Chants populaires de la Basse-Bretagne/Les Fils d’Euret

LES FILS D’EURET
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I

  — Mon frère Marc, allons tous les deux
À la grande soirée de Coaturjo.[1]

  — Mon frère Robert, restons à la maison,
Car une mauvaise soirée s’ouvre.

  — Nous ne resterons pas (à la maison) ni ne tarderons,
Puisque nous en avons la permission, nous irons.

  Et quand ils furent près de partir,
Les cloches commencèrent de se mettre en branle ;

  Les cloches commencèrent de se mettre en branle.
Et du feu, et du tonnerre d’une façon horrible !

II

  Quand ils arrivèrent à Coaturjo,
Ils trouvèrent la porte fermée :

  Ils trouvèrent la porte fermée
Et tous les gens de la maison couchés.

  Marc Euret disait,
Au seuil de la porte, cette nuit-là :

  — Compère, ouvrez-moi,
Afin que j’aie du feu, pour fumer.

  — Je ne vous ouvrirai pas ma porte,
J’ai entendu dire que vous êtes de méchants gars.

  Il n’avait pas fini de parler,
Qu’ils ont jeté la porte dans la maison ;

  Ils ont jeté la porte dans la maison,
Et tué le vieux Le Triquier.

  La fille de Le Triquier disait,
(Appuyée) sur son coude, dans son lit :


  — Dût-il m’en coûter cinq mille écus,
Je ferai pendre Robert Euret !

  Je ferai pendre Robert Euret,
Son frère Marc je ne dis pas ;

  Son frère Marc je ne dis pas,
Car celui-là, il faut que je l’aie (pour mari).

  Ils retournèrent dans la maison,
Et tuèrent tous les gens de la maison ;

  Ils tuèrent tous les gens de la maison,
Puis, ils y mirent le feu !

III

  Dix-huit archers sont envoyés
Pour s’emparer des fils d’Euret.

  Les dix-huit archers demandaient,
Dans la petite ville, sur le pavé :

  — Jeunes gens, dites-nous,
Avez-vous vu les fils d’Euret ?

  — Si c’est les fils d’Euret que vous cherchez,
Détournez-vous par ici, et vous les verrez ;

  Détournez-vous par ici et vous les verrez,
Je pense que c’est à eux que vous parlez.

  Trois heures et demie ils ont été
À jouer de l’épée et du fleuret ;

  Avant que les quatre heures fussent sonnées,
Dix-sept d’entre eux étaient tués !

  Dix-sept d’entre eux étaient tués,
Et il n’en est resté qu’un seul.

  Marc Euret disait,
En ce moment à celui qui restait :

  — Je te laisserai la vie.
Pour aller chercher du secours encore.

IV

  Un archer de dix-sept ans disait
Au pauvre archer, en le voyant :


  — Mon frère l’archer, dites-moi,
Où avez-vous été, où allez-vous !

  — On nous avait envoyés dix-huit archers
Pour nous emparer des fils d’Euret ;

  Pour nous emparer des fils d’Euret,
Dix-sept d’entre nous ont été tués.

  Dix-sept d’entre nous ont été tués ;
Et il n’est resté que moi seul :

  Ils m’ont laissé la vie,
Pour aller chercher du secours encore.

  L’archer de dix-sept ans répondit
À son frère l’archer, là, en ce moment :

  — Je vais aller moi seul aussi,
Pour voir si je les garotterai.

V

  L’archer de dix-sept ans demandait,
En arrivant dans la petite ville :

  — Jeunes gens, dites-moi,
Avez-vous vu les fils d’Euret ?

  — Si c’est les fils d’Euret que vous cherchez,
Détournez-vous par ici et vous les verrez.

  Détournez-vous par ici et vous les verrez,
Je pense que c’est à eux que vous parlez.

  Deux heures et demie ils ont été,
À jouer de l’épée et du fleuret.

  Et quand les trois heures sonnèrent,
Robert Euret était garotté.

  L’archer de dix-sept ans disait
À Robert Euret, ce jour-là :

  — Jamais je n’ai trouvé mon pareil,
Jamais mère ne l’a mis au monde ;

  Jamais mère ne l’a mis au monde,
Si ce n’est ton frère, Marc Euret.

  Il n’avait pas fini de parler
Quand Marc Euret arriva.


  Dix-huit pieds de haut
Saute Marc Euret en l’air ;

  Saute Marc Euret en l’air,
Et l’archer de dix-sept ans à ses côtés.

  Trois heures et demie ils ont été
À jouer du fleuret et de l’épée ;

  Quand sonnèrent les quatre heures,
L’haleine manqua à l’archer.

  Marc Euret disait
À son frère Robert, là, en ce moment :

  — Tu étais pris là, mon frère,
Sans le bon gars Marc Euret !

