sévère, car elle a son côté noble et élevé. Tout n’est pas morbide et fiévreux dans ce faible de Nodier pour la maladie et la folie ; s’il leur porte tant de sympathie, c’est qu’il y voit des auxiliaires de l’amour, des agens de l’immortalité qui abrègent l’exil des âmes que la mort a séparées et les réunissent pour toujours dans l’éternité. Ce sentiment de l’immortalité dans l’amour est un des plus forts et des plus constans qu’il y ait chez Nodier, celui qu’il exprime avec le plus d’éloquence et dont il a tiré les effets les plus heureux. Avec quelle vivace énergie il triomphe dans Thérèse Aubert des tristesses de la terre, des laideurs de l’horrible maladie et change en espérance le désespoir même ! Comme il est pur, touchant et vraiment religieux dans Lydie ! noble, délicat et pieusement chevaleresque dans Franciscus Columna ! Un swedenborgien, s’il en existe encore, dirait que ce sentiment fait découvrir à Nodier non-seulement le ciel, mais aussi l’enfer, et mesurer la distance qui sépare l’un de l’autre, car de même que cette union éternelle des âmes constitue pour lui la félicité par excellence, le contraire lui apparaît comme le dernier degré de la damnation. Il y a sous ce rapport dans Jean Sbogar un passage admirable qui n’a jamais été remarqué autant qu’il mérite de l’être, cette conversation avec Antonia, où le bandit, qui sait trop qu’il ne peut prétendre à sa bien-aimée sur la terre, laisse entrevoir qu’il peut encore moins l’espérer dans l’éternité, séparé qu’il est d’elle par le démérite de sa vie. Je ne connais rien qui donne mieux l’idée d’une destinée irrémédiablement perdue et qui fasse mieux toucher le fond même du malheur que ces quelques pages. Par ce sentiment si fortement spiritualiste, Nodier a mérité réellement d’être cité comme le dernier des platonisans, et si l’on nous demandait quelle a été la dernière œuvre légitimement sortie de l’inspiration de Pétrarque, nous répondrions hardiment par cette nouvelle, Franciscus Columna, où tous les mobiles propres à l’amant de Laure ont été exprimés avec une ferveur et une tendresse qui font de cette œuvre, en même temps qu’une des plus parfaites de Nodier, une des peintures les plus correctement exquises de l’amour mystique que l’on ait jamais tracées.

