Le légume et la fleur. L’aubergine et le lys.
Le bouquet de la Nymphe et le repas du Faune.
Une rose qui règne. Une courge qui trône.
Lavande pour le linge. Oignon pour le coulis.
S’élançant du milieu des grands choux brocolis,
Et tournant vers le dieu dont il quête l’aumône
Sa figure de nègre à collerette jaune,
Le tournesol se donne un vert torticolis.
L’épouvantail, dans les fruitiers, se silhouette.
On voit un arrosoir auprès d’une brouette.
Une bêche est plantée entre les artichauts.
D’un petit mur blanchi tout un côté se mure ;
Et, dessinée en bleu sur le blanc de la chaux,
L’ombre d’une framboise a l’air d’être une mûre.
Scène PREMIÈRE
LA PINTADE ; POULES, CANARDS. POUSSINS, etc. ; LA FAISANE, LE MERLE, puis PATOU ; Chœur invisible de GUÊPES, d’ABEILLES et de CIGALES.
Au lever du rideau, grand jacassement et grouillement de poules et de poulets.
LA PINTADE, allant de l’un à l’autre avec impétuosité.
Bonjour, vous. — On ne peut circuler sans encombres.
Ma foule d’invités va jusques aux concombres !
CHŒUR, dans les airs.
Murmurons…
LA PINTADE, à une Poule.
Murmurons… Oui, c’est mon raout…
UNE POULE, regardant d’énormes citrouilles, pareilles à des grès flammés.
Murmurons… Oui, c’est mon raout… Quels potirons !
LA PINTADE.
Des céramiques d’art !
UN POUSSIN, qui écoute le chœur, bec levé.
Des céramiques d’art ! On chante ?
LA PINTADE.
Des céramiques d’art ! On chante ? Oui…
LE CHŒUR.
Des céramiques d’art ! On chante ? Oui… Murmurons…
LA PINTADE, dégagée.
J’ai les Guêpes !
À un Poulet.
J’ai les Guêpes ! Bonjour !
Elle tourbillonne.
LE CHŒUR DES GUÊPES.
J’ai les Guêpes ! Bonjour ! Murmurons — Sur les mûres, — Entourons — Les mûrons — De nos ronds — De murmures !
LA FAISANE, qui passe, avec la Merle, en riant
Alors, vous étiez pris ?
LE MERLE, qui achève de lui raconter son histoire.
Alors, vous étiez pris ? Comme sous un chapeau !
Mais en me débattant j’ai renversé le pot.
Regardant autour de lui.
— Chantecler n’est pas là ?
LA FAISANE, surprise.
— Chantecler n’est pas là ? Il vient donc ?
PATOU, qu’on voit brusquement paraître dans la brouette, d’où il contemple, comme d’une tribune, le va-et-vient.
— Chantecler n’est pas là ? Il vient donc ? Je souhaite
Qu’il change encor d’avis !
LE MERLE.
Qu’il change encor d’avis ! Patou dans la brouette ?
PATOU, remuant sa tête bourrue dans son collier où bat un tronçon de chaîne.
Chantecler, en passant, m’a tout dit, Merle noir.
J’ai cassé de fureur ma chaîne, — et je viens voir !
LA PINTADE, apercevant le Merle.
Il est là, le rossard ?… notre Prince des Gales ?
UN CHŒUR, dans les arbres.
Merci, — Soleil ! — Merci !
LA FAISANE, levant la tête.
Merci, — Soleil ! — Merci ! Un Chœur ?
LA PINTADE.
Merci, — Soleil ! — Merci ! Un Chœur ? J’ai les Cigales !
Les œufs qu’on couve, oh !… C’est « vieux œufs » ! Le Cobaye !
LA PINTADE.
Le célèbre, celui qui fut inoculé,
Vous savez bien ?… Eh bien, voilà, c’est lui ! Je l’ai !
J’ai tout !… J’ai…
Au Cobaye.
J’ai tout !… J’ai… Bonjour, vous !
À la Faisane.
J’ai tout !… J’ai… Bonjour, vous ! …notre grand philosophe,
Le d’Hindon — oui, son nom s’écrit D apostrophe ! —
Qui conférencia dans les groseilles, sous
Les rosiers-thé… Thé-Conférence !
À une Poule qui passe.
Les rosiers-thé… Thé-Conférence ! Bonjour, vous !
À la Faisane.
Thé-Conférence, ou bien Groseilles-Causerie !…
Elle tourbillonne.
J’ai tout ! J’ai la Faisane en robe de féerie !
J’ai le Canard, qui m’organise un Gymkhanard !
J’ai la Tortue…
Elle s’aperçoit que la Tortue n’y est pas.
J’ai la Tortue… Ah ! non ! non ! elle est en retard !
LE MERLE, avec componction.
Sur quoi, la Conférence, alors, qu’elle a perdue ?
LA PINTADE, subitement grave.
Le Problème Moral !
LE MERLE, désolé.
Le Problème Moral ! Oh !
La Pintade remonte en tourbillonnant.
LA FAISANE, au Merle.
Le Problème Moral ! Oh ! Qui ça, la Tortue ?
LE MERLE.
Une vieille insensible aux problèmes moraux
Et qui fait du footing en costume à carreaux.
Bourdonnement dans des roses trémières.
LA FAISANE.
Tiens ! un bourdon !
LA PINTADE, redescendant vivement.
Tiens ! un bourdon ! J’ai le Bourdon ! Dans les lumières,
Comme il est chic !
LE MERLE.
Comme il est chic ! Il est de toutes les trémières !
LA PINTADE, sautant après le Bourdon.
Bonjour, vous !
Elle le suit en tourbillonnant.
LE MERLE, se touchant le front du bout de l’aile.
Bonjour, vous ! Ça y est !
LA PINTADE, poussant, au fond, des cris de pintade.
Bonjour, vous ! Ça y est ! C’est mon dernier raout !
— Bonjour ! — C’est mon dernier raout avant août !
UNE POULE, voyant des cerises tomber autour d’elle.
Tiens ! des cerises !
LA FAISANE, levant la tête.
Tiens ! des cerises ! C’est la brise !
LA PINTADE, redescendant vivement.
Tiens ! des cerises ! C’est la brise ! J’ai la Brise
Qui fait de temps en temps tomber une cerise !
On ne l’invite pas. Elle arrive impromptu.
J’ai le… j’ai la… j’ai…
Elle remonte en tourbillonnant.
LE MERLE.
J’ai le… j’ai la… j’ai… Quand aura-t-elle tout eu ?
En sautillant, il est arrivé à l’arbre où est le Chat, et, vite, à mi-voix :
Chat, — le complot ?
LE CHAT, qui, de sa branche, regarde au loin par-dessus la baie.
Chat, — le complot ? Ça va. Je vois venir la file
Des Coqs pharamineux que le Paon modern-style
Va présenter…
UN CRI AU DEHORS.
Va présenter… É…on !
Tout le monde se précipite vers l’entrée.
PATOU, grommelant.
Va présenter… É…on ! Ce cri d’accordéon,
C’est…
L’HUISSIER-PIE, annonçant.
C’est… Le Paon !
LA FAISANE, au Merle.
C’est… Le Paon ! Surnommé ?
LE MERLE, imitant le cri.
C’est… Le Paon ! Surnommé ? Le Chevalier d’É…on !
Scène II
Les Mêmes, LE PAON.
LA PINTADE, au Paon qui entre lentement, la tête immobile et haute.
Maître adoré ! venez vers les tournesols jaunes !
Paon ! Tournesols ! Je crois que c’est très Burne Joncs !
TOUS, se pressant autour du Paon.
Cher Maître !
UN POULET, bas, au Canard.
On est lancé par un seul mot de lui !
UN AUTRE POULET, qui a réussi à s’approcher du Paon, en bégayant d’émotion.
Maître, que pensez-vous de mon dernier cui cui ?
Attente religieuse.
LE PAON laisse tomber :
Définitif.
Sensation
UN CANARD, tremblant.
Définitif. Et de mon coin-coin ?
Attente.
LE PAON.
Définitif. Et de mon coin-coin ? Lapidaire.
Sensation.
LA PINTADE, ravie, aux Poules.
Sur tout il dit chez moi son mot…
LE PAON.
Sur tout il dit chez moi son mot… Hebdomadaire.
TOUTES LES POULES, se pâmant
Oh !
UNE POULE, s’avançant, défaillante.
Oh ! Comment trouvez-vous, Maître sacerdotal,
Ma robe ?
Attente.
LE PAON, après un coup d’œil.
Ma robe ? Affirmative.
Sensation.
LA POULE DE HOUDAN, même jeu que l’autre.
Ma robe ? Affirmative. Et mon chapeau ?
Attente.
LE PAON.
Ma robe ? Affirmative. Et mon chapeau ? Total.
Sensation.
LA PINTADE, enthousiasmée.
Nos chapeaux sont totaux !
LA FAISANE, qui affecte de n’écouter que les Abeilles.
Nos chapeaux sont totaux ! Ah ! le Chœur invisible
Revient !
LA PINTADE, présentant le Pintadeau au Paon.
Revient ! Mon fils ! — Comment le trouvez-vous ?
LE PAON.
Revient ! Mon fils ! — Comment le trouvez-vous ? Plausible
CHŒUR DES ABEILLES.
Murmurons…
LA PINTADE, ravie, courant à la Faisane
Murmurons… Oh ! il est plausible !
LA FAISANE.
Murmurons… Oh ! il est plausible ! Qui ?
LA PINTADE.
Murmurons… Oh ! il est plausible ! Qui ? Mon fils !
CHŒUR DES ABEILLES.
Engouffrons — Nos fronfrons — Dans l’iris — Et le lys !
LA PINTADE, revenant au Paon.
Ce chœur est, n’est-ce pas, d’un rythme…
LE PAON.
Ce chœur est, n’est-ce pas, d’un rythme… Asynartète.
UNE POULE, à la Pintade.
Ma chère, ce qu’il l’a, celui-là, l’épithète !
LA PINTADE.
C’est le Prince de l’Adjectif Inopiné !
