Chants populaires de la Basse-Bretagne/Le Comte Guillou

Édouard Corfmat (2p. 7-15).

LE COMTE GUILLOU[1]
Première version.
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I

  Je vois le comte Guillou sur le chemin, revenant à la maison,
Et devant lui, quatre cents cavaliers ;

  Et devant lui, carrosse, carrioles,
Pour aller épouser la demoiselle de Poitou….

  La vieille dame disait, un jour, à sa fille aînée :
— Seigneur Dieu, ma fille il y a désolation ici !

  Je vois le comte Guillou sur le chemin, revenant à la maison,
Et devant lui, quatre cents cavaliers ;

  Et devant lui, carrosse, carrioles.
Pour venir vous épouser, demoiselle de Poitou !… —

  — Prenez, ma mère, dit-elle, prenez mes clefs,
Et allez à mon comptoir choisir des parures ;

  Apportez mes plus beaux habits,
Et habillez-en ma plus jeune sœur. —

II

  — Arrête-toi, petit page, tiens la tête de mon cheval.
Afin que j’écoute une voix que j’entends chanter ;

  Afin que j’écoute une voix que j’entends chanter.
Voici sept ans que je l’entendis pour la dernière fois….[2]

  Chante-moi, bergère, chante ta plus jolie chanson,
Dût-il m’en coûter de l’argent, il faut que je l’entende. —

  — Oh ! sauf votre grâce, seigneur, pour de l’argent, je n’en veux pas ; Cette chanson a été faite, et elle sera chantée ;

  Cette chanson a été faite à votre sujet, seigneur.
Et au sujet d’une jeune demoiselle de la ville de Poitiers,

  Fiancée depuis sept ans, mais non mariée,
Et l’on dit qu’elle a eu un petit fils ;

  Elle est accouchée il y a deux ou trois ans,
Et l’on accuse le valet d’écurie :

  Elle a mis au monde un fils beau comme le jour,
Si bien que l’on dit qu’il est fils d’un prince ou d’un roi :

  Et elle l’a tué, hélas ! pour son malheur ;
Et elle l’a tué, sans avoir reçu le baptême ! —

III

  La vieille dame disait, dans sa chambre, à sa fille ainée :
— Seigneur Dieu, ma fille, que faire ?

  — Prenez, ma mère, dit-elle, prenez mes clefs.
Et allez à mon comptoir, choisir des parures ;

  Apportez mes plus beaux habits,
Et habillez-en ma plus jeune sœur. —

  — Bonjour à vous, dit-elle, seigneur comte mon époux.
Il y a bien longtemps que nous ne nous étions vus. —

  — À vous pareillement, dit-il, demoiselle bien parée.
Vous n’êtes pas celle à qui j’avais promis ;

  N’était mon respect pour la maison de votre mère et de votre père,
J’aurais lavé mon épée dans votre sang !… —[3]

  La vieille dame disait, dans la chambre, à sa fille ainée.
— Seigneur Dieu, ma fille, il y a désolation ici !

  Seigneur Dieu, ma fille, il y a désolation ici.
Votre plus jeune sœur a été refusée par lui ! —

  — Prenez, ma mère, dit-elle, prenez mes clefs,
Et allez à mon comptoir, choisir des parures ;

  Apportez-moi ma plus belle robe de soie,
Afin que je sois propre et mince pour paraître devant lui ;

  Apportez-moi mon habit de drap de ral (1)[4],
Car je vais, hélas ! à la mort, en ce moment….

  — Bonjour à vous, dit-elle, seigneur comte mon époux,
Il y a bien longtemps que nous ne nous étions vus. —

  — À vous pareillement, dit-il ; qu’est-il donc arrivé ?
À votre teint, on dirait que vous avez eu des enfants ? —


  — Que je fonde ici, comme du beurre sur le plat,
Si jamais j’ai mis au monde ni fille ni fils !

  Que je fonde, comme du beurre roussi,
Si jamais j’ai donné le jour à fille ou à fils ! —

  — Or ça, sonneurs, sonnez à présent le bal.
Afin que nous voyions la démarche de cette demoiselle ! —

  — Il n’est pas dit que je puisse faire le bal (danser) à présent.
J’ai la fièvre, depuis neuf mois je la tremble. —

  — La fièvre que vous avez, oh ! oui, je le crois,
La fièvre que vous avez, on la tremble à deux ! —

  Et lui de frapper alors sur sa poitrine,
Si bien que le lait jaillit sur sa robe de satin.

....................
....................

  — Or ça, mes sonneurs, sonnez un air de deuil.
Car il est veuf, le jeune comte de Poitou !

  Jusqu’aujourd’hui, j’ai eu dix-huit femmes ;
J’ai eu dix-huit femmes, celle-ci est la dix-neuvième ;

  Celle-ci est mademoiselle Jeanne, celle-ci est la dernière.
Celle-ci me brisera le cœur ! —


Chanté par Fanchon Flouriot,
servante à Kersont. — Commune de Berhet
(Côtes-du-Nord) — 1868.




LA PRINCESSE LE GUILLOU
Seconde version.
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I

 — Bonjour à vous bergère sur la lande avec vos moutons ;
À qui a été faite cette jolie chanson que vous chantez ?

 — Cette chanson a été faite à la princesse Le Guillou,
Qui est accouchée, il y a trois mois, environ….

II

 La vieille princesse disait, dans sa chambre, à sa fille ainée,
— Seigneur Dieu, dit-elle, il y a désolation dans cette maison !

 Je vois revenir à la maison le comte de Kervenno,
Voici sept ans qu’il n’était pas venu dans le pays ;

 Il vient épouser la belle princesse Le Guillou,
Voici sept ans qu’il n’était pas venu dans le pays ;

 Je le vois, il vient là-bas sur la grand’route,
Deux ou trois cents cavaliers marchent devant lui.

