Chants populaires de la Basse-Bretagne/Rozmelchon
— Mon père et ma mère, si vous m’aimez,
Ne m’envoyez pas à l’écobue ;
Ne m’envoyez pas à l’écobue,
Je suis convoitée par Rozmelchon. —
— Vous irez demain, de bon matin,
Quand Rozmelchon sera dans son lit. —
La petite Anne Le Manchon ne savait pas
Qu’il était auprès de la fenêtre à l’écouter.
Le premier homme qu’elle rencontra,
C’est Rozmelchon, en bras de chemise ;
C’est Rozmelchon, au bout de son avenue,
Levé de bon matin.
— Petite Anne, vous êtes levée de bien bonne heure,
Où allez-vous, où avez-vous été ?
Venez avec moi dans ma maison,
Afin que nous déjeunions ensemble. —
— J’ai déjeuné déjà,
Et c’est à Kervezennec que je dînerai, [1][1]
A la table du seigneur et de la dame,
Ceux-là m’aiment dans leur cœur. —
— Petite Anne, venez avec moi dans mes jardins,
Pour choisir les plus belles fleurs ;
Pour choisir les plus belles fleurs,
Pour les jeunes gens qui seront là. —
— A Kervezennec il y a du deuil,
Pour le fils aîné, qui est mort. —
— Si le fils aîné du seigneur est mort,
Ce n’est pas vous qui porterez le deuil. —
— Retirez-vous, seigneur, que je passe,
C’est péché à vous, à cause de moi ;
Le jour est bien avancé,
Et il fera tard quand j’arriverai. —
Il l’a prise à bras le corps,
Et le pot est tombé de dessus sa tête ;
Le pot est tombé de dessus sa tête,
Et le lait a été répandu.
— Si Kervezennec le lion (1)[2] savait
Que j’ai été arrêtée par Rozmelchon,
Celui-là, certainement, viendrait me chercher,
Et quand il fatiguerait neuf chevaux à chaque pas.
— Je ne fais pas plus de cas de ton lion,
Que je n’en fais de toi-même ! —
Alors il l’a saisie,
Et l’a emmenée au château
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
— Petite Anne, venez avec moi dans les chambres,
Pour choisir des poires et des pommes. —
— Pour manger des poires et des pommes,
Il me faudra avoir des couteaux. —
Elle n’avait pas fini de parler,
Qu’il lui présenta trois couteaux ;
Un à manche noir, un à manche blanc, [1][3]
Et un autre en or jaune.
Elle a demandé à son Dieu :
— Mon Dieu, dites-moi
Si je dois me tuer, ou si je ne dois ? —
Au milieu de son cœur elle l’a planté !
Quand Rozmelchon se détourna,
La petite Anne était couchée sur la bouche :
— Si je ne craignais de damner mon âme,
Tu ne serais pas allée vierge devant Dieu ! —
Kervezennec souhaitait le bonjour,
En arrivant chez Rozmelchon :
— Bonjour et joie dans cette maison,
Où est le seigneur de Rozmelchon ? —
— Le seigneur n’est pas à la maison,
Il est allé à une petite affaire. —
— Tu mens sur ton âme !
Car Rozmelchon est dans son lit.
Rozmelchon est à la maison,
Et je mettrai le feu à son château ;
Je brûlerai son château complètement,
Et lui dedans comme une chandelle !
Et voilà le château incendié,
Et Rozmelchon à la broche ![4]
de Plouegat-Guerrand. — 1863.
Au grand Lezker il y a une écobue,
Tout le monde est prié d’y aller ;
Tout le monde est prié d’y aller,
La petite Marguerite a été priée en dessous.
La petite Marguerite disait
A son père et à sa mère, une nuit :
— Moi, je n’irai pas à l’écobue,
Ma sœur Marie doit y aller ;
Ma sœur Marie doit y aller,
On lui mettra mon bel habit. —
— Votre sœur Marie n’ira pas à l’écobue,
C’est vous qui êtes priée, et il vous faut y aller.
La petite Marguerite, quand elle a entendu,
S’est mise à pleurer.