LE PAON, distillant ses paroles, d’une voix discordante et hautaine.
Il est vrai que…
LA PINTADE.
Il est vrai que… Très bien !
LE PAON.
Il est vrai que… Très bien ! Ruskin plus raffiné,
Avec un tact.
LA PINTADE.
Avec un tact. Oh ! oui !
LE PAON.
Avec un tact. Oh ! oui ! … Dont je me remercie,
Je suis Prêtre-Pétrone et Mécène-Messie,
Volatile volatilisateur de mots,
Et que, juge gemmé, j’aime, emmi mes émaux,
Représenter ce Goût dont je suis…
PATOU.
Représenter ce Goût dont je suis… Ô ma tête !
LE PAON, nonchalamment.
Le… dirai-je gardien ?
LA PINTADE, effervescente.
Le… dirai-je gardien ? Oui !
LE PAON.
Le… dirai-je gardien ? Oui ! Non ! le Thesmothète !
Murmure de joie respectueux.
LA PINTADE, à la Faisane.
Vous voyez notre Paon !… Vous êtes émue ?…
LA FAISANE, un peu énervée.
Vous voyez notre Paon !… Vous êtes émue ?… Oui,
Car je sais que le Coq doit venir.
LA PINTADE, ravie.
Car je sais que le Coq doit venir. Aujourd’hui ?
Alors, mon jour est un jour…
LE PAON, un peu pincé.
Alors, mon jour est un jour… Faste.
LA PINTADE.
Alors, mon jour est un jour… Faste. Un raout faste !
Elle annonce à tout le monde, avec enthousiasme.
Chantecler !
LE PAON, à mi-voix.
Chantecler ! Vous aurez un triomphe plus vaste !
LA PINTADE, tressaillant.
Un triomphe ?
Le Paon hoche la tête avec mystère.
Un triomphe ? Lequel ?
LE PAON, s’éloignant.
Un triomphe ? Lequel ? Oh ! vous verrez !
LA PINTADE, impétueusement, le suivant.
Un triomphe ? Lequel ? Oh ! vous verrez ! Lequel ?
LE PAON.
Oh !
L’HUISSIER-PIE, annonçant.
Oh ! Le Coq de Brækel ou Campine !
Scène III
LES MÊME, puis, peu à peu, LES COQS.
LA PINTADE, s’arrêtant, saisie.
Oh ! Le Coq de Brækel ou Campine ! Brækel ?
Chez moi ? C’est une erreur !
LE COQ DE BRÆKEL, s’inclinant devant elle.
Chez moi ? C’est une erreur ! Madame…
LA PINTADE, suffoquée devant ce Coq blanc aux brandebourgs noirs.
Chez moi ? C’est une erreur ! Madame… Ah ! ma surprise…
L’HUISSIER-PIE, annonçant.
Le Coq de Ramelslohe…
LA PINTADE.
Le Coq de Ramelslohe… Ô ciel !
L’HUISSIER-PIE, achevant.
Le Coq de Ramelslohe… Ô ciel ! … à patte grise !
LE PAON, négligemment, à l’oreille de la Pintade, pendant que l’éblouissant Ramelslohe salue.
C’est un des plus récents leucotites.
LA PINTADE, bouleversée.
C’est un des plus récents leucotites. C’est un…
C’est un…
L’HUISSIER-PIE, d’une voix de plus en plus éclatante.
C’est un… Le Coq Wyandotte à croissants d’acier brun !
Frémissement parmi les Poules.
LA PINTADE, affolée.
Ah ! Dieu du ciel !… Mon fils !
LE PINTADEAU, accourant.
Ah ! Dieu du ciel !… Mon fils ! Maman !
LA PINTADE.
Ah ! Dieu du ciel !… Mon fils ! Maman ! Le Coq Wyandotte !
LE PAON, négligemment.
Coq à chapeau fraise dont l’Art Nouveau nous dote !
LA PINTADE, aux nouveaux venus qu’entoure une rumeur d’étonnement.
Chapeau fraisé… Messieurs… Maîtres…
LE PINTADEAU, qui est allé regarder au dehors.
Chapeau fraisé… Messieurs… Maîtres… Maman !
LA PINTADE, aux Coqs.
Chapeau fraisé… Messieurs… Maîtres… Maman ! Chez moi !
LE PINTADEAU.
Il en arrive encor !
L’HUISSIER-PIE
Il en arrive encor ! Le Coq de…
LA PINTADE, bondissant.
Il en arrive encor ! Le Coq de… Ciel ! de quoi ?
L’HUISSIER-PIE.
… De Mésopotamie, à deux crêtes !
LA PINTADE.
… De Mésopotamie, à deux crêtes ! Deux crêtes ?…
Oh !
S’élançant vers le nouveau venu :
Oh ! Mon cher Maître, oh !…
LE PAON.
Oh ! Mon cher Maître, oh !… Fi des formes désuètes !
J’ai voulu vous montrer quelques jeunes Messieurs
Un peu superlatifs et vraiment précieux !
LA PINTADE, revenue vers le Paon.
Oh ! merci, mon cher Paon !
À la Faisane, d’un ton protecteur.
Oh ! merci, mon cher Paon ! Pardon, petite amie,
Vous voyez, j’ai le Coq de Mésopotamie
Qui m’arrive…
Elle court vers lui, qui incline ses deux crêtes.
Qui m’arrive… Cher Maître, ah ! pour nous quel orgueil !
L’HUISSIER-PIE.
Coq d’Orpington, à plume raide autour de l’œil !
LA PINTADE, saisie.
À plume raide autour de l’œil ! oh !…
LE MERLE.
À plume raide autour de l’œil ! oh !… Ça s’aggrave !
L’HUISSIER-PIE, tandis que la Pintade vole vers l’Orpington.
Coq Barbu de Varna !
LE PAON, à la Pintade.
Coq Barbu de Varna ! Très slave !
LA PINTADE, lâchant l’Orpington pour le Barbu.
Coq Barbu de Varna ! Très slave ! Oh ! l’âme slave !
Cher Maître !… oh !…
L’HUISSIER-PIE.
Cher Maître !… oh !… Le Coq…
LA PINTADE, bondissant.
Cher Maître !… oh !… Le Coq… Ciel !
L’HUISSIER-PIE., achevant.
Cher Maître !… oh !… Le Coq… Ciel ! …patte rose Scotch Grey !
LA PINTADE, lachant le Barbu pour le Scotch Grey.
Oh ! cette patte rose ! oh ! qu’elle est à mon gré !
Lancer la patte rose !
Avec une conviction profonde.
Lancer la patte rose ! Oh ! quelle tentative !
L’HUISSIER-PIE.
Le Coq…
LA PINTADE, éperdue.
Le Coq… C’est impossible encor qu’il en arrive !
L’HUISSIER-PIE.
… À crête en gobelet !
LA PINTADE, qui s’élance chaque fois avec enthousiasme vers le nouveau venu.
… À crête en gobelet ! Cher Maître ! oh ! que c’est neuf !
Un gobelet !…
L’HUISSIER-PIE.
Un gobelet !… Le Coq Andalou Bleu !
LA PINTADE, se ruant vers l’Andalou.
Un gobelet !… Le Coq Andalou Bleu ! Votre œuf
Fut pondu dans le creux vibrant d’une guitare,
Mon cher Maître !
L’HUISSIER-PIE.
Mon cher Maître ! Le Coq Langsham !
LE PAON.
Mon cher Maître ! Le Coq Langsham ! C’est un Tartare !
TOUTES LES POULES, éblouies par ce géant noir
Un Tartare !
L’HUISSIER-PIE.
Un Tartare ! Coq de Hambourg crayonné d’or !
CRIS DES POULES, devant ce Coq galonné et coiffé d’un tricorne
Il est crayonné d’or ! — C’est un Hambourg !
LE MERLE.
Il est crayonné d’or ! — C’est un Hambourg ! Major !
LA PINTADE.
Mon garden potager-party sera célèbre !
Au Coq de Hambourg, dont le plastron est rayé de jaune et de noir.
Oh ! Maître ! oh ! ce gilet ! C’est en quoi ?
LE MERLE.
Oh ! Maître ! oh ! ce gilet ! C’est en quoi ? C’est en zèbre !
LA PINTADE.
En zèbre !… Oh ! ce sera l’honneur de toute ma…
De tout mon…
L’HUISSIER-PIE.
De tout mon… Le Coq…
LA PINTADE, bondissant.
De tout mon… Le Coq… Oh !
L’HUISSIER-PIE.
De tout mon… Le Coq… Oh ! …de Burmah !
LA PINTADE.
De tout mon… Le Coq… Oh ! …de Burmah ! De Burmah !
L’agitation augmente.
LE PAON.
C’est un Indien !
LA PINTADE.
C’est un Indien ! Il a dans ses yeux l’âme hindoue !
Elle court vers le nouveau venu, et d’une voix idolâtre :
Cher Maître ! L’âme hindoue !… oh !
L’HUISSIER-PIE.
Cher Maître ! L’âme hindoue !… oh ! Les Coqs de Padoue :
Le Padoue Hollandais de Pologne !
LA PINTADE.
Le Padoue Hollandais de Pologne ! Hollandais
De Pologne ! Ah ! c’est plus que je n’en demandais !
Les Padoue entrent, secouant leurs panaches.
L’HUISSIER-PIE.
Le Doré ! — L’Argenté !
LA PINTADE, devant le plumet retombant du dernier
Le Doré ! — L’Argenté ! Coiffé d’une cascade !
LE MERLE.
À plusieurs ponts !
LA PINTADE, qui ne sait plus ce qu’elle dit.
À plusieurs ponts ! À plusieurs ponts !
LA FAISANE, à Patou.
À plusieurs ponts ! À plusieurs ponts ! Pauvre Pintade !
Elle répète tout !
L’HUISSIER-PIE, annonçant d’une voix de plus en plus éclatante des Coqs de plus en plus extraordinaires.
Elle répète tout ! Coq de Bagdad !
LE PAON, qui domine le tumulte d’une voix de boniment.
