Chansons populaires du Canada, 1880/p137
J’ai fait une maîtresse
On aimera à lire ici une notice de M. LaRue sur cette charmante poésie populaire :
« Dans la Revue Contemporaine de 1863, (31 octobre,) on peut lire une savante critique par M. Adrien Donnodevie, des œuvres en langue provençale du célèbre poète Mistral. M. Donnodevie nous donne la traduction française d’un des chants du jeune poète, pour lequel le savant critique ne saurait trouver trop d’éloges. Laissons le parler lui-même.
…« Le troisième chant nous fait assister à une assemblée joyeuse et babillarde de jeunes filles réunies au mas de Micocoules, et occupées à dépouiller des cocous ; elles parlent de leurs amours, de leurs projets ; elles font des châteaux… en Provence, rappellent les beaux souvenirs du pays. Taveu, la sorcière, raconte la curieuse légende du pâtre de Lubéron ; plus espiègle que les autres, Norade découvre à demi le secret de Mireille ; celle-ci rougit, mais s’en défend, et dit que plutôt que d’avoir un mari, elle aimerait mieux se faire nonne dans un couvent : « Oh ! oh ! s’écrient les jeunes filles, c’est comme Magali, Magali qui échappa à l’amour par mille subterfuges, qui se faisait pampre, oiseau qui vole, rayon qui brille, et qui pourtant, tomba amoureuse à son tour. » Et sur les instances de ses compagnes, Nore, la belle chanteuse, se met à dire la ravissante aubade de Magali. Cette chanson est-elle l’œuvre propre du poète, ou en a-t-il trouvé l’idée et quelques fragments dans la mémoire populaire, et l’a-t-il très-habilement arrangé ? c’est ce que nous ne pouvons décider… »
« Or, c’est ce qu’il est très-facile de décider : il suffit pour cela, de mettre en regard quelques strophes de la chanson provençale avec quelques couplets d’une de nos chansons populaires canadiennes. » (Foyer Canadien, année 1865, p. 72.)
Voici une traduction de l’« aubade » de Miréïo du poète Mistral :
« Ô Magali ! ma tant aimée — Mets la tête à ta fenêtre — Écoute un peu cette aubade de tambourins et de violons — Le ciel est là-haut plein d’étoiles — Le vent est tombé — Mais les étoiles pâliront en te voyant.
— « Pas plus que du murmure des branches — De ton aubade je me soucie — Mais je m’en vais dans la mer blonde — Me faire anguille du rocher.
« Ô Magali ! si tu te fais — Le poisson de l’onde — Moi, le pêcheur je me ferai — Je te pêcherai.
— « Oh ! mais si tu te fais pêcheur — Quand tu jetteras tes filets — Je me ferai l’oiseau qui vole — Je m’envolerai dans les landes.
« Ô Magali, si tu te fais — l’oiseau de l’air — Je me ferai, moi, le chasseur — Je te chasserai.
— « Aux perdreaux aux becs fins, — Si tu viens tendre tes lacets, — Je me ferai l’herbe fleurie, — Et me cacherai dans les prés vastes.
— « Ô Magali ! si tu te fais — La marguerite, — Je me ferai, moi, l’eau limpide, — Je te rafraîchirai.
— « Si tu te fais l’onde limpide, — Je me ferai, moi, le grand nuage, — Et promptement je m’en irai ainsi — En Amérique, là-bas, bien loin.
— « Ô Magali ! si tu t’en vas — Aux lointaines Indes, — Je me ferai, moi, le vent de mer, — Je te porterai.
— « Si tu te fais le vent marin, — Je fuirai d’un autre côté, — Je me ferai l’échappée ardente — Du grand soleil qui fond la glace.
— « Ô Magali ! si tu te fais — Le rayon de soleil, — Je me ferai, moi, le vert lézard, — Je te boirai.
— « Si tu te rends la salamandre — Qui se cache dans le hallier, — Je me rendrai, moi, la lune blanche qui, dans la nuit, — Éclaire les sorciers.
— « Ô Magali ! si tu te fais — Lune sereine, — Je me ferai, moi, belle brume, — Je t’envelopperai.
« — Va, poursuivant, cours, cours, — Jamais tu ne m’atteindras, — Moi de l’écorce d’un grand chêne — Je me vêtirai dans la forêt sombre.
« Ô Magali si tu te fais — L’arbre îles mornes, — Je me ferai, moi, la touffe de lierre, — Je t’embrasserai.
« Si tu veux m’embrasser, — Tu ne saisiras qu’un vieux chêne… — Je me ferai blanche nonnette — Du monastère du grand Saint-Blaise.
« Ô Magali ! si tu te fais — nonnette blanche, — Moi, prêtre à confesse, — Je t’entendrai…
— « Si du couvent tu passes les portes, — Tu trouveras toutes les nonnes — Autour de moi, errantes, — Car en suaire tu me verras.
« Ô Magali ! si tu te fais — La pauvre morte, — Adoncques je me ferai la terre : Là, je t’aurai !
— « Â présent, je commence enfin à croire — Que tu ne me parles pas en riant : Voici mon annelet de verre — Pour souvenir, beau jouvenceau.
— « Ô Magali ! tu me fais du bien… Mais, dès qu’elles t’ont vu, — Ô Magali ! vois les étoiles — Comme elles ont pâli ! »
La délicieuse musique que Gounod a écrite sur cette donnée de Mistral, est bien connue à Québec.
On chante en France, dans le Bourbonnais, une version de cette chanson qui diffère à peine de notre version canadienne, quant aux paroles. Il me semble évident que que notre air n’est pas l’air primitif, car le rhythme de la poésie ne se plie que difficilement à celui de la mélodie ; de là ces syllabes ajoutées : « Si tu te mets docteure… Je me metterai sœure, » etc. Je ne connais pas l’air de la version bourbonnaise.
J’ai fait une maîtresse, ya pas longtemps, (bis) |