Chants populaires de la Basse-Bretagne/Logdu


LOGDU.
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I

  Cinquante nuits j’ai été
A coucher dans le cimetière de Maudès ;

  A coucher dans le cimetière de Maudès,
Cherchant à prendre des mineures :

  Et je ne regrette pas ma peine,
Puisque j’ai pu en prendre une. ....

II

  — Seigneur de Logdu, attendez-moi,
Je vais à la maison, je ne tarderai pas.

  Pour revêtir une jupe,
Et prendre ma flottante, — [1][1]

  — Ho ! sauf votre grâce, vous n’irez pas,
Vous viendrez avec moi à ma maison.

  Quand vous arriverez à ma maison,
J’ai de quoi vous habiller :

  Je vous achèterai une jupe.
Et vous revêtirai d’une flottante ;

  Et vous révêtirai d’une flottante,
Qui coûtera cinq écus l’aune. —

III

  Quand ils eurent été quelque temps ainsi,
Il leur arriva du nouveau ;

  Arriva Kerdalouarn dans sa maison,
Pour faire visite à la jeune fille ;

  Pour lui faire visite
Et lui causer douleur et crêve-cœur. —

  — Bonjour à vous, seigneur Président,
Juge et homme vaillant ;

  Juge et homme vaillant,
Et receveur du Parlement.


  Quel jugement feriez-vous à un homme
Qui viendrait dans votre maison avec des armes ;

  Qui viendrait dans votre maison avec des armes,
Pour prendre vos gens et vos biens ? —

  — S’il était paysan, le pendre,
S’il était gentilhomme, le faire détruire ; (1)[2]

  S’il était gentilhomme, le faire détruire ;
Voilà comme je le jugerais —

  Naïk Gwazarc’hant disait
Au seigneur de Logdu, en ce moment,

  — Seigneur de Logdu, si vous m’en croyez,
Vous n’irez pas à la ville de Rennes ;

  Vous n’irez pas à la ville de Rennes,
Car il y a eu quelque trahison,

  Et si vous êtes pris à Rennes,
Votre tête paiera votre rançon. —

  — Le trouve bon ou mauvais qui voudra.
J’irai à la ville de Rennes ! —

  Logdu est allé à Rennes,
Monté sur une haquenée mignonne ;

  Monté sur une haquenée mignonne,
Qui est ferrée de laiton ;

  Qui est ferrée de laiton blanc,
Et qui a une bride d’argent en tête.

  Comme il allait sur le grand chemin,
Il rencontra le valet du baron :

  — Seigneur Logdu, si vous m’en croyez,
Vous n’irez pas à la ville de Rennes,

  Car vous serez certainement pris,
Et vous vous êtes condamné vous-même :

  Et si vous êtes pris à Rennes,
Votre tête paiera votre rançon. —

  — J’ai été cent fois à Rennes,
Et je ne pense pas que le valet du baron,

  Je ne pense pas que le valet du baron
Puisse me détourner d’aller à Rennes ! —


IV

  Le seigneur de Logdu disait,
Bn arrivant dans la ville de Rennes :

  — Ne trouverai-je pas un habit de prêtre
Pour aller écouter à la cour ? —

  Et lui de choisir un habit de velours noir,
Et aussitôt d’aller ainsi vêtu à la cour ;

  D’aller aussitôt ainsi vêtu à la cour,
Si bien que Logdu a été pris. —

  — Puisque vous êtes venu de vous-même à Rennes,
Nous vous avons pris ;

  Quant à aller vous chercher, nous ne l’aurions pas fait ;
Vous vous êtes condamné vous-même.

  Vous avez enlevé une jeune fille,
Dont vous avez fait votre femme ;

  Vous avez fait d’elle votre femme,
Mais la cour ne l’a pas approuvé —

V

  Le seigneur de Logdu disait,
En montant le dernier degré de l’échelle :

  — Je vois venir ma femme,
Tenant un plat d’argent doré,

  Tenant un plat d’argent doré,
Pour mettre ma tête, quand elle sera coupée.

  Elle porte (dans son sein) un fils ou une fille,
Qui jamais ne connaîtra son père ! —

  Naïk Gwazarc’hant, quand elle a vu,
S’est évanouie sur le lieu.

  Naïk Gwazarc’hant a été portée
Dans les faubourgs, où elle est revenue à elle.

  Et quand elle revint, elle dit :
— Donnez- moi une épée nue !

  Donnez-moi une épée nue,
Et s’il y a malheur, j’en causerai davantage encore.

  Si je trouve ma mère à Rennes,
Je lui plongerai mon épée dans le cœur !

  C’est elle qui est cause de la mort de mon mari,
Le plus beau gentilhomme qui fût au monde :

  Je n’étais pas digne de lui,
Ni par mes biens, ni par ma beauté.


  Si Kermorvan (1)[3] était encore en vie.
Il te ferait, Kerdalouarn,

  Oui, Kerdalouarn, il te ferait
Manger l’acier et le fer,

  Et la chair sur tes os
Mais tu es damné dans l’enfer ! —


Chanté par une bûcheronne, en Loguivi-Plougras, — 1861.


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  1. (1) Le mot zemizettenn, signifie une jupe de dessous ; quant au mot flottantenn, je ne sais pas bien quelle partie des vêtements de la femme il pourrait désigner. C’est sans doute un manteau, ou un cotillon ample et flottant ?
  2. (1) Le mot distruja, détruire, indique un genre de mort moins déshonorant que la pendaison, comme la mort sur l’échafaud, par le feu, ou par les armes.
  3. (1) Guermorvan ou Kermorvan, était la principale maison noble de la commune de Louargat, au pied de la montagne de Bré ; Le manoir noble de Logdu se trouve aussi dans la même commune. Je ne sais à quel fait historique rattacher cette ballade, dont l’imprécation de la fin me parait bien énergique et bien belle.