Elle répète tout ! Coq de Bagdad ! Il est
Très Mille et Une Nuits !
LA PINTADE.
Très Mille et Une Nuits ! Oh ! il est très Mille et…
TOUTES LES POULES.
Très Mille et…
LA PINTADE.
Très Mille et… Oh !
LE PAON.
Très Mille et… Oh ! C’est Karamalzaman lui-même !
L’HUISSIER-PIE.
Coq Bantam à manchette !
LA PINTADE, transportée
Coq Bantam à manchette ! Oh ! que c’est dix-huitième !
Un nain ! un nain ! des nains !
LE PINTADEAU, à mi-voix.
Un nain ! un nain ! des nains ! Mais calme-toi, maman !
LA PINTADE, criant au milieu des Coqs.
Non, non ! je ne peux pas ! C’est Karamalzaman !
Je ne sais plus lequel je préfère, lequel je…
L’HUISSIER-PIE.
Le Coq de Gueldre !
LA PINTADE, se précipitant vers le nouveau venu.
Le Coq de Gueldre ! Ah ! quel bonheur ! encore un Belge !
L’HUISSIER-PIE.
Le Coq Malais à col de serpent !
LA PINTADE.
Le Coq Malais à col de serpent ! Mon cher Paon,
Nous vous devrons ce col de cher Paon… de serpent…
L’HUISSIER-PIE.
Coq aux flancs de canard ! — Coq à bec de corneille !
— Coq à pieds de vautour !
LA PINTADE, qui s’est jetée sur les nouveaux arrivants, pousse des clameurs devant le dernier.
— Coq à pieds de vautour ! Ça, c’est une merveille !
Un albinos ! — Cher Maître ! — Oh ! sur sa tête, il a
Un fromage !…
UNE POULE.
Un fromage !… À la crème !…
TOUTES LES POULES.
Un fromage !… À la crème !… Oh ! à la crème !… À la…
L’HUISSIER-PIE.
Coq Crèvecœur !
LA PINTADE, se précipitant
Coq Crèvecœur ! Il a des cornes sur la tête !
LE PAON.
Un satanique !
L’HUISSIER-PIE.
Un satanique ! Coq Ptamigan !
LE PAON.
Un satanique ! Coq Ptamigan ! Un esthète !
LA PINTADE, se précipitant.
Oh ! il a sur la tête un casque assyrien !
L’HUISSIER-PIE.
Coq Pile Blanc !
LA PINTADE, se précipitant.
Coq Pile Blanc ! Il a sur la tête…
Elle s’arrête brusquement en apercevant sa crête rasée.
Coq Pile Blanc ! Il a sur la tête… Il n’a rien !
C’est merveilleux !
LE CHAT, au Merle, du haut de son pommier, en lui désignant le Pile Blanc.
C’est merveilleux ! Voilà le bretteur ! Son pied maigre
Cache un rasoir sous la poussière…
Le Pile Blanc disparaît dans la foule des Coqs de luxe qu’enveloppent les Poules piaillantes.
L’HUISSIER-PIE.
Cache un rasoir sous la poussière… Le Coq Nègre !
LA PINTADE, affolée au milieu de tous ces Coqs, qui remplissent maintenant le potager d’aigrelettes, de plumets, de casques, de colbacks, de crêtes doubles et triples :
Ah ! cher Maître ! — Ah ! cher Maître ! — Ah ! cher…
PATOU.
Ah ! cher Maître ! — Ah ! cher Maître ! — Ah ! cher… Sa tête part !
LA PINTADE, dans le vide.
… Maître !
L’HUISSIER-PIE.
… Maître ! Le Coq à doigt supplémentaire par
Multiplication d’organes en série !
— Le Coq cou nu !
LA PINTADE.
— Le Coq cou nu ! Tout nu !
L’HUISSIER-PIE, rectifiant.
— Le Coq cou nu ! Tout nu ! Cou nu !
LA PINTADE, à une Poule.
— Le Coq cou nu ! Tout nu ! Cou nu ! Ah ! ma chérie !
Un Coq sans faux col !
LE MERLE.
Un Coq sans faux col ! Boum !
L’HUISSIER-PIE.
Un Coq sans faux col ! Boum ! Les Coqs du Japon !
LE MERLE.
Un Coq sans faux col ! Boum ! Les Coqs du Japon ! Bing !
L’HUISSIER-PIE.
Coq Splendens !
LA PINTADE, voyant ce Coq dont la queue a huit mètres de long.
Coq Splendens ! Quel habit !
L’HUISSIER-PIE.
Coq Splendens ! Quel habit ! Coq Sabot !…
LE MERLE, voyant que celui-ci est, postérieurement, tout plat.
Coq Splendens ! Quel habit ! Coq Sabot !… Quel smoking
L’HUISSIER-PIE, achevant l’annonce.
… Ou Coq sans croupion !
LA PINTADE, hors d’elle.
… Ou Coq sans croupion ! Il n’a pas de derrière !
C’est le couronnement de toute ma carrière !
Au nouveau venu, avec effusion.
Maître ! Sans croupion !… c’est du…
LE MERLE.
Maître ! Sans croupion !… c’est du… C’est du culot !
L’HUISSIER-PIE
tandis que des Coqs de plus en plus hétéroclites surgissent.
Coq Walikikili, dit Choki Kukullo !
— Pseudo-Chinois Cuculicolor !
Coq Brahma ! — Coq Cochin ! Les grands Coqs vicieux !
Tout l’Orient pourri !
LA PINTADE, enivrée.
Tout l’Orient pourri ! Pourri !
LE PAON.
Tout l’Orient pourri ! Pourri ! Grâce malsaine !
LA PINTADE, au Coq Cochin.
Ah ! Maitre ! ah ! quel honneur ! Oh ! qu’il a l’œil obscène !
L’HUISSIER-PIE, lançant à toute volée, comme gagné par le délire général.
Coqs du Chili frisés à l’envers ! Coqs d’Anvers
À rebours !
TOUTES LES POULES, s’arrachant les nouveaux venus
À rebours ! Oh ! pourris ! À rebours !
LA PINTADE.
À rebours ! Oh ! pourris ! À rebours ! À l’envers !
L’HUISSIER-PIE.
Le Coq sauteur sans patte !
UNE POULE, pâmée.
Le Coq sauteur sans patte ! Il saute avec son ventre !
LA PINTADE.
Un Coq en caoutchouc !
LA FAISANE, à Patou qui, de sa brouette, regarde au loin.
Un Coq en caoutchouc ! Et Chantecler ?
PATOU.
Un Coq en caoutchouc ! Et Chantecler ? Il entre
Bientôt.
LA FAISANE.
Bientôt. Tu l’aperçois ?
PATOU.
Bientôt. Tu l’aperçois ? Là-bas, grattant le sol.
Il vient.
L’HUISSIER-PIE.
Il vient. Le Coq Ghoondook, à huppe en parasol !
CRI D’ENTHOUSIASME.
Oh !
L’HUISSIER-PIE.
Oh ! Le Coq d’Ibérie à favoris de linge !
CRI D’ENTHOUSIASME.
Oh !
L’HUISSIER-PIE.
Oh ! Le Coq Bans-Backin ou Joufflu de Thuringe !
CRI D’ENTHOUSIASME.
Oh !
L’HUISSIER-PIE.
Oh ! Le Coq Cochino-Yankee de Plymouth-Rock !
CHANTECLER, apparaissant sur le seuil, derrière le dernier annoncé.
Voulez-vous annoncer tout simplement : le Coq ?
Scène IV
Les Mêmes, CHANTECLER, puis LES PIGEONS et LE CYGNE.
L’HUISSIER-PIE, toise Chantecler, puis, avec dédain :
Le Coq.
CHANTECLER, du seuil, à la Pintade.
Le Coq. Excusez-moi, Madame.
Il s’incline.
Le Coq. Excusez-moi, Madame. — Mon hommage… —
D’oser me présenter chez vous dans ce plumage…
LA PINTADE.
Entrez ! mais entrez donc !
CHANTECLER.
Entrez ! mais entrez donc ! Je ne sais si je dois…
C’est que… je n’ai qu’un nombre assez restreint de doigts…
LA PINTADE, indulgente.
Ça ne fait rien !
CHANTECLER.
Ça ne fait rien ! Jamais je ne fus des Karpathes…
Et… je ne sais comment le cacher… j’ai des pattes…
LA PINTADE.
Mais…
CHANTECLER.
Mais… … La crête en piment, l’oreille en gousse d’ail…
LA PINTADE.
Vous êtes excusé ! costume de travail !
CHANTECLER, avançant.
… Et je n’ai pour habit — pardon d’être si sobre ! —
Que tout le vert d’Avril et que tout l’or d’Octobre !
Je suis honteux. Je suis le Coq, le Coq tout court,
Qu’on trouve encor, parfois, dans une vieille cour,
Ce Coq fait comme un Coq, dont la forme subsiste
Sur le toit du clocher, dans les yeux de l’artiste,
Et dans l’humble jouet que la main d’un enfant
Trouve sous les copeaux d’une boite en bois blanc !
UNE VOIX, ironique, partie des groupes éclatants.
Le Coq… Gaulois ?
CHANTECLER, doucement, sans même se retourner.
Le Coq… Gaulois ? Ce n’est pas un nom qu’on se donne
Quand on est aussi sûr que moi d’être autochtone ;
Mais je vois, sur vos becs puisque ce nom vola,
Que lorsqu’on dit le Coq tout court, c’est celui-là !
LE MERLE, à Chantecler, bas.
J’ai vu ton assassin !
CHANTECLER, qui voit s’avancer la Faisane.
J’ai vu ton assassin ! Tais-toi ! Qu’elle ne sache
Rien !
LA FAISANE, coquettement.
Rien ! Vous êtes venu pour me voir ?
CHANTECLER, s’inclinant.
Rien ! Vous êtes venu pour me voir ? Je suis lâche !
LA PINTADE, qui écoute le Cochinchinois, lequel chuchote, très entouré des Poules.