Dès que son père a vu cela,
Il a dit à la petite Marguerite :
— Ma fille Marguerite, ne pleurez pas,
Car c’est vous qui irez à l’écobue ! —
La petite Marguerite disait,
En se levant de son lit :
— Je te dis adieu, ô mon lit,
Jamais plus je ne dormirai en toi ! —
Son père, l’ayant entendue,
A dit à la petite Marguerite :
— Ma fille Marguerite, ne pleurez pas,
Car c’est vous qui irez à l’écobue. —
La petite Marguerite disait
A sa petite armoire, en l’ouvrant :
— Je te dis adieu, ma pauvre armoire,
Et à mes beaux habits qui sont en lui (toi) ! —
Son père, l’ayant entendue,
A dit à la petite Marguerite :
— Petite Marguerite, ne pleurez pas,
Car c’est vous qui irez à l’écobue. —
La petite Marguerite disait,
En sortant de la maison :
— Adieu, ma pauvre mère et mon père,
Adieu, frères et sœurs ! —
Son père, l’ayant entendue,
A dit à la petite Marguerite :
— Petite Marguerite, ne pleurez pas,
Car c’est vous qui irez à l’écobue ! —
La petite Marguerite disait
A sa haquenée, en montant dessus :
— Je te dis adieu, mon pauvre cheval,
Jamais plus je ne te monterai ! —
Quand elle arriva au haut de la colline,
Rozmelchon était à l’attendre :
— Je vous souhaite le bonjour, Marguerite,
Je vous trouve une jeune fille bien matinale ! —
— Et vous, vous l’êtes aussi, seigneur,
Vous devriez être maintenant dans votre lit ! —
— Gentille petite Marguerite, descendez (de cheval),
Vous viendrez déjeuner avec moi. —
— Avant de sortir de la maison de mon père,
J’ai bien déjeuné. —
— Petite Marguerite, venez avec moi dans mon jardin,
Pour choisir un bouquet de fines fleurs ;
Ou bien encore une guirlande,
Pour mettre sur votre pot à lait. —
— Sauf votre grâce, dit-elle, seigneur,
Je ne songe pas à des bouquets ;
A Kervezennec il y a du deuil,
Le fils aîné du seigneur est mort. —
— Et quand même le fils du seigneur serait mort,
Ce n’est pas vous qui porterez son deuil ;
Ce n’est pas vous qui porterez son deuil,
Mais ceux qui hériteront ses biens. —
Il n’avait pas fini de parler,
Qu’il l’a prise à bras le corps.
Une heure et demie, sans mentir,
Ils ont été à lutter tous les deux.
La dame disait, à la fenêtre de sa chambre :
— Du courage ! du courage ! jeune fille ! —
— Avoir courage plus longtemps je ne puis,
Mon pauvre cœur ne résistera pas ;
Mon pauvre cœur ne résistera pas,
Ma ceinture me serre trop :
J’aime mieux perdre la vie,
Que perdre ma virginité !
Madame, jetez-moi un couteau,
Pour couper ma ceinture, qui me serre trop ! —
Un poignard lui a été lancé,
Et elle se l’est plongé dans le cœur ;
Elle se l’est plongé dans le cœur,
Et elle est morte sur la place !
de la commune de Duault.
— Petite Marguerite, mettez-vous au lit, o rei tra la la, dirala
Afin de vous lever demain matin ;
Afin de vous lever demain de bon matin, o rei tra la la, dirala.,
Pour porter du lait à l’écobue.
La petite Marguerite Joss [1][5] disait
A sa mère, le lendemain matin :
— Ma pauvre petite mère, si vous m’aimez,
Vous ne m’enverrez pas à Kervezelec ;
Ne m’envoyez pas à Kervezelec,
Je suis menacée par Rozmelchon. —
— Vous irez sur le matin,
Quand Rozmelchon sera encore au lit ;
Et sur votre tête une potée de lait,
Entourée d’une guirlande. —
Le valet d’écurie disait
A Rozmelchon, un matin :
— Mon maître, mon maitre, levez-vous vite,
Je vois une fille sur pied ;
Mon maître, levez-vous de votre lit,
Je vois une fille au bout de l’avenue ;
Je vois la plus jolie fille,
Qui jamais porta coiffe de lin ;
Sur sa tête est une potée de lait,
Avec une guirlande autour.
Elle a aux pieds des chaussures
Qui sont garnies de rubans. —
Rozmelchon, quand il entendit,
Se rendit au bout de l’avenue ;
Il s’est rendu au bout de l’avenue,
Et a salué la petite Marguerite Joss :
— Petite Marguerite, obéissez-moi,
Et venez avec moi déjeuner. —
— Merci, seigneur, dit-elle,
Car j’ai déjà déjeuné ;
J’ai déjà bien déjeuné,
Avant de quitter la maison de mon père ;
Seigneur, j’ai déjà déjeuné,
Et c’est à Kervezelec que je dînerai ;
C’est à Kervezelec que je dînerai.