Quelques-uns des contes de Nodier, la Combe de l’homme mort, la Neuvaine de la Chandeleur, la Légende de la sœur Béatrix, se rapportent à une autre source de fantastique, la superstition, qui se partageait avec la folie toutes ses prédilections. Nodier était sincèrement superstitieux, et il l’était doublement, par nature et par système. Il croyait fermement aux présages. Lors de la naissance de son premier enfant, il n’était pas dans la chambre de l’accouchée ; on l’envoie chercher, et on le trouve en face de la porte, un flambeau à la main et la mine atterrée. Il venait d’apercevoir un insecte du nom de blaps qui, paraît-il, présage la mort. « Vraiment, lui dit avec une gaieté sensée Mme Nodier, ton blaps ne nous apprend rien, mon bon Charles. De toutes les choses que présage la naissance, la mort est la plus certaine. » Le nombre treize lui causait un insurmontable effroi. Dans une note que sa fille nous a conservée, il s’est plu à consigner un souvenir qui, en effet, n’était guère propre à le réconcilier avec ce chiffre. Il avait fait en 1803 un dîner avec douze personnes qui toutes étaient mortes en moins de dix ans, et toutes de la manière la plus funeste, par le chagrin, par le champ de bataille, par la folie, par le naufrage, par le suicide, par l’échafaud. Je ne dis rien des songes ; Smarra, Lydie et la lettre que nous venons de citer disent assez ce qu’il en pensait et quel genre de service ils lui rendaient. De même que dans la Fée aux miettes il a tiré une poétique des phénomènes de la folie, il a fait en quelque sorte la philosophie de la superstition dans une très curieuse petite nouvelle intitulée : M. de la Mettrie. Le nom de l’auteur de l’Homme-machine ne semble guère fait pour éveiller des idées de superstition, mais il paraît bien qu’il était réellement affligé de cette faiblesse, et Nodier a été enchanté de pouvoir placer ses opinions en telle matière sous l’autorité de ce matérialiste avéré. Dans ce conte il démontre avec beaucoup d’esprit que les superstitions ont pour la plupart une origine extrêmement lointaine qui leur crée, comme à toute chose antique, un titre au respect et qu’elles ont en même temps un fondement moral qui justifie les craintes ou les répugnances qu’inspirent tel nombre, tel jour, telle circonstance. Cette philosophie de la superstition, il se plaisait à l’opposer à celle qui se réclame de la seule raison, et il la présentait avec une naïveté imperturbable comme une réfutation sérieuse des doctrines d’incrédulité qu’il avait en profonde aversion, car si le XVIIIe siècle a eu une influence sur ce dernier de ses enfans, ce n’a été qu’une influence d’antipathie, et Werther et la Nouvelle Héloïse mis à part, on ne voit pas qu’aucun des livres de cette époque célèbre ait eu sérieusement prise sur son esprit. Cette aversion de l’incrédulité allait si loin qu’il retendait quelque peu étourdiment à des doctrines et à des personnes qui ne la méritaient en rien. On est quelque peu surpris, par exemple, de lire aux dernières lignes de la Légende de la sœur Béatrix, qu’il dit avoir tirée du dominicain polonais Bzovius : « Tant que l’école de Luther et de Voltaire ne m’aura pas offert un récit plus touchant que le sien, je m’en tiendrai à l’opinion de Bzovius, » Peut-être, en effet, Luther n’aurait-il pas souscrit à une superstition où la Vierge était intéressée, mais il était homme à prendre sa revanche sur d’autres points, et il se serait encore mieux entendu avec Nodier sur ce sujet de la superstition que le matérialiste La Mettrie. Ce n’est pas que Nodier n’eût, malgré tout, sa bonne part de scepticisme ; seulement, au contraire du scepticisme philosophique qui s’attaquait aux croyances anciennes, le sien s’attaquait exclusivement aux opinions régnantes de son temps. Toutefois ce scepticisme ne se révéla chez lui qu’assez tard, et ce furent la chute de la restauration et ses conséquences sociales qui eurent surtout le privilège de le faire éclater.