Ce Coq Cochinchinois dit des horreurs !
CHANTECLER, se retournant.
Ce Coq Cochinchinois dit des horreurs ! Assez !
LES POULES, autour du Cochinchinois, poussant des petits cris scandalisés.
Oh !
LA PINTADE, avec ravissement.
Oh ! C’est le plus pervers de nos gallinacés !
CHANTECLER, plus fort.
Assez !
LE COCHINCHINOIS, s’arrête, et, avec un étonnement narquois :
Assez ! Le Coq Gaulois ?
CHANTECLER.
Assez ! Le Coq Gaulois ? Je ne suis pas de Gaule
Si vous donnez au mot un sens vilain et drôle !
Morbleu ! chacune sait que mes claironnements
Sont loin d’avoir été… sopranisés au Mans ;
Mais vos perversités pour petite drôlesse
Qui se fait dans les coins pincer les sot-l’y-laisse
Révoltent mon amour de l’Amour ! Il est vrai
Que je tiens un peu plus à rester enivré
Que ces Cochinchinois qui mêlent, pour qu’on rie,
De la chinoiserie à leur… cochinerie,
Que mon sang court plus vite en un corps moins mastoc,
Et que je ne suis pas un… Cochin, — mais un Coq !
LA FAISANE, à mi-voix.
Viens dans les bois. Je t’aime !
CHANTECLER, qui regarde autour de lui.
Viens dans les bois. Je t’aime ! Oh ! voir enfin paraître
Un être véritable, un être simple, un être…
L’HUISSIER-PIE, annonçant.
Les Deux Pigeons !
CHANTECLER, n’en pouvant croire ses oreilles, à la Pintade.
Les Deux Pigeons ! Ce sont les Deux ?…
LA PINTADE.
Les Deux Pigeons ! Ce sont les Deux ?… Je les attends !
CHANTECLER, respirant.
Enfin ! Les Deux Pigeons !
Il court vers l’entrée.
LES PIGEONS, entrant avec des sauts périlleux.
Enfin ! Les Deux Pigeons ! Hop !
CHANTECLER, qui recule.
Enfin ! Les Deux Pigeons ! Hop ! Ils sont culbutants !
LES PIGEONS, se présentant entre deux culbutes.
Les Tumblers ! Clowns anglais !
CHANTECLER.
Les Tumblers ! Clowns anglais ! Ô La Fontaine ! où suis-je ?
LA PINTADE, bondissant derrière les acrobates, qui se perdent dans la cohue des invités.
Hop ! Hop !
CHANTECLER.
Hop ! Hop ! Les Deux Pigeons qui font de la voltige !
— Oh ! qu’une vérité ferait plaisir à voir !
Qu’une candeur…
L’HUISSIER-PIE, annonçant.
Qu’une candeur… Le Cygne !
CHANTECLER, s’élançant avec joie.
Qu’une candeur… Le Cygne ! Ah ! un Cygne !
Reculant.
Qu’une candeur… Le Cygne ! Ah ! un Cygne ! Il est noir !
LE CYGNE NOIR, se dandinant avec satisfaction.
J’ai laissé la blancheur et j’ai gardé la ligne !
CHANTECLER.
Et vous n’êtes plus rien que l’ombre du vrai Cygne !
LE CYGNE, interdit.
Mais…
CHANTECLER, l’écartant pour sauter sur un banc d’où il peut voir, par une brèche de la haie, la prairie, au loin.
Mais… Laissez-moi grimper sur ce banc. J’ai besoin
De voir si la Nature existe encore… au loin !
Ah ! l’herbe est verte, une vache broute, un veau tette…
Et, bénissons le Ciel, ce veau n’a qu’une tête !
Il redescend auprès de la Faisane.
LA FAISANE.
Viens dans les bois naïfs, sincères et mouillés,
Où nous nous aimerons !
LE MERLE, à la Pintade, lui montrant Chantecler et la Faisane qui se parlent de très près.
Où nous nous aimerons ! Ça marche !…
LA PINTADE, émoustillée.
Où nous nous aimerons ! Ça marche !… Vous croyez ?
Elle ouvre ses ailes pour leur faire un paravent.
Ah ! j’aime tant couver une intrigue secrète !
LE MERLE, passant son bec sous l’aile de la Pintade pour suivre le manège de la Faisane.
Oui, je crois qu’elle songe à s’annexer la Crête !
LA FAISANE, à Chantecler.
Viens !
CHANTECLER, reculant avec effroi.
Viens ! Non ! Je dois chanter où le sort me plaça !
Ici, je suis utile, on m’aime.
LA FAISANE, qui se souvient de ce qu’elle a entendu, la nuit dans la cour de ferme.
Ici, je suis utile, on m’aime. Tu crois ça !
— Non, non ! Viens dans les bois où nous pourrons entendre
Deux vrais Pigeons encor s’adorer d’amour tendre !
LE DINDON, au fond.
Mesdames, le grand Paon…
LE PAON, modestement.
Mesdames, le grand Paon… Le Surpaon… qui surprend !…
LE DINDON.
… Va nous faire la roue !… — À nos vœux il se rend… —
On se groupe. Tous les Coqs aux plumages inouïs sont en corbeille autour de leur Patron.
LE PAON, s’apprêtant à faire la roue.
Mon Dieu, je suis — talent qui s’ajoute à ma liste ! —
Nonchalamment.
Dirai-je artificier ?
LA PINTADE, effervescente.
Dirai-je artificier ? Oui !
LE PAON.
Dirai-je artificier ? Oui ! Non. Pyroboliste !
Car ils sont moins cuprins, prasins et smaragdins,
Les ruggiéresques feux des citadins jardins,
Quand pleuvent de tes ciels quatorze-juillettistes,
Capitale ! les capitules d’améthystes
Des chandelles dodécagynes…
CHANTECLER.
Des chandelles dodécagynes… Sarpejeu !
LE PAON.
… Que, j’ose dire, moi, Mesdames, lorsque je…
LA FAISANE.
Ah ! j’ai compris le dernier mot !
LE PAON.
Ah ! j’ai compris le dernier mot ! … Je, dis-je, éploie
L’éventaire-éventail, l’écrin-écran…
ON ENTEND UN CRI D’ADMIRATION.
L’éventaire-éventail, l’écrin-écran… Ah !
CHANTECLER, à la Faisane.
L’éventaire-éventail, l’écrin-écran… Ah ! L’Oie !
LE PAON.
… Sur quoi j’offre au rayon qui rosit le roseau
Tous ces joyeux joyaux !
CHANTECLER.
Tous ces joyeux joyaux ! Ah ! quel oiseux oiseau !
Le Paon a ouvert son éventail.
UN COQ, au Paon.
Maître, lequel de nous mettrez-vous à la mode ?
UN PADOUE, s’avançant en hâte.
Moi ! — J’ai l’air d’un palmier !
UN CHINOIS, repoussant le Padoue.
Moi ! — J’ai l’air d’un palmier ! Et moi, d’une pagode !
UN ÉNORME PATTU, repoussant le Chinois.
Moi ! — Je porte un chou-fleur à mon calcanéum !
CHANTECLER.
Chacun est à la fois le Monstre et le Barnum !
TOUS, paradant et défilant sous les yeux du Paon.
Voyez mon bec ! — Voyez mes pieds ! — Voyez mes plumes !
CHANTECLER, leur criant tout d’un coup.
Ah ! puisque vous ouvrez un tournoi de costumes,
Le vent vous fait bénir par un Épouvantail !
En effet, derrière eux, le vent a soulevé les bras de l’Épouvantail, qui, mollement, s’étendent au-dessus de cette mascarade
TOUS, reculant.
Hein ?
CHANTECLER.
Hein ? Et ce Mannequin parle à cet Éventail !
Et, tandis que le vent passe, en leur prêtant une vie étrange, dans les loques vides et trouées :
Que dit le pantalon en dansant une gigue ?
Mais… « Je fus à la mode ! » — Et, terreur du becfigue,
Que dit le vieux chapeau qu’un pauvre refusa ?
Mais… « Je fus à la mode ! » — Et l’habit ?… « Je fus à
La mode ! » — Et ses deux bras que nul ne raccommode
Veulent saisir le vent qu’ils prennent pour la mode…
Et retombent ! — Le vent est loin !
LE PAON, aux animaux qui restent un peu effrayés.
Et retombent ! — Le vent est loin ! Mais, pauvres fous !
L’Objet ne parle pas !
CHANTECLER.
L’Objet ne parle pas ! L’Homme dit ça de nous !
LE PAON, à mi-voix, à ses voisins.
Il m’en veut de ces Coqs que je viens d’introduire !
À Chantecler, ironiquement.
Que pensez-vous de ces beaux Messieurs qu’on voit luire ?
CHANTECLER.
Je pense que tout ça c’est des coqs fabriqués
Par des négociants aux cerveaux compliqués
Qui, pour élucubrer un poulet ridicule,
À l’un prennent une aile, à l’autre un caroncule ;
Je pense qu’en ces coqs rien ne reste du Coq ;
Que tout ça c’est des coqs faits de bric et de broc
Qui montent mieux la garde au seuil d’un catalogue
Qu’au seuil d’une humble cour, à côté d’un vieux dogue ;
Que tout ça, c’est des coqs frisottés, hérissés,
Convulsés, que n’a pas apaisés et lissés
La maternelle main de la calme Nature,
Et que tout ça n’est rien que de l’Aviculture !
Et que ces papegais aux plumages discords,
Sans style, sans beauté, sans ligne, et dont les corps
N’ont pas même de l’œuf gardé la douce ellipse,
Semblent sortir d’un poulailler d’Apocalypse !
UN COQ.
Mais, Monsieur…
CHANTECLER, s’exaltant.
Mais, Monsieur… Et je dis que — n’est-ce pas, Soleil ! —
Le seul devoir d’un coq est d’être un cri vermeil !
Et lorsqu’on ne l’est pas, cela n’est pas la peine
D’être buboniforme ou révolutipenne,
On disparaît bientôt sans avoir rien été
Que la variété d’une variété !
