Alliette Le Rolland a fait
Ce que personne n’eût fait ;
Elle a tué son fils ainé,
Pour faire seigneur son plus jeune (fils),
Elle a tué son fils le clerc,
Pour faire seigneur son cadet.
Alliette Le Rolland allait en haut,
Avec un grand couteau sur le pli de son bras.
Alliette Le Rolland demandait
À son fils de Boisgelin, cette nuit-là :
— Mon fils de Boisgelin, dites-moi,
Où est le mal dont vous souffrez ?
— Entre ma tête et mon cœur,
J’éprouve une douleur qui est déraisonnable.
— J’ai ici, mon fils, un remède
Qui guérira votre cœur et votre tête…
Mon fils, frappez le premier coup,
Moi, je frapperai le second, le dernier.
— Ma mère, pour le tuer, je ne le ferai pas,
Le cœur de le faire je n’aurai ;
Je n’ai pas le cœur de le tuer,
Il sourit et pleure en me regardant !
— Voici un fils à qui j’ai donné le jour
Et qui ne voudrait pas me faire un plaisir, à ma requête !
— Mon frère, laisse-moi la vie,
Et je te donnerai toutes mes rentes ;
Je te donnerai toutes mes rentes,
Et j’irai au service du roi !….
Quand Alliette descendit,
Le sang jaillissait avec bruit de sa chaussure ;
Le sang jaillissait avec bruit de sa chaussure,
Et de son cotillon, tout autour !
Sa petite servante disait
À Alliette Le Rolland, cette nuit-là :
— Quelle nuit vous avez passée !
J’ai brûlé trois fagots,
En cherchant à faire bouillir de l’eau qui ne chauffe pas,
Comme vous l’aviez mise, (sur le feu) vous la trouverez.
Tout domestique de votre maison
Connaît votre nuit aussi bien que vous.
— Tais-toi, lépreuse,
Ne t’occupe pas de ma nuit !
Alliette Le Rolland disait
À son petit page, ce jour-là :
— Allez chercher du vin pour votre maître qui est malade,
Et qui n’en boira goutte.
— Pourquoi lui chercher du vin,
S’il n’en boit goutte ?
Comme il allait par le chemin,
Il rencontra le seigneur de Pencréan :
— Petit page petit page, dites-moi
Où allez-vous, ou avez été ?
(Je vais) chercher du vin pour mon maître qui est malade,
Et qui n’en boira goutte.
— Pourquoi (aller) lui chercher du vin,
S’il n’en boit goutte ?
— Seigneur, dit-il, ne me dénoncez pas,
Mon maître De Boisgelin est assassiné !
Mon maître De Boisgelin est assassiné
Par Alliette Le Rolland et son fils cadet !
Le seigneur de Pencrean souhaitait le bonjour,
En arrivant dans la maison :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Le seigneur de Boisgelin où est-il ?
Il est là-bas, malade, sur son lit,
Et il ne permet à personne de lui parler ;
Si terrible est sa maladie,
Qu’il ne permet à personne d’aller le voir.
— Aujourd’hui d’ici je ne sortirai,
Avant que je ne lui aie parlé.
— Seigneur de Pencréan, excusez-moi,
Mon frère de Boisgelin est décédé :
Vous n’en direz rien à ma mère,
Car son cœur n’y résisterait pas…
— Comment son cœur n’y résisterai t-il pas ?
Elle a bien eu le cœur de l’assassiner
Le jeune archer souhaitait le bonjour
En arrivant dans la maison :
— Méchante Le Rolland, préparez-vous,
Il faut venir avec moi à la prison.
Alliette Le Rolland disait,
En arrivant sur la potence :
— Si j’avais écouté ma servante, quand elle me disait,
J’aurais sauvé la vie à trois :
À présent, je suis cause de la mort de trois,
De la mort de mes deux fils et de la mienne !
de Plouaret — Côtes-du-Nord
A-t-on entendu dire en aucun pays,
Que les mères assassinassent leurs enfants ?
Que les mères assassinassent leurs enfants ?
Alliette Rolland assassine les siens !
Oui, elle a assassiné son fils aîné,
Pour faire seigneur son plus jeune fils.
Alliette Rolland disait,
À son jeune fils, sur le matin :
— Levez-vous, vite, mon fils, de votre lit,
Afin que nous le tuions avant le jour.
Et quand Alliette montait à la chambre,
[Elle avait] un grand couteau sur le pli du bras :
— Frappez, mon fils, le premier coup,
Je frapperai le second, le dernier ;
Je frapperai le second, le dernier,
Et je l’achèverai, si je puis !
— Sauf votre grâce, dit-il, je ne le ferai pas,
Car je le trouve trop beau pendant qu’il dort ;
Je le trouve trop beau pendant qu’il dort,
Je n’aurai pas le cœur de le tuer.
………………………………………………………
— Ô ma pauvre petite mère, ne me tuez pas,
Je quitterai le pays, si vous le voulez ;
Je laisserai mon frère seigneur de Boisgelin,
Et de dix-huit moulins sur la même eau.
— Va, dis ton in manus quand tu voudras,
Car voici l’heure où tu mourras !
Alors elle leva sa main en l’air,
Et frappa son fils, de toute la force de son bras ;
Et elle frappa son fils aussi cruellement,
Qu’elle eût frappé un morceau de bois.
Quand Alliette descendait (de la chambre),
Le sang bruissait dans ses chaussures ;
Et, après s’être lavée,
Elle dit à son valet d’écurie :
— Va chercher un prêtre au seigneur, qui est malade,
Je crois qu’il est à son heure dernière ;
Si tu vois le seigneur de Kermenguy,
Ne lui dis pas où tu iras.
Mais, comme il allait par le chemin,
Il vit le seigneur de Kermenguy.
— Vous avez quelque chose de nouveau.
Puisque vous êtes si matin sur pied ?
— Oui, dit-il, monseigneur est malade,
Je crois qu’il est à son heure dernière.
— Que lui est-il arrivé ?
Hier dernier je l’ai vu ;
Nous avions été nous promener ensemble, hier.
Nous avions chassé ensemble, hier.
Le seigneur de Kermenguy disait.
En arrivant au Boigelin :
— Bonjour et joie dans ce château,
Le seigneur du Boisgelin où est-il :
— Il est dans son lit, malade,
Je crois que c’est la lèpre qu’il a.
— Et quand il serait malade de la peste,
J’irai le voir sur le champ.
Il n’était pas bien entré dans la chambre,
Qu’il vit qu’il était noyé dans son sang :
— Alliette, je ferai vos compliments
Au plus beau veuf qui soit dans le pays ;
Un joli veuf de quatre poteaux :[2]
Vous l’avez mérité, oh ! oui, ou peu s’en faut !
fileuse, de la paroisse de Plourivo. (Côtes-du-Nord.)
Recueilli par l’abbé J.-M. Le Pon.