Les opinions de Nodier étant connues, on comprendra aisément qu’il ait vu la révolution de juillet sans aucun plaisir. Ce n’est pas qu’il lui ait jamais été très hostile ; la personne du prince que cette révolution plaçait sur le trône lui était sympathique, et il savait d’ailleurs que, malgré son affection pour la dynastie tombée, ses intérêts ne seraient pas sérieusement menacés. « Quoique je n’aie pas beaucoup de raison de compter sur l’affection des hommes qui deviennent puissans, écrivait-il peu après les trois journées, mon nom est peut-être trop connu et pour ainsi dire trop populaire pour que je puisse redouter une injustice à bout portant. » Mais, dans les premiers momens, il augurait très mal du résultat et doutait qu’il s’arrêtât à un simple changement de dynastie. Il écrit à ce sujet à son ami Weiss avec bien du sens : « Un changement de dynastie s’opère assez facilement quand il est fait par l’aristocratie, qui a grand intérêt à s’assurer sous une nouvelle forme de gouvernement la conservation de ses privilèges ; il n’en est pas de même quand il s’agit de la volonté et des actes du peuple, parce que le peuple, qui ne gagne rien à rien et qui s’attend toujours à gagner quelque chose, ne voit pas de raison pour s’arrêter tant qu’il ne s’aperçoit pas à des avantages positifs qu’il a changé de place. Nous sommes tombés dans des mains nobles et pures, mais déjà défaillantes. Le principe juste de la souveraineté du peuple ne peut rester absolument stationnaire à moins qu’il ne manque de logique, et cette logique est trop bonne raisonneuse pour ne pas tirer de conséquences. Elle est d’ailleurs si naturelle qu’elle ne saurait manquer aux révolutions. » Pour s’être fait attendre quelques années, les conséquences que redoutait Nodier n’en ont pas moins fini par se produire, et la révolution de février n’a pas eu d’autre cause que celle qu’il vient d’indiquer : l’impossibilité où est le principe de la souveraineté du peuple de ne pas aller jusqu’au bout de lui-même. Ceux qui sont assez vieux, hélas ! pour avoir vu la crise de 1848 reconnaîtront dans les paroles de notre auteur l’argument populaire même qu’ils ont entendu si souvent alors et par lequel fut renversé le trône de juillet : « C’est le peuple qui a opéré le changement de dynastie en 1830 et qu’y a-t-il gagné ? » Nodier voit très bien les dangers qui menacent le gouvernement nouveau, et, loin de s’en réjouir, comme un partisan aveugle de la dynastie déchue n’aurait pas manqué de le faire, il invite ses amis de la Franche-Comté à se rallier au roi Louis-Philippe. « Vous avez vu le roi, vous devez l’aimer. C’est un digne citoyen, un homme de bonne foi et de bonne volonté qui mérite qu’on s’y rallie. Mais, fût-il un aigle, que penseriez-vous d’un aigle qui a son aire dans la bouche d’un volcan ? Fût-il Napoléon, que pourrait-il contre trois partis dont un seul se subdivise en cent mille ramifications ? » Qui croirait cependant qu’à cet âge de cinquante et un ans qu’avait Nodier en 1831, le conspirateur fantaisiste de l’an vu et de l’an vin se réveilla un instant en lui ? Le rêve de république séquanaise, qui avait occupé son incandescente jeunesse, n’était pas si bien dissipé qu’il n’entretînt encore quelques espérances chez certaines têtes franc-comtoises, et dans l’incertitude où l’on était que le pouvoir central pût longtemps se maintenir, ces espérances avaient abouti à quelques velléités d’agitation séparatiste auxquelles Nodier applaudit et s’associe comme si les événemens de trente années ne lui avaient rien appris. La fondation d’un organe séparatiste fut projetée, et un prospectus de cet organe étant parvenu aux mains de Nodier, il lui donne son approbation en termes qu’il faut absolument citer, ne fût-ce que pour démontrer une fois de plus qu’on est toujours ce qu’on a été une fois. Nous sommes assurés que le lecteur ne trouvera pas trop longue cette citation, que nous abrégerons d’ailleurs autant que nous le pourrons :

Votre mot d’ordre à vous, si le roi disparaît dans une tempête ou, pour mieux m’exprimer, quand il disparaîtra, c’est la Franche-Comté d’abord et, au besoin, Besançon. Que vous faut-il ? Vous avez des fortifications, des murailles, une population intelligente et vigoureuse, un organe national si votre journal s’exécute. Vos ressources sont dans. vos mains. Je vous jure qu’au-delà il n’y a rien.


Provinciaux ! provinciaux ! prenez garde à vous !


Voici ce qu’il faut faire, pour moi-même quand tu ne verrais pas les choses comme moi, ce qui est à peu près certain. Il faut voir tes journalistes, même quand tu ne les connaîtrais pas ; il faut leur dire que je suis des leurs, que j’en suis très ostensiblement s’ils veulent mon nom et qu’il vaille la peine d’être voulu ; que ma position sur le gouffre ne m’empêchera pas de crier au dehors ce qui se passe dedans ; qu’un moribond est heureux de pouvoir choisir son genre de mort, et que j’aurais plus de joie à mourir pour mon pays qu’à entrer pour la première fois dans le lit de la plus jolie des maîtresses que j’avais à vingt ans, avec mes vingt ans et mon amour. Je crois que c’était Pauline.

Attends. Il faut leur dire que je suis très pauvre, que je vis de mon encre et de mon papier, et que s’ils peuvent me les payer ils feront bien ; mais il faut ajouter que s’ils ne peuvent pas, comme je m’en doute, je mendierai pour avoir le temps d’écrire, et je paierai pour faire imprimer.