UN COQ.
Mais…
CHANTECLER, allant maintenant de l’un à l’autre.
Mais… Oui, Coqs affectant des formes incongrues,
Coquemars, Cauchemars, Coqs et Coquecigrues,
Coiffés de cocotiers supercoquentieux…
— La fureur comme un Paon me fait parler, Messieurs !
J’allitère !… —
Et s’amusant à les étourdir d’une volubilité caquetante et gutturale :
J’allitère !… — Oui, Coquards cocardés de coquilles,
Coquardeaux, Coquebins, Coquelets, Cocodrilles,
Au lieu d’être coquets de vos cocoricos,
Vous rêviez d’être, ô Coqs ! de drôles de cocos !
Oui, Mode ! pour que d’eux tu t’emberlucoquasses,
Coquine ! ils n’ont voulu, ces Coqs, qu’être cocasses !
Mais, Coquins ! le cocasse exige un Nicolet !
On n’est jamais assez cocasse quand on l’est !
Mais qu’un Coq, au coccyx, ait plus que vous de ruches,
Vous passez, Cocodès, comme des coqueluches !
Mais songez que demain, Coquefredouilles ! mais
Songez qu’après-demain, malgré, Coqueplumets !
Tous ces coqueluchons dont on s’emberlucoque,
Un plus cocasse Coq peut sortir d’une coque,
— Puisque le Cocassier, pour varier ses stocks,
Peut plus cocassement cocufier des Coqs ! —
El vous ne serez plus, vieux Cocâtres qu’on casse,
Que des Coqs rococos pour ce Coq plus cocasse !
UN COQ.
Et le moyen de ne pas être rococo ?
CHANTECLER.
C’est de ne penser qu’au…
UN COQ.
C’est de ne penser qu’au… Qu’au ?…
TOUS LES COQS.
C’est de ne penser qu’au… Qu’au ?… Qu’au ?…
CHANTECLER.
C’est de ne penser qu’au… Qu’au ?… Qu’au ?… Cocorico !
UN COQ, avec hauteur.
Nous y pensons, Monsieur, et l’avons fait connaître !
CHANTECLER.
À qui donc ?
Scène V
Les Mêmes, TROIS POULETS SAUTILLANTS qui circulent depuis un moment parmi les Coqs artificiels.
UN POULET SAUTILLANT.
À qui donc ? Mais à nous !
DEUXIÈME POULET SAUTILLANT.
À qui donc ? Mais à nous ! À nous !
TROISIÈME POULET SAUTILLANT.
À qui donc ? Mais à nous ! À nous ! À nous !
TOUS LES TROIS, s’inclinant ensemble.
À qui donc ? Mais à nous ! À nous ! À nous ! Cher Maître !
Qu’est-ce que c’est ? Un intermède ? Une interview.
DEUXIÈME POULET.
La prenez-vous dans la poitrine ?
TROISIÈME POULET.
La prenez-vous dans la poitrine ? Ou dans la tête ?
CHANTECLER.
Si je la prends ?…
PREMIER POULET.
Si je la prends ?… Parlez ! C’est l’Enquête !
CHANTECLER, voulant passer pour fuir.
Si je la prends ?… Parlez ! C’est l’Enquête ! L’Enquête ?
TROISIÈME POULET, lui barrant le chemin.
L’Enquête sur le Mouvement Cocorical !
PREMIER POULET.
Votre premier repas, cher Maître, est-il frugal ?
CHANTECLER.
Vous dont la question comme un chardon s’agrafe,
Qu’êtes-vous donc ?
PREMIER POULET, saluant.
Qu’êtes-vous donc ? Je suis un Cocoricographe !
DEUXIÈME POULET, même jeu.
Un Cocoricologue !
TROISIÈME POULET, même jeu.
Un Cocoricologue ! Un Cocorico…
CHANTECLER, épouvanté.
Un Cocoricologue ! Un Cocorico… Bien !
Mais…
Il veut passer.
PREMIER POULET.
Mais… On ne passe pas quand on ne répond rien !
CHANTECLER, cerné.
Je…
DEUXIÈME POULET.
Je… Vous devez avoir des tendances ?
CHANTECLER.
Je… Vous devez avoir des tendances ? Des foules !
DEUXIÈME POULET.
Vers quoi vous sentez vous attiré ?
CHANTECLER.
Vers quoi vous sentez vous attiré ? Vers les poules.
PREMIER POULET, qui ne rit pas.
Sur votre chant, de rien ne nous ferez-vous part ?
CHANTECLER.
Mais… je le lance !
DEUXIÈME POULET.
Mais… je le lance ! Et quand vous le lancez ?
CHANTECLER.
Mais… je le lance ! Et quand vous le lancez ? Il part !
TROISIÈME POULET, de plus en plus pressant.
Une règle par vous, Maître, est-elle suivie ?
CHANTECLER.
Je…
PREMIER POULET.
Je… Vous vivez ?
CHANTECLER.
Je… Vous vivez ? Mon chant !
DEUXIÈME POULET.
Je… Vous vivez ? Mon chant ! Et vous chantez ?
CHANTECLER.
Je… Vous vivez ? Mon chant ! Et vous chantez ? Ma vie !
TROISIÈME POULET.
Mais comment chantez-vous ?
CHANTECLER.
Mais comment chantez-vous ? En me donnant du mal.
PREMIER POULET.
Mais scandez vous le tripartite ou le normal ?
Coc-ori-co, où Co-co-ri…
Il bat la mesure furieusement avec son aile.
CHANTECLER, reculant.
Coc-ori-co, où Co-co—ri… Il va me battre !
DEUXIÈME POULET.
Rythmez-vous : Un-un-deux ? Un-trois ? Trois-un ? Ou quatre ?
— Quel est votre schéma dynamique ?
LE MERLE, criant.
— Quel est votre schéma dynamique ? Qui n’a
Pas son petit schéma dynamique ?
CHANTECLER.
Pas son petit schéma dynamique ? Dyna ?…
TROISIÈME POULET.
Où collez-vous l’accent ? Sur le Co ?…
CHANTECLER.
Où collez-vous l’accent ? Sur le Co ?… Si je colle
Sur le Co ?…
TROISIÈME POULET.
Sur le Co ?… Sur le ri ?…
CHANTECLER.
Sur le Co ?… Sur le ri ?… Sur ?…
PREMIER POULET, s’impatientant.
Sur le Co ?… Sur le ri ?… Sur ?… Quelle est votre École ?
CHANTECLER.
Des Écoles de Coqs ?…
DEUXIÈME POULET, avec rapidité.
Des Écoles de Coqs ?… Mais il y en a qui
Chantent Cocorico ! d’autres, Kikiriki !
PREMIER POULET, de même.
On est cocoriquiste ou bien kikiriquiste !
CHANTECLER.
Coco ?… Kiki ?…
TROISIÈME POULET.
Coco ?… Kiki ?… Monsieur, sans compter qu’il existe…
UN COQ, s’avançant.
Le seul vrai chant français, c’est : Cock-a-doodle-doo !
CHANTECLER.
Mais quel est donc ce coq ?
PREMIER POULET.
Mais quel est donc ce coq ? Un coq anglo-hindou !
DEUXIÈME POULET.
Et ce Turc, dont, là-bas, la crête a l’air d’un kyste,
Chante Coucouroucou !
LE TURC, s’avançant.
Chante Coucouroucou ! Je suis Coucourouquiste !
DEUXIÈME POULET, lui criant dans l’oreille.
Ne remplacez vous pas, cher Maître, en certains cas,
Votre Cocorico par des Cacaracas ?
CHANTECLER, sursautant.
Cacaraquiste, alors ?
UN AUTRE COQ, surgissant à droite.
Cacaraquiste, alors ? Moi, Monsieur, je supprime
Les voyelles !
Il chante :
Les voyelles ! K ! K ! K ! K !
CHANTECLER, voulant fuir.
Les voyelles ! K ! K ! K ! K ! Suis-je victime
D’un songe ?
UN AUTRE COQ, à gauche, s’avance en chantant.
D’un songe ? O ! O ! I ! O !… Avez-vous fait l’essai,
Quand vous cocoriquez, de supprimer les C ?
CHANTECLER, éperdu.
Qu’est-ce que ces Chinois, ces Turcs et ces Arabes
Sont arrivés à faire avec quatre syllabes ?
UN AUTRE COQ, écartant tous les autres.
Et moi, je mêle tout : Cocaricocacou !
Dans un chant libre et flou !
CHANTECLER.
Dans un chant libre et flou ! Je deviens fou !
LE COQ, criant.
Dans un chant libre et flou ! Je deviens fou ! Flou !
CHANTECLER, de même.
Dans un chant libre et flou ! Je deviens fou ! Flou ! Fou !
TOUS LES COQS, autour de lui, se battant entre eux.
— Non, Cacar ! — Non, Kikir ! — Non, Coucour !
CHANTECLER.
— Non, Cacar ! — Non, Kikir ! — Non, Coucour ! Lequel croire
LE COQ QUI MÊLE TOUT.
Le Cocorico libre ! Il est obligatoire !
CHANTECLER.
Quel est ce coq qui parle avec autorité ?
PREMIER POULET.
C’est un coq merveilleux qui n’a jamais chanté !
CHANTECLER, avec un humble désespoir.
Moi, je ne suis qu’un coq qui chante !…
TOUT LE MONDE, avec dégoût, s’écartant.
Moi, je ne suis qu’un coq qui chante !… Oh ! bien ! bien !
CHANTECLER.
Moi, je ne suis qu’un coq qui chante !… Oh ! bien ! bien ! J’ose
Donner mon chant — comme un rosier donne sa rose !
LE PAON, sarcastique.
Oh ! j’attendais la Rose !
Rires de pitié.
CHANTECLER, bas, nerveusement, au Merle.
Oh ! j’attendais la Rose ! Eh bien, mon assassin
Me fera-t-il croquer plus longtemps le poussin ?
TOUT LE MONDE, avec dégoût.
La Rose !… oh !
