Chants populaires de la Basse-Bretagne/L’évêque de Penanstank


L’ÉVÊQUE DE PENANSTANK.
PREMIÈRE VERSION.
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I

  — Petite Aliette, ma gentille enfant,
Il faudra aller à Penanstank ;
Il faudra aller à Penanstank,
Ou perdre nos droits sur le convenant. (1)[1]

  — Si vivait encore celle qui me donna le jour,
Comme vit celui qui m’éleva,
Je n’irais pas à Penanstank,
Et quand vous perdriez vos droits sur le convenant. —

  — Mais hélas ! ma pauvre enfant, puisqu’elle n’est plus,
Il faut obéir à votre marâtre ;
Il faut obéir à votre marâtre,
Il faudra aller à Penanstank. —

  — J’aime mieux, pour mon honneur,
Que vous me mettiez sous le seuil de votre porte !
Prenez une pioche et une pelle
Et mettez-moi vivante en terre !

II

  Le seigneur de Penanstank disait,
Un jour, à son valet de chambre :
— Je vois la petite Aliette Lemad
Qui vient à travers le bois.

  Deux yeux sont dans sa tête
Qui brillent comme deux étoiles du matin,
Son front aussi et ses deux joues
Sont blancs comme le lait dans le ribot. —

  En arrivant à Penanstank,
Elle s’est assise sur le seuil de la porte ;
Elle s’est assise sur le seuil de la porte,
Et a pleuré à noyer son cœur ! ...

  — Petite Aliette, il vous est commandé,
Par Monseigneur de monter dans sa chambre,
Pour lui tenir la chandelle,
Pendant qu’il chantera ses vêpres. —

  — Si vous êtes messager à ses ordres,
Montez et dites-lui
Qu’il y a des chandeliers d’or et d’argent,
Charmants objets pour tenir la chandelle. —


  — Petite Aliette, il vous est commandé,
Par Monseigneur, de monter dans sa chambre ;
Par Monseigneur de monter dans sa chambre,
Pour qu’il vous donne de l’or et de l’argent. —

  — Si vous êtes messager à ses ordres,
Montez et dites-lui
De garder son or et son argent,
Je suis contente dans ma pauvreté ;

  Si vous êtes messager à ses ordres,
Montez et dites-lui
De garder son argent et son or,
Mon devoir à moi est d’être pauvre ! —

  — Petite Aliette, il vous est commandé,
Par Monseigneur, de monter dans sa chambre ;
Par Monseigneur de monter dans sa chambre,
Pour qu’il vous donne de belles bagues. —

  — Si vous êtes messager à ses ordres,
Montez et dites-lui
Qu’il ne convient pas à une journalière
d’avoir des bagues d’argent à ses doigts. —

  Petite Aliette, il vous est commandé
Par Monseigneur de monter dans sa chambre,
Pour aller avec lui dans son cellier,
Déguster du vin doux comme le miel. —

  — Si vous êtes messager à ses ordres,
Montez et dites-lui
Que quand j’aurai soif, je boirai de l’eau,
Et prierai Dieu de m’être en aide. —

  — Petite Aliette il vous est commandé,
Par Monseigneur, de monter dans sa chambre,
Pour aller avec lui dans les greniers,
Choisir les poires et les pommes gâtées. —

  — Si vous êtes messager à ses ordres,
Montez et dites-lui
De donner les bonnes au pauvre, qui les mangera,
Et les mauvaises, aux pourceaux, qui les dépourriront.

  — Petite Aliette, il vous est commandé,
Par Monseigneur, de monter dans sa chambre ;
Par Monseigneur de monter dans sa chambre,
Pour lui faire son lit. —

  — Si vous êtes messager à ses ordres,
Montez et dites-lui
De descendre et je monterai ,
Et je lui ferai son lit ;


  Et s’il allonge trop ses pas,
A me poursuivre dans les escaliers ;
A me poursuivre dans les escaliers,
Je le jetterai en bas sur la bouche ! —

III

  — De dix-sept filles qui ont été dans ma maison,
Aucune n’en est sortie comme vous ;
Mais vous, petite Aliette Lemad,
Vous avez été conseillée par votre père.

  Jamais il n’a existé de jeune fille
Que je ne pusse débaucher, quand il me plaisait,
Si ce n’est vous, Aliette Lemad,
Qui avez été conseillée par votre père. —

  — Je n’ai pas été conseillée par mon père,
Mais par les saints et les saintes ;
Mais par les saints et les saintes,
Qui ont été mes avocats.

  Mettez-moi mon argent sur la table,
Pour que je m’en aille avec mon honneur,
Avec mon honneur et mon respect,
Voici dix-huit ans qu’aucune n’est partie ainsi ! —

  — Petite Aliette, je vous verrai
Un jour dans la ville, ou aux environs,
Avec votre ventre jusqu’à votre œil,
Enceinte de quelque coquin ! —

  — J’aimerais mieux être enceinte
D’un porcher, que j’aimerais,
Etre enceinte d’un porcher,
Monseigneur, que de l’être de vous !

  Ce ne serait pas un si grand déshonneur pour mon père,
Que si je l’étais d’un homme consacré (à Dieu) ;
Que si je l’étais d’un prêtre
Qui n’a plus ni honneur ni estime ! —


Recueilli dans la commune de Plougonven, — 1863.