S’ils s’informent de ma profession de foi, tu leur diras qu’elle est très simple, et que je la professe depuis l’enfance. Tu leur diras qu’en ma qualité de Français conquis, j’ai servi la restauration, tant que j’ai vu en elle une double garantie contre deux exécrables esclavages, celui de la démocratie parisienne, et celui de l’empire, mais que la centralisation m’en a détaché. Tu leur diras qu’en ma qualité de Franc-Comtois, je ne veux point de vos ravageurs qui ne nous ont pas laissé nos libertés, comme le dit le prospectus, qui les ont au contraire insolemment violées. Tu leur diras que je ne veux point des principions d’Allemagne (ils demandent aujourd’hui un Leuchtenberg) parce que ce. changement de dynastie ne serait qu’une invasion hypocrite. Tu leur diras que je ne veux point de la république de Paris, parce que je saisi ce qu’elle sera. Tu leur diras que mon dévoûment est pour la Franche-Comté et pour Besançon, et qu’il sera tout à fait exclusif, quand, ce qui est encore : aujourd’hui ne sera plus.


Nodier se souvenant qu’il est Français conquis près de deux siècles après l’annexion de la Franche-Comté, voilà qui vous étonne, n’est-ce pas ? Oh ! que nous aurions de nombreuses occasions de l’être s’il nous était donné d’apercevoir plus souvent le fond persistant d’incroyables chimères qui se cachent non seulement chez des individus isolés, mais chez des populations entières ! Béranger avait bien rencontré un royaliste fervent qui attendait l’heure bénie de voir sur le trône de France un descendant authentique du Masque de fer, il existe des partisans de la royauté légitime qui se rallient à un fils de Louis XVII par eux découvert, et il y a quelques années, comme j’errais en Provence, on me parla d’un banquet qui avait été récemment offert par les félibres provençaux aux félibres catalans et où on avait bu largement à la résurrection du royaume d’Arles.

Le talent de Nodier gagna à la révolution de juillet une note nouvelle, une note satirique et humoristique qui jusqu’alors avait dormi en lui, les précédens régimes étant peu faits pour l’éveiller. La gaîté ironique et la verve fantasque eussent été, en effet, des armes fort inefficaces contre le régime impérial, et le sentiment du ridicule plus inefficace encore contre les divers régimes révolutionnaires dont Nodier avait été le témoin et où il avait trouvé plus de sujets de larmes ou de colère que de rire. La révolution de juillet permettait une moins sombre humeur et une prudence moins craintive, elle fournit à Nodier les occasions de gaîté qui avaient manqué à sa werthérienne jeunesse. On sait l’incroyable pandémonium de folies de tout genre, et, comme aurait dit un honnête janséniste du XVIIe siècle, de libertinages en tout sens des années qui suivirent 1830, les excentricités présomptueuses des sectes, les ambitions sans vergogne des opinions, le cynisme amusant des modes et du langage des jeune France romantiques ou révolutionnaires, par-dessus tout l’avènement du humbug industriel lançant ses premiers programmes à douteuse sincérité. Ce fut un moment unique de fermentation qui tranche de la manière la plus amusante (vu à distance) avec les périodes analogues des révolutions qui avaient précédé et qui ont suivi ; les mots de blague et de blagueur, inventés alors ou admirablement traduits du langage d’un pays voisin viennent juste à point pour en caractériser l’écume abondante et le bouillonnement. La matière était riche ; Nodier n’en exploita que quelques points, ceux qui offensaient plus particulièrement ses goûts de grammairien expert, d’érudit respectueux des vestiges du passé, ou de rêveur ardent à la défense de toute chose qui intéressait la vie de l’imagination, comme ces patois par exemple pour lesquels il fit si bravement campagne contre je ne sais quel conseil municipal ou général de province qui en demandait la suppression. C’était l’heure des néologismes, et Nodier en avait une horreur qu’il étendait même aux nouveautés de langage les plus justifiables et les plus nécessaires ; ainsi il ne put pardonner jamais au système décimal ses mètres et ses kilos, ses grammes et ses litres ; rappelez-vous sa jolie pièce de vers à Musset publiée ici même :

: Fuis les grammes et les mètres
: De nos maîtres,
: Jurés experts en argot
: Wisigoth.