LA PINTADE, écœurée de tant de banalité
La Rose !… oh ! Parlez-nous de fleurs plus…
LE PAON.
La Rose !… oh ! Parlez-nous de fleurs plus… Obsolètes !
Avec la plus dédaigneuse impertinence.
Vous déclinez Rosa ?
CHANTECLER.
Vous déclinez Rosa ? Mais oui, Paon que vous êtes !
D’ailleurs, je vous pardonne, à vous, d’avoir osé
Mal parler devant moi de la Rose, rosæ ;
Car, pauvre artificier, la lutte est inégale,
Et plus que tous vos feux la Rose est du Bengale !
Il regarde autour de lui.
Mais je somme les Coqs, du Dorking au Bantam,
De défendre avec moi…
UN COQ, négligemment.
De défendre avec moi… Qui ?
CHANTECLER.
De défendre avec moi… Qui ? La Rose, rosam ;
De déclarer ici, sur-le-champ…
LE MERLE, ironique.
De déclarer ici, sur-le-champ… Tu te poses
Alors en champion ?…
CHANTECLER.
Alors en champion ?… Oui, rosarum, des Roses !
…Que l’on doit adorer…
UN COQ.
…Que l’on doit adorer… Qui ?
CHANTECLER, avec une adoration de plus en plus provocante.
…Que l’on doit adorer… Qui ? Les Roses, rosas !
Où dort la pluie ainsi qu’en des alcarazas,
Et qu’elles sont toujours et seront…
UNE VOIX, froide et coupante.
Et qu’elles sont toujours et seront… Des fichaises !
Tous les Coqs de luxe s’écartent, démasquant le Pile Blanc, qui apparaît long, maigre et sinistre, au fond, entre leurs deux rangées.
CHANTECLER.
Enfin !
LE MERLE.
Enfin ! C’est le moment de grimper sur les chaises !
CHANTECLER, au Pile Blanc.
Monsieur…
LA FAISANE.
Monsieur… Vous n’allez pas répondre à ce géant ?
CHANTECLER.
Il suffit de parler de haut pour être grand.
Au Pile Blanc, en traversant lentement la scène pour aller vers lui.
Sachez qu’un tel propos ne saurait se permettre,
Et sachez que vous avez l’air…
Un poussin se trouvant entre lui et le Coq de combat, il le met doucement de côté, en lui disant :
Et sachez que vous avez l’air… Pardon, cher Maître !
Au Pile Blanc, en lorgnant avec impertinence sa crête coupée.
Un temps. Ils se regardent, les fraises hérissées.
LE PILE BLANC, avec emphase.
Aux Amériques, lors de ma grande tournée,
J’ai tué jusqu’à trois Clayborn dans ma journée.
J’ai tué deux Sherwoods, trois Smoks, un Sumatra.
J’ai tué — c’est pourquoi nul ne me combattra
Sans absorber d’abord quelques grains fébrifuges —
Cinq Red-Game à Cambridge et dix Brækel à Bruges !
CHANTECLER, très simplement.
Moi, Monsieur, je n’ai rien tué. Mais comme j’ai
Quelquefois secouru, défendu, protégé,
Peut-être suis-je brave à mon humble manière.
Ne prenez pas des airs de tranche-taupinière :
Je suis venu sachant que vous deviez venir.
Cette rose à mon bec était pour vous fournir
L’occasion de la stupidité brutale ;
Vous n’avez pas manqué de la prendre au pétale…
Votre nom ?
LE PILE BLANC.
Votre nom ? Pile Diane ! Le vôtre ?
CHANTECLER.
Votre nom ? Pile Diane ! Le vôtre ? Chantecler.
LA FAISANE, courant vers le Chien.
Patou !
CHANTECLER, fièrement, à Patou qui gronde entre ses dents.
Patou ! Toi, reste neutre !
PATOU, roulant l’R.
Patou ! Toi, reste neutre ! Oui, mais c’est dur, mon cher !
LA FAISANE, à Chantecler.
Un coq ne se fait pas tuer pour une rose !
CHANTECLER.
Quand on touche à la fleur, le Soleil est en cause !
LA FAISANE, courant vers le Merle.
Tout s’arrange, pourtant, vous me l’aviez promis !
LE MERLE.
Tout s’arrange, excepté les duels des amis !
LA PINTADE, poussant des cris de désespoir.
Ah ! c’est affreux ! un five o’clock où l’on se tue !
Quel malheur…
À son fils.
Quel malheur… …qu’il n’y ait pas encor la Tortue
UNE VOIX, criant, comme on crie une cote.
Chantecler, dix contre un !
LA PINTADE, plaçant son monde, faisant grimper les Poules sur les pots de fleurs, sur les citrouilles, sur les chaises.
Chantecler, dix contre un ! Vite !
LE MERLE.
Chantecler, dix contre un ! Vite ! Elle est au bonheur :
Elle fait les honneurs d’une affaire d’honneur !
Un grand cercle se forme. Au second rang, les Coqs bizarres ; au premier, avides du spectacle, toutes les Poules, tous les Poulets, tous les Canards de la basse-cour.
PATOU, à Chantecler.
Sois vainqueur ! Ce public voudrait voir les entrailles !
CHANTECLER, tristement.
Je n’ai fait que du bien.
PATOU, lui montrant le cercle d’attente et de haine.
Je n’ai fait que du bien. Regarde !
Tous les cous sont tendus. Tous les yeux luisent. C’est hideux. Chantecler regarde, comprend, et baisse la tête.
LA FAISANE, avec un cri de mépris.
Je n’ai fait que du bien. Regarde ! Ah ! les volailles !
CHANTECLER, se redressant.
Soit ! On saura du moins qui j’étais, aujourd’hui ;
Et mon secret, je vais…
PATOU, vivement.
Et mon secret, je vais… Non ! pas si c’est celui
Qu’a deviné mon cœur de vieil idéaliste !
CHANTECLER, s’adressant à tous d’une voix éclatante, la poitrine offerte, comme celui qui va confesser sa foi.
Sachez tous que c’est moi…
Un silence terrible se fait. Au Pile Blanc qui a un geste d’impatience.
Sachez tous que c’est moi… Pardon, cher duelliste !
Mais je veux faire, avant de me faire tuer,
Quelque chose de brave !…
LE PILE BLANC, surpris.
Quelque chose de brave !… Ah ?
CHANTECLER.
Quelque chose de brave !… Ah ? Me faire huer !
LA FAISANE.
Non !
CHANTECLER.
Non ! Je tiens à mourir sous les rires !
À la Foule
Non ! Je tiens à mourir sous les rires ! Déferle,
Blague ! Préparez-vous, les élèves du Merle !
D’une voix qui monte encore et qui martèle.
C’est moi qui, de mon chant, vous rallume les cieux !
Stupeur. Puis, un rire immense secoue la foule.
Tout le monde rit bien ? En garde !
LE PADOUE DORÉ, inclinant son colback.
Tout le monde rit bien ? En garde ! Allez, Messieurs !
Le combat commence.
ON ENTEND AU MILIEU LA TEMPÊTE DES RIRES.
C’est tordant ! — C’est torsif ! — Je me tords ! — Je suis torte !
LE MERLE.
Cette vieille gaîté française n’est pas morte !
UN POULET.
Il allume en chantant !
UN CANARD.
Il allume en chantant ! Il chante en allumant !
CHANTECLER, tout en évitant les coups que le Pile lui porte.
Oui, c’est moi qui vous rends la lumière !
UN POUSSIN.
Oui, c’est moi qui vous rends la lumière ! Et comment !
CHANTECLER, d’une voix solennelle, tout en parant et ripostant.
Parce qu’il ne veut rien détruire ou faire éclore,
Le chant des autres coqs n’est qu’un rhume sonore !
Le mien…
Il reçoit une blessure.
UNE VOIX.
Le mien… Pan ! sur le cou !
CHANTECLER.
Le mien… Pan ! sur le cou ! …fait lever…
Il reçoit une blessure.
LE DINDON.
Le mien… Pan ! sur le cou ! …fait lever… Cet orgueil !
CHANTECLER.
…La lum…
Il est encore frappé.
UNE VOIX.
…La lum… Pan ! sur le bec !
CHANTECLER.
…La lum… Pan ! sur le bec ! …La lumi…
UNE VOIX.
…La lum… Pan ! sur le bec ! …La lumi… Pan ! sur l’œil !
CHANTECLER, hagard, aveuglé de sang.
…La Lumière !
UNE VOIX, gouailleuse.
…La Lumière ! C’est à se faire obscurantiste !
CHANTECLER, qui répète machinalement sous les coups.
C’est moi qui fais lever l’Aurore !
PATOU, aboyant.
C’est moi qui fais lever l’Aurore ! Oui ! oui !
LA FAISANE, sanglotant
C’est moi qui fais lever l’Aurore ! Oui ! oui ! Résiste !
UN POULET.
Mes enfants, un surnom pour l’Aurore !
TOUS, trépignant.
Mes enfants, un surnom pour l’Aurore ! Oui !…
Le Pile Blanc se rue sur Chantecler.
LA FAISANE.
Mes enfants, un surnom pour l’Aurore ! Oui !… Quel choc !
LE MERLE, servant le surnom demandé
La Grande Horizontale !
UNE VOIX.
La Grande Horizontale ! Un surnom pour le Coq !
TOUS, trépignant.
Oui !
LE MERLE.
Oui ! Le Chef de Rayons !
UNE AUTRE VOIX.
Oui ! Le Chef de Rayons ! Voyez Clarté Latine !
CHANTECLER, qui se défend pied à pied.
Merci ! — Un quolibet encor ! car je piétine !
UNE VOIX.
Le Réveille-Latin !
CHANTECLER, qui ne semble plus soutenu que par les insultes
Le Réveille-Latin ! Encore un calembour !
Et moi qui n’ai jamais fait d’armes qu’en la cour
D’une ferme…
UNE VOIX.
D’une ferme… Ton bec !
CHANTECLER.
D’une ferme… Ton bec ! Merci !… Je…
Ses plumes, arrachées, volent autour de lui.
CRI DE JOIE.