NOTE.


Il s’agit dans cette chanson, très-répandue dans les environs de Morlaix, d’un évêque interdit, qui passa ses dernières années dans son manoir de Penanstank, en la commune de Plougonven, arrondissement de Morlaix. Son souvenir est encore très-vivant dans ce pays, où la tradition s’occupe beaucoup de lui, comme j’ai pu le constater moi-même sur les lieux, quand je suis allé visiter Penanstank. Voici ce que dit Albert Le Grand de cet évêque peu exemplaire, dans le catalogue des évêques de Cornouailles, qu’il a annexé à ses Vies des Saints de Bretagne : : « Frère François de La Tour, fils d’escuyer Guillaume de La Tour, et Jeanne de Goaz-riant, sieur et dame de Penn-ar-Stanq, fut moyne profès de l’ordre de Cysteaux, en l’abbaye du Relec, diocèse de Léon, et sacré évesque de Cornouaille, le jour des Rois, l’an 1574, sous le pape Grégoire, le roy très-chrétien et fut transféré à Tréguier, l’an 1585, ou il mourut l’an 1593, au manoir épiscopal de Pennarstanq, gist en la paroisse de Plougonvenn, sans enfeu ny epitaphe. »



LE SEIGNEUR DE PENANSTANK.
SECONDE VERSION.
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I

  — Petite Aliette, ma gentille enfant, (1)[2]
Il faudra aller à Penanstank ;
Il faudra aller à Penanstank,
Ou perdre nos droits sur le convenant. —

  — Si celle qui me mit au monde était encore en vie,
Comme l’est celui qui m’éleva,
Elle ne m’enverrait pas à Penanstank,
Dût-elle perdre dix-huit convenants !

  Assez de convenants sont dans le pays,
Quand nous aurons de l’argent, nous en achèterons,
Et mon honneur, une fois perdu,
Avec tous les biens (du monde) je ne pourrais le racheter ! —

II

  Le seigneur de Penanstank disait,
Un jour, à la petite Aliette :
— Petite Aliette ma petite sœur fine,
Venez avec moi au jardin ;

  Venez avec moi au jardin,
Cueillir un bouquet de fines herbes ;
Pour que je vous montre les herbes
Qui entrent dans ma soupe. —

  — Allez dire votre grand’messe,
Et pour lors je l’aurai faite, (la soupe)
Et si elle vous plaît, vous la mangerez,
Et si elle ne vous plaît pas, vous la laisserez. —

  — Petite Aliette, ma gentille petite sœur,
Venez avec moi dans ma chambre,
Pour choisir des poires et des pommes pourries, [1][3]
Qui sont là depuis longtemps. —

  — Si vos pommes sont pourries,
Ce n’est pas moi qui les mangerai, Monseigneur ;
Jetez-les aux pourceaux, qui les mangeront,
Et ainsi vos pommes seront dépourries !


  — Petite Aliettte, ma chère petite sœur,
Venez avec moi au cellier ;
Venez avec moi au cellier,
Pour boire du vin doux comme le miel, —

  — Sauf votre grâce, Monseigneur, je n’irai pas,
Le vin ne convient pas aux jeunes filles ;
Quand j’aurai soif, je boirai de l’eau,
Et je prierai Dieu de m’assister ! —

III

  Le seigneur de Penanstank disait
Un jour à Aliette Lemad :
— Petite Aliette, si vous m’aimez,
Vous resterez encore une année avec moi ? —

  — Vous m’aviez demandée pour un an,
Et je vous ai servi un an ;
Je vous ai servi un an,
Et je ne resterai pas plus longtemps ;

  Et le convenant est à moi,
Seigneur de Penanstank, en dépit de votre nez !
Je sors vierge de votre maison,
Voilà sept ans qu’aucune autre n’en est sortie ! —

  Petite Aliette, dites-moi,
Où avez-vous été au couvent ? —
— Au coin du feu, chez mon père,
J’ai entendu mainte bonne parole ;

  — Au coin du feu, chez mon père,
J’ai entendu mainte bonne parole,
Pendant que je te berçais
Quel frère de lait pour moi ! —

  — Petite Aliette, je vous verrai,
Dans la ville de Tréguier, ou aux environs,
Avec votre ventre jusqu’à votre œil,
Enceinte de quelque fripon !

  — Si c’est d’un fripon,
Crois-le bien dans ton cœur, je l’épouserai,
S’il n’est marié,
Ou un homme consacré à Dieu.

  Toi, tu es marié à l’église,
Tu es marié au saint sacrifice :
Si tu réfléchissais, Penanstank, à ton péché,
Certainement tu y renoncerais ! —


Chanté par Marguerite Rio, domestique à Keramborgne. 1847.


  1. (1) Ferme à domaine congéable.
  2. (1) Dans la version précédente et généralement dans les autres, le nom est mieux précisé : Aliellik ar Vad, Aliette Le Mad ou Le Bon.
  3. [1] D’zivreina per hag avalou — pour dépourrir des poires et des pommes. Il s’agit de poires et de pommes mises en réserve et qu’on visite de temps en temps ; on emporte celles qui sont gâtées on les dépourrit, c’est-à-dire qu’on enlève la partie qui est corrompue, puis on mange le reste.