Chants de l’Atlantique suivis de Le ciel des Antilles/01/03


III

D’UNE ILE FLEURIE

Thee, the pleasure of the fleeting year.
W. Shakespeare.


CHANSONS LOINTAINES


I


Déjà le Gros-bec et la Grive
Sifflent dans le manguier.
De vos yeux bleus mon cœur est ivre,
Par ce doux Février.

— Où donc étiez-vous l’autre année ?
De quel ciel venez-vous ?
— (Ah ! passion trop vite née,
Que tes désirs sont fous !)

Votre voix est plus musicale
Qu’un filao chanteur.
— Lève-toi, lune tropicale,
Lune de mon bonheur !


II


Dans vos yeux anglais c’est la mer,
C’est l’azur des voyages ;
J’y vois aussi les paysages
D’octobre pur et clair.

Ma beauté, revenez encore
Élargir l’horizon.
En tout temps, en toute saison,
Vous serez mon aurore.


III


Des pâles lys de l’Angleterre
On a fait votre corps.
Vos cheveux sont des aubes d’or,
Votre grâce est légère.

L’amour m’a percé de son trait.
La fleur du désir s’ouvre.
Ah ! jamais je ne vis au Louvre
Un si charmant portrait !


IV


Si vous habitiez loin d’ici,
Dans une île déserte,
Je partirais vers l’île verte
Pour guérir mon souci.

Si vous viviez sur la colline
Derrière les marais,
Malgré tous les serpents j’irais
Vers vous, ma fleur divine.

Mais vous êtes tout près de moi
Et rien ne nous sépare,
Sinon votre âme trop avare
Et votre cœur trop froid.


V


Mon bel Amour, je vous attends
Sur le balcon crépusculaire.
Dans vos yeux bleus couleur du temps
Dansera ma belle chimère.


Les jasmins, les belles de nuit
Sont en fleurs pour votre visite.
Je vous attends et l’espoir luit
Dans mon cœur comme une pépite.

Que Sirius me semble beau
Cette nuit sur l’Antille heureuse !
Je vous attends, le renouveau
Parfume la maison joyeuse.


VI


With apologies to the Soul of
P.-J. Toulet.


Dans l’île en 1922
J’ai rencontré mon Rêve.
Il s’en venait d’une autre grève,
D’un pays lointain et brumeux.

J’ai dit : Resterons-nous ensemble,
Ensemble quelques jours.
Mes chevaux marcheront à l’amble,
Vous aurez mes vers les plus lourds.


Je vous ferai voir les merveilles
De l’Antille aux lacs bleus,
Je vous donnerai cent corbeilles
De fruits rares et savoureux.

Mon Rêve dit : Pour vous complaire,
Je reste encor trois mois ;
Il faut qu’en 1923
Je sois en Angleterre.


VII


Viens voir, Amour, viens voir danser dans la lumière,
Les fleurs d’or du tamarinier.
Demain les fins pistils ne seront que poussière
Et se fanera mon laurier.

En attendant les colibris et les abeilles
Tout un concert dans l’arbre vert.
Cueillons, Amour, cueillons, dans de blondes corbeilles,
Les raisins bleus du bord de mer.


VIII


Le plus tendre des mois fut le mois où tu vins
Passer dans ma maison quelques heures exquises ;
Et d’un balcon ouvert aux ballades des brises,
Mêler tes souvenirs et tes soucis aux miens.

Te l’ai-je dit, Beauté, souvent je me retins
De parler de moi-même et de mes heures grises,
Pour écouter chanter, en paroles précises,
Ta voix, musique en fleur de nos beaux entretiens ?

Qu’il a vite passé le clair mois des vacances !
Qu’ils sont lourds après lui ces soirs pleins de silence !
Ah ! luiront-ils encor les instants merveilleux,

Où revenant t’asseoir dans la maison qui t’aime,
Tu diras de Shelley le limpide poème
Qui me fait voir la mer au fond de tes yeux bleus ?


IX


Tes yeux avaient l’éclat des eaux
Méditerranéennes.
Quand tu chantais dans les roseaux
Je songeais aux sirènes.


X


Par la nuit merveilleuse où je parle à l’étoile,
Ce n’est pas toi, petite voile
De frégate ou de remorqueur,
Qui pourrais distraire mon cœur.


XI


Le hibou sinistre appelle en la nuit
Sa compagne éloignée ;
Et je crois soudain entendre le cri
D’une âme abandonnée !


XII


Debout sur le balcon du rêve, je t’écoute,
Petite lame de la mer !
Déjà l’espoir fait place au doute.
Ah ! qu’il est loin le flot du matin rose et vert !

Pourtant mon cœur se plaît à ta grave cadence,
Faible écho de l’abîme amer ;
Chantons, chantons tous deux la chanson de l’absence,
Petite lame de la mer !