D’une ferme… Ton bec ! Merci !… Je… On le plume !
CHANTECLER.
… Je sens… — Une ineptie encore !
UN POUSSIN.
… Je sens… — Une ineptie encore ! Allume ! allume !
CHANTECLER.
Merci !… — Je sens que plus on va parodiant,
Injuriant, criant, riant, niant…
UN ÂNE, passant sa tête par-dessus la haie.
Injuriant, criant, riant, niant… Hi-han !
CHANTECLER.
Merci !… — mieux je saurai me battre !
LE PILE BLANC, ricanant.
Merci !… — mieux je saurai me battre ! Il sait se battre !
Mais il s’épuise !
LA FAISANE, suppliante.
Mais il s’épuise ! Assez !
UNE VOIX.
Mais il s’épuise ! Assez ! Le Pile, on paye quatre !
LA FAISANE, voyant la gorge ensanglantée de Chantecler.
Du sang !
UNE POULE, se dressant sur la pointe des pattes, derrière le Padoue Doré.
Du sang ! Je voudrais voir le sang !
LE PILE BLANC, fonçant furieusement.
Du sang ! Je voudrais voir le sang ! J’aurai ta peau !
LA POULE QUI VEUT VOIR.
Le chapeau du Padoue est devant moi !
LE MERLE.
Le chapeau du Padoue est devant moi ! Chapeau !
On sent que Chantecler est perdu. Il se met en boule, comme pour mourir.
UNE VOIX.
Quel coup ! C’est à la crête !
CRIS PERÇANTS DE LA FOULE EN DÉLIRE.
Quel coup ! C’est à la crête ! Arrache ! — Égorge ! — Assomme !
— Tue !
PATOU, dressé dans la brouette.
— Tue ! Avez-vous fini de pousser des cris d’homme ?
CRIS CADENCÉS, rythmant férocement les coups reçus par Chantecler.
C’est à l’œil ! — C’est au front ! — C’est à l’aile ! — C’est à…
Brusque silence.
CHANTECLER, surpris.
Tiens ! le cercle se brise et le bruit s’arrêta ?…
Il regarde autour de lui. Le Pile, cessant de l’attaquer, a reculé contre la haie. Un mouvement étrange se produit dans la foule. Chantecler, épuisé, sanglant, trébuchant, ne comprenant pas ce qui se passe, murmure :
Que préparent-ils donc contre mon agonie ?…
Et tout d’un coup, ému.
— Ah ! Patou, quel bonheur !
PATOU.
— Ah ! Patou, quel bonheur ! Quoi ?
CHANTECLER.
— Ah ! Patou, quel bonheur ! Quoi ? Je les calomnie !
Car tous, cessant de rire et de m’injurier,
Se rapprochent de moi, maintenant !
PATOU, voyant que tous, en se rapprochant de Chantecler, observent le ciel avec inquiétude, lève la tête, regarde, et dit simplement :
Se rapprochent de moi, maintenant ! L’Épervier !
CHANTECLER.
Ah !
Une ombre passe avec lenteur sur la foule bariolée, qui se serre et qui se baisse, en se rapprochant de plus en plus, instinctivement, de Chantecler.
PATOU.
Ah ! On ne compte pas, quand sa grande ombre passe,
Sur les Coqs étrangers pour chasser le Rapace !
CHANTECLER, soudain relevé, grandi, ses blessures oubliées, gagne le milieu, et de sa voix de commandement :
Oui ! tous autour de moi !
Et tous, aussitôt, la tête rentrée dans les ailes, viennent précipitamment s’écraser autour de lui.
LA FAISANE.
Oui ! tous autour de moi ! Cher être brave et doux !
L’ombre passe une seconde fois. Le Coq de Combat lui-même se fait petit. Il n’y a plus que Chantecler debout au milieu d’un tas de plumes ébouriffées et tremblantes.
UNE POULE, suivant des yeux l’Épervier.
Deux fois déjà son ombre a mis du noir sur nous !
CHANTECLER, appelant les Poussins qui courent affolés.
Par ici, les Poussins !
LA FAISANE.
Par ici, les Poussins ! Tu les prends sous ton aile ?
CHANTECLER.
Il faut bien… Leur maman est artificielle !
L’ombre de l’Épervier, qui décrit des cercles toujours plus bas, passe une troisième fois, plus noire.
LA FAISANE, les yeux levés.
Il plane !
TOUS, dans un gémissement de terreur.
Il plane ! Oh !
CHANTECLER, criant vers le ciel, d’une voix éclatante.
Il plane ! Oh ! Je suis là !
PATOU.
Il plane ! Oh ! Je suis là ! Il entend ton clairon…
LA FAISANE.
S’éloigne…
L’ombre a passé.
TOUS, se redressent dans un cri joyeux de délivrance.
S’éloigne… Ah !
Et vont en courant reprendre leur place, pour voir la fin du combat.
PATOU.
S’éloigne… Ah ! Et l’on voit se reformer le rond !
CHANTECLER, tressaillant.
Tu dis ?
Il regarde. C’est vrai, le cercle s’est instantanément reformé Les cous sont tendus, les yeux luisent.
LA FAISANE.
Tu dis ? Et maintenant, tous veulent qu’on te tue,
Pour se venger sur toi de la peur qu’ils ont eue !
CHANTECLER.
On ne me tuera plus ! Je me suis redressé
Quand l’Ennemi de tous dans le ciel a passé !
Il marche sur le Pile.
Et j’ai repris courage en tremblant pour les autres !
LE PILE BLANC, stupéfait d’être vigoureusement attaqué.
Mais ses forces, soudain ?…
CHANTECLER.
Mais ses forces, soudain ?… Valent trois fois les vôtres !
Car m’excitant au noir comme au rouge un taureau,
J’ai vu trois fois la Nuit dans l’ombre d’un oiseau !
Le Pile Blanc, acculé contre la haie, se prépare à faire usage de ses couteaux.
LA FAISANE, criant.
Gare ! il a deux ergots d’acier tranchant, la brute !
CHANTECLER.
Je le savais !
LE CHAT, du haut de son arbre, au Pile Blanc.
Je le savais ! Sers-toi de tes rasoirs !
PATOU, prêt à s’élancer de la brouette.
Je le savais ! Sers-toi de tes rasoirs ! Minute !
S’il s’en sert, je l’étrangle !
LA FOULE, déçue.
S’il s’en sert, je l’étrangle ! Oh !
PATOU.
S’il s’en sert, je l’étrangle ! Oh ! Malgré les clameurs !
LE PILE BLANC, se sentant perdu
Tant pis !
LA FAISANE, qui ne le quitte pas des yeux.
Tant pis ! Il fait tourner un des rasoirs !
LE PILE BLANC, frappant de son ergot tranchant.
Tant pis ! Il fait tourner un des rasoirs ! Tiens, meurs !
Il pousse un cri terrible, cependant que Chantecler, sautant de côté, a évité le coup.
Ah !
Il s’effondre. Cri de stupéfaction.
PLUSIEURS VOIX.
Qu’est-ce ?
LE MERLE, qui est allé regarder en sautillant.
Qu’est-ce ? Rien. Il s’est, d’une façon adroite,
Coupé la patte gauche avec la patte droite.
LA FOULE, poursuivant d’une huée le Pile, qui, s’étant péniblement relevé, se sauve à cloche-pied.
Hu !
PATOU et LA FAISANE, riant, pleurant, parlant à la fois autour de Chantecler, qui est demeuré immobile, exténué, les yeux fermés.
Hu ! Chantecler ! — C’est nous ! — La Faisane ! — Le Chien !
— Que nous dis-tu ?
CHANTECLER, rouvrant les yeux, les regarde et dit doucement :
— Que nous dis-tu ? Le jour se lèvera demain !
Scène VI
Les Mêmes, moins LE PILE BLANC
LA FOULE, après avoir reconduit le Pile, revenant en tumulte vers Chantecler, qu’elle acclame
Hourrah !
CHANTECLER, avec un haut-le-corps, et d’une voix terrible.
Hourrah ! Arrière tous ! J’ai vu ce que vous êtes !
La foule recule précipitamment.
LA FAISANE, bondissant auprès de lui.
Viens donc voir dans les bois de véritables bêtes !
CHANTECLER.
Non, je reste !
LA FAISANE.
Non, je reste ! Sachant ce qu’ils sont ?
CHANTECLER.
Non, je reste ! Sachant ce qu’ils sont ? Le sachant !
LA FAISANE.
Tu veux rester ici ?
CHANTECLER.
Tu veux rester ici ? Pas pour eux, — pour mon chant !
Il jaillirait moins clair d’un autre sol, peut-être !
Mais pour rapprendre au jour qu’il est sûr de renaître,
Je vais chanter !
Mouvement obséquieux de la foule pour se rapprocher.
Je vais chanter ! Arrière tous ! Je n’ai plus rien
Que mon chant !
Tous reculent, et, seul avec son orgueil, il commence :
Que mon chant ! Co…
À lui-même, se raidissant contre la douleur.
Plus rien que mon chant ! Chantons bien…
Il recommence à chanter.
Co… Tiens ! prends-je ma voix de gorge, ou… Co… de tête ?
Scanderai-je : Un-trois ?… Co… Et l’accent ?… Ça m’arrête,
Tout ça ! — Deux-deux… Trois-un… Coucour… — Depuis qu’on m’a
Fait penser à tout ça… Kikir… Et le schéma ?…
Coc…
Pris d’une angoisse.
Coc… Je suis embrouillé d’écoles et de règles !
Leur vol décomposé ferait tomber les aigles,
Et…
Il essaye un dernier chant qui avorte en un son rauque :
Et… Coc… je ne peux plus chanter, moi dont la loi
Fut d’ignorer comment, mais de savoir pourquoi !
Dans un cri de désespoir.
Je n’ai plus rien ! Ils m’ont tout pris ! Mon chant lui-même !
Comment le retrouver ?
LA FAISANE, lui ouvrant ses ailes.
Comment le retrouver ? Viens dans les bois…
CHANTECLER, se jetant sur son cœur.