 — Prenez, ma pauvre petite mère, prenez mes clefs,
Et donnez à ma sœur une partie de mes parures….

………………………………………………………………[5]

 — Apportez-moi ici, dit-elle, ma plus belle ceinture,
Pour que je sois propre et mince pour paraître devant lui ;

 Apportez-moi ici, dit-elle, ma robe écarlate,
Afin que j’aille dans la salle, souffrir la mort, à l’instant…

 — Bonjour à vous, bergère, avec votre robe écarlate,
Sous cette robe-là vous souffrirez douleur :

 (Avec) Votre robe écarlate et vos dentelles d’argent,
Je vous prendrais pour la fille d’un paysan.

 Dites-moi, ma douce, si ce que j’ai entendu dire est vrai,
Qu’il y a environ trois mois que vous êtes accouchée ?

 — Que je fonde ici comme du beurre sur le plat,
Si j’ai jamais mis au monde ou fille ou fils :

 Que je fonde ici, comme du beurre roussi.
Si j’ai jamais mis au monde ou fille ou fils !

— Au milieu de tes yeux, je le sais, tu mens,
Tes habits sont lacés comme ceux d’une nourrice.

Et lui de mettre alors sa main sur sa poitrine,
Si bien que le lait en jaillit sur sa robe de satin…

Sonnez, mes sonneurs, sonnez une gavotte.
Afin que ma douce et moi nous la dansions sur la place.

— Seigneur Dieu, dit-elle, j’ai la fièvre,
Et je ne pourrais danser une gavotte.

— C’est là une fièvre appelée trantina,
Et ordinairement on est à deux à la trembler.

Ah ! retire-toi loin de là de devant mes yeux,
Ou je laverai, à l’instant, ma lance dans ton sang !

Et lui de se reculer de deux ou de trois pas,
Et de planter sa lance dans son côté…

— Sonnez, mes sonneurs, sonnez une gavotte
Ma douce est restée étendue tout de son long sur la place :

Ma douce est restée à se rouler dans son sang ;
Ce n’est pas de moi qu’elle devait se moquer !

Sonnez, mes sonneurs, sonnez un glas de deuil.
Puisqu’il est veuf, le prince de Kervenno !


Chanté par Marguerite Philippe
de Pluzunet [Côtes-du-Nord].


Il faut remarquer les différences qui existent entre ces deux versions, sous le rapport des noms propres surtout. Dans la première version, c’est un comte Guillou, (Guillaume de Poitou peut-être) qui est en scène, avec une demoiselle de Poitou. Dans la seconde version, le principal personnage, appelé tantôt COMTE, tantôt PRINCE DE KERVENNO, a pour fiancée une PRINCESSE LE GUILLOU. Il est difficile de ae guider à travers ces contradictions, et de fixer la question historique. — Quelques personnes, MM. De Penguern, et Kerambrun par exemple, substituent le COMTE DE GŒLO au COMTE GUILLOU, mais à tort, je crois, et sans motif plausible. Je laisse pourtant la question à décider aux historiens.

Dans une troisième version, que mon ami M. Sauvé a recueillie à Plouguerneau, dans le bas Léon, de la bouche d’une couturière nommée Marianne Le Bêr, il s’agit d’un jeune Prince qui, débarquant de dessus la mer profonde, demande un messager pour aller annoncer à sa maîtresse qu’il arrive pour l’épouser. Chemin faisant, le jeune prince rencontre sur une lande une jeune bergère qui lui dit : — « Arrêtez, prince, arrêtez votre haquennée, votre jolie maîtresse est mère ! » — Comme dans les deux versions précédentes, on essaye de le tromper, en lui présentant la jeune sœur de sa fiancée ; mais il ne donne pas dans le piège, et demande l’autre. Elle vient, confuse et l’air malade, et il l’invite à danser avec lui : — « Excusez-moi, prince, dit-elle, je ne puis danser, car depuis neuf mois, je suis malade de la fièvre quarte. » — Et le prince répond : — « Ne vous rappelez-vous pas m’avoir promis, dans votre chambre, que le premier de nous deux qui faillirait serait mis à mort ? À peine avait-il prononcé ces mots, qu’il lui trancha la tête d’un coup de sabre. — Sonnez, mes gens, sonnez de la trompette, puisque nous avons donné la mort à la Mademoiselle DÉLOYALE : Sonnez, mes gens, sonnez, de la trompette sur-le-champ, pour que nous reprenions le chemin de notre pays ! »

Le mot DIBŒLTRON du texte breton que j’ai traduit par DÉLOYALE, ne me semble pas breton, et ne rime pas du reste avec TROMPILLOU qui termine le vers précédent. Je croirais volontiers que DIMEZELL DIBŒLTRON est une altération pour — DIMEZELL A BŒTOU, DEMOISELLE DE POITOU ?


  1. (1) Peut-être faut-il, ici, traduire GWILLOU par GUILLAUME. S’agirait-il de Guillaume de Poitou, qui a déjà fourni le sujet d’un mystère breton, imprimé, en 1816, chez Guilmer, à Morlaix, et devenu très-rare aujourd’hui ?
  2. Ces quatres vers se retrouvent dans le Gwerz, LES DEUX FRÈRES, — (voir tome 1er page 198 — Vers 8 et suivants).
  3. Ces deux vers se trouvent encore dans le gwerz — LES DEUX FRÈRES, 1er vol. page 200 — à la fin de la pièce.
  4. (1) Je ne sais comment traduire ce DRAP DE BAL du texte breton. Il doit y avoir altération.
  5. (1) Il y a ici une lacune pour la présentation de la jeune sœur.