Sous divers pseudonymes, Old Book, le docteur Néophobus, le Dériseur Sensé, il écrivit un certain nombre de pamphlets contre les vices d’esprit et les travers de goût de son temps, effronterie des prospectus, endure philosophique, charlatanisme des mots. Il y a beaucoup d’esprit dans ces satires de Nodier, mais aussi quelques acrobatismes d’imagination et de style, et souvent, il faut le dire, quelque puérilité de pensée. Son humour est sollicité et non coulant de source ; aussi ces pamphlets nous donnent-ils l’impression de puits artésiens artificiellement creusés plutôt que de fontaines naturellement jaillissantes. Grave défaut, car si quelque chose demande spontanéité, c’est l’humour, et si quelque chose demande liberté et franchise c’est la satire.

De ces divers pamphlets, les meilleurs sont ceux qui lui ont été inspirés par l’idée de progrès, pour laquelle il avait une aversion toute spéciale, Hurlubleu et Léviathan le Long. Ils se rapportent à ce genre de satire philosophique qui a donné à notre littérature un certain chef-d’œuvre du nom de Micromégas ; mais Voltaire n’y est pour rien, et c’est de quelqu’un beaucoup plus petit que Nodier s’est souvenu pour les écrire. Qui le croirait, c’est à Crébillon fils qu’il a emprunté le cadre et les personnages de sa composition, lesquels ne sont autre chose que des transformations ingénieuses du célèbre Schahabaham du Sopha et du familier qui raconte les aventures dont il a été le témoin patient pendant qu’il était enchanté sous la forme du meuble galant ? Il va sans dire que l’emprunt s’arrête au cadre ; pour le contenu, il a eu d’autres et de plus avouables inspirateurs ; cela se sent un peu de Sterne par les gambades facétieuses, bien davantage de Rabelais par les inventions d’une exagération drolatique dont il raille la vaniteuse crédulité de la science en ses miracles et de l’humanité en sa puissance. Il suppose que dix ou douze mille ans se sont écoulés, que l’humanité est allée ajoutant le progrès au progrès, et il se demande à quel chiffre extravagant pourrait bien monter le total de l’addition. Je ne dirai pas que cette fantaisie va tout au fond de la question ; il n’en est pas moins vrai que la lecture en suggère des réflexions de toute sorte qui ont leur portée. On se dit par exemple que la perfectibilité indéfinie est en effet impossible par la raison que notre nature ne pourrait pas la supporter ; étant enfermée dans des limites qui sont les lois physiques auxquelles elle est soumise. Ces lois sont immuables et sans élasticité, et par conséquent la perfectibilité arrivée à un certain degré aboutirait nécessairement à la destruction de notre espèce par la destruction de ses conditions d’existence, à moins qu’elle ne triomphât de ces conditions même par l’abolition de la mort, comme l’ont admis certains adeptes de cette doctrine, auquel cas on ne voit plus comment notre planète serait assez vaste pour contenir une humanité qui s’accroîtrait sans cesse sans jamais plus diminuer. On se dit aussi que la continuité que suppose la perfectibilité indéfinie est un rêve dont l’histoire de l’humanité fait justice, comme on peut s’en convaincre en faisant dans le passé un voyage plus sûr que celui que Nodier fait dans l’avenir. Point n’est besoin d’entasser les siècles pour comprendre que notre espèce ne fait guère que piétiner sur place, et que chaque pas en avant qui l’éloigne de son point de départ est en même temps un pas qui l’y ramène, par un détour plus ou moins long. Quinze cents ans en arrière nous conduisent en plein empire romain, c’est-à-dire à un état de société extrêmement avancé, extrêmement florissant, malgré ses misères, régulièrement organisé et savamment administré, que nous sentons très près de nous en dépit de cet intervalle de temps. Maintenant remontez sept ou huit cents ans plus près de nous, et voyez si, comme le veut la logique, l’état social que vous découvrirez vous paraîtra, comme le voudrait la logique, plus rapproché de vous que le premier. Au lieu d’être plus rapproché de nous de sept cents ans, il en est éloigné de plus de deux mille, car il est plus voisin de la société héroïque chantée par Homère que de la société qui l’a précédé et de celle qui l’a suivi.