Comment le retrouver ? Viens dans les bois… Je t’aime !
LA FAISANE.
… Où jamais des oiseaux on n’embrouille la voix !
CHANTECLER.
Partons !
Il remonte avec elle ; et se retournant avant de sortir :
Partons ! Mais je veux dire au moins…
LA FAISANE, essayant de l’entraîner.
Partons ! Mais je veux dire au moins… Viens dans les bois !
CHANTECLER.
… À tout le Pintadisme assemblé sous ces treilles :
Laissez le potager… — n’est-ce pas, les Abeilles ? —
Travailler à changer en fruits sa floraison !
BOURDONNEMENT DES ABEILLES.
Il a raison ! — Il a raison ! — Il a raison !
CHANTECLER.
Rien ne se fait de bon dans le bruit. Il empêche
La branche…
LE BOURDONNEMENT, s’éloignant.
La branche… Il a raison !
CHANTECLER.
La branche… Il a raison !…de mettre à point sa pèche ;
La grappe…
LE BOURDONNEMENT, se perdant parmi les feuilles.
La grappe… Il a raison !
CHANTECLER.
La grappe… Il a raison !…de mûrir sur le cep !
Il remonte avec la Faisane.
Partons !
Redescendant avec colère.
Partons ! Mais je veux dire encore à toutes ces P…
La Faisane lui met son aile sur le bec.
Oules !… qu’ils vont s’enfuir, tous ces Coqs peu sincères
Vers les mangeoires d’or qui leur sont nécessaires,
Dès qu’on criera de loin :
Il imite la voix de ceux qui jettent du grain.
Dès qu’on criera de loin : « Petits ! petits ! petits ! »
Car tous ces charlatans n’ont que des appétits !
LA FAISANE, l’emmenant.
Viens ! viens !
UNE POULE.
Viens ! viens ! Elle l’enlève !
CHANTECLER.
Viens ! viens ! Elle l’enlève ! Oui !
Redescendant.
Viens ! viens ! Elle l’enlève ! Oui ! Mais il faut encore
Que je dise à ce Paon…
Montrant la Pintade.
Que je dise à ce Paon… devant cette pécore…
LA PINTADE, ravie.
Il m’insulte chez moi ! c’est sensationnel !
CHANTECLER, au Paon.
Faux brave que la Mode a pris pour colonel,
Vous marchez dans la peur dont votre gorge est bleue
De paraître en retard aux yeux de votre Queue ;
Mais, poussé tout le temps par tous ces yeux qu’elle a,
Vous tomberez, et vous irez finir dans la
Fausse immortalité que donne, faux artiste,
Imitant la façon de parler du Paon.
Le… dirai-je empailleur ?
LA PINTADE, machinalement.
Le… dirai-je empailleur ? Oui !
CHANTECLER.
Le… dirai-je empailleur ? Oui ! Non !… taxidermiste,
Pour employer le mot que vous auriez choisi !
Voilà, mon cher Paon.
LE MERLE.
Voilà, mon cher Paon. Pan !
CHANTECLER, se retournant vers lui.
Voilà, mon cher Paon. Pan ! Et quant à toi…
LE MERLE.
Voilà, mon cher Paon. Pan ! Et quant à toi… Vas-y !
CHANTECLER.
J’y vais.
Il descend.
J’y vais. Toi, tu connus, par quelque matin blême,
Un Moineau de Paris : tu nous l’as dit toi-même.
C’est ce qui t’a perdu. Depuis, la peur te tient
De n’être pas toujours « très moineau-parisien » !
LE MERLE.
Mais…
CHANTECLER.
Mais… J’y vais ! — Et sans soupçonner une minute
Que jamais un sifflet ne pourra dire : « Flûte » !
Voulant poser tes pieds, toi, le Merle des bois,
Comme si tu marchais sur le pavé de bois,
Désormais…
LE MERLE.
Désormais… Je…
CHANTECLER.
Désormais… Je… J’y vais ! j’y vais ! — …toujours, sans trêve,
Moineautant jour et nuit, moineaueant même en rêve,
Condamné par toi-même à moineauter sans fin,
Pour faire le moineau tu feras le serin !
LE MERLE.
Mais…
CHANTECLER.
Mais… Ô touchants efforts d’un oiseau de province !
— Pour dire avec l’accent faubourien : « Mon prince ! »
C’est en vain que tu mets ton gros bec de travers.
Tu veux cueillir les mots d’argot ? Ils sont trop verts !
Chaque grain que tu prends te crève aux mandibules :
Les raisins de Paris sont des grappes de bulles !
N’ayant pris au Moineau que son truc et son tic,
Tu n’es qu’un sous-farceur et qu’un vice-loustic.
Dans ton gros babil noir lu refais en moins juste
Les tours du clown divin dont tu n’es que l’Auguste !
Tu nous ressers les vieux pyrrhonismes jobards
Qu’on trouve en picorant les miettes des grands bars !
Pauvre petit oiseau qui croit qu’il nous épate
En venant réciter sa nouvelle à la patte !
Les Rivarol manqués s’appellent Calino.
LE MERLE.
Mais…
CHANTECLER.
Mais… J’y vais ! — Ah ! tu veux imiter le Moineau ?
Mais, lui, qui n’admet pas que, sournoisement rosse,
De la désinvolture on fasse un sacerdoce
Et que l’on soit espiègle avec autorité,
Il n’est pas le pédant de la légèreté !
Rieur des buissons bas qui jamais ne t’élance,
Toi, tu veux imiter ?…
À un des Coqs exotiques, qui, derrière lui, caquête.
Toi, tu veux imiter ?… Coq du Japon, silence !
Ou bien je vous rabats votre kakémono !…
LE COQ DU JAPON.
Ah ! permettez !…
CHANTECLER, continuant, au Merle.
Ah ! permettez !… Tu veux imiter le Moineau,
Qui, toujours ouvrant l’aile au moment qu’il s’esclaffe,
Va souligner ses mots d’un fil de télégraphe ?…
Eh bien, je ne veux pas te faire de chagrin,
Mais — j’entends les moineaux lorsqu’ils pillent mon grain ! —
Tu n’y es pas du tout ! On voit luire l’œil rose
Du lapin que l’esprit, quand tu l’attends, te pose !
LE MERLE, abasourdi.
Il parle argot ?
CHANTECLER.
Il parle argot ? Je parle tout, étant le Coq.
Depuis la langue d’Oc jusqu’à la langue toc !
LE MERLE.
Toc ?
CHANTECLER.
Toc ? Ton bagout, c’est du chiqué !
LE MERLE.
Toc ? Ton bagout, c’est du chiqué ! Chiqué ?
CHANTECLER.
Toc ? Ton bagout, c’est du chiqué ! Chiqué ? De pauvre !
L’article de Paris qu’on fabrique en Hanovre !
Le sinistre plaqué des bazars !
LE MERLE, ahuri.
Le sinistre plaqué des bazars ! Le plaqué ?
CHANTECLER.
Et d’un bazar qui n’est pas même au coin du quai !
LE MERLE.
Comment ! c’est en blaguant maintenant, qu’il me gifle ?
CHANTECLER.
Le meilleur des siffleurs, c’est un chanteur qui siffle !
LE MERLE.
Mais…
CHANTECLER.
Tu m’as dit : « Vas-y ! » J’y vais. Ça te vexa ?
LE MERLE.
Je…
CHANTECLER.
Je… Le Chef de Rayons te sert. — Et avec ça ?
LE MERLE, vivement.
Rien !
Il veut s’éloigner.
CHANTECLER, le suivant.
Rien ! Tu veux imiter le Moineau ? Mais sa blague
N’est pas une prudence, un art de rester vague,
Un élégant moyen de n’avoir pas d’avis :
Il a toujours des yeux furieux ou ravis.
Et veux-tu, maintenant, la clef d’or qui remonte
Comme un joujou charmant sa blague jeune et prompte ?
Le veux-tu, le secret par quoi ce camelot
Sait nous cambrioler le cœur avec un mot,
De sorte qu’il n’est rien, à lui, qu’on ne pardonne ?
— « Le voulez-vous ?… Un sou ? deux sous ? Non, je le donne !
Demandez le secret du Moineau de Paris ! »
C’est que ses cris railleurs sont des cris attendris,
C’est qu’il est libre et fier, c’est qu’il croit, c’est qu’il aime,
C’est que, seuls, les barreaux d’un balcon du cinquième
Où pour lui quelque enfant aura mis le couvert
Formeront un instant sa cage à ciel ouvert ;
C’est qu’on peut être sûr qu’il a l’âme gamine
Puisqu’il a gaminé lorsqu’il criait famine ;
Son fameux : « Oh ! la la ! » qui nargue le passant
N’est qu’un cri de douleur dont on changea l’accent…
Ah ! tu veux l’imiter, ce fou qui fait des niches,
Mais de l’Arc de Triomphe habite les corniches
Et les trous de la barricade ?… le Moineau
Qui peut être sublime en répondant : « Guano ! »
Qui chante sous le plomb et rit devant la broche ?
Il faut savoir mourir pour s’appeler Gavroche !
Mais vous qui, sans gaîté parce que sans amour,
Vous êtes figuré que la mauvaise humour
Peut remplacer la bonne humeur, et qu’on détrône
Le pierrot lorsqu’on n’est qu’un nègre qui rit jaune,
Et que nous confondrons, ô lourdauds sautillants,
Vos mots d’esprit qui sont des éteignoirs brillants
Avec ces traits du cœur qui sont des étincelles,
Vous pouvez vous fouiller — si vous avez des ailes !
LA PINTADE, qui approuve tout ce qui se dit à son jour.
Ah ! très bien !
UN POULET, au Merle interdit.
Ah ! très bien ! Tu vas te venger ?
LE MERLE, prudemment.
Ah ! très bien ! Tu vas te venger ? Sur le Dindon !
À ce moment, UNE VOIXappelle :
Petits ! petits ! petits !
Et tous les Coqs de luxe, s’élançant vers l’irrésistible voix de la pâture, sortent en bousculade.