Chants populaires de la Basse-Bretagne/Renée Le Glaz


RENÉE LE GLAZ.
PREMIÈRE VERSION.
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I

  Renée Le Glaz disait,
Assise auprès de la Chapelle-Neuve :
— Si j’étais ou je voudrais être,
Ce n’est pas ici que je serais ;

  Mais à Kerversault, avec le fils ainé,
Celui que j’aime le plus dans ce monde ;
Mon plus aimé après Dieu,
Et qui le sera aussi longtemps que je serai en vie !

II

  Renée Le Glaz disait,
En arrivant à la maison :
— Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maison,
Que la broche est au feu ?

  Que la broche est au feu,
Avec la grande marmite et les deux petites ? —
— Je suis fort étonnée, Renée, de vous entendre,
Puisque c’est demain prochain votre mariage ? —

  — Si c’est demain mon mariage,
Comment appelle-t-on celui que j’ai eu ?
— Je suis fort étonnée, Renée, de vous entendre,
Vous qui avez eu un si bel homme !

  Vous qui avez eu un si bel homme,
Yves Gelard, pour époux ! —
Renée Le Glaz disait
A sa petite servante, ce jour-là :

  — Prenez, servante, cette lettre,
Et allez avec elle (portez-la) à Kerversault ;
Allez avec elle à Kerversault,
Et donnez-la au fils aîné. —

  La petite servante disait,
En arrivant à Kerversault :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Où est le fils aîné ? —

  — Pourquoi avez-vous besoin du fils aîné,
Puisque sa douce Renée est mariée ? —
— Le trouve mauvais qui voudra,
Je parlerai au fils aîné ! —


  — Il est la-bas malade, sur son lit,
Du regret de sa douce Renée. —
La petite servante disait,
En arrivant auprès du fils ainé :

  — Prenez, fils aîné, cette lettre,
De la part de votre douce Renée ;
De la part de votre douce Renée,
C’est là sa dernière lettre. —

  La lettre était à peine ouverte,
Qu’il avait les larmes aux yeux :
— Si cette lettre dit vrai,
Je n’ai plus bien longtemps à vivre ;

  Je n’ai plus bien longtemps à vivre,
Et elle a moins encore, je crois ! —

III

  Renée Le Glaz disait
A la fenêtre de sa chambre, ce jour là :
 
  — Je vois Yves Gélard qui vient ici,
Une belle compagnie est avec lui :
Je demande à mon Jésus
Qu’il se casse le cou en venant ! —

  Yves Gélard disait,
En arrivant chez le vieux Le Glaz :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Où est ma douce Renée ? —

  — Elle est dans le cabinet au bas de la maison,
Yves, allez la voir ;
Yves, allez la voir,
Et, au nom de Dieu, consolez-la. —

  — Bonjour à vous, Renée jolie. —
— A vous pareillement, jeune veuf ! —
— Notre-Dame Marie de la Trinité,
Me prenez-vous donc pour un veuf ? —

  — Pour un veuf je ne vous prends pas,
Mais vous le serez sans tarder ! —
Renée Le Glaz disait
Dans la cour de son père, ce jour-là :

  — Je donne ma malédiction, de bon cœur,
Aussi bien à ma mère qu’à mon père,
Et à tous ceux qui élèvent des enfants
Et les marient malgré eux ;

  A tous ceux qui élèvent des jeunes gens,
Et ne les laissent choisir à leur gré ! —
Renée Le Glaz disait,
En passant devant Kerversault :


  — Yves Gélard, dites-moi,
Me laisserez-vous entrer dans la maison ;
Me laisserez-vous entrer dans ce manoir,
Pour faire mes adieux au fils aîné ? —

  — Pour à présent, vous n’irez pas,
En retournant à la maison, je ne dis pas. —
— Le trouve mauvais qui voudra,
Je descendrai à Kerversault ! —

  Quand Renée entra dans la maison,
Son cœur fut brisé ;
Le pauvre corps était sur les tréteaux funèbres,
Que Dieu pardonne à son âme !

