Chants populaires de la Basse-Bretagne/Alliette Le Rolland


ALLIETTE LE ROLLAND[1]
Première version
________


I

Alliette Le Rolland a fait
Ce que personne n’eût fait ;

Elle a tué son fils ainé,
Pour faire seigneur son plus jeune (fils),

Elle a tué son fils le clerc,
Pour faire seigneur son cadet.

II

Alliette Le Rolland allait en haut,
Avec un grand couteau sur le pli de son bras.

Alliette Le Rolland demandait
À son fils de Boisgelin, cette nuit-là :

— Mon fils de Boisgelin, dites-moi,
Où est le mal dont vous souffrez ?

— Entre ma tête et mon cœur,
J’éprouve une douleur qui est déraisonnable.

— J’ai ici, mon fils, un remède
Qui guérira votre cœur et votre tête…

Mon fils, frappez le premier coup,
Moi, je frapperai le second, le dernier.

— Ma mère, pour le tuer, je ne le ferai pas,
Le cœur de le faire je n’aurai ;

Je n’ai pas le cœur de le tuer,
Il sourit et pleure en me regardant !

— Voici un fils à qui j’ai donné le jour
Et qui ne voudrait pas me faire un plaisir, à ma requête !

— Mon frère, laisse-moi la vie,
Et je te donnerai toutes mes rentes ;

Je te donnerai toutes mes rentes,
Et j’irai au service du roi !….

III

Quand Alliette descendit,
Le sang jaillissait avec bruit de sa chaussure ;

Le sang jaillissait avec bruit de sa chaussure,
Et de son cotillon, tout autour !

Sa petite servante disait
À Alliette Le Rolland, cette nuit-là :

— Quelle nuit vous avez passée !
J’ai brûlé trois fagots,

En cherchant à faire bouillir de l’eau qui ne chauffe pas,
Comme vous l’aviez mise, (sur le feu) vous la trouverez.

Tout domestique de votre maison
Connaît votre nuit aussi bien que vous.

— Tais-toi, lépreuse,
Ne t’occupe pas de ma nuit !

Alliette Le Rolland disait
À son petit page, ce jour-là :

— Allez chercher du vin pour votre maître qui est malade,
Et qui n’en boira goutte.

— Pourquoi lui chercher du vin,
S’il n’en boit goutte ?

Comme il allait par le chemin,
Il rencontra le seigneur de Pencréan :

— Petit page petit page, dites-moi
Où allez-vous, ou avez été ?

(Je vais) chercher du vin pour mon maître qui est malade,
Et qui n’en boira goutte.

— Pourquoi (aller) lui chercher du vin,
S’il n’en boit goutte ?

— Seigneur, dit-il, ne me dénoncez pas,
Mon maître De Boisgelin est assassiné !

Mon maître De Boisgelin est assassiné
Par Alliette Le Rolland et son fils cadet !


IV

  Le seigneur de Pencrean souhaitait le bonjour,
En arrivant dans la maison :

  — Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Le seigneur de Boisgelin où est-il ?

  Il est là-bas, malade, sur son lit,
Et il ne permet à personne de lui parler ;

  Si terrible est sa maladie,
Qu’il ne permet à personne d’aller le voir.

  — Aujourd’hui d’ici je ne sortirai,
Avant que je ne lui aie parlé.

  — Seigneur de Pencréan, excusez-moi,
Mon frère de Boisgelin est décédé :

  Vous n’en direz rien à ma mère,
Car son cœur n’y résisterait pas…

  — Comment son cœur n’y résisterai t-il pas ?
Elle a bien eu le cœur de l’assassiner

V

  Le jeune archer souhaitait le bonjour
En arrivant dans la maison :

  — Méchante Le Rolland, préparez-vous,
Il faut venir avec moi à la prison.

  Alliette Le Rolland disait,
En arrivant sur la potence :

  — Si j’avais écouté ma servante, quand elle me disait,
J’aurais sauvé la vie à trois :

  À présent, je suis cause de la mort de trois,
De la mort de mes deux fils et de la mienne !


Chanté par Marguerite Philippe,
de Plouaret — Côtes-du-Nord






ALLIETTE ROLLAND
Seconde version
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I

A-t-on entendu dire en aucun pays,
Que les mères assassinassent leurs enfants ?

Que les mères assassinassent leurs enfants ?
Alliette Rolland assassine les siens !

Oui, elle a assassiné son fils aîné,
Pour faire seigneur son plus jeune fils.

II

Alliette Rolland disait,
À son jeune fils, sur le matin :

— Levez-vous, vite, mon fils, de votre lit,
Afin que nous le tuions avant le jour.

Et quand Alliette montait à la chambre,
[Elle avait] un grand couteau sur le pli du bras :

— Frappez, mon fils, le premier coup,
Je frapperai le second, le dernier ;

Je frapperai le second, le dernier,
Et je l’achèverai, si je puis !

— Sauf votre grâce, dit-il, je ne le ferai pas,
Car je le trouve trop beau pendant qu’il dort ;

Je le trouve trop beau pendant qu’il dort,
Je n’aurai pas le cœur de le tuer.

………………………………………………………

— Ô ma pauvre petite mère, ne me tuez pas,
Je quitterai le pays, si vous le voulez ;

Je laisserai mon frère seigneur de Boisgelin,
Et de dix-huit moulins sur la même eau.

— Va, dis ton in manus quand tu voudras,
Car voici l’heure où tu mourras !



  Alors elle leva sa main en l’air,
Et frappa son fils, de toute la force de son bras ;

  Et elle frappa son fils aussi cruellement,
Qu’elle eût frappé un morceau de bois.

  Quand Alliette descendait (de la chambre),
Le sang bruissait dans ses chaussures ;

  Et, après s’être lavée,
Elle dit à son valet d’écurie :

  — Va chercher un prêtre au seigneur, qui est malade,
Je crois qu’il est à son heure dernière ;

  Si tu vois le seigneur de Kermenguy,
Ne lui dis pas où tu iras.

  Mais, comme il allait par le chemin,
Il vit le seigneur de Kermenguy.

  — Vous avez quelque chose de nouveau.
Puisque vous êtes si matin sur pied ?

  — Oui, dit-il, monseigneur est malade,
Je crois qu’il est à son heure dernière.

  — Que lui est-il arrivé ?
Hier dernier je l’ai vu ;

Nous avions été nous promener ensemble, hier.
Nous avions chassé ensemble, hier.

III

  Le seigneur de Kermenguy disait.
En arrivant au Boigelin :

  — Bonjour et joie dans ce château,
Le seigneur du Boisgelin où est-il :

  — Il est dans son lit, malade,
Je crois que c’est la lèpre qu’il a.

— Et quand il serait malade de la peste,
J’irai le voir sur le champ.

  Il n’était pas bien entré dans la chambre,
Qu’il vit qu’il était noyé dans son sang :

  — Alliette, je ferai vos compliments
Au plus beau veuf qui soit dans le pays ;


Un joli veuf de quatre poteaux :[2]
Vous l’avez mérité, oh ! oui, ou peu s’en faut !


Chanté par Marie-Jeanne Ollivier,
fileuse, de la paroisse de Plourivo. (Côtes-du-Nord.)
Recueilli par l’abbé J.-M. Le Pon.








  1. Le château de Bolagélin, où se passe le fait tragique qui fait le sujet de ce gwerz, se trouve dans la commune de Pléhédel, dans les Côtes-du-Nord.
  2. Les poteaux patibulaires, sans doute.