« M. Thiers dit toujours qu’il est du Midi, et moi aussi je suis du Midi, mais du Midi d’au-delà des Alpes, » disait Rossi dans un jour de mauvaise humeur contre le célèbre homme d’État, entendant par cette boutade, au premier abord un peu obscure, qu’il appartenait au grand Midi, c’est-à-dire à celui qui, par ses ambitions et ses menées, avait si longtemps gouverné et agité le monde. Nodier disait quelque chose de semblable aux enthousiastes et aux acteurs de la révolution de juillet : « Et moi aussi j’appartiens à la1 révolution, mais à la grande ; je l’ai vue et j’y ai pris ma petite part, et cela était autrement sérieux, autrement redoutable, autrement grand que la courte saturnale dont vous faites si grand état. » C’est beaucoup dans cet esprit qu’il écrivit à différens intervalles pendant les quinze dernières années de sa vie les fragmens qui ont formé les deux volumes des Souvenirs de la révolution et de l’empire. La valeur de ces morceaux est fort inégale, tant sous le rapport de la vérité historique que sous le rapport du mérite littéraire. Le Dernier Banquet des Girondins est une sorte de mosaïque dramatique où les proscrits du 31 mai, rassemblés pour la dernière fois à la veille de leur supplice, s’amusent à une conversation supposée que Nodier a composée en juxtaposant plus ou moins adroitement des bribes de leurs discours ou de leurs écrits. De tous les ouvrages de Nodier, cette inutile fantaisie, explicable seulement par le besoin d’exploiter sa réputation en un jour de gêne quelconque, est certainement le plus faible. Les fragmens qui se rapportent directement à la révolution et qui mettent en scène Euloge Schneider, Saint-Just, Charlotte Corday, sont d’une lecture agréable, mais évidemment romantisés et ne méritent qu’une confiance médiocre. Nous croyons, au contraire, qu’on peut en accorder une très grande aux fragmens qui concernent le consulat et l’empire, et aux portraits de quelques-uns des personnages de cette dernière époque, tels que Fouché et Real. Le détail qui ne s’invente pas, l’anecdote qui garde modestement son rang et n’appelle pas à son aide pour s’agrandir l’art du romancier, le cachet d’individualité qui marque chacune de ces silhouettes rapidement esquissées, tous ces caractères et d’autres encore portent témoignage de la sincérité de l’auteur. Reste l’ouvrage considérable intitulé : les Philadelphes, histoire des sociétés secrètes dans l’armée, ou des conspirations qui ont eu pour but le gouvernement de Bonaparte, publié en 1815 et réimprimé en 1830 malgré les nombreuses critiques et protestations dont il avait été l’objet. C’est l’ouvrage dont on s’est le plus autorisé pour mettre en doute la véracité de Nodier, et il est certain que ce bizarre petit livre est un échafaudage d’assertions mal appuyées de preuves positives. Nous ne pouvons cependant nous associer entièrement aux reproches qui ont été faits à Nodier à ce sujet. L’exagération est ici visible, mais non pas le mensonge et le désir de la fraude. Parce que la plupart des faits que relate l’auteur sont restés parfaitement inconnus des contemporains, ce n’est pas une raison pour nier tout à fait leur existence. Il y a eu, soyez-en sûrs, dans le monde, quantité de choses qui ne sont pas parvenues à notre connaissance, parce que, ainsi que celles rapportées par Nodier, elles n’ont eu qu’une existence d’ombre et de mystère, moins que cela, une existence latente et en préparation, et c’est là en particulier le cas de toutes les conspirations avortées ou restées à l’état de projet faute de l’occasion favorable qu’elles espéraient. C’est le sort de telles conspirations de rester éternellement secrètes ou de n’être révélées que par des témoignages isolés, comme l’est ici celui de Nodier, témoignages qu’il faut ou rejeter entièrement ou accepter aveuglément sur la foi de l’auteur, par l’excellente raison que les documens complémentaires ou contradictoires manqueront toujours. Il y a certainement un grand fond de vérité dans l’assertion principale sur laquelle Nodier a bâti tout son échafaudage. L’origine première des armées de l’empire était toute républicaine et ce n’est pas en un jour qu’une telle origine a pu être oubliée. Qui ne sait quels sourds dépits l’élévation subite et prodigieuse de Bonaparte avait excités chez nombre de ses compagnons d’armes ? La très véridique histoire a porté jusqu’à nous les grognemens de la mauvaise humeur d’Augereau et les pointes perfidement sournoises de Bernadotte, et il faudrait avoir bien bonne opinion de la nature humaine pour croire que cette gloire impériale, que les mécontens savaient d’ailleurs en partie leur œuvre, a été un enchantement assez fort pour contraindre ces dépits à autre chose qu’au silence.

