Chansons populaires du Canada, 1880/p291
à la santé de ces jeunes mariés
Quel est l’homme ayant tant soit peu de monde qui oserait parler malheur, déception, tombeau, au milieu d’un repas de noces ? Dans de telles circonstances, au contraire, chacun affecte une joie sans mélange, et ne parle que félicité suprême et bonheur sans fin. Et pour tant la crainte est dans tous les cœurs. Ici bas :
« … jamais entière allégresse :
L’âme y souffre de ses plaisirs,
Les cris de joie ont leur tristesse,
Et les voluptés leurs soupirs.
« La crainte est de toutes les fêtes ;
Jamais un jour calme et serein
Du choc ténébreux des tempêtes
N’a garanti le lendemain… »
Ce mystérieux « lendemain, » on n’ose pas le regarder en face, on s’efforce de n’y pas songer. Plus courageux que nous, et, avouons-le aussi, la conscience plus tranquille, l’homme des champs ne craint pas d’en rappeler le souvenir, même au milieu de ses fêtes. Au lieu de se dorloter mollement dans la jouissance du présent, au lieu de s’écrier inutilement, comme Lamartine :
jeter l’ancre un seul jour ! »
l’expérience du passé, et se raffermit dans le sentier du devoir.
Les couplets que l’on va lire prouvent, une fois de plus, la vérité de cette assertion des frères Grimm : que les chansons du peuple ne savent jamais mentir.
Sur votre bonté
Ah ! je me repose.
Puisque vous voulez
Tous ici que j’ose
Vous chanter une chanson,
Donnez votre attention.
Je ne parle pas
Ici du breuvage,
Ni de ce repas,
Mais du mariage ;
Je ne parle maintenant
Que de ces jeunes amants.
Vous avez dit : oui,
Mot très-agréable ;
Mais il est aussi
Souvent regrettable,
Et jusque dans le tombeau
On se repend de ce mot.
Messieurs, jusqu’ici,
Jusqu’à vos oreilles,
Je puis bien parler
De tous ceux et celles
Qui se prennent sans s’aimer
Et meur’ nt sans se regretter.
Vous, jeunes amants,
Qui cherchez des belles,
Veillez sagement,
Soyez-leur fidèles,
Car vous pourriez être enfin
Accablés de grand chagrin.
Pour vous conserver
Beaux jours et bon rôle,
Vous d’ vez répéter
Souvent ces paroles :
Dieu veuille que je sois doux
À cell’ dont je suis l’époux !
Tu ne dois aimer
Que ta chère femme,
Que Dieu t’a donnée
Pour fldèl’ compagne ;
Tu dois toujours éviter
Cell’ qui pourrait te charmer.
Vous vous êt’ s aimés,
Aimez-vous encore !
Vous serez charmés
De revoir l’accor’-e
Régner dans votre maison
Avec la paix et l’union.
Jeun’ femme, écoutez !
Vous ferez de même ;
De Dieu suppliez
La bonté suprême
Qu’il vous bénisse tous deux
Et vous donne des jours heureux.
Messieurs, c’est assez
Sur le mariage ;
Daignez me verser
De ce doux breuvage :
Que je boive à la santé
De ces jeunes mariés.