  Allons, à présent, nous coucher, dans nos lits,
Puisque le combat est terminé !


Chanté par Garandel, surnommé Compagnon l’Aveugle.
Plouaret. — 1847.




Dans son — Pèlerinage de Bretagne, — page 28 et suivantes, — M. Hippolyte Violeau donne un autre dénoûment à ce gwerz. Voici, du reste, sa version, dont il ne produit pas le texte breton. Il dit l’avoir entendu chanter à un charbonnier de la forêt de Quénécan, natif de la commune de Séglien, où se trouvent les ruines du château de Coat-an-fao.

— Mon frère Rogard, allons tous deux à la soirée de Coat-an-fao.

— Non, mon frère Marc, restons à la maison, car un gros temps s’annonce.

— Notre chef nous accorde un grand congé, il faut en profiter et nous amuser, ce soir.

— Nous ne porterons atteinte à la vie de personne, à moins d’être toisés et regardés de travers.

Au moment où ils se disposaient à partir, les cloches sonnaient d’elles-mêmes.

Les éclairs, le tonnerre, le vent, une tempête dans toute sa furie.

Quand ils arrivèrent à Coat-an-fao, toutes les portes étaient closes.

Tous les habitants sommeillaient, quand ils ont frappé à la porte de Téliaw Troadec.

— Compère, ouvrez-nous, ouvrez-nous la porte, un chien ne tiendrait pas dehors.

— Je n’ouvrirai pas ma porte, j’ai entendu parler de vous. Vous êtes de terribles brigands, vous avez ravagé ce pays.

— Si tu n’ouvres ta porte, nous l’enfoncerons ; il nous faut du feu pour nous chauffer.

Ils ont enfoncé la porte, ils ont tué le vieux Troadec et l’aîné de ses fils.

Le plus jeune a couru avertir les archers, qui, depuis longtemps, cherchaient les fils Euret.

Dix-huit archers sont arrivés pour prendre les fils Euret.

Quand Marc Euret les entendit, il s’élança de la maison.

— Si vous cherchez les fils Euret, ils sont tout près, les voici.

Le jeu de fleuret a duré trois heures et demie, et dix-sept archers ils ont tués.

Ils ont épargné seulement un vieil archer, pour qu’il racontât leurs exploits.

— Nous te laissons la vie, à toi ; va chercher un nouveau renfort.

Le vieil archer gémissait, en entrant dans la ville.

— Nous étions partis dix-huit pour prendre les fils Euret, dix-sept ont été tués, et ils n’ont laissé que moi.

Un archer de dix-sept ans, apprenant cette nouvelle : — Mon maître, Je vous conjure de me laisser partir.

Je garotterai ce fameux Euret, et n’aurai besoin du secours de personne.

Il a mis son cheval au galop, à Coat-an-fao il s’est rendu

— Salut, dit-il, salut à ce village ! où sont les fils Euret ?

Rogard, s’entendant nommer, bondit hors de la maison.

— Si vous cherchez les fils Euret, en voici un tout prêt à combattre.

Rogard a été terrassé et garotté par l’archer de dix-sept ans.

En jouant du bâton et du fleuret, l’archer a gagné sur Rogard, et son triomphe était à son comble.

— Rogard, disait-il, je suis le maître des archers, puisque je t’ai vaincu.

Mais le frère Marc accourut de la maison, comme un chien furieux

— Aide-toi ! aide-toi encore, Rogard ! sans moi tu allais être pris.

Le mot n’était pas achevé, que le jeune archer était étendu mort.

Marie Troadec était au lit, appuyée sur son coude, et elle voyait le combat.

Garottée avec des cordes, elle ne pouvait bouger que la tête.

Elle n’a pu se taire, et elle s’est écriée : ah ! — m’en coûterait-il cinq cents écus, je ferai prendre les fils d’Euret !

Rogard s’est détourné, et il a étranglé Marie Troadec.

Aussitôt ils ont mis le feu à la maison, et tout a été consumé.

Rien ne résiste à ces brigands, ils ruinent le pays.

Jamais on ne pourra prendre Marc Euret, il peut sauter 18 pieds de long et 18 pieds de large.

Il saute 18 pieds de hauteur, et retombe sur place.

Il est nerveux de corps, il a dans les cheveux une grande force.

Personne ne pourra prendre cette troupe de malfaiteurs.

Quand passent les fils Euret dans les rues, de chaque côté, les portes se ferment.

Les fils Euret ont effrontément traversé la ville de Nantes, à midi.

— Voici les fils Euret ! disaient-ils. Où est la justice de cette ville !

Tant qu’il y aura des vendredis dans l’année, on ne prendra pas les fils Euret.



  1. C’est peut-être une corruption pour Koad-an-Fao, vieux château en ruines, dans la commune de Séglien.