Ce que l’on peut reprocher à Nodier, ce n’est donc pas le fait premier sur lequel son livre est fondé, c’est l’extension qu’il lui donne et les relations qu’il établit entre ce fait et les événemens connus qui ont, à diverses reprises, menacé le gouvernement de Bonaparte. Ces philadelphes ont-ils jamais composé une société secrète sérieuse et faut-il leur attribuer une part dans des événemens tels que la conspiration de Moreau sous le consulat et celle de Malet pendant l’expédition de Russie ? Il est permis de n’en rien croire, car sur ses vieux jours, au dire de sa fille, Nodier lui-même riait de ces philadelphes et présentait leurs mystères comme des fantaisies plus amusantes que sérieuses. Il n’en est pas moins vrai que, dans le récit de plusieurs des épisodes pour lesquels l’histoire officielle peut nous venir en aide, les mobiles secrets attribués par Nodier aux acteurs principaux se rapprochent beaucoup de ceux que tout lecteur sagace pourrait supposer ou deviner. A quoi attribuer, par exemple, l’indécision dont Moreau fit preuve dans ses menées contre le consulat ? Est-ce à une prudence intempestive, à une hésitation trop inquiète du résultat final, à une inclination temporisatrice de sa nature, ou bien faut-il croire que le général, plus désireux du renversement de Bonaparte que soucieux d’y travailler, ne voulut jamais s’engager qu’à demi, de manière à pouvoir faire retraite en toute occasion ? Selon Nodier, aucune de ces explications n’est la vraie : l’indécision apparente de Moreau n’était autre chose qu’une résistance opiniâtre et, à tout prendre, patriotique, au parti pour le compte duquel il conspirait. Il consentait bien à une restauration monarchique, mais il n’acceptait pas d’en être l’instrument passif, et, soucieux du lendemain, il demandait à ce pouvoir ancien qu’il allait travailler à rétablir des garanties en faveur de cette France nouvelle qu’il avait servie et d’où il était sorti. En d’autres termes, le rôle qu’il ambitionnait et réclamait était celui d’intermédiaire, d’arbitre entre l’ancienne monarchie et la révolution, quelque chose comme le rôle d’un Warwick républicain ou celui d’un Monk stipulant pour le parti de Cromwell. Oserai-je dire que cette explication me semble trop conforme à la manière de penser des hommes de la révolution et à la situation difficile que la suite des événemens avait fini par leur créer pour ne pas se rapprocher beaucoup de la vérité ? Une restauration monarchique, — qui ne le sait ? — beaucoup y consentaient alors ; la seule chose qui les retînt était la crainte des représailles, et c’est cette crainte que Moreau voulait écarter en exigeant de la monarchie des engagemens formels ; de là la lenteur des pourparlers et, finalement, l’avortement de l’entreprise. Reste enfin le reproche d’exagération, et ce défaut, nous le savons, est trop naturel à Nodier pour que nous essayons de le laver de l’accusation. Il est clair qu’il y a une disproportion choquante entre l’obscurité de la plupart des acteurs qu’il met en scène et les ambitions extravagantes ou le rôle considérable qu’il leur prête ; toutefois je me permettrai de plaider encore ici les circonstances atténuantes. C’est le propre de toute secte, de toute coterie, de toute société secrète d’avoir à elles leurs grands hommes dont jamais personne en dehors d’elles n’a entendu ni n’entendra parler. Croyez bien que si, dans une trentaine d’années d’ici, quelque membre survivant de la commune s’avise d’écrire ses mémoires, vous serez étonné de la quantité de grands hommes inconnus que vous découvrirez en les lisant. Nodier n’a donc fait en cette circonstance qu’obéir à la loi qui régit toute confrérie ; en sorte que cette exagération qu’on lui reproche, d’ailleurs justement, serait plutôt une preuve favorable que contraire à sa véracité.

