Chants populaires de la Basse-Bretagne/L’enfant de cire

Édouard Corfmat (1p. 143-149).

L’ENFANT DE CIRE.
PREMIÈRE VERSION.
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I

  Si voulaient les habitants de Tréguier
Tenir bien close la porte de leur église,
Un enfant de cire n’y aurait pas
Eté baptisé au clair de la lune.

II

  La nourrice demandait,
Un jour à monsieur de Penfeunteun :
— Dites-moi, s’il vous plaît.
D’où vous revenez ! —

  — Je reviens de la grande rue,
Je reviens d’acheter une robe de satin bleu,
Brodée tout autour avec du fil d’argent,
Pour ma penhérès[1], la charmante fille. —

  — Si vous entendiez ce que je sais, moi,
Jamais elle ne mettrait cette robe ;
Jamais elle ne mettrait cette robe,
Ni vos yeux ne la reverraient.

  Votre fille a fait un enfont de cire.
Pour vous faire partir de dessus la terre ;
Elle a fait un enfant de cire,
Pour vous envoyer promptement au cimetière !

   Elle l’a porté neuf mois entiers
Entre sa chemise et sa jupe ;
Elle l’a porté pendant neuf mois
Entre sa jupe et sa chemise. —

  Le vieux monsieur, entendant cela.
Est accouru vite à la maison :
— Ma fille, donnez-moi vos clefs.
Pour que les mauvaises langues soient confondues ! -

  La penhérès, à ces mots.
Est tombée trois fois à terre ;
Trois fois à terre elle est tombée,
Et sa marUtre l’a relevée ;

  Sa marâtre l’a relevée
Et lui a parlé ainsi : ~
— Donnez vos clefs à votre père,
Pour que les mauvaises langues soient confondues. -


  — La clef de mon armoire, je l’ai perdue,
La clef de l’arche, je l’ai cassée ;
La clef de l’arche, je l’ai cassée.
Et je n’ai aucune autre clef. —

  Monsieur de Penfeunten , courroucé,
A saisi une hache ;
Il a mis l’arche en pièces.
Et l’enfant de cire a été découvert.

  Il était enveloppé de langes.
Et avec lui était une bourse de cent écus.
Pour donner au prêtre sacrilège
Qui avait baptisé l’enfant.

  Trois fois par jour elle le levait,
Et trois fois par jour elle le piquait ;
Quand elle y enfonçait des épingles,
Monsieur avait des points de côté ;

  Quand elle y enfonçait de grandes épingles,
Il éprouvait une douleur au cœur ;
Et quand elle le chauffait au feu,
Monsieur maigrissait, maigrissait !

III

  Monsieur de Penfeunteun disait
A sa fille unique, peu après :
— Dimanche, après la grand’messe,
Penhérès, vous serez brûlée ! —

  — Oui, mon père, je serai brûlée.
Et je porterai moi-méme le bois —
— Non, vous ne porterez-pas le bois.
Car vous serez conduite sur une charrette. —

IV

  L’enfant de cire, la penhérès.
Le parrain et la marraine,
Tous les quatre ont été brûlés.
Devant tout le peuple assemblé :

  Devant tout le peuple assemblé,
Tous les quatre ont été brûlés ;
Le jeune prêtre a été désacré.
Puis aussitôt il a eu la tête coupée.

  Le vieux monsieur pleurait dru,
Et s’arrachait les cheveux blancs,
En voyant brûler sa fille,
Car il n’avait d’autre enfant qu’elle !


L’ENFANT DE CIRE.
SECONDE VERSION.
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I

  Poularfeunteun disait,
Un jour, à monsieur Bistigo :
— D’où revenez-vous, où allez-vous,
Où espérez-vous aller ? —

  — Je vais là-bas, à la boutique,
Pour choisir de l’étoffe écarlate.
Avec de la dentelle d’or et d’argent.
Pour ma penhérès, la charmante fille. —

  — Si vous saviez ce que je sais, moi,
Jamais plus vous ne lui achetteriez d’habit :
Celle-là a fait un enfant de cire.
Pour vous ôter de dessus la terre !

  Trois fois par jour on le réchauffe,
Trois fois par jour on le pique ;
Et chaque fois qu’on y enfonce des épingles.
Monsieur, vos jours diminuent ! —

  — Poularfeunteun, dites-moi,
Où l’enfant a-t-il été baptisé ? —
— Il a été baptisé, l’enfant de cire.
Dans la grande église de Tréguier ;

  Dans la grande église de Tréguier,
Au soleil et à la lumière de la lune ! —
Poularfeunteun, dites-moi,
Qui ont été les compères ? (le parrain et la marraine).

  — Votre premier valet est le compère,
La petite servante est la commère. —
— Poularfeunteun, dites moi,
Qui a baptisé l’enfant ? —

  — C’est un jeune prêtre,
Pour avoir une somme d’argent.
Quatre cents écus en argent blanc.
Et autant en or jaune.

  Quatre cents écus, en argent blanc,
Et autant en or jaune,
A eu le jeune prêtre
Pour faire le baptême. —

II

  Monsieur Bistigo, à ces mots,
S’en retourna à la maison ;
Il s’en est retourné à la maison,
Et a dit à sa penhérès :

  — Ma fille, donnez-moi vos clefs,
Les gens ont des langues de diables. —
— La clef de mon armoire, je l’ai perdue,
La clef de mon coffre est cassée,

  Et la clef de mon petit bahut.
Je voudrais la voir au milieu du feu ! —
Monsieur Bistigo, entendant cela,
Saisit une petite hache ;

  Il a saisi une hache à tête.
Et a mis en morceaux le petit bahut ;
Il a mis en morceaux le petit bahut,
Et l’enfant de cire a été découvert.

  Et aussitôt de retourner en ville.
Chercher les gendarmes pour prendre sa fille.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

III


Dur eut été le cœur de celui qui n’eut pleuré,
Etant dans la ville de Tréguier,
En voyant quatre corps brûler dans le feu.
Pendant que les cloches sonnaient d’elles-mêmes !

Monsieur Bistigo pleurait dru.
Et s’arrachait les cheveux,
En voyant brûler sa penhérès,
Car il n’avait d’autre enfant qu’elle ! —

IV

Si voulaient les habitants de Tréguier
Tenir bien closes les portes de leur église.
Un enfant de cire n’y aurait pas
Eté baptisé au clair de la lune ! (1)


Chanté par Marguerite Philippe, mendiante estropiée
de la commune de Pluzunet — 1867.


{1} Il s’agit dans ces deux ballades, assez difficiles à trouver aujourd’hui, d’un envoûtement, superstition très-répandue dans le moyen-âge. La première version m’a été communiquée par mon ami M. Prosper Proux, l’auteur si original de l’excellent recueil Bombard Kerne, populaire daas nos campagnes. Il l’a recueillie à Plouigneau, dans les environs de Morlaix. On remarquera que les rôles sont en partie changés dans la seconde version. La nourrice disparaît pour faire place à monsieur Poularfeunteun, et monsieur Penfeuteun, de la première version, devient monsieur Bistigo.


  1. (1) Penn-hérès, fille unique.