Chants populaires de la Basse-Bretagne/Robert Le Diable

ROBERT LE DIABLE.
________


I

  Pendant quinze ans est restée la duchesse
Sans que son fruit vint à parler ;[1]
Et tous les jours elle priait Dieu,
Afin qu’elle eût des enfants.

  Un jour qu’elle était à le prier,
Le diable vint la tromper,
Et il lui dit tout net
Que sa prière ne valait rien.

  Elle se rendit à la chambre du seigneur (son mari),
Qui était aussi en prière,
Et offensa Dieu par ses blasphèmes,
Au point que le ciel en avait horreur.

  Et la duchesse devint enceinte,
Sans donner le jour ni à fils ni à fille ;[2]
D’après ce que rapporte ce gwerz,
Un mois entier elle fut en peine de lui.

  Au moment où Robert venait au monde,
Il pleuvait et ventait, je crois !
Pluie et vent (survinrent) en un moment,
Si bien que chacun en était épouvanté.

  Et quand Robert eut vu le jour,
On ne lui trouvait pas de nourrice ;
Il les mordait avec ses dents,
Il criait d’une façon effrayante, comme un animal.

  À l’âge d’un an, Robert était aussi grand
Que le sont les enfants de cinq ans ;
Il croissait comme les mauvaises herbes
Qui viennent dans les jardins.

  Son père, ayant appris cela,
L’envoya à un saint homme,
Pour lui apprendre à servir Dieu,
Afin qu’il quittât sa mauvaise vie.


  Mais voilà que bientôt après
Robert cassa le bras du fils d’Hubert.
Le fils d’Hubert ne manqua pas
D’aller le dénoncer au prêtre.

  — Je saurai, dit Robert, vous empêcher
De me corriger ; vous ne le ferez point !
Et il tira son couteau,
Et tua le saint homme !

  Quand Robert marchait sur la rue,
Les pavés tremblaient des deux côtés ;
Il n’y avait personne dans la ville de Rouen
Qu’il ne renversât tous, petits et grands.

  De là il se rendit ensuite
Dans une forêt appelée Guibré,
Où il y avait une bande
De voleurs et de brigands.

II

  Un jour, voyant un pâtre
Qui gardait ses moutons près de la ville ;
Qui gardait ses moutons près de la ville,
Il alla et il l’appela.

  — Je n’ose m’approcher de vous,
Il y a du sang sur vos habits ;
Si vous vouliez être un saint homme,
Un serviteur fidèle de Dieu,

  Vous seriez, un jour, pardonné,
Et vous auriez votre part de la joie (éternelle).
— La bénédiction de Dieu soit avec toi, pâtre,
Tu parles comme un ange ;

  Voici, pour te remercier,
Cinquante louis d’or, dans une bourse ;
Je ne désire rien autre chose
Que voir mon père et ma mère.

  — Ton père et ta mère tu les verras aujourd’hui
Dans la ville de Rouen, sur le pavé.
Dans la ville de Rouen quand il est arrivé,
Il a rencontré son père et sa mère ;


  Ils se sont mis à genoux devant lui,
Pour le prier de leur laisser la vie : —
Mon père et ma mère, levez-vous,
Mon cœur est près de se briser ;

  Mon cœur est près de se briser,
Car je me suis converti :
Je demande pardon et excuse
Pour le pauvre et malheureux pécheur !....[3]
…………………………………………………


Chanté par Marguerite Philippe,
de Pluzunet (Côtes-du-Nord).


L’opinion généralement répandue, grâce à l’assertion de certains auteurs modernes, est que les poètes populaires de la Bretagne n’ont ni imité les poètes étrangers, ni chanté des légendes ou des événements étrangers à leur pays. — Cette pièce et la précédente, ainsi que quelques autres de ce volume et du premier, comme par exemple, la Marquise de Gange, page 501, font justice de cette affirmation beaucoup trop absolue. — Cette légende de Robert-le-Diable a aussi fourni le sujet d’un mystère breton, dont j’ai déposé un beau manuscrit à la bibliothèque nationale, à Paris.






  1. Sans avoir d’enfants.
  2. Ce vers me paraît obscur.
  3. (1) Cette pièce est fort incomplète.