  Elle met sa tête sur ses genoux,
Et meurt auprès de lui !
On cherche des linceuls pour les ensevelir,
On allume de la lumière, pour les veiller.

  Tous les gens de la maison dirent
Qu’il fallait les mettre tous les deux dans la même fosse ;
Qu’il fallait les mettre tous les deux dans le même tombeau,
Puisqu’ils n’ont pas été dans le même lit !


Chanté par ma mère, Rosalie Le Gac.
Keramborgne, 1845.


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RENÉE LE GLAZ.
SECONDE VERSION.
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I

  Renée Le Glaz demandait
A sa mère, un lundi matin :
— Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maison,
Que la broche est au feu ?

  Que la broche est au feu,
Ainsi que le grand pot de fer, et le petit ? —
— Je suis étonnée, ma fille, de vous entendre,
Puisque c’est demain le jour de votre noce ! —

  — Comment, demain le jour de ma noce,
Et moi qui ne suis pas fiancée ! —
— Vous étiez dans votre lit, bien endormie,
Quand vous avez été fiancée par votre père. —


  — Si c’est demain le jour de ma noce,
Je vais me mettre au lit, pour dormir,
Afin de me lever demain de bonne heure,
Ma mère, pour m’habiller ;

  Ma mère, pour me préparer
A accompagner Yves Gélard, pour nous marier. —
Renée Le Glaz disait
A sa petite servante, ce jour-là :

  Petite servante, si vous m’aimez,
Vous porterez une lettre pour moi ;
Vous porterez une lettre pour moi
A Kerversault, à mon doux Kloarek. —

II

  La petite servante disait
En arrivant à Kerversault :
Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Le jeune Kloarek, où est-il ? —

  — Il est malade sur son lit,
Du regret de sa douce jolie Renée ;
Du regret de sa douce jolie Renée,
Petite servante, consolez-le. —

  — Kloarek, prenez cette lettre
De votre douce jolie Renée. —
Le pauvre Kloarek disait,
En lisant la lettre :

  — D’après ce que dit cette lettre,
Elle n’a pas trois jours à vivre ;
Elle n’a pas trois jours à vivre,
Et moi, je n’ai pas trois heures, je pense !

  Prenez, petite servante, une pièce de deux écus,
Pour la peine que vous avez prise. —

III

  Renée Le Glaz disait,
A la fenêtre de sa chambre, ce jour-là :

  — Je vois venir la compagnie,
Ils passent par le bois de Dizes ; (1)[1]
Yves Gélard est en tête,
Et je lui donne ma malédiction ;

  Je lui donne ma malédiction
Pour être venu chercher femme dans ce pays ;
Assez de filles étaient dans sa contrée,
Pour ne pas vouloir en avoir d’autres malgré elles !


  Yves Gélard disait,
En arrivant chez le vieux Le Glaz :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Où est ma douce Renée ? —

  — Elle est dans la chambre, au-dessus de la cuisine,
Yves Gélard, consolez-la. —
— Bonjour à vous, Renée la jolie. —
— A vous de même, jeune veuf ! —

  — Notre-Dame Marie de la Trinité !
Me prenez-vous pour un veuf ? —
— Je ne vous prends pas pour un veuf,
Mais vous le serez dans trois jours ! —

IV

  Renée Le Glaz disait,
En passant auprès de Kerversault : (1)[2]
— Laissez-moi entrer ici.
Pour que je voie le fils aîné :

  Pour que je voie le fils aîné,
J’ai entendu dire qu’il est malade sur son lit ;
J’ai entendu dire qu’il est malade sur son lit,
Et même à son heure dernière. —

  — Pour aujourd’hui, nous n’entrerons pas,
Nous le ferons demain, si vous voulez. —
— Si nous n’entrons pas aujourd’hui,
Demain nous ne le ferons pas non plus —

  Pendant la messe de noce,
Les coups de la mort ont frappé ; [1][3]
Les coups de la mort ont frappé,
Le pauvre Kloarec est mort !

