J’ai un fils Sylvestre, et je n’ai que lui,
Et il a eu la hardiesse de venir m’affliger ;
Il a eu la hardiesse d’aller au-devant de sa tête, (1)[1]
Il est soldat dans l’armée, devant son capitaine.
J’ai eu la bonté d’aller le demander.
Devant beaucoup de gens honorables, à son capitaine.
Le capitaine, quand il me vit, resta étonné;
— Par vous, vieillard (dit-il), je suis étonné :
Vous pensez enlever au roi ses soldats ?
Il a touché son payement, (2)[2] il faut qu’il s’embarque.
— Dites-moi, capitaine, combien il a coûté,
Et si j’ai assez d’argent, il sera remboursé. —
— Vous auriez cinq cents écus, que vous ne l’auriez pas,
Car il n’y a pas dans la compagnie de soldat qui me plaise autant que lui. —
Quand j’étais à Roz-Julou, dans mon lit, bien couché,
J’entendais les filles du Roudour chanter la chanson de mon fils.
Et moi de me tourner du côté du mur et de commencer à pleurer :
Seigneur Dieu ! Sylvestre chéri, où es- tu à présent ?
Peut-être es-tu mort à cinq cents lieues de moi,
Tes chers os jetés aux poissons à manger !
Tes chers os jetés à manger aux poissons,
Si je les avais maintenant, je les embrasserais.
J’ai un petit oiseau, ici, près le seuil de ma porte,
Entre deux pierres, dans un trou du mur ;
Entre deux pierres, dans un trou du mur,
Et je me trompe s’il n’est pas à couver.
Si mon oiseau vient à lever (faire éclore), à faire bonne année,
Je ferai que mon oiseau chéri aille voir mon fils.
— Oh ! oui, écrivez-lui votre lettre, cher vieillard, quand vous voudrez,
Je suis prêt à la porter tout de suite, à votre requête. —
Quand la lettre fut écrite, mise à l’oiseau dans le bec.
Vers Metz en Lorraine avec lui elle partit
— Arrêtez-vous, cher Sylvestre, lisez cette lettre-ci,
Qui vous est envoyée par votre père, qui est chez nous. —
— Descendez, petit oiseau, au bord de mon navire (?)[1][3]
Que je vous écrive une lettre à porter à mon père à la maison ;
Que je vous écrive une lettre pour lui dire
Que dans quinze jours, à partir d’aujourd’hui, je me trouverai auprès de lui —
— Bonjour à vous, petit oiseau, à présent que vous êtes revenu ;
Mon cher Sylvestre est-il bien portant, si vous l’avez vu ? —
— Oui, Sylvestre se porte bien, je lui ai parlé,
Dans quinze jours, à partir d’aujourd’hui, il se trouvera ici... —
Pendant que le père affligé se lamentait,
Son fils chéri Sylvestre était au seuil de la porte à l’écouter.
— Taisez-vous, taisez-vous, dit-il, père de bonne volonté,
Ne versez plus de larmes, voici votre fils.
Ne versez plus de larmes, voici votre fils,
Qui revient de l’armée ; pardonnez-moi, mon père.
Prenez ma pipe et mes deux pistolets ;
Je vous les donne, pour votre pénitence.
Afin que vous ne puissiez dire que vous avez nourri un fils
Pour vous affliger. Pardonnez-moi, mon père ! —
Entre la chapelle de St-Efflam (l)[4] et la colline de Menez-Bré,
Il y a un jeune capitaine qui lève une armée ;
Il y a un jeune capitaine qui lève une armée,
J’ai un fils Sylvestrik qui parle d’y aller aussi :
J’ai un fils Sylvestrik, et je n’ai que lui,
Il n’y a pas dans la compagnie de soldat qu’on aime comme lui.
J’aurai la bonté d’aller le demander.
Avec beaucoup de gens honorables, à son capitaine
Le capitaine, quand il entendit, s’arrêta pour écouter :
— Par vous, petit vieillard, je suis étonné :
Vous voulez tromper le roi, et avoir ses soldats ?
Il a touché l’argent, il faut qu’il aille à l’armée ;
Quand vous me donneriez cinq cents écus, vous ne l’auriez pas,
Il n’y a pas de soldat dans la compagnie qui me plaise autant que lui. —
— Adieu donc, cher Sylvestre, comme un enfant prodigue !
Si vous étiez resté à la maison, nous serions riches.
J’ai un petit oiseau auprès du seuil de ma porte,
Dans un petit trou du mur ; je crois qu’il couve.
O toi, mon petit oiseau, tu as deux ailes,
(Voudrais-tu) voler par-delà la grande mer ; oh ! oui, par-delà la mer, loin ;
(Voudrais-tu) voler pour moi jusqu’à la tête de l’armée,
Pour savoir si mon cher Sylvestre est en vie ? —
— Bonjour à vous, Sylyestrik, je vous souhaite le bonjour. —
— Et à toi aussi, petit oiseau, puisque tu es venu jusqu’ici. —
— Je suis envoyé ici par votre père désolé,
Qui dit, Sylvestrik, que c’est vous qui en êtes cause. —
— Descendez, petit oiseau, descendez sur vos deux pieds,
Que je vous écrive une lettre, pour lui porter, à la maison ;
Que je vous écrive une lettre, pour lui porter, à la maison,
Dans deux ans, à partir d’aujourd’hui, je serai arrivé auprès de lui —
— Quand j’étais dans mon lit, dans mon lit, bien couché,
J’entendais les filles du Roudour qui chantaient la chanson de mon fils —
Quand le père désolé était à faire ses gémissements.
Son fils Sylvestrik était à l’écouter, sur le seuil de la porte.
— Cessez, père désolé, cessez de pleurer,
Voyez votre fils Sylvestrik qui est de retour ! .... —
Cette pièce correspond à celle du Barzaz-Breiz (page 141, 6e édition), connue sous le nom de : Le Retour d Angleterre. — Voir dans la Revue Archéologique, livraison de mars 1868, page 227, un article très-intéressant où M. D’Arbois de Jubainville compare ces deux versions avec celle du Barzaz-Breiz.
- ↑ (1) Faire un coup de tête.
- ↑ (2) Sa prime.
- ↑ (1) La chanteuse prononçait ablest, mot inintelligible ; elle devait peut-être dire ma lestr, mon navire. Peut-être aussi le mot ablestr désigne-t-il quelque partie d’un navire, puisque, comme nous l’avons vu au vers 10, Sylvestrik était marin, quoique son père lui envoyât son petit oiseau à Metz en Lorraine.
- ↑ (1) La chapelle de Saînt-Efflam au nord-ouest sur la baie de Saint-Michel-en-Grève (Côtes-du-Nord).