Et je m’asseoirai à la table du seigneur ;
A la table du seigneur et de la dame,
Ceux-là m’aiment du milieu de leur cœur ! —
— Petite Marguerite, obéissez-moi,
Et venez avec moi au jardin ;
Venez avec moi au jardin,
Pour choisir un bouquet de fines fleurs ;
Pour choisir un bouquet de fines fleurs
De marjolaine et de thym ;
De marjolaine et de thym,
Pour mettre sur votre poitrine, [à votre corset.) —
— Je ne suis plus la fille aux bouquets,
Le fils aîné du seigneur est mort. —
— Si le fils aîné du seigneur est mort,
Ce n’est pas à vous de porter son deuil. —
— Nous sommes enfants du frère et de la soeur,
Songez, seigneur, quelle proche parenté ! —
— Petite Marguerite, obéissez-moi,
Et venez avec moi dans les chambres ;
Venez avec moi dans les chambres,
pour choisir des poires et des pommes ;
Pour choisir des poires et des pommes,
Vous en aurez autant que vous voudrez. —
— Retirez-vous, seigneur, que je passe,
C’est péché à vous à cause de moi.
Si mon frère, dit-elle, le savait bien,
Il vous mettrait en pièces, chair et sang ;
Si mon frère nourricier Kerninon le savait,
Il ferait refroidir votre sang ! (Il vous tuerait.} —
— Je me moque autant du fils de Kerverzino[6],
Comme de la boue de mes souliers ! —
— Depuis ce matin nous sommes ici,
Et le soleil est près de se coucher ! —
— Je voudrais qu’il fit nuit close,
Et avoir la petite Marguerite pour la nuit !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La petite Marguerite disait
À la gouvernante, cette nuit-là :
— Gouvernante, si vous m’aimez,
Faites que j’aille coucher avec vous ! —
La gouvernante [1][7] répondit
À la petite Marguerite, quand elle entendit :
— C’est à la table du seigneur que vous souperez,
Et c’est dans son lit que vous coucherez. — (1)[8]
La petite Marguerite disait,
En arrivant dans la chambre :
— Je vois là-bas une pomme jaune,
Si j’avais un couteau, je la pèlerais. —
Rozmelchon, ayant entendu,
Lui donna le choix de trois (couteaux).
Un à manche noir, un à manche blanc,
Et un autre en or jaune soufflé.
C’est celui à manche noir qu’elle a pris,
Et elle se l’est enfoncée dans le cœur !
Quand Rozmelchon se détourna,
La jeune fille était sur la bouche :
— Si je ne craignais de damner mon âme,
Tu ne serais pas allée vierge devant Dieu ! —
Pluzunet, 1867.
- ↑ (1) D’autres versions portent Kergwezennec et Kervezelec. Kervezennec et Kergwezennec ne sont que le même nom, et ils sont tous les deux très-communs en Basse-Bretagne.
- ↑ (1) Ce mot de Lion est le seul dans la pièce qui puisse faire songer à
Duguesclin qui est le héros de la pièce correspondante du Barzaz-Breiz, page 212. - ↑ (1) Il y a sans doute une lacune de deux vers, ici, pour dire qu’elle a pris le couteau à manche noir.
- ↑ Variante :
Il fallait voir Rozmelchon
A la broche, comme un cochon !
- ↑ (1) D’autres versions portent Jord et d’autres Saoz.
- ↑ (1) C’est à tort que le nom de Kernenan ou Kerninon se trouve ici. Ces deux vers sont une interpolation. Kerverzino doit être pour Kerninon, par suite d’une confusion entre deux pièces différentes.
- ↑ (1) Le mot gouarneres, gouvernante, signifie souvent cuisinière dans nos poésies populaires.
- ↑ (1) Tout ce passage est une interpolation, empruntée au gwerz de Markis Trede (Coatredrez) qu’on trouvera plus loin, et où il y a une situation semblable. Nos poètes populaires ne se font pas scrupule d’emprunter 10, 15, 20 vers, pour rendre une situation déjà traitée par un poëte antérieur. Peut-être aussi l’interpolation est-elle du fait de la chanteuse qui me paraît avoir constamment confondu et mélangé ce » deux poèmes, qui offrent beaucoup d’analogie, il est vrai, mais dont les personnages sont cependant tout différents.