  Renée Le Glaz disait
A monsieur le recteur, ce jour-là :
— Hâtez-vous de dire cette messe,
Mon cœur est près de défaillir ! —

  Monsieur le recteur disait
A Renée Le Glaz, ce jour-là :
— Je suis surpris, Renée, de vous entendre,
Vous avez eu un honnête homme ;

  Il possède de l’argent et de l’or,
Et avec votre doux Kloarec vous seriez pauvre ! —
— Cela ne regarde personne au monde.
Et quand je serais avec lui à chercher mon pain ! —


  Renée Le Glaz disait,
En arrivant chez sa belle-mère :
— Donnez-moi siège pour m’asseoir,
Serviette, pour essuyer la sueur ;

  Serviette, pour essuyer la sueur,
Mon cœur est près de se briser ! —
Mais sa belle-mère répondit
A Renée, sitôt qu’elle l’entendit :

  — Je suis étonnée, Renée, de vous entendre,
Vous qui étiez portée sur un cheval ! —
— Si j’étais venue de mon plein gré,
Je serais venue à pied ! —

  Renée Le Glaz disait
Aux gens de la noce, ce jour-là !
— Mangez, buvez, compagnie,
C’en est fini pour la maîtresse de la journée ! (1)[4]

  Renée Le Glaz demandait
A sa belle-mère, cette nuit-là :
— Ma belle-mère, dites-moi,
Où irons-nous coucher ? —

  — Votre lit est fait dans le cabinet,
Là où rien ne vous gênéra. —
Arrivée dans le cabinet,
Elle a pris deux chaises ;

  Elle a pris deux chaises,
Une pour elle, l’autre pour son époux :
— Mon pauvre époux, si vous étiez content,
Je ferais à présent mon testament ? —

  — Faites le testament que vous voudrez,
Dût-il aller à quatre mille écus ;
Et quand il irait à quatre mille écus,
Comme vous direz il sera fait. —

  — Mon pauvre époux, dites-moi,
Combien y a-t-il de serviteurs dans votre maison ! —
— Il y en a dix-huit ou dix-neuf,
Vous l’apprendrez plus tard de ma mère. —

  — Mon pauvre époux, si vous m’aimez,
Vous leur achèterez à chacun un habit noir,
Pour que les habitants du pays disent :
— Ce sont les porteurs de deuil de la jeune femme !


  Elle mit alors la tête sur ses genoux,
Et mourut presqu’aussitôt !
Que Dieu pardonne à leurs âmes,
Ils sont tous les deux sur les tréteaux funèbres ! (1)[5]

  Ils sont allés tous les deux dans la même fosse,
Puisqu’ils n’ont pas été dans le même lit :
Ils sont tous les deux dans la même tombe,
La bénédiction de Dieu soit sur leurs âmes !


Chanté par Garandel, surnommé Compagnon-l’Aveugle.
Keramborgne, 1847.


Voir dans le Barzaz-Breiz (p. 242) la pièce qui correspond à celle-ci, sous le titre de : Azenor la pâle.


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  1. (1) Une autre version porte koad ar Varones, bois de la Baronne.
  2. (1) Les villages du nom de Kerversault ou Kerverzot, ne sont pas rares en Basse-Bretagne ; il s’en trouve, entr’autres, dans les communes de Ploubezre et de Quemperven, arrondissement de Lannion.
  3. (1) Glas funèbre qu’on sonne dans nos campagnes au clocher de la commune et à la chapelle la plus voisine de l’habitation où quelqu’un vient de mourir.
  4. (1) La nouvelle mariée.
  5. (1) Tous les deux doit s’entendre ici de Renée et de son amoureux, Yves Gélard.