Chant des Barricades

Poèmes Premier et second carnets de poèmesmanuscrits autographes (p. 11-14).

VI

Chant des Barricades

Peuple français, ta main est juste et forte ;
Ton bras vengeur, de sa chaîne irrité,
Des grands, des rois a détruit la cohorte,
Des grands, des rois ; ils l’avaient insulté !
En vain sous toi, de lâches embuscades,
Et contre toi, des sbires entassés ;
Peuple puissant, leurs vaines canonnades,
Pour te dompter, ne tonnent pas assez.

Tes grands, tes rois de ton sang trop prodigues,
Te mitraillaient du haut de leurs palais ;
Mais tu rompis leurs inutiles digues,
Tu les battis de leurs propres boulets.
Toujours debout au feu de leurs brigades,
Par tes vivants, tes morts sont remplacés !

Peuple puissant, leurs vaines canonnades,
Pour te dompter, ne tonnent pas assez.

De tes pavés, levant la rude masse,
Tu les brandis, d'un poignet de géant.
Tes grands, tes rois que la frayeur terrasse
À ton aspect sont rentrés au néant.
De leurs palais inondant les façades,
Ta foule éteint leurs canons amorcés !
Peuple puissant, leurs vaines canonnades,
Pour te dompter, ne tonnent pas assez !

Le fol excès d'une ardente victoire
N'altéra pas ta noble probité
Et tu voulus conserver à l’histoire
De ton beau nom l'antique pureté.
Tu l'établis après tes escalades,
Sage gardien de trésors amassés !
Peuple puissant, leurs vaines canonnades,
Pour te dompter, ne tonnent pas assez !

Peuple français, d'un maître héréditaire,
Tu dédaignais le diadème usé ;

Il menaça — terrible en ta colère
Tu fais un pas ! — son trône est écrasé !
Qui te pourrait vaincre aux nobles croisades
Où tu te bats pour tes droits rabaissés.
Peuple puissant, leurs vaines canonnades,
Pour te dompter, ne tonnent pas assez !

Réjouis-toi, France, ton peuple est libre,
Il a gagné son honneur et sa foi ;
Réjouis-toi, comme aux rives du Tibre,
Romain de cœur, ton peuple est ton seul roi !
Peuple sublime, un jour tu te persuades,
Qu’il faut régner, et tes rois sont passés !
Peuple puissant, leurs vaines canonnades,
Pour te dompter, ne tonnent pas assez !

Réjouis-toi, ton sang te rend féconde !
Sous le drapeau de la fraternité,
Tes enfants-rois soulèveraient le monde
Pour conquérir l’honneur, la liberté !
Noble pays, près de leurs barricades,
Vainqueurs, tes fils se sont toujours dressés !
Peuple puissant, leurs vaines canonnades,

Pour te dompter, ne tonnent pas assez.


1848.