Nous avons achevé le triage que nous nous étions proposé de faire dans l’immense labeur de Nodier ; ce que nous en avons mis à part est à peu près tout ce qui en a survécu, et tout ce qui en survivra. Eh bien, ne vous semble-t-il pas qu’à mesure que nous marchions, cette confuse diversité que nous redoutions au début s’est de plus en plus réduite à quelques groupes faciles à énumérer et à caractériser, que ces groupes à leur tour nous ont montré plutôt les affinités qui les rapprochent que les différences qui les séparent, que les contradictions apparentes de l’homme se sont fondues dans une assez étroite unité, et qu’en somme cette fantaisie si capricieuse se joue dans des limites assez resserrées ? Quant au mot suprême dont il faut nommer cette unité, vous l’avez sans doute découvert vous-même, car il est partout répandu dans cette étude. C’est par le spectacle de la révolution française que nous avons ouvert ces pages, et c’est par le souvenir de la révolution que nous venons de les fermer. La révolution, voilà l’unité souveraine de l’âme, de la vie et de l’œuvre de Nodier, le point central auquel tout chez lui se rapporte et aboutit, passions, sentimens, préjugés, sympathies et antipathies, répugnances et préférences ; c’est la motrice de toutes ses pensées, le principe secret de toutes ses inspirations. Elle a eu des adversaires ou des représentai de plus haute taille, elle a soulevé des haines ou des amours autrement énergiques, et cependant je connais peu d’hommes qui témoignent plus fortement de sa puissance. Personne n’a été à ce point et si constamment obsédé par elle. Comme lèvent de l’esprit dont parle l’écriture, elle a passé sur sa tête, et son âme en est restée pour toujours captive, captive hostile, cela va sans dire, et fugitive autant qu’elle peut, mais qu’une attraction étrange composée à la fois de terreur et de sympathie ramène à sa servitude aussi souvent qu’elle cherche à lui échapper. Cependant cet esclavage a été pour lui un inestimable bienfait, car il lui doit tout ce qu’il a été, tout ce qu’il restera dans l’avenir. Il a été un des témoins, — un des plus petits et des derniers, mais malgré tout un témoin, — du fait le plus considérable des temps modernes, et il reste associé dans une modeste mesure au privilège de durée de ce fait. Aussi longtemps les hommes parleront de la révolution française, aussi longtemps le nom de Nodier aura chance de revenir parfois sur leurs lèvres, et c’est là une assurance contre l’oubli qui en vaut certes beaucoup d’autres. La révolution a été plus généreuse encore pour cet enfant rebelle ; le don de la mélancolie qui a fait les gloires poétiques les plus sures de ce siècle, et qu’impartialement elle a conféré à toute âme qui en était digne, que cette âme lui fût hostile ou amie, elle en a libéralement honoré Nodier. Il lui doit de compter parmi les chantres de la tristesse et de figurer, sinon aux premiers rangs, au moins à une place originale et bien en vue, entre Obermann et Antony, dans ce cortège à jamais mémorable où marchent en tête ce Chateaubriand dont les images ont laissé plus d’une trace dans ses écrits, ce lord Byron qui l’avait lu et n’a pas dédaigné peut-être de se rappeler telle de ses phrases fiévreusement éloquentes, et ce Musset qui l’aimait et n’a pas craint de lui faire plus d’un emprunt très direct et très certain.


ÉMILE MONTEGUT.

  1. Voyez la Revue du 1er juin.
  2. Il y a dans ce roman une page où cette idée a été exprimée avec une réelle éloquence. Musset, sans crier gare, s’en est emparé, l’a traduite en vers admirables sans en changer un seul mot et en a fait l’anathème révolutionnaire de Frank dans la première scène de la Coupe et les Lèvres.